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Hop-Frog
8/10 … où il est question du bouffon d’un roi, Hop-Frog, à la fois amuseur de ce monarque aux plaisirs grossiers, boiteux et nain, ami d’une autre naine, Tripetta, qui décide à son public constitué du monarque et de sept de ses ministres, de leur faire la démonstration d’une représentation où l’auditoire est partie prenante après un geste d’exaspération du tyran. Une nouvelle savoureuse, riche en symboliques diverses (j’ai lu ensuite l’article de Wikipédia qui m’a éclairci sur quelques points probablement autobiographiques de l’histoire), et imparable du point de vue du déroulement et de la mise en scène, particulièrement visuelle.
21/06/2020 à 19:18
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Le Cri
7/10 Un thriller qui commence vite et fort, avec le mystère de ce patient 488 découvert mort au terme de ce qui ressemble à une autostrangulation. Je découvre l’œuvre de Nicolas Beuglet avec ce roman, et j’ai passé un agréable moment en sa compagnie. Un style fluide et une écriture qui ne s’embarrasse pas d’envolées lyriques ou de beaux mots (dommage, j’aime bien quand les auteurs nous prouvent que de belles tournures de phrases et un vocabulaire enrichi ne sont pas antinomiques à une lecture limpide), un scénario apte à tailler des croupières à ce que font les auteurs américains, et des ressorts presque cinématographiques. Dans le même temps, comme souvent avec ce type de littérature, j’ai eu du mal avec certains clichés et personnages (ces derniers étant souvent, à mon goût, d’une épaisseur psychologique proche de celle de l’hippocampe), sauf peut-être pour Mark Davisburry qui m’a étonnamment plu dans son rôle de méchant désarçonné par la révélation finale. Je ne compte pas les coups du sort, où notre duo tombe au bon endroit au bon moment sur la bonne personne et s’en tire de la presque meilleure des façons. Beaucoup de moments et de scènes invraisemblables, ou comment deux individus, presque lambdas, en viennent à enquêter sur un complot à l’échelon mondial, datant de la Guerre froide, impliquant notamment la CIA, et capable de bouleverser notre vision de l’univers, de la mort, de la religion, etc. Indéniablement, le style immédiat et sans fioriture de Nicolas Beuglet aide à faire défiler les quelque 550 pages de ce thriller ultra calibré, et je n’ai pas perdu mon temps ni regretté cette lecture prenante et efficace. Néanmoins, je persiste à penser que le talent de l’écrivain lui aurait permis de sortir de certains chemins déjà trop empruntés et balisés, renouveler cette sempiternelle valse des psychologies si banales des protagonistes, et nous éviter des instants tellement téléphonés qu’on a envie de décrocher avant leur arrivée. En revanche, comme je le disais précédemment, une mention particulière pour l’épilogue entre Davisburry et le confesseur, qui m’a très agréablement surpris et séduit, en finalement peu de pages, et qui apporte un éclairage intéressant et novateur à l’ensemble de l’ouvrage.
14/06/2020 à 16:35 5
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Partie de foot
9/10 … ou la sauvagerie, monstrueuse, inhumaine, animale, des islamistes en Irak. Quelques scènes, croquées avec la plume riche et impitoyable d’Hervé Jourdain, de violences et barbaries perpétrées par ces êtres dont les reliquats d’humanité se sont liquéfiés dans la rage de leur sectarisme. Un condensé d’atrocités vues à travers les yeux du jeune Hemin, où rien n’est épargné au lecteur. Une nouvelle accablante d’impérativité, parce qu’il ne faut JAMAIS RIEN OUBLIER, et dont le seul « défaut » (il aurait fallu que je mette des dizaines de paires de guillemets autour de ce terme) est le choix du titre dont on devine, presque dès l’ambiance sinistre posée, à quoi il fait en réalité référence.
11/06/2020 à 18:30 2
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Ctrl+Alt+Suppr
8/10 Zéphyr vient d’apprendre la mort de sa grand-mère. Un choc émotionnel immense, très vite suivi d’un autre : il devient le dirigeant de l’immense entreprise de maroquinerie qu’elle dirigeait. A moins que cette entreprise ne soit une couverture. Dans le même temps, le Ministre de l’Ecologie convoque les médias pour leur révéler une information très importante… et meurt empoisonné par un toxique délivré par l’un des micros qu’on lui tend. Quel peut être le lien entre ces deux histoires ? Et si la désinformation était au cœur d’un incroyable complot ?
Bertrand Puard a écrit tout autant pour les adultes que pour les jeunes, et c’est pour ces derniers qu’il destine ce roman. Un ouvrage foisonnant, diablement original et au rythme échevelé, où l’on ne trouve aucun temps mort. Une grande marque de mode qui dissimule un groupuscule, Arsène, chargée de réaliser des cambriolages dans le monde entier. Et c’est lentement vers la piste d’une intelligence artificielle que Zéphyr et ses acolytes remontent, tandis que l’assassinat d’un homme politique de haut rang peut avoir servi à dissimuler de dangereuses connexions. Les rebondissements sont particulièrement nombreux, bien emboîtés, et c’est à une allure folle que l’on passe de l’un des treize chapitres au suivant. Les personnages voyageront beaucoup, et le lecteur aura également droit à plusieurs flash-backs remontant à la Seconde Guerre mondiale, avec une référence au Joueur d’échecs de Stefan Zweig. Une cadence extraordinaire, rarement vu dans la littérature jeunesse, et dont la genèse est également très intéressante : ce sont les internautes qui, au fur et à mesure de la parution des épisodes, ont voté pour obtenir telle ou telle direction, voire choisir l’âge et l’apparence physique de certains protagonistes. Le sujet est aussi passionnant : la désinformation, à savoir la manipulation des événements, de leur teneur ou de leur cause, quitte à engendrer des mouvements de foule, des meurtres, des catastrophes financières, uniquement pour des questions tactiques ou pécuniaires. Une question qui était, est et sera toujours d’actualité. Et s’il n’y a, au final, qu’un seul défaut à cet ouvrage de Bertrand Puard, c’est justement sa faconde et sa mesure. Il y a parfois trop de personnages, trop de twists, trop d’interactions. Une imperfection qui est, reconnaissons-le, bien moindre que la pauvreté narrative, la cachexie scénaristique, et la lenteur du récit.
Un opus bougrement véloce et prenant, qui pêche parfois en raison de sa luxuriance, mais qui n’en demeure pas moins d’une rare efficacité et d’une forte pertinence, à une époque où les médias sont omniprésents.11/06/2020 à 18:24 1
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Colloque entre Monos et Una
5/10 … ou la conversation entre Monos et Una, amoureux désormais réunis par-delà la mort, tandis que Monos décrit en détails les sensations et autres perceptions qu’il a ressenti sur le seuil du trépas, juste après, puis son arrivée dans les limbes. Un texte élégant, au charme suranné, intelligemment écrit, mais qui m’a laissé assez froid, me laissant presque d’un bout à l’autre étranger à ce dialogue, comme si je n’avais pas été convié à cette discussion et dont les échanges, lointains et intrinsèquement étrangers à ma personne, ne me concernaient pas.
09/06/2020 à 18:23
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Le Corbeau
9/10 Un poème que j’avais beaucoup apprécié quand j’étais adolescent et que je viens de retrouver avec enchantement. Ou comment un individu, brisé par le deuil avec sa chère Lénore, en vient à faire la sinistre rencontre avec un corbeau, dont les seuls mots qu’il sait prononcer (« Jamais plus » en français, « Nevermore » en anglais) le feront passer par un enchaînement d’émotions contradictoires, jusqu’au final. Une plume superbe, traduite magnifiquement par Charles Baudelaire, menant vers des rivages très imagés où se côtoient mélancolie, souvenir, désespérance et folie. Quelle beauté !
09/06/2020 à 18:12 1
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La Vérité sur le cas de M. Valdemar
7/10 … ou l’expérience de magnétisme pratiquée par le savant P… sur le corps à peine décédé d’Ernest Valdemar. Une nouvelle sombre et fantastique, où ce qui m’a le plus frappé, peut-être plus que la chute, est l’angle d’Edgar Allan Poe pour décrire les gestes du narrateur : précis, médicaux, presque naturalistes et chirurgicaux. Une minutie qui rend d’autant plus troublante cette expérimentation occulte.
09/06/2020 à 18:09
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Un Événement à Jérusalem
3/10 Une nouvelle qui commence avec un trio composé d’Abel-Phittim, Buzi-ben-Lévi et Siméon le pharisien, en l’an 3941, et où il sera question d’un panier descendu du haut des remparts vers les Romains et… Bon, je ne vais pas spoiler la fin, histoire de conserver le suspense, mais ce récit (particulièrement court) est bouffon en diable, peut-être saturé de références et autres indications religieuses, philosophiques et historiques, mais l’ensemble ne m’a vraiment pas emballé. C’est peut-être très savant, je ne dis pas, mais tout m’est apparu trop dense, trop fouillis presque, et la chute, qui devait en constituer le clou, ne m’a arraché qu’un sourire, uniquement indulgent en raison de ma profonde inclination pour Edgar Allan Poe et son œuvre. Bref, ç’aura été pour moi une incroyable déception.
09/06/2020 à 18:08
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Le Roi Peste
6/10 … ou le récit de deux matelots, Legs et Hugh Tarpaulin, en viennent à s’aventurer dans un quartier normalement interdit – car la peste y sévit – pour échapper à leurs poursuivants après un acte de grivèlerie et tombent sur un repas où se trouve une assemblée de six personnages aussi détonants qu’inquiétants. Un récit marqué à mes yeux par l’incroyable qualité des descriptions physiques (d’abord celles des deux marins, puis des six convives), mais aussi par les formulations quant à l’alcool qui transforme ses consommateurs en fous furieux et en grossiers personnages. Mais la fin, à mon goût assez banale et manquant du panache et du gothisme fantastique qui en caractérisent pourtant le début, m’a profondément déçu.
09/06/2020 à 18:05
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Le Masque de la mort rouge
8/10 Alors que la peste fait des ravages, le comte Prospero se décide à réunir un millier de ses amis dans « une de ses abbayes fortifiées », tout autant pour faire la fête que pour défier la maladie qui rôde à l’extérieur. Mais au bout du « cinquième ou sixième mois de sa retraite », l’ambiance change : est-ce à cause de cette angoissante horloge, ou de cette septième pièce où elle se trouve, plein ouest, « ensevelie de tentures de velours noir » ? Jusqu’à ce qu’un homme portant un certain masque rouge vienne faire éclater cette bulle fortifiée… Une excellente nouvelle, à l’atmosphère particulièrement bien étayée, où le côté angoissant intervient vite, d’ailleurs bien plus à l’intérieur de l’abbaye qu’à l’extérieur puisque cette histoire d’horloge instaure rondement cette chappe de doute et de prémonition du pire, et l’intervention finale de ce personnage éthéré achève le récit sur une note fantasmagorique bienvenue.
09/06/2020 à 18:04
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Quatre bêtes en une
6/10 Une histoire très étrange, presque baroque, où il est question du roi Antiochus Epiphanes, dont deux observateurs aux sensibilités bien différentes scrutent le règne durant, au final, un court instant. Un entrelacs de moments durs (à propos du massacre des Juifs), cocasses (les instants avec les animaux), socialement féroces (quand il est question de la « populace ») ou acides quant au peu de loyauté des suivants du monarque. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce récit, et tout autant à le suivre, peut-être parce que je n’étais pas préparé à cette satire où se mêlent éléments historiques et éléments fantasmés, et je tâcherai de la relire, dans quelques mois ou années, après qu’elle aura un peu reposé dans mon esprit.
09/06/2020 à 18:01
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La Maladie de Chooz
6/10 … ou comment Merry Pontus en vient à enquêter sur une bande de fêlés terroristes, regroupés sous la bannière d’un gang ultra politisé baptisé « La Tendance », qui a décidé de secouer le monde en répandant des radiations et créer le chaos. C’est mon premier ouvrage de Michael Maltravers, et ça sera peut-être le dernier. Je ne suis pas trop fan des romans d’espionnage, mais j’ai tenté l’expérience une fois de plus, histoire de vérifier. Le style est très agréable, joliment tourné, avec pléthore de formulations gentiment fleuries et surannées, mais j’ai trouvé que l’ensemble manquait un peu de corps, voire d’âme. Si l’on excepte les ultimes pages qui savent se montrer poignantes, la globalité me paraît assez désincarnée, sans grande profondeur, et même les scènes d’action (par exemple avec les sous-marins) m’ont laissé assez froid. Bref, ça ne me laissera certainement pas un souvenir durable ni ne m’a emballé, mais c’est probablement en grande partie parce que je ne suis que moyennement fan du genre.
07/06/2020 à 18:13 2
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Philosophie de l'ameublement
3/10 Une nouvelle très courte qui est davantage un essai sur la façon d’aménager son intérieur, avec diverses considérations. Commençant par exposer les goûts de divers peuples (hormis les Anglais, les Européens sont bien ridiculisés…), l’auteur évoque ce qui construit un intérieur de goût, avec l’harmonie, l’éclat, l’intérêt du tapis (si si), les rideaux, le verre, les tissus, etc. Bref, à moins d’être fan absolu d’Edgar Allan Poe au point de le suivre dans tous ses textes, indépendamment de l’évidente qualité d’écriture de ce récit, je pense sincèrement que celui-ci ne présente qu’un intérêt très modéré, voire n’en présente aucun.
07/06/2020 à 18:03 1
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Mellonta Tauta
3/10 Une nouvelle assez déstabilisante, où le narrateur, voyageant dans un immense ballon, décide d’écrire une série de courriers à un « ami », et qui commence avec les phrases suivantes : « Il faut aujourd’hui, mon cher ami, que vous subissiez, pour vos péchés, le supplice d’un long bavardage. Je vous déclare nettement que je vais vous punir de toutes vos impertinences, en me faisant aussi ennuyeux, aussi décousu, aussi incohérent, aussi insupportable que possible ». Effectivement, à ce niveau-là, c’est du sans-faute. Une série de lettres sans queue ni tête, abordant des sujets aussi variés que l’astronomie, la science, les matériaux du ballon, etc. C’est même tellement émietté que c’est impossible à résumer ou à retranscrire. Son seul intérêt réside dans la vision d’Edgar Allan Poe du futur (plusieurs références à ce prochain et éventuel, comme ces bateaux électriques, ces ballons de transport par centaines dans le ciel, le fait que le train du Canada remonte à 900 ans, le séisme ayant eu lieu en 2050, etc.). Mais à part ça, je suis sincèrement désolé d’écrire ça, mais rarement préambule d’un auteur n’aura été aussi vrai : c’est effectivement « le supplice d’un long bavardage ».
07/06/2020 à 18:01 1
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L'Homme des foules
6/10 A Londres, le narrateur prend plaisir à observer la foule – ou plus exactement les foules, puisqu’il se plaît à classer les individus dans des catégories bien distinctes, jusqu’à ce qu’un « vieux homme », entre soixante-cinq et soixante-dix ans, attire son attention, et il se décide à le suivre. Il en tirera une étrange morale quant à cet être, de prime abord anodin, et finalement très atypique. Une nouvelle sans humour ni fantastique, certes intrigante, mais au début assez longuette (même si c’est brillamment écrit, il faut en attendre la moitié presque exactement pour voir arriver ce monsieur que le conteur va pister), et la chute, particulière, pourra sembler déroutante, voire décevoir.
07/06/2020 à 17:59 1
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Bérénice
8/10 Le narrateur, Egaeus, nous narre son amour avec sa cousine, Bérénice, qui biffe leurs divergences : lui est physiquement fragile et rêveur, elle enjouée et rayonnante. Puis il en vient à devenir monomaniaque, obsédé jusqu’à la névrose pour les objets qui agrippent sans fin son attention, et Bérénice subit des crises d’épilepsie dégénérant en catalepsies, devenant squelettique. Leur curieuse relation va se poursuivre, même par-delà la mort. Une nouvelle très intéressante – même si certains passages, notamment vers la moitié du texte – m’ont semblé un peu redondantes et recyclant des réflexions un peu inutiles, mais la suite m’a emballé. Et puis, il y a ce final, gothique et morbide en diable, avec une pointe de « Horla » et de fétichisme, férocement décrit, et qui me marquera certainement très longtemps.
07/06/2020 à 17:56 1
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Éléonora
7/10 … ou les amours enfiévrées du narrateur avec sa cousine, Eléonora, jusqu’à ce que cette dernière, ayant ébloui tout l’univers de son amant ainsi que le décor de leur maison, ne vienne à mourir. Au comble du désespoir, avant qu’elle ne meure, il lui fait la promesse de lui rester fidèle… jusqu’à ce qu’il tombe amoureux d’Ermengarde. Une bien belle nouvelle, magnifiquement écrite, mais dont la fin m’a, au départ, un peu déçu : je ne savais pas qu’en dire, peut-être m’attendais-je à autre chose, éventuellement plus fidèle à l’esprit noir d’Edgar Allan Poe. Mais à la réflexion, la conclusion est probablement la meilleure qui soit au vu du texte, de son écriture et de son alignement littéraire.
07/06/2020 à 17:55 1
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Le Chat noir
9/10 Une nouvelle où un homme, le narrateur, en vient à énucléer son chat puis à le tuer, avant que le meurtre de son épouse, de colère, ne vienne à lui faire commettre une erreur supplémentaire, et fatale. Un récit brillantissime, de ceux qui s’imposent naturellement comme des jalons de la littérature noire (l’aspect fantastique me paraît un peu en retrait malgré quelques éléments concernant le félidé), avec une chute implacable, qui marque durablement les esprits et a inspiré moult récits. Une madeleine de Proust pour moi tout autant qu’une borne sur les chemins de la littérature.
07/06/2020 à 17:53 2
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Le Défenseur
8/10 William Benson n’est pas un avocat comme les autres. Après avoir purgé une peine de prison pour meurtre, il dirige à présent son propre cabinet à Londres. Détesté de tous en raison de ce passif judiciaire, son cas est même suivi de près par le Ministre de la Justice. Secondé par Tess de Vere, il doit défendre Brent Stainsby, accusé d’avoir pendu son ex-compagne, Diane, que l’on a retrouvée avec une orange sanguine dans la bouche. Stainsby a tellement accumulé les mensonges qu’il en est presque condamné d’avance. Mais il se pourrait que l’affaire soit bien plus complexe…
Après Reconnu coupable, voici le deuxième opus de la série consacrée à Benson et de Vere. Poursuivant son exhumation du passé de Benson, John Fairfax nous livre dans le même temps un roman policier de très haute tenue. Ancien avocat lui-même, l’auteur maîtrise parfaitement les rouages du système judiciaire anglais, les protocoles des procès, les techniques employés par les magistrats, et tous ces petits éléments qui, accolés, concourent à bâtir un ensemble cohérent et diablement crédible. On se plaît ainsi à (re)découvrir William Benson, hanté par la mort de Paul Harbeton, suivi par un psychiatre, ayant un frère handicapé, vivant dans une péniche, et luttant du point de vue financier pour ne pas perdre à la fois son cabinet et la péniche où il vit. Parallèlement, l’affaire dite de « l’orange sanguine » est très prenante, puisqu’au-delà des apparences, tout y est bien plus nuancé et dédaléen que prévu. La personnalité de Benson et celle de la victime offriront de nombreux rebondissements, tandis que de leurs passés respectifs jailliront tantôt des incertitudes, tantôt des vérités inattendues. Il y sera question d’amours éconduites, de personnalités fragiles et brisées, de trafics humains… et d’un enfant capable de faire rebattre les cartes d’un procès. Un opus dense et riche de bout en bout, se concluant sur une future affaire dite de « Limehouse »
Un ouvrage très bien documenté et construit, et doublé d’une intrigue de premier ordre. On a d’ailleurs hâte que le troisième opus de cette série, Forced Confessions, soit traduit en français.25/05/2020 à 17:50 1
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Lazy Bird
9/10 Bob Richard, animateur de radio, solitaire et albinos, accepte, presque sur un coup de tête, de déménager à Solitary Mountain, dans le Vermont, pour tenir une émission sur WZCZ. Il devient rapidement la proie d’une mystérieuse voix de femme qui se fait de plus en plus envahissante. Qui est-elle et que veut-elle ? Un oppressant sentiment de paranoïa envahit progressivement Bob, à mesure que les menaces se font de plus en plus inquiétantes.
Andrée A. Michaud, à qui l’on doit également Bondrée et Rivière tremblante, revenait en 2009 avec ce pur bijou de noirceur. Le pitch est largement inspiré du film de et avec Clint Eastwood, Un Frisson dans la nuit, et ce n’est d’ailleurs pas le seul des clins d’œil que se permet l’écrivaine. De nombreuses références cinématographiques, littéraires et musicales ponctuent ce roman, et c’est un régal de les découvrir au gré du récit. Le texte, écrit en grande partie à la première personne, permet une incursion remarquable dans la psyché de Bob Richard, et l’on plonge dans son esprit torturé, dépressif et errant. L’écriture est absolument remarquable, poétique et magnifiquement tournée, au point que l’on en vient, à de multiples reprises, à relire certains passages tant la langue – empruntant parfois d’agréables québécismes – est admirable. Certains moments sont d’ailleurs de purs moments de grâce, comme les descriptions des animaux albinos qui ont accompagné l’enfance de Bob, le sort tragique de ses deux parents, ses amitiés si profondes et particulières avec Lucy-Ann qu’il a surnommée « Lazy Bird » ou avec Charlie, qu’il qualifie de « The Wild » et dont le sort ne pourra qu’émouvoir. Dans le même temps, l’intrigue est dense et riche, tandis que les cercles concentriques de cette impénétrable auditrice de la nuit autour de notre animateur sont de plus en plus rapprochés : des messages, un frigo qu’elle remplit, un chien qu’elle s’en va écraser, jusqu’aux premiers cadavres. Un scénario brillant et pénétrant de noirceur, que certaines longueurs ne viennent pourtant pas affadir. Puis arrive le dernier chapitre, intitulé Play Misty for Me, qui est un modèle du genre : la révélation ultime, forte et assourdissante, que certains auront peut-être vu venir, et qui rebat intégralement les cartes de ce roman noir si brillamment construit.
Une ode à la littérature noire, aussi désespérée qu’exceptionnellement humaine, et qui se montre exemplaire, à plus d’un titre. Indéniablement, férocement, intrinsèquement, une pépite.25/05/2020 à 17:42 5