El Marco Modérateur

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  • Chassé-croisé

    Guillaume Guéraud

    5/10 … ou l’histoire d’amour entre deux collégiens, Myrtille, originaire de Corée du Sud et adoptée, et Mohamed, dont la famille est en France depuis dix ans, mais qu’un raccompagnement en Algérie pour Mohamed et les siens va venir interrompre. Dans ce très court roman (presque proche de la nouvelle tant il est lapidaire), on retrouve la plume de Guillaume Guéraud : enflammée, politique, engagée, et très juste. Les amours naissantes de Myrtille et de Mohamed, leur inclination grandissante, le ressentiment de leurs foyers respectifs quand tonne l’ordre de retour au pays, l’envie de rester dans la contrée qui les a accueillis, tout est bien écrit, sonne avec justesse et l’on se prend d’une réelle empathie pour ces jeunes soupirants que la loi française sépare.
    Mais il y a quelque chose qui a cloché, et c’est au huitième chapitre que c’est parti en vrilles serrées pour moi : la verve et l’emportement de l’auteur sont tels qu’ils nuisent à ma vue d’ensemble du livre. Si tout y était impeccable – au-delà de toute éventuelle considération politique, les mots qu’il emploie deviennent subitement outranciers, subjectifs, déplacés, et vraiment inutiles. Parler de « trois excités en uniforme », que ces derniers « ont cherché des trucs à casser », qu’un des policiers crie « Ta gueule ! » à la mère en pleurs et qu’il poursuive avec un court laïus haineux et autant raciste, ça m’a vraiment fait quitter les rails de l’ouvrage. Entendons-nous bien : ce n’est même pas une question d’inclinaison politique, de dénégation de tristes attitudes et comportements qui, malheureusement, mille fois malheureusement, existent, ou de désaveu des penchants idéologiques de Guillaume Guéraud – en matière de lectures, je suis parfaitement apolitique. C’est juste qu’une telle envolée, inopportune, subite et certainement pas représentative de tout un corps d’état alors qu’il se laisse lire comme s’il s’agissait là d’une banalité voire d’une norme, m’a véritablement hérissé le poil. Autant j’appréciais les motivations, les opinions et la manière dont l’auteur les étayait tout au long de cet opus, autant sur la fin, à force de vouloir tant marquer le trait de son engagement, il remplace le délicat pinceau par la grosse truelle au détriment de toute la finesse de son tableau, et je trouve cela fort dommageable.

    09/04/2019 à 09:05 1

  • Dieux et guerriers

    Anthony Horowitz

    6/10 … ou comment Anthony Horowitz, écrivain majeur de la littérature jeunesse, porte à notre connaissance seize contes issus de tous les âges et de tous les continentes. Au programme : l’énigme du Sphinx, le pittoresque combat de Saint Georges et du dragon, un géant africains aux cheveux presque interminables, l’histoire de Perséphone et la naissance des saisons, Gauvain et le chevalier vert, Polyphème face à Ulysse et ses compagnons, le cruel roi Nidud face à un orfèvre qui prépare une terrible vengeance, un autre épisode du cycle arthurien mettant en scène une femme particulièrement repoussante, une légende amérindienne mettant en scène le dénommé Geriguiaguiatugo (un défi pour le scrabble…), l’un des travaux d’Hercule, Beowulf face au Grendel, l’affrontement de Romulus et de Remus, et enfin le sanguinaire Procuste. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en entreprenant la lecture de ce recueil : l’auteur allait-il mettre en lumière quelques histoires moins connues ? Procéder à une relecture de l’ensemble ? Uniquement compiler ces légendes ? En fait, je trouve que c’est là la principale faiblesse de ce spicilège : il n’a pas de véritable ton. Certaines sont amusantes (Saint Georges, ou encore Polyphème croqué comme un imbécile fini), d’autres m’ont parues sans réel intérêt, si ce n’est de porter un éclairage sur des contrées où les contes et mythes ont fleuri mais dont, nous Français, n’en connaissons que peu (le récit de Geriguiaguiatugo m’a laissé parfaitement froid, celle de Beowulf se lit et s’oublie aussitôt, et celle du géant africain est plaisante mais pas mémorable), et d’autres sont tellement connues que la lecture n’en présente que peu d’intérêt (Romulus, Hercule, Perséphone). Demeurent quelques histoires plus saisissantes, que j’ai vraiment appréciées (Procuste, dont je ne me lasse pas, ou Nidud). C’est un véritable bouquet, au sens formel du terme, avec des récits qui ne se ressemblent pas, ont le mérite de divertir, mais dont je n’ai toujours pas saisi la raison de leur présence ici. Anthony Horowitz les a-t-il appréciés ? Voulait-il nous faire parcourir le monde au gré de ces textes ? Parce que sinon, ils n’ont vraiment rien en commun, que ça soit l’histoire, les ressorts, les morales (beaucoup n’en ont d’ailleurs pas) ou la tonalité. Et le fait qui m’a le plus déçu, c’est que l’écrivain ne fait que les réécrire sans rien leur apporter, au point que ce livre aurait pu être écrit par n’importe qui, même si la langue y est belle et la lecture globale plutôt agréable. Sincèrement, j’aurais beaucoup apprécié une relecture, à la sauce Horowitz, quitte à s’écarter de ces histoires telles qu’on les avait en tête, que ça soit avec des anachronismes, l’humour que l’on connaît chez l’auteur, ou de l’action comme il sait en distiller avec sa série Alex Rider. Bref, une lecture plaisante pour les jeunes auxquels s’adresse ce bouquin, avec de la distraction et un peu de réflexion, mais certainement pas de quoi figurer parmi mes recueils préférés, que ça soit dans le fond ou dans la forme : j’ai plus lu un copier/coller divertissant mais sans âme qu’un ouvrage ayant une véritable personnalité.

    09/04/2019 à 09:04 1

  • Icare aux ailes d'or

    Guy Jimenes

    8/10 … ou la tragique destinée d’Icare, écrite ici par Guy Jimenes. De ce mythe, que j’ai toujours trouvé remarquable et d’une insondable profondeur, j’en avais fini par oublier de nombreux éléments, et ç’a été pour moi l’occasion de me les remettre en mémoire dans le meilleur des cas, ou de me les apprendre. Car le roman ne commence pas dans le fameux labyrinthe où Icare et son père, Dédale, enfermés par Minos. Il s’amorce avec l’arrivée du taureau blanc envoyé par Poséidon, donnant ensuite à voir la naissance d’Astérion, celui qui deviendra le Minotaure, les sacrifices humains, l’alliance d’Ariane et de Thésée, l’affrontement grandissant entre Icare et son paternel, l’enfermement dans le labyrinthe, et enfin, bien entendu, l’ascension et la chute d’Icare. Il y a encore d’autres moments très intéressants qui jalonnent ce récit, mais je retiens également le (long) épilogue, où l’on en revient à Dédale, un personnage décidément fascinant, avec son remarquable talent artistique, ses ultimes sculptures, la façon dont il a tendu un piège machiavélique à Minos (rien que ça, par l’intelligence de l’idée et le côté diabolique du traquenard, pourrait donner lieu à un livre à ce sujet), ainsi que sa fin, hautement symbolique. Guy Jimenes s’est parfaitement documenté et redonne vie avec beaucoup de tact et d’élégance à cette légende, employant un langage agréablement désuet et soutenu, avec la concision propre au cahier des charges de cette collection. Bref, un régal d’aventures, d’érudition et d’humanité, à conseiller pour tout le monde, à presque tous les âges.

    09/04/2019 à 09:02 2

  • Dernière saison dans les Rocheuses

    Shannon Burke

    8/10 Au cours des années 1820, le jeune William Wyeth s’est mis en tête de vivre une vie enfin trépidante, aventureuse. Pour cela, il décide de devenir trappeur et de partir, comme tant d’autres, à la conquête de l’Ouest sauvage. Ce qu’il vivra au cours de ce périple le changera à jamais.

    Shannon Burke, à qui l’on doit Manhattan Grand-Angle et 911, nous revient dans un registre très différent, quelque part entre le roman d’aventures et le western. L’Ouest des Etats-Unis, cette immense contrée hostile, offre le cadre idéal pour un voyage somptueux, et l’auteur nous rend avec maestria le caractère indompté de ces lieux. Sans pour autant devenir trop bavard dans ses descriptions, Shannon Burke dépeint avec talent les panoramas sublimes, les montagnes farouches, les forêts inhospitalières. Au-delà de ces tableaux idylliques, il rend également hommage à la faune, entre bisons, chevaux, ours et autres animaux auxquels Bill et les siens vont être confrontés. Lutter pour sa survie, donc, face aux éléments et les bêtes, mais également contre les êtres humains, depuis de cruels Indiens aux Britanniques en passant par certains trappeurs dont la cruauté s’est aiguisée au cours de cette vie primitive. William rencontrera des personnages croustillants : Alene, la si jeune et jolie veuve ; Henry Layton, le magnat de prime abord infatué et querelleur mais qui saura se montrer brave et héroïque ; Max Grignon, le sanguinaire homme de main dont William se fera un ennemi mortel. Même si quelques protagonistes véhiculent quelques clichés, et si certaines scènes sentent le déjà-vu ou le déjà lu, des passages resteront longtemps à l’esprit, comme cette confrontation incroyable avec un ours, ou le « jeu » de Layton pris entre un taureau et un plantigrade féroce. Shannon Burke a imprimé à son récit un véritable souffle épique, avec son lot de sentiments chevaleresques et vertueux, où la candeur originelle de William (qui disait de lui, au tout début, que « Ma famille pense que je suis un froussard incapable de prendre une décision. Je veux leur prouver ce que je vaux et revenir la tête haute ») va se télescoper à l’existence dure et intransigeante d’espaces inhospitaliers. Paradoxalement, le lecteur éprouvera d’autant plus d’empathie pour ces trésors naturels, qu’ils soient végétaux, minéraux ou animaux, que ces derniers démontrent leur beauté et leur rudesse. Et, au-delà de cette ode aux éléments, il y a un puissant élan humain, mettant en valeur des sentiments nobles alors que vont se multiplier les traîtrises, les luttes de pouvoir, la course à l’argent, et les instincts de mort.

    Malgré quelques moments un peu attendus, voilà un très bel hommage à la Nature et à l’âme humaine.

    04/04/2019 à 14:29 9

  • Disparition programmée

    Roland Smith

    7/10 Le père de Jack a transporté de la drogue dans son avion, au profit d’un terrible narcotrafiquant. Parce qu’il a conservé des éléments pouvant incriminer le malfaiteur et le faire plonger, il est mis à l’ombre et sa famille va devoir se soumettre à un programme de protection des témoins. Nouvelle identité, nouvelle ville, nouvelle apparence, pour rompre définitivement les ponts avec la vie précédente et éviter que les tueurs ne les retrouvent.

    Roland Smith signe un roman qui permet de mieux comprendre les ressorts de cette fameuse protection des témoins, que l’on a déjà vue souvent au cinéma par exemple. Ici, il n’y a pas d’actions tonitruantes, de fusillades rocambolesques et autres scènes échevelées. L’auteur s’est focalisé sur la façon dont les individus doivent être défendus et plongés dans l’oubli. Beaucoup de réalisme et de crédibilité dans ces pages, avec également une belle mise en évidence des sentiments contradictoires qui agitent des êtres humains coupés de leurs racines et doivent orienter leur vie différemment. Ici, la famille Osborne va devoir quitter son Etat pour rejoindre le Nevada et se priver de ses amis et attaches. Parallèlement, la mère de famille va se remettre à espérer avec un projet professionnel autour d’une librairie, Jack – désormais prénommé Zack – s’amouracher de la belle Cataline, et sa sœur se battre pour intégrer une comédie musicale, etc. Autant de moments d’espérances et de regains d’espoir, que Roland Smith rend particulièrement crédibles, grâce à une écriture simple, honnête et gorgée d’humanité. On s’en doute, suspense oblige, les trafiquants de drogue vont retrouver la piste de notre famille de fugitifs, et l’on se régale de cet ouvrage de bout en bout, sans temps mort ni faiblesse. On pardonnera d’autant plus volontiers à l’auteur des ficelles beaucoup trop grosses, tel le rôle vraiment téléphoné de Sam, le concierge de l’école, ainsi que son ancienne identité excessivement capillotractée.

    Un roman original et bien écrit, prenant de bout en bout, qui se poursuit avec Témoins en danger.

    04/04/2019 à 14:24 3

  • Shoot to kill

    Steve Cole

    6/10 … ou comment le jeune James Bond, alors âgé de 15 ans, va être confronté à un complot impliquant gangsters américains et milieux interlopes du cinéma. J’étais assez intrigué par ce concept d’enfance de James Bond, amorcée par Charlie Higson et poursuivie par Steve Cole, dont il s’agit ici de sa première « intervention » dans cette saga. Indéniablement, il y a du rythme dans ce livre. Des courses-poursuites, de l’action, du suspense, et des événements qui s’enchaînent vraiment bien. Cela commence déjà par une confrontation entre James Bond et des rivaux dans son école, rivaux menés par une sale petite peste, avec d’entrée de jeu quelques cascades sympathiques. Par la suite, pas mal d’événements très visuels : des mises à mort filmées en direct, la découverte d’une sinistre bobine de film, un voyage dans un dirigeable, une journaliste aux dents longues, des membres de la pègre et des agents de sécurité zélés et malveillants, des chantages en pagaille et pas mal de blessés et de morts au passage (mais tout ça reste dans le cadre de la décence d’un roman destiné à la jeunesse). De l’humour dans quelques dialogues, assez décontractés, ainsi qu’un jeune nain dont le nom de famille est Grande. James Bond va donc devoir se frotter à une machination qui n’est pas spécialement singulière ni marquante, mais qui suffit amplement en tant que socle du roman. Après, si je ne peux pas vraiment bouder mon plaisir de cette lecture distractive et tout sauf inintéressante, je suis tout de même dubitatif quant à l’appellation « La jeunesse de James Bond ». Je n’ai jamais lu les ouvrages de Ian Fleming (oui, honte à moi…), mais d’après ce que j’en ai lu, notamment dans les avis de l’ami Athanagor, le personnage est très éloigné de l’image que l’on en a après avoir vu les films issus de cette saga. Donc, après avoir achevé la dernière page de ce « Shoot to Kill », j’ai un peu de mal à me dire que ce protagoniste qui s’est tant débattu sous mes yeux était l’adolescent qui allait devenir cette icône cinématographique. Qui est James Bond pour la majorité des gens, dont je fais partie, qui ont vu les films ? Un grand espion, séducteur, confronté à des machinations ainsi qu’à des ennemis retors et létaux, qui utilise des gadgets, non ? Ici, on en est très loin, même s’il s’agissait, encore une fois, d’un ado. Athanagor dit que James, dans le premier livre où il apparaissait, était « misogyne, fumeur, buveur, fébrile, douteux » : il n’en est rien ici. Et il ne ressemble pas non plus à la référence du septième art. Alors, au-delà de sa confrontation à de très sales types qui ont ourdi un plan pas trop mal vu, j’ai souvent eu l’impression de lire un ersatz de CHERUB et consorts, mais certainement pas un James Bond en culotte plus ou moins courte. Curieux arrière-goût que cela me laisse en bouche, du coup : c’est comme assister à la pousse d’un arbre privé de ses racines autoproclamées, façon hydroponie, ou comme une greffe inachevée et imparfaite, sans que les deux éléments organiques ne soient réellement accordés. Oh, et un détail en passant : Steve Cole dit bien que cela se déroule durant la jeunesse de James Bond, mais sans la moindre référence historique explicite. Les adultes comprendront rapidement, après un rapide calcul mental, que cela se passe vraisemblablement dans les années 1930 en raison de quelques éléments historiques (la montée du nazisme) et techniques (les voitures de l’époque, l’emploi du zeppelin pour traverser l’Atlantique, ou les formats des pellicules employées pour le cinéma), mais je suis persuadé que nombre de jeunes lecteurs ne tilteront pas tout de suite, voire pas du tout, au fait que toute l’action se déroule il y a près de quatre-vingts ans. Et ça n'aurait donc pas été un luxe que de le préciser !

    01/04/2019 à 17:23 1

  • Le grand amour du bibliothécaire

    Evelyne Brisou-Pellen

    6/10 … ou comment le gentil Fulbert, bibliothécaire dans le village de Tire-la-Chevillette, en vient à se transformer (et modifier ses pratiques professionnelles) quand il s’éprend de Rose-Marie, une jeune et jolie femme venue passer les vacances dans le bourg. Il faut dire que Fulbert, dans sa bibliothèque, n’a qu’un seul livre, sur le jardinage, et encore, relié par une grosse chaîne au mur afin qu’on ne puisse pas le lui emprunter. Fulbert trouve que « les livres ça fait désordre et ça prend la poussière », mais parce qu’il veut faire plaisir à Rose-Marie et l’attirer dans son antre, il va se mettre à acheter un autre ouvrage, puis un autre, etc. Autant le dire : c’est vraiment un opus pour les (très) jeunes lecteurs, en raison de son vocabulaire (simplissime), son sujet bien aimable, et sa concision (une quarantaine de pages, avec de grosses lettres et pas mal d’illustrations), et les adultes n’y trouveront probablement pas leur bonheur. En revanche, avec son humour (les doléances des cinq membres du conseil municipal face au maire sont cocasses), ses lapidaires péripéties (l’intervention de trois bandits qui en viennent à vouloir cambrioler la bibliothèque) et les amours complaisamment naïves entre Fulbert et Rose-Marie sauront séduire, d’autant que la morale de l’histoire, évident renversement de situation par rapport à celle du début, est vraiment réjouissante. Bref, c’est sympathique pour les débutants de la lecture, attachant et distractif, mais cela ne va guère au-delà pour les autres lectorats.

    01/04/2019 à 17:20 1

  • La Fiancée du Nil

    Christian Jacq

    6/10 … ou le périple tumultueux du jeune Kamosé dans l’Egypte de Ramsès II. Il voit ses parents dépouillés de leur maison par un soldat, Sétek, revenu de guerre, et à qui le Pharaon a octroyé le droit de se saisir de ces terres. Furieux, Kamosé ira jusqu’à Thèbes pour consulter le cadastre, protégé dans un temple sacré, afin de démontrer l’injustice. Christian Jacq, expert de l’Egypte antique, maîtrise indéniablement son sujet et sait le rendre vivant. Le lecteur assistera donc à de bien jolies scènes, comme le cortège de Ramsès II à bord d’un bateau ou encore une fête agricole, « La Fiancée du Nil », qui donne donc son nom à l’ouvrage. Les mots sont simples mais évocateurs, et il ne faut pas oublier que ce livre de 1996 cible les jeunes lecteurs. Kamosé, en jeune homme enflammé, courageux et obstiné, devra redoubler d’efforts pour parvenir à son objectif. Il deviendra ainsi tailleur et menuisier, puis scribe, grâce à un octogénaire, l’Ancien, maître ès hiéroglyphes. C’est ainsi qu’il parviendra à se rapprocher de la vérité, quitte à aller demander audience auprès du Pharaon lui-même. Dans le même temps, Kamosé va s’amouracher de Nofret, jeune prêtresse de Hathor, une déesse, qui est également la fille du juge Rensi qui saura lui être utile dans ses démarches. C’est un joli portrait de l’Egypte de cette époque, concis, recentré sur l’intrigue, qui débouchera d’ailleurs sur un rebondissement intéressant et imprévu. Il y a aussi un peu du mysticisme et de la spiritualité dans ces mots, notamment lors de l’expérience que vit Kamosé grâce à l’Ancien, le dernier tour de magie de Nofret, ou cette bienveillance des dieux vis-à-vis de notre héros. Je regrette en revanche quelques raccourcis, scénaristiques principalement, probablement liés à la brièveté du roman, un angélisme béat face à la société égyptienne antique malgré quelques références à l’injustice sociale et à la toute-puissance de certaines professions et « castes », une inclination beaucoup trop fleur bleue entre Kamosé et Nofret qui tient de la bluette sans grande âme, et des dialogues parfois attendus et trop apprêtés. En bref, dans l’ensemble, un opus agréable à lire, parfois instructif, dont le maniérisme et une certaine forme d’académisme m’ont parfois dérangé, mais que les jeunes pardonneront probablement.

    01/04/2019 à 17:19 3

  • Balade entre les tombes

    Lawrence Block

    8/10 Le détective privé Matt Scudder, ancien flic alcoolique responsable de la mort d’un enfant alors qu’il était en état d’ébriété avancé, reçoit un appel émanant de Kenan Khoury. Sa femme a été enlevée et les kidnappeurs, au lieu de la lui rendre vivante après paiement de la rançon, la lui ont rendue découpée en morceaux dans le coffre d’une voiture. Pour Matt, c’est le début d’une longue investigation qui va le mener à affronter deux êtres d’une rare perversité.

    Ce roman de Lawrence Block, le dixième opus de la série consacrée à Matt Scudder, fait froid dans le dos. Il commence par l’enlèvement de Francine Khoury, les tractations avec les kidnappeurs et la découverte du corps monstrueusement martyrisé, et s’achève avec une nouvelle vague de violences barbares. Entre ces parenthèses de terreur, une enquête sinueuse, crédible, où notre limier va se faire aider par des personnages croustillants, notamment TJ, adolescent noir au vocabulaire acidulé, au courage remarquable et à l’humour grinçant. Une investigation scrupuleuse, loin de certains clichés qui fleurissent dans nombre de romans où les coïncidences, épisodes invraisemblables et autres rebondissements téléphonés pullulent. D’ailleurs, de téléphone, il en est amplement question, avec une longue entreprise menée par Matt et d’autres collaborateurs pour essayer de retracer quelle cabine téléphonique a été utilisée par les monstres. Un duo de psychopathes, multirécidivistes, d’une incroyable sauvagerie, dans les actes desquels se mêlent sexe, sadisme et mutilations pratiquées comme on découperait une tranche de viande. Une paire de prédateurs mémorable, d’autant plus inquiétante et inoubliable que sa dépravation sonne de façon très crédible. Si certains passages risquent de paraître un peu longs pour certains, indéniablement, Lawrence Block maîtrise son sujet au cours de ce roman noir brûlant qui se termine, comme on l’a évoqué précédemment, sur une scène du talion que l’on ne pourra pas oublier. Des paroles continueront d’ailleurs longtemps de résonner à nos oreilles, comme ces tirades, confession de l’un des tortionnaires, inouïes de férocité et d’inhumanité : « Les femmes. Elles ne sont pas réelles. Ce sont des jouets, c’est tout. Quand vous prenez un hamburger, êtes-vous en train de manger une vache ? Bien sûr que non. Vous mangez un hamburger. », ou « Quand elle marche dans la rue, c’est une femme. Mais à l’instant où elle monte dans la camionnette, c’est fini. Ce n’est plus que des pièces détachées. »

    Un ouvrage d’une immense noirceur, parfois un peu trop bavard, mais dont on ressort essoufflé et perclus de douleurs morales, puisque l’on a vu passer, sous nos yeux médusés, un torrent de monstruosités et de bestialités.

    25/03/2019 à 18:33 3

  • A la recherche d'Affelok

    Christine Vauchel

    7/10 A la ducasse de Saint-Omer, les membres du Clan du Hip-Hop vivent d’agréables moments dans les attractions. Mais Nicolas y perd son porte-monnaie : le début, pourtant anodin, d’une série d’événements qui va conduire notre équipe de gamins à prouver l’innocence d’Elvis, un SDF.

    Après Le Mystère de l’abbaye et Micmac cabots, Christine Vauchel livre ici le troisième tome des enquêtes du Clan du Hip-Hop. Le ton y est très badin, typique de l’innocence de nos trois intrépides camarades, dont le ralliement s’exprime ainsi : « Yo tope là, l’amitié n’attend pas, les copains d’abord, les copains d’accord ! ». Si la disparition du porte-monnaie de Nicolas peut sembler, de prime abord assez anodine pour bâtir une intrigue policière, d’autres éléments vont venir s’y agglomérer et constituer un ensemble solide : l’étrange comportement de Pierre, l’oncle de Nicolas, un pauvre hère en la personne d’Elvis, un cambriolage trop facile dans un musée et la disparition d’une statuette qui donne son nom au livre. Christine Vauchel parvient sans le moindre mal à lier ces données disparates et emmène sans mal les lecteurs, nécessairement jeunes, vers l’épilogue de ce roman habile et décontracté. L’humour est bien présent, capable de réjouir le public auquel se destine l’ouvrage, et même si certains passages sont un peu attendus et l’intrigue policière parfois trop vite expédiée, c’est un petit délice.

    Christine Vauchel poursuit donc sa série avec un plaisir qu’elle communique à ses lecteurs, et l’on ne pourra ainsi que chercher une autre sympathique heure de lecture avec le quatrième tome de la série, Phoque en série.

    25/03/2019 à 18:30 2

  • Si vulnérable

    Simo Hiltunen

    8/10 Une famille présentant tous les atours du bonheur et de la joie de vivre, mais tout d’un coup, le père sombre dans la folie et abat ses enfants et sa femme avant de se suicider. Parce que c’est sa spécialité et qu’il a du mal à croire à un tel scénario, Lauri Kivi, journaliste au Suomen Sanomat, va mener l’enquête et progressivement découvrir qu’un tueur en série pourrait bien être le responsable de cette tuerie… comme de tant d’autres auparavant.

    Et dire que ce roman de Simo Hiltunen n’est que son premier. Dès l’entame de l’ouvrage, on comprend rapidement et sans mal que l’auteur domine son sujet avec un brio rare. L’écriture est remarquable, forte d’humanité, recherchée, aiguisée jusque dans ses dialogues, et c’est ainsi avec plaisir que l’on se laisse prendre par ces mots. L’intrigue est également habilement imaginée et charpentée, avec de multiples rebondissements jusque dans les ultimes pages, où Lauri sera tour à tour un enquêteur tenace puis une proie de la police avant d’affronter le monstre dans un huis clos anxiogène. Mais ce qui retient le plus l’attention dans ce livre, c’est l’accent que Simo Hiltunen a porté sur ses personnages. Des individus fracassés, maltraités, autrefois victimes et reproduisant le schéma de la violence sur les générations suivantes pour se commuer en bourreaux. A cet égard, notre reporter est révélateur de la vision assez sombre de l’écrivain. Il a été victime d’un père particulièrement barbare, lui-même souffre-douleur de son propre paternel, et battu comme plâtre avec des couvercles de cuisine au point de l’avoir rendu en partie sourd et de devoir porter une prothèse auditive. Il a eu une fille mais s’est montré si débordant de rage et de mauvais comportements qu’il a abandonné sa compagne et son enfant, sans jamais plus s’en occuper, laissant cette dernière, Aava, grandir loin de lui jusqu’à devenir une star de la pop finlandaise. Quant à son frère, Tuomas, il a quitté le foyer familial et a disparu dans la nature. Des portraits éclatés pour des existences fracturées, dupliquant la violence dont ces personnages ont été les cibles sur leurs proches ou rejetons, avant, parfois, ou trop peu souvent, un éclair de lucidité et l’abandon des armes. Si cet opus est un pur régal littéraire, on pourrait lui reprocher quelques menues langueurs voire lenteurs dans les épisodes retraçant le passé des protagonistes, ainsi qu’un final un peu trop hollywoodien dans la forme.

    Une représentation singulièrement ténébreuse de notre société, où les êtres vulnérables risquent de devenir, à leur tour, des loups et des tortionnaires, même si Simo Hiltunen apporte une touche d’espoir dans les dernières pages de ce roman, glacé et glaçant, et remarquable de maîtrise.

    25/03/2019 à 18:27 4

  • Dans la peau de Sam

    Camille Brissot

    6/10 … ou comment Charlie, une adolescente très populaire dans son collège, et Sam, looser intégral toujours mal attifé, en viennent, à cause d’une machine exploitée dans un parc d’attraction, à échanger leurs corps. J’ai déjà lu un roman de Camille Brissot que j’avais bien aimé (« Le Manoir aux secrets »), et j’ai voulu tenter l’aventure d’un autre de ses ouvrages, dans un genre bien différent. Ici, les jeunes auxquels se destine celui-ci ne seront pas dépaysés : des personnages qui leur parleront, des situations sympathiques, et des moments plutôt bien sentis. Bien évidemment, nous avons droit à une juste morale et des observations pleines de probité sur les relations à autrui, l’empathie, le rejet des critiques sur le physique ou les vêtements, ainsi que sur les nécessaires relations cordiales dans une famille. A ce niveau, c’est indéniable, ça sonne bien, les effets ne sont pas correctement amenés, et l’on ne peut que recommander une telle lecture à des gamins, genre collégiens. Après, pour ma part, j’ai été un peu déçu par la forme : pas beaucoup de moments inattendus, d’autres très voire trop téléphonés, pas d’instants mémorables, et une « bien-pensance » (j’utilise ces guillemets à dessein, parce que le respect et l’humanité sont des valeurs impérieuses) qui est parfois étalée à la truelle plutôt que finement, ce qui a parfois desservi le récit et les conséquences/conclusions/vertus attendues. Bref, un fond que nul ne pourra véritablement contester tant il est important et porteur de cohésion dans la société et les établissements publics, mais une forme à propos de laquelle je suis bien plus dubitatif, sans surprise et sans réelle saveur.

    24/03/2019 à 11:33 1

  • Comment j'ai rencontré mon monstre

    R. L. Stine

    6/10 … ou les déboires de Noah – dit « Ben » – Benstock, harcelé dans ses nuits par des visions de monstres qui l’assasillent tandis que le jour, il est devenu la proie d’Harlan, une petite frappe qui lui chipe régulièrement sa nourriture. Et quand Ben fait la connaissance de Monroe avec lequel il devient vite ami, on se doute, avec R. L. Stine, que ça va déraper dans le fantastique : bingo, puisque Ben commence à soupçonner Monroe d’être un monstre. Toujours cette rythmique typique de l’écrivain, avec des chapitres courts, des cliffhangers en fin de chapitres (aboutissant souvent à une farce ou une erreur d’appréciation du héros, ce qui est parfois fatiguant, parce qu’une ou deux fois, ça passe, mais trop réitéré, ça tourne à l’ennui en plus de devenir finalement contreproductif car le suspense n’opère plus), et des personnages archétypes auxquels le jeune lectorat saura immédiatement s’identifier. J’ai trouvé l’écriture de R. L. Stine plus « mûre » que d’habitude, plus dense (non pas qu’il en soit incapable, mais il m’a semblé que son style s’adresse ici à des lecteurs un poil plus âgés), avec son lot de gentils frissons qui sauront imprégner la mèche. Pour ce qui est de l’histoire, on est en terrain connu : des monstres, des retournements de situation, des fausses pistes, et la révélation finale, que j’ai vue venir (le coup de l’anagramme était trop visible et téléphoné à mes yeux). Bref, on est dans du Stine pur jus, classique mais efficace pour celles et ceux qui ont apprécié ses précédents ouvrages, et même si cet opus ne remporte pas la palme de l’originalité ou de l’efficacité, il n’en constitue pas moins un bon moment de lecture, relaxant et distrayant.

    24/03/2019 à 11:32 1

  • Morts en coulisses

    Mary Jane Clark

    7/10 Caroline Enright, chroniqueuse à la télévision pour Key To America, doit se rendre dans le Massachussetts pour couvrir un festival de théâtre. Pour elle, ça sera peut-être l’occasion de renouer avec sa belle-fille, Meg, actrice, engagée pour les besoins de la pièce Devil in the Details. Mais plusieurs événements sur place saisissent d’effroi la population : deux étudiants qui décèdent dans un soi-disant accident de la route, une bibliothécaire assassinée avec un coupe-papier, et Belinda Winthrop, comédienne de renom, qui est enlevée. Caroline parviendra-t-elle à tirer au clair toute cette histoire ?

    Mary Jane Clark, ex belle-fille de Mary Higgins Clark et ex belle-sœur de Carol Higgins Clark, ne saurait se résumer à ces liens de parenté par alliance. Elle jouit d’un succès indéniable et d’une bibliographie déjà conséquente. Avec cet opus, elle démontre d’ailleurs que son talent est réel, et non un simple effet de patronymie. Son écriture est sèche, très sage, au point que les psychologies des personnages sont très souvent survolées, se résumant à quelques éclats de personnalité peu fouillés. Néanmoins, ce qui retient davantage l’attention, c’est le dynamisme du roman : les quelque quatre-cents pages de l’édition poche sont découpées en cent-quarante chapitres, donc singulièrement courts et enlevés. Les rebondissements sont nombreux, les alternances de points de vue renforcent cette vélocité, et l’on ne voit guère le temps ou les pages défiler. Les pistes sont multiples, nourries par des protagonistes abondants et correspondant à autant de suspects potentiels : un régisseur consommateur de marijuana au comportement étrange, une scénariste dont le conjoint est mort deux ans plus tôt dans un accident de voiture, un peintre arnaqueur, un metteur en scène furibond que sa comédienne fétiche refuse de jouer dans l’éventuelle adaptation cinématographique de la pièce de théâtre, etc. Mary Jane Clark joue de cette pluralité des fausses pistes, étalant avec un art consommé des ressorts policiers comme on dévoilerait un jeu de cartes avant de livrer la résolution de l’intrigue, dans un dénouement certes peu sidérant ni mémorable, mais bien amené et très crédible.

    Un roman à suspense bien calibré et sans la moindre aspérité, classique dans le fond mais efficace et rondement mené, permettant de passer un très agréable moment de lecture.

    17/03/2019 à 14:25 3

  • Alan Lambin et l'esprit qui pleurait

    Jean-Marc Dhainaut

    7/10 Moi qui ne suis guère fan des histoires de fantômes, je me suis lancé dans la lecture de cette longue nouvelle (environ 100 pages) un peu à reculons, je l’avoue, mais j’avais apprécié ma précédente lecture de cet auteur, « Alan Lambin et le fantôme au crayon », et surtout, j’aime ouvrir le champ de mes lectures et les varier. Et j’ai vraiment été séduit par ce récit. C’est bien écrit, attachant, et j’ai retrouvé Alan Lambin et ses techniques (avec ses lectures des lieux dits « hantés » et ses appareils parfois très rudimentaires) avec plaisir. Ici, le décor est rapidement planté, avec cette gamine, Rose, venant harceler un autre enfant, Brice. Le reste de l’intrigue est habilement mené, sans pour autant réinventer ou bouleverser les codes du genre, et une fois la lecture entamée, je dois avouer que je me suis laissé prendre jusqu’au final. Même si je regrette quelques clichés, indéniablement, il y a de l’esprit dans cette histoire, et c’est tout à l’honneur de l’auteur et de l’éditeur que de nous l’offrir.

    16/03/2019 à 17:52 3

  • Mercredi mensonge

    Christian Grenier

    7/10 … ou comment une gentille petite famille en vient à mentir, par amour, à leur grand-père. Isabelle et ses parents, Vivien et Marine, tous deux enseignants, habitent à Deuil-la-Barre, dans le Val-d’Oise, et reçoivent chaque mercredi midi Papy Constant, pour un rapide déjeuner, un petit café et une écoute de musique classique. Mais quand Vivien apprend la possibilité d’un travail dans une université à Lyon, avec la perspective d’un meilleur travail, un salaire plus important, et un appartement plus grand (d’autant que Marine est enceinte), il ne résiste pas à la tentation. Pour ne pas choquer Constant dans son rituel et ne pas devoir l’obliger à quitter son domicile dans lequel il habite depuis si longtemps pour les suivre, la famille décide de louer leur appartement à un brave couple, les Gray, avec comme demande de pouvoir recevoir chaque mercredi midi Papy Constant comme s’ils habitaient encore là. Une bien gentille idée, articulée autour de l’amour filial, que celle-ci, signée par Christian Grenier. Une écriture simple et pertinente, de jolis mots employés, et des personnages suffisamment croustillants et denses pour retenir l’attention. Papy Constant, avec son physique endolori de nonagénaire, est bien sympathique lorsqu’il évoque ses folles années de souffleur de théâtre, sa passion pour cet art, et sa passion pour sa femme, décédée depuis. Isabelle est également agréable, s’adaptant lentement à ce plaisant mensonge tendu à son grand-père, d’autant que de nombreux événements vont venir mettre à mal sa ténacité et risquer de dévoiler la supercherie. L’auteur a imaginé une jolie histoire, aimable en diable, et dont les dernières pages viennent apporter un sens nouveau au titre « Mercredi mensonge », avec quelques passages fort émouvants. J’ai été en revanche moins séduit par l’inclination naissante entre Isabelle et Jonathan, un peu plus attendue et classique, tant dans le fond que dans la forme. Demeure néanmoins un bel ouvrage, souvent poignant, facile d’accès et aisément lisible, directement à la portée des jeunes lecteurs, comme un pot de confiture serait sur une étagère située à hauteur raisonnable.

    16/03/2019 à 17:49 3

  • Kamo : L'Agence Babel

    Daniel Pennac

    8/10 … ou comment le jeune Kamo, ayant récolté un trois sur vingt en anglais, en vient à correspondre avec une Anglaise, Cathy, ce qui est le début d’une inclination et d’un étrange mystère. Je découvre – honte à moi – Daniel Pennac et sa série Kamo avec cet ouvrage, et j’ai beaucoup aimé. C’est vif, habilement écrit, pétillant et bourré d’humour (rien que la façon dont Kamo a choisi cette correspondante parmi les autres possibles, ou encore les clins d’œil à d’autres auteurs comme Patrick Raynal ou Jean-Bernard Pouy…), avec des répliques au cordeau et un suspense intéressant. La lente passion, croissante, de Kamo pour celle avec qui il échange de manière épistolaire est un régal de délicatesse, au même titre que la manière dont apparaît l’idée que Cathy n’est pas de ce siècle, l’énigme autour de ce demi-frère Hindley et des mauvais traitements infligés à « H », etc. Et le dénouement est également très réussi, à la fois crédible, à la hauteur du jeune lectorat auquel se destine ce livre (et cette série). Pour moi, une très agréable découverte, attachante de bout en bout, et je tâcherai sûrement de trouver d’autres ouvrages de cet auteur.

    16/03/2019 à 17:48 3

  • Sombres résurgences

    Jean-Baptiste Leblanc

    9/10 Paul Grassi vient de craquer, littéralement. Ce policier, mari et père de deux grands garçons, quitte son foyer avec son arme de service et sa carte de réquisition sans raison apparente, direction Bousbecque. Il achète une maison inoccupée depuis fort longtemps afin de s’octroyer un peu de calme et réfléchir à sa propre existence. Mais une disparition inquiétante, datant de trente ans, continue de hanter la demeure : Marceline Sourdeval s’est évanouie dans la nature. Un terrible secret entoure encore ce mystère.

    Jean-Bernard Leblanc livre ici un roman à mi-chemin entre le noir et le thriller. Un bébé de quatre cents pages, dense, sombre, et d’une incroyable attractivité. Dès les premières pages, le ton est donné : un tueur en série qui récupère le placenta de ses victimes, et le policier qui revoit en flashback un fœtus laissé dans la cuvette de toilettes. L’auteur, lui-même policier, s’est probablement nourri de son expérience pour ériger ce récit dur, saturé de ténèbres, même s’il reconnaît volontiers quelques inspirations plus littéraires comme celles de Fabio M. Mitchelli, Stéphane Bourgoin ou John E. Douglas et Mark Olshaker avec leur illustre Mindhunter. L’histoire impressionne d’entrée de jeu, le souffle rauque ne s’apaise à aucun moment, et l’on achève cet opus époumoné et les tripes suintantes. De nombreux personnages viennent se placer sur l’échiquier : un paysan qui aimerait bien racheter la bicoque maudite, le frère de la disparue – un vieux monsieur prêt à tous les sacrifices pour comprendre ce qui est arrivé à sa sœur, un détective privé tenace, un médecin qui a quitté la scène un peu trop rapidement… C’est également le portrait de Grassi, flic usé jusqu’à la rupture, intoxiqué par la cruauté de son métier, et ayant abandonné le domicile familial en laissant son épouse Eva et ses deux enfants, Cyril et Antoine, sans la moindre explication, lui qui était capable de féroces coups de sang et de mauvais traitements. Un personnage sombre, décrit avec beaucoup de brio et de finesse par Jean-Bernard Leblanc, sans jamais tomber dans les poncifs du genre. Et ce roman permet aussi de croiser la route d’un atroce serial killer en la personne de William Rousse, meurtri par un physique épouvantable, et que le destin a poussé sur les chemins de la dépravation et de la barbarie, parce qu’il cherchait à établir un moyen médical de déclencher chez ses semblables un désir charnel que son allure ne lui a jamais permis.

    Un ouvrage singulier, à la trame pourtant classique de prime abord, mais qui sait porter des mots particulièrement justes sur des maux inavouables. Une écriture racée, ahurissante de noirceur, dont certains passages ne sont pas sans rappeler le célébrissime Dragon rouge de Thomas Harris, sans pour autant y perdre son âme ou sa saveur si personnelle. Et quand, en plus, un bijou de cette qualité émane, en toute discrétion, d’un éditeur modeste – sans que cette formulation ne soit péjorative, on ne peut que chercher à apporter un éclairage supplémentaire et amplement mérité à l’un comme à l’autre.

    11/03/2019 à 16:51 3

  • Mauvaise main

    Gilbert Gallerne

    9/10 Éric et Elise n’ont plus le choix. La jeune femme est bientôt au terme de sa grossesse, son compagnon n’a plus d’emploi. La misère, à l’état pur. Éric rejoint alors sa famille, dans les Vosges. Ils y tiennent une scierie. La dernière fois qu’il y est venu, Éric a perdu sa main sous la morsure de l’immense scie circulaire. Mais en tentant de retrouver un peu de calme, voire gagner un arpent d’un paradis éphémère, le jeune couple vient de poser les pieds en enfer.

    Prix du Quai des Orfèvres en 2010 avec Au Pays des ombres, Gilbert Gallerne signait ce texte en 2014 sous le titre Liés par le sang. Un texte féroce, sauvage, saturé de cruautés, de spectres et d’ombres. La famille Broux que rejoignent Éric et Elise tient plus de la horde que du rassemblement d’êtres humains. Eléonore, la grand-mère, la matriarche, qui semble régner sur le domaine. Michel, le deuxième frère, et surtout Léo, l’aîné, une brute épaisse qui ne connaît que la violence et les intimidations. Les autres femmes, qu’elles soient adultes ou adolescentes, n’ont aucun mot à dire. Elles demeurent soumises, obéissantes aux desiderata du maître des lieux, même lorsqu’il s’agit de sexe. Au centre de ce maelstrom, notre jeune couple tente de survivre, de mettre un peu d’argent de côté avant de repartir plus sereinement dans la vie, et surtout de rester à l’écart des querelles, des gestes déplacés, des trafics ourdis par Léo. La langue est immédiate, presque brutale, à l’image des paysages dépeints en quelques mots, des attitudes et comportements croqués avec justesse. Les chapitres sont courts, parfois extrêmement véloces, ne dépassant guère les deux ou trois pages. Au-delà du présent déjà surchargé de dangers et de non-dits, Gilbert Gallerne fait ressurgir les fantômes du passé, avec la disparition du père de famille, l’épisode traumatisant de la scie happeuse de main, ou les circonstances de la naissance d’Éric. On achève ce livre tendu, essoufflé, désarçonné par les dernières volées de mitraille qui viennent clore ce récit sur un ultime point d’exclamation.

    A mi-chemin entre les univers de Georges Simenon et de Pierre Pelot, voilà un ouvrage singulier, aussi concis que brûlant. Une merveille de roman noir, injustement méconnue, sombre à l’envi.

    11/03/2019 à 16:45 5

  • Les derniers jours de Newgate

    Andrew Pepper

    9/10 Pyke figure parmi les Bow Street Runners, les hommes chargés de faire respecter le calme et la loi dans le Londres de 1829, avant la création d’une police officielle. Parce qu’on vient de le mettre sur une enquête portant sur un éventuel détournement de fonds, Pyke découvre une véritable horreur : un couple ligoté et égorgé, tandis que le cadavre d’un bébé à qui on a écrasé la tête repose dans un seau d’urine. Quoique profondément choqué, il va mener son investigation, devant alors côtoyer de sinistres personnages tandis qu’un piège létal se referme sur lui.

    Ce premier opus d’une série consacrée à Pyke, et signé Andrew Pepper, est un véritable enchantement. Les premières pages sont symptomatiques du reste du roman : l’écriture est magnifique, toujours tapissée de noirceur, incluant des passages particulièrement sinistres quant aux descriptions de Londres et de Belfast, donnant davantage à voir les quartiers insalubres, les actes bestiaux de prostitution et les maladies endémiques que les beaux arrondissements huppés. L’action est également bien présente, avec des combats au corps-à-corps bien écrits, et d’autres saynètes particulièrement savoureuses et épiques (le combat contre l’ours, la mort du père d’Emily, la découverte du carnage dans l’appartement, etc.). Andrew Pepper soigne également ses personnages, et si nous devions n’en retenir qu’un seul, ça serait bien évidemment Pyke : rarement un protagoniste n’aura été aussi nuancé. Il peut sembler héroïque et altruiste dans certains de ses actes, mais son charme ravageur est proportionnel à la bestialité qui sommeille en lui et ne demande qu’à se libérer. Il est ainsi capable de profonds et sincères sentiments amoureux, ce qui ne l’empêchera pas, quasiment dans le même temps, de massacrer à coups de poings quelqu’un qui se met simplement sur son passage ou d’étouffer dans ses bras un chien pour éviter que ce dernier ne signale leur présence à des ennemis. Un être fort, que l’on a déjà envie de retrouver dans d’autres ouvrages, même si ceux-ci ne sont pas (encore ?) traduits en France. Quant à l’intrigue, elle est aussi riche, dense et complexe, avec une habile interconnexion entre cabales politiques, rivalités religieuses, ignobles secrets de famille et manipulations singulières.

    Un polar historique de très haute tenue, définitivement marquant, où la plume sombre d’Andrew Pepper permet de mettre en lumière un personnage central singulier, aussi enivrant que les obscurantismes et autres complots auxquels il va se retrouver mêlé.

    11/03/2019 à 16:40 2