Les Scrupules de Maigret

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  • 9/10 … ou comment, par un mois de janvier froid et neigeux, le commissaire Maigret reçoit la visite de Xavier Marton, vendeur de trains électriques dans un grand magasin. Pourquoi ? Il écrit simplement « a absolument besoin de s’entretenir avec le commissaire Maigret », et explique au policier qu’il craint que son épouse, Gisèle, n’essaie de l’empoisonner. Et ce qui est troublant, c’est que Gisèle vient ensuite voir Maigret pour lui dire que son mari a des problèmes d’ordre psychologique. Dès lors, notre limier va être confronté à un dilemme, une véritable torture qui ne va plus le lâcher : n’y a-t-il pas là, sous les atours d’une simple friction conjugale, les prémices d’un drame à venir ? J’ai retrouvé avec un entrain qui s’amollit pas la plume de l’immense Simenon, si caractéristique, à la fois sèche et trempée dans le vitriol, pour nous dépeindre ici un couple en plein chaos, d’autant qu’il y a Jenny, la sœur de Gisèle, récemment veuve depuis le décès aux Etats-Unis de son mari, revenu vivre auprès d’elle et de son beau-frère, d’autant plus « dangereuse » qu’elle a dix ans de moins que son aînée et est plus attrayante. Maigret demeure cette force tranquille, toujours aussi juste dans ses observations et ses déductions, même si cette enquête est pour lui assez particulière, comme il le confesse : il n’y a pas encore de crime, alors sur quoi peut-il instruire, même s’il sent que la tragédie est proche. De même, notre commissaire est toujours aussi humain (cf. sa relation avec ses subalternes qu’il appelle toujours « mes enfants », ainsi qu’avec son épouse, qui doit ici perdre un peu de poids et se souvient avec une émotion poignante quoique tout en retenue, de ses premiers baisers avec celui qui va devenir son homme ainsi que la manière dont ils ont pris l’habitude de s’étreindre). L’intrigue est d’autant plus forte qu’elle est d’une simplicité presque élémentaire, ajoutant cette immédiateté à son aspect plausible. Une histoire qui mêle humiliations, déceptions, impuissance, désespoir, puis une double espérance débouchant sur une scène forte, où l’on trouve, à parts égales, une franche ironie du sort, un rebondissement et un moment que n’aurait pas renié Agatha Christie. Toujours ce panache du célébrissime écrivain belge pour décrire les turpitudes d’un couple lambda, aux conséquences terribles et à l’issue létale, que Simenon conclut ainsi : « Pour lui [Maigret], c’était fini. Le reste regardait les juges, et il n’avait aucune envie d’être à leur place ». Encore un excellent opus, à la fois de Simenon et de la série consacrée à Maigret, et, c’est un paradoxe brûlant, d’autant plus fort qu’il est tragiquement crédible.

    04/11/2019 à 17:17 El Marco (3180 votes, 7.2/10 de moyenne) 1