schamak

104 votes

  • Seules les bêtes

    Colin Niel

    9/10 Pourquoi « SEULES LES BETES » est un excellent roman ?

    Réponse : parce que l’auteur, Colin Niel, à, selon moi, TOUT compris.
    A aucun moment, il ne se trompe sur ce qui fait passer un bon roman de divertissement (ce qui est déjà bien au demeurant) à une oeuvre littéraire. A savoir et en premier lieu, l’essentiel : l’écriture.

    Et la forme est d’autant plus excellente que le challenge était foutrement relevé car multiple. En effet, il s’agit là d’un roman choral donc à plusieurs voix et donc de facto avec plusieurs tonalités.
    Mais, que le lecteur se rassure, jamais il ne sera perdu : quel que soit leur sexe, leur rang, leur provenance, ils sont tous crédibles. Que ce soit Alice, Joseph, Armand, Michel, Maribé…tous ont une identité propre, une vérité, une intériorité, une psychologie fouillée. Tous sont parfaitement palpables, formidablement vivants, organiques à l’image de l’environnement, des paysages, l’auteur sait aussi donner vie aussi bien au « dehors » de la nature qu’au « dedans émotionnel » des êtres. On y croit à chacun de ses protagonistes parce qu’encore une fois, ils sont portés (mais jamais jugés) par une forme inspirée, convaincante (jusqu’au dialecte, aux expressions locales, et autres suppression de forme négative…), un style formidable.
    Et c’est SURTOUT pour cela que ce roman est réussi, doublé d’une sacré performance ; parce que précisément, ces anti-héros sont si authentiques, si charismatiques, que l’intrigue elle-même (la double disparition) finit par passer au second plan….sans que cela nous frustre ou nous rende impatient ! Pour moi, c'est très révélateur sur le fait qu'une intrigue seule - fusse-t-elle captivante - ne suffit jamais (en tout cas pas à des mecs comme moi) !
    Je ne suis pas loin de penser que ces disparitions ne servent qu'à répondre au côté « entertainement » de l'ouvrage. L'intrigue n'est que la partie visible de l’iceberg, et paradoxalement pas l’intérêt principal (du livre, et peut-être même de l’auteur), juste le déclencheur, presque le prétexte (attention prétexte solide, car l’intrigue n’est aucunement négligée et le suspense demeure efficace et bien entretenu) pour mettre en exergue ces personnages complexe dans leur humanité ; cette humanité qui les rend si vrai, si émouvants, si vulnérables, si cruels aussi. Cette intrigue policière est aussi un formidable vecteur pour mettre aussi en lumière les nombreux thèmes, certes classiques, mais très bien traités : la solitude, la misère affective, en une phrase leur/notre inlassable quête d'amour qui les/nous conduit (parfois pour le pire) à vouloir sortir de leur/notre état ou de leur/notre condition (sociaux et affective). Le livre pourrait se résumer par "chaque rêve a son prix à payer". Et ce prix, parfois, c'est son coeur, son esprit, voire son âme.
    C'est pas nouveau ? Je vous l'accorde, mais c’est juste super bien foutu, quoi.
    Des bémols ? Non. Ou si peu et porte justement sur l’intrigue. Quand y réfléchit un peu, ça ressemble surtout à une succession de malentendus (d’un autre côté, c’est ce qui rend tout le processus assez terrifiant), des circonstances (mal)heureuses. Bref, c’est pour chipoter, et je vais pas m’étaler là-dessus, c’est dire si je m’en tape et surtout ça confirme encore une fois que j’ai trouvé tellement d’autres sources de satisfaction que le simple whodunit si cher à sir Alfred ou ces quelques facilités.
    Finalement, sous l’apparence d’une enquête policière - même si en définitive jamais le projecteur ne s’arrête vraiment sur ladite enquête ou le personnage du gendarme, Cédric - l’auteur a surtout voulu écrire une tragédie humaine. Et c’est diablement réussi.
    Merci à Colin Niel d’avoir compris cela, d’avoir compris - comme Franck Bouysse pour ne citer que lui - qu’un bon roman noir, n’est pas ennemi de la littérature, loin s’en faut, que ce n’est pas incompatible avec une écriture affirmée qui a une vraie densité (sans tomber dans la suffisance, en restant simple et évocatrice), une résonance, un écho, une personnalité propre et qui hélas est encore trop rare (même si de nombreux talents pointent leur museau de plus en plus).
    Merci aussi d’avoir compris qu’une histoire forte, ce n’est pas systématiquement chercher à mettre le paquet sur l’originalité de l’intrigue et épater son lectorat avec de l’esbroufe, des tonnes de rebondissements (plus ou moins réalistes) et des twists finaux ad nauseam, au détriment d’une ambiance et en fabriquant des personnages insignifiants ou interchangeables, empêtrés dans leur manichéisme (sans oublier l'indigence des dialogues).

    10/04/2018 à 23:32 12

  • Le Dévouement du suspect X

    Keigo Higashino

    8/10 Un genre de Colombo au Japon, qui, bien qu'on connaisse d'emblée le nom de l'assassin, réserve son lot de surprises et conserve son pouvoir attractif.
    Après "La maison où je suis mort autrefois", l'auteur Keigo Higashino signe un autre roman efficace, aussi remarquable que captivant où le rythme ne faiblit pas (après faut accepter certains raccourcis, rien de grave), et où les personnages - deux amis et génies, un physicien, et un mathématicien - s'affrontent dans ce subtil jeu de chat et de souris en éprouvant leur intelligence. Tout ça dans le respect de la pure tradition nippone (humilité, respect, courtoisie). Des bémols ? Pas vraiment. Un traitement que certains jugeront trop balisé et un style, sobre avec zéro déchet (mais qui colle à la culture) sans fulgurance formelle. Cela va à l'essentiel.
    Pas d'action, de poursuite, de sang, rien que du cortex, du neurones, du cérébral. Et c'est diablement brillant et même émouvant.
    Conséquence directe : achat de deux autres opus.

    18/01/2019 à 13:41 11

  • Nuits Appalaches

    Chris Offutt

    8/10 Chris Offutt est décidément un conteur d'exception.
    La plume est juste belle sans être ostentatoire et factice, ses personnages brossés à merveille dans leur humanité, la Nature sublimée sans tomber dans le contemplatif chiant. C'est surtout ça que je retiens, ce dosage, incroyable, bien senti. Pas de déchets ni de superflu.
    J'ai vraiment accroché avec le personnage de Tucker. Sa relation avec Rhonda est tendre sans être nunuche, le couple forme avec leurs enfants une famille "différente", mais attachante dans leur marginalisation. Tucker, vétéran de la guerre de Corée, si jeune et déjà revenu de tout, si délicat avec les siens, sans pitié avec ses ennemis ; l'auteur l'a parfaitement croqué et c'était loin d'être facile. Les dialogues sont également aux petits oignons, simples et profonds sans nous asséner de la philosophie absconse.
    Enfin, il se dégage de ces NUITS APPALACHES une poésie empreinte d'une douceur âpre ; l'auteur ajuste savamment ses effets, la violence n'a pas la grandiloquence jouissive d'un Pollock, mais elle n'est jamais gratuite ni aveugle.
    Le livre est court, plus resserré que le précédent (Le bon frère), ce qui fait qu'il n'y a pas de problème rythmique, encore une fois c'est savamment dosé, ajusté (certains le trouveront sans doute trop court, pas moi qui de plus en plus recherche dans mes lectures - et même dans l'écriture - ce sens de l'essence, cette rigueur, cette volonté de ne pas trop s'éloigner du récit, de l'histoire qui est racontée)

    Une fois encore, Gallmeister ne s'est pas trompé.
    Un très bon et très beau roman.

    13/09/2020 à 15:07 11

  • Grossir le ciel

    Franck Bouysse

    8/10 Ce qui impressionne déjà, c'est l'écriture. A l"image des personnages, sèche, rugueuse, mais aussi pleine de poésie. C'est rare et appréciable une plume pareille.
    Le roman est court, mais le suspense est bien distillé et on accroche bien à l'intrigue en dépit de la linéarité du récit (vous attendez pas à un twist final). L'auteur semble bien connaître ce milieu rural (le réalisme des descriptions et du quotidien de ces hommes en témoigne), en tout les cas, le lecteur est rapidement en immersion et suit avec intérêt l'évolution lente et progressive du drame qui se joue. On pourrait reprocher en effet que pour des bouseux pareils, ils sont dotés d'une sacré répartie (même si les dialogues sont franchement bons), mais personnellement cela ne m'a pas gêné durant ma lecture. Je vais me procurer "Plateau" du même auteur.

    24/05/2016 à 08:47 10

  • L'Eté circulaire

    Marion Brunet

    8/10 Ce qui impressionne surtout, c'est la justesse tendre, mais lucide du regard de l'auteure sur ces deux gamines, mais aussi sur ces hommes, ces femmes, tous ces gens qui sont comme "des bateaux troués, jamais très loin du naufrage". Cette acuité psychologique, servie par une plume affutée qui frappe, caresse, percute, effleure, griffe, mord, murmure, gueule fait la force et toute l'émotion de cet excellent roman noir où filtre encore dans une petite lucarne, le halo des rognures de l'enfance qui s'en va.

    Merci Marion Brunet.

    07/11/2018 à 01:00 10

  • Code 93

    Olivier Norek

    8/10 Le manque d'originalité de l'intrigue (qui demeure accrocheuse néanmoins) et le fait que l'identité de l'assassin ne soit pas une énorme surprise, est largement compensé par le style, sec, nerveux, mais aussi les personnages bien croqués (en très peu de ligne, on imagine très bien, c'est assez fort), une construction solide et un criant réalisme (c'est documenté - expérience oblige - et les dialogues sont excellents) qui démontre que rien ne remplace le vécu (l'auteur est un ex flic). De plus, on nous épargne la love-story mielleuse. Mais le gros plus, c'est qu'au delà du caractère divertissant (ça se lit très très vite), le roman est instructif, on apprend pleins de choses (pas jolies jolies) sur le fonctionnement intra-muros dans la police et la difficulté de rester loyal et clean.

    Dans le genre c'est franchement bon. Cela m'a donné envie de suivre Victor Coste dans un second opus. Direct, je me suis procuré le deuxième roman "Territoires".

    C'est un peu le pendant littéraire du cinéaste Olivier Marchal. Parait que Laurent Guillaume est peu ou prou dans la même veine. Je vais m'en assurer.

    01/06/2016 à 21:02 9

  • Entre deux mondes

    Olivier Norek

    7/10 Un bon roman pas con (et c'est pas si fréquent) et sincère, mais pas un chef-d'oeuvre comme je peux le lire un peu partout (les gens s'enflamment si vite). Une lecture plaisante, une construction solide et un rythme entrainant, bref ça remplit efficacement son cahier des charges (et c'est déjà beaucoup) mais qui émotionnellement parlant ne me marquera pas durablement (en dépit de l'humanité des personnages)

    24/12/2017 à 17:03 9

  • Le Grand Nulle Part

    James Ellroy

    8/10 Mon premier Ellroy, assurément pas mon dernier.
    Mais ça se mérite !
    Pléthore de personnages (tout sauf manichéens), d'interactions (de trahisons en rédemptions), de sous-intrigues, faut rester concentré sous peine de perdre le fil et de se mélanger les pinceaux. Mais la construction est redoutable, les dialogues exceptionnels !
    Mais quelle densité et quelle constance dans le style !
    Aussi rare que puissant !

    30/07/2018 à 13:32 9

  • Aux animaux la guerre

    Nicolas Mathieu

    8/10 Légers SPOILERS !
    Beaucoup de plaisir à lire ce premier (!) roman.
    Ce qui, moi, m’a particulièrement séduit, c’est que les intrigues (le PSE ou le kidnapping) ne m’intéressaient pas plus que ça. Elles existent, mais en toile de fond comme pour nous mettre le doigt sur autre chose, nous ouvrir les yeux sur un autre enjeu, plus émotionnel. Au risque de me tromper, je pense qu’en effet l'objectif (de l'auteur Nicolas Mathieu) était ailleurs et que lesdites intrigues et leur relative absence de suspense ou d'explication (la fermeture de l’usine est courue d’avance et la cause du kidnapping de Victoria, bah c'est un kidnapping, quoi) servent surtout à dépeindre la misère…ou plutôt LES misères.
    Car, qu’on ne se méprenne pas, derrière la peinture économico-sociale, l’auteur jette avec ce roman noir choral (et bourré de références cinoche) une lumière blafarde sur une autre misère lente et bien plus destructrice : la misère affective. C’est pas innocent si Martel, sitôt après avoir été "rousté" à une pensée pour Rita qu’il connait à peine pourtant. Et puis, quand on réfléchit bien, entre lui et cette Rita, il manquait pas grand chose pour que ça tourne différemment, que le destin se décide à leur faire une fleur. Mais voilà.
    Cet absence cruel d’amour qui poussent presque tous les personnages victimes collatérales d’un chaos familial (les parents sont soit absents, morts, ou alités - mère de Lydie -) à se démerder avec ce bon système D quitte à fatalement faire des conneries.
    J’ai aussi apprécie que l’auteur évite quelques clichés, ici le gangster russe se rêvait à un autre destin que le sien. Bref, mine de rien, ça change des caïds au coeur de glaise. C'est ce genre de petites choses comme ça qui font mouchent et qui singularisent un roman de beaucoup d'autres...
    Deux scènes belles et franchement pas simples à réussir : celle du face à face entre Duruy père et Comore : y'a des silences, de l'honneur dans cette scène pleine de tension et, paradoxalement, de respect mutuel. Et enfin, la scène de sexe. Elle est crûe, mais pas tant que ça non plus et puis y'a cette cette légèreté, ces rires, cette innocence (parfois j'ai pensé à Larry Clark et ses "Kids"), cette vie qui contraste avec la scène de mort qui se joue en parallèle, dans la même maison.
    Côté écriture, là aussi, c’est vraiment bon. C’est classe, âprement poétique, racé en somme. L’auteur compose ainsi une patine intéressante et ce mariage de styles fonctionne très bien (sans oublier, les dialogues - exercice particulièrement périlleux - secs et réalistes, jamais verbeux).
    Bon, faut chipoter un peu ? Allez, par moments, il nous faut quelques secondes pour raccrocher les wagons (du fait de la multitude des personnages) et enfin, ce dénouement relativement ouvert, mais un tantinet frustrant même si j'aime aussi quand un auteur me laisser achever un roman à ma guise.
    Bravo

    28/03/2017 à 11:35 8

  • La Voix secrète

    Michaël Mention

    8/10 Points positifs :

    - En premier lieu, l'écriture. Dès les premières pages, on sait que l'on a à faire à un dentelier. L'auteur tricote ses phrases avec soin, raffinement.
    - Les dialogues (je me répète, mais c'est l'exercice le plus compliqué, je trouve). Savoureux. Truculence des réparties, ces joutes/saillies verbales entre les personnages, faites d'ironie, d'esprit, de cynisme sont exquises. Des "punchlines" à la sauce 19ème siècle.
    - Les personnages. Bien brossés en quelques lignes.
    - Les clins d'oeil aux copains (qui se reconnaitront). Quitte à les dessouder.
    - Très bonne alternance entre l'intrigue et le contexte historique (ce dernier est léger, jamais assommant). Un bonne équilibre est respecté.

    Points négatifs :
    - Bah, j'ai beaucoup phosphoré, mais je ne vois rien qui m'est véritablement freiné dans ma lecture rapide (en un jour et demi).
    - Pour pinailler, je dirais que j'aurais aimé que "ce jeu d'échecs" entre Allard et Lacenaire soit plus pervers (j'ignore si c'était le but de Michael Mention, mais l'assassin m'est apparu presque plus sympathique que certains membres de la police - Canler - !), bref que la manipulation soit plus pregnante (à la manière d'un Hannibal Lecteur et Clarice Starling, oui, ça peut surprendre, mais j'ai beaucoup pensé "Au silence des agneaux" de par cette collaboration forcée et malsaine). Ici, l'amitié et le respect mutuels prend (trop ?) le pas sur l'affrontement auquel je m'attendais (mais, peut-être ai-je été influencé par la 4ème de couverture).
    - Le passage chez Vertige. Trop court. Dommage.
    - La crasse, les odeurs, bref la plongée dans cette misère aurait mérité (peut-être ?) une immersion plus profonde (mais bon, j'avais encore celle "du Parfum" de Sunskind, donc je plaide coupable !).

    Mais voilà, je pinaille pour pinailler

    Chapeau bas, monsieur !

    31/03/2018 à 10:52 8

  • Les Gentils

    Michaël Mention

    7/10 Derrière ce titre un tantinet caustique, Michael Mention signe un roman d’aventure qui va à cent à l’heure (si on accepte aussi de fermer les yeux sur certaines situations rocambolesques, perso, ça m’a pas trop gêné).
    Pas de répit pour le lecteur ni de repos pour Franck Lombard, disquaire passionné transformé en Justicier dont l’acharnement obsessionnel flirtera avec la démence (secrètement, j'aurais vraiment voulu qu'une folie Friedkinienne embrase encore plus l'esprit de Franck 🙂 ).
    Ici, au coeur des années 70 (avec quelques évènements clés rappelés par l'auteur) de Paris à Marseille en passant par la Guyane, ça court, ça vole, ça castagne, ça dézingue à tout va dans une atmosphère tantôt urbaine tantôt tropicale ; il y a presque un côté Jeu Vidéo (voulu ou non, j’ai pensé à « Drake Fortune », je ne sais pas si tu connais Michael).
    Le rendu est très efficace et on ne voit pas les pages se tourner toutes seules. Objectif atteint comme premier niveau de lecture.
    Pour qui connait et apprécie le style Mention, pas de surprise : c’est stylé, pêchu, nerveux, inventif, (parfois aussi fatigant) mais ça colle assez bien au rythme endiablé ainsi qu’à la psyché chamboulée de son héros vengeur en mode auto-destruction.
    Toujours côté style, certains pourront regretter le fait que le phrasé ne s’étire pas de temps en temps (notamment lorsqu’il s’agit de décrire le paysage, les odeurs, de la Guyane, un appel d’air eut été bienvenu, d'autant que je suis certain que l'auteur sait faire), mais c’est un parti pris. Mais ce qui personnellement m'impressionne dans son écriture, c’est que l’auteur ne se répète pas, les trouvailles formelles sont souvent bonnes, il faut en avoir sous le pied pour se renouveler ainsi, je dis bravo car il pousse aussi le lecteur à rester stimulé, en éveil, aux aguets.
    Forcément, avec un tel personnage (Franck est présent sur toutes les scènes), les autres ont plus de mal à se faire une place, à l’image de la mère un peu reléguée, même si objectivement il eut été difficile de la faire intervenir dans ce processus et la fuite en avant de son ex-conjoint.
    Derrière le divertissement, le propos est aussi politique et existentiel (que deviennent nos valeurs humaines quand on a plus rien à perdre et que la soif de vengeance nous aveugle et fait de nous une bête ?) et enfin, comme toujours avec l'auteur, la petite histoire rencontre la grande à l’image de la dernière partie - assez ironique pour son héros quand on y réfléchit - que je ne révélerai pas.
    Sachant que l’auteur est aussi un jeune papa, la résonance de la thématique n’en est que plus prégnante (et effrayante si on est un peu superstitieux) ce qui me fera lui poser une question personnelle en MP.
    Au final, même si moins ample et ambitieux que "Power", cela reste de la solide ouvrage.
    Merci l’ami.

    07/05/2023 à 19:09 8

  • Leurs enfants après eux

    Nicolas Mathieu

    6/10 Il y a des livres qui ne peuvent se contenter d’un lapidaire et ingrat « j’ai aimé » ou « je n’ai pas aimé » ; des livres qui méritent, exigent même, qu’on développe (un peu) plus ne serait-ce que pour rendre hommage au travail effectué et au talent, évidents.
    Et là, y a du boulot. Beaucoup. Et du talent, pour sûr (mais ça je le savais depuis « AUX ANIMAUX LA GUERRE » son premier roman) .
    Mais surtout, de l’observation. Et pour finir, une plume pour retranscrire tout ça avec acuité, justesse et sensibilité.
    Retranscrire a été le mot d’ordre de Nicolas Mathieu. De son propre aveu. Etre fidèle, de sorte à ce que le lecteur puisse se dire en parcourant ces lignes « oui, c’est ça, c’est exactement ça ».
    Retranscrire donc. Une certaine époque, une certaine région, une certaine jeunesse, et tout ce qui gravite autour : l’image des parents, la recherche d’un but, des repères, et la découverte des corps et du désir. A cela s’ajoute ici, l’inexorable fatalité des destins. Et l’espoir un peu fou d’échapper à cette « vie circulaire » cher à Marion Brunet.
    LEURS ENFANTS APRES EUX, Goncourt ou non, est un bon roman et c’est déjà beaucoup. J’en attendais beaucoup (trop?) et si je n’ai pas été déçu (en revanche, j'ai été souvent impressionné par la forme, l'agencement des phrases), je dois dire que je n’ai pas été emporté. Il m’a manqué un truc. Mais, ce fut une lecture nécessaire, utile, salutaire.
    Le texte est bourré de références universelles qui parleront à beaucoup quelque soit le milieu (au début, le name dropping pourrait agacer certains).
    Le mélange des langues (entre le recherché et le crû) fonctionne très bien, les dialogues brillent par leur authenticité et chaque protagoniste, tous unanimement écorchés, sont décrits au scalpel, dans toute leur intériorité.
    De manière générale, les descriptions sont nombreuses, bien senties, subtiles, et parfois trop abondantes même si encore une fois cela ancre le récit dans un réalisme saisissant.
    Mais pfiou que c’est désespérant tout ça. J’aurais aimé quelques interstices lumineux ; aussi que l’auteur fasse mention de quelques valeurs plus nobles en opposition à la dureté de cette vie.
    La solidarité entre les hommes est plutôt absente.
    Les couples sont tous voués à l’échec.
    Cette jeunesse-là ne fonctionne qu’au trafic et à la consommation de drogues pour fuir l’ennui et la pauvreté.
    C’est sans doute vrai à bien des égards, mais cela est peut-être réducteur aussi.
    Et terriblement sombre.
    Il y a beaucoup de petites choses que j’ai aimé (les petites choses, faussement anodines, c'est souvent ce que je préfère), la construction du récit (4 parties, 4 étés) comme les changements de braquets de l’auteur, les élipses, les fausses pistes, et l’art de doser son suspense. Certaines scènes sont porteuses de tensions. Avec quelques mots, l’auteur crée une ambiance, un suspense, et juste après, il nous prend par surprise en amorçant un virage pour tout désamorcer. J’ai apprécié d’être manipulé ainsi.
    Seul regret véritable, l’émotion ne m’a jamais étreint et l’empathie pour les personnages (Stéphanie, Hacine, Anthony) fut trop brève, le plus souvent par fulgurances. Les dernières pages sont belles. Les adieux entre Anthony et Stéphanie, notamment, émouvants dans leur simplicité et leur dénuement.
    Le portrait des parents m’a davantage convaincu et touché. Le père alcoolique, cet héros déchu, et puis aussi la mère d’Anthony à qui on doit la plus belle scène du livre, la plus réussie, un très beau portrait de cette femme face à cette vie passée et dépassée. La scène de la piscine mérite presque à elle seule, la lecture de l'ouvrage.
    Dommage que ces moments de tendresse entre un auteur et un de ses personnages n'aient pas été plus fréquents.
    Finalement, il me reste de ce roman la confirmation d’un style brillant, parfois bavard, tantôt pompeux, souvent pertinent, incisif, résolument moderne. Dommage que l’auteur, par pudeur excessive ou autre chose, tienne encore trop la bride à ses personnages qui me sont restés souvent trop distants.

    15/10/2019 à 14:36 8

  • La Daronne

    Hannelore Cayre

    8/10 Après Marion Brunet et son « été circulaire », je découvre une nouvelle plume féminine, acérée, percutante et plein de poésie (le paragraphe sur les couleurs est superbe).
    En 20 pages, ami(e) lecteur (rice), t’as déjà compris que t’as pas une manchote en face de toi.
    Franchement, c’est épatant tout ce talent.
    Bien documenté (l’auteure est avocate penaliste), ce court récit (175 pages) de la vie d’une petite fille incomprise, mal aimée , fascinée par les feux d’artifices devenue une femme révoltée qui bascule dans l’illégalité, est traité avec crédibilité et émotion (sans pathos aucun) doublé d’une vision acide et sans concession de notre système ( judiciaire mais pas que) , son hypocrisie, surtout notre place dans ce monde, notre quête du bonheur et la trace qu’on laissera.
    C’est carré, efficace, couillu comme son héroïne sans jamais perdre de sa grâce.
    Par pitié, laissez tomber les romans formatés au style impersonnel et personnages fadasses et allez user vos mirettes sur ces bouquins qui, c’est certain, n’iront pas faire les marioles sur les têtes de gondoles.

    16/02/2019 à 23:27 7

  • Les Refuges

    Jérôme Loubry

    4/10 LES REFUGES est l’exemple même de ce qui se fait depuis quelques temps en matière de thrillers made in France et qui cartonne auprès des amateurs du genre. C’est un fait avéré, ça marche bien, quoi que j’en pense. LES REFUGES n’est donc ni pire ni meilleur que ce qu’on trouve par paquet de 12. Il s’agit d’un thriller balisé, calibré, planifié pour plaire au lecteur en lui donnant le sentiment agréable de conduire un véhicule hyper sophistiqué mais qui en fait se conduit avec deux doigts, quasi en mode pilote automatique, en donnant au lecteur une autonomie d’apparence. Tout est paramètre à l’avance, efficacement, il n’y a pas à se forcer dans l’implication, tout est mis en oeuvre pour vous soutirer ce que vous êtes venu chercher. Mais pour la nuance, la finesse d’analyse psychologique, faudra repasser.
    Je n’ai aucun reproche à faire sur le sujet en lui-même. Il n’est pas original, mais perso, je m’en tape, tout a été écrit sur tout et je crois qu’on peut faire du grand avec un thème archi rabattu. La construction ? Pas de critique là non plus. Elle est classique (va et vient passé/présent, alternances des personnages, souvenirs…), ça me va aussi. J’ai lu les 50 premières pages sans pester. La thématique, pas novatrice (mais là encore quelle importance ?) est par essence intéressante (la mutation victime/bourreau, la culpabilité ). Le problème, alors ? Bah juste l’essentiel de ce qui fait une bonne histoire, bien racontée : le traitement. Après 50 pages correctes, l’écriture légère et imagée de JEROME LOUBRY devient plus chargée, artificielle, pompeuse. Mais à ce moment là, j’ignorais encore combien cette écriture allait tout saborder. Pour un auteur novice, LES REFUGES peut aussi se voir comme une sorte de manuel, un guide du « comment écrire un thriller pour les NULS ». Pas de méprise, quand je dis « NULS », cela ne veut pas non plus dire que le lecteur qui a lu et apprécié ce roman est un idiot. Non. Cela veut dire (pour moi, j’entends), qu’il est surtout désireux à ce quelqu’un fasse tout le boulot à sa place, ce lecteur-là cherche pas être trop sollicité, il recherche un confort (cérébral), ne veut pas perdre la moindre info en route, ne pas être frustré, s’assurer que tout lui sera clairement (et même le plus clairement possible) expliqué, quitte à ce qu’on souligne au STABILO les effets, qu’on (lui) répète plusieurs fois, qu’on premâche l’aliment pour favoriser l’ingestion. Inconsciemment ou non, ce lecteur là est conquis d’avance, déjà sur les starting-block, prêt à vibrer, ressentir à peu de frais, sans trop se fouler, bref ne pas « se prendre la tête quoi, car c’est un thriller et pas une oeuvre artistique, alors pourquoi chercher à écrire joliment, hein ?". LES REFUGES remplit toutes les cases pour ça. Pour être encore plus clair, si LES REFUGES était un animal, il serait un chien. Pour aveugles. Le lecteur n’a qu’à se laisser faire, se laisser guider. Suivre les balises, les pointillés. C’est tout. Qu’il ou elle se rassure, aucun risque de se planter, il/elle comprendra tout, absolument tout (les faits, les pistes, les indices seront répétés pour bien ancrés tout ça dans la caboche du lecteur paresseux) et pas que l’intrigue, mais tout le reste (les sentiments, les personnages, leur caractère, leurs pensées, tout est surexpliqué) car même si cela ne se soit pas, le roman est écrit au marqueur fluorescent. Bref, ne vous bilez pas JEROME LOUBRY se charge de tout. Il vous dictera (par le biais de ses personnages tous stéréotypés. Entre nous, qui peut croire à cette psy chevronnée et ce flic qui échangent comme deux ados prépubères ? ) ce qu’il faut penser, ressentir grâce au déluge ad nauseam d’adverbes, de qualificatifs, d’adjectifs, de points d’interrogations afin que vous fassiez votre les réactions de ses héros en prenant soin de ne pas vous laisser dans l’interprétation, ou l’incompréhension. Processus lourdingue d’identification. Vous l’avez compris, pour la subtilité, circulez y’a rien à voir. Le style LOUBRY pèse dix tonnes. Moi aussi, comme beaucoup de lecteur, j’aime être manipulé, qu’on joue avec moi, avec mes émotions. Je lis (presque que) pour ça. Le lecteur est un pantin consentant, et le romancier le marionnettiste. Donc, ce rôle de marionnette à la merci d’un marionnettiste, ça me va bien, je l’accepte avec plaisir. Encore faut-il que les fils soient transparents, et fins. Ici, les fils sont des cordes d’une épaisseur grossière, sans finesse, sans profondeur, un procédé prêt à l’emploi, bien rodé mécanique, conventionnelle, factice. Désincarné. Creux. Mais comme je l’ai dit au début, dans le monde du thriller (français notamment) ce procédé marche bien. JEROME LOUBRY l’a compris et sert (volontairement ou non) un repas prêt à consommer avec des personnages identiques (hommes, femmes, peu importe, ils pensent/s’expriment/réagissent tous pareils, avec des émotions très binaires, très compartimentés, très (pré)visibles, très manichéennes) Ne cherchez pas l’ambiguïté chez eux (et nulle part d’ailleurs), y’en a pas, zéro, nada, que tchi.
    Rien n’y fait, tout ce que j’ai lu m’a laissé aussi froid que si je m’étais enfilé une glace MIKO en guise de thermomètre et ce en dépit du contenu au demeurant horrifique, révoltant, terrible. Mais voilà, il faut savoir écrire, avoir une patte, une identité littéraire pour susciter l’effroi, la compassion, l’empathie et ce sans en faire des caisses ou être élitiste, je rappelle). Savoir transmettre, ou juste faire percevoir une émotion nécessite une certaine habileté, je trouve. De cela, nait la puissance évocatrice qui stimule l’imaginaire et le palpitant. Rien de tout ça chez LOUBRY qui déroule sa recette, son guide, son manuel avec des effets pompiers et gras comme des loukoums. Je passe rapidement sur les dialogues plaqués lourdement, inutilement bavards, grandiloquents, souvent ridicules (« on danse avec le diable » répétés maintes et maintes fois, LOUBRY a dû lire LE CHUCHOTEUR) limite risibles ; tout ça au détriment de tout réalisme (et tous les « bordel de merde » qui sonnent terriblement faux n’y changeront rien), ce qui rend les personnages (enfants comme adultes) agaçants, presque neuneu. LOUBRY répète l’envi les évènements histoire de s’assurer que « ça va lecteur, tu as tout bien pigé, dis ? ». Matraquage du lecteur au marteau pilon. Au cas où ça rentrerait pas… Je passe encore sur des formules que je croyais révolues (« il n’en croyait pas ses oreilles » et autres expressions qui sentent la naphtaline). Y en a pas mal de ces phrases d’un autre temps. Les dialogues sont à l’image de la narration, boursouflés à mort. Impossible de croire à des réactions aussi télécommandées, des formules aussi ampoulées.Les personnages secondaires n’ont aucune consistance (Patrice le soi-disant ami du flic, par exemple). Je passe aussi les facilités scénaristiques (les explications ultra limpides et perspicaces et détaillées d’une gamine traumatisée histoire encore de faciliter le travail au lecteur, ces « refuges » où on entre et on sort un peu comme un chat tiens…), les pistes abusivement embrouillées (plus ça fait complexe, plus on se dit que c’est foutrement génial, c’est bien connu). Je passe enfin sur le dénouement. Bof. Une nouvelle couche sur un mille-feuilles déjà bien écoeurant. Et puis, n’est pas LEHANE qui veut, hein ? L’auteur a pourtant mis le paquet : il m’a parlé pêle-mêle d’atrocités, de viol à répétition, de suicides, de cervelle qui éclate etc…Pourtant, je n’ai pas plus sourcillé que si je lisais ma liste de courses AUCHAN. Plus l’auteur insistait en essayant de me tirer les larmes ou des frissons, plus je m’éloignais du récit en soufflant devant la mise en scène ultra théâtralisée, cette écriture-parpaing, tellement lourd tout ça, tellement mal fichu. Comme disait un célèbre auteur, je ne crois pas forcément à ce qu’on me raconte, mais COMMENT on me le raconte. Et là, j’ai parcouru avec une indifférence teintée d’ennui ces tragédies, ces horreurs illustrées avec des phrases débitées machinalement en enfilade, sans densité, sans aspérités, sans intensité, sans sincérité, sans conviction, sans vie, comme si le fait de dire des mots chocs suffisaient à créer le choc. Bah non, monsieur LOUBRY, ça ne marche pas comme ça (avec moi du moins).
    Pour finir, si LES REFUGES est un roman médiocre, il n’est pas une bouse absolue. Il est juste un produit fade et en même temps indigeste, chargé en sucre à donf. On en trouvera des comme ça, mieux ou moins bien, encore et encore. Par palettes. Hélas. Il essaie de flirter (dans la thématique) avec SHUTTER ISLAND, mais LOUBRY est à des millards d’années du thriller de Denis Lehane.
    Voilà, je l’ai lu, et déjà il ne m’en reste rien. Quand on sait ce que ça raconte, c’est assez paradoxal, mais ça démontre bien que sans style, la pire des histoires n’a aucun impact véritable et durable. Le succès public de ce roman ne m’étonne pas. Il n’est pas dénué d’application (mine de rien, il y a du boulot), ça se lit sans trop d’effort (même si j’étais pressé d’en finir, d’ailleurs on peut sauter des paragraphes et des passages entiers tant l’auteur meuble inutilement son récit), ça ne manque pas de soin, d’inventivité ou d’originalité dans le récit.
    C’est juste dépourvu de personnalité, d’âme et d’émotion. De style, en somme. D’art, tout simplement.
    Une seule chose me surprend. Que celles et ceux qui - comme moi - lisent très occasionnellement du thriller puissent y éventuellement y trouver de quoi combler leur dimanche pluvieux, je le conçois (moi même, j’en relirais un du même genre dans 6 mois ou un an). Ce que je m’explique moins, c’est comment des férues de ce genre (thriller), de ceux et celles qui s’en enfilent par intraveineuses depuis des années, peuvent encore, indépendamment de l’intrigue (qui je le redis n’est pas plus stupide qu’une autre) se laisser encore séduire par un traitement aussi scolaire et ennuyeux. C’était donc ça le prix COGNAC, le thriller de l’année, la claque du moment ? Sérieusement ?

    16/11/2019 à 17:53 7

  • Power

    Michaël Mention

    6/10 J’espère avoir l’occasion d’échanger de vive voix avec Michael Mention, dont je respecte le travail (et ici, du travail, il y en a beaucoup) et qui je le rappelle, m’avait beaucoup séduit avec « La voix secrète ».
    Démarrer ainsi critique ne laisserait, à priori, rien présager de bon, penserait-on, à tort, car POWER a des qualités certaines, une sincérité, un rythme (j’allais même dire une rythmique au vu de la bande son), servi une « électricité stylistique » qui, hélas, finit par se retourner contre elle.
    Je crois sans le garantir - et Michael, j’espère qu’on en causera - que l’auteur a été tiraillé entre le fait de raconter en profondeur l’histoire des Black Panthers en y creusant davantage le combat et tout le côté social (au risque aussi d’ennuyer le lecteur qui attendrait plus d’action) en évoquant l’existence des pauvres gens les inégalités, la dure vie des policiers aussi etc…un peu comme l’avait fait un Richard Price (Ville noire, ville blanche), bref faire un truc plus poussé.... et celui d’écrire un polar sec, nerveux, explosif, avec fusillades à la clé etc... et ainsi satisfaire un autre lectorat…
    En définitive et malgré une documentation sérieuse (c’est d’autant appréciable que beaucoup d’auteurs paressent à mort dans ce registre) en dépit de son côté « listing » (on sent que l’auteur était soucieux de ne pas rien oublier des faits marquants des années 70) on se retrouve avec un roman assez bancal et dont la thématique reste, je trouve, trop en surface. C’est dommage.
    L’autre qualité du livre et non des moindres, c’est l’écriture, mais là aussi, Michael Mention Mention abuse de son style « mitraillette » qui à terme devient contre-productif et trop redondant car surchargé à l’image des dialogues - pourtant OK - mais dont j’ai regretté l’uniformité si bien que j’ai eu le sentiment que Charlene, Tyron et Neil s’exprimaient pareil (même répartie, même gimmick, même réthorique). En parlant de Neil, j’avoue que je n’ai pas pigé ce revirement soudain et inexplicable (selon moi). C’est le vrai bémol en terme de psychologie, car si l’idée d’illustrer un parallèle entre l’embrasement, cette rage qui sévit dans les rues et celle qui est dans la tête d’un des héros est séduisante, cela m’a semblé parachuté et mal amené (aucun fait traumatique n’explique de façon convaincante cette folie meurtrière d’un gars qui au contraire et depuis le début est le plus rationnel et intellectuellement câblé par rapport à la bande de flics racistes).
    Je reviens sur le style, car pour l’avoir déjà lu je sais de quoi Michael Mention est capable, c’est pourquoi, si j’ai beaucoup apprécié les 100 premières pages j’avoue qu’à la longue le côté ultra cutté, presque clipesque de l’écriture m’a un peu lassé. De mon point de vue (et je précise que ce n’est pas une leçon que je donne, étant techniquement à des années lumières de l’auteur), s’il s’était employé de temps en temps, sur certaines scènes (je pense aux scènes d’action qui m’ont étrangement parues abstraites), certaines descriptions, aussi les introspections des personnages (Niel notamment dont la dualité religieuse avec la violence de son métier était un bon sujet, tout comme la thématique de la perversion du Bien), à donner de l’amplitude à ses phrases, de les rallonger pour qu’elles créent un véritable souffle, cela aurait suffit pour provoquer une émotion (chez moi) qui ici est « saucissonnée » par le caractère trop souvent hachuré de la forme. Que ce soit dans les scènes d’action pour donner de la vitalité, OK, mais pas lorsqu’il s’agit d’intériorité émotionnelle où il aurait fallu (toujours d’après moi), des phrases plus denses, avec plus d'oxygène. Prendre le temps, quoi. Parfois, le répit a du bon.
    En résumé, POWER est un roman ambitieux (trop ?), ultra travaillé, ultra documenté, pêchu, historiquement utile qui peut (doit ?) aussi être perçu comme une incitation à s’informer davantage sur ce pan de l’histoire, mais qui, parce qu'il reste coincé dans un entre-deux, pêche par son manque d’enjeu véritable (d'où un sentiment de répétition et de remplissage), qui finit par tourner un peu à vide.

    15/12/2019 à 00:09 7

  • Prendre les loups pour des chiens

    Hervé Le Corre

    8/10 Une écriture riche, visuelle et diversifiée, nerveuse et en même temps poétique.
    L'histoire est classique, mais peu importe, le style fait qu'on se laisse prendre par l'intrigue (pas captivé car j'avais deviné très vite ce qu'il en retournait, hélas) et surtout les personnages fouillés (gros point fort). La psychologie des héros est bien rendue (celle du père arrive un peu tardivement dans le roman), les descriptions belles, on ressent la tension en permanence ainsi que la chaleur suffocante.
    J'ai senti dans les 80 dernières pages que l'auteur accusait le coup, ou avait été contraint d'accélérer (impératifs d'éditeur), car l'écriture m'a paru moins inventive, et le final carrément saccagé (c'est assez incompréhensible ce traitement !). Reste que cela demeure d'un niveau (littéraire notamment) assez rare dans le milieu du polar (français).
    Du bon travail.

    27/02/2018 à 23:42 7

  • Sauf

    Hervé Commère

    2/10 Je précise, bien que cela coule de source, que cela n'engage que moi. Personne d'autre.

    Ce livre - encensé partout - est une vaste blague.
    Une mascarade.

    Incongruité de l’histoire.
    Personnages sans épaisseur (le héros quelle fadeur !).
    Absence de crédibilité (pour captiver je suis pas contre un brin d’exagération et quelques grosses ficelles, pas pour le n’importe quoi !)
    Problème de temporalité (très difficile de situer l’action)
    Écriture plate (ok pour la simplicité mais un peu de trouvaille stylistique aurait été appréciable)

    Les 50 dernières pages, c'est d'un grotesque, d'une telle débilité !

    Grosse perplexité.

    28/04/2018 à 19:16 7

  • 1991

    Franck Thilliez

    4/10 J’ai lu mon premier Thilliez.

    Je m’attendais à un roman policier globalement efficace (je me suis dit qu’avec une telle réputation le gars avait, à minima, du métier et connaissait son affaire), mais je savais que d’un strict point de vue formel, je lirais un livre avec une écriture sans aspérité, sans émotion. Un roman de gare 2.0 sous influence série US, balisé à mort, sur-expliqué (règle d’or : le lecteur doit tout bien comprendre) qui une fois lu serait oublié aussi sec. du genre vite lu.
    Et c'est précisément ce que j’ai trouvé.
    
Donc pas de surprise. Ni bonne, ni mauvaise.

    Alors, oui, on peut le lire sans risque. Comme on peut s’en foutre royalement tant sa lecture est largement dispensable.

    1991” n'est ni mauvais ni bon. Il ne provoque et n’engendre pas grand chose, presque rien. Il divertit oui, mais à peine tant certains traits sont grossiers. 
Ce petit fumet de revival, les années 90, pourrait faire sourire les quinquas nostalgiques. C’est peu et c’est chiche.

    Si toutefois le roman ne provoque pas d’ennui (c’est déjà pas mal me direz vous à raison car c’est terrible de se faire chier en lisant), il ne captive pas vraiment non plus. Il se suit sans déplaisir et sans enthousiasme. Il se suit. Alors, j’ai suivi, juste pour aller au bout et avoir le fin de mot de l’histoire. Alors, ce fin mot ? Bah, là encore, ça n’a rien de super original (depuis le premier Grangé LES RIVIERES POURPRES, beaucoup d’auteurs ont décliné un peu le processus, et puis faut dire que je ne suis pas super client de tout ce qui a trait aux expériences génétiques….) Mais bon, si je tire aussi à boulets rouges sur l’intrigue , il ne resterait rien à se mettre sous la rétine puisque le seul atout repose justement sur elle, l’intrigue. Tout le reste ne présente guère d’intérêt. 

    Alors disons que l'histoire n’est pas plus bête qu’une autre. Et puis, c’est documenté et ça a l’air crédible. On se console comme on peut. Je pardonne même cette fin expédiée, décevante, comme souvent dans les thrillers qui s’obstinent à ouvrir mille tiroirs. Possible que Thilliez devait en avoir marre.

    Voilà, j’ai donc lu “1991” tranquillement, sans bailler, sans excitation, sans effort, sans lever un sourcil d’étonnement, sans me sentir mal à l’aise ou bousculé dans ma lecture, sans pousser de soupir de lassitude ou de satisfaction non plus. Bref, j’ai lu Franck Thilliez et ça m’a fait ni chaud ni froid même si de temps en temps je n’ai pas pu m’empêcher de me parler à moi-même “C’est donc lui le gars qui vend ses ouvrages par palettes depuis 10 piges, encensé par les aficionados du thriller ? D’accord, bien, très bien….”
Encore une fois, le roman en lui-même n’est pas infamant, il remplit grosso modo le cahier des charges du roman policier moyen (mais dans la moyenne basse quand même) où l’auteur capitalise tout sur son intrigue.

    Un policier sans le charme suranné d’un Simenon.

    Sans même la nervosité narrative d’un Norek.
    Beaucoup de mots, plein de descriptions sensationnalistes pour créer un malaise mais qui tourne à vide, qui sonnent creux, de l’empilage, de l’inutile, de la surenchère. Du mièvre aussi (chez Thilliez, les femmes amoureuses de flic, décidément, sont des cruches). 
Vous l'avez compris, on ne s’éternise pas sur l’écriture, le profondeur des personnages. 

    Thilliez écrit bien. Du bon français, nickel. Une longue rédaction de 500 pages proprettes, mais l’audace, la folie, les trouvailles stylistiques ; pour transmettre des émotions palpables, des frissons, …faudra repasser.

    Forcément, sans style, l’ambiance est à l’image de la forme, factice, surfaite. Pas de relief.

    Attention, le roman comme son héros ne sont pas désincarnés (car créer volontairement des personnages sans émotion peut justement en provoquer). Ils sont conventionnels, c'est très différent, conventionnel dans leur caractère, leur voix, leurs mots. En un mot INTERCHANGEABLE. Et fades. 

    Pourtant, Thilliez se donne du mal pour faire exister son Sharko et créer des scènes fortes, il essaie avec ses moyens, ses artifices, mais c'est tout le paradoxe du livre, de l’auteur, de son écriture ; en dépit de tout ce travail, tout ça demeure très académique. Tout comme ses dialogues empesés, si peu naturels, tellement didactiques (rappel : le lecteur est un neu-neu, et doit tout comprendre). Et cette sensation tenace que l’auteur pourrait remplir des pages et des pages qu’il ne parviendrait toujours pas à insuffler un peu de vrai et d’intériorité, des sensations authentiques. Parce que voilà, quand t’as pas le truc (la patte, la musique, le petit supplément d'âme, on appelle ça comme on veut) pour créer la gêne, fabriquer l’inconfort, distiller le malaise, ou provoquer le dégout chez le lecteur (et ça ne passe pas par la surenchère, il serait temps que les auteurs de thrillers franchouilles le comprennent), bah rien à faire, ça ne fonctionne pas.
    Dans ce roman inodore et incolore, mais clairement inoffensif, une seule chose m’a vraiment gonflé, c'est l’infantilisation du lecteur. Dialogues abêtissants et enfilades de questions (une spécialité Thilliez apparemment) pour créer ou intensifier son mystère. C'est relou et même assez humiliant.
    Quoi d’autre ? Ah oui, zéro humour dans ce livre. 
Mais alors, rien du tout.
    Bref, j’ai lu mon premier Thilliez. 



    19/07/2021 à 21:49 6

  • Au lieu-dit Noir-Etang...

    Thomas H. Cook

    7/10 Un roman sombre, "old school" dans sa forme (rien de péjoratif, au contraire), très bien écrit à l'image de ceux qu'écrit Robert Goddard, en plus mélancolique et plus profond, peut-être. Un suspense subtilement distillé et une dénouement qui renforce la noirceur de ce récit où le romantisme est intimement liée au tragique.

    Une bonne lecture.

    Prix Edgar-Allan Poe en 1997.

    02/02/2020 à 23:34 6

  • Évasion

    Benjamin Whitmer

    6/10 L'intrigue est volontairement minimaliste d'autant qu'on pressent très vite que cette traque finira mal. L'intérêt est ailleurs, donc. Il réside principalement dans le style riche (crudité et poésie de la langue), les personnages (fort nombreux, mais on ne perd jamais le fil) et leur vie (abîmée voire détruite), leur famille (le poids du père encore une fois), leurs espérances (infimes, enfouies, secrètes), leurs désillusions sans oublier les extérieurs (la nature, personnage à part entière). Et l'Art aussi, la littérature comme refuge ou échappatoire (aussi déjantés et bas de plafonds, la plupart ont des piles de bouquins chez eux). Ici, les femmes ne sont pas des faire-valoir (Pearl, Alice, Dayton...), elles sont courageuses et ne se laissent pas emmerder par les bons hommes.
    C'est un roman âpre, stylisé, pudique, cruel, qui aborde en filigrane (l'auteur n'appuie jamais son trait) d'autres sujets. Benjamin Whitmer creuse encore les mêmes sillons que ce sont la fatalité, l'influence de la famille, la quête rédemptrice...
    Il y a également beaucoup d'influence (Pollock - la farce en moins - Larry Brown...).
    Mention spécial pour la traduction (gros et beau boulot de Jacques Mailhos) et notamment celle du titre : "Evasion" est beaucoup plus subtil et ouvert que le titre original (Old Lonesome).
    Alors, oui, parfois les dialogues - assez Tarantinesques - sont un poil forcés (je le trouve étrangement plus efficace dans les silences, et l'expressivité muette des protagonistes), et tombent parfois à plat, ça tourne quelques fois en rond, mais il y a toujours chez Whitmer, au détour d'une scène, des fulgurances qui vous sèchent et qui fait que vous restez en alerte permanente. Fulgurance dans le verbe, la formule, et fulgurance dans cette violence qu'on ne voit pas toujours venir (ah la scène du marteau). Je n'ai pas vu de la gratuité dans cette violence, et puis, franchement, ça cause beaucoup plus que ça ne zigouille.
    Malgré les qualités indéniables du roman (que j'ai lu assez vite), je l'ai trouvé en dessous des précédents (et surtout de son premier PIKE que je recommanderais davantage pour celui qui ne connaitrait pas cet auteur). Sans doute parce que cet exercice de style - et la pudeur aussi - étouffe à mon sens un peu l'émotion qui peine à poindre.

    28/11/2018 à 07:52 6