112 votes
-
Ca restera comme une lumière
7/10 Je viens de terminer la lecture du beau et du bon roman de Sébastien Vidal.
L’histoire est des plus classiques ? Et alors ?
Les évènements plutôt prévisibles (encore que) ? Je m’en fous.
L’auteur est plus à l’aise dans les scènes contemplatives, l’intériorité de ses personnages, le bouleversement des coeurs, que dans les scènes de mouvement ou les dialogues ? Certes, certes.
Mais l’essentiel est là. L’ensemble, c’est du solide. Construction, narration, la charpente est robuste, costaude comme les sculptures ou les mains du vieil Henri ; ça fleure bon le métier, l’expérience, déjà.
C’est bien écrit, très bien même. L’écriture est virtuose, souvent virevoltante. Ample, métaphorique (mais accessible), gourmande (certains tiqueront sur le florilège d’adjectifs, moi ça me va) en un mot : généreuse. Il y a du lyrisme, du romantisme dans les mots de Sébastien. Pas étonnant, l’auteur doit être peu ou prou comme son Josselin, un grand sensible (j’ai pas dit émotif, hein).
Ok, ok, avoir du style, c’est bien, mais comment on fait pour garder cette patine tout du long ? Sébastien, lui, a su faire. J’ai été frappé par la constance de la forme Il y a de la régularité, de l’endurance et on ne répétera jamais assez la difficulté de tenir la distance sur des centaines de pages. Garder le rythme, le mental, l’énergie, l’envie, …dans ce marathon qu’est le roman, c’est pas une mince affaire. Sébastien y parvenu intégralement ou presque (un poil moins enlevé les 100 dernières pages ? Je sais pas). Le roman n’a pas du être écrit d’une traite, impossible. C’est donc du bon boulot. Bravo pour ça. Et respect.
J’espère que l’auteur ne m’en voudra pas, mais je ne croyais pas que sa plume fut aussi belle, affutée, inspirée. C’est vrai que ça pullule d’images, de comparaisons, ça peut donner le tournis (difficile de se réfréner, hein ?), mais malgré tout, j’ai été impressionné par cette exaltation qui imprégnait ces lignes même si c’est dans sa fulgurante simplicité que l’auteur m’a le plus saisi (« la tendresse comme jardinier des souvenirs » pour ne citer que celle que j’ai pensé à noter). Il y en a d'autres qui impriment la rétine durablement et je me suis promis de retourner à la (Del)pêche (uh uh uh) de ce genre de phrases simples et belles dans leur dénuement, leur dépouillement. L’auteur a sacrément bûcher sur le sujet de la soudure, c’est stupéfiant de crédibilité. Il a été bien conseillé, mais là encore, c’est vraiment un sacré travail de documentation. Les longs et nombreux passages sur le travail de soudure, c’est de la pure poésie. Sans jamais tomber dans la redite en terme de vocabulaire, c’est fort.
Bon, le roman est vendu comme un roman noir. Faut bien attirer le chaland, mais pour moi ce n’était pas l’intention première (la « noirceur » - y a largement pire - se fera plutôt sentir dans l’accélération des 50 dernières pages.) Paradoxalement, c’est quand l’auteur n’abordait pas son intrigue mafieuse que mon intérêt a été le plus prégnant. La vengeance, le mystère de la disparition du fils Thévenet, ce n’est pas ce que je retiens du livre, j’ai largement préféré les moments intimistes entre Josselin et Henri, les échanges qu’ils soient verbalisés ou non (oui, la gestuelle - pression de mains sur les épaules, les sourires, les regards…- est également mise à l’honneur), c’est ce que j’ai plus aimé, d’ailleurs c’est dans ce registre que j'ai senti l’auteur plus à son aise (avec la descriptions de la nature, j’y reviens). Les thèmes de la transmission, du partage, de l’apprentissage et des liens qui unissent les êtres amochés par la vie, les drames, tout ça, ça m’a plu aussi. Il est aussi question de la famille, pas nécessairement celle du sang, mais celle qu’on se fait (Henri est un père de substitution au même titre que Erwan est le frère que Josselin n’a jamais eu).
Le roman, c’est également une pluie d’hommages plus ou moins conscients.
Hommage à l’Art (on peut remplacer la soudure avec l’écriture, la peinture, …), au travail, au gout de l’effort, de la persévérance, à l’humilité.
Hommage à l’amitié. On repense à plein de films (l’auteur est également très référencé niveau cinoche).
Hommage à certains auteurs/artistes (je sais aussi que Sébastien est un lecteur et fan de Bouysse, sans doute de Ron Rash, peut-être un amateur du cinéma de Mallick aussi ?).
On y retrouve donc l’amour de la nature, de la terre, la référence à la petitesse de l’homme face à cette immensité terrestre comme céleste ; cette envie viscérale de sublimer, voire de personnifier, la nature et ses créatures (la chouette comme fil blanc du récit)
Mais plus que tout, ce qui m’a le plus séduit, c’est l’absence de tricherie. Pour lire ça et là les posts de Sébastien, pour savoir ce qu’il lit (ou chronique) comme bouquins, écoute comme chansons, je sais que le fond du roman n’est pas une posture ou une volonté opportuniste de suivre une mode, rien de factice dans ce qui anime l’auteur mais surtout l'homme. Ce roman est donc cohérent avec ce qu’il est et ce que j’imagine de sa vie (non, non, on ne poste pas des photos de radis ou de je ne sais quel cucurbitacées sur Facebook pour faire son écolo).
Ce roman lui ressemble beaucoup. Dans ses convictions, ses revendications, ses colères. Il parle de l’absurdité de la guerre, du cynisme des dirigeants du monde, des affres du capitalisme, de l’ultra consumérisme etc… tout ces thèmes sont autant de cris de Sébastien dans la bouche de Josselin, de Henri, même dans celle de personnages secondaires (l’infirmière qui évoque sans qu’on lui demande la pénurie de lits). Alors, on pourrait aussi lui reprocher que parfois, le procédé contestataire porte préjudice à un certain naturel ou à certaines réactions des personnages. Je m’explique. Je pense aux dialogues, très, (trop ?) écrits et qui marquent de manière trop voyante (pamphlétaires allais je dire) les intentions de l’auteur. Encore une fois, beaucoup d’auteurs utilisent leurs personnages pour porter leur propos mais ici, c’était peut-être trop surjoué (Josselin et Henri parlent comme des livres). Il n’en est pas moins vrai que la sincérité de Sébastien est incontestable.
Les personnages sont travaillés, approfondis, avec leur part d’ombre et de lumière. L’auteur a fait une place à chacun, tous ont leur part d’humanité (même le grand Charles, tout salaud qu’il est, on le sent tout de même sincèrement dévasté par la perte de son fils). Josselin est un beau personnage même si, là encore, pour un type traumatisé, meurtri par la guerre et ses horreurs, rongé par la culpabilité d’être en vie par rapport à Erwan, je me serais attendu à ce qu’il soit moins loquace, moins littéraire. Il parle et écrit bien (cf. Son échange épistolaire avec son ami décédé). On sait qu’il est abîmé, physiquement et psychologiquement, pas de doute, les failles et le traumatisme sont là. Mais je ne l’ai pas assez senti car l’auteur ne m’a pas laissé l’espace pour cela, les mots, nombreux, clairvoyants, ont trop souvent colmatées ces fameuses brèches. Pour ma part, je n’ai pas besoin de tant de confidences, de tant d’explications, j’aime bien qu’on me laisse des blancs, des cases à noircir. Mais c’est un parti pris de l’auteur, je respecte, mais ça m’a empêché de faire ses douleurs miennes.
J’aurai bien encore deux-trois chipotages à faire, mais ça ne changera rien à mon avis général, comme je l’ai dit, au tout début : ÇA RESTERA COMME UNE LUMIERE de Sébastien Vidal est un bon et beau roman que j'ai lu en quelques jours.03/05/2021 à 00:33 2
-
Seuls les vautours
4/10 J'ai hésité, mais finalement, après 195 pages, j'ai laissé tomber (même si je ne culpabilise plus, j'aime pas stopper une lecture).
Ce n'est pas tant qu'il y ait beaucoup de personnages (pas gênant) que le fait que l'auteur échoue à les rendre à minima intéressants. Beaucoup de protagonistes, aucun ne m'a retenu ou donné envie d'en savoir plus.
A cela s'ajoutent des informations inutiles, des détails sans importances et un humour de 100 kilos. Enfin, la "qualité" des dialogues (tellement important et casse gueule, les dialogues, je le répète. Quand on sait pas faire parler ses perso, on fait bref) ont eu raison de ma volonté. L'ambiance forcée (beaucoup trop de mots sans parvenir à créer une atmosphère) et tout ce remplissage....
J'ai bien compris l'hommage aux auteurs ricains et aux grands espaces, mais on est très très loin du compte, ça manque clairement d'envergure, de souffle, et puis encore une fois, on se fait chier sévère.
J'ai lu ça et là qu'on parlait d'une écriture d'exception ; je l'ai trouvé impersonnelle pour ne pas dire plate. Sur ces presque 200 pages, je n'ai pas trouvé les prémices d'un style.
C'est peut-être injuste, mais quand le premier livre d'un auteur inconnu (pour moi) ne fonctionne pas, les chances d'une récidive sont quasi nulles.
La vie est trop courte, j'ai une PAL qui dégueule et je ne suis pas éternel. Alors, voilà.06/03/2021 à 18:12 3
-
Station Eleven
7/10 Un Post-A plutôt « light » où l’auteur s’attarde surtout sur les personnages, leur histoire, leur vie (avant et après cette fin du monde). Dans ce roman, paradoxalement, c’est davantage la poésie et la mélancolie qui prédominent (le souvenir d’un quotidien banal : un interrupteur qui diffuse de la lumière, un avion dans le ciel…) il y a très peu de scènes de violence même si la mort est partout comme une invitée familière.
L’Art apparait comme un des remèdes pour le retour à la civilisation, mais finalement, il y a assez peu de scènes théâtrales. La construction du roman est le point fort (on ne se perd pas), mais je pense que pas mal de choses ont du m’échapper, et puis l’émotion est assez absente. Cela reste de la SF accessible, un livre qui fourmille de détails et de descriptions, mais auquel il m’a manqué UNE SCENE marquante pour que mon adhésion soit totale.17/01/2021 à 16:41 5
-
Le Jour des morts
8/10 Avec ce second opus, Nicolas Lebel monte en puissance….et son héros en humanité.
C’est pour moi, un des gros atouts de l’auteur (et ce que je recherche aussi dans mes lectures), celui d’avoir crée un VRAI personnage. Celui qu’on a envie de suivre et de (mieux) connaitre. Très loin du flic beau mâle courageux (j’allais dire Norekien) Merlicht est laid, bougon, old school (largué sur tout), il pue de la gueule, n’a plus baisé depuis des lustres, et misogyne avec ça. A cause et grâce à ça, son humanité sent à plein nez, elle transpire aussi bien que son érudition, son sale caractère ; c’est un personnage complexe, épicurien dont le cynisme et le lyrisme (ah cette scène de duettiste au restaurant du « Chaudron » avec le légiste, vaut son pesant d’envolées culinaires !) dissimule mal sa pudeur, ses blessures (il est « jeune » veuf) et sa fidélité en amitié est sincère et émouvante. Il y a du Audiard et du TonTon Flingueurs dans la verve du Merlicht, mais autre chose, peut-être un petit côté Gabin, en mode petit gabarit. En somme, il nous énerve autant qu’il nous touche, pour la simple raison qu’il fait vrai, authentique, qu’il nous parle, nous ressemble à bien des égards.
Mais les nombreuses qualités de ce roman sont aussi ailleurs. La construction est impeccable (bonne alternance des scènes et des nombreux personnages, on ne se perd jamais), l’intrigue (ingénieuse) fait aussi la part belle à l’Histoire, la culture (tout amoureux des livres y trouvera son compte sans que ça fasse étalage ronflant) ; bref, on apprend des choses en se divertissant, quoi de mieux ? L’écriture, peaufinée, a de la tenue tout du long ; détaillée, sans donner l’impression d’ameublement. Et le suspense ne baisse pas. Tout ceci est charpenté, solide, ça fleure bon le métier et pourtant ce n’est que son deuxième livre. Respect.
Les autres personnages sont également bien brossés, l’auteur leur a fait de la place, ils ont aussi leurs failles et leurs faiblesses, la droiture rigide du colosse Dossantos, et le caractère bien trempé (et fragile) de Sophie. Seul le stagiaire est lourdement assaisonné. Jacques, l’ami mourant, a aussi droit a ses moments, et d’ailleurs, c’est lui qui fait son entrée en fanfare.
Puisqu’aucun roman n’est parfait, je dirais que les dialogues sont parfois trop écrits, que le running gag de la sonnerie de téléphone…. ouais bon, et que le dénouement est expéditif, mais c’est vraiment pour chipoter.
Du bon boulot, je vous dis.
C’est fichu : Je suis LEBELlisé.
Next.11/11/2020 à 22:28 5
-
Surface
6/10 Pendant 200 pages, SURFACE répond aux attentes, ou plutôt aux miennes qui, à l’instar de ses précédents opus, n’ont jamais été immenses sans être pour autant petites. Le gars est un bon faiseur, et mine de rien, chez les Frenchies, ils ne sont pas légions.
Bref, je lisais, peinard, en me disant : « OK, ça roule tout seul, efficace, descriptif mais pas trop, nerveux, rythmée. Bref du Norek dans le texte ». C’est ce que je cherchais. All good.
Ensuite, c’est pas que ça se gâte, c’est que ça ronronne, et sans trop savoir pourquoi, j’ai commencé à m’ennuyer (juste un peu) sans vraiment m’emmerder (vous saisissez la différence ?).
Je ne peux pas dire que l’intrigue soit mauvaise, non, mais ça ne m’a pas non plus captivé.
Le final avec ses longues et pompeuses révélations grossièrement soulignées au marqueur (règle d’or : pas oublier d’assister le lecteur paresseux ou inattentif) ? Bof. Le dernier twist ? OK, ça passe crème.
Je ne peux pas dire non plus que le personnage principal (une femme) soit lisse et sans aspérités, l’auteur parvient malgré tout à lui donner une certaine densité même si le côté badass-au-coeur-grenadine, c’est du recuit.
Pas de scène marquante à se mettre sous la rétine (la seule qui me soit restée - No en califourchon sur son ex - est, malheureusement, aussi inutile qu’involontairement comique et ridicule).
Malgré ça, j’ai avalé ce livre sans rechigner, mais sans passion.
Au milieu du récit, Zorro (enfin Hugo) est arrivé. Sans se presser. Perso, je m’en serais allègrement passé.
Mais voilà, Norek est un indécrottable sentimental.
On peut être policier et être une midinette. Si un flingue est accrochée dans la main gauche du flic-auteur, dans l’autre cogne, il y a un bouquet de fleurs.
Est-ce pour satisfaire ses lectrices (75% de son lectorat si j’en crois la file d’attente dans les salons genre celui de Saint Maur par exemple), il n’a pas pu s’empêcher de coller à son enquête une love-story un poil guimauve et franchement dispensable.
Après, qu’on se le dise, chez Norek, ses héros masculins sont toujours des gars virils, ténébreux, courageux, avec un job risqué (le flic Coste dans la trilogie du 93, ici Hugo un plongeur) forcément irrésistible même pour les héroïnes féministes et fortiches comme Noémie qui derrière ses jurons de mec va fondre (très vite d’ailleurs) - cambrure de reins, et tout le barda de la gamine émoustillée - devant le beau mâle.
L’autre souci chez l’auteur, c’est qu’il se fait un peu trop plaisir avec les dialogues. Faut reconnaitre qu’il est doué dans ce registre (je précise : surtout dans le dialogue court, dans les grandes tirades, c’est plus poussif et même assez boursouflé), ça claque, mais voilà TOUS les personnages (les collègues, le psy, le boyfriend, certains villageois, ….) ont le goût de la punchline, de la bonne répartie et donc on a le sentiment qu’ils jactent tous pareil. Pêché de gourmandise, sans doute, pour lequel j’ai plutôt de l’indulgence.
Au final, SURFACE se lit vite, et globalement bien (j’ai même parcouru tous les remerciements qui confirment le fait que Norek, l’homme, m’a sincèrement l’air d’un chouette gars).
Pas un grand roman, pas naze non plus. Norek a d’évidentes facilités, et une vraie sensibilité, mais ne s’est pas trop cassé la plume sur celui-là. « IMPACT », son dernier roman, vient de sortir. Comme tous les autres, je le prendrais et le lirais. Mais en poche.
Voilà. Si je me précipite autant pour écrire sur le feu cette chronique (un poil bâclée, j’en conviens), c’est que demain, de ce livre, il ne m’en restera pas grand chose.31/10/2020 à 16:22 4
-
Nuits Appalaches
8/10 Chris Offutt est décidément un conteur d'exception.
La plume est juste belle sans être ostentatoire et factice, ses personnages brossés à merveille dans leur humanité, la Nature sublimée sans tomber dans le contemplatif chiant. C'est surtout ça que je retiens, ce dosage, incroyable, bien senti. Pas de déchets ni de superflu.
J'ai vraiment accroché avec le personnage de Tucker. Sa relation avec Rhonda est tendre sans être nunuche, le couple forme avec leurs enfants une famille "différente", mais attachante dans leur marginalisation. Tucker, vétéran de la guerre de Corée, si jeune et déjà revenu de tout, si délicat avec les siens, sans pitié avec ses ennemis ; l'auteur l'a parfaitement croqué et c'était loin d'être facile. Les dialogues sont également aux petits oignons, simples et profonds sans nous asséner de la philosophie absconse.
Enfin, il se dégage de ces NUITS APPALACHES une poésie empreinte d'une douceur âpre ; l'auteur ajuste savamment ses effets, la violence n'a pas la grandiloquence jouissive d'un Pollock, mais elle n'est jamais gratuite ni aveugle.
Le livre est court, plus resserré que le précédent (Le bon frère), ce qui fait qu'il n'y a pas de problème rythmique, encore une fois c'est savamment dosé, ajusté (certains le trouveront sans doute trop court, pas moi qui de plus en plus recherche dans mes lectures - et même dans l'écriture - ce sens de l'essence, cette rigueur, cette volonté de ne pas trop s'éloigner du récit, de l'histoire qui est racontée)
Une fois encore, Gallmeister ne s'est pas trompé.
Un très bon et très beau roman.13/09/2020 à 15:07 11
-
Dans les angles morts
8/10 Sous de faux airs de roman policier, et même de roman noir psychologique, ELIZABETH BRUNDAGE signe un livre dense et ample, à l’écriture précise et minutieuse, où plusieurs thématiques sont abordés et notamment des phénomènes de société (crise agricole, le féminisme, la vie de couple, les croyances, le poids de l'enfance), mais aussi l’art (la peinture), la philosophie…C’est un roman multiple, d’une terrible humanité. Ou plutôt d’une humanité terrible. Les apparences, la religion, la peur, la prédestination, tellement de choses sont abordés - habilement, sans forcer - que ça en donne le tournis.
L’auteure n'oublie pas de distiller progressivement et brillamment la noirceur d’une ambiance où les destins comme les nombreux personnages (tous sont suffisamment développés et fouillés dans toute leur ambiguïté) s’assombrissent, et nous rappellent combien les démons - nos démons - dorment en nous-mêmes. Subtilement, par la biais de cette maison (un personnage à part entière) qui semble « choisir ses propriétaires », il est même question de surnaturel, mais c’est très finement suggéré.
600 pages qui nous enveloppent et pour mieux nous happer, nous piéger, et même nous frustrer. Ne cherchez pas de moralité, la vie est souvent cruelle et injuste. D'une certaine façon, ce roman l'est et c'est pour ça qu'il sonne juste.
Précédé d’une excellente réputation, celle-ci est fondée : DANS LES ANGLES MORTS (super titre, meilleur que l’original) est en effet un grand roman américain.23/08/2020 à 16:55 3
-
La Blonde en Béton
8/10 Mon second Connelly, mais mon premier Harry Bosch.
Une franche réussite.
L'auteur coche toutes les cases du très bon roman policier. C'est du classique, mais dans le bon sens du terme, loin de la surenchère et des twists en mille-feuilles. Suspense, fausses pistes, documentation et scènes de plaidoirie réalistes, avec en outre des personnages très bien campés, y compris les secondaires (l'avocate Chandler, sacré bout de femme). Et la construction, nickel, comme l'écriture.
Harry Bosch fait un flic solide, mais vulnérable (et amoureux), pas encore trop rongé par le cynisme. Blasé, mais Il lui reste encore un peu de foi et d'idéalisme. Pour combien de temps ? La Blonde en Béton n'est que sa 3ème enquête, je crois.
Du bon boulot, donc avec en plus une résonance sur l'actualité (George Floyd). Un roman super efficace. J'en attendais pas plus, mais pas moins non plus de la part d'un type considéré comme une référence dans le genre. Une réputation non usurpée.
A bientôt, Michael.
A bientôt, Harry.29/07/2020 à 00:41 5
-
Je serai le dernier homme...
2/10 Ecriture hachée agaçante, répétitive, artificielle.
Intrigue poussive, incohérente.
Dialogues et réactions peu crédibles.
Personnage principal ? Le roi de la pleurniche. A baffer.
Le dénouement se passe de commentaires.
Que l'auteur me pardonne, mais voilà.18/07/2020 à 21:51 2
-
Mamie Luger
4/10 Voilà, c'était attendu.
Je me suis arrêté à la page 221 soit à 50% du roman. Je ne connaitrais donc pas le fin mot de cette histoire, mais paradoxalement, c'est un peu comme si j'avais été au bout quand même. MAMIE LUGER est le genre de livre dont l'idée de base repose sur une confrontation entre deux protagonistes, et sur la langue. Et pour que ça fonctionne, il faut que le duo fonctionne et que le style reste vivace tout du long. Or, ici, la dualité n'est pas assez stimulante pour tenir la distance sur 450 pages, et le style finit par être poussif.
Le déroulé n'est pas innovant (flash back), mais se tient bien, le hic c'est qu'au bout de 200 pages, le roman finit par tourner en rond, et progressivement vous ôte page après page tout le plaisir de la lecture, vous pousse à sauter un ligne, puis trois, puis tout un paragraphe et finalement, vous en venez à lire l'ouvrage en diagonale sans avoir le sentiment de rater quelque chose. Alors, à quoi bon poursuivre si ce n'est pour dire que j'ai lu un livre en entier ?
La question est la suivante : y avait-il moyen de faire autrement dans la construction ? Peut-être pas, mais sur la forme, il y avait moyen de pimenter le récit, de le rendre plus original, plus pêchu, sans doute. L'utilisation de l'argot ne suffit pas, et même qu'à terme ; il devient lui-même ennuyant par manque de percussion.
L'écriture, pas mauvaise en soi, est plutôt appliquée, mais pas assez emballante pour porter seule ce récit répétitif sur ses frêles épaules stylistiques. Le vrai souci porte sur les personnages, à l'image de l'ouvrage, trop prévisibles. Tout est si appuyé (comme pour si l'auteur cherchait à convaincre son lecteur par des procédés lourdingues), qu'ils en perdent leur mystère, leur épaisseur, leur truculence, leur crédibilité, bref, leur personnalité, leur "émotionnel". Et moi, mon intérêt à leur égard et leur histoire. Pshit, envolée l'empathie, l'émotion. Je n'ai pas dit, pas même souri, car je ne croyais en rien à ce que je lisais et surtout pas aux deux héros (surtout le commissaire).
L'auteur aura beau empiler les cadavres, balancer du Audiard à gogo (mais sans la profondeur et le punch) dans des dialogues qui en deviennent trop verbeux, le rythme reste (involontairement) indolent.
Je n'ai pas détesté, c'est presque pire, je me suis ennuyé. Et s'ennuyer en lisant, je ne connais pas pire sensation.
Au suivant.
14/07/2020 à 21:13 5
-
Je tue les enfants français dans les jardins
7/10 C'est presque un livre-documentaire dont j'ai englouti les 150 pages, la rage au ventre. Rien de nouveau dans le sujet, mais il est traité avec réalisme et une plume impeccable pour témoigner du quotidien insupportable (même si ça semble assez fou) d'une professeur d'italien dans un établissement "difficile" où cette dernière perdra bien plus que son idéalisme. C'est également le constat navrant d'une capitulation (des profs et des parents). Dans les bémols, je regrette le rôle très passif du mari, mais souvent, on ne voit pas les choses ou on les minimise. Rien ne très préjudiciable.
Le plus tragique dans tout ça, c'est qu'à l'image de l'héroïne, au moment du dénouement, le lecteur que je suis n'a éprouvé ni remords ni scrupule.30/06/2020 à 23:44 5
-
Le Verger de marbre
6/10 A l'image de ce que produit cet éditeur, LE VERGE DE MARBRE est un roman noir où la Nature (et les oiseaux porteurs de présages), sublimée par la plume poétique de Alex taylor, est un personnage à part entière, où l'ambiance est bien retranscrite et dont les personnages sont torturés, mystérieux, venimeux, fatalistes. Sans oublier ce parfum de Mythologie qui gravite tout autour.
De la bonne facture, donc, mais sans guère d'émotion et c'est mon principal reproche, pas d'empathie pour ce gamin de 17 ans, Beam. Il manque à ce livre quelques dizaines de pages en plus, une plus grande envergure, un souffle épique pour bien (ou mieux) comprendre certains enjeux (comme la présence de ce routier qui m'apparaissait comme la personnalisation du Démon) et certains sentiments.
A cela s'ajoute des ellipses (disparition de Clem) et une fin ouverte, en demi-teinte.
Gallmeister a déjà fait bien mieux, mais il demeure quelque chose d'assez obsédant de ce premier roman tragique.28/06/2020 à 23:24 3
-
Hôtel du Grand Cerf
7/10 Un roman policier "à la papa" avec un inspecteur à quelques jours de la retraite, un flic atypique du genre Maigret, mais en mode obèse et grossier qui, sous sa corpulence et ses propos gras, cache une subtilité et une intelligence fines (et une blessure).
La mise en route fut un peu longuette, les personnages secondaires nombreux (faut rester concentré) et le final un poil décevant, mais je ne regrette pas cette lecture.
J'affectionne ce genre de roman où tout ne repose pas sur l'intrigue (qu'on suit avec pas mal d'intérêt malgré tout) mais sur l'écriture (précise), les dialogues (cocasses), l'humour (noir), le personnage principal (une espèce d'ogre grandiloquent et amoral), et une certaine philosophie de la vie.02/05/2020 à 23:34 3
-
Les Yeux fumés
4/10 Je n'ai pas aimé.
De ce roman, je ne retiendrais que les pages 24-25 et le passage où il est question d'horizontalité et de verticalité ; un joli passage, puis quelques fulgurances ça et là ; bref des promesses éparpillées transformées en regrets, après la dernière ligne.
Il y avait moyen, pourtant, vraiment, et du potentiel pour donner à cette histoire, ces personnages, ce héros, une densité, une vérité, une force, une émotion, mais hélas ce mélange de brutalité et de douceur est diluée par une écriture trop balancée au petit bonheur l'inspiration, des sous intrigues avortées, des raccourcis, des personnages secondaires sacrifiés, des dialogues redondants, des formules bancales, au final tout un ensemble mal fichu fait de précipitation et d'efforts poussifs, de remplissage aussi.
Donner du relief à l'ennui, de la couleur à la grisaille, c'est pas simple. Là, je me suis trop souvent emmerdé. Et ça m'a agacé et, très vite, l'empathie pour Philippe dont je n'ai cru ni au mal-être ni à la détresse, est quasi morte-née.
Et puis, - et c'est une des premières fois que ça me fait ça - j'ai senti une forme d'impréparation narrative, presque une espèce d'improvisation, comme si l'auteure avait soudain pris conscience de faire du surplace et péniblement tentait de relancer son histoire, en usant d'effets parachutés et trop voyants : dialogues en enfilade (c'est vrai que ça parle beaucoup dans ce roman mais ça ne dit rien qui fasse avancer les choses où la psyché des protagonistes), en alignant des phrases banales ou inutiles. Ne pas faire de plan, pourquoi pas, mais pour ça, faut une rigueur, une maîtrise narrative, de l'originalité, de la poésie et des idées en stock.
N'est pas Marion Brunet qui veut.
Au final, ces 200 pages m'ont semblé interminables.12/04/2020 à 20:41 2
-
Un autre jour
3/10 Ce livre est à l'image de son dénouement : juste con.
Depuis l'excellent Shutter Island, les auteurs frenchies font des copycat, des variantes, des resucées d'ersatz plus débiles les uns que les autres.
Je ne vous parle même pas des dialogues, de l'écriture en général.
De la daube.23/03/2020 à 23:17 1
-
My Absolute Darling
7/10 Presque 3 ans après sa sortie, et tout le tintamarre qui va avec, j’ai lu ce roman ; et je dois dire que même si je ne le regrette pas du tout, j’en ai quand même un peu chié. Je pense qu’il aurait pu être allégé de 10% au moins soit une quarantaine de pages, facile, (beaucoup trop de descriptions relatives à la nature, la botanique, pas forcément toujours utiles, je trouve, ça m’a donné parfois une impression d’empilage et de remplissage un poil prétentieux ; il y aussi le long périple après la fugue de Turtle et la rencontre avec les deux garçons Brett et Jacob, un peu longuet) mais je n’en suis pas totalement convaincu, non plus tant le contexte extérieur joue beaucoup et jusqu’à la fin (le potager) dans la possible reconstruction de Turtle. Tout en écrivant ces lignes, à chaud, comme toujours, je réalise combien ce livre est compliqué à commenter, et je pense que, sur certains aspects, l’auteur l’a voulu ainsi (et notamment dans la psychologie des personnages, j’y reviendrais) et a donc plutôt réussi son pari.
Je vais commencer par ce qui m’a posé souci (un peu, beaucoup, je ne sais pas bien, c’est dire si je suis embarrassé dans cette tentative de chronique), à savoir les dialogues, tantôt emphatiques, quasiment théâtralisés qui m’ont souvent laissés une impression d’artifices, même si là encore, beaucoup avaient une profondeur véritable ; et d’autres redondants (même si, là encore, ce processus de répétitions : dans les paroles, la gestuelle, ritualise un quotidien qui joue son rôle d’amplificateur d’horreur). Ces dialogues, je les aurais plus facilement acceptés s’ils n’émanaient que d’un seul personnage (Martin, le père, très érudit), mais ce n’est pas le cas, Turtle et Jacob s’exprimant aussi avec une emphase un peu agaçante et factice.
Mais, le gros atout et ce qui me fait dire que MY ABSOLUTE DARLING demeure un roman tout à fait recommandable, est l’absence de jugement et de manichéisme ; et l’étude psychologique de ces deux principaux personnages ; de ces deux héros qui s'aiment, mais qui s'aiment (à se faire du) mal.
Martin est un homme cultivé, intelligent, plutôt lucide (limite nihiliste) sur le monde qui l’entoure (en tout cas, j'étais parfois d'accord avec ses réflexions) mais aussi paranoïaque et capable de sadisme. Je pourrais écrire des pages sur ce type qui, même la dernière page lue, n’en a pas fini de dévoiler toute sa complexité, ici, parfaitement rendue.
Idem pour Turtle, une guerrière qui cherche à fuir l’inexorable fatalité destructrice de son existence, dotée d’une résistance incroyable, mais aussi d’une fragilité qu'elle tente de cacher. Ce qui frappe dans la relation qu'elle entretient avec son père, c'est cette dualité intérieure, cette attraction-répulsion que j’ai mis du temps à la comprendre, à accepter et donc par voie de conséquence à pardonner, même si, en définitive, elle n’était coupable de rien. Oui, elle m’a agacé, exaspéré bien des fois, et je me suis presque entendu dire qu’elle était complice et consentante de son propre malheur. Je remercie l’auteur d’avoir fendu l’armure de cette adolescente meurtrie et traumatisée dans les 20 dernières pages où j’ai fini par ne voir que ce qu’elle n’a jamais cessé d’être, en définitive : une enfant.
Difficile d’exister pour les autres personnages tant ces deux-là écrasent le livre de leur charisme, mais le Papy, Anna (celle qui se rapproche le plus de l'image de la mère) et Jacob tirent leur épingle du jeu.
En toile de fond, planant sur cette tragédie, la mère de Turtle dont la mort reste(ra) mystérieuse jusqu’à la fin, mais qui est, je pense, la source sinon essentielle, le déclencheur de la fuite définitive, fatale, démente, de Martin. Alors, en parlant de Martin, on pourrait avoir de l’empathie pour le père de Turtle et Tallent s’y refuse et, il a rudement bien fait. J’ai vu l’interview de l’auteur, et ce dernier est clair : Martin n’est pas un être ambigu dans le sens où cette ambiguïté nécessiterait une forme de clémence ; non, ce type, quoi qu’il est vécu (le rejet paternel, la mort de sa femme) ne peut et ne doit excuser ses actes ; ce mec est clairement une ordure, un monstre, une crapule. Je suis d’accord. Je n’ai jamais eu pitié pour cet homme, et j’en suis presque soulagé. Néanmoins, ce bourreau et « sauveur » (aussi paradoxal que cela puisse sembler, Turtle lui doit sa survie) dont la cruauté, l’implacabilité, l’enseignement quant à la dureté de l’existence et qui fera de Turtle une terrible victime et une combattante d’exception, est un personnage assez fascinant.
Ce roman est celui d’une relation amoureuse, haineuse, toxique, dévastatrice et sacrificielle, mais aussi celui d’une lutte, d’une quête rédemptrice. J’ai aussi aimé que la violence, la peur, la tension ne cherche pas être spectaculaire tant elle se suffit à elle-même et dans ses scènes quotidiennes (des regards, des mots) ; que Gabriel Tallent ne cherche pas (comme beaucoup d’auteurs peu confiants en leur plume pour s’appuyer uniquement sur leur style pour impressionner) à vouloir choquer pour choquer ; ce qui est dit, montré ou pas, est largement évocateur et suffisant.
Les 30 dernières pages sont d’une vive intensité, une espèce de chasse l’homme (à l’enfant, plutôt) tendue, éprouvante.
Je pourrais développer davantage, mais il est tard et j’avoue ne pas être content de cette critique, hésitante, déstructurée, mais je savais qu’il serait compliqué d’exprimer avec acuité ce foisonnement de sentiments, malgré quelques certitudes ça et là.
En conclusion, je ne peux pas dire que j’ai adoré ce roman (des longueurs évidentes, de la grandiloquence dans les dialogues…), mais il y a déjà un boulot colossale, des personnages forts, et de quoi cogiter sur pas mal de trucs. Et un roman qui vous fait réfléchir et jacter jusqu’à minuit passé, ça ne peut pas être un mauvais roman.
Lisez-le, ça vaut quand même le coup.21/03/2020 à 00:32 3
-
Fausse note
7/10 Toujours le petit charme ronronnant (quand on aime les chats, pas étonnant) dans les romans et le héros bucolique de Guy Rechenmann.
J'aime aussi les romans qui digresse et donne un rythme indolent à l'ensemble et l'idée trompeuse que l'auteur se fiche totalement de l'intrigue pourtant solide et documentée.
La construction du roman est classique (passé/présent), mais efficace et Guy distille ses effets au fur et à mesure, mine de rien, il faut rester attentif.
Les personnages secondaires (Lily qui grandit et un nouveau venu, le partenaire Jérémy) renforcent le côté tribu familial de ce groupe attachant. Seul regret, j'aurais aimé en savoir un peu plus sur la femme de Anselme Viloc (un peu en retrait) et leur relation de couple, surtout après avoir été séparé si longtemps, peut-être dans un prochain opus.
J'ai encore passé un agréable moment, merci Guy.14/02/2020 à 06:20 2
-
Au lieu-dit Noir-Etang...
7/10 Un roman sombre, "old school" dans sa forme (rien de péjoratif, au contraire), très bien écrit à l'image de ceux qu'écrit Robert Goddard, en plus mélancolique et plus profond, peut-être. Un suspense subtilement distillé et une dénouement qui renforce la noirceur de ce récit où le romantisme est intimement liée au tragique.
Une bonne lecture.
Prix Edgar-Allan Poe en 1997.02/02/2020 à 23:34 6
-
Power
6/10 J’espère avoir l’occasion d’échanger de vive voix avec Michael Mention, dont je respecte le travail (et ici, du travail, il y en a beaucoup) et qui je le rappelle, m’avait beaucoup séduit avec « La voix secrète ».
Démarrer ainsi critique ne laisserait, à priori, rien présager de bon, penserait-on, à tort, car POWER a des qualités certaines, une sincérité, un rythme (j’allais même dire une rythmique au vu de la bande son), servi une « électricité stylistique » qui, hélas, finit par se retourner contre elle.
Je crois sans le garantir - et Michael, j’espère qu’on en causera - que l’auteur a été tiraillé entre le fait de raconter en profondeur l’histoire des Black Panthers en y creusant davantage le combat et tout le côté social (au risque aussi d’ennuyer le lecteur qui attendrait plus d’action) en évoquant l’existence des pauvres gens les inégalités, la dure vie des policiers aussi etc…un peu comme l’avait fait un Richard Price (Ville noire, ville blanche), bref faire un truc plus poussé.... et celui d’écrire un polar sec, nerveux, explosif, avec fusillades à la clé etc... et ainsi satisfaire un autre lectorat…
En définitive et malgré une documentation sérieuse (c’est d’autant appréciable que beaucoup d’auteurs paressent à mort dans ce registre) en dépit de son côté « listing » (on sent que l’auteur était soucieux de ne pas rien oublier des faits marquants des années 70) on se retrouve avec un roman assez bancal et dont la thématique reste, je trouve, trop en surface. C’est dommage.
L’autre qualité du livre et non des moindres, c’est l’écriture, mais là aussi, Michael Mention Mention abuse de son style « mitraillette » qui à terme devient contre-productif et trop redondant car surchargé à l’image des dialogues - pourtant OK - mais dont j’ai regretté l’uniformité si bien que j’ai eu le sentiment que Charlene, Tyron et Neil s’exprimaient pareil (même répartie, même gimmick, même réthorique). En parlant de Neil, j’avoue que je n’ai pas pigé ce revirement soudain et inexplicable (selon moi). C’est le vrai bémol en terme de psychologie, car si l’idée d’illustrer un parallèle entre l’embrasement, cette rage qui sévit dans les rues et celle qui est dans la tête d’un des héros est séduisante, cela m’a semblé parachuté et mal amené (aucun fait traumatique n’explique de façon convaincante cette folie meurtrière d’un gars qui au contraire et depuis le début est le plus rationnel et intellectuellement câblé par rapport à la bande de flics racistes).
Je reviens sur le style, car pour l’avoir déjà lu je sais de quoi Michael Mention est capable, c’est pourquoi, si j’ai beaucoup apprécié les 100 premières pages j’avoue qu’à la longue le côté ultra cutté, presque clipesque de l’écriture m’a un peu lassé. De mon point de vue (et je précise que ce n’est pas une leçon que je donne, étant techniquement à des années lumières de l’auteur), s’il s’était employé de temps en temps, sur certaines scènes (je pense aux scènes d’action qui m’ont étrangement parues abstraites), certaines descriptions, aussi les introspections des personnages (Niel notamment dont la dualité religieuse avec la violence de son métier était un bon sujet, tout comme la thématique de la perversion du Bien), à donner de l’amplitude à ses phrases, de les rallonger pour qu’elles créent un véritable souffle, cela aurait suffit pour provoquer une émotion (chez moi) qui ici est « saucissonnée » par le caractère trop souvent hachuré de la forme. Que ce soit dans les scènes d’action pour donner de la vitalité, OK, mais pas lorsqu’il s’agit d’intériorité émotionnelle où il aurait fallu (toujours d’après moi), des phrases plus denses, avec plus d'oxygène. Prendre le temps, quoi. Parfois, le répit a du bon.
En résumé, POWER est un roman ambitieux (trop ?), ultra travaillé, ultra documenté, pêchu, historiquement utile qui peut (doit ?) aussi être perçu comme une incitation à s’informer davantage sur ce pan de l’histoire, mais qui, parce qu'il reste coincé dans un entre-deux, pêche par son manque d’enjeu véritable (d'où un sentiment de répétition et de remplissage), qui finit par tourner un peu à vide.15/12/2019 à 00:09 7
-
Les Refuges
4/10 LES REFUGES est l’exemple même de ce qui se fait depuis quelques temps en matière de thrillers made in France et qui cartonne auprès des amateurs du genre. C’est un fait avéré, ça marche bien, quoi que j’en pense. LES REFUGES n’est donc ni pire ni meilleur que ce qu’on trouve par paquet de 12. Il s’agit d’un thriller balisé, calibré, planifié pour plaire au lecteur en lui donnant le sentiment agréable de conduire un véhicule hyper sophistiqué mais qui en fait se conduit avec deux doigts, quasi en mode pilote automatique, en donnant au lecteur une autonomie d’apparence. Tout est paramètre à l’avance, efficacement, il n’y a pas à se forcer dans l’implication, tout est mis en oeuvre pour vous soutirer ce que vous êtes venu chercher. Mais pour la nuance, la finesse d’analyse psychologique, faudra repasser.
Je n’ai aucun reproche à faire sur le sujet en lui-même. Il n’est pas original, mais perso, je m’en tape, tout a été écrit sur tout et je crois qu’on peut faire du grand avec un thème archi rabattu. La construction ? Pas de critique là non plus. Elle est classique (va et vient passé/présent, alternances des personnages, souvenirs…), ça me va aussi. J’ai lu les 50 premières pages sans pester. La thématique, pas novatrice (mais là encore quelle importance ?) est par essence intéressante (la mutation victime/bourreau, la culpabilité ). Le problème, alors ? Bah juste l’essentiel de ce qui fait une bonne histoire, bien racontée : le traitement. Après 50 pages correctes, l’écriture légère et imagée de JEROME LOUBRY devient plus chargée, artificielle, pompeuse. Mais à ce moment là, j’ignorais encore combien cette écriture allait tout saborder. Pour un auteur novice, LES REFUGES peut aussi se voir comme une sorte de manuel, un guide du « comment écrire un thriller pour les NULS ». Pas de méprise, quand je dis « NULS », cela ne veut pas non plus dire que le lecteur qui a lu et apprécié ce roman est un idiot. Non. Cela veut dire (pour moi, j’entends), qu’il est surtout désireux à ce quelqu’un fasse tout le boulot à sa place, ce lecteur-là cherche pas être trop sollicité, il recherche un confort (cérébral), ne veut pas perdre la moindre info en route, ne pas être frustré, s’assurer que tout lui sera clairement (et même le plus clairement possible) expliqué, quitte à ce qu’on souligne au STABILO les effets, qu’on (lui) répète plusieurs fois, qu’on premâche l’aliment pour favoriser l’ingestion. Inconsciemment ou non, ce lecteur là est conquis d’avance, déjà sur les starting-block, prêt à vibrer, ressentir à peu de frais, sans trop se fouler, bref ne pas « se prendre la tête quoi, car c’est un thriller et pas une oeuvre artistique, alors pourquoi chercher à écrire joliment, hein ?". LES REFUGES remplit toutes les cases pour ça. Pour être encore plus clair, si LES REFUGES était un animal, il serait un chien. Pour aveugles. Le lecteur n’a qu’à se laisser faire, se laisser guider. Suivre les balises, les pointillés. C’est tout. Qu’il ou elle se rassure, aucun risque de se planter, il/elle comprendra tout, absolument tout (les faits, les pistes, les indices seront répétés pour bien ancrés tout ça dans la caboche du lecteur paresseux) et pas que l’intrigue, mais tout le reste (les sentiments, les personnages, leur caractère, leurs pensées, tout est surexpliqué) car même si cela ne se soit pas, le roman est écrit au marqueur fluorescent. Bref, ne vous bilez pas JEROME LOUBRY se charge de tout. Il vous dictera (par le biais de ses personnages tous stéréotypés. Entre nous, qui peut croire à cette psy chevronnée et ce flic qui échangent comme deux ados prépubères ? ) ce qu’il faut penser, ressentir grâce au déluge ad nauseam d’adverbes, de qualificatifs, d’adjectifs, de points d’interrogations afin que vous fassiez votre les réactions de ses héros en prenant soin de ne pas vous laisser dans l’interprétation, ou l’incompréhension. Processus lourdingue d’identification. Vous l’avez compris, pour la subtilité, circulez y’a rien à voir. Le style LOUBRY pèse dix tonnes. Moi aussi, comme beaucoup de lecteur, j’aime être manipulé, qu’on joue avec moi, avec mes émotions. Je lis (presque que) pour ça. Le lecteur est un pantin consentant, et le romancier le marionnettiste. Donc, ce rôle de marionnette à la merci d’un marionnettiste, ça me va bien, je l’accepte avec plaisir. Encore faut-il que les fils soient transparents, et fins. Ici, les fils sont des cordes d’une épaisseur grossière, sans finesse, sans profondeur, un procédé prêt à l’emploi, bien rodé mécanique, conventionnelle, factice. Désincarné. Creux. Mais comme je l’ai dit au début, dans le monde du thriller (français notamment) ce procédé marche bien. JEROME LOUBRY l’a compris et sert (volontairement ou non) un repas prêt à consommer avec des personnages identiques (hommes, femmes, peu importe, ils pensent/s’expriment/réagissent tous pareils, avec des émotions très binaires, très compartimentés, très (pré)visibles, très manichéennes) Ne cherchez pas l’ambiguïté chez eux (et nulle part d’ailleurs), y’en a pas, zéro, nada, que tchi.
Rien n’y fait, tout ce que j’ai lu m’a laissé aussi froid que si je m’étais enfilé une glace MIKO en guise de thermomètre et ce en dépit du contenu au demeurant horrifique, révoltant, terrible. Mais voilà, il faut savoir écrire, avoir une patte, une identité littéraire pour susciter l’effroi, la compassion, l’empathie et ce sans en faire des caisses ou être élitiste, je rappelle). Savoir transmettre, ou juste faire percevoir une émotion nécessite une certaine habileté, je trouve. De cela, nait la puissance évocatrice qui stimule l’imaginaire et le palpitant. Rien de tout ça chez LOUBRY qui déroule sa recette, son guide, son manuel avec des effets pompiers et gras comme des loukoums. Je passe rapidement sur les dialogues plaqués lourdement, inutilement bavards, grandiloquents, souvent ridicules (« on danse avec le diable » répétés maintes et maintes fois, LOUBRY a dû lire LE CHUCHOTEUR) limite risibles ; tout ça au détriment de tout réalisme (et tous les « bordel de merde » qui sonnent terriblement faux n’y changeront rien), ce qui rend les personnages (enfants comme adultes) agaçants, presque neuneu. LOUBRY répète l’envi les évènements histoire de s’assurer que « ça va lecteur, tu as tout bien pigé, dis ? ». Matraquage du lecteur au marteau pilon. Au cas où ça rentrerait pas… Je passe encore sur des formules que je croyais révolues (« il n’en croyait pas ses oreilles » et autres expressions qui sentent la naphtaline). Y en a pas mal de ces phrases d’un autre temps. Les dialogues sont à l’image de la narration, boursouflés à mort. Impossible de croire à des réactions aussi télécommandées, des formules aussi ampoulées.Les personnages secondaires n’ont aucune consistance (Patrice le soi-disant ami du flic, par exemple). Je passe aussi les facilités scénaristiques (les explications ultra limpides et perspicaces et détaillées d’une gamine traumatisée histoire encore de faciliter le travail au lecteur, ces « refuges » où on entre et on sort un peu comme un chat tiens…), les pistes abusivement embrouillées (plus ça fait complexe, plus on se dit que c’est foutrement génial, c’est bien connu). Je passe enfin sur le dénouement. Bof. Une nouvelle couche sur un mille-feuilles déjà bien écoeurant. Et puis, n’est pas LEHANE qui veut, hein ? L’auteur a pourtant mis le paquet : il m’a parlé pêle-mêle d’atrocités, de viol à répétition, de suicides, de cervelle qui éclate etc…Pourtant, je n’ai pas plus sourcillé que si je lisais ma liste de courses AUCHAN. Plus l’auteur insistait en essayant de me tirer les larmes ou des frissons, plus je m’éloignais du récit en soufflant devant la mise en scène ultra théâtralisée, cette écriture-parpaing, tellement lourd tout ça, tellement mal fichu. Comme disait un célèbre auteur, je ne crois pas forcément à ce qu’on me raconte, mais COMMENT on me le raconte. Et là, j’ai parcouru avec une indifférence teintée d’ennui ces tragédies, ces horreurs illustrées avec des phrases débitées machinalement en enfilade, sans densité, sans aspérités, sans intensité, sans sincérité, sans conviction, sans vie, comme si le fait de dire des mots chocs suffisaient à créer le choc. Bah non, monsieur LOUBRY, ça ne marche pas comme ça (avec moi du moins).
Pour finir, si LES REFUGES est un roman médiocre, il n’est pas une bouse absolue. Il est juste un produit fade et en même temps indigeste, chargé en sucre à donf. On en trouvera des comme ça, mieux ou moins bien, encore et encore. Par palettes. Hélas. Il essaie de flirter (dans la thématique) avec SHUTTER ISLAND, mais LOUBRY est à des millards d’années du thriller de Denis Lehane.
Voilà, je l’ai lu, et déjà il ne m’en reste rien. Quand on sait ce que ça raconte, c’est assez paradoxal, mais ça démontre bien que sans style, la pire des histoires n’a aucun impact véritable et durable. Le succès public de ce roman ne m’étonne pas. Il n’est pas dénué d’application (mine de rien, il y a du boulot), ça se lit sans trop d’effort (même si j’étais pressé d’en finir, d’ailleurs on peut sauter des paragraphes et des passages entiers tant l’auteur meuble inutilement son récit), ça ne manque pas de soin, d’inventivité ou d’originalité dans le récit.
C’est juste dépourvu de personnalité, d’âme et d’émotion. De style, en somme. D’art, tout simplement.
Une seule chose me surprend. Que celles et ceux qui - comme moi - lisent très occasionnellement du thriller puissent y éventuellement y trouver de quoi combler leur dimanche pluvieux, je le conçois (moi même, j’en relirais un du même genre dans 6 mois ou un an). Ce que je m’explique moins, c’est comment des férues de ce genre (thriller), de ceux et celles qui s’en enfilent par intraveineuses depuis des années, peuvent encore, indépendamment de l’intrigue (qui je le redis n’est pas plus stupide qu’une autre) se laisser encore séduire par un traitement aussi scolaire et ennuyeux. C’était donc ça le prix COGNAC, le thriller de l’année, la claque du moment ? Sérieusement ?16/11/2019 à 17:53 7