thibe

130 votes

  • Bull Mountain

    Brian Panowich

    9/10 J’ai ouvert Bull Mountain après en avoir lu quelques critiques on ne peut plus élogieuses sur Polars Pourpres. Intrigué par ce qui semblait constituer un petit phénomène littéraire au rayon des romans noirs, je me suis lancé sans a priori (sinon celui que les histoires de cowboys et de trafic ne sont pas toujours les mieux réussies). Le moins que je puisse dire, c’est que je n’ai pas du tout été déçu. Le décor, qui s’étend de la Géorgie du Nord au nord de la Floride (Jacksonville). La Géorgie est particulièrement connue comme ce qui fut, historiquement, un des états les plus ségrégationnistes de la confédération sudiste (la Géorgie fut d’ailleurs le dernier état sudiste à rejoindre l’Union à la fin du 19e siècle). C’est plutôt un décor qui inspire la poisse et la haine, où la peine de mort est toujours pratiquée (attention aux assimilations évidemment, ne me faites pas dire que sa population en est infréquentable!)…

    C’est sur une sinistre montagne du Nord que le clan Burroughs règne. Enfin, ceux qui restent fidèles à l’héritage de plusieurs générations d’hommes enclins à une forme toute particulière de protectionnisme territorial. C’est de là haut que les Burroughs trafiquent leur came et règlent leurs comptes à ceux de la fratrie qui accepteraient de se plier aux lois de l’État. Il y a quelque chose d’animal dans le comportement des «purs» Burroughs. Ils reniflent leurs adversaires, ils fonctionnent à l’instinct, ils se comportent comme des loups en meute. Gare à ceux qui prendraient un autre chemin.

    Bull Mountain est résolument un roman aux strates multiples: c’est une saga familiale, qui s’étale sur au moins trois générations successives. C’est le récit de relations fraternelles tendues (l’image de Caïn et Abel, évoquée dans certaines critiques anglophones et en 4e de couverture, est adéquate), c’est l’histoire de fils et de pères qui s’entre-déchirent. C’est aussi la mise en scène d’une forme très particulière de vengeance, mais aussi celle d’un trafic d’armes et de came, celle d’une bande de motards infréquentables, celle d’une prostituée battue pour vouloir en faire trop auprès d’un client… les scènes se succèdent, les face à face sont particulièrement soignés et visuels, on entend et on voit les protagonistes et la tension qui les animent, aucune concession n’est faite aux personnages, on suffoque presque à la lecture de l’enchaînement de violence. On est pris de pitié pour certains, on comprend parfois le comportement crasseux des autres, on croyait savoir ce qui était juste, mais tant de poisse a le don de faire perdre certains repères ou de déplacer le curseur. La violence n’est pas délivrée gratuitement par l’auteur, il veut montrer quelque chose, il entend nous dire que la violence est, pour certains, fondatrice d’une histoire, d’une lignée. Que notre histoire se débat avec cette animalité violente qui nous constitue, que notre histoire est toujours rattrapée par cette violence. On est pris entre vengeance et perspective de «rédemption», entre innocence et culpabilité, entre justification de la violence et nécessité d’une paix durable.

    Le récit est découpé en chapitres relatifs à un moment spécifique de l’histoire du clan Burroughs, chapitres qui ne sont pas organisés selon l’ordre chronologique des événements. Si cette présentation peut avoir quelque chose de déroutant au début, le lecteur s’en accommode rapidement et assimile facilement la quantité importante d’intervenants. L’alternance est pensée de manière intelligente et force est de souligner qu’elle maintient un vrai suspense de bout en bout.

    Je regrette – c’est ma seule réserve – comme cela arrive parfois, le côté un peu trop caricatural de certains personnages, mais quand on est aux prises avec une histoire qui fait appel à une telle poisse, il est compliqué de ne pas tirer les traits de ses héros dans des directions diamétralement opposées.

    Avec Bull Mountain, Brian Panowich fait une entrée fracassante sur la scène littéraire. Si l’on se souvient qu’il s’agit là d’un premier roman, assurément, il s’agit d’une exception du genre! À n’en pas douter, Bull Moutain a tous les atouts pour devenir un classique de la littérature noire.

    18/05/2016 à 10:19 12

  • L'Honorable Société

    DOA, Dominique Manotti

    6/10 Un assez bon polar, qui nous fait goûter à l'univers des magouilles politiques, à la veille d'une élection présidentielle en France. La caractéristique qui m'a le plus frappé est le réalisme de l'intrigue, des personnages. Pas d'excès (enfin, pas trop). Dans un monde où chacun avance pour préserver son propre intérêt, tant les flics que les politiciens, les écoterroristes que le Parquet, agissent en calculant leurs actes. Un portrait d'une société où les idéaux semblent perpétuellement biaisés par ce qui nous permet de demeurer dans une certaine sécurité. Les louvoiements sont de rigueur, pas "d'attaque frontale" (hormis par la presse, et encore) dans l'univers de DOA et Manotti. Qui pour préserver sa position économique dominante, qui pour ne pas perdre la face vis-à-vis de l'opinion publique, qui tenaillé par la soif d'un amour à retrouver... Pas mal, mais pas un coup de cœur... Pas suffisant à mes yeux pour me convaincre.

    01/03/2016 à 07:44 6

  • La Tristesse du Samouraï

    Víctor Del Árbol

    10/10 Les premiers mots qui me viennent à l'esprit à peine ce livre refermé sont: brillant, passionnant, à lire impérativement, ciselé de main de maître, œuvre littéraire!

    D'entrée de jeu, j'ai été saisi par le style de la traduction de ce livre que je considère assurément comme une œuvre littéraire du 21e siècle. L'auteur nous fait voyager entre 1941 et 1981, dans la vie de plusieurs familles et citoyens espagnols, qui nous apprennent que notre présent se joue aussi dans le passé de nos familles. Pour moi qui n'ai de cesse de répéter à l'envi que nous ne sommes pas responsables des erreurs commises par nos ancêtres et par nos proches (maxime que j'ai encore répétée récemment dans diverses conversations privées), ce roman apparaît comme une véritable occasion de remise en question (mesurée) de mes sacro-saints principes! Et c'est bien une caractéristique qui fait pour moi d'un roman une œuvre inoubliable: quand le livre est capable de bouleverser mes évidences, quand il remet en question ce que je suis, ce que je pense, et que l'auteur distille des éléments de réflexion sérieux, étayés par une intrigue réalise... j'ai alors le sentiment d'être en présence d'un "grand" livre. En termes de qualités littéraires "objectives", je dois avouer que la manière fine qu'a del Árbol de mettre progressivement son récit en route, de poser ses personnages, de manier avec brio le contexte historique dans lequel ils évoluent, de décrire les gestes, les sentiments, les lieux, sans excès, mais avec une précision "immédiate" qui lui évite les redites... tout cela a produit en moi une véritable "réjouissance"!

    Il faut toutefois faire preuve d'attention dès le départ, afin de ne pas se perdre parmi les personnages qui constellent le récit. Il faut sans cesse garder à l'esprit les filiations, les affiliations politiques, les exactions de chacun... pour savourer pleinement la force de la plume de l'auteur.

    Le roman contemporain ne semble pas à même de nous livrer des monument tels ceux commis par Dostoïevski. Il est tributaire d'exigences commerciales que n'aurait certainement pas satisfait l'auteur de Crime et châtiment. Avec un livre tel que La Tristesse du Samouraï, on se prend à rêver de voir revenir le temps des grandes plumes, qui ont le talent de proposer des intrigues lisibles sur plusieurs plans. On peut suivre, simplement, les histoires familiales dans une Espagne en proie à ses démons. On peut aussi prendre pour fil conducteur les manipulations auxquelles se livre une poignée de partisans du franquisme... on peut par ailleurs savourer la mise en perspective de la figure du Samouraï et de ses codes d'honneur pour comprendre la complexité de ce récit...

    Vous l'aurez compris, La Tristesse du Samouraï est un de ces grands romans, que l'on se plaira sans doute à relire à un âge plus avancé... Un coup de cœur en ce qui me concerne!

    (il s'agit de mon premier 10/10 sur PP... à vrai dire je lui mettrais plutôt 9.5/10... il mérite plus qu'un 9, assurément)

    29/12/2016 à 18:10 12

  • Les Larmes noires sur la Terre

    Sandrine Collette

    6/10 J’ai lu le dernier roman de Sandrine Collette dans le cadre du Prix Polars Pourpres.
    A mi-chemin, j’avais livré un bilan mitigé de ma lecture… la seconde moitié a confirmé ce sentiment. Je m’en explique…

    Moe rate sa vie, et échoue à la Casse, cimetière pour voitures et purgatoire pour échoués de la société. Elle y rencontre un groupe de femmes, qui comme elles ont été « placées » dans ce centre destiné à héberger des personnes qui se sont retrouvées à la rue après bien des déboires. L’action se déroule dans un futur proche, quelque part entre 2020 et 2030 (bon, j’aurais pu être attentif aux détails pour proposer une meilleure évaluation). Nous découvrons les destins de celles que Moe rencontre et avec lesquelles elle partage son temps à présent, du travail aux champs à l’aide donnée à la vieille Ada.
    Le roman que Sandrine Collette livre aux lecteurs est servi par une écriture typée, qui se maintient de bout en bout. Et c’est là que réside la force du livre : l’écriture travaillée, le style « abouti ». Mais c’est aussi une de ses faiblesses : si le lecteur n’est pas réceptif à la forme, il pourrait presque stopper sa lecture. J’avoue avoir été victime de ce phénomène. J’ai failli abandonner, mais je me suis acharné car je voulais disposer de suffisamment d’éléments pour asseoir mon avis. Par ailleurs, la succession des biographies est pénétrante et les tableaux sont diversifiés. Mais du coup, le fil de l’action n’est pas « tenu » en permanence, le livre peut désorienter les lecteurs habitués à de l’action de bout en bout. La fin m’a laissé un sentiment mitigé…
    Bref, bien difficile à évaluer pour ce qui me concerne…
    Je dirais qu’il faut avant tout lire Les larmes noires sur la terre comme un roman, en mettant de côté nos catégories « polar » et même « roman noir ». Oui, c’est sombre, peu d’issues sont proposées au cours du récit. L’écriture est remarquable, mais elle nécessite une attention particulière. Ce n’est donc pas un roman noir « distrayant », pas non plus totalement « sérieux », mais son niveau ne le rend, à mes yeux, pas accessible à un large public.
    Je regrette personnellement un certain manque d’action mais est-ce suffisant pour le noter « durement » ? Je ne le crois pas. Ce sont les qualités intrinsèques du roman que je m’efforce de juger, pas uniquement mon ressenti. Dès lors, oui, je dois bien admettre qu’il s’agit là d’un « assez bon » roman – voire bon – mais à réserver à un public averti. Il risque de décevoir les friands de best-sellers.

    05/12/2017 à 18:21 12

  • L'été de cristal

    Philip Kerr

    8/10 Philip Kerr réussit, avec L'été de cristal, un pari audacieux: mettre en scène le Berlin des années '30, en respectant la trame de l'Histoire, la géographie des lieux, et les querelles intestines du régime du IIIe Reich, le tout à travers les yeux de l'hilarant - parfois cynique - Bernie Gunther.

    J'ai particulièrement apprécié ce cocktail d'humour et d'Histoire! Là où l'on pourrait penser, à bon droit, que "tout a été écrit", il reste encore aux auteurs la possibilité de déployer leur créativité. Kerr n'est pas en reste et il ne faut pas être grand clerc pour supposer que son œuvre marquera assurément le genre.

    Un bémol toutefois, si vous n'y connaissez rien en histoire du IIIe Reich, il se pourrait que bien des éléments et sous-entendus vous échappent. Non qu'il faille une culture hors norme pour lire Kerr, mais j'ai le sentiment que pour goûter pleinement à des romans de ce type, il faut soit en connaître suffisamment sur les relations entre Hitler, Göring et Himmler (notamment), soit être assez curieux pour fouiner quelques sources en parallèle de la lecture. J'ai personnellement combiné un peu les deux démarches, ce qui ne m'a nullement empêché de savourer cette amusante enquête.

    09/03/2016 à 07:42 11

  • Mygale

    Thierry Jonquet

    9/10 Mygale est un thriller absolument efficace ! En 150 pages, Thierry Jonquet réussit, en 1984, à proposer des personnages parfaitement campés, dont on ressent les émotions, à construire un récit où l’alternance des points de vue amène progressivement le lecteur à la découverte de la sombre machination dont Mygale est protagoniste. Relire Jonquet aujourd’hui nous rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’écrire des « pavés » pour satisfaire les lecteurs les plus exigeants ! Si vous avez une mini soirée libre devant vous, faites-vous plaisir en (re-)découvrant cette véritable bombe littéraire, qui ravira tant les amateurs les plus avertis que les « néophytes ». Tout simplement excellent !

    04/07/2016 à 18:03 11

  • Nulle part sur la terre

    Michael Farris Smith

    8/10 Un roman qui fonctionne bien, qui a bien des atouts pour plaire et pour convaincre. J'ai été "séduit". Les personnages sont rudes, certes, mais j'ai fini par m'attacher à Russel, à son parcours, à sa personnalité "entière", à ses silences...
    Une atmosphère parfois lourde, pesante, mais habitée d'un certain réalisme, avec des rayons d'une touchante humanité. On touche à des thèmes tels que la vengeance, la rédemption, la filiation, l'amitié, l'amour, la reconstruction, la résilience...
    Une très belle réussite qui plaira, assurément.

    13/01/2018 à 08:57 11

  • Débâcle

    Lize Spit

    9/10 J'ai hésité entre 9 et 10...
    Une pure merveille du roman noir. Sombre à souhait.

    Servi par une écriture fine, par une intrigue bien amenée, par une traduction élégante (bravo à Emmanuelle Tardif!), ce roman, d’une noirceur presque rebutante, rend compte des émotions et du parcours d’Eva, Pim et Laurens avec patience.
    Il faut le lire, il nous éclaire sur l’adolescence, peut-être sur les adolescents que nous avons été, sur ceux que nous côtoyons ou formons.
    Un roman ne donne jamais la réponse, mais je me prends à considérer Débâcle comme une perle de l’introspection adulescente (« u » intentionnel) version 21e siècle.
    Ça questionne, ça remue, ça bouleverse, ça prend aux tripe, ça noue la gorge... être témoin de ce qui se trame ici donne quasi envie de convertir l’impulsion qui nous habite en un acte de protection ou de confrontation avec certains protagonistes.
    À découvrir, en sachant que l’écriture et le récit ne laissent pas indemnes, qu’ils écorchent, qu’ils blessent presque... et qu’ils sont habités par cette noirceur réaliste qui constitue selon moi une des essences du roman contemporain. Nécessaire et urgent!

    07/09/2018 à 15:19 10

  • L'Affaire Léon Sadorski

    Romain Slocombe

    9/10 Dans le registre du polar, le rayon "historique" éveille souvent mon attention et mon avidité. Bien des romans ont été écrits sur cette période sombre des années 40. Romain Slocombe a réussi le pari de parfaitement intégrer son récit dans l'atmosphère d'une époque qu'il rend avec précision. Il fait coller l'intrigue au plus près de faits historiques. Quel travail, quelle maîtrise! Cela donne envie de se plonger dans la littérature historique consultée par l'auteur pour bâtir son histoire.
    Voilà donc un roman particulièrement soigné, et parfaitement accessible au plus large public (il vient de sortie en poche, n'hésitez pas).
    Attention, point d'humour dans ce livre, l'auteur "déterre" des éléments liés à la "mauvaise conscience" de la période collaborationniste. Le héros, dégoûtant et intriguant, se devait de rester "sobre". Nullement polémique, ce livre pose les jalons d'une lente prise de conscience de ce que fut, dans les faits, la collaboration. Loin de dresser un portrait stéréotypé, Slocombe se parfait dans le récit d'une tranche de vie qui se cherche.
    La suite (L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski) est dans ma PAL...

    14/09/2017 à 07:42 10

  • La Veille de presque tout

    Víctor Del Árbol

    7/10 Victor Del Árbol a le chic de nous emmener dans le passé d'une Espagne et d'une Argentine meurtries, à travers le regards de personnages aux destins déchirés, arrachés, pour lesquels l'avenir n'est même plus un vain espoir. L'écriture - et la traduction - est une fois de plus remarquable. On pourrait dresser une liste de "citations" d'anthologie. Par ailleurs, la manière dont l'auteur rend compte de grands conflits dans lesquels les pays auxquels ses personnages appartiennent est saisissante et permet de s'immerger dans leur Histoire. Un régal de ce côté-là. Avec des identités jamais assez sombres à mes yeux pour un roman noir. Daniel, Eva et Dolores (dans une certaine mesure) sont des personnages assez réussis.
    D'un autre côté, cependant, j'ai été quelque peu désarçonné par la narration, qui n'est pas linéaire - ce n'est pas là qu'est le problème - mais qui nécessite du lecteur une attention fine, voire des références historiques dont peu disposent en dehors soit de certains citoyens hispanophones ou d'un certain cercles de locuteurs francophones. Il s'agit par conséquent d'un roman excellent, mais qui manquera un peu d'accessibilité sur ce plan. Par ailleurs, pour des lecteurs qui disposent comme moi de 10 minutes par-ci, 20 minutes par là, et parfois juste 5 minutes pour lire 3-4 pages, on perd du coup parfois le fil de certains événements du passé. La lecture devient alors un peu trop aride, mais le tout est contrebalancé, comme déjà dit plus haut, par une plume maîtrisée.
    Dans l'ensemble, un bon roman, qui n'est sans doute pas le chef-d'œuvre de l'auteur. Je ne le mettrais pas sous le sapin pour un néophyte du roman noir, hormis s'il s'agit de l'offrir à un amoureux de la culture et de l'histoire espagnole et argentine.

    18/12/2017 à 09:05 10

  • Le Démon de la Colline aux Loups

    Dimitri Rouchon-Borie

    10/10 Un énorme coup de cœur!

    Duke vit une enfance immonde, éloigné du monde par ses parents, reclus dans "le nid" de sa fratrie. Brimé. Battu. Violé.
    Duke vit dans sa prison et écrit. Il s'écrit avec une conscience innocente, lumineuse, et fragile aussi.

    Le récit nous fait pénétrer au plus profond d'un sujet qui se construit, à travers une conscience qui s'exprime, qui s'étale, même. L'écriture est aussi saisissante que les faits. Duke y cherche un exutoire, une possibilité de se débarrasser du Démon, sans doute. Quel sera le prix de sa rédemption?

    Le roman plaira assurément aux lecteurs soucieux de la qualité littéraire des romans qu'ils dévorent. Rouchon-Borie "tient" son style de bout en bout. Il laisse Duke parler, ou plutôt, écrire, s'écrire. Il y a assurément plusieurs strates et portes d'entrée: la simple succession des faits relatés, l'enfance terrible de Duke, son rapport au bien et au mal, la place du style narratif dans l'histoire des récits autobiographiques, une manière "d'expliquer" le crime... chaque porte d'entrée permettra à mon avis à un large public de s'approprier ce récit, et d'y revenir ultérieurement.

    Je ne suis pas sorti indemne de cette lecture. Elle a tendance à "renvoyer à soi-même", à fouiller les recoins de notre esprit, à interroger notre rapport à la justice, à sensibiliser à l'importance du temps long de la construction de soi, à "comprendre" une certaine violence...

    Ce premier roman de Dimitri Rouchon-Borie, connu comme chroniqueur judiciaire, fera indubitablement date. L'accueil enthousiaste qu'il a reçu dans la presse est amplement justifié selon moi!

    23/03/2021 à 17:18 10

  • Meurtres pour mémoire

    Didier Daeninckx

    8/10 Encore un très prenant roman noir-socio-historique où l'on en apprend à la fois sur une page sombre de l'histoire de France, trop souvent oubliée, et sur les thèses politico-sociales de l'auteur. On en redemande (enfin, façon de parler)

    13/09/2016 à 08:25 10

  • Meurtres pour rédemption

    Karine Giebel

    4/10 Attention, cela risque de piquer aux yeux de certain(e)s par ici. Mais que puis-je sinon donner mon réel ressenti? Ne pas me frapper, de grâce!

    On est à mon humble avis loin, très loin même, de la "bombe" littéraire à laquelle on veut nous faire croire! J'ai lu la totalité du roman (parce que je ne veux pas donner un avis sans avoir tout lu jusqu'à la dernière virgule!). J'ai pourtant entamé la lecture de MPR avec conviction, en me préparant à passer d'excellents moments au vu des tas de critiques plus dithyrambiques les unes que les autres. J'ai rapidement déchanté, bien malheureusement... À contrecœur, d'une certaine manière, car je n'aime pas trop donner des avis qui frisent avec le négatif.

    On a d'abord droit à 500 pages répétitives à souhait, une description pas suffisamment fine ni documentée de l'univers carcéral, des clichés, beaucoup de clichés. Enfin, trop pour moi. On a droit à une histoire d'amour fleur bleue. À un peu de violence par-ci par-là (rien de barbare pour les friands de polars et thrillers, c'est même assez soft / l'érotisme est uniquement suggéré, par ailleurs, peu de mots "crus", des descriptions "en soie"). À une héroïne qui n'a pas grand-chose à offrir (enfin, façon de parler). À des sentiments éculés, sans originalité à mes yeux. La deuxième partie reprend le schéma de "dépendance" de la première, et, à quelques scènes près, l'intrigue est tout de même capillotractée!

    S'il faut qu'un roman se lise vite et soit "prenant" pour en faire un bon bouquin, alors je remets mon tablier. Non, ce n'est pas ce que j'attends d'un polar/thriller/roman noir aujourd'hui. Je risque de m'attirer une huée d'indignés, je maintiens que: oui, ce bouquin peut se lire à tout allure (bien qu'il ne soit pas suffisamment rempli par des scènes "cliffhanger". Oui, il plaira parce qu'il est facile. Mais pour le lecteur que je suis, roman "facile" n'est pas nécessairement synonyme de bon roman. Il faut du fond, il faut de la plume, il faut un chouia d'originalité. De fond, MPR en manque cruellement (on est dans un imaginaire pas très construit et stéréotypé). Quant à la plume, certes, l'auteure sait écrire, mais je serais curieux d'établir des statistiques des champs lexicaux utilisés. Cela ne brille pas d'une richesse particulière. Sans être "mal" écrit non plus. D'originalité, , bof, là c'est subjectif, mais la cavale de Thomas Bishop dans Au-delà du mal m'avait nettement plus convaincu. Et il y avait du fond (et c'était il y a plus de 30 ans!).


    Bref... ne passez pas nécessairement votre chemin, faites-vous une idée de ce qu'il vaut. Assurément, il risque de ne pas faire la joie des lecteurs qui apprécient, comme c'est mon cas, des intrigues documentées, fictives mais crédibles, rocambolesques mais fortes, des sentiments complexes et des descriptions puissantes. Il continuera de ravir cependant un large public. Heureusement qu'il existe des telles voies d'entrée dans l'univers de la lecture, bien évidemment!

    20/01/2017 à 09:09 10

  • Mr Mercedes

    Stephen King

    9/10 Avec Mr Mercedes, Stephen King se profile, plus que jamais, en véritable maître de l'écriture et de la narration. Au départ d'un fait divers tragique, mais à la trame simple - une Mercedes qui fonce dans une foule de personnes à la recherche d'un emploi - King nous embarque dans une enquête fort soignée, à la recherche de "Mr Mercedes". Point de surnaturel ni de fantastique ici. Un récit qui nous fait découvrir, avec finesse, la psychologie des personnages principaux: Mr Mercedes lui-même, Bill Hodges "l'Off.-Ret." qui "mène" l'enquête, Jerome Robinson, Holly Gibney, Janey Trelawney... chaque portrait est bien trempé, bien pensé, bien cadré...

    Certes, d'aucuns pourraient reprocher à King de ne nous proposer qu'un "simple" roman policier, dans la lignée de ce qui se fait aux States depuis quelques décennies. Qu'est-ce qui fait la force particulière de celui-ci? Personnellement, j'ai été séduit par le mélange polar/roman noir (la situation familiales de Mr Mercedes est d'un abject manifeste, la ville du Midwest américain où se déroule l'intrigue n'est pas au top de sa forme, un inspecteur à la retraite qui vivote entre télé et alcool...), j'ai trouvé la manière de décrire les personnages remarquable, j'ai particulièrement été séduit par les différents rythmes de la narration, et toujours avec cette dose d'humour et de cynisme qui caractérise les écrits du King. Le chassé-croisé entre Bill et Mr Mercedes, les détours nécessaires pour en venir au but, sont "crédibles". On progresse "lentement", "à pas lents", vers le "meurtrier". Alors oui, il y a toujours l'élément qui fait que "tout bascule" et que l'enquête s'emballe, mais, contrairement à beaucoup d'autres polars du même style, j'ai trouvé la progression assez "continue", la rupture de continuité n'intervenant que petit à petit. Quand Stephen King se met à écrire dans un genre qui lui est moins familier, il parvient immédiatement au meilleur niveau.

    16/03/2016 à 09:49 10

  • Né d'aucune femme

    Franck Bouysse

    10/10 Dans une époque sans doute située à la charnière des 19e et 20e siècles, dans sa petite église, le père Gabriel apprend, en confession, des informations assez troublantes quant à une femme décédée à l'asile proche. Celle qui se confesse à lui prétend avoir laissé sous la robe de la défunte les "carnets de Rose", qu'elle le supplie d'emporter lorsqu'il viendra bénir son corps. Il promet!
    L'homme d'Église, troublé, tiendra sa promesse, profitant d'un moment de solitude avec la disparue.
    Au cœur de la nuit, Gabriel se plonge dans le récit de Rose, qu'il recopie patiemment, et qu'il livre au lecteur...
    Rose, aînée d'une famille de quatre filles, vivait à la ferme, avec son père et sa mère. Ayant fait le deuil de la possibilité d'avoir un fils, ceux-ci exploitent tant bien que mal leur lopin de terre. Mais les ressources se font rares, ils subsistent à peine. Aussi, autour d'une table de bar, le père en vient-il à commettre l'innommable en allant jusqu'à vendre sa fille Rose, 14 ans, au Maître des Forges, contre une somme qui devrait permettre à sa famille d'assurer sa subsistance. Rose entame alors une nouvelle vie, au service d'un homme et d'une vieille, passant outre les mise en garde d'Edmond, jardinier des Forges, qu'elle rencontre dès son arrivée dans le domaine. Prise au piège, Rose se trouve alors rapidement sous l'emprise du Maître et de sa mère. L'innommable se trame, ne lui laissant aucune échappatoire. C'est la souffrance qui entre alors en scène...
    Il est des romans que j'ai peine à refermer après en avoir lu le dernier point. Des romans dont je voudrais qu'ils ne s'arrêtent pas, tant ils me bouleversent. Tant ils ont a dire de l'humaine condition. Tant leur écriture est travaillée, réfléchie. Tant le récit laisse entendre l'intimité des voix de ses narrateurs. Tant leurs mots peine à cesser de résonner une fois le livre refermé. Malgré leur dureté. Malgré l'horreur.
    Franck Bouysse m'a ébloui par son style. M'a touché par la sensibilité avec laquelle il est parvenu a créer chacun des personnages et à leur donner vie. À dévoiler leur plus profonde intimité, tout leur laissant aussi la grâce ou la lourdeurs de certains secrets; cela a provoqué en moi ce sentiment "d'épaisseur" envoutant, me procurant un authentique plaisir de lecture, au-delà de l'effroi.
    Le fond de l'histoire a quelque chose de sordide. Et elle serait "plate" voire "juste violente" (elle l'est "aussi"), si Franck Bouysse n'avait pas pris la peine de construire une mise en abyme qui permet de garder le souffle, de prendre distance. C'est le récit de Rose lu et recopié par le P. Gabriel que nous lisons essentiellement. D'autres narrateurs interviennent, qui mettent en perspective ce qui se trame. Je sais gré à F.Bouysse de proposer aussi de puissantes réflexions sur l'acte même d'écrire, sur la mémoire, sur ce que nous pouvons faire de notre passé et, bien, évidemment, sur la souffrance, sur son absurdité, et sur l'espérance, aussi... je demeure à présent troublé par cette phrase de Marc, citée par Gabriel: "le fils de l'homme doit beaucoup souffrir, [...] il doit être tué, s'il veut ressusciter. Il n'y a rien à ajouter".
    Un coup de cœur total!

    03/10/2019 à 07:44 10

  • Seules les bêtes

    Colin Niel

    9/10 Un réussi de la première à la dernière ligne! Colin Niel nous emmène dans un décor rural (mais pas que...) pour nous faire découvrir à petits pas ce qui a bien pu arriver à la richissime Evelyne Ducat. Le récit est rempli d'amour et d'humour dans une atmosphère presque vaudevillesque. L'auteur est parvenu à donner corps aux différents narrateurs, de manière bien agréable pour le lecteur. Alors oui, il y a les coïncidences et le côté rocambolesque propre à une certaine manière de considérer notre littérature "fétiche". Mais qu'est-ce qu'on prend du plaisir! Les "quêtes" des 5 narrateurs successifs sont parfaitement "huilées" et on sent toute la maîtrise de l'auteur. Jamais je ne me suis ennuyé au cours de ma lecture.
    À partir d'un portrait qui aurait pu être sombre d'une certaine détresse du monde agricole rural, où les relations familiales et où l'amour sont parfois un tabou, Colin Niel frappe un grand coup, et nous livre une sorte de satire sociale, sans basculer du côté de la caricature.
    Un coup de cœur! À ne pas hésiter à mettre sous le sapin en cette période :-) (il ravira les experts du genre et il donnera du plaisir aux néophytes)

    22/12/2017 à 11:05 10

  • Entre deux mondes

    Olivier Norek

    7/10 Olivier Norek est devenu en quelques années un “chouchou” des lecteurs et lectrices de polars. Code 93, son premier roman, avait “propulsé” l’auteur au rang de ceux qui savent y faire, encouragés par des maisons d’édition capables de “flairer” les “bons filons”.
    Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire ailleurs, Code 93 a été pour moi une “révélation” qui m’a fait revenir à la lecture de polars et romans noirs, que j’avais abandonnés quelque peu depuis de nombreuses années. Bref, vous aurez compris l’importance de Norek dans mon propre parcours.
    Certes, je ne le range pas parmi les “tous grands”, parmi les “exceptions” du genre (question de goût), mais il n’en demeure pas moins qu’il possède des qualités d’écriture qui le rendent digne de figurer au rang des auteurs incontournables du polar français de ces dernières années. Espérons qu’il ne se laisse pas “avoir” par les seules exigences des éditeurs qui ont – c’est compréhensible pour la survie des “maisons”, nul reproche de ma part ici! – aussi leurs “exigences” en termes de rythme de publications…
    Cela étant, venons-en “au fait”!
    La “crise” migratoire… Calais, sa “Jungle”, sa police, ses habitants, leurs craintes, leur solidarité... La Syrie, la guerre, la répression de Bachar, la résistance d’une frange de sa population, les victimes de la guerre, ceux qui n’ont rien demandé et qui fuient… D’un côté une famille syrienne qui fuit vers l’Europe afin de trouver refuge et d’échapper à la répression, de l’autre un policier français et sa famille, leurs questions, leurs doutes, mais aussi cette flamme qui brûle en faveur d’une humanisation des relations entre “locaux” et migrants. S’agissant d’une question très sensible dans la mentalité de nombreux européens de l’ouest en particulier, Norek joue sur la corde raide, laissant entrapercevoir les arguments des uns et des autres. La réalité n’est ni tout à fait “pile” ni tout à fait “face”. Sans être un roman “engagé”, Entre deux mondes est rempli d’humanité. Les contours de chacun des personnages sont clairs, ou s’éclaircissent au fur et à mesure du récit.
    Les inévitables concours de circonstances – qui font bien les affaires des protagonistes –, propres au registre du polar, sont au rendez-vous. Les descriptions sont claires, et les moments d’introspection restent “à fleur de peau”. Si Olivier Norek s’est évidemment bel et bien informé de la situation et s’il a bel et bien passé du temps dans la Jungle (ce qui se ressent à la lecture), le lecteur “hyper exigeant” raillera peut-être un manque de noirceur, des personnages peut-être un peu trop “prévisibles”, ou une narration dans laquelle les acteurs, quand ils pensent, jouent tout de même sur les stéréotypes.
    Mais il faut dépasser quelque peu ces éléments “convenus” pour se rendre compte que Norek ose et réussit un pari risqué: celui d’offrir à un très large public une porte d’entrée qui permet d’amorcer une authentique réflexion sur le sens de nos politiques migratoires, sur le sens de la fraternité, sur les difficultés de l’accueil, sur le rôle de nos forces de l’ordre, sur les parcours extrêmement diversifiés d’êtres humains qui cherchent légitimement un “présent” serein, à propos de tous ces enfants, ces femmes et ces hommes qui cherchent simplement à pouvoir vivre le présent aussi sereinement que possible… C’est ce qui fait à mes yeux la véritable force de frappe de ce roman et on ne peut qu’en remercier l’auteur!
    En définitive, Entre deux mondes est un roman facile d’accès, qui aborde avec justesse une problématique polémique, sans mettre de l’eau au moulin de celle-ci, en jouant avant tout sur les sentiments et sur les rapports d’amitié et de solidarité qui peuvent naître entre des êtres humains. Et il ne s’agit nullement d’une “stratégie” pour se démarquer ou éviter de prendre une position politique, mais bien plutôt de la griffe de l’auteur qui, depuis ses débuts, nous offre des polars remplis d’authenticité dans les relations humaines.

    20/10/2017 à 10:20 9

  • J'étais Dora Suarez

    Robin Cook (UK)

    8/10 Robin Cook nous offre un tableau époustouflant! Tout est très bon dans ce livre: les descriptions des scènes, le caractère franc et direct du policier anonyme qui occupe le centre du récit, le criminel poisseux, le crime odieux... bon, certes, je comprends qu'on puisse émettre certaines réserves face au portrait assez "chien" qui sous-jacent au flic-héros. J'ai pour ma part personnellement pris ce livre (et le duo anonyme-Stevenson) comme une belle grosse claque. Tout scénariste qui entend montrer des policiers durs et face auxquels nulle répartie ne suffit se devrait de lire et d'étudier attentivement ce bouquin! Le héros parvient en outre à rendre Dora terriblement attachante... quelques belles et profondes réflexions parsèment l'ouvrage qui est résolument très bon et que je conseille vivement!

    21/11/2017 à 07:00 9

  • L'Étoile jaune de l'inspecteur Sadorski

    Romain Slocombe

    9/10 J’avais adoré le premier volet. Ce deuxième volet de l’histoire de Sadorski confirme tout le bien que je pense de Slocombe. Entre le polar et le roman historique, Slocombe nous livre un récit brillant, à la documentation extrêmement maîtrisée. Il parvient une nouvelle fois à convaincre du caractère détestable de son personnage principal, tout en livrant un témoignage sensible et parfaitement balancé de la terrible réalité des Juifs de France durant la 2e Guerre Mondiale.
    La rafle du Vel d’Hiv est relatée avec réalisme, horreur et sensibilité aussi.
    Ce livre est bien « au-delà » du polar, il réveille notre conscience, titille notre rapport à l’histoire.
    Je serais heureux de remercier de vive voix ce tout grand auteur français!

    26/02/2021 à 18:37 9

  • La pâle figure

    Philip Kerr

    9/10 Un polar historique qui, une nouvelle fois, enchantera le lecteur! Relire la période avant 40 avec le regard de Bernie Gunther est à la fois hilarant, grinçant d'humour décalé, et passionnant, tant on sent la maîtrise que Kerr a de l'histoire de l'Allemagne nazie. Comme d'autres, je l'ai encore préféré à L'été de cristal, tant l'intrigue policière est encore mieux menée à mon goût. A conseiller sans hésiter.

    13/09/2016 à 08:28 9