Norbert

317 votes

  • Cemetery Road

    Greg Iles

    8/10 Après sa formidable trilogie du Mississippi Natchez Burning (Brasier noir, L'Arbre aux morts, et le Sang du Mississippi), le grand Greg Iles nous livre à nouveau un polar au souffle romanesque puissant. Comme toujours avec Greg Iles, je l'avais dévoré en seulement quelques jours. On plonge dans ses romans comme dans une bonne série TV, une saga policière : on vit avec ses personnages, on se passionne pour leurs intrigues et on ne voit pas le temps passer - le pire étant qu'au bout des 800 pages, non seulement on n'est pas lassé, mais on en reprendrait bien pour 800 de plus ! Iles est décidément un très grand storyteller, un conteur hors pair, dans la veine des Stephen King ou John Grisham, malheureusement trop peu connu en France mais à découvrir absolument. Un thriller noir puissant et délicieusement immersif.

    29/11/2025 à 23:55 4

  • MotherCloud

    Rob Hart

    8/10 (Avis écrit au printemps 2020 pendant le confinement, il y a quasiment 6 ans). Je l'ai terminé hier et j'avoue avoir pris une petite claque. C'est un vrai coup de coeur.
    Il ne m'a pas seulement redonné goût à la lecture en cette période difficile - où depuis plusieurs jours je n'avais plus vraiment envie ni de lire ni même de regarder des films ou des séries -, mais je l'ai dévoré quasiment d'une traite et l'ai terminé avec la double satisfaction d'avoir lu un roman captivant, certes, et donc très divertissant, mais aussi un livre instructif et - malheureusement - visionnaire à bien des égards.
    Lorsque j'avais découvert son pitch, je l'avais directement précommandé tellement le résumé était à la fois accrocheur et prometteur, mais également ambitieux. Toutefois, comme souvent lorsqu'on a des attentes élevées à propos d'un roman, j'avais aussi la crainte qu'il ne soit finalement pas à la hauteur. Ou qu'il s'agisse uniquement d'un bon thriller, divertissant certes mais pas vraiment à la hauteur du sujet et de ses ambitions.
    Inquiétudes vite envolées heureusement et, dès les premières lignes, j'ai littéralement plongé dans ce récit aussi fascinant qu'effroyablement réaliste. On en ressort secoué, avec l'envie de tout faire pour que ce monde non pas d'après-demain mais de demain ne puisse pas se concrétiser. Pour pouvoir empêcher le rouleau-compresseur qui s'est déjà déclenché depuis au moins une décennie de poursuivre son inexorable progression. Mais pour cela, il faudrait une prise de conscience massive et collective. À découvrir et à lire absolument !
    MàJ : Réédité en poche chez Pocket sous le titre L'Entrepôt.

    28/11/2025 à 22:33 4

  • Rosine, une criminelle ordinaire

    Sandrine Cohen

    7/10 Une belle découverte française, particulièrement touchante et originale. Sandrine Cohen a une voix vraiment singulière dans le paysage du roman noir français, une voix parfaitement maîtrisée mais surtout habitée par son personnage de Clélia Rivoire, enquêtrice de personnalité. Jeune femme au passé mystérieux mais qu'on devine traumatique, écorchée vive qui a le plus grand mal à maîtriser ses émotions et la fâcheuse tendance à insulter tous ceux qui se mettent en travers de son chemin. Heureusement qu'elle peut compter sur son seul soutien, le juge d'instruction Isaac Delcourt. C'est lui qui va lui confier le cas Rosine Delsaux, cette mère apparemment parfaite qui pourtant vient de noyer ses deux petites filles dans son bain.
    S'il faut se méfier des apparences, c'est aussi parce que le personnage de Clélia peut rebuter un peu le lecteur dans les premières pages. On peut avoir tendance à s'agacer au début face à cette énième rebelle écorchée vive aux abords antipathiques. Mais il serait dommage d'abandonner là car, au fur et à mesure du texte et au-delà du personnage de Clélia, c'est le cas Rosine Delsaux qui interpelle.

    Etonnamment, les fulgurances de Clélia au fur et à mesure de son enquête ne semblent pas tirées par les cheveux. Elle-même victime et témoin, Sandrine Cohen s'est beaucoup renseignée sur ces criminels ordinaires et sur la violence intime et intrafamiliale, idem pour la vie en prison et les mécanismes judiciaires. Et sa restitution est brillante, d'un réalisme total. Elle écrit avec les tripes, c'est direct, parfois cru et sans fards. Elle sonde les traumatismes souvent oubliés et pourtant toujours nichés quelque part dans notre conscience. À travers Clélia, elle se fait tantôt psychologue tantôt avocate de ces criminels ordinaires, non pour nier leur responsabilité mais pour creuser leur psyché et peut-être sauver ce qui peut l'être, empêcher la reproduction de mécanismes inconscients. Même si au début on a un peu de mal à vraiment s'attacher aux personnages, Sandrine Cohen nous livre là un texte noir et poignant mais nécessaire, qui pousse à la réflexion.

    27/11/2025 à 18:04 1

  • L'étendard sanglant est levé

    Benjamin Dierstein

    10/10 Je ne pensais pas que ce soit possible, mais apparemment avec Benjamin Dierstein, il faut s'attendre à tout ! Et il réussit le tour de force avec ce 2e tome de surclasser encore Bleus, blancs rouges. Ce mec est plus qu'un prodige, c'est carrément un génie du polar français. Déjà avec sa précédente trilogie, il s'était facilement hissé sur les épaules des plus grands auteurs du noir, mais là, avec cette nouvelle saga, il les a tous terminés !
    Plus rapide, plus fort, plus varié, ce gros volume de quasi 900 pages se dévore avec une gourmandise inattendue tant l'écriture de Dierstein est fluide, percutante et imagée. On se surprend à lire régulièrement 100 à 150 pages d'une traite sans voir le temps passer. Chaque phrase fait l'effet d'une flèche qui se plante en plein milieu de sa cible. Les scènes d'action sont explosives et semblent être directement projetées sur grand écran dans une chorégraphie millimétrée. Quant aux dialogues, ils fusent et claquent, souvent avec une ironie mordante et parfois un humour noir dévastateur. Chaque personnage y possède sa propre voix, parfaitement retranscrite, à tel point par exemple que certaines retranscription d'écoutes téléphoniques - qui, avec des extraits d'articles de journaux, de notes confidentielles ou de rapports de police, ponctuent les changements de chapitres et de point de vue - sont de véritables moments d'anthologie absolument savoureux.
    Entre l'infiltration à haut risque des groupes terroristes d'extrême gauche, les luttes de pouvoir entre services de police qui tentent de survivre à l'arrivée de Mitterrand au pouvoir, les exactions de mercenaires en Françafrique, et le milieu de la nuit parisienne où showbiz, trafiquants, flics, mercenaires, stars, mafieux et politiciens se côtoient et copinent ensemble, Benjamin Dierstein nous offre une reconstitution du début des années 1980 à couper le souffle, comme on ne l'avait jamais ni lue ni vue ailleurs.
    Une fresque absolument grandiose et monumentale, sans temps morts et ponctuée de rebondissements qui sans cesse relancent les différentes intrigues.
    Quand le lecteur tourne la dernière page et se rend compte, sur les rotules, que ce 2ème tome est fini, la seule pensée qui l'obsède alors est : vivement le 7 janvier 2026 pour la parution de 14 juillet, le dernier opus de la trilogie !
    Un tour de force romanesque inédit. Une claque absolument monumentale, grandiose et incontournable !

    24/11/2025 à 20:02 3

  • Bleus, Blancs, Rouges

    Benjamin Dierstein

    10/10 Benjamin Dierstein est la bombe à fragmentation éditoriale et littéraire de cette année 2025, pas seulement dans le noir mais dans toute la littérature française en général. À mon avis, la seule chose qui l'a empêché de gagner des prix plus généralistes est le fait que ce Bleus, blancs, rouges n'est que le 1er tiers d'un gros roman de 2400 pages. Pour le reste, c'est un sans-fautes à couper le souffle, et les seuls équivalents que l'on pourrait mentionner sont l'immense DOA, Don Winslow ou le Ellroy des années 1990 - quand il était au top.
    Même ambition démesurée et pourtant impeccablement exécutée, même souffle romanesque, mêmes personnages complexes et écorchés, même écriture nerveuse et fluide. Car Dierstein a atteint sa pleine maturité stylistique avec cette trilogie : finies les petites scories littéraires qui parsemaient sa première - et pourtant déjà monumentale - trilogie ; dans Bleus, blancs, rouges, tout est impeccable, sans faux pas. Ni le rythme, ni le style, ni les personnages ne faiblissent un seul instant.
    Résultat : le lecteur se trouve plongé dans une restitution spectaculaire de la fin des années 1970 et a l'impression, au fil des pages, d'assister à la projection sur grand écran du meilleur polar français de la décennie, rivé à son fauteuil par une intrigue implacable et un rythme pied au plancher. Du grand spectacle, de la grande littérature noire, pour le 1er tome d'une trilogie qui restera dans les annales.
    Un conseil à vous qui rentrez dans ce roman : réservez d'ores et déjà la suite, L'étendard sanglant est levé, chez votre libraire - elle est encore meilleure - et restez vigilant à la parution du dernier tome, 14 juillet, en janvier 2026.
    Magistral - et c'est un euphémisme ! - et phénoménal. Une claque monumentale, et un régal de fin gourmet à ne pas manquer.

    19/11/2025 à 20:27 6

  • Strange Pictures

    Uketsu

    7/10 Sur le coup, j'ai bien aimé et je l'ai dévoré en peu de temps (en plus c'est écrit gros), un bon roman à énigme avec un côté ludique et original grâce à l'ajout des dessins. Mais quelques semaines après l'avoir fini, il ne m'en reste plus grand-chose et je me souviens à peine de l'histoire. Et je suis d'accord avec d'autres lecteurs en ce qui concerne certaines explications parfois un peu capillotractées (sauf pour la 1ère partie bluffante). Toutefois, ça reste un bon divertissement, original et addictif.

    14/11/2025 à 17:38 3

  • Les Éléments

    John Boyne

    10/10 Magnifique roman, vraiment magnifique, brillantissime, virtuose, palpitant, émouvant, perturbant et fascinant. Enorme coup de coeur !
    Ce n'est pas un polar - plutôt un roman noir, sombre mais lumineux - et pourtant c'est un véritable page turner, avec une construction virtuose, des personnages de chair et de sang, complexes, éblouissants de justesse et de subtilité, qui rendent le livre plus haletant que bien des thrillers ! 500 pages dévorées en 3 jours, je ne m'y attendais pas. Et pourtant, dès le 1er chapitre, je n'ai plus pu le lâcher et j'ai englouti la 1ère partie quasi d'une traite le soir même. Et la suite est du même niveau.
    Les Eléments est un roman choral qui explore l'abus sexuel et ses conséquences, à court et long terme. Chaque partie tourne autour d'un des éléments symboliques - eau, terre, feu, air - et met en scène un personnage principal qui était un des personnages secondaires de la précédente partie. Et John Boyne parvient avec une dextérité rare à mettre le lecteur dans la tête tour à tour du facilitateur, du complice, de l'agresseur puis de la victime d'abus sexuels. L'auteur montre avec une finesse, une subtilité et une empathie impressionnantes toute la complexité de ses différents personnages et de leurs traumatismes, sans jamais les juger. Sans une once de pathos ou de manichéisme, chacun d'eux parvient à nous toucher, voire à nous émouvoir. Un véritable kaléidoscope, vertigineux mais toujours juste et profondément honnête, qui dissèque l'âme humaine et emporte le lecteur dans une exploration sans fards de la culpabilité, de l'innocence, de la complicité, mais aussi de la résilience.
    L'autre tour de force de John Boyne est son écriture sublime et sa construction qui, outre son originalité, parvient dans chacune des quatre histoires à ménager un suspense et même des rebondissements dignes d'un thriller psychologique !
    Un roman absolument magnifique et sublime, impossible à lâcher, à la fois touchant, percutant, émouvant, perturbant et édifiant. Un véritable tour de force romanesque, et une lecture aussi nécessaire qu'addictive. Magistral de bout en bout !

    25/10/2025 à 21:59 9

  • Le Démon

    Hubert Selby Jr

    10/10 Jeune cadre new-yorkais qui approche de la trentaine, Harry White est le fils parfait pour ses parents, chez qui il vit toujours. Ses collègues de travail l'apprécie, et les femmes encore plus. Séducteur invétéré, il passe quasiment toutes ses pauses de midi à draguer et à baiser, si possible des femmes mariées. Très vite pourtant, quelque chose semble ne pas tourner rond : en pleine pause et en galante compagnie, il semble parfois oublier totalement la notion du temps, devoir retourner travailler avec plusieurs heures de retard en ayant totalement oublié ce qu'il vient de se passer entre-temps. Comme si quelque chose en lui prenait le contrôle. De plus en plus fréquemment, le poussant à aller toujours plus loin. Il parvient même à ressentir les signes avant-coureurs de ces dérapages, quelque chose à l'intérieur de lui qui devient de plus en plus intense, violent, qui lui tord et lui déchiquète les tripes jusqu'à l'insupportable. Mais, bientôt, l'adultère et les liaisons de plus en plus dangereuses ne lui suffiront plus à apaiser ce démon qui le ronge de l'intérieur.
    « Ses amis l'appelaient Harry. Mais Harry n'enculait pas n'importe qui. Uniquement des femmes... des femmes mariées. » La crudité de cet incipit peut prêter à sourire. Mais pas le reste du texte. Ecrit à la 1ère personne, Selby Jr embarque de force le lecteur dans l'esprit de Harry et le force à le suivre dans ce qui se révèlera être un engrenage infernal et un véritable calvaire. L'écriture est brillante, tranchante, crue - sans être vulgaire - et parvient à faire ressentir ses émotions, ses souffrances, son désespoir jusqu'à l'inéluctable issue.
    Bien que n'ayant pas encore lu d'autres textes de Selby Jr, je comprends aisément que nombre d'entre eux soient devenus cultes - notamment Requiem for a Dream, adapté au cinéma. Il y a sans doute différentes façons d'interpréter Le Démon, mais j'y vois pour ma part la plus brillante et percutante illustration de l'addiction qu'il m'ait été donné de lire.
    Attention chef-d'oeuvre - malgré quelques lenteurs vers le milieu -, mais à lire avec précaution, si possible dans un moment où l'on est parfaitement bien dans sa peau. Car sinon, ce bouquin s'insinuera dans la moindre de vos éventuelles failles psychologiques et pourrait faire des dégâts. J'en ai moi-même fait l'amère expérience. Une sacrée claque dans la gueule, méchante et qui fait mal. Le chaînon manquant entre L'assassin qui est en moi de Jim Thompson et American Psycho de Bret Easton Ellis. Et je n'exagère pas.

    02/08/2025 à 21:14 3

  • Les Oubliés de Marralee

    Jane Harper

    8/10 J'avais eu un gros coup de coeur pour Canicule, qui fait partie de ces rares livres où, même lorsque l'énigme est résolue à la fin, on aurait malgré tout envie qu'il y ait au moins 400 pages de plus, juste pour pouvoir rester en compagnie des personnages et continuer à se délecter de l'univers crée par l'auteure : autant dire que c'est précisément ce que je cherche dans un grand roman, même si c'est plutôt rare, et que Jane Harper avait donc réussi là à atteindre mon "Graal littéraire".
    Après Sauvage, certes un cran en-dessous de Canicule mais tout de même très bon et captivant, j'ai donc plongé dans le nouveau roman de l'auteure, Les Oubliés de Marralee, 3e et dernière enquête d'Aaron Falk (même si chaque roman peut se lire indépendamment). Et, vraiment, quel bonheur de retrouver le talent et l'univers de Jane Harper ! Son talent rare pour créer des atmosphères immersives et captivantes, pleines de non-dits et de secrets, pour faire vivre devant vos yeux des personnages plus vrais que nature et attachants, aux relations complexes, pour retranscrire des dialogues d'une justesse et d'un réalisme éblouissants. Sans oublier sa façon subtile et saisissante de capturer la mélancolie de souvenirs d'adolescence. Et en plus, comme à chaque fois, quel formidable dépaysement. Regardez la magnifique couverture : on a vraiment l'impression d'y être, dans cette campagne de l'Australie-Méridionale, en pleine région viticole.
    Comme toujours avec Jane Harper, dès les premiers chapitres, j'ai été transporté et captivé. Elle tisse son récit avec profondeur et subtilité, sur un rythme qui semble imprégné de torpeur estivale, jusqu'aux trois-quarts du texte, où elle renverse brusquement la narration et bascule sa focale pour permettre au lecteur d'adopter le point de vue de la victime. Un rebondissement inattendu et parfaitement maîtrisé.
    Jane Harper me rappelle à bien des égards l'irlandaise Tana French, et si jamais vous aimez les polars d'atmosphère et les intrigues psychologiques - avec le rythme des thrillers scandinaves mais transposés dans la beauté de la nature australienne -, alors foncez découvrir cette très grande plume du roman noir. Ca faisait vraiment longtemps que je n'avais pas découvert un écrivain de cette trempe et d'un tel talent et, croyez-moi, ça fait plaisir !

    03/04/2025 à 09:14 3

  • Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu'un

    Benjamin Stevenson

    5/10 Je viens de le finir, et j'avoue que je n'ai pas été captivé plus que ça, notamment à cause de quelques longueurs.
    En plus, l'atmosphère qu'on pouvait attendre de ce type de pitch (huis-clos pour une réunion de famille dans un hôtel de station de ski bloqué en pleine tempête) est à mon sens sous-exploitée / mal restituée / pas au rendez-vous. Sans compter que le petit suspense qui aurait pu s'installer est sans cesse désamorcé par les bons mots de l'auteur et ses touches d'humour second degré (même si celles-ci peuvent faire sourire).
    Il faut dire aussi que l'auteur se place davantage dans une veine "whodunit" que "suspense en huis-clos", et que derrière la situation de départ alléchante, il nous sort en réalité une intrigue qui pourrait être intéressante mais s'avère tellement tortueuse qu'il faut souvent se reconcentrer pour parvenir à suivre...
    Bref, sans être mauvais, on est (très) loin de la pépite ou de la découverte annoncée. Le potentiel est là, avec de bonnes idées, mais sa mise en oeuvre peine à vraiment convaincre totalement.
    5.5 (entre 5 et 6, selon que je note large ou pas)

    09/01/2024 à 22:55 8

  • L'Etoile du nord

    D. B. John

    9/10 Coup de coeur pour ce polar d'autant plus passionnant qu'il est fondé sur des faits réels et offre une plongée inédite et vertigineuse dans l'enfer nord-coréen.
    L'auteur, journaliste d'investigation, a parfaitement réussi son pari : conjuguer l'immersion et l'information fouillée et précise d'un documentaire, avec le plaisir de lecture et le suspense d'un véritable page-turner. Il permet ainsi au lecteur de se divertir, tout en découvrant les arcanes et les horreurs de l'une des dictatures les plus effroyables de la planète, bien trop méconnue.
    Glaçant, effroyable, captivant et pourtant très documenté, avec des personnages fouillés et bien dessinés aux destins poignants : un grand thriller d'espionnage exceptionnel, intelligent et impossible à lâcher. Une vraie révélation, qui mérite vraiment d'être largement découverte !

    « Les séparatistes ou les ennemis de classe doivent être éliminés sur trois générations. » Kim Il-sung, an 58 du Juche, 1970.

    22/09/2023 à 17:55 7

  • Voodoo land

    Nick Stone

    9/10 9.5. Nick Stone avait déjà fait une entrée très remarquée dans le monde du polar avec le déjà très bon et multi-récompensé Tonton Clarinette, où Max Mingus, ex-flic passé par la case prison et devenu détective privé, enquêtait en Haïti. Dans Voodoo Land, on retrouve le personnage de Max Mingus mais vingt ans plus tôt, au début des années 1980, lorsqu'il était policier dans la ville de Miami. Avec ce deuxième roman qui peut se lire indépendamment - ou comme un prequel du premier -, Nick Stone atteint des sommets et nous livre un immense thriller, digne d'un James Ellroy ou d'un Don Winslow. Une intrigue tentaculaire qui mêle corruption à tous les niveaux, trafic de drogue, immigration haïtienne et scènes vaudou hallucinantes, servie par des personnages tout en ambiguïtés et formidablement campés. Un polar monumental d'une rare puissance, doublé d'une superbe fresque qui dépeint au plus juste le Miami du début des années 1980 et l'Amérique de l'ère Reagan, sa corruption endémique jusqu'aux plus hauts niveaux, son immigration haïtienne qui fuit la dictature de Papa Doc soutenue par les USA, mais qui apporte avec elle vaudou et encore plus de trafics de drogue. Un cocktail explosif, un véritable tour de force littéraire qui vous prend aux tripes du début jusqu'à la fin !

    21/07/2023 à 19:24 7

  • Canicule

    Jane Harper

    9/10 Pour un coup d'essai, ce premier roman de l'Australienne Jane Harper est non seulement un coup de maître mais également un véritable coup de coeur.
    Dès les premières pages, après un prologue saisissant, elle plonge son lecteur dans l'ambiance étouffante et bien particulière d'une petite ville rurale perdue dans le bush du sud de l'Australie, victime d'une terrible sécheresse depuis 2 ans et écrasée par une chaleur accablante qui pousse à bout ses habitants, décime les troupeaux et brûle les cultures. Aaron Falk, agent de la police fédérale de Melbourne, est forcé de revenir dans sa ville de naissance pour assister aux funérailles de son ami d'enfance Luke Hadler. Lequel aurait été pris d'un coup de folie en abattant sa femme et son fils avant de retourner l'arme contre lui. Stupeur et incompréhension dans la petite communauté. Les parents de Luke Hadler demandent alors à Falk d'enquêter officieusement pour tenter de comprendre ce qui a pu pousser leur fils à commettre une telle folie. Plus inquiétant encore, ils lui confient savoir que lui et leur fils partageaient un secret et avaient menti 20 ans plus tôt sur leur alibi, quand une de leurs amies avaient été retrouvée noyée dans la rivière aujourd'hui desséchée qui irriguait la ville.

    On suit alors avec fascination le retour au pays de Falk, qui est aussi le retour d'un paria, qui avait du fuir la ville avec son père, pour des raisons qui ne nous seront révélées que progressivement et qu'on ne comprendra réellement qu'à la fin. Et si Falk va se lier d'amitié avec Greg Raco, le jeune policier local, l'ambiance déjà électrique qui régnait à son arrivée va peu à peu devenir explosive au fur et à mesure de son enquête. Certains ne lui pardonnent pas de chercher à déterrer les secrets et les rancoeurs et de gratter derrière les apparences et les faux-semblants. Heureusement, dans cette atmosphère étouffante, les souvenirs d'enfance et d'adolescence de Falk vont réémerger au fil de ses pensées, comme des bulles de tendresse teintées de douce nostalgie, par le biais de courts flashbacks habilement intégrés à la narration au sein des chapitres plutôt que par la traditionnelle alternance passé / présent, devenue un peu trop systématique dans les polars de ces dernières années.

    Jane Harper nous livre une évocation absolument saisissante de ces milieux ruraux australiens, de ces climats difficiles et de ses paysans surendettés, frappés de plein fouet par une crise agricole qui débouche sur le rachat des terres par les Chinois. Surtout, elle parvient à planter son décor de manière cinématographique, en seulement quelques lignes. De la même manière, elle donne vie à des personnages qui crèvent le papier, complexes et plein d'ambiguïtés, dont l'épaisseur est encore renforcée par le réalisme des dialogues et la description tout en finesse et d'une remarquable fluidité du langage corporel. Dans Canicule, les silences, les gestes et les regards furtifs de chacun sont tout aussi importants et significatifs que leurs paroles, et participent à renforcer encore cette atmosphère étouffante, saturée de doutes et de non-dits.

    Avec une intrigue à combustion lente mais d'une redoutable efficacité, à la dramaturgie très élaborée et plantée dans un décor grandiose et sauvage, Jane Harper signe un polar magistral d'une grande subtilité, doté d'une puissance romanesque rare. Un univers tellement immersif et captivant que, même une fois la double énigme résolue, j'ai refermé à contre-coeur ce formidable Canicule, regrettant qu'il ne fasse pas 400 pages de plus. Preuve d'un talent aussi rare que précieux et jouissif, et signe que Jane Harper venait d'atteindre mon "Graal littéraire"...

    PS : ne pas manquer les 2 autres opus de la trilogie Aaron Falk : Sauvage et Les Oubliés de Marralee - paru au printemps chez Calmann-Lévy. En bref, tous les autres romans de Jane Harper, définitivement une des plus grandes plumes du roman noir contemporain !

    15/07/2023 à 23:04 6

  • Bent Road

    Lori Roy

    8/10 8.5. Lu il y a une dizaine d'années, j'en garde un excellent souvenir. Vraiment un excellent premier roman noir dont l'intrigue est centrée sur un secret familial. Lori Roy parvient avec brio à instaurer l'ambiance de plus en plus étouffante de ce petit coin du Texas des années 60, à travers des personnages crédibles et particulièrement fouillés. Une autre grande force de ce roman est précisément son aspect choral qui fait que l'on passe par le point de vue de chaque personnage ou presque - de la mère à celle de la petite fille d'à peine plus de 10 ans, du grand frère à celui du père, tous avec leur caractère différent, leurs expériences, leur vécu, leurs sentiments - et qui apporte à la fois une réelle empathie pour chacun des personnages et insuffle un dynamisme au récit, qui tient en haleine jusqu'à la fin. Lori Roy signe au final un roman aussi convaincant qu'abouti, au suspense psychologique très finement ciselé. Une réussite.

    11/07/2023 à 20:28 6

  • Une saison pour les ombres

    R. J. Ellory

    7/10 J'ai préféré toute la première partie, tant qu'il y a des flashbacks sur le passé de la famille Devereaux, j'ai bien aimé. Par contre après, dès que Jack arrive sur place, j'ai trouvé qu'il bouclait l'enquête assez rapidement et facilement (surtout après tant d'années à patauger).

    En ce qui concerne l'écriture, peut-être que je ne vais pas me faire que des amis, mais je l'ai trouvée assez... plate. Etant donné le décor, il y avait beaucoup de potentiel, et pourtant je n'ai jamais vraiment ressenti le froid extrême ou les bourrasques de vent (pour l'anecdote, j'ai enchainé avec un polar qui se déroulait en hiver à Paris, et j'ai eu davantage froid en lisant certaines de ses pages qu'en lisant ce Ellory !). C'est d'ailleurs ce que j'avais aussi ressenti en lisant Les neuf cercles : je n'y avais cru qu'à moitié, avec l'impression d'évoluer dans une Amérique de carton-pâte. Je me demande si ce ne serait pas dû au fait qu'Ellory place ses intrigues dans des décors où il n'est pas forcément allé, et que par conséquent ça se ressent dans la transposition à l'écrit de ces décors "imaginaires", qui peinent à me convaincre et à me transporter..

    Mais malgré ces quelques défauts qui m'ont fait tiquer, outre une première partie que j'ai trouvée réussie, Ellory a réussi à me toucher, notamment vers la toute fin, lors d'un des derniers dialogues entre les deux frères Devereaux. Donc au final, une lecture plaisante malgré tout et un bon roman noir.

    11/07/2023 à 18:16 6

  • Le Code de Katharina

    Jørn Lier Horst

    8/10 Même si Le code de Katharina est la 5ème enquête de William Wisting traduite en France, elle inaugure le "Quatuor des cold cases" et constitue donc une excellente porte d'entrée pour cette série. Et quel plaisir de découvrir un auteur et une nouvelle série aussi efficace ! Un excellent polar, aussi précis et efficace qu’une horlogerie suisse !

    24 ans que Katharina Haugen a disparu, et Wisting a fini par se lier avec son mari Martin, au point d'organiser chaque année un week-end de pêche pour commémorer l'évènement. Sauf que cette fois-ci, il y a du nouveau : Adrian Stiller, qui dirige une nouvelle cellule d'enquête dédiée aux affaires classées au sein de la police criminelle, soupçonne Martin Haugen d'être également lié à un enlèvement. Il va charger Wisting de tenter de soutirer des aveux à Haugen durant leur week-end en pleine nature, et va se servir de Line, la fille de Wisting, pour qu'elle médiatise l'affaire en diffusant en même temps un podcast à forte audience, espérant ainsi faire réagir le suspect. Même si Line ne sait pas que Wisting et Stiller ont déjà un suspect en vue.

    Je ne suis pas forcément un grand fan des romans de procédure, mais j'avoue que l'efficacité de celui-ci m'a autant surpris que captivé. On est happé par cette double enquête, celle de Wisting et celle de sa fille Line, qui fonctionne comme un étau qui se resserre autour du suspect. On partage les doutes, les craintes, les soupçons et les intuitions de Wisting, et on voit en parallèle sa fille Line parvenir peu à peu aux mêmes conclusions de son côté, et s'inquiéter du danger que va courir son père durant son séjour seul avec le suspect.
    C'est d'autant plus efficace que Jorn Lier Horst fait suffisamment confiance au lecteur pour ne pas tout surexpliquer, comme c'est parfois le cas dans certains polars. Au contraire, Horst laisse son lecteur interpréter certaines attitudes ou certaines paroles de ses personnages. Un lecteur qui va se mettre à douter au même titre que l'enquêteur, tant l'ambiguïté continue à régner, tant dans les faits ou les paroles des différents suspects.
    Résultat : un belle tension narrative et psychologique s'installe, pour culminer pendant ce huis clos de deux jours en pleine nature entre Wisting et son principal suspect. Un suspense d'autant plus efficace et captivant que l'intrigue fonctionne comme un mécanisme d'horlogerie suisse d'une redoutable précision.

    Lorsqu'on évoque un Michael Connelly norvégien, on a plus tendance à penser tout de suite à Jo Nesbo et à son inspecteur Harry Hole. Or, si William Wisting est certes un personnage moins complexe et torturé que Bosch ou Hole, il n'en demeure pas moins particulièrement humain et attachant. Surtout, on sent que Horst a lui-même été policier pendant de nombreuses années, ce qui confère à ses roman un réalisme saisissant, une atmosphère tendue et une efficacité redoutable !
    En tout cas, je comprends le succès grandissant de Jorn Lier Horst partout où il est publié. Je suis moi-même en train de lire La chambre du fils, 2e enquête de ce Quatuor des cold cases.

    01/07/2023 à 15:29 7

  • Volte-face

    Michael Connelly

    8/10 Plus de 15 ans après la lecture de La défense Lincoln - et après avoir vu le film puis, plus récemment, la série Netflix adaptée du Verdict du plomb -, j'ai eu le plaisir de retrouver autant Connelly que son personnage de Mickey Haller. Et je crois que j'avais fini par oublier à quel point c'est bien !

    Après quelques chapitres d'installation, on se retrouve vite en immersion dans cette affaire et j'avoue qu'après un roman de Grisham un peu mou - mais heureusement bien raconté -, quel régal de se faire embarquer dans un thriller judiciaire aussi haletant ! On vibre avec Bosch et Haller. Avec Mickey qui peut se faire coincer au tribunal par l'avocat de Jessup avec la roublardise dont lui-même faisait preuve lorsqu'il était du côté de la défense. Et qui assiste à la comédie de ce même avocat s'employant à faire passer son client aux yeux des jurés pour un opprimé et une victime du système judiciaire. On ressent leur pression, leurs frustrations et leur tension. Comme eux, on a la même crainte que l'accusé parvienne à duper le jury et être déclaré non coupable.

    Que ce soit pour l'enquête de Bosch et ses filatures nocturnes, ou pour les scènes de prétoire, de la sélection des jurés à la préparation des témoins, ce qui frappe c'est l'expertise absolue de Connelly, la crédibilité impressionnante et le sens du rythme qu'il arrive à insuffler à son roman. Même son dénouement sans happy end est bien amené, et son côté sombre non dénué d'amertume et de questions laissées sans réponses le rapproche encore davantage du réel.
    Avec Volte-face, Connelly prouve qu'il reste un maître du genre et livre un polar de haute volée, d'une efficacité redoutable et d'un réalisme de chaque instant, qu'on a le plus grand mal à lâcher.
    Une chose est sûre : je n'attendrai pas encore 15 ans pour me ruer sur la suite (Le cinquième témoin) !

    24/06/2023 à 20:58 6

  • Le Droit au pardon

    John Grisham

    6/10 6,5. Le droit au pardon est donc le premier roman de John Grisham que je lis. C'est donc délicat, pour ne pas dire inapproprié, de juger un auteur ou son oeuvre en n'ayant lu de lui qu'un seul titre. Pourtant, je ne pense pas trop me tromper en disant que Le droit au pardon n'est probablement pas son meilleur roman.
    En effet, pour moi la plus grande surprise de ce roman, c'est justement le fait qu'il en est totalement dépourvu ! Ce gros pavé de 560 pages (en grand format) décrit dans les moindres détails la préparation d'un procès où la peine de mort est demandée par le procureur à l'encontre d'un adolescent de 16 ans qui a tué le compagnon de sa mère, un alcoolique - violent et menaçant avec eux - qui était surtout un adjoint au shérif très respecté. Son avocat Jack Brigance se voit confier l'affaire par le juge, alors même qu'il sait qu'il va se mettre la petite ville où il vit à dos. Il va même devoir s'endetter pour couvrir les frais d'un procès de cette envergure, alors qu'il sait que son client et sa petite famille ne pourront pas le payer et que le dédommagement prévu par l'Etat n'excède pas... mille dollars.

    Et pourtant, la seconde surprise de ce roman est que, malgré le fait qu'il en soit dépourvu, je ne me suis pas ennuyé pour autant à sa lecture ! Et c'est là, je pense, le grand talent de Grisham : celui d'être incontestablement un véritable raconteur d'histoire. Malgré son côté très américain et formaté, sa grosse mécanique très (trop ?) huilée, ses personnages presque manichéens, il a le don pour embarquer son lecteur. Un talent de conteur qui m'a rappelé un autre grand auteur américain de polars vivant au Mississippi, hélas bien moins connu que Grisham : Greg Iles (auteur notamment de la superbe trilogie du Mississippi - Brasier noir, L'Arbre aux Morts et Le Sang du Mississippi -, et de l'excellent Cemetery Road).
    Et c'est lorsqu'on arrive enfin au procès (qui ne dure pas plus de 100 pages, en fin d'ouvrage), avec les joutes entre procureur, témoins, avocat et juge, qu'on entrevoit la maestria de l'auteur, son expertise et son habileté pour recréer toute la tension psychologique d'un procès d'envergure, avec la bataille entre l'accusation et la défense. Pourtant, là encore, aucune surprise et aucun gros rebondissement.
    Bref, si j'ai été malgré tout captivé jusqu'à la fin, c'est avant tout grâce au savoir-faire indéniable de Grisham, à son don de conteur, plutôt qu'à son intrigue - plutôt plate et routinière. Preuve que, visiblement, même le moins bon des Grisham reste encore supérieur à beaucoup de titres de la (sur)production actuelle de polars. Tout simplement parce que la mayonnaise prend et que, même si elle paraît un peu fade, ça reste quand même pour moi l'essentiel.

    20/06/2023 à 20:40 5

  • Sirènes

    Joseph Knox

    8/10 Alors que je me rends compte qu'il y a tant de romans lus il y a seulement quelques mois dont je n'ai déjà plus aucun souvenir, certaines scènes ou personnages de Sirènes - que j'avais pourtant lu à sa sortie il y a plus de 4 ans - me restent encore gravés en mémoire. Preuve du talent éclatant et de l'univers singulier de Joseph Knox, ce nouvel auteur britannique qui n'est pas sans me rappeler, par certains aspects, l'Ecossais Alan Parks et son personnage de Harry McCoy.

    Une sacrée découverte donc, ce Joseph Knox, comme on en fait rarement. Avec un univers , un style et une voix bien à lui. Si son jeune flic infiltré Aidan Waits n'est pas forcément sympathique au premier instant, il n'en est pas moins fascinant. Et, avec son caractère borderline, son lourd passé et ses penchants autodestructeurs, il se révèle malgré tout vite attachant, lui qui ne cesse pourtant de frôler la ligne jaune et qui va être durement éprouvé tout au long de son enquête.
    Drogue, alcool, prostitution, corruption : une plongée vertigineuse dans les nuits de Manchester. Avec un suspense captivant, une atmosphère nocturne électrique, un style vif et mordant et, en prime, de beaux personnages féminins, touchants et très finement campés, Sirènes est décidément un très bon polar urbain, sombre et nerveux, à l'ambiance poisseuse, qui ravira les amateurs de noir.

    Et les deux autres romans de cette série consacrée à Aiden Waits, Chambre 413 et Somnambule, ont confirmé tout le bien que je pensais de Joseph Knox, un auteur à découvrir et à suivre.

    23/05/2023 à 21:08 5

  • La Médium

    J. P. Smith

    7/10 Le quotidien d'une fausse médium bascule lorsque ses séances de spiritisme commencent à devenir dangereusement réelles. Le scénariste J. P. Smith livre un thriller psychologique hitchcockien aux frontières du paranormal.

    Depuis qu'elle a perdu son mari dans les attentats du 11-Septembre, Kit Capriol se sent proche des morts, comme si elle n'était séparée d'eux que par un infime voile. Pourtant, elle n'entre pas réellement en contact avec eux, contrairement à ce qu'elle affirme à ses clients. Elle qui est comédienne n'a aucun mal à se glisser dans ce rôle de médium qu'elle s'est inventée pour tenter de joindre les deux bouts.
    Car courir les castings entre deux cours de théâtre dans l'espoir de décrocher un nouveau rôle ne suffit plus à payer son loyer à Manhattan et, surtout, à régler les factures d'hôpital de sa fille Zooey, tombée dans le coma quatre ans plus tôt en étant témoin d'un accident tragique dans le métro.
    Mais le bouche-à-oreille de ses clients satisfaits a fini par alerter le service de répression des fraudes de la police. L'inspecteur Tony Cabrini va tenter de la prendre en flagrant délit, en soudoyant une vieille femme pour qu'elle vienne consulter Kit à propos d'un défunt imaginaire. Pas évident, car Kit est maline : la première consultation est gratuite, et pour les suivantes elle n'accepte que les dons déposés dans une corbeille. Pas d'échange d'argent de main à main. Par contre, ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est que la séance de spiritisme fonctionne : Kit sent une réelle présence et entend la voix d'une femme qui semble vouloir l'avertir d'un danger...

    Si le lecteur ressent de la sympathie et de l'empathie pour Kit, c'est parce qu'elle est marquée par le deuil et la solitude, une solitude que ni l'alcool ni les rencontres d'un soir ne comblent. « Parce qu'elle avait appris que vivre seule - être seule - était presque aussi dur que la mort de Peter. Un adieu qui n'en finissait pas. » De plus, ses séances de spiritisme, si elles reposent sur une arnaque, sont aussi - et surtout ? - pour elle l'occasion d'apporter du réconfort aux famille des défunts, de leur rappeler que les personnes aimées continueront à exister à travers leurs souvenirs. « Ceux que nous aimons sont autour de nous. Ils ne nous quittent jamais. Nous devons nous souvenir et croire. C'est ce qui les attire vers nous. La fidélité et la mémoire. » Un mantra qu'elle répète à ses clients - peut-être qu'elle-même aurait aimé l'entendre dans les moments les plus difficiles - et dont elle a fini par se convaincre.

    Lorsque le paranormal va surgir dans sa vie et bousculer son quotidien, Kit baigne déjà dans un sentiment d'irréalité diffus mais troublant que J. P. Smith parvient parfaitement à retranscrire, et dans lequel il immerge le lecteur dès les premières lignes : « Je réunis quelques informations sur les défunts et j'improvise. Et la plupart du temps, les gens me croient. Parce que c'est ce qu'ils veulent entendre. Sauf qu'il s'est passé quelque chose. Maintenant je communique vraiment avec les morts. Et je pense qu'ils sont en train d'envahir ma vie. » Kit est réveillée la nuit à heures fixes, entend quelqu'un jouer sur le piano qui est pourtant resté fermé depuis que sa fille est à l'hôpital. Tout en croyant devenir folle, elle tente désespérément de conserver un quotidien normal, entre les visites au chevet de Zooey et les castings. « Je galère depuis trop longtemps. Et je suis seule depuis presque autant de temps. Je tourne en rond et ce n'est pas bon pour la tête. » La rencontre un soir dans un bar de David Brier, un homme charmant qui lui plaît et lui explique que lui aussi a perdu sa femme quelques années plus tôt, va t-elle lui permettre de se raccrocher à une réalité qui, pourtant, semble se déliter peu à peu ? Mais qui est David ? Cherche t-il vraiment à l'aider ?

    Si, à travers le personnage de Kit, J. P. Smith parle du deuil et de la solitude qu'il peut entraîner, il parsème son texte de mystères et de faux-semblants et se joue avant tout magistralement du lecteur, qui ne sait plus qui croire et échafaude les hypothèses les plus folles. La citation de Sueurs froides de Hitchcock en exergue de son roman annonce la couleur et, du début à la fin, La Médium ne cesse de naviguer entre suspense psychologique, roman noir, surnaturel et thriller domestique, en évitant habilement les habituels travers de chaque genre. Et si la fin peut éventuellement déstabiliser les plus rationnels, voire dans une certaine mesure décevoir les autres avec une conclusion fataliste un peu moins fracassante que prévue, elle est pourtant parfaitement cohérente avec l'ensemble du texte. « Si on feuillette le livre des morts, on voit bien sur les photos qu'aucun d'entre eux n'est prêt. Ils sont tous au bord d'autre chose : ils font des projets, échafaudent des combines, espèrent, croisent les doigts. Sourient, agitent la main, sirotent un cocktail sur une plage appelée Paradis. Et puis un beau matin tout s'arrête. »
    Un thriller addictif et troublant qui sort des sentiers battus.

    13/05/2023 à 17:27 6