El Marco Modérateur

3229 votes

  • Le Salon de beauté

    Melba Escobar

    7/10 Bogota. « La Maison de beauté » est un établissement sélect où l’on prend soin de riches clientes. Parmi les petites mains, Karen, une jeune maman qui déploie bien des efforts pour mettre de l’argent de côté et ainsi permettre à son fils de la rejoindre. Mais c’est un jour Sabrina, une adolescente, qui demande des soins à l’institut, avant d’être retrouvée morte le lendemain, officiellement d’un problème cardiaque. Et si sa mort n’était en réalité pas naturelle ?

    Ce seul ouvrage traduit en français de Melba Escobar séduit d’entrée de jeu. La plume de l’écrivaine est enchanteresse, gracile et élégante, donnant à voir de beaux portraits de femmes. Il y a bien évidemment Karen, principale protagoniste du roman, confrontée de plein fouet à la misère de la Colombie, prête à tout pour permettre à son enfant de quitter Carthagène et de lui offrir une jeunesse correcte. Mais est-ce encore possible quand il faut accumuler les heures de travail auprès de clientes parfois brutales, dédaigneuses, aux caprices incroyables, et avec une monnaie dévaluée, où il faut des milliers et des milliers de pesos pour s’offrir trois fois rien ? De même, son jeune âge et ses atours attirent l’attention de mâles prêts à troquer le désir charnel qu’elle provoque contre cet argent qui lui fait tant défaut. Dans le même temps, le lecteur sera marqué par d’autres beaux portraits de femmes, comme Consuelo Paredes, la mère de Sabrina, ou encore Lucia, devenue écrivaine de l’ombre pour son mari, bien plus jeune qu’elle, qui ne la conçoit que comme sa plume et non sa chérie, au point de ne plus la considérer avec la décence qu’elle mérite. Melba Escobar décrit donc avec beaucoup de tact et de justesse la condition féminine colombienne, avec une large palette de dames, toutes conditions sociales confondues, qui ne peut que faire écho au sort, plus global, de ces malheureuses, dévalorisées, réduites à des ventres, soumises au bon vouloir de prédateurs sexuels ou politiques. L’intrigue passe d’ailleurs au second plan, ce qui décevra probablement certains lecteurs.

    Même si l’aspect purement policier ne constitue pas sa plus flagrante qualité, voilà un roman original et très humain, sans effet lacrymal de mauvais aloi ni pathos étalé à la truelle. De belles nuances féminines éclairent ce texte subtil, et c’est en soi une grande vertu.

    05/11/2019 à 20:07 2

  • Kaïken

    Jean-Christophe Grangé

    7/10 … ou comment j’essaie de rattraper le retard (relatif) dans la lecture des œuvres de Jean-Christophe Grangé. J’ai été immédiatement pris par le rythme imposé par le boss (phrases courtes, cadence soutenue, chapitres lapidaires, enchaînements vifs) et le style de l’histoire, avec toujours cette propension à s’intéresser et mettre en relief des personnages cabossés. Olivier Passan, borderline, a retenu mon attention, fonceur, opiniâtre et bagarreur, perclus de fêlures au même titre que son épouse Naoko, avec cet amour ambivalent et contradictoire pour le Japon, entre pays fantasmé et conception déformée. Toujours autant de panache dans le début de ses récits, avec des protagonistes brisés, victimes devenues bourreaux (je me souviendrai longtemps de Guillard avec son anormalité sexuelle) et des scènes marquantes, très cinématographiques (« le baiser de feu », le sang coulant dans la salle de bain de Passan, etc.). Des psychologies également habilement mises en valeur, notamment dans la guerre que se livrent Passan et Naoko à propos de leurs deux enfants, de l’occupation de la maison, mais surtout, à mes yeux, entre Naoko et un autre personnage clef apparaissant bien plus tard dans le récit (inutile de spoiler). Mais j’ai été déçu par le final, que je m’attendais à découvrir apocalyptique, mémorable, saignant, comme le bouquet final d’un long feu d’artifice : trop court, pas aussi endiablé que le reste du livre (je me souviens avec nostalgie et de nombreux frissons de ce que Stephen Hunter, dans un genre avoisinant pour ce qui concerne l’épilogue, nous avait concoctés dans « Le 47è samouraï » que j’avais adoré et dont je me souviens encore), bref, presque médiocre par rapport à l’attente légitime que l’on pouvait en avoir. Et au final, même si je ne boude pas mon plaisir de lecture et mes « retrouvailles » avec cet écrivain, la dernière page tournée, j’ai encore un peu de mal à comprendre cette espèce de coexistence entre ces deux histoires, fortes, dont chacune aurait pu faire l’objet d’un ouvrage en tant que tel, mais qui une fois réunies, ont perdu à mon goût de leur impact respectif, s’annihilant dans cette sorte de surcharge de saveurs, où chaque ingrédient / épice / mets anesthésie l’autre.

    04/11/2019 à 17:19 3

  • Les Scrupules de Maigret

    Georges Simenon

    9/10 … ou comment, par un mois de janvier froid et neigeux, le commissaire Maigret reçoit la visite de Xavier Marton, vendeur de trains électriques dans un grand magasin. Pourquoi ? Il écrit simplement « a absolument besoin de s’entretenir avec le commissaire Maigret », et explique au policier qu’il craint que son épouse, Gisèle, n’essaie de l’empoisonner. Et ce qui est troublant, c’est que Gisèle vient ensuite voir Maigret pour lui dire que son mari a des problèmes d’ordre psychologique. Dès lors, notre limier va être confronté à un dilemme, une véritable torture qui ne va plus le lâcher : n’y a-t-il pas là, sous les atours d’une simple friction conjugale, les prémices d’un drame à venir ? J’ai retrouvé avec un entrain qui s’amollit pas la plume de l’immense Simenon, si caractéristique, à la fois sèche et trempée dans le vitriol, pour nous dépeindre ici un couple en plein chaos, d’autant qu’il y a Jenny, la sœur de Gisèle, récemment veuve depuis le décès aux Etats-Unis de son mari, revenu vivre auprès d’elle et de son beau-frère, d’autant plus « dangereuse » qu’elle a dix ans de moins que son aînée et est plus attrayante. Maigret demeure cette force tranquille, toujours aussi juste dans ses observations et ses déductions, même si cette enquête est pour lui assez particulière, comme il le confesse : il n’y a pas encore de crime, alors sur quoi peut-il instruire, même s’il sent que la tragédie est proche. De même, notre commissaire est toujours aussi humain (cf. sa relation avec ses subalternes qu’il appelle toujours « mes enfants », ainsi qu’avec son épouse, qui doit ici perdre un peu de poids et se souvient avec une émotion poignante quoique tout en retenue, de ses premiers baisers avec celui qui va devenir son homme ainsi que la manière dont ils ont pris l’habitude de s’étreindre). L’intrigue est d’autant plus forte qu’elle est d’une simplicité presque élémentaire, ajoutant cette immédiateté à son aspect plausible. Une histoire qui mêle humiliations, déceptions, impuissance, désespoir, puis une double espérance débouchant sur une scène forte, où l’on trouve, à parts égales, une franche ironie du sort, un rebondissement et un moment que n’aurait pas renié Agatha Christie. Toujours ce panache du célébrissime écrivain belge pour décrire les turpitudes d’un couple lambda, aux conséquences terribles et à l’issue létale, que Simenon conclut ainsi : « Pour lui [Maigret], c’était fini. Le reste regardait les juges, et il n’avait aucune envie d’être à leur place ». Encore un excellent opus, à la fois de Simenon et de la série consacrée à Maigret, et, c’est un paradoxe brûlant, d’autant plus fort qu’il est tragiquement crédible.

    04/11/2019 à 17:17 1

  • Orgies funéraires

    Michael Avallone

    8/10 … ou la terrible vengeance en plusieurs actes de Stewart Turner Garland, embaumeur dans l’opulente ville de Roseland, sur celles et ceux qu’il estime responsables du décès de sa fille. La mort, STG l’a côtoyée lors de la Guerre de Corée, là où il a pris la décision qu’il viendrait plus tard redonner forme humaine aux cadavres, également la raison pour laquelle il garde toujours autour du cou ses plaques d’indentification militaires. Mais on a beau faire appel à ses services dès que survient un trépas, il n’est guère considéré à la hauteur de son talent, et sa femme et sa fille – respectivement Orchid et Violet – vont en faire les frais et subir un tragique accident de la route. Dès lors, la colère de l’embaumeur va exploser et le porter non seulement à tuer mais aussi à s’en prendre aux dépouilles des défunts. Une plume alerte, noire et ensorcelante, ménageant quelques délicats éclats d’humour noir, au gré de ce jeu de massacre où vont y passer divers notables et autres personnalités de Roseland qui ont osé s’en prendre aux proches de l’embaumeur ainsi qu’à lui-même. Le psychiatre qui a bafoué sa profession dans un livre acide, un queutard invétéré, un gros lard, des calomniateurs, etc. Michael Avallone semble prendre un réel plaisir à éclabousser ce microcosme provincial si hypocrite, en le renvoyant à ses duperies et sournoiseries, tandis que Stewart Turner Garland sombre dans une spirale de violence et de barbarie sur les cadavres. Il en vient même, dans sa démence compréhensible, à croiser et échanger verbalement avec le fantôme de sa défunte fille Violet, aux appâts fort aguicheurs, tandis que son épouse Violet demeure recluse dans sa chambre, ceinte de bandelettes et d’onguents façon momie en raison de ses multiples et profondes brûlures consécutives à l’accident. Et ce n’est qu’au terme d’une longue liste de morts apparemment accidentelles que toute « l’œuvre » vengeresse de notre héros sera découverte… en même temps que ce qu’il aura réservé aux macchabées. Une véritable réussite littéraire, toute de noir vêtue, qui envoûte par la qualité de son style, et retient d’un bout à l’autre l’attention du lecteur par son postulat original et habilement maîtrisé. Personnellement, ça ne donne vraiment pas envie d’être incinéré…

    04/11/2019 à 17:14 1

  • Starving Anonymous tome 3

    Kazu Inabe, Yuu Kuraishi

    8/10 Un troisième opus qui commence par l’annonce du fait que 17 êtres humains vont devoir aller nourrir les larves. Des graphismes très réussis quand les hommes découvrent que leur numéro vient d’être tiré. Cet opus permet de donner encore un peu plus de chair à la série, avec une vue en dehors de l’institut, ce monstrueux élevage humain. De beaux moments de démence lors de cette évasion, une esthétique sombre, racée et gore. Je kiffe définitivement !

    04/11/2019 à 17:12

  • Les Terres Basses

    Bruno Gazzotti, Fabien Vehlmann

    7/10 Les héros sont désormais aux prises avec un curieux effondrement de la ville, tandis que des gamins aux yeux rouges apparaissent, faisant le lien avec la dernière image du tome précédent, ainsi qu’un étrange brouillard. Des images saisissantes (ce qu’affrontent Dodji et le nazillon blondin). Toujours de l’aventure, du suspense (mais pas du « gore », ah non), des pincées d’humour, et une dynamique intacte.

    04/11/2019 à 17:11 1

  • La quatrième dimension et demie

    Bruno Gazzotti, Fabien Vehlmann

    6/10 Maintenant que nos jeunes héros croient savoir pourquoi ils sont là, réunis, avec la révélation du tome précédent (d’ailleurs, le résumé de la quatrième de couverture aurait pu se passer d’un tel spoiler, surtout pour celles et ceux qui prennent la série en cours de route…), ils s’adonnent à des activités diverses et variées (messe, ouija, etc.). Une lutte territoriale s’amorce, avec des tags qui parcourent les rues et façades. Une course-poursuite sympa, char contre bus, et s’esquisse une mystérieuse « 9ème famille ». Contrairement à Gamille67, je ne trouve pas le ton ici plus grave, au contraire : pas de mort (à part le sniper, mais peut-on parler de « mort » alors qu’ils le sont déjà tous ?), pas de révélation quant au passé des personnages (ou alors le coup des cicatrices ?), pas de moment poignant. Cela demeure agréable, un peu plus bavard que les précédents, je trouve.

    04/11/2019 à 17:10 2

  • Les Retournants

    Michel Moatti

    8/10 Août 1918, sur le front de la Somme. Deux soldats, Vasseur et Jansen, entreprennent, après des années de combats, de fuir les lignes et déserter. Même s’ils se connaissent finalement assez peu l’un l’autre, ils n’en peuvent plus de la sauvagerie des engagements, quêtant dans cette fuite leur ultime chance de salut. Leur cavale va les mener au domaine d’Ansennes, tandis qu’un gendarme, Delestre, spécialisé dans la traque de déserteurs, est déjà à leurs basques.

    Michel Moatti, à qui l’on doit déjà, entre autres, les très bons Retour à Whitechapel et Blackout Baby, revient avec ce roman très sombre ancré dans la Première Guerre mondiale. Le chaos des armes, les légitimes peurs des belligérants, l’absence d’espoir de survie : tout cela va conduire deux d’entre eux à opter pour la défection. Jansen est instituteur et Vasseur percepteur. Mais il y a une autre réalité derrière l’étiquette de ces professions concernant le second : Vasseur est un psychopathe. Capable de tuer un ennemi en l’égorgeant avec les dents avant de se masturber sur son cadavre, ou de jeter dans le foyer d’une cheminée un gendarme encore vivant qui s’est dressé sur sa route. Dans le même temps, c’est un excellent comédien, capable d’endosser avec habileté une autre identité et de s’exprimer avec de bien belles paroles. Les deux déserteurs rencontrent trois personnes au domaine d’Ansennes : un vieil industriel désargenté de la verrerie, Givrais, sa fille Mathilde et leur domestique, Nelly Voyelle. Ayant usurpé les identités de deux docteurs, Jansen et Vasseur vont vivre plusieurs mois au sein de la propriété jusqu’à ce que tout explose. Michel Moatti, grâce à son style à la fois riche et sa plume qui ne croque que l’essentiel, expose avec beaucoup de noirceur l’ambiance pesante qui envahit le château, avec les zones de doute, d’ombre et de violence à peine muselées. Un huis clos savamment charpenté, particulièrement réussi, jusqu’à la dislocation meurtrière et le retour du sang. Tous les portraits psychologiques sont savoureux, édifiants, et l’on retiendra peut-être plus particulièrement celui de François Delestre, capitaine de la gendarmerie prévôtale d’Amiens, fin limier et, dans le même temps, saturé de contradictions morales quant à ces pauvres hères qui se sont éloignés de la boucherie des tranchées. Même avec quelques longueurs dans les derniers chapitres, ce roman est une pure merveille, l’auteur venant également apporter une autre résonnance au titre, désignant à l’origine les déserteurs, et plus particulièrement lors d’un passage ouvert à l’interprétation de chacun et détonnant.

    Quelque part entre le roman noir et le thriller, un opus d’une très grande qualité, âpre et mémorable, dont Michel Moatti nous narre la genèse dans une postface poignante.

    23/10/2019 à 22:54 7

  • Bon pied, bon oeil et 99 autres expressions autour du corps et de la santé

    Marc Magro

    7/10 Comme le rappelle le titre alternatif de cet ouvrage, il s’agit de « 99 autres expressions [donc 100 en tout] autour du corps et de la santé ». L’auteur, médecin urgentiste, connaît son affaire et a signé un joli livre autour de ces expressions typiquement françaises, même si certaines d’entre elles trouvent des échos ailleurs dans le monde, plus particulièrement en Europe, voire des traductions très proches ou, paradoxalement, très éloignées. Il y en aura pour tous les goûts, depuis les formules assez actuelles jusqu’à celles venant de l’Antiquité ou du Moyen Âge. Certaines d’entre elles sont couramment utilisées (« Avoir un cheveu sur la langue », « Pomme d’Adam »), d’autres bien moins usitées (« Si on lui pressait le nez, il en sortirait du lait », « Le cul sur le visage ») et d’autres encore tellement surannées que les personnes qui les utilisent encore de nos jours doivent être rares (« Avoir du sang de navet », « Manger comme un chancre », « Refaire son nez », « Un va-du-gland »). A chaque fois, il y a eu de véritables recherches historiques pour voir à quand remontaient ces préceptes, presque des dictons, d’où elles pouvaient provenir (parfois, j’ai trouvé certaines explications un peu nébuleuses ou trop subjectives pour y adhérer totalement), ainsi que des extraits de textes classiques pour les illustrer. Marc Magro nous offre au passage quelques recommandations typiquement issues de la bouche d’un médecin, donc soucieux de notre bonne santé, et de jeux de mots pas toujours très réussis mais agréables et venant à point nommé. Moi qui ne suis pas fan des livres « réalisés à l’agrafeuse », ce que j’entends comme des recueils de textes disséminés au gré d’émissions radiophoniques, d’articles dans les journaux ou déjà vus ou lus un peu partout ailleurs, je n’ai jamais boudé mon plaisir. En un seul ouvrage, j’ai eu droit à de la médecine, de l’histoire, du littéraire et de l’humour, ou comment accoler culture et divertissement au gré de ce spicilège que l’on peut tout aussi bien butiner que lire d’une traite (ce qui a été mon cas).

    23/10/2019 à 08:58 1

  • Hotspots

    Eric Oliva

    7/10 Un délicieux petit roman policier, bien écrit et intelligent, ou la traque d’une équipe de policiers après un psychopathe très pervers et tordu qui multiplie les ignobles assassinats pour des raisons qui échappent à tout le monde. Une écriture simple et prenante, des notes d’humour bienvenues, beaucoup de noirceur (les exécutions pratiquées par le tueur en série sont fortes et mémorables), et de l’émotion qui n’a jamais besoin d’être théâtralisée et forcée (le final, à simple titre d’exemple, s’impose sans fioriture et prend aux tripes). Le criminel mènera la vie dure à nos policiers, et il faudra l’aide d’un spécialiste en informatique pour coincer ce fauve et comprendre une part de ses motivations. Beaucoup de travail de recherche de la part de l’auteur, Éric Oliva, qui maîtrise le jargon et les procédures criminelles (le lexique en fin d’ouvrage n’est pas inutile, loin de là), et qui livre un ouvrage très crédible et efficace, humble et noir, même s’il reste une part de mystère quant à l’assassin (pas sur son identité, d’ailleurs, car elle devient rapidement devinable) à propos de ses motivations primitives. Une belle découverte en ce qui me concerne.

    23/10/2019 à 08:54 3

  • School Judgment tome 1

    Nobuaki Enoki, Takeshi Obata

    8/10 Pour contrer la violence en milieu scolaire, les écoles et collèges japonais disposent d’un nouveau système de régulation : des tribunaux internes, où les rôles des avocats et magistrats sont tenus par les élèves eux-mêmes. Quand Suzuki est découvert mort découpé (on se calme, ce n’est qu’un poisson…), la machine judiciaire junior se met en marche. Un graphisme particulièrement typé manga, mais très travaillé, les codes du polar judiciaire très bien saisis et réexploités dans le milieu éducatif avec juste ce qu’il faut de dérision mais également de sérieux pour que l’ensemble soit à la fois crédible (même si certains propos et réactions des gamins sont trop matures, objectivement, sans compter que l’un d’entre eux, par exemple, connaît le principe animal de la « thanatose ») et tourne en caricature avec tact les excès. Le manga prend appui ensuite sur une histoire de voyeurisme sur mineure, des antisèches, d’un mystérieux « vendeur masqué » et tisse un lien avec un carnage datant de cinq ans auparavant. Les ressorts classiques du roman à énigme, encore une fois, sont exploités avec intelligence. Cela me fait penser, moi qui ne suis pas un gros lecteur de mangas et n’ai donc pas la culture littéraire suffisante pour en parler autrement qu’en dilettante, à du « Détective Conan » avec une esthétique plus travaillée et un cadre purement scolaire. Je ne vois pas trop ce que vont offrir les deux autres et derniers tomes de cette trilogie, aussi ai-je d’autant plus envie de savoir ce que le scénariste Nobuaki Enoki et le dessinateur Takeshi Obata ont mijoté.

    23/10/2019 à 08:53 1

  • Time Shadows tome 1

    Yasuki Tanaka

    7/10 L’île de Hitogashima, 5km² et 700 habitants, et notre jeune héros, Shinpei, s’y rend après deux ans d’absence, pour les funérailles d’Ushio. Mais il semblerait qu’Ushio ne soit pas morte aussi « simplement » que ce que l’on pensait. Un départ un peu lent et long, mais cette légende autour de « la maladie des ombres », version locale du doppelgänger puis ces boucles temporelles ont vite happé mon attention. Un dessin sympa et réussi, un scénario qui intrigue et captive, avec un air de « Un jour sans fin » version policière et fantastique. Je me demande où vers quoi vont se diriger les autres opus, mais je vais m’y rendre également pour savoir.

    23/10/2019 à 08:52 1

  • Kimi no knife tome 1

    Yua Kotegawa

    6/10 Enseignant remplaçant, Shiki, parce qu’il a un coup dans le nez ainsi que besoin d’argent, de tuer quelqu’un, un criminel qui plus est, en échange de cinq millions de yens. La cible est un homme d’affaires qui fait du trafic de drogue et aurait fait disparaître deux de ses employés parce qu’ils s’apprêtaient à tout révéler. Son arme sera un couteau papillon, pour faire croire à un cambriolage qui aura mal tourné. Si le contrat se déroule bien, Shiki en vient à souhaiter d’autres missions tarifées pour gagner plus d’argent encore, tandis qu’il fait une rencontre imprévue sur les lieux de l’exécution. Un graphisme simple mais qui est tout sauf simpliste, une histoire crédible, des comportements et attitudes plausibles et humaines. Ce n’est d’ailleurs que dans les dernières pages que l’on apprend pourquoi Shiki a tant besoin d’argent. Et si l’ensemble est vraiment agréable et se laisse lire sans le moindre déplaisir, je trouve qu’il manque un soupçon d’originalité, une pointe de piment, un complément de noirceur, une rasade supplémentaire de rebondissements, bref, un petit je ne sais quoi qui différencie cet ouvrage des autres, en épice la saveur, et le rende moins facilement oubliable. J’essaierai d’être au rendez-vous d’autres opus de la série.

    23/10/2019 à 08:51 1

  • Darwin's Game tome 1

    FLIPFLOPs

    8/10 Un manga dont la violence explose dès les premières planches, et où Kaname, le héros de cette série, est mordu par un serpent jailli d’un téléphone portable, apparemment en lien avec un jeu appelé « Darwin’s Game ». Et puis on bascule en plein cauchemar en même temps que le protagoniste, comme avec ce personnage déguisé en panda qui l’agresse au couteau dans le métro. S’ensuit un anxiogène jeu du chat et de la souris, avec cet agresseur tenace capable de devenir invisible, et où se mêle une histoire de vandalisme urbain avec des pavés qui sont ôtés afin de constituer d’étranges œuvres d’art. Une esthétique captivante et un scénario moins attendu que prévu, avec notamment quelques ultimes pages sur un site d’archéologie de la préhistoire qui entretiennent intelligemment le suspense.

    23/10/2019 à 08:50 1

  • Passager 23

    Sebastian Fitzek

    8/10 Le policier Martin Schwartz reçoit un coup de fil d’une personne âgée. Cette dernière l’invite en toute urgence à le rejoindre sur le Sultan des mers, un immense paquebot. Le nom résonne douloureusement aux oreilles de Martin : c’est sur ce bateau que son fils et sa femme ont disparu au cours d’une croisière cinq ans plus tôt. Et les révélations ne font alors que commencer.

    Avec des thrillers comme Thérapie, Ne les crois pas, Le Briseur d’âmes ou Le Somnambule pour ne citer qu’eux, Sebastian Fitzek s’est imposé comme un auteur majeur de la littérature policière. Dans cet opus, difficile de ne pas confesser que l’on est ballotté du début à la fin. Les premiers chapitres donnent le ton : un mystérieux chirurgien qui ampute la jambe d’un patient, Martin qui doit infiltrer une soirée où des séropositifs violent des gamins et pour laquelle il pousse le vice, afin de ressembler au psychopathe qu’il remplace, jusqu’à s’injecter des anticorps du VIH et s’arracher une incisive avec des tenailles, et le début du récit de la claustration d’une dénommée Naomi. La suite est à l’avenant de ce début tonitruant : des personnages interlopes qui cachent nombre d’ambiguïtés sous le masque de la normalité, des rebondissements incessants, des scènes sans cesse inattendues, et un rythme qui ne faiblit jamais. Les amateurs d’émotions fortes et de cadence soutenue seront aux anges. Dans le même temps, et comme évoqué précédemment, il faut avertir que ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains : il y a certains passages, souvent plus suggérés ou vus a posteriori qui savent se montrer très dérangeants et qui concernent la pédophilie et l’inceste. Bref, un roman sacrément relevé, épicé à outrance, et dont on ne ressort guère indemne. Et c’est justement là son principal défaut : certains lecteurs pourront reprocher à Sebastian Fitzek d’en faire trop. Trop de personnages torturés ou ambivalents, trop de moments où des surprises sont ménagées, trop de surenchères dans la violence psychologique. A la manière d’un cuisinier, dont le zèle le pousse à vouloir à tout crin éblouir ses clients avec un excès d’ingrédients, d’aromates ou de strates de saveurs, alors qu’une plus grande économie aurait pu être la bienvenue.

    Voilà bien un livre consistant, trépidant et marquant, qui ne peut en aucun cas laisser indifférent. Certains lecteurs le trouveront trop surchargé, tandis que ceux qui apprécient les thrillers machiavéliques seront plus qu’aux anges.

    13/10/2019 à 07:17 5

  • Chasseur de voleurs

    Agnès Laroche

    8/10 Sam, en fauteuil roulant, doit s’occuper de Maurice, le bouledogue de sa tante, pendant une quinzaine de jours. En compagnie de Nina et d’Agathe, à la fois sœurs et ses meilleures amies, ils décident d’aller au parc lorsqu’ils surprennent l’étrange manège d’un ado qui dissimule des affaires derrière un bosquet. Un voleur, et pris sur le fait ! Et si la réalité était un peu plus compliquée que ça ?

    Ce troisième opus de la série des apprentis détectives reprend, pour notre plus grand plaisir, les ingrédients qui ont fait le succès des précédents opus, à savoir Juju a disparu et Enquête et pickpocket. On retrouve la plume si enjouée d’Agnès Laroche, avec ses protagonistes fétiches, cette fois-ci aux prises avec un pickpocket. Le récit est court (environ quatre-vingts pages, joliment illustrées par Clotka) et ne ménage aucun temps mort. Nos héros, d’abord enthousiastes à l’idée d’avoir à leurs côtés un possible chien détective (sauf Nina, la sœur aînée, qui le trouve moche et lui reproche cette bave qui sort en permanence de sa gueule), vont être confrontés à ce mystérieux vol d’affaires, puis au contenu pour le moins alarmant du sac, avant de voir, progressivement, le brouillard se dissiper. Un ton alerte, très plaisant, sans la moindre fausse note ni violence, qui fait que les pages défilent à toute allure jusqu’à l’épilogue, nécessairement heureux et moral, sans être pour autant niais et moralisateur.

    Encore une réussite de la part d’Agnès Laroche, à qui l’on doit également d’autres ouvrages plus que recommandables pour la jeunesse, comme Le Fantôme de Sarah Fisher, Tu vas payer ou Cœurs en fuite.

    13/10/2019 à 07:14 1

  • La Porte d'ivoire

    Serge Brussolo

    8/10 Le vieux milliardaire Edmund Hofcraft s’est écrasé avec son avion au-dessus de la jungle congolaise. Sa fille et son bras droit organisent une opération d’exfiltration qu’ils confient à trois aventuriers : Tracy, ancienne infirmière militaire habituée aux conflits, Russel, fin tireur spécialisé dans les safaris, et Diolo, Africain et expert en pistage. Un aller-simple vers la folie.

    Inutile de présenter Serge Brussolo : une bibliographie imposante, une inventivité hors pair, et un sens expérimenté et inoxydable de la narration dans tous les types de littératures. Ici, il fait s’enfoncer ses protagonistes – et ses lecteurs – dans la géhenne végétale de l’Afrique. On retrouve avec plaisir sa plume enfiévrée et son goût pour les histoires démentielles, où chaque chapitre foisonne de rebondissements, d’anecdotes, de personnages sulfureux. Une incursion endiablée dans les terres originelles de l’humanité, saturées de fantômes affolants et de légendes. Y rôdent encore les spectres des dirigeants comme Mobutu Sese Soko ou Joseph Kabila, avec la violence et la corruption comme manières de diriger un pays. C’est aussi un « territoire de fièvres » comme l’indique l’auteur, avec ses coutumes, ses mythes, et sa sorcellerie. Edmund Hofcraft s’en est allé sur place à la recherche d’une rumeur persistante, comme quoi des soldats allemands, avec Adolf Hitler à leur tête, aurait quitté Berlin dans les ultimes jours de la Seconde Guerre mondiale pour y bâtir un bunker géant, à la recherche de diamants pour préparer la revanche de son idéologie. Canular ou réalité ? Entre les mains de bien d’autres écrivains, un tel postulat, complotiste à souhait, aurait tourné au grandguignolesque ; dans celles de Serge Brussolo, le ridicule devient or, ou plutôt diamant, pour coller à la contrée parcourue. Un îlot de nazis reclus sur eux-mêmes depuis plusieurs décennies, des singes combattifs et organisés en meute anthropophage, un volcan aux éruptions destructrices, des tribus sauvages qui ne cesseront de harceler l’embarcation des intrus : un véritable malström d’idées, certaines très originales, d’autres plus convenues, mais dont le dénominateur commun de toutes est d’emporter le lecteur vers des rivages noirs et incertains. Un festin de scènes marquantes, depuis la rencontre éphémère avec cet acteur sur le déclin qui souhaite s’exercer à la chasse aux prédateurs terrestres, jusqu’à ce final à plusieurs tiroirs, avec notamment la surprenante présentation d’une tête réduite.

    Un Serge Brussolo en pleine forme, fourmillant d’idées et de chimères, où, à défaut de constituer son meilleur ouvrage, assure, s’il en était encore besoin, qu’il était, est et restera l’un des meilleurs auteurs français. Tout simplement.

    13/10/2019 à 06:19 3

  • L'étonnante disparition de mon cousin Salim

    Siobhan Dowd

    9/10 … ou comment le cousin de Ted, Salim, disparaît alors qu’il était dans la grande roue de Londres, la « London Eye », puisqu’il était allé se placer dans l’une des nacelles mais n’en est pas descendu. Dit comme ça, cela ressemble à un crime en chambre close, et c’est un peu le cas, mais ce qui a principalement retenu mon attention, c’est la plume savoureuse de feu Siobhan Dowd, trop tôt disparue à l’âge de quarante-sept ans. Son style est un pur régal et, d’une certaine façon, la plume de l’écrivaine ainsi que la façon dont elle a traité son histoire s’apparente à la traditionnelle dichotomie entre « polar » et « roman policier », puisque ce sont les personnages, le contexte et le décor qui priment sur la résolution de l’intrigue. Ted, le cousin du disparu, est un autiste, et c’est ce protagoniste qui compose prioritairement mon coup de cœur pour ce livre. Il est obnubilé par les chiffres et la météorologie, brillant dans ses raisonnements et déductions, et saura faire preuve de courage, d’opiniâtreté et de sagacité. Parallèlement, il est obtus à tout ce qui est en rapport avec certaines formes de la réalité, se montre embarrassé dans nombre de situations et a parfois des réactions gentiment inappropriées. La relation qu’il a avec sa sœur, Kat, et ses parents, est merveilleusement décrite, et l’auteure a su à la fois peindre avec immensément d’humanité, de tact et de réalisme l’autisme de Ted sans jamais tomber dans les poncifs grossiers, maladroits et hautains par rapport à ce trouble. Aux termes de « cinquante-quatre heures et deux minutes de réflexion », Ted parviendra, avec l’aide importante de sa sœur, à résoudre le problème, après de nombreux raisonnements, actions et prises de risques. Le roman permet également de joliment croquer la capitale anglaise avec ses attractions, sa Tamise, ses buildings et son métro. Un style littéraire remarquable, un souffle de générosité et d’altruisme, et une réelle intelligence quant à l’observation des êtres humains font que j’ai achevé cet ouvrage avec à la fois un large sourire aux lèvres et une émotion prégnante aux tripes. Après, du strict point de vue policier, j’en viens presque à regretter que Siobhan Dowd ait développé les huit théories de Ted (quant à ce qui a pu se passer dans l’attraction, et il y en a même une neuvième qui arrive après) et que notre si sympathique héros se soit appuyé sur elles pour comprendre ce qui s’était passé, car la résolution va venir se fonder sur l’une d’entre elles, et donc en partie couper l’herbe sous le pied du final, ou au moins en diminuer l’impact. Mais c’est vraiment ergoter une fois ce magnifique livre, drôle et touchant, refermé.

    12/10/2019 à 08:53 1

  • La Poupée assassinée

    Nan Hamilton

    8/10 … ou comment Roy Morgan, beau gosse tueur à gages et karatéka, mû par une violente pulsion pédophile, en vient à se jeter sur la jeune et belle Yumi Kobota, avant que le chaos ne se déclenche suite à cette agression. Pour une fois, je suis très heureux qu’un résumé de quatrième de couverture soit aussi faux, de même que le titre, ce qui m’a permis d’être rapidement surpris par le déroulé du récit, où il n’est nullement question de la mort de Yumi ni de « preux chevaliers » (que l’on pouvait comprendre comme étant des samouraïs ou des yakuzas avec un peu d’ironie). La terrible rencontre entre ce pervers de Morgan, assassin à la solde d’une mafia, et de la sourde-muette Yumi va engendrer à la fois une série de morts chez les mafieux et une enquête menée par deux policiers : Ohara, d’origine japonaise (mais que tout le monde pense, de prime abord, être irlandais si l’on pense que son nom s’écrit O’Hara) et Washington, un Noir assez décontracté et costaud. Un duo de limiers assez frais et qui se complètent l’un l’autre, Washington faisant son entrée au sein du service « Vols – Homicides ». La plume de Nan Hamilton est très agréable, aucun mot de trop, et une enquête menée à toute allure, riche en péripéties, qui préserve de purs instants de grâce (la rencontre entre Ohara et Yumi où cette dernière s’exprime par de simples gestes en raison de son double handicap, le cérémonial du suicide plus loin dans le roman, etc.), d’éphémères incursions dans la culture nippone (notamment lorsque Ohara est aux côtés de son épouse) et de très brefs passages laissant à voir le sort des Américains d’origine nippone lors ou juste après la Seconde Guerre mondiale. Pas mal de noirceur malgré la présence de salvateurs traits d’humour, notamment dans la relation entre les deux enquêteurs, de l’humanité également (par exemple dans les ultimes chapitres lorsqu’il s’agit de parler de la mère de Yumi, Hana) et des rebondissements quant à l’identité de l’assassin, sans jamais tomber dans la surenchère stérile d’effets faciles. Donc, beaucoup de sobriété pour une efficacité exaltée, une idée de départ alléchante et un traitement fort convaincant. Une réussite.

    12/10/2019 à 08:47

  • Ichi The Killer tome 1

    Hideo Yamamoto

    8/10 L’un des quartiers les plus pourris du Japon, avec des malfrats chinois, coréens, thaïlandais ainsi que des yakuzas. D’entrée de jeu, on est fauché, voire désarçonné par le graphisme très noir, le style dur et agressif, les dialogues particulièrement crus, et la violence avec force projections de sang. Dans le même temps, on fait la connaissance d’Ichi, un tueur assez particulier. Jeune, aux traits presque juvéniles, qui peut pleurer après avoir achevé un contrat, en apparence et en société fragile mais utilisant ses jambes comme des matraques et tuant grâce à elles et à sa maîtrise du taekwondo, dont la rencontre avec le gamin près de la cabine téléphonique vaut en soi son pesant de cacahuètes, et qui éjacule sur les lieux de ses exécutions. D’autres personnages bien tordus (ce gangster masochiste qui met un anneau aux parties génitales de deux de ses sbires pour les punir, un autre qui a conservé une balle reçue en pleine tête et qui fait que son comportement s’apparente à celui d’un alcoolique, un troisième amateur de nécrophilie…) pour un manga sombre, saturé de violence et de protagonistes torturés, avec des scènes explicites de sexe, hautement inconvenant, et que je conseille donc fortement.

    12/10/2019 à 08:39 1