El Marco Modérateur

3231 votes

  • L'Antre du diable

    Lincoln Child, Douglas Preston

    7/10 L’archéologue Nora Kelly vient d’être licenciée par son institut quand le milliardaire Lucas Tappan vient lui faire une offre pour le moins inattendue : diriger les fouilles sur le site de Roswell. Oui, là où un engin extraterrestre se serait écrasé en 1947. D’abord dubitative, elle finit par accepter et se rend sur place où elle constate un fait imprévu : la présence de deux cadavres – un homme et une femme – qui ont été exécutés d’une balle en pleine tête. L’agent du FBI Corrie Swanson ne sera pas de trop pour l’aider.

    A côté de la série consacrée à Pendergast, Lincoln Child et Douglas Preston ont également consacré plusieurs ouvrages à Nora Kelly dont voici, après Tomes oubliées et Le Dard du scorpion, le troisième opus. Typiquement le genre d’ouvrage distrayant et très agréable à lire, multipliant les péripéties et les personnages douteux pour une aventure pleine d’exotisme. Les deux auteurs maîtrisent à merveille les rouages du thriller et savent octroyer beaucoup de plaisir à leur lectorat, et ce livre ne déroge nullement à la règle. Il y a d’ailleurs une phrase, prononcée par l’un des protagonistes, qui résume le style : « Mon cher ami, vous voilà avec un joli mystère sur les bras. Un ovni, des espions, une séance de torture, deux cadavres, un accessoire provenant d’une bombe H. Vous aurez de quoi en tirer un roman le jour où vous prendrez votre retraite ! ». Mais, bien évidemment, nul ne souhaite la retraite de Lincoln Child et Douglas Preston tant ils continuent à nous régaler. Certes, certains personnages sont assez caricaturaux – le machiavélique Lime, après avoir été brillamment introduit avec ce braquage qu’il parvient à désamorcer avec beaucoup de tact, synthétise beaucoup de poncifs – et le récit ne nous épargne pas non plus quelques éléments plutôt téléphonés. Néanmoins, l’ensemble demeure très plaisant et les quelque 470 pages passent à toute allure.

    Une littérature particulièrement divertissante, faisant passer un bon moment d’une lecture décontractée et décomplexée.

    14/03/2024 à 06:56 4

  • L'Honorable Société

    DOA, Dominique Manotti

    8/10 J’ai beaucoup apprécié ce roman. Écriture sèche et nerveuse, personnages dépeints en quelques traits, et une intrigue qui brasse raison d’État, politique, enquête criminelle et écologie. Je me suis allègrement laissé prendre par le rythme soutenu, les interactions entre les protagonistes, et la structure du livre, maîtrisée et solide. Même moi qui ne suis vraiment pas un fanatique des complots ni des ouvrages à connotation politique, je ne peux que le conseiller.

    05/08/2013 à 18:55 4

  • La Cité hantée

    Lincoln Child, Douglas Preston

    8/10 L’inspecteur Pendergast, sa pupille Constance et l’agent Coldmoon se sont à peine remis des événements de la Rivière maudite que l’avion dans lequel ils ont embarqué change de cap, direction la Géorgie, plus précisément la ville de Savannah. Deux cadavres y ont été trouvés, vidés de leur sang, et il n’en faut pas moins pour que la rumeur d’un terrible vampire s’y propage. Mais cette histoire pourrait être liée à celle, beaucoup plus ancienne, d’un étrange détournement d’avion jamais résolu.

    Voici la vingtième enquête de la série consacrée à Aloysius Pendergast, et l’on y retrouve avec une jubilation non dissimulée cet inspecteur du FBI si détonnant, aussi brillant qu’énigmatique, accompagné de l’équivoque Constance et du policier Coldmoon aux origines lakotas. Savannah offre un cadre exceptionnel pour cette intrigue qui ne l’est pas moins, palpitante et immédiatement addictive, avec un bel écheveau de pistes et de personnages étranges. Jugez plutôt : une créature pompant l’hémoglobine de ses victimes, une vieille femme vivant recluse au dernier étage d’un hôtel, un documentariste spécialisé dans les phénomènes paranormaux et un journaliste entièrement dédié à la démolition des sornettes à ce sujet, un sénateur particulièrement déplaisant, d’incroyables opérations fructueuses en bourse, etc. Indéniablement, Douglas Preston et Lincoln Child ont savamment réfléchi à cette histoire robuste et prenante, où les chapitres s’enchaînent à merveille sans qu’il ne soit possible de les lâcher. Et quelle merveilleuse idée ils ont eue que d’exploiter l’affaire criminelle D. B. Cooper, non résolue à ce jour. Les deux auteurs excellent à imprimer un rythme trépidant à ce récit qui se conclut sur une nette note fantastique, achevant de faire de ce livre l’un des plus dynamiques de la série.

    Remercions chaleureusement Douglas Preston et Lincoln Child pour ce roman si efficace, d’autant qu’il se termine en portant un éclairage très particulier sur le personnage de Constance, laquelle est déjà en train de mener une quête très personnelle que l’on se plaira à lire dans Le Cabinet du Dr Leng, à paraître le 19 octobre chez L'Archipel.

    26/06/2023 à 07:08 4

  • La Menace Andromède

    Michael Crichton, Daniel H. Wilson

    8/10 Les mots manquent pour décrire ce qui vient d’être découvert dans la jungle amazonienne : une immense construction, qui semble en outre être en train de grandir. Une expédition se rend sur place alors que l’on se souvient encore de ce qui s’est passé, une cinquantaine d’années plus tôt, en Arizona, où la substance dite « Andromède » avait failli exterminer la population terrienne. Mais cette fois-ci, il se pourrait que la menace soit encore plus grave, d’autant que certains individus comptent bien l’exploiter…

    Après La Variété Andromède publiée en 1969 par Michael Crichton, Daniel H. Wilson signe une suite à ce techno-thriller, rendant hommage par la même occasion au génialissime auteur, entre autres, de L’Homme terminal, Un Train d’or pour la Crimée, ou Jurassic Park. Avec un style simple et efficace qui n’empêche nullement de beaux passages littéraires, l’écrivain nous plonge dans son univers, marqué par de nombreuses – et maîtrisées – références et connaissances à l’aérospatiale, la physique, les drones, et les sciences en général. L’expédition, constituée de divers spécialistes parmi lesquels figure James Stone, le propre fils de Jeremy Stone, le scientifique qui s’était illustré dans La Variété Andromède : un moyen intelligent et hautement symbolique pour Daniel H. Wilson de construire une passerelle avec l’œuvre de Michael Crichton, mais qui n’a strictement rien de stérile, puisqu’un élément habile interviendra dans les ultimes chapitres du roman. Approche de la construction, tribu sanguinaire, phénomènes inexpliqués, tractations scientifiques et militaires autour de cette découverte monumentale, sans compter de multiples rebondissements ultérieurs ayant trait, notamment, à l’électricité, à la constitution de cette molécule extraterrestre, aux ascenseurs spatiaux ou à la station orbitale : un très large panel d’événements qui maintiennent le suspense jusqu’à la dernière page qui ouvre, qui sait, la voie à un troisième livre dédié à cette terrible particule.

    Daniel H. Wilson signe un techno-thriller d’une très grande tenue, efficace, imaginatif et très distractif, tout en demeurant érudit. On pourra longtemps se souvenir du rôle de Sophie Kline, atteinte de la maladie de Charcot, des dégâts provoqués par Andromède, ou encore de l’épilogue dont on ne peut que souhaiter qu’il permette de déboucher sur un nouvel opus.

    10/12/2020 à 07:03 4

  • La Mort du petit coeur

    Daniel Woodrell

    9/10 Shuggie Atins a une existence peu enviable. Obèse et solitaire, il vit aux côtés de deux individus détraqués. Sa mère, Glenda, est aussi belle et désirable que foncièrement déjantée, inconsciente du désir qu’elle peut susciter chez les mâles, et ayant une relation à la limite de la décence avec son rejeton. Son beau-père, Red, est un aviné, bagarreur, prompt à distribuer les coups, parlant comme un charretier, et usant de la minorité de son prétendu fils pour aller cambrioler des domiciles pour récupérer drogues et autres effets. Ce sera finalement l’arrivée d’un vieux beau dans une superbe Thunderbird qui viendra mettre le feu aux poudres.

    Daniel Woodrell a construit un roman noir dans la plus pure tradition, un véritable hymne à la littérature dans ce qu’elle peut avoir de plus sombre et toxique. D’entrée de jeu, la préface de l’immense Dennis Lehane donne le ton : il ne tarit pas d’éloges sur cet ouvrage, et il est vrai que ce dernier est un véritable bijou. Les personnages sont peu nombreux et s’encastrent à merveille dans la concision de ce livre qui ne compte qu’un peu moins de deux-cent-dix pages. On se prend immédiatement de sympathie pour Shug, enfant martyr, pris entre l’enclume d’un beau-père violent et vindicatif et le marteau d’une génitrice désœuvrée et aux élans érotiques déplacés. Il y a aussi Basil, au physique incongru et sbire débile de Red, sans compter des grands-parents tout aussi fissurés et un nouvel arrivant en ville, cuisinier de son état, dont les belles paroles et le comportement entreprenant vont emporter Glenda sur les voies de l’adultère. Des paroles de Daniel Woodrell et de son récit, on ne peut qu’être tourmenté, balayé par des émotions contraires, ballotté entre le mal-être et une certaine empathie pour l’adolescent. Des propos forts, acides, nimbés d’indéniables ténèbres. Des scènes extraordinaires, aussi empoisonnées qu’inattendues, comme la découverte du domicile maculé de sang par Shug, la scène de cambriolage avec une gouttière retorse, ou encore le moment dans la cuisine entre deux êtres dont l’un aura vu sa libido portée à blanc et l’autre désarçonné par la concupiscence qu’il suscite.

    Un livre assurément noir et aigre, affecté d’un épilogue sur lequel on n’a pas fini de réfléchir, et où se sont consumés bien des appétences et des espoirs, dont celui d’une enfance sanctifiée.

    21/01/2019 à 17:40 8

  • La Nature des choses

    Charlotte Wood

    9/10 De nos jours, dix femmes sont retenues prisonnières dans le désert australien. Trois geôliers pour veiller sur elles : Boncer, Teddy et Nancy. Aucune d’entre elles ne sait pourquoi on les a enlevées ni pour quelle raison elles sont ainsi captives du bush. Une seule certitude : un certain Hardings doit venir. Mais dans cette promiscuité poisseuse et délétère, il se peut que la folie vienne chambouler les pièces posées sur l’échiquier.

    Ce premier ouvrage de Charlotte Wood frappe fort. Très fort. Dès les premières pages, et jusqu’à l’épilogue, le lecteur est tenu en haleine. Le degré d’empathie et de sympathie qu’il peut ressentir à l’égard de ces malheureuses victimes, têtes d’un bétail humain séquestré au milieu de nulle part, est exacerbé par le fait que nul ne connaît les raisons de ces enlèvements et claustrations, si bien que tout un chacun peut s’imaginer à la place de ces femmes. L’atmosphère y est bien évidemment lourde, anxiogène, pestilentielle. Ce huis clos s’accompagne nécessairement des tracas, qui deviennent rapidement de terribles tourments, comme le manque d’hygiène, la soif, les envies d’évasions. Et surtout la faim. Car, lorsque les denrées vont venir à manquer, il va bien falloir trouver un moyen de se sustenter. Yolanda apprendra à manier les pièges – quitte à s’en servir comme d’un fléau d’arme pour éloigner un importun, à attraper des lapins et les décortiquer pour qu’ils deviennent la nourriture ordinaire, d’où cette énigmatique image de couverture du roman. Verla sera la proie de songes étranges, souvent en rapport avec un mystérieux « cheval de lune » et se fera une spécialité de la cuisine de champignons. Hetty acceptera un commerce obscène, non sans monter au front accompagnée d’une poupée prénommée « Rançon » et créée de cheveux et de peaux d’animaux. Cet opus de Charlotte Wood est une véritable révélation, d’une rare intelligence, avec ses successions savoureuses et barbares de métaphores et de symboles quant à la féminité, l’espérance, l’humanité, la démence, l’animalité. Les mots de l’écrivaine sont également rêches, abrupts, désespérés, désespérants. Un banquet de mots et de maux, et autour de cette ample table, de pauvres proies, esclaves et pâtures, qui sauront nouer des liens interlopes et dérangeants avec leurs vigiles jusqu’à renverser les rôles. D’ailleurs, il y a tant et tant à dire à propos de cet ouvrage, noir comme une ébène brute, depuis sa construction compacte qui se refuse à toute tentative de séduction du lectorat jusqu’au multiples niveaux de lectures, en passant par cette fin, provocante. Encensé par Paula Hawkins et Megan Abbott, il y a comme ça, entre l’enchantement et le maléfice, des livres qui se soustraient d’eux-mêmes à toute tentative objective d’exégèse. Parce qu’ils parlent plus à l’âme et aux tripes qu’à l’intellect, au-delà des normes préétablies, des éventuelles attentes et autres antécédents littéraires. Un festin de noirceur qui est certes clivant mais profondément marquant. Lisez-le, vous comprendrez pourquoi.

    12/09/2018 à 17:41 8

  • La Règle du jeu

    Garth Ennis, Darick Robertson

    7/10 Un premier tome sacrément débridé et jouissif : de l’humour barré et trash, du sexe, des superhéros, mais dans le même temps, ça n’est pas non plus complètement foutraque : il y a un graphisme léché, une intrigue prenante et qui permet une relecture dynamique, incisive et acide de l’univers traditionnel des superhéros, avec force blagues potaches, scènes d’action et originalité. Je n’ai jamais été un gros fan de ce type de littérature, et c’est peut-être justement pour ça que j’ai bien accroché à ce premier tome (assez long en VF car regroupant les six premiers épisodes de la version VO). Je tâcherai de me procurer la suite.

    20/10/2023 à 07:51 4

  • Le Camp

    Christophe Nicolas

    7/10 Un homme rabougri, pâle et sans âge parvient à s’évader d’un souterrain, un carcan vissé au cou. C’est son corps que des chasseurs retrouvent le lendemain. Six ans plus tard, Marie rejoint le village de La Draille pour aider une amie, Flora, à emménager. Cyril, le compagnon de Marie, est déjà sur place. Enfin, il est censé être là. Au même titre que les habitants du lieu-dit. Car lorsque la jeune femme arrive, les lieux sont déserts. Comme si une force avait aspiré tous les êtres humains.

    Pour son troisième roman, Christophe Nicolas scinde son histoire en trois moments :Aller, Retour et Combat. La première saisit par les arcanes qui s’y déploient. Un peu moins de vingt personnes enfermées dans un cube, sans possibilité de sortie, pour des raisons énigmatiques. Le huis clos, la paranoïa, et le légitime cortège de questions : qui est responsable de cet enlèvement ? Pourquoi ? Et pourquoi eux ? Une ambiance très bien rendue, avec des mots simples et efficaces, faisant lentement monter la tension. La partie suivante est encore plus étrange, désarçonnant le lecteur, et jouant habilement sur les codes du genre. Le reste du récit est peut-être un peu plus consensuel, car il utilise beaucoup de recettes déjà éprouvées au cinéma et dans certaines séries, mais c’est également l’un des points forts du roman : tout en créant une autre étape dans le récit, Christophe Nicolas parvient à fusionner les divers moments du roman et apporte les réponses tant attendues. Sans rien en dévoiler, les fans du complotisme et de la série X-Files seront aux anges. Il faut reconnaître que l’auteur fait assez fort : le grand amour entre Marie et Cyril, second fil rouge au-delà de l’intrigue fantastique du livre, est très bien écrit, et certaines scènes – le carnage provoqué par les militaires, ou encore ce que voit et comprend le gendarme Francis dans ce souterrain – marqueront durablement les esprits.

    Un roman réussi et prenant, dans l’ère du temps, et qui plaira sans mal à un large public, de la première à la dernière page.

    29/08/2017 à 19:45 8

  • Le Mal par le mal

    Jérôme Camut, Nathalie Hug

    9/10 Le site d’information W3 continue d’exister, malgré les événements relatés dans Le Sourire des pendus. Sa spécialité : la dénonciation des crimes restés impunis et ayant trait à la sexualité. Une vague de meurtres de policiers secoue l’Hexagone. Si les apparences laissent penser qu’il s’agit d’actes isolés, la vérité est tout autre, et seul un média constitué de téméraires individus saura faire apparaître le complot ourdi.

    Ce deuxième volume de la série W3 n’égarera nullement les nombreux lecteurs qui ont adoré le précédent opus. Jérôme Camut et Nathalie Hug plantent d’entrée de jeu les personnages créés presque deux ans plus tôt grâce à un résumé bien utile. Retrouver ces divers protagonistes et les liens principaux les unissant est nécessaire et rappelle ces réunions de famille dont on a perdu de vue quelques-uns des membres. Et dès les pages suivantes, la magie opère de nouveau : ce beau bébé de huit-cents pages est un gouffre, un labyrinthe dans lequel on prend un plaisir immense à tomber ou se perdre. Le scénario, comme celui du Sourire des pendus, est semblable à la toile d’araignée : complexe, tortueux, si enchevêtré et certains événements arrivant si vite qu’aucun des plus de deux-cents chapitres ne saurait être zappé ni survolé. Et quel régal de rejoindre ces personnages si croustillants et hétéroclites ! Sookie Castel, hypermnésique et physionomiste, plaçant ses interlocuteurs dans des boîtes à partir de ressemblances avec des gens connus, et placée en hôpital psychiatrique. Léon, son père, jurant comme un charretier et ne connaissant aucune limite pour faire rendre la justice, quitte à aller provoquer un violeur injustement libéré et terminer lui-même en prison. Jo Lieras, policier d’élite, immédiatement attaqué par des agresseurs anonymes et lourdement armés. Lara Mendès, journaliste ayant payé cher ses investigations, et prête à aller jusqu’au bout pour obtenir réparation. Et au-delà de ce carrousel d’êtres en mouvement presque perpétuel, il y a des histoires. La genèse de Kalinine, le refuge de La Malhornière, où l’on croise des humains brisés et rafistolés pour répondre aux demandes sexuelles de quelques monstrueux clients. Ce roman, c’est également un vaste champ de mines sur lesquelles beaucoup des héros et des monstres vont poser le pied, déambuler, parfois avec crainte, parfois certains d’être protégés des explosions, mais rares seront ceux franchissant la page finale sans avoir été meurtris, choqués, voire tués. D’ailleurs, les derniers chapitres offrent un événement inattendu et ahurissant, un cliffhangerparticulièrement anxiogène et ouvert, laissant augurer un ultime tome, Le Calice jusqu’à la lie, qui offrira les dernières réponses quant à cette machination.

    Indéniablement, Jérôme Camut et Nathalie Hug ont ranimé la magie de leur précédent roman, et nul ne s’en plaindra. C’est aussi long qu’exalté, excitant qu’enténébré, acide qu’hautement addictif. Et derrière ce paravent de littérature se nichent de bien légitimes questions quant à la liberté de la presse, les imprécations stériles de la justice, la gabegie des fonds secrets des Etats employés à des fins malsaines, et tout simplement la place de l’individu isolé face à un monde qui ne maîtrise plus les monstres sexuels qu’il a, au moins en partie, engendrés. Un thriller d’une rare efficacité doublé d’une leçon de choses qui dérange, bouscule et renverse.

    24/09/2016 à 18:24 4

  • Le Petit Bleu de la côte Ouest

    Jacques Tardi

    9/10 Georges Gerfaut est cadre commercial. Marié, deux enfants. Il fume, boit, aime le jazz, conduit une Mercedes. Un anonyme, sans histoires. Jusqu'au jour où il croise la route d'un homme qui vient d'avoir un accident de voiture et l'accompagne à l'hôpital. Un geste louable, gratuit, mais qui va lui coûter cher. Car l'individu supposé accidenté vient en fait d'échapper à une tentative de meurtre, et les tueurs ne veulent surtout pas d'un éventuel témoin à qui leur proie aurait pu se confier. Pour Georges Gerfaut, ça va être le début du cauchemar.

    Écrit en 1976 et porté à l'écran, c'est au tour de la bande dessinée d'offrir une troisième jeunesse au roman du même nom de Jean-Patrick Manchette. Prêtant son crayon pour l'occasion, Jacques Tardi illustre un roman qui était à la fois sobre et riche. Toutes en noir et blanc, les planches défilent sur environ soixante-dix pages, à un rythme sec et effréné. L'histoire est intéressante, mettant en scène un pauvre bougre, presque saisissant de banalité, qui commet un jour l'impair bien involontaire de se trouver au mauvais endroit et au mauvais moment, et à qui le sort va réserver des suites sanglantes. Si le postulat de départ semble classique, le traitement qui en est fait l'est beaucoup moins. Le lecteur se prend vite d'amitié pour Georges Gerfaut dont les ressources, la patience et la sagacité forcent le respect. Il n'est ni un héros ni un antihéros, juste un homme qui tente de se sortir du pétrin dans lequel il s'est fortuitement fourré. Le récit est très bon, l'univers de Jean-Patrick Manchette restitué avec sobriété et efficacité, et l'histoire, ménageant flash-backs et ellipses, tient en haleine.

    Tout comme le roman dont il est tiré, cette bande dessinée est une sorte de conte moderne, variation intéressante du pot de terre contre le pot de fer. Jacques Tardi exploite à merveille le livre qu'il adapte, où le bicolore des croquis fait écho au noir des mots et des combats de Jean-Patrick Manchette. L'hommage d'un grand dessinateur à un grand écrivain.

    11/03/2011 à 19:51 4

  • Le Signal

    Maxime Chattam

    7/10 J’ai tout d’abord été séduit par « l’objet » que constitue ce livre (avec cette couverture en relief et cette dominante noire des pages, tout ça est vraiment magnifique), en plus de m’offrir un bon gros pavé et de renouer avec l’univers de l’auteur. La mise en place est classique, typiquement américaine dans le style et chez les personnages, et les deux épigraphes (Stephen King et Lovecraft) signifient bien où souhaite nous emmener Maxime Chattam. Et très vite, les phénomènes inexpliqués s’accumulent : un épouvantail tueur, des disparitions glauques, des chauves-souris qui s’écrasent au sol sans raison apparente, des voix hurlantes sur les ondes de la radio, un immonde ballet de lames de rasoirs, des légendes amérindiennes avec le Wendigo, les sorcières de Salem, etc. Un véritable feu d’artifice de pistes. Mais j’ai parfois trouvé le temps un peu long, en raison de personnages trop caricaturaux, peu fouillés, ou réduits à une expression narrative minimaliste. Et quand les explications ont commencé à tomber (à partir du soixantième chapitre environ), je suis resté un peu de marbre. OK, c’est intéressant et plutôt original, mais je n’ai pas été emporté. Que l’on soit d’accord : j’aime beaucoup le fantastique, là n’est pas la question. Mais ici, je ne saurais dire trop pourquoi, j’ai eu du mal à être totalement happé par la résolution. En outre, malgré pas mal de scènes mémorables et parfois flippantes dès lors que l’on se prend au jeu, la multitude des clins d’œil de l’écrivain a fini par passer, à mes yeux, parfois plus pour des picorages ou des emprunts qu’à de réels hommages (même si je ne prête évidemment aucune mauvaise intention à Maxime Chattam). En général, les albums musicaux de reprises me laissent dubitatif : je préfère les œuvres originales, ou alors les compositions des artistes « repreneurs » eux-mêmes : ici, c’est un peu ce même effet qui s’est produit sur moi. Et puis, j’ai également trouvé que le titre téléphonait un peu trop la résolution, alors que « La Brèche », employée vers la fin du roman, aurait été à mon avis plus neutre. Malgré tout, et c’est très paradoxal, je n’ai pas vraiment boudé mon plaisir de lecture et ai passé, dans l’ensemble, des moments assez agréables, d’autant que j’ai trouvé, pour une fois, que l’écrivain s’était délesté de ses envolées lyriques sur le monde, la civilisation et l’homme. Je tâcherai, à l’avenir, de me trouver d’autres romans de M. Chattam que je n’aurais pas encore lus, et ça sera avec plaisir.

    29/07/2020 à 23:37 8

  • Le Songe de l'astronome

    Thierry Bourcy, François-Henri Soulié

    8/10 Prague, en 1601. L’Empereur Rodolphe II de Habsbourg organise une fastueuse célébration à laquelle sont conviées diverses personnes, dont Tycho Brahé. Ce dernier, astronome controversé, va présenter sa version du cosmos. Mais il meurt dans d’étranges circonstances, et le décès concomitant d’une lingère, ayant probablement goûté au même liquide que lui, ne laisse que peu de doute : il s’agit d’un empoisonnement. Mais par qui ? Et pourquoi ?

    En alliant leurs plumes expérimentées, Thierry Bourcy et François-Henri Soulié signent un roman à suspense de grande qualité. D’entrée de jeu, le lecteur est plongé dans l’ambiance, l’époque ainsi que les mœurs. Des personnages étranges, parfois équivoques ou interlopes, hantent les couloirs du château : Tycho Brahe, scientifique dont les calculs oscillent entre une vision héliocentrique et géocentrique de l’espace, l’alchimiste Michael Maier, l’inquisiteur Robert Bellarmin, le peintre Bartholomeus Spranger , etc. Des personnages historiques, rendus ici avec beaucoup de crédibilité et de densité, sans jamais que la peinture de leurs faits, gestes, et pensées ne tourne à la stérile démonstration érudite. Le récit tourne rapidement au whodunit dans la meilleure des traditions, avec le capitaine Josef Kassov comme enquêteur, qui saura interpréter dans un éclair de génie les propos tenus par un nain affamé de concupiscence pour dénouer cette intrigue. S’y mêlent querelles de cours, lutte de pouvoirs, concurrence d’artistes (sans être physiquement là, Le Caravage va jouer un rôle important dans l’histoire avec la présence de l’une de ses toiles, dantesque et ahurissante), chantages et autres hostilités humaines. Le prologue, avec la noyade accidentelle d’un garçonnet, vingt-cinq ans plus tôt, aura-t-il d’ailleurs son importance dans le récit ? Si tout y est parfait, du tableau de l’époque au suspense maintenu jusqu’au bout, on pourra juste regretter une résolution un peu abrupte, qui ne laisse pas le temps au lecteur de s’y préparer et qui est un peu tirée par les cheveux. Néanmoins, mis à part ce petit défaut, ce livre est un petit délice de bout en bout, assurant sans le moindre mal une lecture à la fois distractive, originale et instructive.

    21/02/2018 à 18:21 4

  • Les Morsures du froid

    Thomas O'Malley, Douglas Graham Purdy

    9/10 L’hiver 1951 fait subir à Boston l’une de ses pires périodes de froid. C’est dans ces conditions que l’on retrouve le corps d’une femme nue, qui a été torturée. Il s’agit de la dernière victime du tueur en série que l’on a surnommé « Le Boucher ». Elle est également la sœur de l’épouse défunte de Dante Cooper. Ce dernier fait appel à son vieil ami, Cal O’Brien, et tous deux vont mener leur enquête.

    Ce premier roman de Thomas O’Malley et Douglas Graham Purdy frappe fort. Leur écriture est riche, travaillée, mettant en scène les lieux et les psychologies avec une maîtrise rare. Les personnages principaux sont particulièrement réussis. Dante Cooper, ancien pianiste, junkie invétéré, ayant couché aux côtés du cadavre de son épouse pendant plusieurs jours, et devenu une véritable épave humaine. Cal O’Brien, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, encore blessé à la jambe suite à un épisode sur lequel il préfère ne pas s’étendre, tentant avec sa femme Lynne de remonter à la surface. Des êtres denses, vivants et plausibles, aux comportements et aux introspections très réussis. Dans le même temps, la cité de Boston est décrite avec une telle maestria qu’elle devient un personnage à part entière. L’intrigue est très bien construite, mélangeant habilement tueur en série, malversations politiques, corruptions, magouilles immobilières, luttes de clans. Même si certaines ficelles ne surprendront guère les vieux habitués des polars, qu’ils soient littéraires ou cinématographiques, Thomas O’Malley et Douglas Graham Purdy rentrent avec grand talent dans la cour des écrivains majeurs, non loin de James Ellroy et Dennis Lehane. Un ouvrage où l’émotion pénètre les chairs, et ce jusque dans les ultimes chapitres. On pourra retrouver Cal et Dante dans Les Brûlures de la ville. Un rendez-vous à ne pas manquer !

    07/01/2019 à 18:22 4

  • Lontano

    Jean-Christophe Grangé

    9/10 Moi qui n’avais pas lu de romans de Jean-Christophe Grangé depuis quelque temps (« Kaïken », terminé en novembre dernier), je me suis plongé avec ravissement dans ce pavé (presque 950 pages en version poche), et j’ai été emballé. J’ai donc retrouvé la patte de l’auteur, avec ces meurtres sordides, sa connaissance parfaite des techniques policières et judiciaires, et ce scénario, typique de l’homme. Cela commence par un missile qui a désintégré le corps d’un jeune soldat, et cela part ensuite très vite, et surtout très loin. Cette famille des Morvan est vraiment détonante (bon, parfois, il y a de la surcharge littéraire et psychologique, mais cela passe sans mal avec les qualités de l’ensemble). Un père dont j’ai adoré la psyché et la trajectoire (ses penchants très gauchistes, sa traque de l’Homme-Clou, sa mémoire incroyable, sa mainmise sur l’Etat politique français, sa diplomatie, et des connaissances en Afrique, en plus d’avoir des relations pour le moins torturées avec ses trois enfants). D’ailleurs, chacun d’entre eux jouera un rôle dans cette toile d’araignée dont l’origine du tissage semble remonter à l’Afrique. Quiconque a déjà lu du Grangé (on peut en parler comme d’une marque, presque) sera en territoire connu : ses obsessions (la famille déstructurée, la quête des origines, l’Afrique, la médecine et la science – j’ai adoré cette histoire de « lignée immortelle », la violence, le tueur en série énigmatique et machiavélique, etc.) tout comme sa patte (cet art de la langue, de la formule qui claque, de la prose travaillée, un pur régal). A côté de ça, j’ai moins apprécié les fonctions plus à la marge de Loïc et de Gaëlle (ils sont « utiles » à l’histoire, c’est indéniable, mais moins qu’Erwan), certains tics d’écriture (les dialogues quasiment tout le temps coupés après un « et… ») et, paradoxalement, cette proximité avec ses autres ouvrages (ils baignent tous dans une sorte de même bain amniotique littéraire, presque monomaniaque, mais du coup, il y a moins cet effet de surprise). Il reste encore quelques questions en suspens (dont une posée par Erwan dans le 147e et dernier chapitre) dont les réponses jailliront probablement dans « Congo Requiem ». Je serai assurément au rendez-vous de ce second tome. Bref, globalement, un délice de noirceur !

    06/10/2021 à 17:01 8

  • M'as-tu vu en cadavre ?

    Jacques Tardi

    7/10 Je suis toujours autant fan de la griffe visuelle très atypique de Tardi, qui se marie ici très bien à mon goût à l’univers de Léo Malet. Une histoire prenante aux diverses ramifications, même si j’ai trouvé que les explications venaient un peu trop en cascades dans les ultimes planches.

    17/06/2015 à 16:54 4

  • My Home Hero tome 1

    Masashi Asaki, Naoki Yamakawa

    8/10 … ou comment Tetsuo Tosu, 47 ans, commercial chez un fabricant de jouets, et écrivain amateur d’une cinquantaine de romans policiers, comprend que sa fille Reika a été victime de coups d’un yakuza, en vient à basculer dans la violence, presque par accident. Un manga encensé par Maxime Chattam, j’ai tenté l’aventure, et je ne l’ai pas regretté. Tout le sel vient à mes yeux de la crédibilité de l’intrigue, des scènes, de la psychologie, avec cet être lambda qui se transforme en tueur, mû par les circonstances, ciselées et mises en valeur par des traits clairs et un graphisme néanmoins léché. A cet égard, la scène de la destruction du cadavre dans la baignoire et des calculs faits pour se débarrasser des morceaux est caractéristique : plausible, simple et, du coup, sacrément pertinente et efficace. Un premier volume qui m’a beaucoup frappé, justement (ou paradoxalement), par son naturel.

    24/07/2019 à 08:36 4

  • Nicolas

    Agnès Laroche, Franck Thilliez

    9/10 Sarah a désormais rejoint l’équipe de la Brigade des cauchemars aux côtés de Tristan et d’Esteban quand ses parents décèdent au cours d’un accident de voiture. A peine remis de cette tragédie, nos trois adolescents doivent pénétrer dans les songes du dénommé Nicolas, mais un incident intervient : le sinistre Léonard, soigné au sein de la Clinique du sommeil et ayant encore la mère de Tristan recluse dans ses cauchemars, se glisse également dans l’esprit de Nicolas. La situation n’était déjà guère simple, elle en devient carrément ardue…

    Ce deuxième tome de la série de romans consacrée à la Brigade des cauchemars est tout aussi réussi que le premier. Novélisé par Agnès Laroche à partir des bandes dessinées du même nom scénarisées par Franck Thilliez, il nous invite une fois de plus dans un voyage psychique qui débute donc par l’immission de l’étrange Léonard dans les hallucinations nocturnes de Nicolas. Le récit est effréné, sans le moindre temps mort, porté par un scénario ambitieux et maîtrisé, et servi par une plume particulièrement efficace. Nos jeunes héros vont plonger dans une ville saturée de phénomènes inexpliqués, avec cette cité presque fantôme, des individus transformés en cendres ou en pierres, une fée inquiétante, des crabes tombant du ciel et d’étranges lueurs verdâtres. Et quelle ne sera pas leur surprise lorsqu’ils comprendront qu’ils ont débarqué, sans le savoir, dans une version fantasmée de Tchernobyl. Une fois de plus, Franck Thilliez nous a concocté une histoire ahurissante et prenante tandis qu’Agnès Laroche – dont nous avons appris récemment le décès prématuré – et Yomgui Dumont servent respectivement ce récit de sa plume et de son pinceau avec un talent consommé. Le dénouement est toujours aussi malicieux, mettant en valeur une analyse psychologique, presque psychanalytique, rare dans le domaine de la littérature jeunesse. Et que dire de cet ultime rebondissement quant à la condition et l’identité d’Esteban !

    Le troisième tome de cette série est d’ores et déjà annoncé pour septembre : inutile de dire que nous nous ruerons dessus avec appétit !

    29/03/2023 à 06:56 4

  • Rattrape-le !

    Jake Hinkson

    9/10 « Mon fiancé a disparu » : c’est ainsi que Lily Stevens, dix-huit ans, signale à la police locale que son compagnon, Peter Cutchin, également le futur père du bébé qu’elle porte, n’a pas donné signe de vie depuis plus d’une semaine. Dans ce village de l’Arkansas, le fait qu’elle soit la fille du pasteur de la congrégation pentecôtiste ne vient pas arranger les choses, et tout le monde s’imagine que le jeune homme a tout simplement taillé la route avec une autre femme plutôt que de conduire sa promise à l’autel du mariage. Tout le monde, sauf Lily. Et elle est encore loin d’imaginer ce vers quoi elle avance à grands pas.

    Jake Hinkson nous a déjà régalés avec des ouvrages comme L’Enfer de Church Street, Sans lendemain ou Au Nom du bien, alors c’est un doux euphémisme que de dire que l’on attendait ce livre avec beaucoup d’espérances. Et c’est également un euphémisme que de dire que ce roman est vraiment très bon. L’auteur est hanté par deux obsessions, la religion et le crime, et ce roman noir illustre parfaitement cette hantise. On y retrouve une bourgade de l’Arkansas, scellée autour d’un temple et de son pasteur, le père de Lily, et tous les petits vices typiques de l’Amérique profonde et des microcosmes sclérosés : les petits secrets, la peur du qu’en-dira-t-on, mais aussi les hypocrisies. Il faut dire que ce que nous montre Jake Hinkson n’est guère reluisant : des adultes à qui l’on a caché les adultères dont ils sont le fruit, de mesquines convoitises, une religion érigée au rang de ciment sociétal mais bafouée à la moindre occasion, etc. Ici, Lily Stevens constitue un personnage remarquable : jeune et enceinte, elle va devoir se battre afin de comprendre ce qui est arrivé à Peter. Ce combat, solitaire si elle n’avait pas été aidée dans cette lutte par Allan, un colosse homosexuel veillant sur son père grabataire, va également lui permettre d’ouvrir les yeux sur son propre assujettissement : en se frottant à des êtres malsains et criminels (Chance et Eli), elle va prendre conscience de son isolement, des mensonges qui blessent Conway, de certains mensonges de la religion mais aussi de sa propre condition de femme. Et ça n’est qu’au terme de cette quête, où elle côtoiera des trafiquants de drogue, des proxénètes, des experts en décapitation et des proches qui, par leur duplicité, sont tout aussi criminels, qu’elle recouvrera sa liberté et son indépendance.

    Un ouvrage de Jake Hinkson au moins aussi efficace et réussi que les précédents, tirant à boulet rouge sur les artifices et les sournoiseries d’une société confite dans ses certitudes mais où le pus continue de se développer sous le vernis des apparences et de la bien-pensance. Un régal de noirceur.

    01/06/2023 à 06:52 8

  • Sauf

    Hervé Commère

    7/10 Lorsqu’il avait six ans, Mat a vécu la disparition de ses parents, brûlés lors de l’incendie de leur manoir en Bretagne. Il est depuis propriétaire d’un dépôt-vente. Un jour, une inconnue vient déposer un album photo où il apparaît. Mais un détail va venir enrayer la perception du passé, un anodin anachronisme qui va l’obliger à plonger dans des secrets de sa propre famille.

    Hervé Commère, à qui l’on doit Les Ronds dans l’eau, Imagine le reste, Le deuxième homme ou encore Ce qu’il nous faut c’est un mort est revenu l’an passé avec cet ouvrage qui se dévore plus qu’il ne se lit. Un rythme trépidant, au fil de chapitres particulièrement courts, déroulant une intrigue complexe et sacrément échevelée. Narré à la première personne, l’histoire embarque dès les premières pages, et nous ne serions guère éloignés de la vérité en prétendant que chaque fin de chapitre se clôt sur un cliffhanger, obligeant le lecteur, avec avidité, à se ruer sur la suite pour satisfaire sa soif de suspense. D’entrée de jeu, les événements s’enchaînent : cambriolage, course-poursuite, un voleur qui est victime de deux balles (l’une tirée par un policier, la seconde d’origine inconnue), des révélations qui se succèdent à une cadence effrénée, etc. Un tempo particulièrement enlevé, tellement efficace qu’il en viendrait presque à donner des leçons à des références littéraires anglo-saxonnes et autres films. Cependant, ce qu’Hervé Commère obtient en puissance de percussion, il le perd un peu en crédibilité : les éclaircissements sont à ce point nombreux et féconds que l’on en vient parfois à douter de la vraisemblance globale du récit, tandis que certains personnages n’ont pas le temps d’être développés et en viennent à n’être que des spectres, éthérés et sans réelle densité. Mais l’exercice, pour les lecteurs amateurs de sensations fortes et d’intrigues vécues avec entrain, ne pourra que les charmer voire les hypnotiser.

    05/09/2019 à 19:52 8

  • Scarface

    Armitage Trail

    9/10 Tony Guarino est un individu bien anodin qui vit dans le Chicago du début du vingtième siècle. Il est certes jeune et intelligent, mais il n’a pas encore tracé sa voie. Pour les beaux yeux d’une femme, Vyvyan Lovejoy, il tue Al Spingola, l’un des caïds de la ville. C’est le début d’une lente gloire qui le mènera au contrôle de la cité puis à sa déchéance.

    Ce Scarface est l’unique ouvrage traduit en français d’Armitage Trail, publié en 1930. Un monument, adapté deux fois au cinéma, d’abord par Howard Hawks puis Brian De Palma. On retrouve toute la saveur propre aux romans noirs de cette époque, ici agrémentée d’une langue belle, assez recherchée, et un goût indéniable pour les répliques qui claquent. L’auteur a longuement étudié le milieu interlope de la pègre de la capitale de l’Illinois avant de livrer cet opus brûlant. Aux côtés de Tony, on apprend d’abondants détails sur la mafia, ses méthodes, ses trafics, sans jamais que cette érudition ne lasse ou ne noie le récit. Celui que l’on surnommera « Scarface » en raison d’une balafre à la joue gauche récoltée lors de la Seconde Guerre mondiale est un personnage saisissant de réalisme. Un peu paumé, il tue un mafieux, grimpe les échelons du banditisme, se fait oublier quelques années en allant combattre avec un talent et un culot rares dans le maniement des armes et le commandement de ses hommes avant de revenir. Bien plus porté sur l’intelligence criminelle et la stratégie de développement de son entreprise que sur des gris bras qu’il n’a pas, il se fera adouber par un chef mafieux avant de prendre sa place et de développer son business. Un portrait remarquable, tout en nuances, où on le voit se frotter avec hardiesse aux gangsters du North Side, éliminer la concurrence, faire le dos rond quand les circonstances l’exigent, et souvent tomber sous le charme de femmes, parfois fatales, dont l’une d’elles contribuera à sa perte. Armitage Trail retranscrit avec une maestria inouïe les ressorts de la pègre, ses liens ambigus avec la police, les divers rapports de force s’engageant avec les rivaux. Dans le même temps, le lecteur aura du mal à concevoir que cet ouvrage ait presque quatre-vingt-dix ans : l’histoire est souvent émaillée de scènes d’action fort bien décrites et rondement menées, avec son lot de courses-poursuites, fusillades et autres affrontements très cinématographiques.

    Une œuvre maîtresse, ahurissante de maturité pour un écrivain d’à peine vingt-huit ans, et d’une prodigieuse modernité. Un des jalons du roman noir, que l’on ne peut que se plaire à découvrir si longtemps après sa parution originelle, et devant lequel on est empli de respect et d’estime, comme on saurait l’être pour un vieux monsieur qui a tant apporté à sa noble cause, ici littéraire. A noter sa remarquable adaptation en bande dessinée par Christian De Metter.

    25/02/2019 à 20:10 8