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Place aux immortels
8/10 Ce n’est pas tant un roman sur la guerre, qu’un roman sur les hommes en période de guerre et sur leur humanité, leur sens du devoir et leur héroïsme. Une humanité belle dans sa banalité (apparente), une belle humanité ordinaire, et un héroïsme sans sirène ostentatoire, sans effet voyant, sans fioritures. Bref, l’humanité et l’héroïsme dans leur simplicité, leur sobriété. Et ce refus de tomber dans le piège sensationnaliste (alors que nous sommes dans les tranchées de la guerre de 14-18 et que l’explosion des émotions et des actes de bravoure s’y prêteraient) n’enlève rien, au contraire, à la justesse du récit. À la guerre, qu'on se le dise, il y a surtout beaucoup d’attente et beaucoup d’ennui aussi. De multiples et infimes choses qui régentent ces vies effrayées, cette belle solidarité des hommes, leur courage, mais également leurs grandes peurs, et leurs petites lâchetés. A ce titre, j’ai aussi apprécié cette autre dimension, cette espèce de lutte de classes, ces autres guerres, intestines et qui sévissaient à l’intérieur de la Grande.
Alors oui, PLACE AUX IMMORTELS met un certain temps pour se mettre en place (150 pages), mais cela s’avère nécessaire et favorise cette immersion de par la précision des informations qui donne ce réalisme. Peu de scènes d’action en définitive, comme un refus de trop « spectaculariser » ou de surenchère (peu d’effusion de sang, les morts eux-mêmes sont annoncés avec une certaine fatalité) pour davantage insister sur le quotidien parfois routinier et la vie à l’intérieur d’un groupe. J’ai aimé cette forme d’intimité, cette proximité qui donne au lecteur ce sentiment de faire partie de cette famille de combattants. D’être à leurs côtés. Cela chagrinera peut-être des lecteurs en quête de scènes fortes en adrénaline. Moi, j’ai trouvé ça encore plus proche de la réalité (que je m’imagine). À ce titre, j’invite quiconque à regarder un film de Sam Mendes, Jarhead : La Fin de l’innocence.
Alors, certes, lorsque l’enquête du prévôt Cognard démarre, le rythme s’accélère, mais qu’on se le dise, la découverte du ou des coupables n’est clairement pas le coeur du roman qui là encore se fixe sur les relations entre les hommes, la guerre comme l’enquête ne servent qu’à mettre en lumière leur dualité intime, intérieure et extérieure.
Forcément, le roman doit beaucoup à son personnage principal, héros anticonformiste à souhait parce que justement idéaliste, ce Don Quichotte (son cheval Rossinante, mais les chats sont aussi à l’honneur !), féru de justice et de vérité. Au milieu de cette guerre, des humiliations, de l’autoritarisme imbécile des plus hauts gradés, Léon Cognard dénote et détonne par son optimisme, son « management » faussement permissif, ses talents oratoires, son respect pour chacun de ses subalternes, son humilité, son érudition (un amoureux des lettres), sans oublier sa délicieuse impertinence.
L’auteur soigne aussi ses personnages secondaires (Bellec fidèle compagnon plein de panache !), et même les moins sympathiques sont traités sans caricature, avec toute leur complexité mais aussi leur vérité ce qui fait qu’on ne les déteste pas vraiment (comme Tanguy ou Testard).
Et c’est bien là la grande force du roman : son rejet de toute forme de manichéisme.
Je remercie l’auteur, Patrice Quélard.
Grâce à lui, j’ai passé un bien agréable moment et pour un lecteur comme moi, c’est suffisant. Il m’a, non pas rappelé, mais conforté ce que je m’efforce à défendre depuis toujours à savoir que le classicisme et la linéarité d’un récit est mille fois préférables à celui qui va empiler les rebondissements ad nauseam mal fagotés et aux twists finaux à répétition pour (bien mal) dissimuler une écriture souvent médiocre et des personnages taillés à la serpe.
Si je devais faire un seul véritable reproche, il ne serait pas à mettre au crédit de l’auteur, mais du choix « mercantile » de l’estampiller thriller.
Ce serait presque offensant de le définir ainsi quand on sait combien la pauvreté formelle parsème la majeure partie des thrillers français où l’intrigue semble n’être la seule préoccupation au détriment de tout ce que doit être un roman.
PLACE AUX IMMORTELS est donc un roman historique vaguement policier mais surtout une jolie déclaration d'amour à une corporation ; un roman d’une qualité et d'une exigence comme on n’en voit pas si fréquemment, justement récompensé « Prix du roman de la Gendarmerie Nationale ».
Parce que, de temps en temps, il y a une justice.23/09/2024 à 19:15 3
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Nécropolis
8/10 NECROPOLIS est d’une noirceur absolue, c’est presque un hymne au désespoir à faire passer Mylène Farmer pour la reine de la déconne.
Son héros ? Un veuf du nom de Paul Konig, une espèce de mort-vivant, dont, allez savoir comment, le coeur bat encore, et l’esprit flirte souvent avec la ligne rouge de la démence.
Médecin légiste, même un super cador dans son domaine, sa morgue est paradoxalement son havre de paix, les cadavres ses amis. Son job macabre qu’il pratique avec une précision et une obsession effrayantes entretient encore ce simulacre d’existence qui est la sienne et l’espoir de retrouver sa fille kidnappée. Un personnage peu sympathique, mais finalement attachant, un type bouffé par son job, rongé par des regrets tardifs, en quête de rachat, d’une rédemption que nous savons impossible.
Avec ses camés, ses putes, ses rats, ce New York là n’est pas sans rappeler celui de Martin Scorsese dans un de ses films les moins connus mais les plus sombres et qui colle parfaitement à ce roman (A tombeaux ouverts).
L’auteur s’est emparé de son sujet qu’il a sacrément bossé, la documentation est d’une précision aussi diabolique que sordide (la description répétitive des rapports médicaux, parfois fastidieuse, pourra rebuter certains).
Que dire de plus ?
Les dernières pages sont d’une tristesse infinie.
09/09/2024 à 07:51 5
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Intérieur nuit
6/10 C’est un sacré challenge de captiver son lecteur sur 800 pages.
Sur la durée, je ne peux pas dire que Marisha Pessl, avec son “Intérieur nuit” y soit parvenue.
Pour être honnête, ce thriller d’investigation m’a intrigué pendant les 300 premières pages, puis l’interêt a décliné progressivement durant les 300 autres pages avant d’être relancé dans les 200 dernières.
Au final, le défi est partiellement relevé car l’intensité demeure inégale.
Reconnaissons tout de même qu’il y a beaucoup de travail, une vraie implication, un certain rythme (on s’agace des facilités, mais on ne s’ennuie pas vraiment), l’auteure utilisant tous les artifices et subterfuges à la mode (articles de presse ou web, interview, rapports, photos….) pour donner un cachet d’authenticité et maximiser l’immersion dans ce récit mystérieux avec un résultat pas toujours convaincant.
On pense à plusieurs romans comme “L’ombre du vent” (pour le côté mystique, magie, sorcellerie…) ou parait-il Donna Tartt (“le Maitre des Illusions” que je n’ai pas lu). Un peu à Paul Auster en nettement moins magnétique (Pessl a plutôt tendance à vouloir nous manipuler au forceps avec des rebondissements à la chaine à la crédibilité assez douteuse).
Le truc le plus intéressant concerne tout ce qui à trait au monde ultra fascinant et fantasmé du cinéma, l’art du mensonge, la folie créatrice d’un réalisateur, la frontière tenue entre rêves et réalité. On pense forcément aux films de Stanley Kubrick, de Dario Argento ou David Lynch où la fiction et le réel se fondent et se confondent.
Les personnages du roman ne sont pas hyper attachants, l’écriture, elle, est appliquée, riche, (trop) abondante, aussi un tantinet énervante (avec tous ces mots en italique on se demande parfois pourquoi) mais malgré tout, on cherche à savoir ce qu’il en retourne de cette intrigue - en lisant parfois en biais tant cela s’’étire inutilement parfois - en espérant que le dénouement soit à la hauteur.
Et globalement, ce dénouement ne m’a pas trop déçu sans pourtant m’enthousiasmer ni m'émouvoir.
Bref, j’ai lu “Intérieur nuit”.
Est ce que je regrette la lecture ?
Non.
Est-ce que cela valait le coup de se taper 800 pages ?
Rien n’est moins sûr.27/08/2024 à 21:51 4
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Revolver
7/10 Une construction passé-présent efficace qui donne du relief aux personnages (une même famille de flics sur 3 générations : 1965, 1995, 2015) et à leurs relations.
Une écriture nerveuse (les phrases de fin de chapitre - avec leurs lots de révélations - vous accrochent direct).
De l'humour (dialogues nickel), de l'action, un suspense savamment entretenu ; le tout avec Philadelphie en toile de fond avec son histoire, ses trafics, son atmosphère électrique, ses tensions raciales.
Bref, du roman noir comme j'aime, du solide ouvrage.22/07/2024 à 19:25 5
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La Vie en chantier
8/10 Derrière la symbolique de la rénovation d’une maison, Peter Fromm évoque la reconstruction, lente et progressive, d’un homme, d’un jeune père, qui a vu les fondations de son bonheur s’écrouler brutalement et qui doit s’occuper de son enfant. Sans pathos aucun, écrit au plus près de personnages terriblement attachants (Rudy, le mur porteur de l’amitié, Laureen, la grand-mère, tout en douleur intériorisée, qui fait ce qu’elle peut et, bien sûr, Elmo, la fenêtre sur une possible éclaircie), c’est un roman simple et beau comme on devrait en lire plus souvent doublé d’un rappel que les pères courage, ça existe aussi.
02/06/2024 à 21:18 3
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Neuf vies
4/10 Avec "Neuf vies", Peter Swanson voulait rendre un hommage à Agatha Christie, la reine des énigmes à tiroirs. Louable intention, mais son roman n'a ni la malice, ni l'humour, ni la noirceur des Whodunit des intrigues d'Agatha Christie.
Alors, on tourne les pages sans effort et sans jubilation où, au détour de l'une d'entre elles, on assistera à l'élimination des personnages qui tomberont, sans bruit, les uns derrière les autres. Cela donne aussi un aspect confortable presque "ouaté" - ce qui n'est pas toujours désagréable - au rythme.
Le dénouement, n'est hélas, clairement pas à la hauteur du mystère ; ce qui éloigne définitivement toute comparaison avec la virtuosité des révélations Agathachristiennes.
Gentillet et largement dispensable26/05/2024 à 21:28 3
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Histoires de la nuit
8/10 HISTOIRES DE LA NUIT n'est pas qu'un thriller social de plus.
C'est un cauchemar éveillé où les phrases, serpentines, s'étirent à l'infini comme si l'auteur avait appuyé sur la touche ralenti de sa plume-télécommande pour nous faire entrer dans les méandres psychologiques de ses personnages et maintenir un climat de danger maximal où chaque scène, chaque pensée, chaque geste est décortiqué à l'extrême.
Une prouesse formelle que certains trouveront excessivement alambiquée voire lassante.
Pour ma part, maintenir une telle tension sur 600 pages relève du tour de force.
Par moment, j'ai pensé à un "Funny Games" (Michael Haneke) version paysanne.
Franchement balèze.26/05/2024 à 21:27 2
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La Colère d'Izanagi
4/10 Que Cyril Carrère Perso se rassure (si tant est qu’il soit inquiet), LA COLERE D’IZANAGI a des qualités. Déjà, il bénéficie d’une couverture très élégante, on peut y être sensible. Mais ce n’est pas tout.
Venons en au contenu et à ce qui est essentiel à mes yeux (contrairement - mille fois hélas - aux amateurs du genre qui n’étalonne leur plaisir et n’évalue la qualité d’un thriller qu’à l’histoire, l’action, le twist final, bref, c’est ainsi) : la forme.
L’écriture donc - la base, le B-A BA - de ce que, pour moi, doit être la Littérature. Ici, la forme est plutôt soignée (à l’image du prologue réussi), mais beaucoup trop lisse, j’ai trouvé qu’elle manquait de caractère. De tempérament. De grinta. A défaut d’avoir une “trempe”, j’ai tout de même apprécié ce soin même si j’avoue avoir grimacé sur certaines formulations que je ne pensais plus relire dans un livre. Mais passons.
Là, où en revanche, je suis plus chafouin, ce sont les dialogues. Je n’aime pas lorsqu’il sont trop écrits, mais là, ils sont vraiment trop convenus et rendent les réactions parfois peu plausibles (celles de Suzuka quand elle découvre l’activité de Kenta). D’autres échanges m’ont carrément laissé perplexe (cf. la discussion entre Kenta et Minami à la fin, lunaire).
En bref, cela nuit pas mal à la crédibilité, aux interactions entre les personnages qui en outre manquent de mordant, et amoindrissent aussi les scènes dites “fortes” (j’y reviendrais). Que Cyril ne se formalise pas : je trouve que 95% des auteurs français de thrillers se plante à cet exercice certes difficile, le dialogue étant presque un genre à lui tout seul.
Je précise que ce caractère “propret” de l’écriture n’est pas forcément antinomique avec les caractéristiques d’un thriller même si, il est vrai, qu’en général, on s’attend à un style plus âpre, plus pêchu, plus musclé. J’en veux pour preuve les romans (qui peuvent sembler académiques dans la forme) de Keigo Kigashino (je précise qu’il ne s’agit pas de comparaison, mais juste de dire que le traitement formelle d’un genre peut revêtir plusieurs aspects) où le phrasé est tout en suggestion (art consommé voire épuré du dialogue) qui, finisse par tisser une ambiance et créer une espèce d’envoutement. J’ignore si Cyril, consciemment ou non, voulait reproduire (et ce n’est pas une mauvaise chose, on peut même y voir une forme d’hommage) une atmosphère à la Higashino, mais je me suis quand même posé la question.
En revanche, j’ai davantage trouvé de finesse dans les descriptions liées au pays, aux habitations, aux us et coutumes, sans oublier à l’Art culinaire (la nourriture est quasiment une religion au Japon). D’ailleurs tout le volet culturel disséminé ça et là fut intéressant pour un néophyte comme moi, cela ne tombe jamais dans le guide touristique façon Wikipedia ou l’étalage prétentieux. Cyril est attaché au Japon où il vit, cette affection sincère est la partie réussie du livre.
Donc, comme l’écriture m’est apparu très “sage”, forcément, je ne suis pas parvenu à ressentir un climax ; pour un thriller, bah, ça la fiche mal. J’ai lu ça et là que certains avaient trouvé le récit haletant ou oppressant. Ce n’est pas mon cas. OK, ça s’accélère vers la fin, sans être méga trépidant non plus. Si je devais citer un exemple, je prendrais la scène de la prise d’otage qui, en dépit de ce qui se joue, manque singulièrement d’intensité. Je l’ai lu sans ennui, mais sans éprouver cette urgence, ce danger, guère aidé là encore par des dialogues franchement bof (lors de la négociation).
Mon autre problème porte sur l’autre socle fondamental d’un roman. Les personnages. Et comme pour l’atmosphère, il n’y a que l’écriture (et non l’acte - fusse t-il studieux et assidu - de rédiger et d’aligner des phrases) et seule l’écriture qui peut les rendre vivants, uniques, palpables. Presque humains.
J’ai trouvé que nos deux principaux protagonistes manquaient de densité, que leur intériorité aurait pu être plus approfondie (sans pour autant en faire des tonnes). Je ne connais pas le Japon, mais dans mon esprit et de ce que je lis et vois, en matière de démonstrations affectives, il est beaucoup question de pudeur, de non-dits, etc.… Pour quelqu’un qui vit au Japon, j’ai naïvement pensé (et espéré) que Cyril, en matière de relation et de sentiments, jouerait davantage sur quelque chose de plus raffiné ; j’ai déploré ces dialogues verbeux qui sur-expliquent à défaut d’instiller. Par moment, c’est vrai, on perçoit un peu la douleur intériorisée de Hayato (scène dans le cimetière, au début). Hayato, je le dis en passant, dont je n’ai jamais vraiment compris ce qui le rendait si génial. Alors, oui, on nous répète qu’il est brillant, il faut donc le croire sur parole. La sensibilité de Noémie est, elle, un peu plus tangible. D’ailleurs, en parlant de Noémie, elle nous est dépeinte comme une mère célibataire débordée. Une fois encore, c’est écrit noir sur blanc, mais rien, ou si peu qui nous permette de le (re)sentir. Finalement de sa vie, on ne sait ce qu’on nous en dit. Je ne sais pas, peut-être qu’une scène d’intimité avec sa fille m’aurait aidé à être plus en empathie.
Bon, comme c’est un thriller, je vais tout de même toucher quelques mots sur l’intrigue et ses thématiques. L’histoire n’est pas mauvaise en soi, mais je ne suis pas pleinement convaincu des motivations des “méchants”. Certes, le désespoir peut faire perdre la raison, mais j’avoue ne pas avoir bien perçu leur “logique”. J’ai aussi trouvé des facilités même si je suis assez indulgent pour ce genre de choses (je pense à la perspicacité incroyable des deux étudiantes). Quant à la thématique du Darknet, j’y connais que dalle, mais j’ai trouvé qu’on y entrait les doigts dans le nez (c’est peut-être le cas dans l’IRL) sans être vraiment emmerdé par les autorités.
Enfin, pour finir sur une bonne note, parlons de la carte majeure de ce roman, car oui, Cyril a gardé un atout très astucieux dans sa manche. (non, je ne parle pas de la scène - expédiée - de l’aveu - interminablement bavard - du complice), mais bel et bien du petit tour de passe-passe orchestré par l’auteur. Ce n’est pas tout à fait un retournement de situation, plutôt un décalage. Le procédé est malin et bien fichu et je mentirais si je disais que je l’ai vu venir.
Alors, cette petite acrobatie relève-t-elle la sauce de ce roman ? Clairement oui. Cela change t-il pour autant la donne sur mon appréciation générale du bouquin ? Je crains que non.
J'en suis désolé.30/04/2024 à 07:38 3
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Atmore Alabama
9/10 Tu te procures ce livre direct.
Tu regretteras pas. Promis, juré, craché.
Non, tu n'en sauras pas plus.
Va falloir me faire aveuglément confiance.25/03/2024 à 14:17 3
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Dolorès ou le ventre des chiens
6/10 En dépit de l’écriture toujours aiguisée et poétique de son auteur, c’est bien la déception qui prime à la lecture du (bien trop court) roman d’Alexandre Civico.
Trop court en tout cas pour laisser infuser, croire et ressentir l’intensité de cet affrontement façon “Silence des Agneaux” inversé (en nettement moins sordide) entre ces deux marginaux, ces deux inadaptés de la vie. Dolores, tueuse en série, et révolutionnaire à son corps défendant (j’avoue que je n’ai pas toujours compris ses motivations réelles, si ce n’est le dégoût d’un monde, d’un système capitaliste) et Antoine, son psy cocaïnomane, dont le mal-être n’est guère plus explicite hormis cet absence de sens dans son existence (mais la mélancolie a t-elle besoin d’explication ?).
A ce titre, leur joutes verbales sous forme de confidences, m’ont paru aussi précipitées qu’un peu trop écrites. Là encore, cette dualité méritait une évolution plus lente, plus progressive pour que je puisse adhérer à ce duel.
De façon générale, même si les dialogues claquent bien, j’ai trouvé que tous les personnages, principaux comme secondaires, avaient un sacré éloquence et un fichu sens de la répartie. J’y vois là un petit artifice, une gourmandise d’auteur (pour laquelle j’ai pas mal d’indulgence). Je passerais sur le final que je trouve assez expédié.
En tout cas, c’est bel et bien ce style racé, son phrasé court et imagé, dont la beauté et la force viennent, de temps en temps, vous percuter la rétine qui est son véritable et plus grand atout et qui ont fait qu’en dépit d’une absence totale d’empathie pour tous les protagonistes (hormis peut-être Chloé, bonne pâte mais dont se demande si son seul objectif n’est pas de tromper l’ennui de sa vie bourgeoise en s’entichant du mec torturé), j’ai lu ce livre sans déplaisir, mais sans émotion non plus, tout l'inverse de son précédent ATMORE ALABAMA dont la noirceur lumineuse m’avait piétiné le coeur.
J’espère qu’Alexandre Civico, brillant styliste, ne m’en voudra pas trop, mais comme toujours, et fidèle à mes principes et au respect que je dois à tout auteur professionnel comme amateur, je me devais d’être le plus sincère possible.25/03/2024 à 14:14 2
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Jeannette et le crocodile
7/10 D’une écriture brodée, l’auteure raconte ces petites vies cabossées avec infiniment de soin et d’humanité. Tous les personnages sont travaillés et l’auteure ne les juge pas.
Ce n’est jamais misérabiliste, mais c’est triste, très touchant. La critique sur le capitalisme est présente sans être agressive.
C’est un court roman très réussi qui vous laisse une petite trace.
À bientôt Séverine Chevalier.19/03/2024 à 18:01 3
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Ils savent tout de vous
6/10
Un début en fanfare, une idée originale (que l'auteur n'exploitera pas totalement), un personnage féminin avec de la personnalité, et si le rythme demeure enlevé et nous évite l'ennui, ça manque un peu de chair (j'ai connu Levison plus incisif), il persiste un sentiment de bâclé dans les 50 dernières pages, à l'image de cette fin expédiée.
Clairement pas le meilleur de son auteur.
25/02/2024 à 19:55 2
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Le Silence
7/10 Il a fallu attendre quelques années pour voir apparaitre le dernier Dennis Lehane.
Son titre : le silence (small mercies, titre original, bien meilleur, je trouve).
Le résultat est convaincant, même bon,… à défaut d’être très bon. C’est solidement écrit, percutant (faut-il le rappeler Lehane est un très bon dialoguiste et sait terminer un chapitre avec des phrases qui claquent). Une bonne histoire bien racontée (les 100 premières pages prennent le temps) avec à la clé un joli portrait de femme et de mère (un sacré bout de femme, la Mary Pat, en mode Charles Bronson) derrière la thématique du racisme, mais aussi celle du rôle et des responsabilités de parent, de ce qu’on lègue - parfois à notre insu - à nos gosses, et de notre trouille, en dépit de notre amour, quant à notre incapacité à les protéger contre tout.
En d’autres termes, du travail pro(pre), maîtrisé sur le fond comme sur la forme, rien ne dégouline ou ne fait tâche. Le monsieur a du talent et du métier et son bouquin se hisse dans le haut du panier du genre.
Aucun reproche véritable donc, mais il m’a manqué le petit supplément émotionnel qui vous entaille le palpitant et vous picote les rétines alors que tout s’y prêtait.07/01/2024 à 23:28 6
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Billy Summers
5/10 250 premières pages qui se laissent lire.
250 dernières pages poussives.
Au final, un roman moyen qui pourrait plaire aux novices du genre, mais décevra les plus rodés.
Ambitieux, longuet et parfois mièvre, Billy Summers passerait plutôt pour un polar lambda s'il n'était pas signé King.25/10/2023 à 07:44 3
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Leur Domaine
8/10 LEUR DOMAINE a beau se passer en Norvège, on se trouve bel et bien devant une tragédie grecque où la mort est un poison qui circule dans les liens de sang de ces deux frères, Roy et Carl unis par le crime, le secret, la honte.
J’ai toujours dit que la fratrie est, d’un point de vue littéraire et romanesque, plus grand, plus puissant, plus tragique qu’une “simple” histoire d’amour tant le rapport entre frères et soeurs fait écho à des résonances plus fortes, plus anciennes, car cette relation unique porte en elle tous les sentiments humains et ce sur toute une vie ; des émotions ambivalentes aussi sublimes que destructrices nourris et décuplés par les souvenirs, l’enfance, les parents.
Je ne dévoilerais rien de l’histoire, mais derrière ce décor montagnard où la blancheur immaculée du paysage recouvre, efface, enseveli, carcasses métalliques, cadavres et indices, on retrouve tous les ingrédients d’un roman noir de cendres.
Un très bon roman qui, dans sa portée mythologique, m’a rappelé le film “Un plan simple” de Sam Raimi.01/10/2023 à 12:03 3
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La Cabane aux confins du monde
3/10 Si le début est intrigant, très vite, cela tourne en rond, devient répétitif et incohérent (les réactions des personnages, franchement….) ce qui fait qu’on ne croit en rien et surtout qu’on s’emmerde sévère dans ce thriller où, plus fâcheux, en dépit des enjeux, je n’ai pas ressenti une once de tension.
Après un dernier évènement (que je ne peux divulguer), j’ai définitivement perdu l’intérêt et l’envie de poursuivre cette lecture assommante que j’ai cessé 80 pages avant la fin.
Bidon de chez bidon.17/09/2023 à 13:38 3
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Chien 51
3/10 Que Laurent Gaudé, auteur que j’affectionne et à qui on doit “Le soleil des Scorta”, “La mort du roi Tsongor”, “Eldorado” et surtout mon préféré “La porte des enfers”, s’essaye au roman policier et à la SF, tout cela avait tout pour me plaire. Je me demandais comment il allait s’en sortir et aborder ce double genre. J’étais intrigué, alléché même.
288 pages plus tard, c’est la douche glacée.
Bien plus qu’une déception, ce roman est une très mauvaise surprise. Peut-être que les plus néophytes y trouveront de quoi les satisfaire, mais je doute que les aficionados du polar et de l'anticipation y trouvent vraiment leurs comptes.
Autant le dire : Gaudé s’est raté. Sur toute la ligne.
Raté à bâtir une intrigue qui soit vraiment captivante.
Raté à créer des personnages forts (certains personnages secondaires s’insèrent dans l’intrigue, mais n’apportent pas grand chose). Cela manque d’incarnation, ce qui fait qu’on n’est guère touché par ce qui (leur) arrive. A ce titre, la pseudo romance entre les deux flics est aussi rapide que surfaite.
Raté même dans ce qui fait d’ordinaire la grande force de l’auteur : l’écriture (les dialogues sont empesés et théâtraux).
Le style est lourd, sans saveur, et ici le lyrisme qui d'ordinaire caractérise la patte Gaudé sonne faux. La première partie est la description assez longuette (et guère passionnante) de ce nouveau monde. La conduite de l’enquête n’est guère plus enthousiasmante. Gaudé scrute notre monde actuel, ses dérives (ultra concurrence, totalitarisme, soulèvement de la population…), ses enjeux (crise climatique) pour en tirer une dystopie sans guère d’ambition et de souffle malgré une idée séduisante et quelques trouvailles originales. Ses efforts pour créer - avec maladresse - de la tension (la dernière phrase qui clôture chaque chapitre est très lourde) m’ont paru trop voyants et d’une grandiloquence vaine. Tout ça sent le forceps et ça pèse des tonnes. Certains passages (je pense à la scène à l’hôpital avec Zem et Salia après l’agression de cette dernière ou la longue tirade de Zem page 259-262) frisent le ridicule.
Ce livre manque de tout. D’audace, de force, d’émotion ; tout ce qui doit faire une lecture marquante. C’est à se demander si l’auteur lui-même était convaincu par son histoire. De la première à la dernière page, je ne me suis jamais intéressé par ce que je lisais, tant tout cela m’a semblé scolaire dans la narration, plan-plan, poussif dans le procédé, forcé dans les effets et les intentions.
Je répète, j’ai beaucoup aimé les opus précédent de l’auteur. Laurent Gaudé a maintes fois prouvé son talent et sa flamboyante capacité à produire le meilleur.
Avec “Chien 51”, il vient désormais de commettre le pire.02/09/2023 à 18:53 3
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Père et fils
8/10 Chaque geste.
Chaque regard.
Chaque bruit.
Chaque odeur.
Tout est scalpelisé sous la plume de Brown pour créer l’immersion et sonder au plus profond l’âme de ses personnages.
Dans ses instants lumineux et dans ses ténèbres.
Quand les regrets se disputent aux remords.
Quand la haine se prolonge à l’amour.
C’est l’humanité.
Toute l’humanité.
Rien que l’humanité.
Grand livre.20/08/2023 à 14:13 4
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L'Empereur blanc
4/10 Le roman contient deux parties.
La première est la plus fiable et c’est assez préjudiciable car elle fait 200 pages (50% de l’ouvrage).
Cette partie souffre d’une écriture trop empesée (avalanches d’adjectifs et d’adverbes) qui rallongent lourdement et surtout inutilement le phrasé. L’auteure a l’appétit des mots mais en fait beaucoup trop (notamment dans les comparaisons ce qui est dommage car certaines fonctionnent bien). Je comprends cette gourmandise mais bien souvent «more is less ».
De façon générale, Armelle Carbonel gagnerait à faire plus simple, plus sec, elle en a les moyens techniques (et je sais, la volonté désormais). Ici, le soin méticuleux, l’envie de bien faire et la rigueur employée confinent trop souvent à une préciosité grandiloquente qui va à l’encontre de l’effet recherché. C’est frustrant.
Armelle doit davantage (se) faire confiance.
Les personnages, nombreux, sont trop figés, ils manquent de chair et de densité, peu aidés, il est vrai, par des dialogues excessivement verbeux et pardon de le dire assez puérils (parfois l’impression d’entendre des ados).
Là encore, il aurait fallu asséner de sérieux coups de serpe pour rendre tout ceci plus âpre, plus vif et plus percutant. Le lecteur n’a nul besoin d’être autant téléguidé, il faut lui laisser du champ quitte à ce qu’il s’égare.
Armelle est plus convaincante et sans doute plus à l’aise dans le non verbal. Son truc à elle, c’est plus l’extérieur que l’intérieur, les lieux, leur histoire, leur légende ; son plaisir littéraire s’exprime davantage dans le fait d’habiller les lieux que les protagonistes.
Bref cette première partie (un clin d’œil aux slashers qu’on connaît tous avec un petit côté Agatha Christien des 10 petits n*****.) ne m’a pas convaincu.
J’ai pensé qu’il aurait pu être intéressant pour pimenter cette première partie d’y mettre un peu de second degré ; le cadre, les héros et leur métier (auteurs de romans d’horreur) s’y prêtaient bien. Je reste persuadé qu’on peut mettre de l’humour sans pour autant ôter le caractère anxiogène d’une atmosphère ou d’une scène (le cinéma asiatique y parvient magnifiquement).
Ceci dit j’ai poursuivi car, le suspens, mine de rien est maintenu.
Armelle prend un virage assez inattendu dans la seconde partie et stylistiquement parlant la forme m’a semblé moins lourde. Les nouveaux personnages (Dudley) un peu mieux incarnés, mais ça manque encore de profondeur et d’originalité dans le traitement. Et moi quand les personnages ne sont pas creusés, je me fous un peu de ce qui peut leur arriver. J’avoue en outre que Marcy la femme du flic est un ajout saugrenu et un peu parachuté.
Si cette seconde moitié rehausse formellement l’ensemble, elle souffre de sa prévisibilité même si quelques surprises demeurent à la fin.
Sans rien dévoiler de l’intrigue, on pense au cinéma de shyamalan (un de ses derniers films) mais je trouve que c’est insuffisamment exploité.
Pour finir sur une note plus encourageante, l’autre thématique ( le racisme) n’est jamais inutile a rappeler (les passages de 1965 sont pour moi les plus réussis) les petits coups de scalpels sur le monde littéraire sont appréciables et le travail de relecture est sérieux (très peu de répétitions dans les formulations, sur 400 pages c’est tout sauf simple)
Armelle a les armes, l’imagination, la sensibilité pour faire beaucoup mieux.
Et je ne pense pas forcément au thriller.
Même si mon retour semble sévère, je suis confiant pour la suite.20/08/2023 à 14:12 3
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Sans pitié, ni remords
7/10 Retour sur le vif.
« Sans pitié ni remords », troisième volet du capitaine Mehrlicht est à la hauteur des deux précédents.
L’intrigue, comme toujours, est fouillée et rappelle combien l’auteur aime aussi cultiver son lectorat. Le travail de documentation est costaud et renforce le réalisme et la crédibilité de l’ensemble.
En parallèle, l’auteur n’oublie pas de faire évoluer ses lieutenants dans leur vie privée (d’où la nécessité de lire les romans dans l’ordre selon moi) notamment en faisant la part belle aux femmes (Sophie Latour). L’attachement de Nicolas Lebel à ses personnages est manifeste et de plus en plus prégnant mais sans rien omettre de leur part sombre ou moins reluisante (Dossantos le bourrin cache une vraie sensibilité, Mehrlicht, comparé à Paul Presbois ou encore un batracien, est l’anti Coste - le flic de son pote Olivier Norek - par excellence). Ce même Mehrlicht qui sous ses airs désinvoltes et son mode de vie épicurien semble se suicider à petits feux. C’est un personnage très complexe et torturé par la culpabilité de par le cortège de malheur qu’il semble drainer avec lui.
Sur d’autres personnages plus secondaires (genre Cuvier)le trait m’a paru forcé. En parlant de Cuvier, j’ai senti qu’au bout d’un moment l’auteur ne savait plus comment s’en dépêtrer.
Un petit mot sur les bad guy.
Ici, les méchants ne font pas de quartiers mais là encore, malgré l’atrocité de leurs actes, Nicolas Lebel leur tisse une histoire et nous fait aussi découvrir une part intimiste de leur personnalité à l’image de Vlad, ce assassin rongé par les scrupules en quête de rachat et d’apaisement.
Nicolas Lebel atténue aussi la noirceur de son roman (même si l’auteur évite soigneusement tout racolage de scènes sanglantes) par un humour argotique et des running gags (sonnerie téléphonique) plus ou moins réussis. C’est plutôt amusant et ça dépeint bien le côté bonhommie franchouillarde qui colle bien au capitaine Mehrlicht.
Bref, à défaut d’une construction super originale et spectaculaire (qui bien souvent masque une pauvreté littéraire) c’est un roman et un travail sérieux et solide, qui confirme que Nicolas Lebel, de par la densité de sa narration, son souci de combiner enquête et Histoire et de prendre le temps de bâtir des héros pétris d’humanité compte pour moi comme un des rares très bons auteurs de romans policiers français de ces 10 dernières années.
Je possède les deux derniers de la saga.
Alors comme dirait Jacques Morel sur sa pierre tombale, à bientôt Nicolas Lebel.20/08/2023 à 14:10 4