Le Crépuscule de la Veuve blanche

1 vote

  • 5/10 Fidèle à mes principes de lecteur (car c'est ce que je suis avant tout), en tâchant de faire fi du grand respect pour l’auteur et de la réelle sympathie que m’inspire l’homme que j’ai enfin rencontré ce week-end, pour ne parler que du livre, voici mon avis tout à fait subjectif de son dernier opus.
    Pour commencer, je dirais que la « La Veuve » a, peu ou prou, les mêmes qualités et défauts que « Izanagi » à savoir :
    QUALITÉS
    1/ Une écriture appliquée et propre.
    L’auteur évite soigneusement les redites, répétitions et autres lourdeurs, ce qui témoigne d’un sérieux travail de relecture (que je ne banalise pas : beaucoup d’auteurs/éditeurs ne se donnent pas cette peine). La lecture a, dans l’ensemble, plutôt bien « coulé » (avec une préférence pour la première moitié).
    2/ Dénonciation
    Un refus de dépeindre avec angélisme ou complaisance le pays – le Japon – dans lequel il vit. Cyril Carrère Perso y souligne, sans se cacher ni les minimiser, les injustices et les aberrations. Dans ce roman, c’est encore plus évident que dans le précédent. C’est assez audacieux, car même si le Japon est une démocratie avec une liberté d’expression garantie par la Constitution, dans la pratique, je présume que la critique publique de cette société doit rencontrer des obstacles.
    3/ La construction.
    Comme dans le précédent opus, Cyril aime jouer avec les temporalités. Et cela fonctionne bien : on ne s’y perd pas. Ici, on ne bénéficie pas de l’effet de surprise (comme avec Izanagi), mais les fondations demeurent solides, efficaces, et le lecteur s’y retrouve aisément.
    4/ Un apport culturel.
    J’ai encore appris des choses sur la culture nippone, et c’est toujours agréable de s’instruire en se divertissant. La thématique des « évaporés » est intéressante et je n’ai pas souvenir que des thrillers l’aient abordée. Bravo pour la nouveauté. Au niveau de l’immersion, j’avoue que j’aurais souhaité être davantage baigné dans une atmosphère sensorielle – notamment olfactive, dans les nombreuses et indispensables scènes de repas – pour mieux ressentir ce Japon que je ne connais pas du tout. Mais ce fut quand même riche d’enseignements. Merci pour ça, Cyril.
    DÉFAUTS (ou « axes d’amélioration »)
    1/ La forme
    À dire vrai, le seul véritable bémol – mais essentiel pour moi – porte sur la forme. Si j’osais, le seul et amical conseil que je pourrais donner modestement à l’auteur serait de tenter « d’écorcher » davantage son écriture (agréable, au demeurant, je le répète), encore trop académique à mon goût. Cela manque d’aspérités, d’entailles, de coups de canif. J’ai le sentiment de tenir une jolie pierre, mais polie à l’excès, au point de perdre beaucoup de sa rugosité. Est-ce de la retenue, de la pudeur, un léger manque de confiance, ou autre chose ? Je ne sais pas. Mais derrière cette sensibilité réelle que je perçois, ce souci de (trop ?) bien faire et toute cette belle application à raconter, je ressens trop de retenue. Je peux bien sûr me tromper.
    En bref, j’ai trouvé la prose sage, impeccablement tenue, mais privée de mordant, un peu comme une surface sans grain. Alors oui, ça glisse, et ça glisse même plutôt bien… mais ça n’accroche pas assez ma rétine pour marquer mon esprit. Enfin, j’ai bien conscience que le roman se déroule dans un pays qui se veut très lisse, où rien ne doit déborder, où tout est pondéré et reste en surface. Mais je pense malgré tout que, dans le narratif et dans sa manière de peindre certaines scènes ou l’intériorité de ses personnages (notamment celle de Noémie, dont je peine à ressentir les fêlures), Cyril pourrait « entacher » son style en se risquant à plus d’audace formelle, bref, y mettre davantage de caractère, de grinta.
    2/ Suspense.
    Un petit « truc » malgré tout inhérent à la construction, mais pour lequel tu ne pouvais pas grand-chose, je pense. Sans rien spoiler : la partie de l’enquête menée par Noémie et Hayato m’a moins intéressé, pour la simple raison que, du fait de la partie antérieure – celle de Sora et Alice – je savais déjà ce que le duo d’enquêteurs allait découvrir. Là où, dans Izinaghi, la temporalité de construction permettait un petit twist très réussi, ici, cela a altéré un peu le suspense, puisque le lecteur a de l’avance sur les personnages.
    3/ Les dialogues.
    Je me répéterai toujours : c’est un exercice hyper difficile qui nécessite une rigueur absolue. À titre personnel, je n’y suis pas toujours à l’aise et je ne prétends pas être expert en la matière. Mais je connais l’importance cruciale d’un bon dialogue. Le dialogue ne sert pas uniquement à faire avancer l’action ou le récit. Il doit coller aussi – surtout ? – aux personnages. Ce n’est pas tant ce qu’ils disent que comment ils le disent qui importe. Le dialogue est une fenêtre sur leur personnalité, leur rapport aux autres, leurs contradictions. Je trouve que tu y parviens mieux dans le regard de tes héros (l’ambivalence de la Veuve – la scène où elle tue de nouveau pour sauver sa fille – est plutôt bien rendue, même si, je sais, je suis un gros casse-pieds, il y avait encore moyen d’accentuer ces deux facettes : mère aimante et tueuse façon Uma Thurman dans Kill Bill) que dans leur diction. J’ai parfois l’impression que beaucoup parlaient un peu de la même manière. Enfin, les dialogues ne doivent pas être trop verbeux ou sur-explicatifs (je pense notamment à l’exposé des méchants sur leurs motivations). Clairement pas pertinent, car le lecteur les connaît déjà. De plus, tu infantilises ton lecteur. Rappel : pars toujours du principe que le lecteur est supérieurement intelligent ! J’entends bien ton intention d’accompagner le lecteur quelque peu égaré dans les ramifications de cette intrigue, mais attention à ne pas le biberonner non plus. Et puis le « bad guy » qui raconte le pourquoi du comment de son acte (alors que dans sa tête de détraqué c’est logique), ce n’est pas très crédible. Enfin, j’aime dire qu’un dialogue efficace doit laisser deviner, sous-entendre. Rappelons au passage que les silences et les non-dits sont aussi des dialogues ! (et au Japon plus qu’ailleurs, je pense que c’est le cas). Tu devrais en utiliser plus souvent.
    4/ Les scènes d’action. Jamais simples à écrire, elles auraient mérité de gagner en tension et en explosivité. Mais là encore, c’est un ressenti personnel, je n’insiste pas.
    CONCLUSION
    Voilà pour mon avis, qui – faut-il le répéter – n’engage que moi. Il n’a vocation à rien, ne cherche pas à convaincre, ni à blesser, ni à flatter, et plus que tout, il ne prétend pas avoir raison. Je rappelle que je suis personne, moi.
    Je fais pleinement confiance à Cyril Carrère Perso pour faire le tri, prendre ce qu’il souhaite ou ignorer allègrement tout ce charabia d'autant plus que la plupart des lecteurs (et auteurs) sont unanimes et que le roman remporte déjà des prix (bravo encore).
    Je n’en serais nullement vexé et lui souhaite du fond du cœur le plus grand succès avec ce nouvel opus et lui témoigne à nouveau toute ma considération.
    Je me doute bien qu’il y a bien quelques auteurs qui pousseront des cris en avançant l’argument de la solidarité (hem hem) entre auteurs. Ce n’est pas ainsi que je vois les choses, mais pour m’en être maintes fois expliqué, je les laisse, sans rancune, à leurs conclusions.

    04/12/2025 à 13:56 schamak (131 votes, 6.2/10 de moyenne) 3