El Marco Modérateur

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  • Le Haut Mal

    Georges Simenon

    8/10 … ou comment la mort presque anodine d’un homme, tombé d’un grenier alors qu’il était dans une crise d’épilepsie (surnommée « le haut mal ») plonge dans une série de rebondissements dramatiques des familles et toute une communauté. Comme toujours chez Georges Simenon, une écriture où la concision le dispute à une insondable acidité, avec ces nombreux seaux de vitriol balancés à la face d’une société figée et bienpensante. Tout le monde en prend pour son grade : la famille du défunt, avec un père détruit par le deuil, soucieux de récupérer l’exploitation agricole à tout prix, prompt à étaler son argent tout autant que de se saouler. Mais c’est surtout la famille Pontreau, la belle-famille (d’ailleurs tout sauf « belle »), qui est maltraitée par les descriptions acerbes de l’auteur. La mère est un véritable suzerain régnant sur sa progéniture avec une main de fer, dans un système matriarcal sans la moindre faille, tandis que ses filles sont reléguées au rang de pâles sujettes. De cet accident, des drames surviendront, comme la mort d’un enfant écrasé, une jeune femme qui finira par briser le carcan familial et voler de ses propres ailes malgré les pressions, et toute une communauté sclérosée être secouée par les rumeurs, la vindicte publique et autres bêlements de la foule. On retiendra de nombreux passages pittoresques, comme le marché que fait la mère Pontreau, ou encore la scène du cortège funèbre et des funérailles. Et l’aspect policier réapparaît au beau milieu du livre (page 101 dans l’édition que j’ai eue entre les mains), avec un rebondissement intéressant entraînant toute une série de chantages, tensions et autres germes de catastrophes à venir. Le roman se clôt sur une scène très sobre, plusieurs années après le cœur de l’intrigue, et envoie, en quelques paragraphes, en quelques phrases, une vision désespérée du monde tel que le voit Georges Simenon, où se disloque la structure familiale. A mi-chemin entre le roman policier noir et la littérature blanche quoique sacrément noire tout court, une nouvelle pépite, moins connue que les autres peut-être, à extraire de la bibliographie abondante de cet immense écrivain.

    16/12/2018 à 18:26 4

  • La Secte et l'assassin

    Guy Hugnet

    9/10 L’affaire Xavier Dupont de Ligonnès a passionné les médias. Un homme visiblement au-dessus de tout soupçon, qui tue son épouse et ses enfants, dissimule les cadavres, multiplie les pistes de diversion avant sa fuite et disparaît définitivement. Et c’est justement l’absence de cadavre de ce bourreau qui, si l’on peut dire, entretient la flamme de ce cas criminel. Le journaliste Guy Hugnet a mené pendant six ans l’enquête à ce sujet, et c’est ce livre documentaire qui est le fruit de ses recherches. On pouvait craindre un ouvrage écrit avec une agrafeuse comme il est coutume de dire, c’est-à-dire accumulant les diverses chroniques et articles publiés à ce sujet, et réunis dans un recueil sans âme. En fait, rien de tout cela. L’auteur a patiemment étudié la psychologie des divers protagonistes, remonté le cours du temps, interviewé des proches comme des spécialistes (psychologues, policiers, ainsi que des spéléologues), et consulté de nombreux messages laissés sur des forums de discussion sur Internet par Dupont de Ligonnès. Au-delà de la reconstitution, Guy Hugnet laisse également ses avis, sentiments et intuitions, toujours délivrés avec retenue et professionnalisme, sans jamais tomber dans le défaut majeur de l’élucubration infondée, le sensationnalisme sordide ou le goût du voyeurisme. Il rétablit ainsi avec beaucoup de précision le parcours d’un homme qui a basculé dans la folie criminelle. Dandy éperdu d’Amérique, bel homme, amateur de sensations. Une jeunesse prise dans le carcan d’une éducation religieuse très stricte en raison de l’appartenance de sa mère à une maison religieuse proche de la secte (« L’Eglise de Philadelphie »). Un entrepreneur à l’intelligence rare et féconde dont les concepts marchands ont tous abouti à des échecs patents. Un « élu » foudroyé lorsqu’il s’est rendu compte que les préceptes dévots inculqués depuis toujours étaient fallacieux. Un être miné de contradictions et de paradoxes, dissimulant sous les apparences de la normalité voire de la sociabilité un homme froid, calculateur, imbu de sa personne, et dont le dernier éclat aura probablement été de s’éclipser, dans une grotte varoise d’après l’auteur, après avoir multiplié les contre-feux (départ précipité en Australie, travail secret avec la DEA).

    Un portrait saisissant d’une énigme humaine, aussi terrible que nébuleuse, dont la disparition mystérieuse et la non-découverte de son cadavre ou de sa piste ménagent encore un réel appétit de la part de la foule et des médias. Un colossal travail de reconstitution de la part de Guy Hugnet avec ce supplément d’âme que constituent ses propres conjectures, toujours nourries de ses études de terrain. En un mot : passionnant.

    03/12/2018 à 17:03 3

  • La Lézarde du hibou

    Denis Julin

    8/10 Un homme parcourt la Haute-Vienne et ses alentours, en quête de vengeance. Méthodiquement, il va tuer plusieurs personnes qui, par le passé, ont fait du mal à lui ou à sa famille, et signe ses crimes en laissant une pièce près de la victime. Celui qui estime être un « hibou », c’est-à-dire un individu simple et honnête, va enfin prendre sa revanche sur les malfaisants.

    Ce premier ouvrage de Denis Julin séduit dès son amorce. On comprend d’ailleurs assez vite que l’écrivain n’est pas à la recherche du tape-à-l’œil, de la surenchère sanglante ou de la traque du tueur en série machiavélique. Nous sommes ici dans une littérature policière on ne peut guère plus humaine et crédible, puisqu’elle nous narre la croisade armée d’un anonyme qui a décidé de se réveiller et de châtier celles et ceux qui ont offensé ses proches. Le chauffard responsable de la mort de sa fille, celui qui lui a fait porter le chapeau dans une histoire de vol, mais également un commerçant très cynique, un ancien voisin particulièrement indélicat… Tous les nuisibles qui ont un jour eu le malheur de s’en prendre au protagoniste de ce roman vont le payer. Il est d’ailleurs évident que l’on n’a pas affaire à un énième Charles Bronson ou rédempteur de cet acabit, capable d’encaisser les coups comme les balles. Notre héros n’a pas véritablement de nom ni de prénom, a un physique quelconque, en vient même à douter de sa vendetta meurtrière lorsqu’il découvre en l’un de ses anciens bourreaux… un homme devenu prêtre. Aucun jugement moral de la part de Denis Julin, juste la description de cette razzia. Avec des mots fins et habiles, l’auteur nous invite également à de jolies digressions géographiques et touristiques en fonction des lieux visités, rendues fort agréables par une langue poétique. Dans le même temps, alors que l’on suit le parcours de notre justicier raconté au présent, nous avons également droit à la traque du policier, Romain Antoine Lazarus Brunie, obstiné et malin, accompagné d’une délicieuse Lætitia, et qui saura se faire aider tout au long de son investigation, notamment par une ancienne institutrice qui aura des démonstrations de profiler.

    Un roman qui séduit par sa maîtrise autant que l’intelligence et la modestie de ses propos. Avec un final émouvant proche d'un film très connu, on ne peut qu’être charmé par une lecture aussi humble, délicate et humaine.

    03/12/2018 à 16:55 3

  • Juju a disparu

    Agnès Laroche

    7/10 Sam se rêve détective privé, et ce n’est pas son jeune âge et son handicap – il est dans un fauteuil depuis un accident de voiture – qui peuvent refroidir ses ardeurs. Il fait la rencontre d’Agathe et Nina, ses nouvelles voisines, et c’est à ce moment-là qu’il apprend que la sympathique Juju, une retraitée qui aime nourrir les animaux au parc Trompette, a disparu. Ni une ni deux, et encore moins trois, le trio de limiers se met à enquêter.

    Ce premier tome des apprentis détectives séduit immédiatement. Ton alerte, écriture simple et efficace, personnages attachants, Agnès Laroche prend la main de ses (jeunes) lecteurs pour ne plus jamais la lâcher. Qu’est-il donc advenu de la gentille Juju ? A-t-elle été enlevée ? Pourquoi retrouve-t-on certains de ses effets dans le jardin ? Pourquoi la traînée de graines de tournesol s’arrête-t-elle subitement sur le trottoir ? Ce sera un foulard constellé de licornes appartenant à la disparue qui mettra les enquêteurs sur la piste. L’écrivaine parvient à rendre l’intrigue intéressante et efficace sans pour autant user des sempiternelles ficelles de la littérature policière, avec donc de l’originalité, et également sans faire couler la moindre goutte de sang. De l’humour, de l’espièglerie, et un suspense pour autant solide, pour ce roman pertinent et atypique, qui constitue un petit régal.

    03/12/2018 à 16:52 2

  • Connexions dangereuses

    Sarah Cohen-Scali

    9/10 Pour tromper l’ennui qui la guette, une élève de troisième, Virginie, propose à l’un de ses amis, Bastien, un jeu assez pervers : qu’il sorte avec Delphine, une nouvelle venue au collège, qui a des allures de nonne. Le début d’une correspondance par courriels, et l’issue de ce prétendu divertissement pourrait se montrer fatale.

    Connue de nombre de jeunes lecteurs, Sarah Cohen-Scali livre ici une relecture remarquable d’un classique de la littérature du dix-huitième siècle, à savoir Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos. Transposée dans un vingt-et-unième siècle dans lequel les mails ont remplacé les courriers papier, l’intrigue n’a absolument rien perdu de sa tragique modernité. Elle met donc en scène plusieurs adolescents, tous collégiens, dont les interactions vont avoir des conséquences désastreuses. Virginie, presque petite amie de Bastien, dont l’oisiveté la pousse à proposer ce défi immoral. Bastien, photographe amateur mais talentueux, d’abord enclin à accepter avant de se prendre au jeu de l’amour. Delphine, fraîchement arrivée d’Afrique du Sud, et dont l’aspect rigoriste dissimule un corps à se damner. Audrey, gamine au physique plus qu’ingrat, passionnée d’équitation, ravagée par des attouchements incestueux, et qui va lentement se transformer pour réapprendre à plaire. Il y a également Francis, un bas du front éperdument épris de Delphine, proche de l’extrême droite. Ce sont là les principaux protagonistes de cette sombre histoire, qui seront tous malmenés voire broyés par les enchaînements d’événements. Sarah Cohen-Scali se glisse à merveille dans les âmes et cerveaux de tous ces jeunes, depuis la manipulatrice jusqu’au comparse, de la pauvre môme au bord de la déchirure mentale à la triste chenille ayant oublié le magnifique papillon qui sommeillait en elle. Et ce qui est surprenant dans ce roman, c’est également sa forme : uniquement des mails, de la bonne vieille correspondance papier ou des extraits de journaux intimes. En cent quatre-vingts pages, l’écrivaine nous fait vivre toutes les émotions ressenties par ses personnages, que ces derniers se montrent cruels, complices de lâcheté, sur le chemin de la rédemption psychique ou désarçonnés par des amours imprévues.

    Une excellente transposition d’un ouvrage majeur, à l’intrigue toujours aussi efficace et crédible. Un tour de force de la part de Sarah Cohen-Scali.

    03/12/2018 à 16:50 4

  • Les Fiançailles de M. Hire

    Georges Simenon

    8/10 … ou la déchéance de M. Hire, s’étant consumé d’un amour à la fois subit et inachevé pour Alice. Comme toujours chez l’immense Georges Simenon, une incroyable économie de mots et de descriptions, ce qui n’empêche en rien ce roman d’être un festin de maux. De ce M. Hire, on ne sait finalement que peu de choses, et c’est justement cette vacuité, presque cet anonymat, qui rend ce personnage d’autant plus fort. Un physique replet, une moustache lambda, et voilà, le portrait est dressé. Il faudra d’ailleurs un interrogatoire avec un policier pour en savoir plus sur son passé de petit escroc, vendeur de littérature litigieuse, ayant purgé une peine de prison, vivant encore d’expédients douteux. Un as en bowling, et même ses collègues de jeu ne savent rien de lui, en venant même à penser qu’il est policier. Ce sera donc la vue d’Alice au cours d’un moment de voyeurisme qui le poussera faussement à croire en une inclination partagée entre ces deux êtres alors que l’on enquête encore sur la mort d’une certaine « Lulu » dont le cadavre a été découvert dans le voisinage. Un drame sombre, dont on se doute du terme, mais qui ravit néanmoins de bout en bout. D’ailleurs, l’aspect policier n’est guère l’axe central usé par l’auteur, puisqu’il dévoile au chapitre cinq, c’est-à-dire à la moitié du roman, un élément fondamental qui aurait pu constituer un ressort narratif essentiel si l’auteur avait cherché un habile rebondissement à glisser vers la fin de son opus. Le seul élément m’a finalement manqué, c’est finalement la brièveté de l’histoire qui m’a empêché de réellement ressentir la méfiance voire l’aversion des voisins de M. Hire à son égard, incinérant ainsi une part non négligeable du drame à venir et une peinture plus complète de la haine ordinaire, nécessairement sotte et bêlante.

    02/12/2018 à 17:40 5

  • Les Incurables

    Jon Bassoff

    9/10 Walter Freeman vit de sombres jours : on lui refuse de pratiquer la psychiatrie comme il l’entend, sa femme lui tourne le dos et son fils, décédé, lui manque énormément. Cet homme, qui s’estime visionnaire, utilise la lobotomie transorbitale : pour soigner les fous et leurs maux, enfonce la pointe d’un pic à glace sous l’œil en s’aidant d’un marteau. Freeman emmène avec lui Edgar Ruiz, le dernier patient qu’il a soigné, et commence à écumer les routes américaines. Jusqu’à arriver à Burnwood, Oklahoma. Pour le plus grand malheur de tous.

    Après Corrosion, c’est ici le deuxième roman de Jon Bassoff à être traduit en France, et ce n’est rien de dire que c’est un régal. Si Walter Freeman a réellement existé, cet ouvrage ne constitue nullement sa biographie. En fait, l’auteur va exploiter ce personnage et en faire sa marionnette littéraire. Particulièrement opiniâtre, homme de science persuadé de détenir au bout de son pic la panacée pour guérir bien des confusions mentales, le bon docteur anime des sentiments contraires chez le lecteur, entre volonté d’empathie pour cet homme brisé et écœurement par rapport à la technique médicale employée. Lui et son collaborateur vont alors arriver à Burnwood et découvrir quelques individus inquiétants et croustillants. Scent, jeune prostituée qui tient à tout prix à quitter sa position, souvent horizontale. Sa mère, vêtue d’une robe de mariée en attendant le retour de son époux, ce dernier ayant participé à un braquage et connaissant l’emplacement du butin. Grady, Vlad et Kaz, trois terribles frères prompts à jouer de la lame et décidés à se venger. Durango, un garçon que son père, Douglas Stanton, considère comme le Messie… Une magnifique brochette de créatures singulières, et qui vont se montrer mortelles. Jon Bassoff a composé une intrigue riche, gravitant autour de personnages atypiques et fracturés, et ce n’est pas un secret de révéler que ces êtres vont se croiser, se télescoper et se désintégrer au gré du récit. De véritables instants de grâce baroque côtoient des moments de violence et de cruauté, et jamais le soufflet ne retombe, la tension allant même crescendo dans les ultimes chapitres où s’enchâssent rédemption, religion, quête mystique, ferveur collective, et expérience barbare de la lobotomie.

    Sur la quatrième de couverture, Ken Bruen qualifie ce livre de Vol au-dessus d’un nid de coucou réécrit par Elmore Leonard, et l’on ne peut qu’approuver une telle appréciation. Un incontestable festin de maux et de mots, pour une balade déjantée et bouleversante dans un patelin de l’Oklahoma que l’on n’est pas près d’oublier.

    19/11/2018 à 18:06 11

  • Les Lois du ciel

    Grégoire Courtois

    9/10 Douze enfants d’une classe de CP partent en excursion dans une forêt de l’Yonne avec trois adultes accompagnateurs, leur instituteur et deux mères d’élèves. Une sortie tout ce qu’il y a de plus banal en apparence, pour retrouver les joies de la vie en communauté et le plaisir de la découverte sylvestre. Pourtant, une succession de drames inimaginables vont faire basculer la nuit en tragédie.

    Grégoire Courtois, dont on avait déjà adoré Suréquipée, signe ici un livre noir. Très noir. Peut-être l’un des plus noirs qu’il ait été donné de lire. Une plongée sans la moindre concession dans la violence, l’horreur et la sauvagerie, toutes les trois on ne peut guère plus humaines. En moins de deux cents pages, l’écrivain livre un véritable brûlot, incendiaire et incendié, un magma de brutalités et de férocités. Lors de cette sortie, tout s’annonce pourtant bien, ou au moins sans le moindre nuage d’alerte venant planer au-dessus des quinze têtes. Pourtant, dès la sixième page, l’image d’un escargot volontairement écrasé par un gamin turbulent indique la tournure à venir. Rapidement, les troubles se multiplient : une accompagnatrice atteinte de diarrhée qui doit partir, une autre qui ne retrouve pas le campement, une erreur d’inattention d’un conducteur à cause d’un geste inopportun, et un enseignant qui se lance dans la narration d’un conte à propos d’une souris, de goëlands et d’une parabole intitulée « Les Loi du ciel », et le sang jaillit. Il y sera alors question de folie, de survie, de bois enténébrés dans lesquels les gamins, livrés à la démence meurtrière de l’un d’entre eux, vont faire le terrible apprentissage de la terreur et de la souffrance. Non loin de Sa Majesté des mouches ou du film Délivrance, se tient ce roman monstrueux de Grégoire Courtois. Un opus d’autant plus sidérant qu’il n’y a ici aucun effet facile, pas de grosse ficelle ou de twist scénaristique, auxquels un auteur en mal d’inspiration aurait pu faire appel. C’est la lente désagrégation d’un groupe de mômes, éclaté par l’aliénation cruelle de l’un des leurs, et qui vont subir d’atroces répercussions, depuis des pièges vénéneux jusqu’au malheureux accident routier en passant par l’intervention d’un sanglier affamé. Indéniablement, cette histoire ne saurait plaire à tout le monde, car l’accent est posé avec force sur la bestialité humaine, la perte des valeurs les plus élémentaires et l’anomie totale, avec un trait si violent qu’il en viendrait presque à perforer le papier. Quiconque lira les pages gores concernant le sort de Fred, l’instituteur, ou le repas final du sanglier, ne pourra qu’acquiescer.

    Un ouvrage barbare, qui porte le lecteur à ressentir un flot d’émotions âcres et contraires, de la fascination au dégoût, de l’empathie à la violence. Une pépite de primitivité qui secouera indéniablement, notamment en raison de l’âge des pauvres protagonistes de cette courte et sombre mésaventure.

    19/11/2018 à 18:03 10

  • Vintage

    Grégoire Hervier

    9/10 Thomas Dupré n’a rien d’un aventurier. Vingt-cinq ans, il a actuellement un emploi dans un magasin de guitares à Paris, et il écrit des piges obscures pour des revues musicales. Quand le propriétaire du commerce lui demande de se rendre en Ecosse pour apporter à un fortuné châtelain une guitare, ce n’est que le début d’une sacrée série de péripéties, à la recherche d’un instrument mythique : la Gibson Moderne.

    Grégoire Hervier signe ici un ouvrage on ne peut guère plus rock ‘n’ roll. Tonitruant, mené tambour battant, c’est une excellente partition qu’il compose et suit, avec une réelle fougue. Indéniablement fan de rock et de blues, l’auteur ponctue cette quête de riches informations sur nombre de guitaristes éminents et adulés : Jeff Beck, Jimmy Page, Eric Clapton, Muddy Waters, Billy Gibbons, et Robert Johnson pour ne citer qu’eux. Thomas Dupré, intrépide et attachant personnage, va alors se mettre à la recherche d’un instrument qui n’a peut-être jamais existé, et dont la simple évocation suffit à retourner les sangs des aficionados de musique. Une six-cordes exclusive, millésimée, à la sonorité exceptionnelle, et pour laquelle on est tenté, au choix, de débourser des sommes astronomiques pour l’acquérir, ou tuer. La France, l’Ecosse, Sydney, Memphis, Clarksdale, Chicago, New York, la Louisiane : un incroyable périple, fécond en rencontres où alternent accords majeurs (personnages hauts en couleur et croustillants) et mineurs (découvertes souvent sombres à propos d’un joueur appelé "Li Grand Zombi"). Le ton de Grégoire Hervier est primesautier, efficace, usant de toute son énergie pour des dialogues au cordeau, une remontée vers le passé fertile en renseignements, et la traque d’une guitare si mythique qu’elle se substitue sans mal aux trésors des romans d’aventure et autres repaires de tueurs en série. Bien évidemment, ce livre s’adresse en priorité aux fans de musique – et plus précisément de blues et de rock ‘n’ roll, mais son enthousiasme est si communicatif que l’on prend un indéniable plaisir à suivre la chasse de Thomas pour cet objet de convoitise, qui se situe quelque part entre le domaine de l’art et celui de la religiosité.

    Un immense moment de ferveur littéraire et musicale, sacrément original, culotté et jubilatoire, loin d’être anecdotique et superficiel, et dont le titre alternatif aurait pu être From The Cradle To The Grave, à tous les sens du terme.

    19/11/2018 à 17:57 4

  • Sous terre, personne ne vous entend crier

    Gilbert Gallerne

    8/10 L’interpellation d’un bandit surnommé « Le Serbe » tourne au désastre, et le commissaire Lionel Jonzac sait qu’il va s’en prendre plein la tête par sa hiérarchie. Mais une nouvelle bien plus tragique vient effacer la première : on vient de retrouver le cadavre de sa nièce dans les catacombes de Paris. Tuée, avec sur le corps d’étranges traces de morsures. Un duel sanglant entre les deux hommes commence, d’autant que le tueur en série qui rôde dans les souterrains de la capitale semble en avoir après le policier.

    Gilbert Gallerne signe là un roman particulièrement efficace et prenant. D’entrée de jeu, on est saisi par le rythme de l’intrigue, la cadence de défilement des chapitres (particulièrement courts, il y en a environ quatre-vingt-dix), et l’entrain de la plume de l’auteur. Ce dernier sait rendre crédible les personnages policiers, avec leurs méthodes, leur vocabulaire et les traits caractéristiques de leur métier. Parallèlement, l’intrigue est très bien construite, donnant notamment à voir un tueur en série singulier, écumant les abîmes parisiens, partageant plusieurs pans du passé de Lionel Jonzac, et dévoré par une surprenante double identité révélée dans les ultimes pages – celle qui distingue Mikael de « l’Autre ». Gilbert Gallerne alterne habilement les séquences – émotion, tension, procédures policières, courses-poursuites, combat, et même si quelques éléments sont un peu téléphonés, force est de reconnaître que ce livre met assurément dans le mille.

    Un ouvrage qui emprunte volontiers aux codes du thriller américain tout en taillant des croupières à ce dernier, en ayant en plus le bon goût de conserver son âme et son sens acéré de l’action. On en redemande !

    19/11/2018 à 17:54 7

  • Maigret et Monsieur Charles

    Georges Simenon

    7/10 Le dernier opus de la série consacrée au commissaire Maigret, et même s’il ne fait pas partie des meilleurs, j’ai pris, comme d’habitude, un grand plaisir à le lire. Nathalie Sabin-Levesque, celle qui demande à Maigret de retrouver son homme disparu depuis un mois, constitue la pièce maîtresse de ce roman. Alcoolique invétérée, pratiquant l’autodestruction par les breuvages, son portrait psychologique domine cette œuvre où le côté policier n’est que peu présent, finalement. Un livre qui porte avant tout sur la déchéance, les amours éconduites, les grandes déceptions du couple, la tragédie du délaissement et de la solitude, et dont le dénouement, au chapitre 8, à la fois sacrément court et chargé d’émotions contradictoires, n’est finalement guère important au niveau de l’intrigue, puisque chaque lecteur l’aura quasiment résolue tout seul de son côté. Et c’est également un roman sur le doute, puisque Maigret ne cesse de douter : quant à son travail (il refuse dès la deuxième page de devenir le chef de la PJ et entrevoit déjà sa retraite, dans trois ans), à la personnalité intime de Nathalie (avec un brin de compassion qui fait qu’il la désigne souvent par son prénom), et aux trajectoires qu’il doit donner à son investigation.

    18/11/2018 à 19:00 3

  • La Fille qui se faisait des films

    Yannick Dubart

    8/10 A l’hôpital, Emma est soignée suite à une attaque cérébrale. Elle est obligée de partager le peu d’intimité qui lui reste avec Marie-Ange, une vieille dame qui ne semble plus avoir toute sa tête. Toutefois, sa coloc de fortune intrigue Emma en lui parlant de la mort étrange d’une dénommée Chantal au cours des années 1950. Sans trop savoir pourquoi ni comment, la quadragénaire va se mettre à enquêter… et pénétrer dans la gueule du loup.

    Avec ce roman, Yannick Dubart offre une histoire prenante et sacrément efficace. Usant d’une plume alerte, sachant prendre le temps de décrire les ambiances et les psychologies, capable de sacrés calembours, l’écrivaine dispose d’un large éventail d’aptitudes littéraires. On se passionne rapidement pour le personnage d’Emma, mère imparfaite, essayant de remonter la pente après son AVC, luttant de toutes ses forces pour ne pas laisser son apparence physique se dégrader, conserver une forme de dignité, et retrouver l’amour. Elle est également capable d’une rare opiniâtreté, puisque son investigation va la conduire à faire la connaissance d’une artiste spécialiste de l’urbex sur le retour, mettre à nu de terribles secrets de famille et s’approcher de bien trop près d’un tueur sans le moindre scrupule. Comme l’indiquent le titre et l’ingénieuse couverture, Yannick Dubart creuse la dimension cinématographique pour son récit. Chaque chapitre porte d’ailleurs le nom d’un film célèbre. Progressivement, le lecteur verra apparaître un lien, d’abord chimérique, puis réel, avec le septième art. Et c’est un joli tour de force que réussit l’auteure : bâtir une intrigue parfaitement crédible, être capable d’y apporter un souffle de nouveauté et de créativité avec la piste des longs-métrages, et imprimer un joli rythme à son histoire pour que jamais le lecteur ne décroche.

    Un premier ouvrage offrant autant de moments de tension que de décontraction. Yannick Dubart séduit avec ce roman délicat et pertinent, juste et plausible. On en redemande.

    04/11/2018 à 18:14 6

  • La Dernière Expérience

    Annelie Wendeberg

    9/10 Octobre 1890. Anna Kronberg a été enlevée par James Moriarty, et l’on retient son père en échange de sa complicité en matière de bactériologie. La jeune femme va devoir aider ses ravisseurs à développer une arme dévastatrice à l’aide de bacilles pour préparer une éventuelle guerre mondiale. Anna va devoir déployer des trésors d’ingéniosité pour contrecarrer les plans de Moriarty tout en feignant de s’impliquer dans cette tâche létale. Sherlock Holmes lui sauvera-t-il la vie ?

    Après Le Diable de la Tamise, Annelie Wendeberg revient avec ce deuxième opus de la série consacrée à Anna Kronberg et Sherlock Holmes. S’il est bien évidemment conseillé de les lire dans l’ordre, un rapide résumé de l’épisode précédent permet sans mal de raccrocher l’histoire. Et il ne faut alors que quelques pages pour être envoûté. L’ambiance, sombre, angoissante, est parfaitement restituée. Anna constitue un modèle de personnage, et l’on comprend rapidement qu’elle puisse composer la colonne vertébrale de la saga. Elle est forte, opiniâtre, experte dans le domaine des armes biologiques (ici, la morve et le charbon), d’une rare intelligence, ayant lutté dans sa jeunesse pour se grimer en homme et ainsi pouvoir suivre son cursus universitaire auprès de collègues masculins. Les moments mettant en scène les études des bacilles sont passionnants, et l’on en vient à s’enthousiasmer lorsque émanent les réflexions et conjectures quant aux meilleures maladies à employer pour anéantir l’ennemi, les voies idoines pour les propager, les solutions souhaitables pour s’en prémunir en cas d’accident, etc. Mais ce qui retient davantage l’attention, c’est la nature de la relation ambiguë qu’Anna va entretenir avec James Moriarty. Un étrange jeu du chat et de la souris, avec son alliance d’émotions contraires, entre syndrome de Stockholm, répugnance, volonté ardente de sauver son père, mais aussi attraction, désir trouble, et flamme inavouable. Un envoûtant huis clos, qui va durer cent-quatre-vingt-quatre jours, une réclusion remarquable d’intensité psychologique, au terme de laquelle Annelie Wendeberg a suffisamment d’énergie et de malice pour imposer quelques rebondissements remarquables.

    Le personnage de Sherlock Holmes a souvent été réemployé par des auteurs contemporains, avec un bonheur inégal. Annelie Wendeberg réussit le tour de force de ressusciter le plus fameux limier de la littérature en lui adjoignant un personnage féminin si marquant qu’elle en vient à lui tenir tête en terme de panache et de mémorabilité. Un succès total.

    04/11/2018 à 18:07 4

  • Androgyne

    Gérard Bertuzzi

    7/10 Une série de meurtres ensanglantent le Nord de la France. Rouen, Compiègne, Soissons. Des hommes poignardés. Le suspect est aperçu, mais vaguement. Est-ce un homme ? Une femme ? Impossible de se prononcer avec certitude. L’équipe de gendarmerie, menée par le commandant Bourbon, mène l’enquête.

    Gérard Bertuzzi, à qui l’on doit déjà Disparitions en Picardie, Le Sang des cors et Les Inconnus du vol 981 saisit d’entrée de jeu l’attention entière du lecteur. Un serial killer redoutable et nébuleux, des gendarmes sacrément tenaces et blagueurs, et une ambiance fertile en mystères. La plume est très agréable, alternant moments de tension, humour potache des limiers, et instants permettant de cerner, graduellement, la psyché de l’assassin. Les chapitres sont également dynamiques, particulièrement courts (un peu de mathématiques : quatre-vingt-seize chapitres pour environ cent-quatre-vingts pages), permettant d’alterner les divers points de vue. Les doutes des détectives vont se multiplier, les hypothèses échafaudées sont toutes intéressantes (comme celle d’un tueur sillonnant la nationale 31), avant que la lumière n’apparaisse progressivement. Une sombre histoire de représailles, toute en cruauté et en crédibilité. Si l’ensemble du livre est un petit régal qui mérite plus qu’amplement d’être découvert et médiatisé, on regrette juste que la personnalité du tueur en série n’ait pas été davantage creusée. En effet, l’idée de l’androgynie était alléchante mais n’est, au final, que peu abordée.

    Un roman où le noir et la dérision cohabitent avec bonheur, grâce à l’écriture efficace de Gérard Bertuzzi et à l’intelligence de ses propos. Vraiment un bon moment de lecture avec cette traque d’un androgyne… tonique.

    04/11/2018 à 18:05 2

  • Fatal Gaming

    Christian Grenier

    8/10 Logicielle enquête sur une série de disparitions inquiétantes. Des jeunes enlevées un peu partout en France, et dont le seul point commun semble être la pratique d’un jeu vidéo. Néanmoins, l’affaire ne va qu’aller en se compliquant, au point que Logicielle va devoir faire appel à son demi-frère Antoine.

    Ce roman issu de la série consacrée à Logicielle est un véritable régal. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu les précédents romans, même si cela permet bien évidemment de mieux comprendre les psychologies des personnages. D’entrée de jeu, Christian Grenier happe l’attention de son lectorat avec cette histoire d’enlèvements avant de multiplier les mystères et les rebondissements. Car l’intrigue liminaire va vite s’obscurcir : quel rapport en effet avec des malversations immobilières, des vigiles un peu trop zélés, des migrants, une doyenne de cent-quinze ans à qui on a prélevé du sang, l’autisme et le transhumanisme ? Un incroyable feu d’artifice, mené de main de maître par l’un des auteurs pour la jeunesse les plus connus et reconnus. Beaucoup de tension et de suspense, d’intelligentes réflexions (surtout vers la fin de l’ouvrage) sur le handicap, les moyens de rendre l’homme meilleur, la fin de vie et le sort de l’humanité. Tout cela n’empêche nullement l’humour, louable et de bon goût, ainsi que de sympathiques relations entre les protagonistes, qui sont toujours aussi attachants et agréables à retrouver.

    Une nouvelle réussite littéraire de Christian Grenier, à la fois efficace et porteur de messages pertinents, en plus d’offrir aux aficionados de l’auteur un joli moyen, lors de l’épilogue, de créer une passerelle entre sa série consacrée à Logicielle et celle dédiée au chien policier Hercule.

    04/11/2018 à 18:01 3

  • Maigret se trompe

    Georges Simenon

    7/10 Le meurtre de Louise Filon, dite « Lulu », amène Maigret à enquêter sur un chirurgien de renom, Etienne Gouin, et surtout son entourage. Un nouveau régal, avec cette peinture acerbe de cet immeuble parisien, situé dans un quartier chic, et surtout de cet étrange microcosme où règne ce docteur émérite. Il attire les femmes, les fait rêver, leur permet de penser qu’elles sont importantes à partir du moment où, à un moment ou un autre, d’une manière ou d’une autre, elles veillent sur lui. Il est devenu le centre de gravité d’un cercle exclusivement constitué de dames, l’axe de rotation d’une planète de femmes, tout en se montrant indifférent à l’amour et à la parenté, tant qu’il est serein et avec une présence à ses côtés. Pendant ce temps, Maigret est toujours aussi fin, avec un passage intéressant, celui concernant l’étrange relation qu’il noue avec ce praticien, comme deux entités antinomiques, au début du huitième chapitre. Curieusement, je me suis laissé surprendre par le dénouement policier car j’avais encore en tête l’adaptation avec Bruno Cremer : or, dans ce téléfilm, la fin et l’identité du criminel a été modifiée. D’ailleurs, cas exceptionnel, j’avais préféré cette version, plus construite, plus recherchée. Cependant, cet opus demeure un bon livre à mon sens, original et bien mené, avec ce sempiternel plaisir que j’ai de découvrir l’œuvre de Georges Simenon, en gardant en tête l’immense quantité de livres qu’il a signés et qu’il me reste à lire.

    04/11/2018 à 08:54 4

  • Trace tome 1

    Kei Koga

    6/10 Un manga intéressant et qui commence bien. On y découvre Reiji Mano, expert en médecine légale, dont les parents ont été assassiné lorsqu’il était tout gamin, et qui s’est juré de faire éclater la vérité. Il est devenu un pro dans sa discipline, une qualité professionnelle qu’il conjugue avec une exigence tatillonne parfois rude, sait se montrer « borné » selon les termes employés par ses collègues, et à la fois observateur et maniaque au point de remarquer avec un certain dégoût un retard d’une minute et vingt-trois secondes sur la montre d’une collaboratrice. Ce premier tome se concentre davantage sur la pose du décor et des personnages, avec un zoom sympathique sur le métier d’analyste d’indices, avec pas mal de détails qui raviront les fans du genre. Pour le reste, le graphisme est très plaisant, mais il est encore bien trop tôt pour connaître la direction de la série, sa valeur globale, et si la saga sortira des chemins balisés et routiniers que l’on retrouve ici car, même si c’est agréable à lire, il n’y a pas grand-chose de nouveau en la matière.

    04/11/2018 à 08:52 1

  • Une proie si facile

    Laura Marshall

    8/10 Louise vient de recevoir un étrange message sur Facebook : Maria Weston lui demande d’être son amie sur le célèbre réseau social. Le problème, c’est que Maria est décédée vingt-sept ans plus tôt. Enfin, tout le monde la croit morte, mais nul n’a jamais retrouvé son corps. A cette époque, Louise ainsi que d’autres camarades de classe se sont mal comportés avec elle. Est-ce un canular ? L’amorce d’une vengeance ? Qui est derrière tout cela ? Quand une invitation encourage les anciens de l’école à se réunir, il se pourrait bien qu’un nouveau drame éclate.

    Sur un canevas classique, Laura Marshall a bâti un ouvrage à suspense crédible et très efficace. Très rapidement, le lecteur se retrouve plongé dans une ambiance mystérieuse à souhait, propice à la paranoïa et aux rebondissements. On découvre Louise, divorcée de Sam et maman d’un bout de chou de quatre ans, Henry, qui voit ressurgir, dès la première page de ce roman, un passé qu’elle pensait révolu, et surtout connu de très peu de personnes. L’époque des seize ans, des amours incertaines, des rivalités entre filles, des premières expérimentations des drogues. Le temps des lâchetés et de malveillances, au nom de rivalités claniques, pour être populaire ou avoir le droit de se joindre aux camarades les plus appréciées. L’apprentissage du sexe, également. Et lorsque que cette supposée Maria Weston réapparaît, c’est tout un pan de l'existence de Louise, mais également de son ex-mari, Sophie, Esther et des autres qui rejaillit de la conscience collective. Les mots de Laura Marshall sont fins, intelligents, et tissent des situations, des attitudes et des psychologies fort plausibles et humaines de bout en bout, entre indignités déplorées et souhait de rédemption, au point que chacun des personnages pourrait être l’une de nos amies, connaissances ou proches. Des individus écartelés entre une ancienne implication stupide et la volonté, peut-être, que rien ne soit mis à jour. Si l’intrigue ne ménage, en soi, guère de passages mémorables ou de suspense inoubliable, tout se révèle subtil et vraisemblable, au point de ne ressentir aucun temps mort et d’éprouver des sentiments changeants et contradictoires pour d’anciens bourreaux devenus victimes.

    Un livre certes classique mais très prenant, disséquant avec habileté les phénomènes de harcèlement, d’exclusion et de déchéance, au sein des adolescents comme des adultes.

    23/10/2018 à 11:56 4

  • Aurore de sang

    Alexis Aubenque

    7/10 Les aurores boréales s’apprêtent à attirer un grand nombre de touristes à White Forest, petite ville de l’Alaska. Dans le même temps, deux affaires apparaissent. Nimrod Russell, s’apprêtant à réintégrer la police locale, reçoit la visite de Judith Gibson, une ancienne compagne, parce que son mari semble avoir enlevé leur jeune fils Adam. C’est également le cadavre d’un inconnu que l’on découvre, en grande partie dévoré par les animaux des bois. Et qu’elle n’est pas la surprise des enquêteurs lorsqu’ils découvrent son identité.

    Avec ce roman, Alexis Aubenque poursuit sa route d’auteur français capable de tailler des croupières à ses homologues américains. Tout y est : l’ambiance irréelle d’une petite communauté, alourdie par la venue de multiples touristes à bords d’immenses paquebots pour observer des aurores boréales, les équipes du shérif, les journalistes, etc. Alexis Aubenque soigne indéniablement ces éléments, presque des jalons, caractéristiques de la littérature made in USA, même si certains personnages frôlent la caricature. Au niveau de l’intrigue, comme pour toute recette que l’on souhaite reproduire, l’écrivain aligne les divers ingrédients nécessaires : une secte, un reporter infiltré dans celle-ci, un meurtre énigmatique, des écoterroristes qui usent et abusent du sexe sans filtre et de la drogue, un hacker sacrément bon vivant, des accointances interlopes entre le milieu sectaire et des politiques, sans oublier les courses-poursuites et autres fusillades, presque nécessaires à ce type de littérature. Le rythme est très enlevé, avec une belle alternance entre les activités de Nimrod et de Tracy Bradshaw, sa collègue lieutenante. Certains passages sont amplement visuels, très cinématographiques, Alexis Aubenque calquant son écriture sur ce que l’on attend de lui. D’ailleurs, Nimrod prend une place bien particulière dans cet opus, avec quelques flashbacks intéressants, des zooms sur sa jeunesse et les relations houleuses entre sa mère et son père, ces rapports ayant d’ailleurs un rôle important dans cette enquête. Le double épilogue est à cet égard intéressant et inattendu.

    Un thriller réussi, habilement mené, proposant à son lectorat de quoi copieusement combler son appétit d’émotions fortes et de conventions littéraires issues de l’imagerie américaine, quitte à parfois être un peu manichéen et attendu.

    23/10/2018 à 11:50 4

  • Le Mystère de Barbe Bleue

    Christophe Miraucourt

    8/10 Barbe Bleue est un individu qui ne laisse pas indifférent. SDF, le visage rongé par une pilosité épaisse, il peut soit inquiéter soit attirer l’empathie des gens. Léa et Maxime se rangent dans la seconde catégorie de personnes. C’est en se rendant à la cabane qu’il occupe que les deux jeunes gens se rendent compte que Barbe Bleue a disparu. A-t-il fui ? Lui veut-on du mal ? Une nouvelle occasion pour notre duo de limiers de mener l’enquête.

    Ce troisième opus d’Enquête avec Léa séduit immédiatement. Ecriture alerte, chapitres courts et enlevés, personnages attachants, et une intrigue très bien troussée. Christophe Miraucourt, dont on avait déjà beaucoup apprécié Ce que je n’aurais pas dû voir, Surgi du passé, Crime Tattoo et La Signature du tueur dispose de l’expérience en littérature policière pour la jeunesse et use avec habileté de sa plume pour tisser une intrigue solide. Les rebondissements sont nombreux, et toujours intelligents et crédibles. L’une des particularités de cette série est également d’enchâsser des observations et autres notes de Léa qui viennent rompre le cours que l’on retrouve traditionnellement dans les romans, ce qui a pour effet non pas d’en casser le rythme, mais au contraire de permettre des instants de repos et de réflexion, même si ces pages ne constituent pas des énigmes insurmontables ni des moments indispensables.

    Une histoire alerte et enthousiasmante, qui confirme tout autant le talent narratif de Christophe Miraucourt que la qualité de cette série.

    23/10/2018 à 11:45 2