BillieWild

24 votes

  • Moscow

    Edyr Augusto

    8/10 Soeur insulaire de Belém, ville du Nordeste brésilien, Mosqueiro a été longtemps un lieu de villégiature pour fortunés. Surnommée Moscow par les plus jeunes, elle symbolisait jadis la détente et le soleil. Aujourd'hui, elle demeure dans l'ombre, plongée dans le noir par la délinquance et le crime. le narrateur, un adolescent brésilien, passe le plus clair de son temps avec sa bande d'amis à essayer de tuer l'ennui. Passées les réjouissantes parties de foot, la saveur des bières mêlée aux conversations sans fin, la découverte du heavy metal ou l'écoute de musiques plus populaires telles que le pagode, il ne reste que le désoeuvrement. Même la vue de jeunes filles peu vêtues ne parvient plus à les distraire et à alimenter leurs fantasmes d'adolescents. Leurs corps en émoi réclament la chair et ils en viennent à la prendre de gré ou de force... le narrateur, anonyme durant la majeure partie de cette oeuvre, paraît déshumanisé tant Edyr Augusto en dit peu sur lui. Incarnation de ces pulsions et de sa concupiscence, il n'obéit qu'à ses propres instincts. Seule la sculpturale Graça, adolescente dont il est épris, parvient à lui redonner un semblant de forme humaine. Cependant, elle n'en finit pas de hanter les nuits du narrateur. Elle brûle sa mémoire tel un astre incandescent et obsède ses journées. Mais s'il rêve secrètement de la posséder, c'est auprès d'autres corps qu'il assouvit sa faim de peau. Graça respectée voire déifiée, personnification de la pureté, apporte un peu de fraîcheur sur cette île où le vent ne charrie que le sang et le stupre. Deuxième roman de Edyr Augusto, Moscow plonge le lecteur dans un abîme de violence infinie. L'oeuvre pesante et sombre, évoque par certains aspects L'Orange Mécanique d'Anthony Burgess. Entre le narrateur de Moscow et Alex, le chef de gang des droogs et son appétence pour « l'ultraviolence », les similitudes sont nombreuses. Un roman dérangeant peuplé d'esprit dérangés.

    20/01/2016 à 08:11 7

  • Fight Club

    Chuck Palahniuk

    8/10 Le Fight Club ou Club La Cogne est un rassemblement clandestin d'hommes insatisfaits de leurs vies et de l'existence en général. Il se propage comme une pieuvre étendant ses tentacules sur le territoire américain et tente de juguler l'american way of life. Chaque fin de semaine, des individus de tous milieux se retrouvent pour donner des coups et surtout en prendre. Parce-que la douleur les rend vivants. Ils sont tous égaux au club avec pour uniques armes leurs poings et leurs pieds nus. Là, en meurtrissant les chairs de leurs adversaires, ils soulagent leur haine. Et les coups, bleus, plaies, sutures, dents perdues deviennent alors des trophées de la guerre qu'ils mènent secrètement contre eux-mêmes. Tyler Durden est celui qui est à l'origine du Fight Club. Tour à tour projectionniste, fabricant de savon, serveur, il exerce ces différentes professions dans une totale anarchie et ne respecte ni la bienséance ni le travail bien fait. Quand il n'intercale pas des scènes pornos sur la pellicule d'un film familial, il éternue ou urine sans vergogne dans l'assiette de Monsieur et Madame de... . Un vrai petit farceur ce Tyler qui manie la nitroglycérine comme un ado sa console de jeux. D'ailleurs, c'est dans le même esprit blagueur qu'il a collé un revolver au fond de la gorge du narrateur et s'apprête à faire sauter un immeuble (des fois que le revolver ne suffise pas, deux précautions valent mieux qu'une!). Vous dire comment ils en sont arrivés là est interdit car « la première règle du Fight Club est qu'on ne parle pas du Fight Club ». Fight Club récompensé aux Etats-Unis en 1996 par le prix de la Pacific Northwest Booksellers est le premier roman de Chuk Palahniuck. Portée par des personnages singuliers dont Tyler Durden en tête en « gourou anarchiste » suivi d'un narrateur désabusé et insomniaque ou encore de la cynique Marla, cette oeuvre allie noirceur, violence et grande originalité. Si l'écriture fragmentée peut parfois sembler déconcertante, les thèmes abordés et l'intrigue valent que l'on plonge dans ce roman quitte à s'y noyer un peu. Adapté au cinéma en 1999 par David Fincher et magnifié par un Edward Norton au sommet de son art, Fight Club peut être perçu comme le cri libertaire d'une génération refusant le formatage et les normes sociétales. le cri d'êtres qui n'exprime leur colère que par les coups.

    20/01/2016 à 08:09 2

  • Golgotha

    Leonardo Oyola

    7/10 Nul ne peut gommer ses origines. Quand on est né dans le ruisseau, la vase pénètre chacun des pores de votre être et ne cesse de vous rappeler d'où vous venez. Les indigents de Scasso, une villa miseria, de la banlieue de Buenos Aires ne le savent que trop. Certains tentent vainement d'en sortir et d'échapper aux dédales des pasillos, les longs boyaux étroits reliant un quartier de cet enfer argentin à un autre. Calavera croyait s'être débarrassé de la lie dans laquelle il avait vu le jour. Jeune flic et jeune père de famille, il espérait avoir tourné le dos à la boue du bidonville et à son infamie. Mais un événement sordide va le ramener vers son passé jusqu'à étouffer son présent avec la terre de Scasso lourde de malheurs et de crasse. Une adolescente prénommée Olivia vient de mourir des suites d'un geste malheureux d'une faiseuse d'anges. Sa mère, l'inconsolable Magui, a préféré la suivre et accompagner son enfant dans la mort. Magui a été mère très jeune elle-aussi et voit l'histoire se répéter... Car dans la villa miseria, les enfants marchent dans les pas de leurs parents. le droit chemin ne leur semble pas autorisé. Reste un sol instable et accidenté sur lequel ils ne cessent de trébucher. Calavera, malgré le soutien de Lagarto son coéquipier plus âgé et plus aguerri aux vicissitudes du Scasso, a du mal à digérer ces deux décès. Lui-même vient de devenir responsable d'une petite vie et comprend ce que Magui a dû éprouver. de plus, elle a été son amour de jeunesse. Une histoire demeurée intacte dans ses souvenirs car jamais consommée. Ni Lagarto, ni la raison ne parviennent à contrôler le brasier qui s'est emparé de Calavera. Pour lui, il n'existe qu'une seule façon d'éteindre ce feu qui le ronge. Il lui faut tuer l'homme qui a engrossé la jeune Olivia : Kuryaki, une figure de Scasso qui a séduit plus d'une femme, un serpent père d'une ribambelle d'enfants. A Scasso, le sang ne se lave que dans le sang et Calavera veut voir couler l'hémoglobine. Leonardo Oyola nous plonge dans une Buenos Aires inconnue des européens que nous sommes; un lieu sordide où les pasillos ne génèrent que Violence et Misère. Golgotha prend, au fil des pages, des allures de vendetta où les codes qui régissent la villa miseria sont mis en exergue. Une histoire incisive où la loi du Talion et l'honneur remplacent l'argent dont le manque se fait continuellement ressentir. La Scasso de Oyola est un lieu à part où les habitants se nourrissent de télévision et de cultes religieux entre deux sombres affaires de vengeance...Un monde où un homme a choisi d'entreprendre son propre chemin de croix sur un Golgotha moderne et impitoyable.

    20/01/2016 à 08:06 2

  • Un thé en Amazonie

    Daniel Chavarría

    10/10 Il est des trésors que l'on croit inviolables et protégés à jamais de l'avidité humaine. Au coeur de l'Amazonie, les eaux du rio Tapajós sont parvenues un temps à dissimuler les vertus de la tapagine. Issue de la feuille d'un arbre présent dans cette région du globe, cette substance possède des pouvoirs remarquables. Seules quelques tribus ont eu le privilège d'exploiter ces propriétés antalgiques et hypnotiques. L'enfer vert aurait gardé férocement ce secret si Zé Bonitinho, un homme du Nordeste, n'avait dévoilé l'existence de ce végétal à Charles Reeds; un ingénieur qui l'emploie en tant que guide sur le Tapajós. Ce brésilien, fils de l'indigence et de la malchance, connaît bien ce lieu. Il a été initié aux us et coutumes des indiens installés au sein de ce territoire. Un sorcier de la Serra de Cachimbo a partagé avec lui la sagesse des siens. Il a ouvert sa conscience aux rites séculaires et aux croyances restées inconcevables aux yeux des blancs. Analphabète et plus fanfaron que réfléchi, Zé Bonitinho révèle cette découverte à l'étranger. Reeds entrevoit déjà le potentiel de ce miracle de la Nature et devine aisément le bénéfice qu'il pourrait engendrer. L'odeur de l'argent et les désirs de puissance attirent bon nombre de vautours au pied de ces arbres extraordinaires. Heureux seront les possesseurs de la tapagine qui, par sa connaissance, atteindront l'hégémonie suprême. Et les visionnaires se rêvant détenteurs universels du pouvoir du végétal surgissent par dizaines. Entre coups bas, espionnage, plans machiavélique et mégalomanie, la course à la tapagine est lancée.
    Daniel Chavarría promène le lecteur dans les méandres du XXème siècle et le conduit à explorer les bassesses les plus obscures de l'âme humaine. du Brésil sauvage à Cuba, de l'Espagne franquiste à L'Indochine, l'auteur mène une saga enlevée ou fiction et histoire se mêlent étroitement. Construit en courts chapitres imbriqués les uns dans les autres, Un Thé en Amazonie apparaît comme un fantastique métier à tisser. Pas à pas, Chavarría tisse des fils d'Ariane surprenants, colorés et tendus à l'extrême créant une composition unique et puissante. Chaque chapitre élaboré autour de personnages, d'époques et de lieux précis vient enrichir cette oeuvre foisonnante et maîtrisée d'une nouvelle nuance. L'art de l'auteur réside dans sa capacité à maintenir une tension révélant toute son ampleur dans les dernières pages. Si l'on a parfois du mal à cerner l'utilité dans la narration de certains événements, l'ensemble du roman se coordonne et se met en place dès l'histoire finie. A l'image des héros qui hantent cette fresque tels l'inoubliable Jaime de Arnaiz, l'indépendante Jimena ou Da Silva, scientifique accompli, Daniel Chavarría livre un roman passionné et passionnant. Des confins de la forêt vierge aux heures troubles de l'Espagne, Un Thé en Amazonie se déguste tel un breuvage inhabituel aux saveurs douces-amères et étonnantes.

    20/01/2016 à 08:01 2

  • Aller simple

    Carlos Salem

    8/10 Dorita n'est plus... Sonnez hautbois, résonnez musettes ! La détestable emmerdeuse qu'elle était a gagné les Enfers pour le plus grand plaisir de son mari, Octavio Rincón.
    Vingt-deux ans que ce fonctionnaire espagnol se cogne cette mégère aux allures de Méduse castratrice.
    Vingt-deux ans à supporter ces brimades et à souffrir sa présence déplaisante. Mais la vie fait parfois des cadeaux aussi inattendus et salvateurs qu'un chèque de remboursement des impôts suite à un trop-perçu. Partis en vacances au Maroc, le couple qui file le parfait désamour se voit dissolu par la mort brutale de Madame en pleine sieste (merci Morphée !). Octavio est libéré du rodéo infernal mené par sa grosse vache d'épouse. « Libéré », c'est vite dit ! le cadavre de l'horrible harpie est toujours là et il va falloir trouver une solution. Lui qui ne parle ni français ni arabe va devoir justifier l'état de sa moitié. Tandis qu'il active ses méninges pour trouver comment se débarrasser de ce lourd fardeau (au sens propre comme au figuré), Octavio voit s'opérer quelques changements en lui. Pareil au sphinx, cet esclave affranchi du joug du mariage renaît de ses cendres (enfin surtout de celles de Dorita !). Il devient combatif, gagne en assurance et voit ses attributs masculins, depuis plus de vingt ans au régime sec, affamés de chair tendre. Notre veuf , loin d'être éploré et plus fringant que jamais, se montre disposé à honorer toutes les gazelles du Maroc.
    Dans un pays qui lui est totalement inconnu, les caprices du destin vont mettre sur sa route des situations et des personnages tous plus ubuesques les uns que les autres. A commencer par Soldati, escroc argentin et inventeur d'idées supposées géniales comme la vente de glaces aux touaregs. Octavio, entraîné par le filou sud-américain, ne tardera pas à se retrouver sur des pistes savonneuses voire casse-gueule. Faute de mieux, il ne peut que se fier à cet amateur de foot et de femmes. Croiseront entre autres aussi le chemin de ce duo hispanophone : un bolivien membre de la pègre, un vieil hippie désabusé prénommé Charly, un réalisateur de film qui tourne sans pellicule ou encore un chanteur de tango dont le seul but est d'envoyer Julio Iglesias dans un monde meilleur. du moins, s'il n'est pas « meilleur », dans un monde où l'hidalgo geignard sera réduit définitivement au silence.
    Aller Simple porte en lui la démesure de la littérature hispano-américaine. On se laisse très vite embarquer dans cette épopée loufoque aux dialogues savoureux et aux personnages attachants. L'auteur, Carlos Salem, use et abuse de la dérision, du retournement de situation et d'un vent de folie aussi ardent qu'un sirocco. A tout cela déjà fort appréciable, il n'oublie pas d'y adjoindre ce supplément d'âme propre à certaines oeuvres d'auteurs sud-américains. Cette petite flamme qui, sans prévenir et au milieu d'une scène saugrenue, va vous atteindre et vous brûler un peu. Ainsi, si le comique est présent tout au long de cet attrayant roman, les sentiments ne sont jamais loin. Octavio qui goûte à cette liberté si longtemps désirée fait aussi l'expérience de l'amitié et de l'amour et découvre la vie avec un regard neuf.
    Salem signe ici une oeuvre comme il en existe peu, capable de vous faire sourire et frissonner d'une page à l'autre.

    20/01/2016 à 08:00 2

  • Un doux parfum de mort

    Guillermo Arriaga

    7/10 Un doux parfum de mort flotte sur les coins les plus reculés du Mexique, pays de couleurs et de fièvre.
    Loma Grande, village oublié, va être sorti de sa torpeur par des cris d'alerte. le corps d'une jeune femme, Adela, est retrouvé nu gisant dans une mare de sang. Ramón, seize ans à peine, en voulant préserver la troublante et dérangeante nudité de la défunte va devenir l'objet d'une folle rumeur. Les villageois constatent son émoi et l'attribue à des sentiments profonds qu'il nourrissait pour cette jeune fille. Les autorités locales, peu enclines à se mouiller dans la résolution d'affaires sordides, vont laisser le jeune homme s'occuper de cette tâche funeste. A Loma Grande, on lave le sang par le sang. D' adolescent tout juste sorti de l'enfance, Ramón devra se convertir en chasseur. Et le voilà partagé entre le désir ressenti pour Adela et son envie de clamer haut et fort la vérité... Mais il existe des brûlures bien plus ardentes que celles du soleil... Amour et Désir vont serpenter dans ce village blessé et répandre leurs venins au sein d'une galerie de personnages enfiévrés. de la femme adultère au mari violent et alcoolique, du flic véreux aux parents anéantis de Adela...Tous réclament vengeance.
    Guillermo Arriaga nous livre ici un roman aride et fort. Plus peintre qu'écrivain, il esquisse des portraits de personnages réalistes et sans concession. On perçoit dans son écriture, le Mexique inconnu du grand public, bien loin du folklore attrape touriste. Cet auteur a écrit les scénarios de 21 grammes, de Babel et du magistral et dérangeant Amours Chiennes (Amores Perros) de Alejandro Gómez Iñáritu . Un Doux parfum de mort est un calque de ces scénarios. Tout y est : l'ambiance pesante, les personnages forts et blessés, les histoires imbriquées et le récit sinueux. le Mexique de Arriaga sent bel et bien la sueur, le stupre, la bière chaude et la mort... C'est un pays de misère, où les hommes sont aussi meurtris et desséchés que la terre, où les femmes perdent leur fraîcheur avant d'avoir eu le temps de vieillir et où les enfants ont peu de chance de devenir adultes.

    20/01/2016 à 07:59 3

  • La vie est un tango

    Lorenzo Lunar

    8/10 « Il s'appelait Maikel Diaz Martinez, il vient de se faire aligner, il avait dix-neuf ans. »
    Installé depuis trois mois dans un quartier pauvre de Santa Clara, c'est entre quatre planches qu'il y résidera désormais. Il est des gens sur lesquels le temps enfonce plus durement ses serres. Maikel, comme bon nombre d'habitants de Santa Clara, était de ceux-là. Au sein de ce barrio exsudant la misère cubaine dans sa forme la plus crue, tous deviennent vieux avant d'avoir eu le temps de vivre. Une fille de traînée, si jeune soit-elle, sait bien que le lourd héritage légué par sa mère l'étendra elle aussi sur des matelas souillés. Quant aux hommes, le rhum, escapade éphémère à l'indigence, se transmet de génération en génération. Léo Martin, commissaire de quartier, n'y a pas échappé. Santa Clara a connu ses premiers pas, ses premières cuites et ses premiers émois. Être flic dans un endroit où l'illégalité est entrée dans les moeurs au point de faire partie de la norme requiert une énergie que Léo, la trentaine bien entamée et déjà pesante, a de plus en plus de mal à fournir. le meurtre de Maikel lui renvoie en pleine gueule la noirceur de sa terre, la mort de ses proches, et les échecs de sa vie : des déboires sentimentaux qui s'enchaînent, un enfant qu'il voit peu, les morts des proches qu'il n'a pu empêcher et des perspectives d'avenir bien sombres. Santa Clara, berceau et prison, s'abreuve des plus belles années de ses résidents. Un barrio converti en monstre générant d'autres monstres à l'image du meurtrier de Maikel que Léo Martin met un point d'honneur à démasquer. Mais dans ce quartier qui a ses propres lois, nul n'est innocent ; entre les rumeurs et les fausses accusations, Martin aura du fil à retordre. Santa Clara, plate-forme sordide où tout se monnaie et où les convoitises et l'argent aiguisent les appétits les plus voraces, n'est pas prête à révéler ses secrets les plus noirs.
    Deuxième volet de la trilogie autour de Léo Martin, La vie est un tango semble plus axé sur les ressentis de ce personnage. Si Boléro noir à Santa Clara, premier opus de cette série, mettait en relief El Condado, sa violence et sa misère, ce roman se focalise davantage sur le héros lui-même. Ses émotions et son mal-être semblent contaminer toute la communauté du quartier. Une chape de tristesse et de nostalgie douce-amère nimbe ce roman où Lorenzo Lunar donne vie à un quartier aussi exécrable qu'ardent, aussi émouvant que scandaleux. Santa Clara, danseuse corrompue et lascive, impose son rythme tiraillée entre fièvre et renoncement.

    20/01/2016 à 07:57 2

  • Le Dahlia Noir

    James Ellroy

    10/10 Désarticulée, telle une poupée abandonnée, elle s'offre une dernière fois au regard des passants. Ses longs pétales étiolés, gisent au milieu d'un terrain vague et leur parfum sulfureux s'évanouit lentement dans l'air vicié. le dahlia noir s'est fané. Sombre et fragile, froide et brûlante telle était Elisabeth Short dont le surnom floral et mystérieux résonne encore dans la Los Angeles interlope. Aujourd'hui, son cadavre mutilé n'a plus rien à voir avec la jeune femme qu'elle a été. La fleur n'est plus qu'un souvenir lointain. Dwight Bleicheirt et Leeland Blanchard , tous deux membres du LAPD, vont mener l'enquête et plonger au coeur d'une affaire qui les entraînera malgré eux au-delà de l'imaginable, dans les affres de la cité des anges. Bien plus qu'un polar, le Dahlia Noir est une peinture d'une noirceur inégalée sur l'Amérique des années 50. Dans une ville où corruption, racisme, violence, prostitution et règlements de compte font partie du lot quotidien, les deux enquêteurs partent sur les traces d'une jeune femme au passé trouble, un dahlia aux senteurs éthérées.
    On ne peut appréhender l'oeuvre d'Ellroy sans avoir une infime connaissance des États-Unis des années 1940 à fin des années 60, périodes de troubles, de suspicions et de sombres affaires. le Dahlia noir, histoire qui tire sa quintessence d'un fait réel, appartient à ce sombre passé. Un meurtre qui prend aux tripes le lecteur, comme le souvenir obsessionnel de la mère de l'écrivain, victime d'une disparition effroyable.
    Le roman débute par un magistral match de boxe. Une entrée en matière lourde de symboles. Ainsi, au fil des pages, le lecteur n'en finit pas d'être sonné par l'écriture si incisive du Maître Ellroy. D'une précision rare, elle met en exergue une histoire où Dualité et Luxure sont reines. Effeuillant un à un les pétales de ce mystérieux dahlia noir au fil des pages, le lecteur s'enlise dans les méandres de l'oeuvre maîtresse de l'écrivain. Dans cette société corrompue et lascive à l'image de cette fleur resplendissante que fut Elisabeth Short, Ellroy cherche un moyen pour soulager ses maux. Ainsi, il tentera de guérir par l'écriture les plaies douloureuses liées au meurtre de sa mère. Deux femmes, deux meurtres inexpliqués, deux histoires et deux obsessions qui le hantent et le hanteront longtemps. Portée par des personnages d'un réalisme saisissant et écorchés vifs pour la plupart,cette oeuvre est indubitablement un des plus grands polars jamais écrits. Ellroy livre ici un roman fouillé à l'extrême pour évoquer un contexte historique des plus réalistes. Chaque phrase est travaillée, ciselée jusqu'à n'en garder que la sonorité la plus pure. Chaque mot est réfléchi et pesant. Chaque évocation du Los Angeles d'antan succède à de longues recherches. le Dahlia Noir, ce n'est pas un grand roman noir, c'est LE grand roman noir.

    20/01/2016 à 07:52 9

  • 55 de fièvre

    Tito Topin

    8/10 Une Buick fend la nuit noire marocaine fuyant avec rage les néons agressifs de Casablanca. A son bord, un homme et une femme ne comptant pas plus de quarante ans à eux deux. Les brosses d'un batteur de jazz accompagnent les cahots des pneus sur la route caillouteuse. Ce soir de 1955, Gin est trop belle, trop maquillée, presque offerte. du moins, c'est ainsi que Georges Bellanger la voit. Ce soir, il la possédera de gré ou de force. Quelques heures plus tard, Gin, souillée et ensanglantée, est découverte par de jeunes arabes qui la portent jusqu'à la cabane de Lalla Chibanya, la Vieille Dame. La guérisseuse lui administre les premiers soins avant qu'elle ne soit conduite à l'hôpital. Pendant ce temps, bercé par le ronronnement d'un train, Manu, un militaire récemment démobilisé, arrive à Casablanca, rêvant déjà de retrouvailles avec sa fiancée Ginette Garcia, dit Gin. Si Georges Bellanger a commis l'innommable, il ne compte pas être inquiété pour autant. Sa mère est puissante et fréquente un homme de pouvoir. Lorsque celle-ci recueille les confidences de son fils, elle contacte aussitôt un commissaire corrompu jusqu'à la moelle et fait pression sur lui. Après tout, Gin peut avoir été abusée par de jeunes arabes et personne n'ira contredire les autorités tant le racisme ambiant fait rage. L'arrestation d'un « coupable idéal » qui avait lui-même porté secours à la jeune femme déchaînera un raz de marée sans précédent. Les émeutes éclatent et font suppurer les vieilles blessures opposant autochtones et colons. Georges, lui, la conscience tranquille compte bien profiter du chaos général.
    Tito Topin, écrivain originaire de Casablanca, signe une oeuvre étouffante et poisseuse. Des portraits d'hommes avilis par l'alcool et le mensonge se succèdent aux côtés de femmes lascives aux moeurs légères. L'auteur, issu de la bande-dessinée, peint un Maroc meurtri à l'aube de l'indépendance. 55 de fièvre joue perpétuellement sur les oppositions à travers les points de vue des personnages mais aussi les décors urbains et ruraux ; les descriptions de Casablanca contrastant fortement avec les douars qui l'entourent. Ainsi, le visuel prime et l'accent est mis sur les jeux de lumière et d'ombre. Les lueurs aveuglantes des néons se détachent avec puissance de l'obscurité, détentrice de mystères et de secrets. Seule la violence, perpétuelle et immodérée, réunit arabes et étrangers, ville et nature, sang et larmes.
    Une intense immersion dans le Casablanca des années 50. Un polar exotique sans concession sur fond de période trouble.

    19/01/2016 à 15:53 1

  • The Blonde

    Duane Swierczynski

    7/10 Quel est le cri d'appel au sexe d'une blonde ?

    - Oh là là, je suis saoule.

    Haro sur les blagues de blondes (surtout si elles sont nulles!). Cessons de nous moquer des blondes (exceptions faites des cagoles peroxydées...De quoi rirait-on sinon?). Les blondes ont une âme , un cerveau et des sentiments...Des sentiments ? Pas toujours ! On en savait certaines fatales à l'instar de Marylin Monroe ou Jayne Mansfield. On en trouve aussi des machiavéliques, dominatrices et dangereuses. Kelly White, elle, fait partie de cette catégorie. Son credo ? le poison. Jack Eisley en fera les frais...Sa rencontre avec la belle au cours d'une soirée dans un aéroport de Philadelphie scellera son destin. La piquante blondinette, un rien taquine, prétend avoir verser du poison dans son verre à bière. Avant que cette charmante Locuste ne prenne la poudre d'escampette, elle lui annoncera qu'il lui reste à peine dix heures à vivre. Si, à première vue, Jack ne croit pas une seconde aux dires d'une inconnue rencontrée dans ces conditions, des crises de vomissements incontrôlables vont quand même le faire douter un peu. Il ne faut pas tout mettre sur le compte des frugales collations servies dans les avions! Dix heures, c'est bien court! Trop court! Et Jack n'a pas encore envie de goûter les pissenlits par la racine! le voilà parti à la recherche de cette mystérieuse femme dans les rues sinueuses de la ville de Philadelphie.
    Parallèlement, Kowalski, un agent secret aux méthodes musclées, passé maître dans l'art d'occire est envoyé en mission par l'organisation qui l'emploie. Ce nettoyeur, n'ayant rien à envier au personnage de Léon dans le film éponyme, doit retrouver la tête d'un éminent professeur décédé.Contre toutes attentes, ces deux faits ne sont pas si indépendants l'un de l'autre. Quel est le but de la mission de Kowalski? Pourquoi cette femme s'acharne t-elle sur Eisley ?
    Duane Swierczyski plonge le lecteur dans un roman vertigineux mené tambour battant. le récit, construit en courts chapitres, dédiés aux personnages principaux, insuffle un rythme soutenu et agréable. Pas ou peu de temps mort.
    Si à première vue, cette histoire peut sembler abracadabrante, la présence de souvenirs récurrents des protagonistes apporte profondeur et vraisemblance.
    The Blonde ne peut être considéré comme un polar de grande envergure, néanmoins sa trame un rien déjantée flirtant allègrement avec la science-fiction vaut vraiment le détour.
    Juste ce qu'il faut d'humour noir et d'absurde pour passer un bon moment...A condition de se méfier des blondes et de leurs charmes dévastateurs...

    19/01/2016 à 15:51 4

  • La bouffe est chouette à Fatchakulla

    Ned Crabb

    8/10 Fatchakulla : « qu'es aquò ? »
    Un ancêtre des sites coquins (3615 Fatchakulla : du plaisir t'en veux, t'en as!) ? Un plat traditionnel d'une contrée tellement lointaine qu'on sait pas ou c'est ? Et une Fatchakulla pour la douze, une !
    Fatchakulla est à mille lieues de ce que vos esprits (mêmes les plus tordus) pourraient concevoir ! Petite bourgade pétrie de superstitions, Fatchakulla héberge des habitants, tous plus étranges les uns que les autres, aimant à entretenir des croyances telles que celle du fantôme de Willie le Siffleur (pendant du légendaire Cavalier sans tête) et vouant un culte particulier aux chats atteints de malformations (chacun son truc!). La découverte de plusieurs restes humains habilement semés par un Petit Poucet en herbe va plonger les habitants de cette ville atypique dans une terreur sans précédent. Les habitants...Parlons-en justement ! Un ramassis de frappadingues et de névrosés. Parmi eux, Arlie Beemis, shérif de ce bourg marécageux, misanthrope jusqu'au bout des ongles, Doc Bobo, médecin désabusé au nom prédestiné et Linwood Spivey « la tête pensante » passe le plus clair de son temps à s'enfiler des bières (ne pas l'approcher d'une flamme sous peine de grosses étincelles!) forment un trio plus choc que chic. Cet invraisemblable troupe va traquer le serial killer qui, non content de commettre des crimes atroces, semble avoir un léger penchant pour le cannibalisme! L'enquête va s'avérer très difficile et riche en rebondissements. La majorité des singuliers habitants de Fatchakulla, peuvent ainsi prétendre au titre peu convoité de « meurtrier cannibale et expert ès démembrement ». Et si le fantôme de Willie le siffleur s'amusait à éliminer les habitants un par un ? Et si le meurtrier n'était autre qu'un féroce alligator vivant dans un des marécages environnants ? Qui peut bien en vouloir autant aux citoyens de Fatchakulla où se joue un drôle de drame ? L'humour, toujours l'humour...

    19/01/2016 à 15:50 5

  • Yeruldelgger

    Ian Manook

    7/10 Rien ne parvenait à abreuver le coeur asséché de Yeruldelgger. Jadis époux aimant, père attentif à ses filles et flic respecté de tous, il était aujourd'hui en proie à une colère sourde et aride comme les paysages de sa Mongolie natale. Il avait joué gros sur une enquête et avait perdu. Depuis il paye très cher une dette rendue inestimable car le sang ne se monnaie pas. On a beau ainsi pleurer celui des disparus, les larmes ne seront jamais assez nombreuses pour les ramener à nous. Ni les steppes de sa terre balayées par les vents, ni la chaleur du thé salé de son enfance ne lui portent un peu de réconfort. Yeruldelgger est aussi dénué de vie que les cadavres des enquêtes qu'il est amené à résoudre, étouffé par le poids de ses souvenirs.
    Le cadavre d'une fillette d'origine étrangère est découvert en pleine Mongolie sauvage par des nomades. le commissaire attaché aux traditions de son peuple promet de faire le jour sur sa mort et de l'enterrer selon les coutumes des anciens. Et pendant que les steppes pleurent l'enfant blonde, à Oulan Bator les cadavres s'accumulent. Trois chinois émasculés sont découverts dans une briqueterie et deux prostituées reconnues pour travailler avec les asiatiques ont été battues et torturées. Les cinq corps portent un signe gravé à même la peau. La montée inquiétante d'une ferveur nationaliste laisse penser qu'il s'agit de meurtres racistes. Mais dans une Mongolie tiraillée entre modernité et respect des valeurs ancestrales, la résolution de ces enquêtes va s'avérer beaucoup plus complexes que Yeruldelgger ne l'avait envisagé. Plonger dans les vies de ces défunts le mènera sur les routes jonchées de cauchemars de son passé. Si le sang a un prix, celui de la vérité est tout aussi élevé.
    Des bas-fonds suffocants de Oulan Bator, aux steppes légendaires. Des forêts ou l'animal est roi aux lieux de débauche inventés par l'homme. Des monastères où l'humilité, la force et la sagesse sont des remparts contre le monde aux yourtes chaleureuses du peuple nomade, Ian Manook promène le lecteur sur une terre fascinante et dominée par les anachronismes. Mêlant habilement assassinats sordides, histoires de famille, culture mongol et contexte socio-économique inégalitaire, il réussit à donner vie à un roman foisonnant.

    19/01/2016 à 15:26 3

  • Le Livre sans nom

    Anonyme

    9/10 Le livre sans nom ou l'art et la manière de ne pas se creuser les méninges pour trouver un titre accrocheur...Et pourtant, voilà un bouquin qui accroche férocement le lecteur. Celui-ci se voit méchamment collé à ses pages tel un vieux chewing-gum sur une pompe neuve, tel le jaune d'oeuf qui se meurt sur le bord d'une assiette oubliée dans l'évier, tel un bon roman quoi !
    Laissons Toto sans ses dents, Rika sans chemise et sans pantalon et sans transition, direction l'Amérique du Sud ! Cap à Santa Mondega...Une bourgade plus malfamée tu meurs...De toute façon, tu y meurs souvent vu que le taux de criminalité frôle celui d'un pochtron imbibé au troisième degré. En parlant de bibine, voici le bar justement ! le Tapioca ! Repère de petites frappes en tous genres. Un endroit glauque qui ne figurera jamais dans le guide du routard. La bière est chaude en plus...C'est normal ! le patron pisse dedans...On a le sens du partage ou on ne l'a pas, pisse and love ! Parmi la clientèle de ce rade, on trouve un tueur à gages qui se prend pour le King (je ne vous conseille pas de vous soulager dans son kawa, par contre!), des moines passés maîtres dans l'art du combat, une diseuse de bonne aventure, une femme amnésique qui a passé cinq ans dans le coma , un tueur en série (celui-ci ne se contente pas d'un pitit pipi dans votre verre!), des ivrognes, des inspecteurs cinéphiles à la répartie foudroyante, des mafieux et un chasseur de primes au look de biker. Tous ne courent pas après le bonheur (sinon, ils ne végéteraient pas à Santa Mondega!) mais après une pierre bleue ayant des pouvoirs surnaturels. Non ce n'est pas le « coeur de l'océan » pendentif cucul la praline porté par Rose dans Titanic (tout aussi cucul la praline) alors que Jack est en train de la dessiner nue...Tout ça pour se faire titaniquer en plus ! Ce n'est pas non plus le bloc wc azuré qui libère dans vos gogues de frais et salvateurs effluves après le chili de midi à la cantoche. Rien à voir non plus avec une hypothétique amulette schtroumph. Schtroumph alors !
    La seule chose que je peux vous dire c'est ce que ce truc, c'est pas de la gnognotte !
    Entrez vous aussi dans le Tapioca (mais évitez la bière par contre). Prenez part à cette quête loufoque truffée d'hémoglobine, d'humour noir, de testostérone, de litres de whisky et attendez que la magie opère...
    Un roman incroyablement original mêlant avec habileté plusieurs genres. Des références cinématographiques à gogo, de la castagne, des dialogues efficaces et un récit déjanté rappellent inévitablement l'esprit d'une bonne série B.

    19/01/2016 à 15:08 4

  • Des noeuds d'acier

    Sandrine Collette

    7/10 Les quatre murs d'une cave humide pour seul horizon.
    Les voix de ces deux geôliers, Basile et Joshua, pour uniques compagnes. Deux frères dégénérés vivant tels des reclus au milieu des bois.
    Et le nombre infini de barres tracées maladroitement sur le béton marquant inlassablement les jours le séparant de son ancienne vie, de sa vie d'homme.
    Autrefois, il se nommait Théo. Autrefois, il avait un nom et si son quotidien lui semblait noir et misérable, il avait le mérite de lui appartenir.
    Aujourd'hui, on l'appelle « Le Chien ». Il est devenu un esclave, une bête de somme, besogneuse et soumise.
    Son corps s'est aguerri à l'effort et appris à apprécier la maigre pitance jetée à même le sol que ses bourreaux consentent à lui donner. Juste assez de nourriture pour le maintenir debout, juste assez pour tenir un jour de plus.
    Ses yeux vairons, à force de malheurs, ont perdu de leur éclat. Peut-être est-il ici pour expier ses fautes...Peut-être paye t-il au prix fort des actes impardonnables... Qu'il soit à condamner, blâmer ou plaindre, il est là et seule la mort paraît à même de lui ôter les chaînes qui l'entravent. Passent les jours, les mois, les saisons tandis que l'envie de survivre lui colle toujours plus à la peau. Se lever chaque jour, se repaître de souvenirs à défaut de nourrir son corps famélique. Lil, la jolie Lil dans ses bras...Et le corps de Max, son frère, chutant lourdement au sol...

    Huis clos empreint de noirceur, Des Noeuds d'acier est de ces romans avides de nuits blanches. Extrêmement réaliste et effrayante, l'histoire de Théo acquiert puissance et profondeur au fil des pages. On se surprend à dévorer ce roman en retenant son souffle dans l'attente d'un dénouement qui viendrait en alléger le caractère sordide et sombre.
    Sandrine Collette, se joue avec habilité du lecteur et déroule un scénario ciselé n'ayant rien à envier au film noir. Et son oeuvre s'appesantit de détails crédibles comme un ciel d'orage se chargerait d'électricité. La tension culmine mais n'explose jamais et sa plume perverse mène patiemment le lecteur à l'orée de la folie.

    19/01/2016 à 15:05 9

  • Chamamé

    Leonardo Oyola

    6/10 Tous deux ont franchi depuis bien longtemps la barrière de la morale.
    Ensemble, ils ont connu la taule, les émeutes entre détenus et les effusions de sang qui ne choquent même plus ni les prisonniers ni les gardiens.
    Garants de la violence, ils savent égorger, éventrer ou loger une balle sans que leurs mains ne tremblent. Ils ont appris que le bien, la loyauté et l'honnêteté ne feront jamais partie de leur vocabulaire. Parce qu'il en est ainsi et parce qu'il faut arracher ce que la vie n'a pas consenti à donner. Leurs noms Manuel Ovejero dit "Perro", as du volant et malfrat accompli et son acolyte Noé, de quatre ans son aîné, un illuminé se revendiquant pasteur maniant avec la même dextérité le prêchi-prêcha et les lames.
    Chacun est une pointure mais alliés, ils deviennent redoutables. Chacun se sert des compétences de l'autre jusqu'à ce qu'il soit de trop. Cela n'aura été qu'une question de temps avant que le souffle de la trahison vienne les caresser . Perro a été devancé. Noé taille la route avec le pactole d'un coup juteux n'ayant aucuns regrets à priver Perro de sa part. L'issue de cette poursuite sentira à coup sûr la gomme brûlée par l'asphalte et l'odeur métallique du sang. Et si la parole de ces deux bandits n'est pas fiable, leur avidité s'exprimera pour eux.
    Leonardo Oyola signe un roman loufoque dans lequel les scènes de violence s'enchaînent à une cadence folle. Cette oeuvre menée tambour battant pèche un peu par le manque de profondeur et de charisme de ces personnages principaux. Malgré de nombreuses introspections, Perro ne parvient à susciter que peu d'émotions chez le lecteur à l'image de Noé, pourtant salopard de première complètement azimuté. A cette absence d'accointance avec les personnages s'ajoute une profusion de références musicales et cinématographiques – pas toujours habiles– qui alourdissent fortement la lecture et la gratifient d'un côté « too much ».
    Chamamé laisse donc une impression de lecture mitigée. Si l'originalité de ce roman est indéniable, certains aspects au niveau de la narration ne paraissent pas totalement maîtrisés et laissent un sentiment d'inachevé. Certaines scènes particulièrement visuelles valent toutefois que l'on y pose un œil à condition de ne pas craindre les rixes et les giclées d'hémoglobine.

    19/01/2016 à 13:56 2

  • Frank Sinatra dans un mixeur

    Matthew McBride

    10/10 Tout schuss et direct dans le cornet ! Point de prouesses dignes des J.O d'Hiver mais un penchant certain pour l'alcool met souvent le foie de Nick Valentine à l'épreuve. Cet ancien policier devenu privé à Saint-Louis vide bouteille après bouteille aussi naturellement qu'un éléphant boit avec sa trompe. C'est à se demander si du sang irrigue encore l'alcool qui circule dans ses veines tant il boit comme il respire ! Alcoolique notoire et très porté sur les médocs, il est de tempérament un peu sanguin et n'utilise que des méthodes très personnelles dans le cadre de sa profession. Solitaire, seuls sont admis dans son cercle un croisé yorkshire, une Crown Victoria modèle 1997, une tronçonneuse transportée dans le dit engin (ça peut toujours servir), un.45 et un mini frigo pourvu en bibine lui permettant de ne jamais être à court de munitions. Valentine est l'archétype même de l'ex flic désabusé, rongé par l'alcool. Rendant parfois quelques menus services à son ancien employeur, il est appelé par le commissaire Caraway chez Norman Russo, un directeur de banque, dont le cadavre gît au bas des escaliers de sa demeure. L'homme se serait suicidé par pendaison. Un mot d'une écriture maladroite et rempli de fautes d'orthographe est retrouvé sur les lieux. Quelque chose cloche ; le maquillage de cette scène de crime est aussi discret qu'une illumination de Noël par une nuit noire. le lendemain, une banque est dévalisée par deux hommes au volant d'une camionnette de boulangerie. L'un des deux malfrats, Bruiser, meurt avant de pouvoir prendre la fuite. Verdict : un directeur de banque assassiné, une caisse de crédit dévalisée, une petite frappe connue des services de police tuée par balle et un magot empoché par Telly, un camé. Si la fourgonnette de ce type en cavale n'embaume pas le pain chaud, ça ne devrait pas tarder à sentir le roussi pour lui! Telly n'a plus qu'à serrer les fesses. Valentine part en quête de tuyaux auprès de son indic Big Tony, une fouine accro à la drogue et au Cowboy Roy's Fantasyland, une boîte de striptease. La chasse est ouverte ! Big Tony, son associé Doyle, un voleur hors pair, et Valentine se lancent sur les traces du boulanger en herbe ne sniffant pas que de la farine. Pendant ce temps, Parker, le gros bonnet à l'origine du casse, enrage et envoie deux de ces hommes : Sid l'Angliche et Johnny Sans Couilles cuisiner le fuyard parti avec l'argent. Tels de fins limiers tous partent en quête du butin afin de le rendre, qui à la police, qui à Parker… Enfin, en théorie !
    Un roman férocement jubilatoire et visuel aux relents persistants de série B. de mémorables levers de coudes, des échanges de balles pas toujours fraternels, des interrogatoires plutôt musclés et un peu sanguinolents, des bastons sans concession, des filles sans tabous et des pipis intempestifs de yorkshire rythment cette histoire qui se boit d'un trait.

    19/01/2016 à 13:55 2

  • La Pluie de néon

    James Lee Burke

    9/10 Une dernière fois voir le jour se lever, faire ses adieux à un monde qui n'aura apporté que misères et souffrances. C'est le jour J pour Johnny Massina incarcéré au pénitencier d'Angola. La chaise électrique l'attend. Dave Robicheaux, lieutenant des services de police de la Nouvelle-Orléans rend une ultime visite au prisonnier qu'il a bien a connu. Entre des échanges gênés par l'imminence de l'exécution, Johnny confie au policier qu'on veut lui faire la peau. Quel crédit accorder aux paroles d'un condamné ? Trop zélé, trop efficace, Robicheaux s'est aventuré sur des sentiers dangereux et la mafia entend tout mettre en oeuvre pour devancer le jour de ses funérailles. le lieutenant écoute distraitement les racontars d'un homme effrayé mais la mort suspecte d'une jeune femme noire lui apprendra qu'il faut se méfier de tous et surtout de l'eau qui dort. Un nom revient bien trop souvent à ses oreilles : Julio Segura ; un baron de la pègre originaire de Managua.
    La découverte de la vérité coûtera cher à Robicheaux et le conduira sur les traces d'un passé qu'il croyait définitivement enterré. L'enquête entraînera dans son sillage violences, tortures et meurtres et révélera au franc soleil de la Louisiane les cauchemars les plus refoulés. Ancien alcoolique, tombé dans la bouteille à son retour de la guerre du Vietnam, Dave Robicheaux verra le serpent de la dépendance lentement planter ses crochets dans sa gorge et lui insuffler une soif inextinguible. Et les quelques mots de son père lourds de ses racines et de son histoire lui reviendraient en mémoire : « C'te gator, y est pas sorti sur les rondins quand y a faim. Y se cache sous les feuilles mortes qui flottent à côté de l'levée et l'attend qu'y a un gros raton bien dodu qui descende boire. »

    Hanté par ses fantômes et ses vieux démons, il devra faire le jour sur des manipulations sordides au sein d'une Louisiane lascive et complexe. le ciel de la Nouvelle-Orléans se pare déjà de nuances mauves et violettes, couleurs du deuil, annonçant une mort prochaine. Les bayous et leurs marécages restent, quant à eux, impénétrables et retiennent dans leurs obscurités profondes les secrets les plus sombres. La Pluie de néon est le premier opus de la série consacrée au personnage de Dave Robicheaux. L'auteur, James Lee Burke, donne vie à un héros aux multiples facettes et excessif. Flirtant sans arrêts avec l'ombre et la lumière, Dave Robicheaux semble tiraillé entre un passé trop lourd à porter et un avenir dans lequel il ne progresse qu'à reculons. Écorché vif, solitaire et téméraire, ce protagoniste est à l'image de sa Louisiane natale : atypique, coloré et mystérieux. James Lee Burke réussit à créer un individu auquel on s'attache au fil de l'histoire. L'enquête qu'il mène, sinueuse et pesante, passe presque au second plan tant le charisme de Robicheaux et les descriptions de la Nouvelle-Orléans sont puissants.

    19/01/2016 à 13:52 4

  • Deep Winter

    Samuel Gailey

    6/10 Vivre avec ses différences, Danny Bedford avait appris à s'en accommoder. Depuis près de quarante années son physique devenu imposant avec l'âge arpentait les rues du village de Wyalusing, en Pennsylvanie. le plus difficile pour lui était de faire accepter son handicap. Privé de la plupart de ses facultés mentales et de la bienveillance de ses parents suite à un regrettable accident durant sa jeunesse, Danny avait grandi en conservant l'innocence de l'enfance. Considéré par la plupart de ses concitoyens comme un attardé, souffre-douleur et maltraité durant sa scolarité, Danny a enduré les brimades, enfermé dans sa carapace d'obèse ; une bien vaine protection contre l'agressivité et la haine. Rien n'a changé depuis les bancs de l'école. Mike Sokowski, devenu l'adjoint du shérif, et Carl Robinson, son acolyte s'en prennent toujours ouvertement à Danny. Et les excès d'alcool et de drogue auxquels s'adonnent l'abject Sokowski ne font qu'envenimer la situation.
    Seules quelques âmes charitables dont le couple Bennett dans la laverie desquels Danny travaille et Mindy, une serveuse manifestent de la compassion envers lui. le soir de son quarantième anniversaire, le corps ensanglanté et brutalisé de la quadragénaire est retrouvé, dans son mobil-home, sauvagement emportée dans la mort. Nombreux sont ceux qui voient en Danny le coupable idéal. Danny devient la brute épaisse, le vicelard qui rôdait d'un peu trop près de la défunte et qui a peut-être essuyé un refus, l'homme à abattre. Sokowski qui entretenait une relation amoureuse compliquée avec Mindy, met tout en oeuvre pour faire inculper Danny de meurtre. Et ils seront nombreux à vouloir le tailler en pièces... La chasse est ouverte… Mais celui qui est traqué comme un animal n'est sûrement pas le plus bestial…
    Engourdi par le froid, Wyalusing est tiré de sa torpeur hivernale par le sang versé mais il en faudra beaucoup plus pour étancher la colère de ses habitants.
    Scénariste natif de Wyalusing, Samuel W. Gailey, a construit son roman avec une habileté indéniable. Découpé en chapitres dédiés aux principaux personnages, Deep Winter adopte dès les premières pages un rythme soutenu et séquencé dotant l'histoire de beaucoup de relief. L'intrigue portée par des anti-héros de l'Amérique profonde soumis à leur mal être et leurs abus gagne en crédibilité et en puissance au fur et à mesure que l'auteur en cisèle les profils psychologiques. Par ailleurs, le détail accordé aux décors et à l'ambiance font de ce roman un page-turner efficace aux faux airs de scénario cinématographique.

    19/01/2016 à 13:40 2

  • Les Temps sauvages

    Ian Manook

    7/10 Le dzüüd souffle son haleine mortifère sur la Mongolie et fige ses steppes dans un hiver douloureux et pesant. Néanmoins, le froid ne semble pas atteindre Yeruldelgger, commissaire à Oulan-Bator. Il a bénéficié de l'enseignement des moines du septième monastère et à priori rien ne saurait le faire fléchir ; même pas sa propre mort. A priori, seulement. On lui a déjà pris sa petite fille il y a quelques années et il demeure amputé d'une partie de lui-même depuis ce jour. La mort serpente de nouveau autour de lui, prête à le contaminer de ses crocs venimeux. Les cadavres s'accumulent dans la steppe. Oyun, une collègue téméraire, tente d'élucider le mystère autour d'un monticule de cadavres dans lequel l'animal et l'humain se mêlent. Yeruldelgger lui, alerté par Boyadjian, un érudit, gagne l'Otgontenger où la dépouille d'un homme suspendu à une falaise subit les affres des éléments. En ville, Solongo, médecin légiste et compagne de Yeruldelgger, procède à l'autopsie d'une trentenaire retrouvée sauvagement assassinée. Les examens révèlent qu'il s'agit d'Altantsetseg, une prostituée qui était une proche de Yeruldelgger. Cela suffit à faire inculper le commissaire pour meurtre. D'autant plus, que des preuves semblant trop accablantes pour être vraies l'incriminent. Yeruldelgger doit laver son honneur bafoué et retrouvé le meurtrier d 'Altantsetseg. Parti sur ses traces, il s'aperçoit que Ganshü, un enfant des rues, adopté par la défunte et son meilleur ami Gantulga se sont volatilisés. le sang ne cesse de se répandre en Mongolie et Yeruldelgger, en flic désabusé, compte se faire justice.
    Des steppes infinies de la Mongolie aux rues typiques du Havre en passant par la Russie gangrenée par la radioactivité, Ian Manook nous promène dans un thriller original et noir. Offrant un dénouement particulièrement visuel et riche en tensions, ce roman ne ménage pas le suspense malgré quelques invraisemblances. En redoutable maître d'orchestre, l'auteur harmonise avec brio lutte de pouvoir, conflits politiques, introspections, personnages atypiques et scènes efficaces.
    Un polar savoureux et roboratif tel un plat de kushuurs fumants dégustés au coeur de l'hiver.

    19/01/2016 à 13:39 3

  • Nécropolis

    Herbert Lieberman

    9/10 Le coeur de Paul Konig bat au rythme d'un passé définitivement enterré. Vidé de toute vie, de toute envie, de tout plaisir; il est hermétique au bonheur. Sa femme Ida n'est plus, emportée par la maladie. Quant à Lauren, leur fille de vingt-deux ans, elle a disparu, préférant fuir une maison qui n'avait plus rien du foyer familial de jadis. La jeune femme a laissé son père à cette existence nourrie de cendres et de chagrins. Paul Konig est désormais seul avec ses souvenirs. Il se perd dans son travail pour tenter d'oublier et cesser de penser. Médecin légiste responsable de la morgue de New York, il s'épuise à la tâche cherchant dans les corps démembrés des réponses à cette existence qui lui échappe. Les autopsies ont beau s'enchaîner, les instruments labourer ces êtres privés de vie, les réponses ne viennent pas. Seules perdurent la souffrance et la solitude. Parallèlement, Konig doit assumer les responsabilités qui lui incombent : la paperasse, les employés, gérer les électrons libres et les pressions des autorités locales, répondre à ces familles qui cherchent leurs membres disparus...Disparus...Comme sa fille, sa Lauren, sa « Lolly », son unique raison de vivre. Son père la rêve tantôt heureuse tantôt apeurée, perdue dans les rues sombres de New York...Mais parfois le rêve n'est pas très loin de la réalité...Et la réalité, elle, est souvent synonyme de cauchemar.
    Necropolis est un roman d'une grande puissance visuelle presque cinématographique. Herbert Liebermann nous promène dans un New York sombre et envoûtant. A travers des descriptions efficaces et minutieuses, il perd le lecteur dans un récit où les histoires s'enchevêtrent en un labyrinthe d'une noirceur inégalée. Porté par des personnages aux identités bien marqués, une trame prenante et une écriture poussée, ce roman a obtenu le grand prix de littérature policière - étrangère en 1977. Plus qu'un polar, c'est une formidable ode à New York, ville d'excès et de décadence.

    19/01/2016 à 13:38 4