schamak

104 votes

  • Tout le monde aime Bruce Willis

    Dominique Maisons

    6/10 Fini.

    Conformément à mes habitudes, je vais donner mon avis d'amateur - à chaud - avec qui vaut ce qu'il vaut.

    Que Dominique Maisons me pardonne : son dernier opus m'a déçu.

    Oh, ce n'est pas raté, il se lit sans problème, mais sans grande passion non plus. C'est un opus nettement moins ambitieux que son précédent, un roman passablement agréable que je vais oublier aussi sec. Il manque de beaucoup de choses et j'ai eu le sentiment qu'il est resté tout du long dans un entre-deux comme coincé entre plusieurs genres sans en assumer pleinement aucun. Il manque de noirceur pour un vrai polar, de trash pour être véritablement un thriller border-line, et de vitriol pour en faire une espèce de comédie encore plus acide et plus décalée.

    Au final, TOUT LE MONDE AIME BRUCE WILLIS est bancal et sage. A choisir, je me demande si j'aurais pas préféré la surenchère voire le grand-guignolesque à la manière d'un film de Shane Black (Kiss Kiss Bang Bang).

    Voyons ça dans le détail.

    Le roman se découpe en 3 parties.

    La première se concentre sur Rose et sa vie de star qu'elle saborde jusqu'à l'auto-destruction. Cette partie montre avec une certaine efficacité le paradis artificiel et vorace du milieu cinématographique. Rien de trop poussé dans le traitement, mais le rendu fonctionne plutôt bien, on imagine sans mal cette prison dorée à ciel ouvert où Rose, l'héroïne, est enfermée.

    La seconde partie arrive juste à temps (car Rose et ses tourments commençaient à tourner en rond). Au début, ce virage surprend, désarçonne le lecteur (et crée un mystère bienvenu car jusqu'alors absent) , mais au moins cela met en lumière d'autres personnages. Le hic, c'est que ça dure un peu trop longtemps et en dépit des réels dangers, la tension ne monte jamais véritablement du fait de l'absence de surprises (c'est jamais bon quad le lecteur a un peu d'avance sur la tournure des évènements).

    La troisième partie est clairement sinon la plus faible, mais la plus conventionnelle. L'auteur déroule sa pelote de laine de manière assez linéaire, peu d'obstacles sur le chemin, les facilités scénaristiques pleuvent. J'ai clairement senti l'auteur pressé d'en finir avec son histoire dont le dénouement est (trop) vite expédié et peu convaincant.

    Dans les points positifs :
    - Une écriture qui fait le job. C'est carré, pro, Dominique Maisons sait décidément tout écrire.
    - Rose, sans être méga attachante, campe un personne assez convaincant dans le rôle de celle qui va se révéler (un peu) dans l'adversité. Même si j'avoue que son attachement au gamin m'a paru un peu soudain et son détachement désinvolte après la mort de biiiiiip.
    - Caleb/Julian : de très loin le personnage le plus intéressant du livre.
    - Je ne sais pas trop si l'absence de profondeur voire le côté caricatural des autres personnages ne sert pas le livre qui, car d'une certaine façon, on peut aussi voir l'ouvrage comme le grotesque spectacle de l'outrance et de la superficialité montré au grand jour.

    Dans les points qui m'ont (plus ou moins) gênés :
    - le rythme (seconde partie un peu ennuyeuse, dernière partie et final poussifs)
    - la prévisibilité
    - certains dialogues (sur-explicatifs) notamment à la fin.
    - les rebondissements un peu aux forceps pour relancer l'intérêt et l'intrigue. On sent que l'auteur se démène pour créer des enjeux forts dont j'ai peiné à m'intéresser (surtout à cause du point ci-dessous).
    - peu d'empathie pour les personnages (je n'ai cru à aucun, donc je ne me souciais pas vraiment de leur sort - sauf Caleb)
    - Le titre prometteur qui débouche sur....rien (mais à la limite ça pourrait être aussi un point positif car cela démontre aussi toute la tartuferie du marketing ! Bien vu !)

    En revanche, là où c'est plus fâcheux, c'est que y'a un peu tromperie sur la marchandise quand on lit la quatrième de couverture et cette histoire de disparition de la soeur "dans des circonstances étranges". Je ne vais rien dévoiler de ce volet, mais bon...bref :)

    Enfin et cela peut paraitre étrange (ou pas), mais sur le thème des "apparences" et des affres de la célébrité, j'ai surtout pensé à un film français : Grosse fatigue de Michel Blanc.

    Voilà.
    Je ne pense pas avoir spoïlé, mais si j'ai par mégarde divulguer une information compromettante que Dominique Maisons veuille bien m'excuser et me le signaler.

    26/09/2018 à 01:02 6

  • Sale Boulot

    Larry Brown

    7/10 Mon premier Larry Brown (oui, oui, je suis irrécupérable).

    Drôle par moment, mais surtout lucide, poétique et tragique, ce huit clos nocturne et court roman (200 pages), parle de la bêtise qu'est la guerre, où l'auteur témoigne - sans pathos ni misérabilisme - sa compassion pour ces gens simples aux rêves ordinaires, bousillés par la fatalité.

    A lire, naturellement.

    16/09/2018 à 09:05 2

  • Le Grand Nulle Part

    James Ellroy

    8/10 Mon premier Ellroy, assurément pas mon dernier.
    Mais ça se mérite !
    Pléthore de personnages (tout sauf manichéens), d'interactions (de trahisons en rédemptions), de sous-intrigues, faut rester concentré sous peine de perdre le fil et de se mélanger les pinceaux. Mais la construction est redoutable, les dialogues exceptionnels !
    Mais quelle densité et quelle constance dans le style !
    Aussi rare que puissant !

    30/07/2018 à 13:32 9

  • La Petite Gauloise

    Jérôme Leroy

    7/10 Ce court roman (ou cette longue nouvelle) ressemble un peu à un conte, une fable. Mais une fable sombre, plus que sombre, nihiliste, fataliste.

    Les "+" :

    - Le format : 140 pages. C'est parfait. Plus long, cela aurait pu lasser (c'est quand même très désespérant)
    - Le style. Un modèle d'efficacité pour brosser des portraits et des situations. Une écriture à l'os, percutante, qui va à l'essentiel. Du haut niveau.
    - L'humour. Acide, mordant. Aussi jubilatoire qu'inconfortable.

    Les "-" :

    - Les 20 dernières pages. Dans l'Algeco, ça flirte avec l'exagération (deux jeunes qui pensent à violer deux filles alors que des terroristes sont dans l'école, mouais).
    - Par moment, cette absence d'émotion rend le récit et les protagonistes comme désincarnés. Mais d'un autre côté, ça sert aussi le propos, cette froideur mécanique, ce vide émotionnel.
    - La répétition des noms peut s'avérer gênante par moment.

    Conclusion :

    Le parti pris de l'auteur est assez radical. On aurait aimé plus de nuances. Mais, la plume est acérée, l'humour noir, le sujet glaçant et d'une résonance terriblement d'actualité.

    29/06/2018 à 23:59 5

  • Jake

    Bryan Reardon

    9/10 Oui, le sujet me plaisait beaucoup et me parlait, mais justement sur un pareil thème, le risque de se vautrer lamentablement était grand : il n'en est rien.

    Surtout, au-delà de l'intrigue (somme toute classique, mais tellement d'actualité), de la construction habile (une sorte de compte à rebours à l'envers) qui, en plus d'entretenir savamment le suspens donne une densité formidable à l'histoire, ce qui frappe dans ce roman (le premier ! incroyable !), c'est sa JUSTESSE. Le théâtre de cette dramaturgie, l'introspection du héros, ses doutes, ses pensées, ses élans magnifiques, ses petites lâchetés, les échanges avec sa femme Rachel (ah les petits sous-entendus perfides, les infimes déceptions, les douleurs tues), la palette de sentiments (des plus mesquins aux plus émouvants) sans compter tous les micro détails et les thèmes sous-jacents abordés (notre responsabilité parentale, notre place dans la société et dans notre couple, ce culte de la virilité ...) tout sonne impeccablement juste, crédible, profond.
    Certes, l'auteur est psy, mais le fait de rendre l'intériorité de tous les protagonistes - hommes, femmes, enfants - si tangible, si réel, si proche de nous, exposé avec autant de simplicité, de pertinence et de lucidité, est un petit tour de force.

    Enfin, ce roman a d'autres mérites qui dépassent son propre cadre.

    Il conforte ce que je savais déjà, à savoir faire du divertissement (même noir, même sombre) sans rien sacrifier à la forme et à la profondeur psychologique des personnages et qui soit ancré dans le réel et fasse cogiter, c'est possible.

    C'est rare, mais ça existe. Et ça fait rudement du bien.

    Avec un style puissant dans son dénuement, sa façon de gratter sans en avoir l'air sur nos petites plaies égoïstes, un sens rythmique et l'art de semer ses indices et brouiller les pistes (et notre esprit), le romancier enterre (mais bon, c'était pas compliqué non plus) tous les pseudos spécialistes de thrillers artificiels (français notamment) obsédés du rebondissement/twist à gogo, fournisseurs d'écriture fadasse, d'ambiance en carton-pâte et de personnages stéréotypés avec une psyché taillée à la serpe. JAKE renforce encore mon envie de faire l'effort nécessaire de chercher toujours, d'être curieux, et continuer de me méfier de ces livres surfaits en tête de gondole floqués de superlatifs surlignés au marqueur dans des fiches cartonnées, renforce ma volonté de refuser de me laisser gaver comme une oie par ces styles inodores et incolores, sans voix, sans personnalité, ces mots et formules mille fois écrits par des écrivaillons prétentieux et opportunistes qui ne connaissent que surenchère, lourdeurs, mièvreries, et autres artifices grossiers pour impressionner le lecteur crédule ou peu regardant pour lui soutirer une émotion facile (voire factice).

    JAKE est une performance doublée d'une belle leçon de vie.

    JAKE est une putain de bourrasque de fraicheur (oui, ça peut paraitre paradoxal de parler de "fraicheur" dans un roman si anxiogène) ! Ca redonne la pêche, la foi en la Littérature populaire dans le sens noble et humain du terme (inutile d'avoir un dico à portée de main comme quoi), divertissante, humble et INTELLIGENTE ! De celle qui donne envie de faire encore et encore le tri dans nos choix, nos achats compulsifs pour lire des choses aussi simples (et pas simplistes, pour ceux qui ne font pas encore la différence), fortes, profondes (tout en restant accessibles), bref universelles. On en avait besoin. J'en avais besoin.

    Le final est au niveau, pudique et déchirant.

    Un roman bien senti de bout en bout.

    Dans mon TOP 3 de l'année.
    Sans hésitation.

    Merci Bryan Reardon ! Vivement le prochain !

    29/06/2018 à 00:04 6

  • Tape-cul

    Joe R. Lansdale

    4/10 Si on m'avait dit que je noterais mal un Lansdale !
    Ce n'est pas l'intrigue hyper mince (on ne lit pas cet auteur pour ça) qui fâche, ce sont les dialogues (d'habitude atout majeur) franchement lourdingues dans le genre grossier (surtout branché cul) surtout pas drôle. Hommes, femmes, gentils, méchants, tous causent pareils, même humour potache et traits d'esprits, on les confonderait presque. Les répliques et autres vannes tombent presque toutes à plat, c'en est même très pénible car ça donne aussi cette désagréable impression de remplissage. Tout est forcé pour provoquer la drôlerie au détriment même des personnages (et de leur crédibilité) qui en deviennent insupportables (y compris le célèbre duo). Au final, zéro tension, on frise la comédie burlesque un peu à la manière de l'Arme Fatale 4 (ici le nain qui jacte à tout va fait office de Joe Pesci).

    Alors ça fait "cool", un peu trop peut-être. Limite parodique.

    Un opus décevant au final.

    20/06/2018 à 00:11 5

  • Le Chuchoteur

    Donato Carrisi

    6/10 Points positifs :

    Une chose est sûre : on ne s'ennuie pas durant ces + 500 pages. Et l'ennui, c'est la pire des choses (et pas que en Littérature !).
    Certains personnages sont plutôt creusés (ce qui ne veut pas dire qu'ils soient attachants ou impeccablement réussis. Mais bon, au moins, ils ont un peu d'épaisseur). D'autres sont un poil caricaturaux, mais rien de très embêtant.
    Certaines réflexions sont intéressantes.
    La documentation est convaincante (inspiré d'une histoire vrai, ça se sent).
    Le suspense est maintenu tout du long.
    Je me suis fait surprendre une fois ! (sensation plaisante, ça faisait longtemps)

    Points négatifs (?) :

    Un seul véritablement, mais qui pèse beaucoup dans un genre comme celui du thriller et qui contrebalance l'appréciation générale.
    En effet, le déluge d'informations, de rebondissements, de twists finaux est assez trompeur. Dans un premier temps, ils ont un effet assez enthousiasmant sur le lecteur (enfin moi, quoi) à la fin du récit. Ensuite, quand on prend le temps de cogiter à froid, on s'interroge si c'est pas "too much" dans la surenchère (et les grosses ficelles) et surtout inutilement (comprendre artificiellement) alambiqué tout ça. Pour un thriller dont l'intrigue (et sa crédibilité) est un élément clé, c'est un peu gênant.

    Au final, je n'ai pas d'avis tranché sur le roman qui s'en sort avec un peu plus que la moyenne de par ses réelles qualités narratives (et parce que je suis aussi de bonne humeur).

    12/06/2018 à 00:59 6

  • Sauf

    Hervé Commère

    2/10 Je précise, bien que cela coule de source, que cela n'engage que moi. Personne d'autre.

    Ce livre - encensé partout - est une vaste blague.
    Une mascarade.

    Incongruité de l’histoire.
    Personnages sans épaisseur (le héros quelle fadeur !).
    Absence de crédibilité (pour captiver je suis pas contre un brin d’exagération et quelques grosses ficelles, pas pour le n’importe quoi !)
    Problème de temporalité (très difficile de situer l’action)
    Écriture plate (ok pour la simplicité mais un peu de trouvaille stylistique aurait été appréciable)

    Les 50 dernières pages, c'est d'un grotesque, d'une telle débilité !

    Grosse perplexité.

    28/04/2018 à 19:16 7

  • Tout n'est pas perdu

    Wendy Walker

    7/10 Grace à une étude psychologique approfondie des personnages et une bonne documentation, l'auteure parvient à s'émanciper des attentes classiques d'un roman policier sans rien sacrifier au suspense. J'en veux pour preuve que, bien souvent, j'ai été détourné - sans aucune frustration - de l'intrigue pour m'intéresser au vécu des protagonistes. Certains passages sont particulièrement justes et bien observés sur la nature humaine. Le dénouement ne m'a ni emballé ni déçu car justement les zones d'intérêt étaient disséminées dans d'autres endroits, ce qui me conforte dans l'idée qu'un bon roman policier est un ensemble de choses et ne doit pas se focaliser sur un aspect unique (l'identité du coupable ).

    Au final, une plutôt bonne surprise.

    23/04/2018 à 16:26 3

  • Seules les bêtes

    Colin Niel

    9/10 Pourquoi « SEULES LES BETES » est un excellent roman ?

    Réponse : parce que l’auteur, Colin Niel, à, selon moi, TOUT compris.
    A aucun moment, il ne se trompe sur ce qui fait passer un bon roman de divertissement (ce qui est déjà bien au demeurant) à une oeuvre littéraire. A savoir et en premier lieu, l’essentiel : l’écriture.

    Et la forme est d’autant plus excellente que le challenge était foutrement relevé car multiple. En effet, il s’agit là d’un roman choral donc à plusieurs voix et donc de facto avec plusieurs tonalités.
    Mais, que le lecteur se rassure, jamais il ne sera perdu : quel que soit leur sexe, leur rang, leur provenance, ils sont tous crédibles. Que ce soit Alice, Joseph, Armand, Michel, Maribé…tous ont une identité propre, une vérité, une intériorité, une psychologie fouillée. Tous sont parfaitement palpables, formidablement vivants, organiques à l’image de l’environnement, des paysages, l’auteur sait aussi donner vie aussi bien au « dehors » de la nature qu’au « dedans émotionnel » des êtres. On y croit à chacun de ses protagonistes parce qu’encore une fois, ils sont portés (mais jamais jugés) par une forme inspirée, convaincante (jusqu’au dialecte, aux expressions locales, et autres suppression de forme négative…), un style formidable.
    Et c’est SURTOUT pour cela que ce roman est réussi, doublé d’une sacré performance ; parce que précisément, ces anti-héros sont si authentiques, si charismatiques, que l’intrigue elle-même (la double disparition) finit par passer au second plan….sans que cela nous frustre ou nous rende impatient ! Pour moi, c'est très révélateur sur le fait qu'une intrigue seule - fusse-t-elle captivante - ne suffit jamais (en tout cas pas à des mecs comme moi) !
    Je ne suis pas loin de penser que ces disparitions ne servent qu'à répondre au côté « entertainement » de l'ouvrage. L'intrigue n'est que la partie visible de l’iceberg, et paradoxalement pas l’intérêt principal (du livre, et peut-être même de l’auteur), juste le déclencheur, presque le prétexte (attention prétexte solide, car l’intrigue n’est aucunement négligée et le suspense demeure efficace et bien entretenu) pour mettre en exergue ces personnages complexe dans leur humanité ; cette humanité qui les rend si vrai, si émouvants, si vulnérables, si cruels aussi. Cette intrigue policière est aussi un formidable vecteur pour mettre aussi en lumière les nombreux thèmes, certes classiques, mais très bien traités : la solitude, la misère affective, en une phrase leur/notre inlassable quête d'amour qui les/nous conduit (parfois pour le pire) à vouloir sortir de leur/notre état ou de leur/notre condition (sociaux et affective). Le livre pourrait se résumer par "chaque rêve a son prix à payer". Et ce prix, parfois, c'est son coeur, son esprit, voire son âme.
    C'est pas nouveau ? Je vous l'accorde, mais c’est juste super bien foutu, quoi.
    Des bémols ? Non. Ou si peu et porte justement sur l’intrigue. Quand y réfléchit un peu, ça ressemble surtout à une succession de malentendus (d’un autre côté, c’est ce qui rend tout le processus assez terrifiant), des circonstances (mal)heureuses. Bref, c’est pour chipoter, et je vais pas m’étaler là-dessus, c’est dire si je m’en tape et surtout ça confirme encore une fois que j’ai trouvé tellement d’autres sources de satisfaction que le simple whodunit si cher à sir Alfred ou ces quelques facilités.
    Finalement, sous l’apparence d’une enquête policière - même si en définitive jamais le projecteur ne s’arrête vraiment sur ladite enquête ou le personnage du gendarme, Cédric - l’auteur a surtout voulu écrire une tragédie humaine. Et c’est diablement réussi.
    Merci à Colin Niel d’avoir compris cela, d’avoir compris - comme Franck Bouysse pour ne citer que lui - qu’un bon roman noir, n’est pas ennemi de la littérature, loin s’en faut, que ce n’est pas incompatible avec une écriture affirmée qui a une vraie densité (sans tomber dans la suffisance, en restant simple et évocatrice), une résonance, un écho, une personnalité propre et qui hélas est encore trop rare (même si de nombreux talents pointent leur museau de plus en plus).
    Merci aussi d’avoir compris qu’une histoire forte, ce n’est pas systématiquement chercher à mettre le paquet sur l’originalité de l’intrigue et épater son lectorat avec de l’esbroufe, des tonnes de rebondissements (plus ou moins réalistes) et des twists finaux ad nauseam, au détriment d’une ambiance et en fabriquant des personnages insignifiants ou interchangeables, empêtrés dans leur manichéisme (sans oublier l'indigence des dialogues).

    10/04/2018 à 23:32 12

  • La Voix secrète

    Michaël Mention

    8/10 Points positifs :

    - En premier lieu, l'écriture. Dès les premières pages, on sait que l'on a à faire à un dentelier. L'auteur tricote ses phrases avec soin, raffinement.
    - Les dialogues (je me répète, mais c'est l'exercice le plus compliqué, je trouve). Savoureux. Truculence des réparties, ces joutes/saillies verbales entre les personnages, faites d'ironie, d'esprit, de cynisme sont exquises. Des "punchlines" à la sauce 19ème siècle.
    - Les personnages. Bien brossés en quelques lignes.
    - Les clins d'oeil aux copains (qui se reconnaitront). Quitte à les dessouder.
    - Très bonne alternance entre l'intrigue et le contexte historique (ce dernier est léger, jamais assommant). Un bonne équilibre est respecté.

    Points négatifs :
    - Bah, j'ai beaucoup phosphoré, mais je ne vois rien qui m'est véritablement freiné dans ma lecture rapide (en un jour et demi).
    - Pour pinailler, je dirais que j'aurais aimé que "ce jeu d'échecs" entre Allard et Lacenaire soit plus pervers (j'ignore si c'était le but de Michael Mention, mais l'assassin m'est apparu presque plus sympathique que certains membres de la police - Canler - !), bref que la manipulation soit plus pregnante (à la manière d'un Hannibal Lecteur et Clarice Starling, oui, ça peut surprendre, mais j'ai beaucoup pensé "Au silence des agneaux" de par cette collaboration forcée et malsaine). Ici, l'amitié et le respect mutuels prend (trop ?) le pas sur l'affrontement auquel je m'attendais (mais, peut-être ai-je été influencé par la 4ème de couverture).
    - Le passage chez Vertige. Trop court. Dommage.
    - La crasse, les odeurs, bref la plongée dans cette misère aurait mérité (peut-être ?) une immersion plus profonde (mais bon, j'avais encore celle "du Parfum" de Sunskind, donc je plaide coupable !).

    Mais voilà, je pinaille pour pinailler

    Chapeau bas, monsieur !

    31/03/2018 à 10:52 8

  • Prendre les loups pour des chiens

    Hervé Le Corre

    8/10 Une écriture riche, visuelle et diversifiée, nerveuse et en même temps poétique.
    L'histoire est classique, mais peu importe, le style fait qu'on se laisse prendre par l'intrigue (pas captivé car j'avais deviné très vite ce qu'il en retournait, hélas) et surtout les personnages fouillés (gros point fort). La psychologie des héros est bien rendue (celle du père arrive un peu tardivement dans le roman), les descriptions belles, on ressent la tension en permanence ainsi que la chaleur suffocante.
    J'ai senti dans les 80 dernières pages que l'auteur accusait le coup, ou avait été contraint d'accélérer (impératifs d'éditeur), car l'écriture m'a paru moins inventive, et le final carrément saccagé (c'est assez incompréhensible ce traitement !). Reste que cela demeure d'un niveau (littéraire notamment) assez rare dans le milieu du polar (français).
    Du bon travail.

    27/02/2018 à 23:42 7

  • A la place de l'autre

    Guy Rechenmann

    8/10 À tous les amateurs d’action, les aficionados de rythme endiablé, les assoiffés d’hémoglobine, ce livre…n’est clairement pas pour vous !

    Pas de frissons.
    Pas de carambolages.
    Pas de coups de feu.
    Pas de poursuite.
    Pas de twist final.

    Non.

    A LA PLACE DE L’AUTRE n’est pas spectaculaire pour deux ronds.
    C’est MIEUX que ça.

    Ce roman policier se lit de préférence dans un rocking-chair, les doigts de pieds dans des pantoufles avec un feu de cheminée pas loin.

    J’ai passé un très bon moment.
    Non, plus que ça : un délicieux moment.

    Ce roman est une précieuse gourmandise.
    On ne se bâfre pas avec.
    On savoure.
    On déguste.

    Nous connaissions Simenon et son Maigret à la pipe, Vargas et son « pelleteur de nuages » Adamsberg, voici Rechenmann et son « brasseur de vagues » Viloc.

    20-30 pages, c’est ce qui m’a fallu pour me laisser apprivoiser (bercer pour rester dans le ton maritime) par cette exquise indolence, cette lenteur (ne pas confondre avec longueur, la lenteur - dans l’Art - est une qualité pour moi) ouatée, cet humour souvent subtil ou débonnaire (de Anselme ou de son boss Plaziat jamais le dernier pour chambrer son flic), ces personnages lunaires et extravagants (Lucy, cette gamine incroyable).
    Et je préfère ça à des thrillers qui démarrent tambour battant avant de s’essouffler rapidement pour finir asthmatiques dans un dénouement (souvent guère crédible). ci, on prend son temps. Et on profite de la vue, du paysage, des senteurs, des mélodies. C’est un roman contemplatif pour jouisseur, pour oisif.

    Un roman pour les "lecteurs tortues".
    Et dans cette littérature actuelle de roman noir et autre thriller où ça fulgure à tout va, ça fait rudement du bien.

    Ici, les indices et les révélations se font presque de manière statique : on observe, on taille la bavette avec la voisinage, on épluche des archives, on spécule des théories fumeuses, on phosphore (l’auteur a du lire du Vargas, je pense), on fait des croquis. On y croise des chats (l'auteur les affectionne si j'en crois un de ses romans"le choix de Victor") , les pieds dans la vase, un médium, on évoque les esprits, les Egyptiens, ….
    Et c’est ainsi, de cette façon bancale, à tâtons, (à l’aveugle pour faire référence à la comparaison canine du comparse dessinateur), mais progressive et sans avoir l’air d’y toucher, de manière farfelue, ubuesque même, poétique souvent que l’énigme se détricote, fil après fil.
    Même les cadavres (et y’en a !) font partie de ce décorum tranquille. Ils tombent certes, mais sans tambour ni trompette. Le lecteur découvre ça au calme, sans surenchère, presque de façon surréaliste.
    Et j’aime ça.

    Certains diront que c’est un peu trop facile, peu crédible et même paresseux. Je ne sais pas. Surtout, je m’en fous. Je me suis laissé porter par cette paresse, cette léthargie jubilatoire, mais aussi cette humanité, ces anti-héros attachants, à leurs idées saugrenues, leurs bons mots, leur causticité, leurs sous-entendus…Moi qui ai beaucoup lu Ken Bruen (ou son personnage fétiche Jack Taylor résous souvent ses enquêtes accidentellement et en traînant la patte) j’applaudis. Car j’aime cette nonchalance, ce sentiment (faussement) passif qui habite les enquêteurs qui « aspirent » et inspirent la vie, toujours prompts à humer l’air marin, à écouter de la musique. Ainsi, même si l'intrigue reste l’attrait principal, tout ce qui gravite autour ajoute à cette atmosphère cotonneuse, musicale, poétique, qui pousse à la rêverie. Dans l’humour (avec moins d’acidité et de noirceur néanmoins, mais avec cette espèce de léger désenchantement), j’ai pensé à mon auteur contemporain préféré, le toulousain Jean Paul Dubois. J’ai aimé également les clins d’oeil ou les insertions de personnages de romans précédents (le dessinateur Léonard). J’ai aimé la tendresse délicate du héros vis à vis de sa nièce ou de sa femme (deux lignes où cette dernière l’attend sans un mot, un soir, ce amènera après coup la jolie confidence : « j’ai reconquis ma femme »).

    Des bémols ? Si peu. Bon je regrette quand même qu’on en sache si peu sur Sofia (peut-être qu’elle est plus présente dans les précédents opus), idem pour Solange dont les ébats avec Jeremy servent surtout de ressort comique. C'est bavard. Oui. Très. Mais c'est pas vraiment un reproche, ça fait partie des personnages et ce verbiage est un ingrédient essentiel au charme qui est distillé tout au long du récit.

    L’intrigue est très bien construite, captivante sous son air pépère, et historiquement intéressante (on y parle de la seconde guerre mondiale, de la collaboration, de la résistance, du mur de l’Atlantique…), on apprend des choses sans avoir le sentiment qu’on nous les assène. C’est fait modestement, par petites touches. La relative légèreté des 200 premières pages va prendre une tournure grave et presque maudite lors des flash-back et de l'histoire de la petite Marie, de cette vie, ces existences marquées du sceau du malheur et de la fatalité.

    Encore un mot pour le style (une écriture parfois argotique, un peu à la Frédéric Dard, mais en plus léger et moins imagé, ça se boit comme du petit lait) : je trouve que c’est pas mal d’insérer les réactions des personnages à la suite d’une ligne de dialogue (dialogues nombreux, souvent succulents). Oui, Il m’a fallu là aussi quelques pages d’adaptation, mais ensuite, j’ai trouvé que ça ajoutait à la fluidité ; une bonne idée en définitive que d’éviter cette « cassure » d’aller systématiquement à la ligne. Bien vu.

    Je ne vais pas tourner autour du pot : j’ai déjà commandé FLIC DE PAPIER et FAUSSE NOTE (et prochainement sort le dernier opus)

    11/02/2018 à 22:06 4

  • L'Opossum rose

    Federico Axat

    5/10 Pendant les 3/4 du livre, l'intrigue est prometteuse et même (assez) prenante à bien des égards (au point que j'ai passé outre les dialogues moyens et la bluette sentimentale sans grand intérêt). Mais dès qu'on bascule dans les flash-back et la période étudiante du héros, on sent que l'auteur, s'essouffle et fait du remplissage. Hélas son manque d'inspiration (les chapitres deviennent de plus en plus courts et expédiés) va se poursuivre jusqu'au dénouement franchement poussif et bâclé.
    Ouvrir les portes du ou des mystères, c'est audacieux. Savoir les refermer avec autant de brio, c'est une autre affaire. Il est toujours préférable pour moi d'avoir moins d'ambition, mais plus de rigueur. Ou alors laisser le lecteur trouver ses propres réponses plutôt que de lui en servir des médiocres.

    Axat est un auteur imaginatif, joueur, mais trop gourmand.
    Son livre n'a pas tenu la distance (500 pages).

    Derrière un titre faussement intrigant, L'OPOSSUM ROSE est un thriller qui se lit vite (écriture fluide), mais déçoit amèrement dans ses 50 dernières pages (souvent celles qui - injustement - restent dans l'esprit d'un lecteur quand il s'agit d'un thriller avec révélation).

    08/02/2018 à 18:00 6

  • Surtensions

    Olivier Norek

    6/10 Un dernier (?) opus plus ambitieux que les précédents, qui se lit très bien, mais Olivier Norek a peut-être surjoué en chargeant la mule dans la construction de l'intrigue. D'où ce sentiment de trop plein. Enfin, gros bravo pour l'intensité des 100 premières pages. Qu'on ne retrouvera plus par la suite hélas (sans pour autant s'ennuyer).

    "Territoires" reste le meilleur de la trilogie.

    28/12/2017 à 18:53 4

  • Quand sort la recluse

    Fred Vargas

    4/10 Peut-être le plus mauvais Vargas.
    Ce n'est pas tant l'intrigue (avec Vargas faut pas chercher la crédibilité, même si ici, ça va loin), mais plutôt le fait qu'on a le sentiment que l'auteur a écrit pour adaptation ciné. C'est trop dialogué, beaucoup trop, et l'intrigue ne progresse qu'au gré des discussions. Adamsberg a perdu de son aura (la scène avec son frère et le flash back l'a transformé en garçonnet craintif, ça colle pas trop au personnage je trouve) et bye bye la bonhommie rustre de Danglard qui est devenu un pauvre type aigri et perfide. Le capital sympathie s'est envolé pour les deux idem pour le ton et le rythme un peu lent et vaporeux ! Le fait d'avoir quitté son ancien éditeur a t-il fait évoluer son écriture ? A voir sur le prochain.

    25/12/2017 à 13:27 3

  • Entre deux mondes

    Olivier Norek

    7/10 Un bon roman pas con (et c'est pas si fréquent) et sincère, mais pas un chef-d'oeuvre comme je peux le lire un peu partout (les gens s'enflamment si vite). Une lecture plaisante, une construction solide et un rythme entrainant, bref ça remplit efficacement son cahier des charges (et c'est déjà beaucoup) mais qui émotionnellement parlant ne me marquera pas durablement (en dépit de l'humanité des personnages)

    24/12/2017 à 17:03 9

  • La Maison où je suis mort autrefois

    Keigo Higashino

    7/10 Une réussite.
    Ecriture simple, rebondissements bien dosés, intrigue captivante.
    On peut faire un thriller efficace et surprenant sans recourir au gore et à la surenchère (qui servent souvent à masquer bien des défauts).
    J'ai acheté deux autres romans de cet auteur.

    24/12/2017 à 17:01 5

  • Le Chanteur de gospel

    Harry Crews

    6/10 Burlesque, survolté et habité, c'est clairement un roman atypique.
    L'intrigue est un prétexte (ni passionnante, ni ennuyeuse) à une galerie de personnages originaux.
    L'écriture coule bien, ça se lit vite.

    25/04/2017 à 20:52 3

  • Aux animaux la guerre

    Nicolas Mathieu

    8/10 Légers SPOILERS !
    Beaucoup de plaisir à lire ce premier (!) roman.
    Ce qui, moi, m’a particulièrement séduit, c’est que les intrigues (le PSE ou le kidnapping) ne m’intéressaient pas plus que ça. Elles existent, mais en toile de fond comme pour nous mettre le doigt sur autre chose, nous ouvrir les yeux sur un autre enjeu, plus émotionnel. Au risque de me tromper, je pense qu’en effet l'objectif (de l'auteur Nicolas Mathieu) était ailleurs et que lesdites intrigues et leur relative absence de suspense ou d'explication (la fermeture de l’usine est courue d’avance et la cause du kidnapping de Victoria, bah c'est un kidnapping, quoi) servent surtout à dépeindre la misère…ou plutôt LES misères.
    Car, qu’on ne se méprenne pas, derrière la peinture économico-sociale, l’auteur jette avec ce roman noir choral (et bourré de références cinoche) une lumière blafarde sur une autre misère lente et bien plus destructrice : la misère affective. C’est pas innocent si Martel, sitôt après avoir été "rousté" à une pensée pour Rita qu’il connait à peine pourtant. Et puis, quand on réfléchit bien, entre lui et cette Rita, il manquait pas grand chose pour que ça tourne différemment, que le destin se décide à leur faire une fleur. Mais voilà.
    Cet absence cruel d’amour qui poussent presque tous les personnages victimes collatérales d’un chaos familial (les parents sont soit absents, morts, ou alités - mère de Lydie -) à se démerder avec ce bon système D quitte à fatalement faire des conneries.
    J’ai aussi apprécie que l’auteur évite quelques clichés, ici le gangster russe se rêvait à un autre destin que le sien. Bref, mine de rien, ça change des caïds au coeur de glaise. C'est ce genre de petites choses comme ça qui font mouchent et qui singularisent un roman de beaucoup d'autres...
    Deux scènes belles et franchement pas simples à réussir : celle du face à face entre Duruy père et Comore : y'a des silences, de l'honneur dans cette scène pleine de tension et, paradoxalement, de respect mutuel. Et enfin, la scène de sexe. Elle est crûe, mais pas tant que ça non plus et puis y'a cette cette légèreté, ces rires, cette innocence (parfois j'ai pensé à Larry Clark et ses "Kids"), cette vie qui contraste avec la scène de mort qui se joue en parallèle, dans la même maison.
    Côté écriture, là aussi, c’est vraiment bon. C’est classe, âprement poétique, racé en somme. L’auteur compose ainsi une patine intéressante et ce mariage de styles fonctionne très bien (sans oublier, les dialogues - exercice particulièrement périlleux - secs et réalistes, jamais verbeux).
    Bon, faut chipoter un peu ? Allez, par moments, il nous faut quelques secondes pour raccrocher les wagons (du fait de la multitude des personnages) et enfin, ce dénouement relativement ouvert, mais un tantinet frustrant même si j'aime aussi quand un auteur me laisser achever un roman à ma guise.
    Bravo

    28/03/2017 à 11:35 8