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9/10 Paul Grassi vient de craquer, littéralement. Ce policier, mari et père de deux grands garçons, quitte son foyer avec son arme de service et sa carte de réquisition sans raison apparente, direction Bousbecque. Il achète une maison inoccupée depuis fort longtemps afin de s’octroyer un peu de calme et réfléchir à sa propre existence. Mais une disparition inquiétante, datant de trente ans, continue de hanter la demeure : Marceline Sourdeval s’est évanouie dans la nature. Un terrible secret entoure encore ce mystère.
Jean-Bernard Leblanc livre ici un roman à mi-chemin entre le noir et le thriller. Un bébé de quatre cents pages, dense, sombre, et d’une incroyable attractivité. Dès les premières pages, le ton est donné : un tueur en série qui récupère le placenta de ses victimes, et le policier qui revoit en flashback un fœtus laissé dans la cuvette de toilettes. L’auteur, lui-même policier, s’est probablement nourri de son expérience pour ériger ce récit dur, saturé de ténèbres, même s’il reconnaît volontiers quelques inspirations plus littéraires comme celles de Fabio M. Mitchelli, Stéphane Bourgoin ou John E. Douglas et Mark Olshaker avec leur illustre Mindhunter. L’histoire impressionne d’entrée de jeu, le souffle rauque ne s’apaise à aucun moment, et l’on achève cet opus époumoné et les tripes suintantes. De nombreux personnages viennent se placer sur l’échiquier : un paysan qui aimerait bien racheter la bicoque maudite, le frère de la disparue – un vieux monsieur prêt à tous les sacrifices pour comprendre ce qui est arrivé à sa sœur, un détective privé tenace, un médecin qui a quitté la scène un peu trop rapidement… C’est également le portrait de Grassi, flic usé jusqu’à la rupture, intoxiqué par la cruauté de son métier, et ayant abandonné le domicile familial en laissant son épouse Eva et ses deux enfants, Cyril et Antoine, sans la moindre explication, lui qui était capable de féroces coups de sang et de mauvais traitements. Un personnage sombre, décrit avec beaucoup de brio et de finesse par Jean-Bernard Leblanc, sans jamais tomber dans les poncifs du genre. Et ce roman permet aussi de croiser la route d’un atroce serial killer en la personne de William Rousse, meurtri par un physique épouvantable, et que le destin a poussé sur les chemins de la dépravation et de la barbarie, parce qu’il cherchait à établir un moyen médical de déclencher chez ses semblables un désir charnel que son allure ne lui a jamais permis.
Un ouvrage singulier, à la trame pourtant classique de prime abord, mais qui sait porter des mots particulièrement justes sur des maux inavouables. Une écriture racée, ahurissante de noirceur, dont certains passages ne sont pas sans rappeler le célébrissime Dragon rouge de Thomas Harris, sans pour autant y perdre son âme ou sa saveur si personnelle. Et quand, en plus, un bijou de cette qualité émane, en toute discrétion, d’un éditeur modeste – sans que cette formulation ne soit péjorative, on ne peut que chercher à apporter un éclairage supplémentaire et amplement mérité à l’un comme à l’autre.11/03/2019 à 16:51 El Marco (3432 votes, 7.2/10 de moyenne) 3