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Thanatea
7/10 Une histoire complètement dingue et échevelée de la part de Sonja Delzongle – mais je n’en attendais pas moi de l’écrivaine après avoir lu « Le Hameau des purs » et « Abîmes ». Pour faire court, la policière Esther Azoulay quitte sa fonction de policière pour se faire préparatrice de café sur une île perdue sur le Lac Léman où siège la société Thanatea, spécialisée dans la mort. Mais sur place, des indices la mettent en alerte : sa prédécesseuse disparue, des origamis et des « haniwa », des secrets de toute évidence tus. Ses amies, également policières, Layla et Hélène comprendront à distance que quelque chose cloche pour leur camarade.
Un récit dense, particulièrement âpre, et pour qui a déjà lu quelques-uns des romans de l’auteure, on y retrouve indéniablement sa patte. Ecriture enlevée, ramifications nombreuses voire surnuméraires, mystères qui s’accolent et se joignent à tant d’autres, et une série de dénouements finaux d’une rare complexité. Si l’ensemble est haletant, la barque des personnages – principalement ce trio féminin – est trop surchargée en pathos : cancer, fille morte prématurément, violences conjugales, viols, alcoolisme, coucheries pour se croire vivantes, séparations conjugales douloureuses, sombres histoires de famille. Même ce Marc d’Orsay, détestable, coche tant de cases malveillantes que ça en devient peu vraisemblable. Parallèlement, la complexité de l’intrigue peut réjouir comme elle peut provoquer des vertiges, des migraines, ou des déceptions. Jugez plutôt les caractéristiques : trafic, thanatopraxie, mensonges, identités multiples, GPA, meurtres déguisés, machinations, folie au point de se demander si le stress post-traumatique n’a pas engendré de pures affabulations, cadavre dans un box, etc. Oui, franchement, c’est un très épais millefeuille, mais c’en est vraiment trop – que ça soit donc au niveau des intrigues ou des existences douloureuses des protagonistes – pour tenir la route, d’autant qu’un accident routier final – un homicide – vient en remettre une couche. En conclusion, c’est fort, comme les cafés préparés par Esther, probablement un peu trop à mon goût.
P.S. : un immense merci à Franck 28 pour le fou rire provoqué. En vérifiant sur Internet – parce qu’une fois de plus, sa critique me paraissait d’une insondable tiédeur – j’ai pu trouver sur divers sites les mêmes expressions qu’il a reprises à son propre compte en les copiant/collant. Une information à son intention : si la formule « à la vie, à la mort » a si souvent été reprise par des critiques, c’est parce qu’elle figure sur le texte de présentation de l’écrivaine, à de multiples reprises dans le livre, et elle constitue également la dernière phrase de l’ouvrage – mais ça, bien évidemment, il ne pouvait pas le savoir.aujourd'hui à 05:50 1
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Gannibal tome 13
9/10 La nouvelle du massacre des policiers comme du cannibalisme au village de Kuge commence à se répandre dans le pays. Une conclusion à la hauteur de cette excellente série si réussie et percutante – probablement l’une des meilleures jamais lues, d’après moi. Davantage de chaos et d’émotions poignantes que de véritable violence pour ce final, même si on ne navigue clairement pas dans l’allégresse (cf. le dessin ultime). Un délice de ténèbres.
hier à 16:43 1
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Les promesses que nous tenons
Gerardo Balsa, Emmanuel Herzet
5/10 Le tueur menace d’exécuter la femme, Mélanie Rivard, qu’il vient d’enlever si le journal auquel il s’est adressé ne publie pas la photo de sa captive. La partie n’est décidément pas finie…
Je retrouve cette série dont ce second tome présente les mêmes qualités – esthétique sympa, rythme soutenu, belle alternance du présent et du passé – ainsi que les mêmes écueils – des stéréotypes, l’enquête sur le crash de l’avion si vite évacuée qu’elle semble n’avoir été là que pour meubler des planches, des passages téléphonés – que dans le premier. Le dénouement est correct et vraisemblable sans pour autant marquer les esprits : le scénario s’est contenté de cocher les cases attendues sans plus d’originalité que ça. Au final, un diptyque plutôt moyen.avant hier à 06:12 2
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Le Loup de Nancy
Gerardo Balsa, Emmanuel Herzet
5/10 Forêt de Nancy, de nos jours, début juillet, un chasseur fait une tragique découverte : le cadavre d’une jeune femme dans un véhicule volé à la gendarmerie. Celui que l’on avait surnommé « le loup de Nancy » semble être de retour, alors que le 3 décembre 2009, il avait été abattu et son corps envoyé dans la rivière. Les gendarmes contactent Ruben Reissinger qui avait à l’époque tiré sur l’assassin pour les aider sur cette enquête.
Un premier tome moyen, au style graphique un peu lisse mais prenant, mais au scénario trop classique à mes yeux. Il y a des clichés, l’investigation en parallèle sur le crash de l’avion et l’usage du drone est bien pâlichonne à côté. Une fin en points de suspension, je consulte rapidement le second tome en espérant qu'il y aura un sursaut d'originalité.avant hier à 06:10 2
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Blue Heaven tome 1
9/10 Le « Blue Heaven », un immense paquebot de croisière, le plus gros de tous les temps : rien qu’avec les passagers, 1200 personnes. Au beau milieu du Pacifique, il vient en aide à un bateau de pêche à la dérive. A bord, deux survivants, mais l’intérieur du navire montre que quelque chose cloche, et quand un des deux naufragés disparaît, la tension monte, d’autant que son compère implore : « Fuyez ».
Un premier tome sacrément accrocheur, avec une intrigue alléchante et des graphismes remarquables (pouvait-il en être autrement avec le scénariste et dessinateur de « NeuN » et de « Sidooh » ?). L’histoire de cet homme devenu fou après de longues années de claustration à regarder à la télé les horreurs du monde et conditionné pour tuer est très forte, et l’intervention à venir de la famille Junau donne sacrément envie de poursuivre cette série ultra prometteuse !23/11/2025 à 18:06 1
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Blade Runner 2019 tome 3
Michael Green, Andres Guinaldo, Mike Johnson
9/10 Conclusion de cette trilogie adaptée du livre culte de Philip K. Dick. Encore une réussite, avec un graphisme soigné, des scènes marquantes (comme ces réplicants encore emballés et jamais livrés, ou le combat contre le lion) et un scénario béton. Un hommage appuyé avec intelligence qui se double d’une très belle trilogie du point de vue esthétique et qui se triple d’une relecture efficace de l’intrigue originelle.
23/11/2025 à 18:05 1
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Re-Mind tome 1
7/10 Dix ans après les attentats du 11-Septembre, une femme rend visite à John Geb, le médecin qui l’a sauvée à l’époque. Lorsqu’Ethan, le fils de John, arrive mal en point à l’hôpital, c’est le FBI qui débarque avec une technologie incroyable : la possibilité d’enregistrer le film qui passe devant les yeux d’un moribond et sur lequel se trouvent inscrits tous les moments de sa vie, parmi lesquels les derniers.
Un scénario original et audacieux, une narration pourvue d’un bon rythme, et même si certains éléments m’ont fait tiquer (le manque de crédibilité notamment, avec l’attaque à la roquette et la controffensive avec un défibrillateur), l’ensemble est dynamique et entame bien la série.21/11/2025 à 17:14
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Eidolon
7/10 Ce deuxième tome commence avec la mise à mort d’un type par un dénommé Hawkwood qui est salement défiguré, et revoilà notre James Bond intercontinental qui affronte des Turcs à Los Angeles. Le plaisir de retrouver l’agent secret est intact et le héros se montre bien violent (cf. les moments où il abat froidement des ennemis ou la baston dans l’ascenseur). Beaucoup d’action et de fusillades avec en plus un scénario classique mais qui tient bien la route.
19/11/2025 à 18:58 1
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S.H.A.R.K.
Vincent Brugeas, Ryan Lovelock
5/10 La Seconde Guerre mondiale s’est invitée jusqu’en Australie où quarante mille prisonniers allemands sont enfermés tandis que les Alliés font de ce pays un port d’attache. Le S.H.A.R.K., parti fasciste australien, tente un rapprochement avec les nazis mais ses membres sont emprisonnés. Le détenu Worth arrive justement dans une de ces bagnes, Rabbit Flat, avec comme mission secrète de prendre le contrôle de cette prison au nom du S.H.A.R.K. et va devoir faire alliance avec le parrain néonazi local, Othon.
Un tome que j’ai trouvé assez poussif, avec les clichés du genre (les bastons, les luttes de clan, même le rebondissement final était très téléphoné), et malgré un final explosif (à tous les sens du terme), cette BD m’a paru vraiment moyenne.18/11/2025 à 19:33
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Le Vol de l'oiseau-tonnerre
6/10 Ce vingt-deuxième tome s’amorce dans l’oblast d’Astrakhan le 9 avril 1947 avec l’essai de deux fusées, une expérience à laquelle s’intéresse beaucoup Staline. Comme dans mes précédents commentaires, la série patine un peu à mes yeux, malgré une histoire pas inintéressante, en raison du manque de sursauts et autres virages scénaristiques. L’ensemble est agréable et les combats aériens finaux sympathiques, mais je m’ennuie un peu…
18/11/2025 à 19:32
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Collapsus
9/10 Cela fait trois ans que Pierre Savidan a accédé au poste de président de la République française. Celui qui s’était fait connaître comme militant écologiste avait emporté de peu les scrutins et son mouvement politique, Mouvement vital, s’était imposé comme un choix radical mais nécessaire pour sauver le pays. Les mesures draconiennes mises en place ont fait grincer des dents mais ses convictions intimes demeurent entières : la sauvegarde de l’environnement doit passer par des choix drastiques qui se veulent indispensables même si un sondage souligne le fait que « 14 % des Français seulement approuvent la politique du président ». Mais les mois qui viennent vont s’avérer particulièrement mouvementés.
Thomas Bronnec, journaliste et fin connaisseur de la sphère politique, signait ce brûlot en 2022, un ouvrage explosif et qui a peut-être une valeur prémonitoire. On y suit, du 30 avril au 27 juin, les soubresauts vécus par ce locataire du Palais de l’Elysée qui a été élu sur un programme écologique très ambitieux. Parce que la défense de la Nature est impérative, le covoiturage est devenu obligatoire, manger de la viande doit devenir une exception, les fonctionnaires bénéficient d’un SEI (comprenez « scoring écologique individuel ») qui attribue un résultat en fonction de leurs agissements, et la politique nataliste a été nettement corrigée. Et malheur aux contrevenants qui finissent par suivre le programme « PAIRE » aux allures de camp de conversion. Ces décisions ont profondément clivé la population, et le livre s’ouvre justement sur une manifestation de partisans de Savidan qui débouche sur la mort de la femme et du bébé d’Olivier Fleurance, un grand chef d’entreprise. Thomas Bronnec dresse avec grand talent le portrait d’un président persuadé d’agir au mieux, quitte à user du forceps et de la contrainte au nom du bien général. Les personnages qui l’entourent sont également habilement croqués, évitant tous la caricature, depuis sa garde prétorienne dont certains membres vont le lâcher jusqu’aux hautes éminences politique du pays (ministres, Assemblée nationale, Sénat, Conseil d’Etat, etc.). L’histoire est parfaitement maîtrisée, les rouages le sont tout autant, et le lecteur assiste aux convulsions d’un régime qui, pris entre le marteau de l’opposition et l’enclume de la défiance, va connaître des jours sombres voire sanglants (l’émeute presque finale n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’assaut du Capitole mené un an auparavant aux Etats-Unis par les partisans de Donald Trump). Et ce qui sidère le plus dans ce récit survolté, c’est sa vraisemblance, habilement alimentée par les belles connaissances de l’écrivain. On en vient alors à se demander légitimement si cette histoire n’est pas révélatrice d’une éventuelle dictature verte en approche, d’un messie providentiel qui se serait égaré sur les chemins de l’autoritarisme, ou d’une société qui finira par imploser face aux enjeux environnementaux mondiaux dont on ne peut plus faire abstraction.
Un ouvrage fort et marquant qui a trempé sa plume dans l’encrier de nos manquements collectifs et de notre refus de voir les évidences écologiques, mais aussi dans un jusqu’au-boutisme qui peut être tout aussi délétère. De l’utopie à la dystopie, ça n’est pas qu’une simple affaire de préfixe.17/11/2025 à 06:45 3
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Mille yeux
7/10 Dès l’entame, le tempo est solide et le ton donné : des serpents dans une grotte, un naufrage, une famille entière pendue à un arbre, une terrifiante légende nordique, des fulmars très agressifs, des raies géantes… Autant d’entrain que d’épreuves pour ce quarante-et-unième tome prenant et réussi quoique finalement assez classique.
16/11/2025 à 07:45 1
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Kill Joy
8/10 Pip est invitée par un de ses amis, Connor, à une murder party. Il s’agira de participer à un jeu se déroulant dans les années 1920 et au cours duquel divers camarades camperont un personnage – un membre de sa famille ou de sa domesticité – de l’entourage de Reginald Remy que l’on retrouvera poignardé en plein cœur. Pip est déjà très affûtée et il se pourrait même que ses raisonnements l’emmènent plus loin que ce qui était prévu.
Holly Jackson nous propose ce court récit qui est une préquelle à sa série Meurtre mode d’emploi à l’usage des jeunes filles. On y retrouve ainsi la jeune Pip plongée dans les faux-semblants, rancœurs et tiraillements d’une famille liée au septuagénaire Reginald Remy, elle-même incarnant Celia Bourne, la nièce du patriarche qui sera retrouvé assassiné. L’écrivaine joue avec intelligence sur les codes du whodunit, s’autorisant quelques passages très amusants au cours desquels les personnages peinent à endosser le rôle qui leur est dévolu, s’embrouillent voire commettent des sacrilèges en faisant de lourds anachronismes. Il n’y a pas le moindre temps mort, l’intrigue est classique et intéressante, et le dénouement l’est tout autant. Néanmoins, ce qui marquera les esprits, c’est justement ce final où Pip va proposer une solution qui est tellement brillante qu’elle s’avère supérieure à celle qui avait été imaginée par son concepteur. La marque d’un esprit particulièrement brillant ? Nul n’en doute : Holly Jackson évoque dans les derniers paragraphes l’intrigue de Meurtre mode d’emploi (à l’usage des jeunes filles) dans laquelle Pip révèlera toute l’étendue de sa sagacité.
Un roman concis et efficace qui constitue une belle friandise pour les fans de l’auteure comme de son personnage fétiche.14/11/2025 à 06:57 3
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Les dents de la mer
8/10 « Je crois bien qu’on a une flotteuse sur les bras, chef » : c’est ainsi que l’un des adjoints du chef de la police d’Amity, une petite station balnéaire, informe son supérieur qu’ils vont devoir retrouver une jeune femme, Christine Watkins. Mais ils vont vite retrouver son corps dans un état tel que le doute n’est guère permis : elle a été dévorée par un requin. Le maire est sceptique, les commerçants locaux également, mais quand d’autres victimes sont à déplorer, le doute n’est plus permis. Une lutte à mort contre le prédateur va alors s’amorcer.
Tout le monde connaît et a vu le film de 1975 réalisé par Steven Spielberg, et alors qu’on célèbre les cinquante ans de la sortie de ce mythique long-métrage, les éditions Gallmeister ont eu la riche idée de rééditer ce roman de Peter Benchley. Impossible d’entamer ce livre sans avoir en tête les scènes, les dialogues, les personnages, et c’est paradoxalement un plaisir que de découvrir que cet ouvrage n’a pas si fidèlement été adapté. Les trois parties qui le composent sont prenantes, mettant davantage l’accent sur la psychologie des protagonistes ainsi que le microcosme local, avec ses failles, ses tiraillements, ses points de compression. Le maire porte des espoirs immobiliers en raison d’une vieille dette contractée auprès de la mafia, le journaliste local a un rôle important, et les marchands du temple ne veulent surtout pas effrayer les neuf-mille visiteurs estivaux. Parallèlement, l’auteur a fait du chef Martin Brody un type entêté, parfois maladroit et brutal, et l’ichtyologiste Matt Hooper est un jeune homme bien moins sympathique que le personnage porté à l’écran par Richard Dreyfuss. D’ailleurs, l’écrivain lui-même s’amuse de ces différences dans sa note en fin de livre et datant de 2005 : « Histoire d’amour ? Mafia ? Qu’est-ce qu’il raconte ? D’où est-ce qu’il sort tout ça ? ». En effet, certains passages surprennent ou agacent (l’idylle passagère entre la femme de Brody et Hooper, après leur entrevue au restaurant où elle évoque ses fantasmes de viol et lui ses rêveries quant au triolisme), mais il serait totalement déplacé de vouloir absolument comparer les deux œuvres. Étrangement, les divergences constituent même un plaisir supplémentaire. Le souffle humain est présent, la traque final du monstre est homérique, et les cinéphiles seront à la fois surpris et intéressés par deux différences notables dans le final.
Un roman qui a fait date dans le domaine de la littérature, porteur de sueurs froides et magnifiques frayeurs. Il a également ouvert la voie à un nombre monumental de films traitant des créatures marines destructrices. Un puissant jalon qu’il est encore largement temps de (re)découvrir, ne serait-ce que pour être épouvanté ou surpris par cet ouvrage qui comportait de larges moments qui n’étaient pas nécessaires au grand spectacle hollywoodien transposé sur grand écran.12/11/2025 à 06:59 4
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Stuka, le tueur de tanks
Richard D. Nolane, Aleksandar Sotirovski
7/10 Une évocation réussie des terribles avions Stuka qui commence ici par un raid le 21 septembre 1941 dans le golfe de Finlande. Des combats aériens prenants et spectaculaires, mais au-delà du côté purement explosif de cette BD, j’aurais apprécié que les volets historique et documentaire (comme avec le pilote Hans-Ulrich Rudel) soient davantage creusés.
11/11/2025 à 06:47 2
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Les Âmes fracassées
8/10 « Nous avons du sérieux, une sorte de première nationale qui va braquer les projecteurs des médias sur un meurtre » : c’est ainsi que le supérieur du commandant de police Nolan Diethelm le prévient qu’un homicide vient d’avoir lieu et que celui-ci est singulier. Jean-Baptiste Meningi, chef de l’orchestre de Lyon, a été la cible d’un drone tueur. L’équipe d’enquêteurs est sidérée par la méthode, d’autant qu’ils apprennent rapidement que l’engin volant était muni d’un dispositif de reconnaissance faciale. Quand c’est l’épouse de la victime qui est à son tour visée par un drone, la tension monte encore d’un cran.
Ce thriller de Alfred Lenglet séduit dès les premières pages par son tempo. L’écriture est sobre, rognée jusqu’à l’os, chaque paragraphe étant porteur d’un événement, d’une découverte ou d’une péripétie. C’est un style très factuel, avec des ellipses nombreuses et des descriptions réduites à leur plus simple expression – quasiment pas de détail apporté aux visages des personnages, par exemple – et qui suit avec rigueur les procédures policières, l’auteur étant affecté à la direction zonale de la police nationale à Lyon. L’histoire est bien imaginée, les rebondissements sont nombreux, il n’y a pas le moindre temps mort et les quelque deux-cent-cinquante pages de l’ouvrage défilent à toute allure. Les fausses pistes abondent, entre dettes de jeu, adultère, dissensions au sein de l’orchestre, résurgence d’une arme ayant précédemment servi lors d’un crime, etc. Le lecteur se réjouira de l’ambiance si cordiale entre les membres du groupe de limiers – même si la piste d’une trahison interne se produit dans le dernier tiers du livre –, avec des moments de camaraderie et de joies épicuriennes vite rattrapées par les exigences du terrain et l’immédiateté du danger. Un ultime rebondissement, apparaissant au gré d’un tatouage, clôt avec intelligence ce récit endiablé.
Un roman maîtrisé et trépidant, de facture somme toute classique, mais mené avec entrain et bénéficiant d’une entame, avec ce drone tueur, particulièrement bien trouvée.10/11/2025 à 06:45 5
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Là où sombrent les secrets
8/10 En juin 2007, trois amies, alors adolescentes, font une escapade dans les Alpes : Maëlle Faure ne reviendra jamais. On dira qu’elle s’est noyée même si les circonstances du drame demeurent floues. Quinze ans plus tard, Mila, l’une des deux rescapées, décide de comprendre ce qui s’est passé et disparaît à son tour. Clémence Roland doit alors comprendre ce qui se trame autour de cette sinistre rivière.
Ce roman de Céline Bréant s’écoule un peu comme ce torrent qui est longtemps au cœur du récit. On y trouve, pêle-mêle, des remous saccadés, des eaux qui ne sont calmes qu’en apparence, des chutes brutales, des fonds que l’on croit pouvoir observer et comprendre avant de saisir qu’ils sont dangereux. L’écrivaine, si jeune, dispose déjà d’une très belle plume, et c’est toujours avec ravissement qu’un lecteur ou un chroniqueur découvre un nouvel auteur, d’autant qu’ici, la rencontre est on ne peut plus séduisante et prometteuse. Céline Bréant alterne les moments avec brio : la culpabilité des protagonistes, la tension quand il s’agit de décrire les agissements ignobles de certains monstres tapies près des rives de la rivière, des sentiments amourachés également. La cinquantaine de chapitres défile sans le moindre temps mort, et l’autrice alternent avec intelligence passé et présent tout en préservant un ultime rebondissement final.
Un ouvrage de grande qualité, attachant, parfois effrayant – pensons notamment à la sordide machination perpétrée qui rappelle, mille fois malheureusement, certains faits divers abjects et pourtant réels. Le titre, inspiré et composé par la dernière phrase du livre, marquera durablement l’esprit du lectorat qui ne pourra qu’attendre avec impatience d’autres œuvres de Céline Bréant.07/11/2025 à 06:56 3
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L'Affaire Patty Johnson
9/10 Patty Johnson a dix-neuf ans et elle a la rage au ventre. Le système judiciaire permet de faire libérer des criminels avant le terme de leur peine dès lors que suffisamment d’internautes ont voté pour leur « relâchement », permettant ainsi à des justiciers autoproclamés de traquer ces individus et les lyncher. Celui qui intéresse Patty au plus haut point, c’est Marc Bardys qui a tué sa jeune sœur, Iris, trois ans plus tôt. Patty a la rage au ventre mais elle n’a pas prévu que le doute s’y installe également.
Ce deuxième tome de la série Guilty est aussi réussi que les deux autres. Jean-Christophe Tixier, auteur réputé d’ouvrages pour la jeunesse, a trouvé une idée brillante avec cette histoire de libération prématurée possible quand la population le décide, non pas pour des raisons humanistes mais bien pour que ces repris de justice soient pourchassés et éliminés pour de bon. Parallèlement, on découvre des opposants à ces articles de loi, les PJE (pour « Partisans d’une Justice Equitable »), qui préfèrent capturer ces fugitifs et les enfermer pour qu’ils purgent la totalité de leur peine et, dans le même temps, ne soient pas exécutés sommairement. Jean-Christophe Tixier décrit avec intelligence les clivages de la société, les mobiles des uns et des autres, et les documents qui jalonnent le récit (diffusions radiophoniques, extraits du journal intime d’Iris, forums fréquentés par les adeptes des battues, etc.) apportent d’habiles ponctuations tout en dynamisant le rythme. Les personnages sont bien creusés, et l’on retiendra principalement, en plus de Patty bien entendu, Jane, alias « Gun_27 », qui est une chasseuse d’une redoutable efficacité, et Greg, alias « Séraphin », qui a des comptes à régler avec Marc Bardys. L’auteur clôt son intrigue avec la même maturité que celle qui a présidé à sa rédaction, et il ouvre la voie vers le troisième ouvrage, L'Affaire Helena Varance, que nous vous recommandons aussi chaudement que tous les titres de cette série.
Un roman atypique, audacieux et très réfléchi, qui s’impose autant par le tempo énergique de son intrigue que par les questionnements judicieux qu’il souligne. Une réussite que l’on ne peut que conseiller aux lecteurs adolescents comme aux adultes.06/11/2025 à 06:52 2
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L'Âme du fusil
9/10 Philippe vit dans un microcosme rural avec son fils Lucas et sa femme Maud. Une sorte de microsociété intrinsèquement campagnarde, corsetée, où l’on se passionne pour la chasse très tôt et où le passage du permis de chasse constitue un véritable jalon, presque un rite initiatique. Mais ce petit monde est ébranlé par l’arrivée d’un Parisien, Julien, qui détonne, surprend, séduit ou agace. Si Philippe prend sa défense, Julien n’en demeure pas moins un horsain qui va faire imploser le village.
Je connaissais déjà la plume d’Elsa Marpeau dont j’avais beaucoup aimé « Et ils oublieront la colère » et « Les Corps brisés, un peu moins « Black Blocs », et ce roman est peut-être mon préféré. Un ouvrage noir, très sombre et dur, où le champêtre tourne non pas à l’onirisme bucolique mais au cauchemar enténébré. Une plume absolument remarquable, une atmosphère ankylosée où le désir et la jalousie vont lentement grimper jusqu’aux drames, pluriels, exposés à la fois avec beaucoup de retenue et de crédibilité. Les finals sont extraordinaires, mus par une excellente puissance d’évocation littéraire, saisissants et mémorables. Un livre coup de poing présenté sous la forme d’une confession à la première personne de la part de Philippe à un membre de sa famille, Pierre, et qui restera certainement l’un de mes bouquins préférés du moment.04/11/2025 à 05:50 5
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Le Loup des Ardents
8/10 Le village d’Ardeloup, en Sologne, subit un violent hiver en cette année 1561. Tandis qu’un médecin, Aymar de Noilat, est de passage, des phénomènes étranges viennent secouer la communauté : membres du corps brûlants, taches noires. Très vite, l’épidémie se répand. Aymar, aidée par Loïse, une gamine de dix ans au passé obscur, se retrouve au centre de cet embrasement des organismes autant que des âmes.
Je découvre ici la plume et l’œuvre de Noémie Adenis, et j’ai passé un bon moment. Ecriture simple mais efficace, suspense plutôt bien entretenu, ambiance lourde correctement restituée : on est vraiment dans de la bonne littérature policière. Un rythme intéressant et une transposition habile dans la France rurale du XVIe siècle, voilà qui offre un agréable dépaysement. Maintenant, à côté de ces qualités très objectives, quelques points m’ont chagriné. Si l’histoire est bonne, elle n’est que très classique, et j’ai aussitôt pensé à pas mal de films à l’ouverture et au dénouement semblables, ce qui a largement dévoilé avant l’heure le cœur de l’intrigue autant que le final. D’ailleurs, puisqu’on parle de cela, j’ai trouvé dommage que l’écrivaine flingue le suspense en dévoilant dès le début du dernier tiers de son œuvre l’identité du criminel. Dans le même temps, j’ai noté de nombreux anachronismes (« à plein régime », « en connaître un rayon », ou encore « levez la main droite et dîtes je le jure » – ça se disait dans les procès de l’époque, ça ?) : cela vient en totale contradiction avec la formule de Madame Figaro en quatrième (« Ce polar historique est le fruit d’un long travail de recherche, mené sur plusieurs années », mais Madame Figaro, est-ce un phare en matière de critique littéraire ?), d’autant que le côté documentation dans cet ouvrage m’a semblé assez faible. Pour résumer, un bon roman, habile et très plaisant, qui ne réinvente en rien le genre mais joue plutôt sur la partition connue des ressorts déjà éprouvés, offrant un délicieux roman.03/11/2025 à 05:56 1
