El Marco Modérateur

3324 votes

  • La Commedia des Ratés

    Tonino Benacquista

    8/10 Antoine Polsinelli mène une existence sans frasque ni épice, et il croise un jour le chemin d’un vieux copain, Dario Trengoni. Malheureusement, ce dernier est retrouvé assassiné par du neuf millimètres. Dario laisse à Antoine un héritage imprévu : quatre hectares de vigne dans sa ville natale. Presque à contrecœur, il se rend sur place, se doutant que ces piètres arpents ne vont pouvoir produire que de la piquette. Mais ces ceps vont donner lieu à des péripéties inattendues et intéresser des individus fort malintentionnés.

    Il s’agit du troisième tome de la série consacrée à Antoine Andrieux signée Tonino Benacquista. Après le milieu ferroviaire (La Maldonne des sleepings), celui de l’art contemporain (Trois carrés rouges sur fond noir), et avant celui de la nuit (Les Morsures de l’aube), nous voici plongé dans l’univers du vin. On retrouve avec plaisir l’écriture si caractéristique de l’auteur, comme on revoit un bon camarade après une longue absence, et on se délecte de son humour et de sa gouaille typiques. Certains passages constituent de purs moments de bonheur (comme la description de ce qu’est la banlieue parisienne, en un seul paragraphe à lire et à relire à l’envi, ou encore la méthode si surprenante pour caler la cuisson des pâtes en se fondant sur le timing des émissions télévisées). L’intrigue est savoureuse et, en cent-cinquante pages environ, tout y est, sans ellipses abusives ni temps morts. Notre Antoine quittera la France pour ce village de l’Italie et sera amené à croiser des personnages croustillants, presque inénarrables, comme de véritables gangsters, depuis ces mafieux qui jouent délibérément la carte du poncif à ces « banquiers du Vatican » à peine plus recommandables, en passant par un aveugle dont le rôle va se montrer déterminant. Mais que vient faire le Vatican dans cette histoire, vous demandez-vous ? Peut-être que ces vignes, de prime abord insignifiantes et destinées à ne produire que de la vinasse bas de gamme, peuvent être à l’origine d’un miracle et, de ce fait, un placement particulièrement attractif pour des bandits comme pour des êtres à peine moins vénaux que les anciens Marchands du Temple.

    Un opus où l’humour le dispute au noir avec beaucoup de fantaisie et de talent, où Tonino Benacquista part d’un scénario fort original pour nous offrir un récit à la hauteur de son talent.

    09/11/2021 à 07:15 3

  • Kurosagi - Livraison de cadavres tome 8

    Ôtsuka Eiji, Yamazaki Hôsui

    7/10 Parce qu’elle a besoin de renouveler ses rangs, l’entreprise Kurosagi décide de procéder à un recrutement, et c’est avec leur possible nouvelle employée que nos experts des cadavres en trouvent une dans une forêt, le visage ravagé par des morsures de chiens, une dénommé Yanagi Rei. Content de renouer avec cette série si originale, moins dans la forme qui a vieilli, que dans le fond, vraiment singulier. Au programme, un fantôme autour d’une intrigue sur les mariages et une autre à propos de bébés. Un opus vraiment intéressant, qui ménage le suspense, l’occulte et l’humour.

    06/11/2021 à 18:07

  • Dead Tube tome 3

    Touta Kitakawa, Mikoto Yamaguchi

    7/10 Le piège dans lequel l’enseignante Betsuki Eri est tombée se retourne rapidement contre ses violeurs lorsque l’on découvre que la professeure est en réalité une psychopathe nymphomane et meurtrière, obsédée par son ancien amant Kazu. A présent, ce sont les suicides qui semblent être à la « mode » sur Dead Tube, comme ce type falot de dix-sept ans, Toshio Furui, qui ne voit plus aucune raison de continuer de vivre. Puis direction l’île de Rock River où doit se dérouler la prochaine étape des affrontements de films en ligne. Un opus musclé, mais clairement pas à mettre entre toutes les mains en raison notamment du sexe assez trash.

    05/11/2021 à 08:38 1

  • Le Cycle de la terre 1

    Hub

    7/10 Décor montagneux pour ce troisième tome, à Bakuyaku, la ville des crêtes, également surnommée « la cité de la poudre noire ». Un homme meurt empoisonné dans les bras d’Okko, et après cette course-poursuite nocturne, on en arrive à l’hypothèse que les coupables sont des sorciers. Au programme : un beau pèlerinage en milieu alpin, de mystérieux moines copistes porteurs du sceau du corbeau, un refuge (celui des « quarante-sept geysers »), des espèces de rats géants dressés comme des chiens, un chevalier et son destrier tous les deux en os… Peut-être un peu moins dynamique que les précédents opus, mais ce nouveau cycle (celui de la terre, après celui de l’eau), est toujours fort du point de vue graphique, entraînant et distractif.

    03/11/2021 à 23:21

  • Heads tome 3

    Keigo Higashino, Motoro Mase

    8/10 Jun-ichi Naruse est en pleine crise à propos de la greffe qu’il a reçue. Le portrait du donneur, Tokio Sekiya, devient ambigu, parce que, même s’il était égoïste, il a choisi de s’inscrire sur la liste de potentiels donneurs, et Jun-ichi en apprend encore un peu plus à son sujet grâce à son père. « Ça réveille la bête tapie au fond de moi », dit notre protagoniste après un combat à mains nues musclé, au point de se sentir capable d’immoler son adversaire qui ne lui avait pourtant pas fait grand mal, tout ça à cause d’une histoire de piano. Nore héros finit par apprendre que son donneur est en fait Shunsuke Kyogoku, l’homme qui lui a tiré dessus. Un cran au-dessus des opus précédents grâce aux révélations qui commencent à enfin émerger, pour un récit toujours aussi prenant et délicieusement angoissant et schizophrénique.

    03/11/2021 à 08:12 1

  • Ciseaux

    José Robledo, Marcial Toledano

    5/10 Anne continue son activité de tueuse professionnelle, Pierre s’est finalement lié d’amitié avec ce boxeur qui lui a si bien tenu tête, et TJ est au trente-sixième dessous. La série se boucle sur ce troisième opus et, malgré un graphisme léché et une mécanique bien lubrifiée, je n’ai pas vraiment accroché à l’ensemble, trop hétéroclite à mes yeux, comme les pièces éparses d’un puzzle dont l’ensemble, une fois reconstitué, configure un paysage qui ne me plaît pas, ne m’inspire pas, ou peut-être tout simplement parce que cette incompatibilité des pièces (boxe, tueuse à gages, poker, mensonges, amitiés, etc.) n’est pas à mon goût.

    02/11/2021 à 17:34 1

  • Les vacances de Maigret

    Georges Simenon

    8/10 Les moules ? Non. Elles les ont rendus malades, Maigret et sa femme, mais ce qui a conduit cette dernière à l’hôpital, c’est une crise d’appendicite. Sur place, notre commissaire a pris ses habitudes au cours de ces vacances, rendant visite chaque jour à son épouse. Il se retrouve un jour avec un message manuscrit dans sa poche : « Par pitié, demandez à voir la malade du 15 ». Une jeune femme, tombée par accident d’un véhicule en mouvement, la belle-sœur du médecin Philippe Bellamy. Sauf que cette Hélène Godreau finit par décéder. Maigret va alors se mettre, lentement, à enquêter, sans savoir que deux autres décès, cette fois-ci des assassinats, vont avoir lieu.
    Je retrouve avec un double plaisir la plume de Georges Simenon et ce très cher commissaire Jules Maigret. On l’y voit d’abord un peu dolent, se faisant à ces vacances qui se prolongent aux Sables-d’Olonne, observant le paysage humain sans pour autant totalement s’y fondre. Il y lève sacrément le coude avant de se mettre en chasse, mettant à nu une histoire d’amours dévoyées, éconduites et exclusives. Un style toujours aussi brillant, sec et profond (exquis paradoxe), avec quelques passages absolument remarquables d’humanité, de la lettre laissée par Emile Duffieux, parti à la capitale, à sa mère, ou encore les rapports entre Maigret et le médecin, de cordiales à tendues. D’ailleurs, ce médecin est en soi un véritable régal psychologique : irréprochable physiquement, un peu froid, faisant partie du tissu local, admiré, il va révéler des abysses de monstruosité, de sang-froid comme de furies retenues. Alors, certes, l’épilogue ne provoque pas de véritable surprise quant à l’identité du criminel, mais les ressorts mis en œuvre et soulignés à la maestria de l’auteur belge pallient sans le moindre mal ce léger déficit. Dans le même temps, Maigret s’y révèle parfois accort, parfois bougon et grossier, parfois également « en transe » lorsqu’il est en pleine réflexion, ainsi que très énergique, à la limite de la crise cardiaque lorsqu’il se rend chez le tueur en espérant que ce dernier ne va pas commettre un autre forfait. On sent parfois que Georges Simenon a écrit ce roman à toute vitesse (on y retrouve deux fois la phrase « C’est à peine si, maintenant, ses lèvres frémissaient, mais le commissaire ne s’y trompait pas » à quelques pages d’écart) sans pour autant que nous ressentions de la précipitation ou un sentiment de va-vite. Bref, un autre très bon ouvrage, dense et profond, qui régale d’un bout à l’autre.

    30/10/2021 à 08:24 1

  • Le Danseur mondain

    Henry Musnik

    6/10 A l’hôtel « Marvel », un grand palace sis aux Champs-Elysées, l’inspecteur Gaspin arrive parce que l’on vient de tuer l’une des clientes, Madame Gorfuna, vers trois heures du matin. Mirlobar, un danseur louant une mansarde au huitième étage, qui faisait également office de gigolo et lié à la défunte, est soupçonné et s’est volatilisé. Un autre suspect se dessine : un plombier-zingueur. Aidé de son adjoint Despeaux, il va se rendre compte que cette enquête est loin d’être bouclée.
    Une nouvelle agréable, où Gaspin va mener la danse avec culot et ne révéler le mécanisme de l’affaire qu’à la toute fin, avec beaucoup de patience et d’intelligence. Les ressorts sont connus et ne chambouleront personne un tant soit peu habitué à ce genre de littérature, mais l’ensemble, sans être révolutionnaire ni mémorable, est sympathique et permet de passer quelques dizaines de minutes d’une lecture divertissante.

    28/10/2021 à 08:14

  • Killing Stalking tome 1

    Koogi

    7/10 Un jeune type effacé est tombé follement amoureux de Sangwoo. Une véritable obsession, même, pour cet individu pâlichon et frêle dont le charisme est très largement en deçà de celui de Sangwoo. Il finit par pénétrer dans la maison de son être aimé, mais dans le placard, il trouve une trappe verrouillée par un cadenas qui le mène dans une cave. A l’intérieur, une femme bâillonnée et ligotée. Sangwoo, que tout le monde apprécie, serait-il en réalité un monstre ? Un opus étonnant, d’abord parce qu’en couleurs, mais aussi par le traitement : une homosexualité montrée sans filtre dans les sentiments, mais sans le moindre caractère physiquement explicite (seulement une scène où l’on devine qu’il y a précédemment eu l’acte, sans plus), avec, pour le moment, la confrontation entre les deux protagonistes. Un premier tome assez calme dans le traitement et le rythme, qui s’achève, étonnamment, sur une forme d’osmose entre eux deux, en espérant que les suivants continueront de me surprendre et d’emprunter des chemins de traverse, encore inaccoutumés dans le genre.

    27/10/2021 à 08:03

  • Infection tome 4

    Toru Oikawa

    2/10 Un monstre géant constitué d’asticots et qui vient de bouloter un être humain fonce sur deux personnages… et l’un d’entre eux bavarde et présente des excuses verbales à son interlocuteur. Le pompier se fait poursuivre par cette bestiole dans un escalier, et la créature parvient à modifier sa forme pour s’adapter au couloir. Toujours aussi intelligent, le pompier choisit une cage d’escalier à peine plus petite et se dit que son poursuivant ne parviendra pas à s’engouffrer dans ce volume étriqué… ce que le prédateur parvient bien évidemment à faire. A peine plus tard, une jeune femme propose à ce héros, en échange de son aide… sa virginité. Et la suite est du même acabit. Ce manga aurait pu être angoissant, il ne l’est pas. Original, non plus. Parodique, toujours pas. Une relecture scolaire mais intéressante du thème des zombies, encore moins.

    26/10/2021 à 08:18

  • Dead Tube tome 2

    Touta Kitakawa, Mikoto Yamaguchi

    6/10 Le jeune Machiya semble être tombé dans le piège tendu par la belle Mai Mashiro tout en haut de l’immeuble, mais la situation se retourne très rapidement. Alors qu’il pensait être sorti d’affaire, Machiya va néanmoins découvrir l’ampleur et le caractère particulièrement sordide de « Dead Tube », le tout pour de l’argent, et dont la cible de la prochaine vidéo sera Betsuki Eri, vingt-sept ans, le nouveau professeur principal de la classe. L’idée reste intéressante, avec la dénonciation des réseaux sociaux, des likes et de la course à l’argent, mais ce déluge de violence et le côté voyeuriste assez hard (notamment concernant les scènes finales de sexe) m’a mis mal à l’aise. Je continue la série, mais si cet aspect vicié sans distanciation se poursuit, je m’arrêterai.

    24/10/2021 à 08:15

  • Charisma tome 4

    Taisei Nishizaki, Fuyuki Shindo, Tsutomu Yashioji

    8/10 Le dénommé Takeishi s’intéresse à la secte qui a manipulé Reiko tandis que le Messie confie à l’un de ses bras armés, Himuro, la mission de s’occuper de Mayama, une disciple trop fouineuse et ayant conçu un amour trop exclusif pour son leader et amant. Mais ce sont les pratiques du gourou qui vont être exposées aux 142 participants du séminaire, révélant l’étendue de ses méfaits, ses mensonges et sa sournoiserie. Le twist final est vraiment épatant avec un épilogue dantesque et une planche finale peut-être attendue comme dans d’autres types de littératures, mais percutante. Chapeau !

    23/10/2021 à 08:30 1

  • Le Cycle de l'eau 2

    Hub

    8/10 Nos compagnons sont reçus dans ce château suspendu sur l’île, propriété de la famille Satorro, mais de simples hôtes, nos héros vont comprendre que les lieux ne sont guère amicaux. Une maîtresse de maison enceinte sujette à d’étranges maux de ventre, un adversaire qui semble à la hauteur d’Okko, un gigantesque samouraï – en réalité, une marionnette géante – qui affronte Noburo, un couple de créatures assez mémorables, bref, encore du très bon pour cet opus, à l’atmosphère méphitique et surnaturelle et aux combats toujours aussi bien chorégraphiés.

    20/10/2021 à 19:57

  • Le Cycle de l'eau 1

    Hub

    8/10 Okko est parti chasser des démons, et le relais du Kappa attend son retour, habité entre autres par Noburo, un impressionnant combattant et le moine Noshin. Mais des pirates attaquent le relais, enlève la compagne de Noburo et laissent – faussement – ce dernier mort, avant de mettre le feu aux lieux. Un mélange d’esthétique typiquement BD occidentale, d’univers japonais et chinois, de magie (avec l’invocation de l’esprit de l’eau, par exemple) et des combats épiques, caractéristiques des duels de samouraïs. Ce tome se clôt sur la piste d’une femme mystérieuse en quête de personnes que l’on kidnappe pour elle, et sur un étrange château suspendu sur une île. Un premier opus musclé, distractif et fort réussi, je vais poursuivre la série !

    20/10/2021 à 18:38 1

  • Versailles Of The Dead tome 1

    Kumiko Suekane

    3/10 Alors qu’elle se rend à Versailles avec son frère jumeau Albert, la jeune Marie-Antoinette est attaquée dans son carrosse par… des morts-vivants. Albert prend la fuite et l’archiduchesse finit par rejoindre la cour, visiblement blessée mais indemne. Sauf que celle-ci est sa demi-sœur, sa « doublure », et que l’on décide alors qu’Albert va prendre la place de la défunte Marie-Antoinette, ce qui est permis grâce à son aspect très féminin. Madame du Barry, Axel de Fersen, Louis XVI évidemment, apparaissent dans ce manga qui, vous l’aurez compris, est un vaste et profond n’importe quoi : visages interchangeables, histoire abracadabrante (même si a priori, ça aurait justement pu me plaire avec un ixième degré assumé), un scénario pour le moment sans intérêt, un graphisme plat et déjà lu des milliers de fois. J’ai failli abandonner cette fumisterie, mais je me demande comment l’auteur va poursuivre, et jusqu’où il est capable d’aller dans cet univers WTF, alors je continue, au moins sur un tome.

    19/10/2021 à 20:15 1

  • Les Dynamiteurs

    Benjamin Whitmer

    9/10 Denver, fin du XIXe siècle. La ville est une véritable Babylone. Prostitution, misère, violence, corruption. Dans le quartier des Bottoms – « Les Tréfonds », une poignée de jeunes orphelins tentent de survivre. L’histoire nous est contée par Sam, quatorze ans, et chaque jour est à la fois un calvaire et un petit miracle, car il faut tenter de subsister, en mendiant, en volant, et également en se protégeant des agressions extérieures. Squattant une usine désaffectée, ces gamins affrontent régulièrement des SDF qui les agressent et tentent de leur chiper leur repaire. C’est lors de l’un de ces assauts qu’ils font la connaissance de John Henry Goodnight, une force de la nature, muette, et au visage à moitié déchiqueté. Pour Sam, c’est le début d’un apprentissage très particulier : celui de la barbarie et du monde des adultes, et la révélation de ses sentiments pour Cora, une autre adolescente.

    Benjamin Whitmer nous avait déjà offert Pike, Cry Father et Evasion. Dès les premières pages de ce roman, on est littéralement bluffés. L’écriture est prodigieuse de férocité, avec une description glauque, compacte et brûlante de ce Denver en 1895. Le prologue ne fait que cinq pages, et pourtant, il nous plonge avec maestria dans la noirceur qui constituera le reste du livre. On va y découvrir Sam, quatorze ans, et les autres orphelins, reclus volontaires dans cette ancienne fabrique et repoussant comme ils peuvent les tentatives d’invasion des « Crânes de Nœud » - le surnom que ces mômes ont donné aux adultes – à l’aide de pièges dévastateurs, comme des planchers munis de piques ou des hameçons pendant du plafond afin d’énucléer les envahisseurs. Sam et ses camarades de fortune rencontreront alors Goodnight ainsi que Cole Stikeleather, en quelque sorte son meneur, qui amèneront Sam dans le grand monde, celui des grandes personnes, pour une chevauchée brutale et sans la moindre concession. Nous n’oublierons jamais quelques passages qui marquent au fer rouge, comme les diverses confrontations avec les membres de l’agence Pinkerton, ce passage dans un wagon qui va être fatal à deux de ses trois voyageurs, les circonstances dans lesquelles Goodnight a été si mochement balafré, ou l’épilogue, terrible de cruauté, où l’on apprendra ce que sont devenus chacun des enfants bien des années plus tard. Vu à travers les yeux de Sam, le monde décrit par Benjamin Whitmer est impitoyable, crasseux, suffocant, traversé de convulsions sanglantes et de hurlements inhumains. L’auteur emploie une langue qui mêle argot, expressions ordurières, dialogues au cordeau et de nombreuses métaphores et autres images croustillantes, tandis que certains passages sont de purs instants de grâce, décrits avec une beauté inouïe. Finalement, de cette puissante alternance entre noirceur et lyrisme, il y a une phrase qui résume parfaitement la plume de Benjamin Whitmer : « Si vous voulez m’émouvoir, donnez-moi des bandits et des baleines blanches. Ce monde est un monde de têtes coupées, et il n’y a pas beaucoup de place pour les balades dans des putains de champs de jonquille ».

    Voilà un ouvrage fabuleux d’obscurité, où la transition de l’enfance à l’âge adulte se fait à coups de gnôle, de crosse, de dynamite et de désillusions. Ce roman est brillant, et cet éclat s’observe avec d’autant plus d’évidence qu’il s’exerce dans les ténèbres.

    18/10/2021 à 07:43 6

  • The Fable tome 1

    Katsuhisa Minami

    7/10 « D’un de ces génies [du crime], voici l’histoire » : voilà comment débute ce manga. Fable est un tueur à gage calme et très efficace, cagoulé et dont le fidèle pistolet Nighthawk est muni d’un silencieux. Depuis qu’il est en activité (six ans), il a assassiné 71 personnes. Mais comme cette année a été très chargée en contrats, son commanditaire lui ordonne de prendre du repos et de faire profil bas pendant un an à Osaka, au sein d’un groupe de yakuzas. Il s’appelle désormais Satou Akira et est accompagnée de sa complice, désormais nommée Satou Youko. Un graphisme assez simple, mais un personnage de Fable croustillant : jeune, très fort dans son domaine, observateur, plutôt malin, manipulateur (il se laisse un peu déboîter par deux lascars histoire de faire croire qu’il ne sait pas se battre), il détonne avec son comportement parfois étrange, presque autistique (la scène où il fait remarquer à l’un des mafieux qu’il a un poil qui dépasse du nez est savoureuse). Pour le moment, rien de franchement mémorable, mais cette entame m’intrigue en raison de ce protagoniste si original.

    17/10/2021 à 08:26 1

  • Vinland Saga tome 1

    Makoto Yukimura

    7/10 Xie siècle, sur la terre du royaume des Francs. Thorfinn fait partie des troupes vikings menées par Askeladd qui utilise cet enfant comme porteur de messages, mais se révèle vite un combattant redoutable au sein de ces mercenaires. Au programme : une belle bataille et un trésor volé, un duel entre Thorfinn et Askeladd, un long flashback à propos de l’enfance de Thorfinn et du père de notre jeune héros, Thors. Un premier opus très séduisant, même si certains graphismes typiquement manga (oui, je sais, c’en est un, mais là, je trouve quelques visages et attitudes trop typés) ne m’ont que moyennement séduit. Néanmoins, ce premier tome m’a bien intéressé, je vais tâcher de poursuivre la série.

    15/10/2021 à 21:11 3

  • La Vengeance des cendres

    Harald Gilbers

    9/10 Berlin, décembre 1946. Partagée entre les vainqueurs, la capitale allemande subit un froid polaire. C’est alors que l’on commence à retrouver des corps, parcourus de noms écrits à l’encre et des papiers brûlés dans la bouche. Un autre point commun apparaît : des motifs représentant un étrange homme ailé retrouvés aux abords. Placé dans un service de recherche des disparus, le commissaire Oppenheimer est mis sur l’affaire. Avec ses collègues, il remontera aux racines d’une vengeance qui le mènera à un village presque oublié, Weydorf.

    Après Germania, Les Fils d’Odin et Derniers jours à Berlin, voici le quatrième roman consacré à Richard Oppenheimer. Harald Gilbers nous avait habitués à d’excellents ouvrages, et celui-ci ne déroge pas à la règle. On est aussitôt saisi par l’incroyable talent de l’auteur, notamment dans sa restitution historique et psychologique de Berlin en ce terrible hiver 1946. Le froid, dévastateur, les conditions de vie miséreuses, la partition de la ville et les enjeux géopolitiques qui s’y nouent, tout est retranscrit avec beaucoup d’efficacité et de réalisme, sans jamais que la démonstration ne soit pesante. Dans le même temps, l’intrigue est tout bonnement remarquable : habilement construite, ne présentant pas le moindre temp morts, et proposant des personnages saisissants – même parmi les secondaires, de Theo, gamin des ruines, à ce vétéran détruit par son expérience de la guerre. Oppenheimer va se surpasser, donnant de sa personne quitte à risquer sa vie pour comprendre le mobile de ce tueur en série. Les fausses pistes, nombreuses et intelligentes, viennent compliquer sa tâche, déjà ardue, et c’en est presque essoufflé que l’on tourne la dernière page de ce roman sombre et endiablé. Un opus où tortionnaires et victimes en viennent à danser une valse effrénée et sanglante, dont les rôles vont s’inverser, et faisant remonter à la surface des consciences les atrocités et contradictions d’un peuple tout entier.

    Un livre remarquable, venant, s’il en était encore besoin, confirmer l’immense talent de Harald Gilbers, autant que la réussite de cette série. On a déjà hâte de se procurer Les Exfiltrés de Berlin, paru en mai dernier chez Calmann-Lévy.

    14/10/2021 à 07:14 6

  • Le Pacte Allen Dulles

    Mark Zellweger

    8/10 21 juin 1943 : Jean Moulin, représentant du général de Gaulle en France et missionné pour tenter de rallier les diverses ramifications de la Résistance, est arrêté. Plusieurs mois plus tôt, les espionnes du Salève ont fort à faire, d’autant que la zone libre vient d’être envahie par les forces allemandes et italiennes au cours de l’opération Anton. Agents doubles, suspicion d’expérimentations à Dachau, armes diaboliques : les Alliés autant que les nazis vont peut-être dévoiler ici leur ultime carte.

    Après L’Envers du miroir et Bletchley Park, voici le troisième et dernier tome de la série consacrée aux espionnes du Salève. Mark Zellweger, une fois de plus, nous régale avec ce roman qui, paradoxalement, surprend très rapidement. En effet, nos héroïnes que sont ces six jeunes femmes, aux motivations et profils si divers, n’entrent que rarement en jeu. Certes, elles vont risquer leur vie, tâcher d’extirper des renseignements aux ennemis, traquer les informations par tous les moyens, mais leur rôle passe ici largement au second plan, laissant l’auteur déployer son incroyable connaissance de la Seconde Guerre mondiale, de la Résistance et des enjeux politiques que cette dernière a induits. Au final, c’est presque une radioscopie des divers mouvements de lutte contre l’occupant nazi et une fresque ayant comme centre de gravité Jean Moulin que Mark Zellweger nous offre. D’ailleurs, là où l’on ne pouvait que reconnaître son érudition en la matière dans les précédents tomes, celui-ci se révèle encore plus impressionnant de maîtrise. Des faits, des dates, des lieux, des personnages en quantité, pour la plupart réels, et dont les noms, fort nombreux, sont cités dès l’entame du livre… sur près de six pages. Que l’on soit porté sur la culture historique ou pas, ce roman passionne d’un bout à l’autre, davantage, vous l’aurez compris, en raison des enseignements véridiques et incontestables qu’il véhicule, que pour sa réelle fantaisie littéraire. Certains déploreront peut-être ce choix, occultant presque le sort de ces dames émérites et valeureuses dont nous nous étions entichés, au profit de cette représentation presque documentaire, de même que l’on pourra, à la marge, reprocher à l’écrivain quelques dialogues peu crédibles, mais cet opus n’en demeure pas moins brillant à bien des égards.

    Mark Zellweger enchâsse la petite et la grande histoire pour notre plus ample plaisir, dressant par la même occasion un portrait nuancé de la Résistance où se sont écharpés tant de tendances et d’égos, certes pour un objectif commun, mais au gré de soubresauts, tiraillements et autres querelles individuelles. Un livre fort, au terme duquel Jean Moulin entre dans l’Histoire « avec [s]on terrible cortège ».

    12/10/2021 à 19:06