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Meg : En Eaux Troubles
7/10 … ou comment le paléontologue Jonas Taylor (étonnant détail : sur la quatrième de couverture du livre de poche que j’ai, chez Pocket, il est appelé Jonas Scripps) en vient à combattre la plus impitoyable machine animale à tuer jamais créée, le Megalodon, le requin venant tout droit de la préhistoire. Définitivement, comme l’a écrit Fredo, une passerelle entre les œuvres de Peter Benchley et du duo Preston/Child. Un sens de l’écriture dynamique, un style visuel qui préserve néanmoins juste ce qu’il faut de psychologie pour rendre les personnages suffisamment entiers et denses pour ne pas être de simples caricatures (même si l’approfondissement de l’âme humaine n’est pas l’apanage de ce type de littérature), des chapitres courts, parfois même séparés entre les divers points de vue des protagonistes, pour un roman efficace. Pas étonnant qu’il ait fait l’objet d’une adaptation cinématographique, même longtemps après sa sortie en librairie. L’ensemble est étudié, charpenté, prenant appui sur de réelles notions zoologiques, techniques et autres, et n’est donc pas un prétexte pour agiter ce prédateur monstrueux sans offrir au lecteur ce qu’il faut de renseignements scientifiques. J’ai beaucoup aimé certains passages, efficients, comme la boucherie avec le baleinier japonais, l’attaque des surfeurs, ou des détails, mais qui m’ont marqué par leur intelligence, comme la façon dont la femelle Megalodon parvient à franchir les eaux froides et remonter vers des flots plus fournis en chair humaine (oui, vraiment un détail, mais je suis presque persuadé que je vais me souvenir longtemps de cette astuce scénaristique qui, à mes humbles oreilles d’individu lambda qui n’y connaît strictement rien à la plongée, m’a paru plausible tout en étant futée). J’ai moins apprécié quelques clichés à propos de certains personnages (notamment chez les journalistes, avides de sensations fortes à offrir à leurs téléspectateurs, au point de se jeter dans la gueule du loup… pardon, du requin. Et si je reconnais bien volontiers l’originalité des dernières scènes entre Jonas et le Megalodon, cinématographique et originale, je l’ai trouvée trop tirée par les cheveux, au point de perdre en crédibilité, et de trop s’arcbouter sur un symbolisme appuyé (Jonas et l’épisode de la baleine, cela paraissait tellement gros que c’est finalement arrivé, sa claustrophobie poussée à son paroxysme, etc.). Bref, même s’il y a des clichés et les écueils presque inhérents à ce type de récits, je ne vais pas mentir et renier le plaisir que j’ai ressenti à la lecture de cet ouvrage, lu il y a trop longtemps pour pouvoir en parler, et relu dernièrement. Les Dents de la mer, à côté, c’est une sardine se débattant dans un lavabo, tant du point de vue de l’échelle des bestioles respectives que des diverses victimes, de l’ampleur de ce roman, de l’action décrite, ou des sentiments que j’ai éprouvés. Typiquement de la littérature de gare dans ce que cette expression a, à mes yeux, toujours eu de positif et non de bêtement dévalorisant : un bon moment de décontraction, du temps passé sans m’en être rendu compte, avec à la clef des infos intéressantes sur le milieu marin et les requins en général.
19/05/2019 à 17:47 2
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Ville sans loi
8/10 David McKenna, surnommé « Bugs », à savoir « dingue, dérangé », vient d’arriver à Ragtown (« ville loqueteuse », une cité qui a poussé comme un champignon grâce aux forages de pétrole. Grâce à l’entremise de Lou Ford, l’adjoint au shérif, il devient détective privé à l’hôtel détenu par Mike Hanlon, un vieillard impotent qui a fait fortune dans les hydrocarbures. Cet homme a une femme, Joyce, qui semble avoir des envies de récupérer le magot de son infirme de mari. McKenna serait-il tombé dans un piège ?
Jim Thompson, l’un des plus emblématiques auteurs de romans noirs, nous revient en France avec cet ouvrage datant de 1957. Et c’est un véritable régal, de bout en bout. On retrouve le goût consommé de l’auteur pour les personnages denses, décrits en peu de mots, aux contours flous et qui cachent, dans ces zones d’ombre, de curieux sentiments et des comportements dangereux. Mike Hanlon, ancêtre tassé dans un fauteuil roulant, craignant pour sa vie ainsi que pour la sécurité de son hôtel. McKenna, qui a déjà purgé de la prison, bloc de muscles et d’une violence à peine contenue, capable de coups de sang et, dans le même temps, prude et balbutiant lorsqu’il se retrouve avec une jolie femme. Lou Ford (le terrible agent découvert cinq ans plus tôt dans Le Démon dans ma peau et sa seconde traduction L’Assassin qui est en moi), habile manipulateur qui, malgré son allure anodine, n’en est pas moins un véritable squale humain ainsi qu’un individu prompt à la castagne. Et que dire de ces femmes, parfois fatales, belles à se damner, comme Joyce (la femme du propriétaire), Amy (la compagne de Lou qui n’en éprouve pas moins une forte inclination pour McKenna) ou Rosie, cette magnifique fleur où coule, en toute discrétion, du sang noir ? De ces pièces éparses, Jim Thompson constitue un puzzle flamboyant, sombre et torturé, où les coups bas ne manqueront pas : des empoisonnements, un suicide douteux, un vol de 5000 dollars, un chantage, des rapports de domination où un simple retour d’ascenseur peut conduire à la mort d’un être humain… Un opus enflammé qui se conclut à la manière d’un whodunit, où Lou Ford, « pour sûr », saura rétablir la vérité en une petite quinzaine de pages.
Si ce roman n’a pas la puissance évocatrice du Démon dans ma peau ou de L’Assassin qui est en moi), il n’en demeure pas moins riche et terriblement efficace. Une pépite de ténèbres à redécouvrir d’urgence !06/05/2019 à 17:45 4
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Commando Adams
8/10 Parce qu’ils ont beaucoup à se faire pardonner par leurs autorités, Léon et Daniel, agents de CHERUB, doivent approcher un petit malfrat qui prétend avoir des informations sur l’Etat Islamique. Et c’est parti pour cette mission qui conduira nos agents secrets jusqu’en Syrie.
Robert Muchamore livre ici son ultime roman extrait de la série consacrée à la seconde génération de CHERUB, et c’est à nouveau un régal. On retrouve le concept qui a fait le succès de cette saga comme celui de CHERUB et Henderson’s Boys : l’action est menée par des adolescents. Ici, l’ouvrage commence fort : un chantage exercé contre un homme suspecté de pratiques pédophiles, puis un retour au camp pour une rééducation musclée avant que James, chef de groupe, ne vienne proposer à nos agents ayant agi de leur propre chef un moyen d’échapper à leur punition. Et dès qu’il s’agit d’aller castagner des mécréants, sauver des vies ou tout simplement agir, les membres de CHERUB répondent toujours présents. Et c’est donc au Moyen-Orient qu’il va falloir intervenir, pour libérer des griffes de l’Etat Islamique Gordon Sachs et Kam Yuen, deux ingénieurs spécialisés dans l’extraction du pétrole. Robert Muchamore livre une copie de très haute tenue, se calant sur le fil directeur de la série avec le nécessaire cahier des charges, sans jamais oublier d’y apporter une véritable identité. C’est avec un plaisir constant que l’on retrouve les personnages, leurs amitiés et leurs tensions, puis qu'on les voit s’entraîner et se lancer dans une aventure inédite. Et l’auteur maîtrise son sujet : écriture bougrement efficace, scénario suffisamment solide pour happer l’attention de son lectorat, et péripéties pétaradantes.
Cet opus est un très bon exemple de synthèse de la saga : c’est habile, musclé, prenant, distrayant et hautement addictif. Des ouvrages avec une telle qualité de percussion et de divertissement, on en redemande.06/05/2019 à 17:39 4
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L'Envers de la Charité
8/10 Juin 1786, à Lyon. Antoine Léonard Toussaint est un chirurgien qui a gagné ses lettres de noblesse en devenant le promoteur de la « chirurgie judiciaire », ce qui s’appellera bien plus tard la « médecine légale ». Invité à donner une série de cours au collège de chirurgie, il est rapidement invité à aider les autorités locales afin de mener à bien une enquête : le recteur Coudurier vient d’être assassiné. En charge de l’apothicairerie de la Charité, le grand hôpital de la ville, il n’apprend que plus tard qu’un premier recteur avait déjà été tué.
Après De sucre et de sang, Pascal Grand poursuit sa série consacrée à Toussaint, son personnage emblématique. On y retrouve la plume de l’écrivain, si riche et belle qui rend un hommage appuyé aux lieux, à l’époque et aux mœurs lyonnaises de cette fin du dix-huitième siècle. On prend ainsi un immense plaisir à se balader dans Lyon, avec l’auteur en tant que guide, sans jamais que cette balade ne se montre bavarde ou stérile. Indéniablement, Pascal Grand s’est beaucoup documenté, et cela se ressent sans mal au gré des pages. C’est ainsi toute une société qui apparaît sous nos yeux avides, avec un accent particulier déposé sur les métiers d’antan – disparus depuis – ainsi que sur le vocabulaire, propre à la fois à la période ainsi qu’à la cité. Toussaint, accompagné de sa fidèle épouse Hortense, vont être confrontés à un bien étrange complot où s’entremêlent jeux de pouvoir, étranges achats de terres, et une bien mystérieuse cargaison ayant disparu du bateau Marie-Angèle, faisant naître les racines de l’intrigue un siècle auparavant, au Nouveau Monde. Il y aura du sang, des viols, des enlèvements et des chantages (mais jamais de surenchère dans les violences, nous sommes dans un roman à suspense de bonne tenue), parce que l'épicentre de tous ces crimes est à la mesure des moyens mis en œuvre. A cet égard, on ne pourra que chaleureusement remercier Pascal Grand de nous gratifier d’une telle originalité : là où l’on pouvait craindre une énième histoire, déjà lue ou déjà vue tant et tant de fois en littérature ou au cinéma, il a su imaginer un récit particulièrement atypique, jouant sur une idée particulièrement surprenante et incroyablement crédible, où s’illustre, une fois de plus, l’intelligence et le savoir de l’auteur. C’est aussi l’occasion de découvrir, sous un angle nouveau, l’Hôpital de la Charité de Lyon, peuplé de filles et femmes prostituées, et où la religiosité officielle de l’édifice ne contrarie que peu sombres attitudes, comportements dictatoriaux et péchés de chair.
Un très bon polar historique, savant, nerveux et diablement bien mené, propre à tailler des croupières à ses concurrents américains et anglo-saxons. Une excellente découverte.06/05/2019 à 17:34 3
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Cendres vives
6/10 … ou comment Jérémie Stalion, reclus dans une résidence sur les hauteurs de Los Angeles avec un luxe de précautions insensées à propos de sa sécurité, se souvient de l’histoire incroyable qui lui est arrivée. Jeune, avec ses parents, il vivait sous la coupe tyrannique, malveillante et halluciné de son frère Jonah, une sorte de double maléfique et à la beauté du diable. De leurs jeux pervers, saturés de peurs, de complotismes et de théories délirantes, naîtra le drame qui régira le reste de l’existence de Jérémie. Cet ouvrage assez court est disponible en téléchargement gratuit et intégral sur le site de l’auteur (mais pour combien de temps ?) dans une rubrique intitulée « Les brouillons inédites ». Autrement dit, factuellement, il s’agit d’un roman jamais publié (et jamais relu par l’éditeur, ce que prouve le nombre de coquilles et de fautes) mais n’en est pas pour autant un ouvrage low-cost, offert au lectorat de l’écrivain parce qu’aucune maison d’édition n’en voulait. On y retrouve l’univers brussolien et ses grands délires (au sens très positif du terme) : aventure, sexe, espionnage, thriller, possible existence des extraterrestres, cabales, espionnage, etc. A cet égard, l’avant-dernier chapitre (juste avant l’épilogue) est un condensé de rebondissements intéressants et surprenants, même pour moi qui suis un bien humble lecteur habitué à la prose du monsieur. Un texte en quatre grandes parties, depuis la genèse de la paranoïa de Jérémie, persuadé d’être poursuivi par son défunt frangin au cours d’une excursion à la recherche de reliques précolombiennes, jusqu’à ce retour à cette maison ébranlée par des catastrophes naturelles et au fin fond de laquelle il finira par trouver l’individu qui le traque. J’avoue que c’est toujours autant halluciné, étonnant (même si on retrouve quelques-uns des leitmotivs littéraires et scénaristiques de Serge Brussolo), avec de belles pépites et des moments de dynamitage impressionnants, au cours desquels il insère des charges lourdes au sein-même de son texte pour surprendre, lézarder tout ce qu’il a entrepris auparavant, dans une forme d’ivresse. Je dois aussi avouer que certaines parties m’ont moins séduit (tout ce qui a trait à la maison de rééducation est sympa mais sans plus, et je reste un peu dubitatif quant à la quatrième partie qui m’a semblé un peu inutile) : j’aurais été littéralement fan si l’écrivain était resté focalisé sur cette étrange relation entre les deux frères, la suspicion, presque irréelle, teintée de mysticisme. Là, j’estime (malgré mon adoration de l’œuvre de Serge Brussolo, intacte) que trop d’éléments ont été délayés, d’autres joutés sans grand impact scénaristique, et que l’ensemble manque un peu de panache dans la partie centrale. En revanche, je ne peux, une fois de plus, que louer son incroyable imagination, débordante, ravageuse, avec toujours cette même hâte de découvrir vers quoi il va nous emmener la prochaine fois.
05/05/2019 à 16:48 4
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Devine qui vient tuer ?
7/10 … ou comment les détectives privés, Nick et Tim Diamant, deux frères, sont missionnés pour empêcher un tueur à gages répondant au nom de Charon de tueur le diplomate russe Kusenov. Sauf qu’à peine, engagés, leur client est assassiné dans une cabine téléphonique, mais le cadavre disparait peu de temps après… ainsi que la cabine téléphonique. J’ai déjà lu pas mal de livres d’Anthony Horowitz, et je ne comptais pas m’arrêter ainsi (j’ai par exemple « Comptine mortelle » dans ma PAL). Ici, ce qui saisit immédiatement, c’est l’humour : l’histoire, narrée à la première personne par Nick, met bien en valeur l’immense nullité de son frangin. Gaffeur, pleutre, ne comprenant rien à rien, mais toujours de manière sympathique, c’est un personnage qui dépoussière le genre, à la croisée du thriller, de la littérature policière pour les jeunes, et de l’espionnage. Les situations farfelues pullulent, les quiproquos également, et certaines répliques sont vraiment tordantes. Quelques exemples : « Mais tu ne connais rien à la sécurité ! / Si, je m’y connais […] Rappelle-toi, j’ai posé une alarme contre le vol dans le bureau. / Oui, mais les voleurs ont volé l’alarme. » ou encore « Quel côté du lit préfères-tu ? / « L’intérieur ». Et des comme ça, dans le genre loufoque, ça n’arrête pas ! Il y a également une intrigue, efficace quoique classique, avec des lieux qui disparaissent, des arrestations à foison, du suspense, et quelques scènes bien troussées comme dans le train, lors de la vente aux enchères, ou le final, à la fête foraine. Anthony Horowitz a bâti une histoire où se mêlent agents secrets, pièges, usurpations d’identité et autres ressorts standards, et même si je ne suis pas persuadé, très honnêtement, de me souvenir longtemps de l’intrigue, je sais assurément que je me souviendrai d’un bon moment de lecture, décontracté et prenant. A noter de nombreux clins d’œil au film « La Mort aux trousses » d’Alfred Hitchcock, dont certains étaient évidents (l’avion au-dessus du champ de céréales, par exemple, ou ce personnage appelé « Rushmore ») et d’autres que j’ai découverts en découvrant une rapide étude du roman (le titre original du livre pastichant celui du film, entre autres).
05/05/2019 à 16:44 2
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Romulus et Rémus
7/10 … ou la tragique existence de Romulus, réécrite par Guy Jimenes. Les épisodes de son existence s’enchaînent de façon fluide : la découverte des deux jumeaux par la louve qui les allaite, les bébés recueillis par Faustulus et Laurentia, l’enfance de frères très solidaires puis les premières tensions, jusqu’au meurtre de Rémus. S’ensuivent la création de la ville de Rome, l’enlèvement des Sabines, l’attirance pour Hersilie, Tarpéia qui va trahir la cité, le partage du pouvoir avec les Sabins, et l’étrange disparition de Romulus (même si Hersilie a des doutes raisonnables à propos de ce qu’elle va qualifier de « conte à l’usage des enfants »). Guy Jimenes est très habile dans son art de conter l’histoire (à même écrire avec une majuscule) ainsi que pour retranscrire les attitudes et les relations humaines entre ces êtres si singuliers. Tout, comme dans la totalité des ouvrages de cette collection que j’ai lus jusqu’à présent, est intelligent, brillant, et écrit pour capter l’attention des jeunes lecteurs auxquels s’adresse ces ouvrages. Je suis en revanche un peu plus circonspect quant à l’axe narratif de Guy Jimenes, puisque le meurtre de Rémus intervient dès la moitié du livre (à la page 53), ne laissant alors que peu de place pour la confrontation psychologique entre les frères avant qu’elle ne soit donc physique et létale. On en arrive ensuite à la création de Rome et tout ce que j’ai décrit précédemment, ce qui est indéniablement intéressant, voire passionnant, mais à mes très humbles yeux, cette concurrence aurait gagné à être développée, même si l’auteur y revient un peu par la suite, notamment lorsque Romulus s’en ouvre à Hersilie.
05/05/2019 à 16:42 2
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Le Bal de ses nuits
7/10 Dix individus, cinq hommes et cinq femmes, se réunissent grâce à un site Internet baptisé S.O.S. (comprenez Si On Sortait) afin de tromper leur ennui et leur solitude. Rapidement, l’une des femmes est égorgée. Dans la mesure où elle a ouvert la porte à son assassin, la victime ne pouvait que le connaître, ce qui légitime le fait que l’assassin fait partie des membres de ce groupe. Mais qui ?
Après Quelqu’un comme elle, on retrouve deux personnages-clefs de Magali Le Maître, à savoir Benoît Demazure et Laurent Pujadas, tous deux policiers, l’un à Lille, l’autre à Perpignan. On est séduit d’entrée de jeu par le style simple et sans le moindre flonflon de l’écrivaine, même si les amateurs de belle littérature risquent d’être déçus. On apprend ainsi à connaître rapidement les divers protagonistes de cette histoire, les caractères de chacun, en essayant de deviner qui a bien pu commettre l’homicide. A ce stade du roman, c’est agréable à lire, indéniablement, mais cela manque un peu de nerf et de chair. Et c’est la seconde partie, intitulée L’insoutenable, qui se montre bien plus appétissante, avec un retournement de situation intéressant, prenant le lecteur à contrepied, dans la mesure où l’indolence et le classicisme du début ont pu endormir sa réflexion. Une situation intéressante, peut-être pas mémorable, mais qui redonne un sérieux coup de sang à l’intrigue, en plus de permettre une lecture bien différente des événements déjà relatés. Pujadas se montre assez amusant, avec son franc-parler et son humour potache, et la suite du livre se lit avec intérêt.
Rien d’inoubliable dans ce très honnête roman à suspense mettant en scène une vengeance ourdie avec un machiavélisme certain, mais c’est au moins l’assurance de passer un agréable moment de lecture.01/05/2019 à 07:42 4
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L'Homme craie
9/10 1986, à Anderbury, en Angleterre. Le jeune Eddie Adams et ses amis sont dans l’âge de l’innocence, des amitiés et des blagues potaches. Suite à une rencontre improbable avec un professeur qui est également dessinateur, M. Halloran, Eddie et ses camarades élaborent un langage pour communiquer entre eux, indéchiffrable à tout individu extérieur à leur cercle, grâce à de petits bonshommes dessinés à la craie. Jusqu’à ce que l’on découvre le cadavre d’une fillette dont la tête a disparu. Trente ans plus tard, le passé rejaillit, avec de nouveaux morts.
Ce premier roman de C. J. Tudor, encensé par Lee Child et Maxime Chattam est un roman particulièrement fort. Naviguant de 1986 à 2016, le lecteur est immédiatement embarqué, notamment par ce prologue, très court et efficace, où l’on voit un individu emporter la tête de la (trop) jeune victime. L’histoire pose ensuite ses jalons, au gré d’une langue à la fois belle et simple, gorgée d’humanité, de tact et d’intelligence. On sent indéniablement l’inclination de l’écrivaine pour des auteurs majeurs, notamment Stephen King, avec les relations si naturelles et, dans le même temps, complexes, nouées entre Eddie et ses compagnons (d’autres références émergent également, comme cette haine de notre protagoniste pour les tricheries des scénaristes de Doctor Who, faisant écho à un passage de Misery du maître de l’horreur]. Dès lors, les événements vont s’enchaîner : une fête foraine et un spectaculaire accident dans une attraction, de jeunes brutes qui vont s’opposer violemment à Eddie et à sa bande, le parler codé grâce à ces personnages dessinés à la craie, une gamine qui tombe enceinte, ce M. Halloran au physique inquiétant qui semble dissimuler de lourds secrets… Et trois décennies plus tard, comme la fin d’une parenthèse que tout le monde croyait refermée à jamais, le cauchemar reprend. Nos gamins ont vieilli, mais certains secrets, des rancœurs ainsi que de nombreuses plaies vont réapparaître avec une violence accrue. C. J. Tudor sait panacher les genres littéraires, avec le thriller (certains passages sont vraiment anxiogènes), le roman noir, le suspense plus classique quant à l’identité du tueur et ses motivations, sans oublier quelques scènes d’un humour cocasse et salvateur, et de belles pages de pure littérature blanche. Les psychologies sont finement peintes, et tous les personnages bénéficient d’une réelle densité, de comportements propres et de trajectoires intimes qui sonnent avec beaucoup de crédibilité. A cet égard, Eddie constitue un pur bonheur. Il a passé une enfance qui se révéla difficile avec un père ayant lentement sombré en raison de la maladie d’Alzheimer, est un collectionneur impulsif, et vit désormais dans une étrange relation de colocation avec Chloe, bien plus jeune que lui. En revoyant venir à lui ses anciens compères, il va devoir affronter le passé et son cortège de spectres affamés et insatisfaits, avec la vérité à l’arrivée, certes, mais également de terribles révélations. Au-delà de l’aspect noir du récit, C. J. Tudor n’en oublie pas la délicatesse : l’intrigue, dense, efficace et diaboliquement crédible, recèle de petits bijoux de mots et de maux quant à la dérive des êtres confrontés à la maladie, le deuil, l’amour filial, et, d’une manière plus globale, cette puissante nostalgie pour cet âge d’or qu’est la jeunesse, avec ses moments de délectation, de doutes et des premières épreuves face à l’adversité humaine. Un magnifique panorama de ces moments contradictoires et marquants à jamais ces adultes en devenir, qui ne pourront que garder en mémoire le fait que ces beaux jours sont définitivement révolus. Et que dire de ces ultimes pages, assourdissantes, avec un retournement de situation inattendu, portant en lui le possible fruit de nouveaux drames ?
Une œuvre forte et mémorable, se hissant parmi les meilleurs du genre. On ne pourra donc que se ruer sur l’autre ouvrage de C. J. Tudor, La Disparition d’Annie Thorne.01/05/2019 à 07:36 11
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Le premier rôle
8/10 Dans une grande ville anonyme de France, on retrouve un cadavre, mort de ses brûlures. Auparavant, le lieutenant Laurent Mils avait reçu une lettre anonyme émanant d’un dénommé « John » lui annonçant un crime terrible. Double choc : la victime était un policier, et une autre proie est découverte chez elle, le crâne défoncé. La piste du tueur en série est désormais avérée. Un psychopathe qui semble s’inspirer de méfaits extraits de films célèbres.
Ce premier ouvrage de Guillaume Demichel n’inspire que de l’attraction dès le début : style clair et intelligent, personnages bien définis, suspense maîtrisé, et décor planté subtilement. Lentement, émerge la silhouette angoissante d’un serial killer reproduisant des meurtres tirés du cinéma. On découvre des protagonistes intéressants, notamment le policier Laurent Mils et la psychocriminologue (ne l’appelez surtout pas « profileuse », elle a horreur de ça !) Marion Lombardi. Ce duo de limiers ainsi que les autres flics sont tous dépeints avec beaucoup de naturel et de crédibilité, Guillaume Demichel allant marcher sur d’autres sillons beaucoup trop empruntés que ceux mettant en scène des individus torturés, au lourd passé et en quête de rédemption. Dès lors, un habile jeu du chat et de la souris s’instaure entre la cellule d’enquête et ce machiavélique tueur qui semble avoir toujours plusieurs coups victorieux joués d’avance. Il laissera dans son sillage quelques lettres à déchiffrer, mais surtout des crimes imitant quelques-uns des plus illustres du septième art. Et ce n’est qu’au terme des quelque quatre cents pages de ce livre, sans le moindre temps mort, et se concluant sur un très inattendu et ingénieux rebondissement, que l’on connaîtra l’identité de cet immonde aliéné, à peu près aussi imbu de sa personne que diabolique, dans un clap de fin retentissant.
Voilà un premier ouvrage plus que maîtrisé : fin, original, plausible, portant sur le plateau des personnages que l’auteur n’aura pas cherché, de manière stérile ou artificielle, à handicaper des poncifs du genre ; nettement de quoi venir concurrencer un roman partant du même postulat, le Psycho de Richard Montanari. Une réussite totale, qui donnerait matière à un téléfilm de grande qualité.24/04/2019 à 18:05 5
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Manhattan chaos
7/10 New York, 13 juillet 1977. Un black-out s’abat sur la ville, la plongeant dans les ténèbres. Parce qu’il a fiévreusement besoin d’un shoot, Miles Davis, reclus dans son appartement depuis très longtemps, doit maintenant en sortir pour aller chercher sa dope. A l’extérieur, il va vivre une nuit d’anthologie.
Avec sa bibliographie qui n’a cessé de croître depuis 2008, Michaël Mention continue de séduire. Ce qui frappe, au-delà de ses qualités d’écriture et son imagination, c’est, entre autres, la variété des sujets abordés : un sous-marin pendant la Seconde Guerre mondiale dans Unter Blechkoller, le mythique match de football entre la France et la RFA le 8 juillet 1982 dans Jeudi noir, un patelin paumé de l’Australie dans Bienvenue à Cotton's Warwick, etc. Ici, il s’attaque à quelque chose d’encore très différent : Miles Davis plongé dans la furie d’une gigantesque coupure d’électricité à New York. On y retrouve le style si particulier de l’écrivain, celui qui transparaissait déjà dans ses premiers ouvrages, comme La Voix secrète et Maison fondée en 1959 : écriture hachée, mots qui claquent, déconstruction de la syntaxe. Un véritable feu d’artifice dans la forme, qui n’en finit pas de surprendre et, dans le même temps, de captiver. Miles Davis est un personnage particulièrement intéressant : musicien de génie, d’une exigence monstrueuse avec lui-même, il a fini par ne plus toucher à sa trompette pour vivre comme un ermite, comme un indigent, dans son luxueux appartement new-yorkais. Vrillé par la drogue et les abus, il va néanmoins devoir sortir de chez lui pour aller s’acheter sa dose. Et c’est le début d’une nuit furieuse. A la rencontre de personnages interlopes, depuis les dealers jusqu’aux rescapés du black-out, en passant par des êtres réels, comme Juliette Gréco, des membres des Black Panthers ou du Ku Klux Klan, le tueur en série surnommé « Fils de Sam » (que l’auteur a déjà étudié dans son documentaire Fils de Sam), ou encore des soldats de la Guerre de Sécession… Car Michaël Mention secoue son protagoniste au point de le faire changer d’époque et de le confronter aux pires démons des Etats-Unis, comme le racisme et la misère. Des voyages spatio-temporels détonants, tonitruants, qui sidèrent, mais n’en sont pas moins parfaitement maîtrisés.
Au final, ce sont deux cents pages de pur délire, destroy à l’image de Miles Davis qui voulait détruire le jazz et l’enterrer pour mieux créer son propre sillon, sa musique intime, toucher la perfection du son et du rythme. Une nuit d’ivresse qui nous fait toucher du doigt les fantômes de Miles Davis (avec la présence énigmatique de ce John, dans une relation presque faustienne) comme ceux de la société américaine. Ce ne sera probablement pas l’ouvrage le plus consensuel de Michaël Mention en raison de son sujet et de ses choix narratifs, mais la magie opère, une fois encore, et on est emporté dans cette longue nuit d’ivresse et de ténèbres. De la littérature noire mâtinée de blanche, toutes deux ponctuées de notes bleues.24/04/2019 à 18:02 9
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Quand sort la recluse
8/10 … ou comment le commissaire Adamsberg, par une indiscrétion en regardant l’écran de l’ordinateur de l’un de ses adjoints, en vient à enquêter sur la mort de vieillards dans le Sud de la France, décédés suite à la morsure d’araignées, les recluses. Pour ma part, cela faisait un bail que je n’avais pas lu d’ouvrages de Fred Vargas, et la diffusion de l’adaptation télévisée de cet opus m’a poussé à faire grimper ce roman tout en haut de ma PAL. J’y ai retrouvé l’univers « vargassien » tel que je l’avais encore en tête : des dialogues agréables et ciselés, des personnages denses, et toujours ce goût pour une écriture et un récit qui prend son temps, en père peinard, ce qui permet au lectorat de savourer la gouaille de l’écrivaine et son appétit pour les protagonistes « normaux », ce que j’entends non pas par « communs » ou « banals », mais « crédibles », à des années-lumière des héros de blockbusters littéraires et autres pétarades américaines. Pas mal d’humour et de décontraction dans les liens entre nos policiers, même si (et j’ai dû rater trop de wagonnets pour ne découvrir que maintenant la transformation du bon Danglard en calculateur, craignant une propre faille dans sa famille, au point d’obliger Adamsberg à jouer des poings avec lui). J’ai d’ailleurs beaucoup aimé la plaisanterie – un peu private joke, mais comment ne pas l’avoir vue ou comprise ? – quand Danglard est interrogé à propos de Magellan quand l’acteur qui l’incarne, Jacques Spiesser, joue dans une série du même nom. Il y a également une immense gravité dans l’intrigue, sombre et cruelle, et si la première moitié est bien menée, j’étais dubitatif quant à la suite, sachant que ce n’est pas en soi une histoire farouchement originale. Mais l’autre moitié du roman m’a redonné un coup de fouet, avec ce fragment du passé d’Adamsberg qu’il revoit, et donc cette piste sur laquelle il se lance, bien plus singulière à mes yeux, et où l’on va, à la manière de Mathias sur le terrain à fouiller, découvrir plusieurs strates d’horreur dans ce fait divers, hélas plausible et d’un puissant impact évocateur. De l’humanité aussi, notamment dans les derniers chapitres, dans le lien entre notre commissaire et le tueur, avec une immense symbolique quant à la prison. Même si, à tête reposée, je suis sceptique quant au stratagème employé par l’exterminateur – le « crachat tombé du ciel », beaucoup trop capillotracté - j’ai vraiment beaucoup aimé cet opus malgré quelques bavardages et autres circonvolutions inutiles selon moi, mais on est chez Fred Vargas, et chez personne d’autre, ceci expliquant cette patte narrative.
22/04/2019 à 18:39 7
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Graine de Résistant
7/10 ... ou comment Rémy Langevin, un collégien de treize ans, en pleine Occupation, va lentement s’opposer aux nazis, plus particulièrement au Obersturmführer Otto Krenz, un lieutenant fraîchement promu dans la SS. Après avoir perdu son père en 1940, lui qui est plutôt timide et timoré (en plus de n’être qu’un enfant, ne l’oublions pas), il va affronter les dures conditions de la France occupée avant de subir un autre épisode douloureux qui va toucher l’un de ses amis, et ainsi graduellement se mettre en tête de participer pleinement et activement à la Résistance. Il n’est jamais inutile de revenir sur cette sinistre page de notre Histoire commune, ni d’oublier les martyrs et héros, et quand c’est écrit par Arthur Ténor, je me suis rué sur le bouquin. L’écriture est impeccable, irréprochable, rendant palpables les privations, les sentiments contradictoires, les enjeux politiques, les incertitudes liées au conflit, les tragédies et les bouffées d’espoir. Rémy, amoureux de Marie, essayant de passer le plus de temps possible à écouter sa TSF pour avoir des nouvelles du front, et touchant de candeur, de naturel et de tact, est très joliment croqué. Dans le même temps, Otto Krenz sait se montrer cassant, patibulaire, manipulateur (notamment lorsqu’il se met en tête de harceler notre si jeune protagoniste), quitte à faire pression sur ses amis, ses proches, et à tourner de façon de plus en plus suspecte autour de la mère de Rémy. Il y aura bien évidemment des drames, et c’est tout à l’honneur de l’auteur de ne pas avoir écrit de manière fallacieuse, voire incorrecte, eu égard aux victimes de la guerre, qu’ils soient civils ou armés, sur cette époque. Dans le même temps, l’écriture sait se mettre à la hauteur des jeunes auxquels il destine son roman, et je ne doute pas qu’ils sauront se laisser embarquer par ce récit qui mêle passions, douleurs et bravoure. Si la fin m’a un peu surpris (ou du moins redoutais-je quelque chose dans ce genre-là), à la réflexion, je la trouve pertinente, finalement bien choisie. Et remercions également Arthur Ténor pour les ultimes pages, documentaires, quant aux « martyrs du lycée Buffon », dans ce nécessaire hommage. Même si l’ensemble n’apporte rien de nouveau, ni dans le fond ni dans la forme, il permet un éclairage intéressant et essentiel quant au rôle de la jeunesse durant la Seconde Guerre mondiale et la Résistance.
22/04/2019 à 18:37 4
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Le Labyrinthe de Dédale
6/10 … ou les épisodes combinés du labyrinthe de Dédale (bon, évidemment, le titre l’évoque), le Minotaure, Icare, et la mort de Minos. J’ai encore comme point de comparaison un livre similaire, celui de Guy Jimenes, « Icare aux ailes d’or », qui est une version très similaire du mythe, tous les deux étant destinés à la jeunesse. Indéniablement, Hélène Montardre a choisi deux éléments : concision et familiarité. Concision, car son texte, écrit trois ans avant celui de Guy Jimenes, est encore plus court (environ cinquante pages, et écrit en gros avec des illustrations), allant vraiment à l’essentiel. Familiarité, car le ton employé est très accessible : les personnages bégaient, hésitent, bafouillent, ont peur. Des sentiments, des attitudes, des comportements finalement très humains, ce qui place encore plus les protagonistes aux côtés du lectorat, comme des camarades, comme si le lecteur était l’un d’entre eux. En outre, la langue employée est très abordable, sans circonvolution ni grands effets narratifs ou littéraires. Du coup, je conseillerais plus volontiers cet ouvrage que celui de monsieur Jimenes à des gamins moins bons lecteurs, ou plus rétifs à cette activité, en raison de cette facilité d’accès. En revanche, si l’on souhaite plus de densité psychologique, de suspense ou de connexion avec le mythe originel, je préconiserais davantage « Icare aux ailes d’or ». D’ailleurs, à noter qu’Hélène Montardre prend parfois quelques raccourcis, comme le fait d’attribuer l’invention du fil salvateur à Dédale plutôt qu’à Ariane (étrange, même s’il finit par apparaître une certaine cohérence dans le texte, à sa façon, avec Dédale qui sait tout sur tout, et répond à de nombreuses reprises « Si » quand quelqu’un lui dit « Tu ne peux rien pour moi »). Et puis, puisque l’on en est aux reproches, le fait que la mort du Minotaure soit si rapidement évacuée (« Avec l’épée, Thésée tue le Minotaure et, grâce à la pelote de fil, il réussit à sortir du labyrinthe », sic) : à ce niveau, du point de vue narratif, c’est moins une ellipse qu’une réelle déception.
22/04/2019 à 18:36 4
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Une Pluie sans fin
8/10 La Limite. Une frontière artificielle et très approximative, dessinée au Sud des Etats-Unis, au-delà de laquelle on ne trouve que pluies diluviennes, ouragans et dévastations. Un no man’s land où les lois humaines ont implosé, pour ne laisser que chaos et individus désemparés. Cohen, qui a perdu sa femme et son enfant, fait partie de ces esseulés. Il lui faudra déployer des trésors de courage et d’humanité pour essayer de gagner la Limite.
Ce roman de Michael Farris Smith frappe fort. Il ne faut que quelques mots de l’auteur pour planter le décor. Des paysages post-apocalyptiques, avec ces constants déluges d’eau. Une anomie complète, où l’on se bat pour de la nourriture, des piles, une voiture, et où la vie humaine ne constitue guère une valeur. De ce désastre surgissent des êtres plus voraces et meneurs que les autres, comme ce prêcheur, Aggie, qui a commencé par se faire un nom en essayant de faire croire qu’il pouvait guérir des morsures de serpents. Depuis, son commerce s’est bien développé, et il a créé une véritable secte sur laquelle il règne sans partage. Parmi ses ouailles, plus captives que volontaires, la jeune Mariposa, qui se souvient encore avec plaisir de sa jeunesse et de sa famille néo-orléanaise. Et c’est en partie pour la sauver, elle et les siens, que Cohen va tout faire pour les aider à quitter cet enfer humide. Difficile de ne pas penser à La Route de Cormac McCarthy ou à la série cinématographique des Mad Max en lisant le synopsis. Cependant, Michael Farris Smith injecte une âme réelle, entière et intime, à son histoire. Des personnages fracassés, tout en trajectoires fracturées, brisés par leur existence ou par ce cauchemar orageux cascadant des cieux malveillants. On est emporté par cette vision effrayante des éléments et des événements, chamboulant les repères moraux des hommes, tandis que l’on se plaît à vivre de beaux moments de magie et de grâce, comme les flash-backs de Cohen aux côtés de sa femme à Venise, ou ces instants, presque suspendus, où la terreur et l’angoisse s’interrompent en la présence d’un bébé.
Un roman très bon et très fort, où Michael Farris Smith impose sa vision sans concession d’un avenir, peut-être imminent et crédible, où ce sera à chacun de choisir sa voie, dans les pas du Diable ou dans ceux d’individus valeureux. Car même si Cohen n’a en effet strictement rien d’un surhomme, sa bonté, son obstination et son courage le mettront d’autant plus en valeur.09/04/2019 à 19:09 5
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Chassé-croisé
5/10 … ou l’histoire d’amour entre deux collégiens, Myrtille, originaire de Corée du Sud et adoptée, et Mohamed, dont la famille est en France depuis dix ans, mais qu’un raccompagnement en Algérie pour Mohamed et les siens va venir interrompre. Dans ce très court roman (presque proche de la nouvelle tant il est lapidaire), on retrouve la plume de Guillaume Guéraud : enflammée, politique, engagée, et très juste. Les amours naissantes de Myrtille et de Mohamed, leur inclination grandissante, le ressentiment de leurs foyers respectifs quand tonne l’ordre de retour au pays, l’envie de rester dans la contrée qui les a accueillis, tout est bien écrit, sonne avec justesse et l’on se prend d’une réelle empathie pour ces jeunes soupirants que la loi française sépare.
Mais il y a quelque chose qui a cloché, et c’est au huitième chapitre que c’est parti en vrilles serrées pour moi : la verve et l’emportement de l’auteur sont tels qu’ils nuisent à ma vue d’ensemble du livre. Si tout y était impeccable – au-delà de toute éventuelle considération politique, les mots qu’il emploie deviennent subitement outranciers, subjectifs, déplacés, et vraiment inutiles. Parler de « trois excités en uniforme », que ces derniers « ont cherché des trucs à casser », qu’un des policiers crie « Ta gueule ! » à la mère en pleurs et qu’il poursuive avec un court laïus haineux et autant raciste, ça m’a vraiment fait quitter les rails de l’ouvrage. Entendons-nous bien : ce n’est même pas une question d’inclinaison politique, de dénégation de tristes attitudes et comportements qui, malheureusement, mille fois malheureusement, existent, ou de désaveu des penchants idéologiques de Guillaume Guéraud – en matière de lectures, je suis parfaitement apolitique. C’est juste qu’une telle envolée, inopportune, subite et certainement pas représentative de tout un corps d’état alors qu’il se laisse lire comme s’il s’agissait là d’une banalité voire d’une norme, m’a véritablement hérissé le poil. Autant j’appréciais les motivations, les opinions et la manière dont l’auteur les étayait tout au long de cet opus, autant sur la fin, à force de vouloir tant marquer le trait de son engagement, il remplace le délicat pinceau par la grosse truelle au détriment de toute la finesse de son tableau, et je trouve cela fort dommageable.09/04/2019 à 09:05 1
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Dieux et guerriers
6/10 … ou comment Anthony Horowitz, écrivain majeur de la littérature jeunesse, porte à notre connaissance seize contes issus de tous les âges et de tous les continentes. Au programme : l’énigme du Sphinx, le pittoresque combat de Saint Georges et du dragon, un géant africains aux cheveux presque interminables, l’histoire de Perséphone et la naissance des saisons, Gauvain et le chevalier vert, Polyphème face à Ulysse et ses compagnons, le cruel roi Nidud face à un orfèvre qui prépare une terrible vengeance, un autre épisode du cycle arthurien mettant en scène une femme particulièrement repoussante, une légende amérindienne mettant en scène le dénommé Geriguiaguiatugo (un défi pour le scrabble…), l’un des travaux d’Hercule, Beowulf face au Grendel, l’affrontement de Romulus et de Remus, et enfin le sanguinaire Procuste. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en entreprenant la lecture de ce recueil : l’auteur allait-il mettre en lumière quelques histoires moins connues ? Procéder à une relecture de l’ensemble ? Uniquement compiler ces légendes ? En fait, je trouve que c’est là la principale faiblesse de ce spicilège : il n’a pas de véritable ton. Certaines sont amusantes (Saint Georges, ou encore Polyphème croqué comme un imbécile fini), d’autres m’ont parues sans réel intérêt, si ce n’est de porter un éclairage sur des contrées où les contes et mythes ont fleuri mais dont, nous Français, n’en connaissons que peu (le récit de Geriguiaguiatugo m’a laissé parfaitement froid, celle de Beowulf se lit et s’oublie aussitôt, et celle du géant africain est plaisante mais pas mémorable), et d’autres sont tellement connues que la lecture n’en présente que peu d’intérêt (Romulus, Hercule, Perséphone). Demeurent quelques histoires plus saisissantes, que j’ai vraiment appréciées (Procuste, dont je ne me lasse pas, ou Nidud). C’est un véritable bouquet, au sens formel du terme, avec des récits qui ne se ressemblent pas, ont le mérite de divertir, mais dont je n’ai toujours pas saisi la raison de leur présence ici. Anthony Horowitz les a-t-il appréciés ? Voulait-il nous faire parcourir le monde au gré de ces textes ? Parce que sinon, ils n’ont vraiment rien en commun, que ça soit l’histoire, les ressorts, les morales (beaucoup n’en ont d’ailleurs pas) ou la tonalité. Et le fait qui m’a le plus déçu, c’est que l’écrivain ne fait que les réécrire sans rien leur apporter, au point que ce livre aurait pu être écrit par n’importe qui, même si la langue y est belle et la lecture globale plutôt agréable. Sincèrement, j’aurais beaucoup apprécié une relecture, à la sauce Horowitz, quitte à s’écarter de ces histoires telles qu’on les avait en tête, que ça soit avec des anachronismes, l’humour que l’on connaît chez l’auteur, ou de l’action comme il sait en distiller avec sa série Alex Rider. Bref, une lecture plaisante pour les jeunes auxquels s’adresse ce bouquin, avec de la distraction et un peu de réflexion, mais certainement pas de quoi figurer parmi mes recueils préférés, que ça soit dans le fond ou dans la forme : j’ai plus lu un copier/coller divertissant mais sans âme qu’un ouvrage ayant une véritable personnalité.
09/04/2019 à 09:04 1
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Icare aux ailes d'or
8/10 … ou la tragique destinée d’Icare, écrite ici par Guy Jimenes. De ce mythe, que j’ai toujours trouvé remarquable et d’une insondable profondeur, j’en avais fini par oublier de nombreux éléments, et ç’a été pour moi l’occasion de me les remettre en mémoire dans le meilleur des cas, ou de me les apprendre. Car le roman ne commence pas dans le fameux labyrinthe où Icare et son père, Dédale, enfermés par Minos. Il s’amorce avec l’arrivée du taureau blanc envoyé par Poséidon, donnant ensuite à voir la naissance d’Astérion, celui qui deviendra le Minotaure, les sacrifices humains, l’alliance d’Ariane et de Thésée, l’affrontement grandissant entre Icare et son paternel, l’enfermement dans le labyrinthe, et enfin, bien entendu, l’ascension et la chute d’Icare. Il y a encore d’autres moments très intéressants qui jalonnent ce récit, mais je retiens également le (long) épilogue, où l’on en revient à Dédale, un personnage décidément fascinant, avec son remarquable talent artistique, ses ultimes sculptures, la façon dont il a tendu un piège machiavélique à Minos (rien que ça, par l’intelligence de l’idée et le côté diabolique du traquenard, pourrait donner lieu à un livre à ce sujet), ainsi que sa fin, hautement symbolique. Guy Jimenes s’est parfaitement documenté et redonne vie avec beaucoup de tact et d’élégance à cette légende, employant un langage agréablement désuet et soutenu, avec la concision propre au cahier des charges de cette collection. Bref, un régal d’aventures, d’érudition et d’humanité, à conseiller pour tout le monde, à presque tous les âges.
09/04/2019 à 09:02 2
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Dernière saison dans les Rocheuses
8/10 Au cours des années 1820, le jeune William Wyeth s’est mis en tête de vivre une vie enfin trépidante, aventureuse. Pour cela, il décide de devenir trappeur et de partir, comme tant d’autres, à la conquête de l’Ouest sauvage. Ce qu’il vivra au cours de ce périple le changera à jamais.
Shannon Burke, à qui l’on doit Manhattan Grand-Angle et 911, nous revient dans un registre très différent, quelque part entre le roman d’aventures et le western. L’Ouest des Etats-Unis, cette immense contrée hostile, offre le cadre idéal pour un voyage somptueux, et l’auteur nous rend avec maestria le caractère indompté de ces lieux. Sans pour autant devenir trop bavard dans ses descriptions, Shannon Burke dépeint avec talent les panoramas sublimes, les montagnes farouches, les forêts inhospitalières. Au-delà de ces tableaux idylliques, il rend également hommage à la faune, entre bisons, chevaux, ours et autres animaux auxquels Bill et les siens vont être confrontés. Lutter pour sa survie, donc, face aux éléments et les bêtes, mais également contre les êtres humains, depuis de cruels Indiens aux Britanniques en passant par certains trappeurs dont la cruauté s’est aiguisée au cours de cette vie primitive. William rencontrera des personnages croustillants : Alene, la si jeune et jolie veuve ; Henry Layton, le magnat de prime abord infatué et querelleur mais qui saura se montrer brave et héroïque ; Max Grignon, le sanguinaire homme de main dont William se fera un ennemi mortel. Même si quelques protagonistes véhiculent quelques clichés, et si certaines scènes sentent le déjà-vu ou le déjà lu, des passages resteront longtemps à l’esprit, comme cette confrontation incroyable avec un ours, ou le « jeu » de Layton pris entre un taureau et un plantigrade féroce. Shannon Burke a imprimé à son récit un véritable souffle épique, avec son lot de sentiments chevaleresques et vertueux, où la candeur originelle de William (qui disait de lui, au tout début, que « Ma famille pense que je suis un froussard incapable de prendre une décision. Je veux leur prouver ce que je vaux et revenir la tête haute ») va se télescoper à l’existence dure et intransigeante d’espaces inhospitaliers. Paradoxalement, le lecteur éprouvera d’autant plus d’empathie pour ces trésors naturels, qu’ils soient végétaux, minéraux ou animaux, que ces derniers démontrent leur beauté et leur rudesse. Et, au-delà de cette ode aux éléments, il y a un puissant élan humain, mettant en valeur des sentiments nobles alors que vont se multiplier les traîtrises, les luttes de pouvoir, la course à l’argent, et les instincts de mort.
Malgré quelques moments un peu attendus, voilà un très bel hommage à la Nature et à l’âme humaine.04/04/2019 à 14:29 9
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Disparition programmée
7/10 Le père de Jack a transporté de la drogue dans son avion, au profit d’un terrible narcotrafiquant. Parce qu’il a conservé des éléments pouvant incriminer le malfaiteur et le faire plonger, il est mis à l’ombre et sa famille va devoir se soumettre à un programme de protection des témoins. Nouvelle identité, nouvelle ville, nouvelle apparence, pour rompre définitivement les ponts avec la vie précédente et éviter que les tueurs ne les retrouvent.
Roland Smith signe un roman qui permet de mieux comprendre les ressorts de cette fameuse protection des témoins, que l’on a déjà vue souvent au cinéma par exemple. Ici, il n’y a pas d’actions tonitruantes, de fusillades rocambolesques et autres scènes échevelées. L’auteur s’est focalisé sur la façon dont les individus doivent être défendus et plongés dans l’oubli. Beaucoup de réalisme et de crédibilité dans ces pages, avec également une belle mise en évidence des sentiments contradictoires qui agitent des êtres humains coupés de leurs racines et doivent orienter leur vie différemment. Ici, la famille Osborne va devoir quitter son Etat pour rejoindre le Nevada et se priver de ses amis et attaches. Parallèlement, la mère de famille va se remettre à espérer avec un projet professionnel autour d’une librairie, Jack – désormais prénommé Zack – s’amouracher de la belle Cataline, et sa sœur se battre pour intégrer une comédie musicale, etc. Autant de moments d’espérances et de regains d’espoir, que Roland Smith rend particulièrement crédibles, grâce à une écriture simple, honnête et gorgée d’humanité. On s’en doute, suspense oblige, les trafiquants de drogue vont retrouver la piste de notre famille de fugitifs, et l’on se régale de cet ouvrage de bout en bout, sans temps mort ni faiblesse. On pardonnera d’autant plus volontiers à l’auteur des ficelles beaucoup trop grosses, tel le rôle vraiment téléphoné de Sam, le concierge de l’école, ainsi que son ancienne identité excessivement capillotractée.
Un roman original et bien écrit, prenant de bout en bout, qui se poursuit avec Témoins en danger.04/04/2019 à 14:24 3