El Marco Modérateur

3253 votes

  • Ash House

    Angharad Walker

    8/10 Ash House : littéralement, « la maison de cendres ». C’est là où arrive un adolescent rapidement baptisé Sol par les autres pensionnaires. Un étrange manoir, inquiétant et drapé d’une sombre ambiance, où les matériaux traditionnels se mêlent à la végétation et aux cendres. En tout, une quinzaine d’enfants y vivent, sans la présence du moindre adulte. Il y a bien le Directeur, mais nul ne l’a vu depuis trois ans. Quant au Docteur, son aura sinistre en intimide plus d’un. Sol, d’abord surpris, constate aussitôt que des secrets sont enfouis en ces lieux : une clôture qu’il ne faut franchir à aucun prix, des créatures – les Shucks – qui rôdent, des drones déployés dans le ciel, des mots courants – « parent », « école », « film » – qu’aucun de ces adolescents ne connaît, une fillette qui a disparu et dont nul n’est autorisé à parler… Et Sol n’est pas au bout de ses surprises.

    Unique ouvrage de Angharad Walker, ce Ash House surprend aussitôt, en même temps qu’il ensorcelle. Une atmosphère pesante et menaçante, un manoir digne des textes d’Edgar Allan Poe, des orphelins soumis à un Directeur pourtant absent, des exigences morales sibyllines – les « Obligeances » et les « Désobligeances », le concept de maladie qui met en émoi les occupants des lieux… Il faudrait une longue liste pour répertorier tous ces éléments d’appréhension et de panique qui sont semés dans ce livre. Très habilement, Angharad Walker laisse croître les doutes du lectorat, ses effrois, ses interrogations, et le récit recèle de nombreux rebondissements et autres passages anxiogènes. Par exemple, la fuite de Dom et son combat contre les Shucks est un petit bijou de sensations fortes. Sol, miné par des douleurs vertébrales et expédié dans des conditions brumeuses dans ce foyer pour en guérir, ira de surprises en révélations, d’autant que le cortège des adolescents présents à ses côtés constituent autant d’alliés comme d’adversaires potentiels. Et puis, il y a cet amoncellement de secrets, de vérités cachées, de ouï-dire, de présomptions, de suspicions larvées. Sur trois cents pages, l’écrivaine nous propose une immersion haletante dans un univers sombre et décalé, à la lisière du roman à suspense et de l’irréel, qui secoue et oppresse. Et l’épilogue est à la hauteur du livre et de son enchevêtrement d’incertitudes : il est en quelque sorte très ouvert. Angharad Walker a-t-elle souhaité laisser chaque lecteur se forger sa propre opinion sur les maléfices de cette surprenante habitation ? A-t-elle songé à en rédiger une suite ? A ces questions, comme dans la conclusion de son ouvrage, aucune réponse certaine.

    Un roman poisseux et pénétrant, où se propagent autant d’ombres et de mystères que dans la tête du lecteur une fois l’opus terminé. A coup sûr, une histoire qui marque autant qu’elle interroge.

    02/05/2022 à 06:57 2

  • L'Appel du Barge

    Lalie Walker

    4/10 Vraiment déçu par cet opus. Le croisement de deux figures, Gabriel Lecouvreur et Jeanne Debords était excitante. Mais le format trop court rend la rencontre elliptique, presque anecdotique. Le Poulpe va mal, la moitié du livre se passe dans des bars et se perd dans de grandes introspections mollassonnes. Quant au noeud de l'intrigue, il est assez simple, voire simpliste.

    08/03/2015 à 18:17

  • La Morsure du Mal

    Julia Wallis Martin

    2/10 Au nord de l’Angleterre, dans l’angoissant manoir de Lyndle Hall, le jeune Nicholas Herrol est victime de morsures dont nul ne connaît l’auteur. Cet événement si énigmatique est d’ailleurs d’autant plus inquiétant que le père de Nicholas a disparu sans raison. Pour essayer de comprendre ce qui harcèle le jeune garçon, la police ainsi qu’un médium américain et une professeur à l’Institut britannique de recherches sur les phénomènes paranormaux vont mener l’enquête.

    Partant d’une idée originale et alléchante, J. Wallis Martin ne parvient pourtant vraiment pas à convaincre. Les personnages, assez nombreux, sont introduits sans réelle description, au point qu’au bout de quelques pages, il est parfois difficile de les resituer. Manque de panache du scénario, de vigueur du récit, de profondeur des protagonistes : certains passages sont beaucoup trop longs, presque soporifiques, tandis que le lecteur aurait souhaité que l’enquête progresse enfin. Mais le plus frustrant reste la construction du roman : l’affrontement des points de vue du médium, de la police ainsi que de la professeur est presque inexistant, et le lecteur n’a finalement droit qu’à une enquête assez classique et décevante sur la disparition du père de Nicholas, laissant cette histoire de morsures à un ixième plan… pour ne plus être abordée qu’en quelques lignes à la toute fin !

    La morsure du mal est donc une immense déception !

    24/01/2008 à 06:55

  • Le Goût des Oiseaux

    Julia Wallis Martin

    7/10 Un bon polar psychologique, bien mené malgré quelques longueurs parfois et un petit manque de suspense quant à l'identité de l'assassin.

    12/01/2006 à 09:14

  • Où les borgnes sont rois

    Jess Walter

    8/10 L’inspectrice de police Caroline Mabry voit arriver au commissariat un homme qui dit avoir un meurtre à lui avouer. Ce borgne prétend qu’il ne peut cependant pas lui livrer le nom de la victime, et que la policière doit au préalable l’écouter. Clark Mason a effectivement une longue histoire à relater, qui commence dès son enfance. Qui commence dès sa rencontre avec Eli Boyle.

    Deuxième ouvrage de Jess Walter à être traduit en français après Les berges du crime, ce roman étonne par sa structure. Il s’agit des longs et minutieux aveux d’un individu qui va faire débuter son récit à l’époque où il fréquentait l’école. Mason va ensuite dérouler la pelote de sa vie jusqu’aux heures qui ont précédé son arrivée au commissariat. Sa rencontre avec Eli Boyle, souffre-douleur des petits caïds en raison de son apparence physique, leur relation de haine puis d’amitié, les premières amours, puis l’âge adulte, ponctué de coups bas, de rêves de grandeur, avec notamment des escroqueries financières et des velléités politiciennes. Jusqu’à ce que les désirs inachevés où s’entremêlent passion, argent et ambition, débouchent sur le drame. Indéniablement, ce récit de Jess Walter emprunte tout autant au polar (par son intrigue, son agencement, et l’évidence d’un homicide) qu’au drame (analyse des relations humaines, des sentiments des personnages, et de la progressive autodestruction d’un groupe de personnes soumis aux aléas de l’existence). L’ensemble, pour peu que l’on se laisse prendre par le courant des paroles de Mason, est rapidement prenant, et la langue de l’auteur, à la fois subtile et pertinente, offre de bien belles pages. L’aspect policier est également réussi, avec une lente mise en place des éléments, des rebondissements bienvenus, et l’explication finale, si poignante.

    Quelque part à la lisière entre la tragédie moderne et le polar, voilà un livre plutôt singulier, bouillonnant d’émotions humaines, où les larmes et le sang se côtoient à merveille. Jess Walter montre l’étendue de son talent grâce à ce roman si touchant de sensibilité et qui ravira de la même manière les amateurs d’une littérature policière qui peut si bien parler au cœur et à l’âme.

    09/03/2013 à 11:52 2

  • L'ombre du Caméléon

    Minette Walters

    6/10 Le lieutenant de l'armée anglaise Charles Acland est grièvement blessé lors d'un combat en Irak et revient au pays, meurtri dans son âme comme dans sa chair. Il est en partie amnésique, soumis à de fortes migraines, et son visage ravagé par un éclat d'obus qui lui a ôté l'usage d'un œil. Il est aussi la proie de haines nouvelles et de crises de rage qu'il peine à contrôler, et ce ne sont pas les visites de son ancienne fiancée à l'hôpital où il est soigné qui l'aident dans sa guérison. Quand une série de meurtres ensanglante Londres, les victimes étant d'anciens soldats homosexuels violés puis battus à mort, la police oriente ses recherches vers le lieutenant Acland. Pour les médecins qui s'occupent de lui, il faudra accepter de comprendre ce personnage si complexe pour tenter de prouver son innocence.

    Auteur à succès d'une douzaine de romans policiers et de thrillers, Minette Walters signait en 2007 cette histoire qui est très représentative de son style et de ses intrigues habituelles. L'accent est mis sur la psychologie des protagonistes, avec en point d'orgue l'étude du militaire Acland, dont les plaies externes sont moins atroces que celles de son âme. La langue de l'auteur est agréable et le roman se laisse lire. Cependant, malgré un point de départ original – l'analyse d'un grand blessé de guerre qui est peut-être un tueur en série de la pire espèce – le livre finit parfois par lasser en raison de longueurs inutiles et d'un certain manque de suspense : les fausses pistes ne sont pas assez nombreuses et le lecteur aguerri finira par deviner l'identité du coupable bien avant le dénouement. Par ailleurs, au-delà de ces chapitres qui se diluent dans des dialogues et situations pas forcément nécessaires à l'intrigue et à la tension romanesque, il y a un indéniable manque d'action qui pourra déplaire.

    L'ombre du caméléon est donc un roman psychologique qui plaira avant tout aux fans de l'auteur de Cuisine sanglante, Lame de fond et La muselière pour ne citer qu'eux, sans pour autant emporter l'adhésion totale des autres lecteurs.

    26/07/2009 à 09:30

  • La Disparue de la cabine n° 10

    Ruth Ware

    8/10 On ne peut pas dire que Laura Blacklock mène en ce moment une vie de tout repos. Elle vient de tomber nez à nez avec un cambrioleur alors qu’elle était à son appartement, ne parvient pas à se débarrasser de son addiction aux antidépresseurs et à l’alcool, et ses amours avec Judah sont incertaines. Alors, lorsqu’on lui propose de partir une semaine dans un yacht pour multimillionnaires avec une dizaine d’autres invités afin de couvrir l’événement, la journaliste n’hésite guère. Au cours de la croisière, elle fait la rencontre d’une femme, occupant la cabine jouxtant la sienne, qui disparaît aussitôt, après que Laura a entendu un grand plouf. Le problème, c’est qu’aucun voyageur ne manque à l’appel…

    Après Promenez-vous dans les bois, voici le deuxième livre de Ruth Ware, un whodunit à la fois classique et très efficace. On se prend rapidement d’amitié pour Laura – appelez-la Lo, elle préfère, qui est une jeune trentenaire, à la fois faible en raison de ses dépendances pharmacologiques et alcooliques, mais sacrément pugnace. Elle n’hésitera d’ailleurs pas à mener son enquête sur cette étrange disparition que tout le monde prétend fausse puisqu’il n’y a pas de croisiériste manquant. C’est alors un habile jeu du chat et de la souris qui commence, au cours duquel Lo va tenter de percer les mystères de l’Aurora Borealis, ce bateau à la fois bien plus petit que ces traditionnels monstres des mers et suffisamment grand pour abriter des énigmes. Les divers suspects, transcrits en quelques rapides et habiles coups de plume, sont intéressants, qu’ils soient reporters, mannequins ou magnats, et présentent des profils auxquels Lo essaiera d’accrocher une pancarte « coupable ». L’ambiance est adroitement plantée, de la décontraction entre personnes opulentes jusqu’à la paranoïa croissante de notre héroïne. Des mots griffonnés sur un miroir embué, des traces de pas, un mascara ainsi que des photographies qui disparaissent, autant de signes annonciateurs qui démontrent que l’on en veut à Lo, au point de passer de l’intimidation au meurtre. Inutile d’attendre dans ce livre de Ruth Ware des scènes pétaradantes, des éruptions sanglantes ou un tueur en série aliéné : c’est bien plus du côté d’Agatha Christie que l’écrivaine va chercher son inspiration, sans pour autant tenter de copier la Reine du crime. Et c’est un régal de bout en bout, avec une réelle inspiration, une narration à la première personne qui crée une belle proximité avec miss Blacklock, un sens aigu du suspense, et quelques rebondissements très fins. On apprécie également les extraits de forums, messages sur les réseaux sociaux et autres SMS qui émaillent le roman. Et c’est sur des chapitres d’une tension maligne que se résout l’énigme, achevant de faire de cet opus une réussite en son genre.

    31/07/2018 à 08:48 4

  • La grande séparation

    Philippe Waret

    7/10 Il s’agit du cinquième ouvrage de la collection 14/18 chez Pôle Nord Editions. Comme dans les autres, on retrouve une salvatrice volonté de la part des auteurs nordistes de raconter, chacun à leur manière, un pan du conflit. Ici, Philippe Waret emprunte la voie du roman policier, de manière classique, pour envisager la vie de Roubaix, depuis les prémices de la guerre à sa fin, en passant bien évidemment par l’occupation allemande. Indéniablement, l’écrivain maîtrise son sujet : que ce soit du point de vue historique, géographique ou culturel, il sait rendre vivante cette portion du début du vingtième siècle, et la bibliographie copieuse en fin d’ouvrage n’est assurément pas là pour décorer. Grâce au journal intime qui leur est confié, nos deux journalistes vont voir s’étaler la vie dans la ville depuis août 1914 jusqu’à la fin des combats. Ils verront alors se dessiner de saisissants portraits humains, nombreux, où se télescopent la défense de la patrie, les premiers morts, l’illusion perdue d’une victoire expéditive, puis l’appropriation du territoire par les troupes ennemies. Face à cette invasion, certains choisiront la résistance, d’autres la soumission zélée, et c’est justement dans ce carambolage des consciences et des inconsciences que se manifestera la vérité quant à la présence de ces deux inconnus dans une cave de l’usine. Si Philippe Waret s’illustre en excellent conteur, on regrette finalement la forme de l’ouvrage, à savoir son choix narratif : la quasi-totalité du livre consiste donc en une exposition chronologie des faits, sans la moindre surprise. Tout y est certes vivant et crédible, mais ce déroulé, à la tournure un peu décevante, refusant toute ellipse, flash-back et autres péripéties purement temporelle, frustre donc un peu le lecteur d’une véritable enquête ou d’une narration moins prévisible. Cela donne parfois l’impression que Philippe Waret n’a pas véritablement su choisir entre littérature policière et littérature blanche, délaissant ainsi son opus à la croisée de deux chemins bien distincts au risque de décevoir les deux types de randonneurs.

    De grande tenue, la structure trop linéaire de ce roman dessert un récit pourtant humainement brillant, historiquement prenant et d’une impérieuse nécessité mémorielle. Néanmoins, entre littérature blanche et noire, Philippe Waret a trouvé le moyen de rendre son œuvre grisante.

    04/11/2015 à 18:28

  • Malédiction finale tome 1

    Jun Watanabe

    6/10 Une histoire de prime abord classique, variation sur le thème du film « Destination finale » dont le titre français est d’ailleurs symétrique à celui du long-métrage. Des étudiants assez différents les uns des autres où chaque lecteur pourra un peu se reconnaître, une situation banale (un diplôme à fêter à un lieu de cures thermales) qui tourne au tragique avec un accident… avec un taureau… à tête humaine. En fait, une créature issue de la mythologie japonaise, qui est fermement décidée à décider de leur sort à eux tous, en décidant de quand et comment ils mourraient. Une trame familière, reprenant les codes du cinéma à frissons pour grands adolescents, et qui, pour le moment, se fait surtout remarquer pour son ton dur et son esthétique sombre où le noir domine, moins par son scénario que je trouve un peu trop prévisible. Mais la suite me donnera peut-être tort. Je ne souhaite pas mieux.

    23/09/2018 à 18:39 1

  • Vous parlez d'une paroisse !

    Hillary Waugh

    7/10 … ou comment une paisible ville du Connecticut, Crockford, suite au viol et à l’assassinat de la jeune Sally Anders, en vient à montrer ses failles. Une ambiance pesante, lourde de sa moralité bienpensante et de ses convictions religieuses, que vient percuter un drame, voire une tragédie, pour briser ce vernis de surface et faire apparaître la suspicion, le mensonge et la délation, en plus de toutes les tares de la société. Sur le principe, rien de très atypique, mais la forme surprend d’entrée de jeu : chaque chapitre est consacré au point de vue d’un personnage, avec quelques parties chorales, organisées comme des scènes de théâtre – conseil de l’église, commission d’enquête, conseil municipal, etc. – et ce jusqu’à la fin, avec l’identité du coupable révélée et le sort qui l’attend. Hillary Waugh a osé prendre ce parti et s’en tire sacrément bien, alors que je craignais que cela ne tourne rapidement à l’ennui et la redondance. Mais, malgré quelques effets faciles et autres clichés, les parties s’enchaînent à merveille, les réflexions sonnent avec justesse (notamment sur la piété de façade, la vertu nécrosée et le racisme, comme ce qui arrive à Reggie Sawyer et sa famille), et l’affaire progresse sous nos yeux avec intelligence. Selon moi, plus un coup de maître pour la forme que pour le fond, et une lecture, assurément noire, de grande qualité.

    19/11/2017 à 19:54 3

  • L'Aiglon ne manque pas d'aire

    Patrick Weber

    7/10 Valdémar Aigle, antiquaire dans le quartier du Marais, s’occupe de la liquidation de l’héritage de Lucien Michepape. Parmi ses effets, il découvre des documents signés de Napoléon II. Ce dernier, abandonné par sa mère et livré à l’oubli suite au décès de son père, s’était retrouvé dans l’ennui et la certitude de mourir dans l’anonymat des grandes cours européennes. Cependant, il semblait avoir lentement repris goût à la vie grâce à un stratagème qui lui aurait permis de revenir sur le devant de la scène diplomatique mondiale…

    Voilà un roman à suspense très original. Là où d’autres, avatars plus ou moins heureux de Dan Brown ou de Raymond Khoury, se seraient lancés dans un énième livre mettant en scène un complot lié à l’Histoire, Patrick Weber signe un ouvrage délicieux, à la langue colorée, empli d’humour et de second degré. La cabale existe, certes, mais elle est souvent reléguée au second plan d’un scénario qui met en lumière des personnages atypiques, résolument détonants. L’ironie et l’absurde se côtoient dans ce récit qui mêle descriptions du Marais et de sa faune, interventions de protagonistes presque théâtraux dans leurs actes et attitudes, et narration de la vie de Valdémar. À rythme cadencé, l’histoire s’entrecoupe de lettres laissées par Napoléon II, qui mettent lentement en lumière le plan du fils de Napoléon Ier pour échapper à l’amnésie des dirigeants de son époque.
    L’intrigue est bien imaginée, ménageant quelques rebondissements bienvenus et un final émaillé d’une symbolique pertinente. Le roman est assez court, se lit vite, et offre un contrepoint intéressant aux ouvrages du même genre, qui se montrent parfois trop ambitieux, au risque de perdre en crédibilité. Finalement, le seul reproche que pourront faire certains lecteurs à Patrick Weber tient justement à cette approche mineure de sa propre intrigue : à force de chercher l’humour et la distanciation avec ses condisciples, l’auteur risque de se priver d’un lectorat qui aurait peut-être désiré plus de nervosité ou de sérieux dans la résolution de l’histoire.

    Patrick Weber fait donc la part belle à la décontraction et l’amusement, et évite ainsi les poncifs d’un ixième thriller conjuguant quête historique et cabale ésotérique. Le ton est assumé, avec entrain et efficacité, et brille dans le paysage littéraire comme une bien agréable facétie.

    27/07/2012 à 19:04

  • La Dernière Expérience

    Annelie Wendeberg

    9/10 Octobre 1890. Anna Kronberg a été enlevée par James Moriarty, et l’on retient son père en échange de sa complicité en matière de bactériologie. La jeune femme va devoir aider ses ravisseurs à développer une arme dévastatrice à l’aide de bacilles pour préparer une éventuelle guerre mondiale. Anna va devoir déployer des trésors d’ingéniosité pour contrecarrer les plans de Moriarty tout en feignant de s’impliquer dans cette tâche létale. Sherlock Holmes lui sauvera-t-il la vie ?

    Après Le Diable de la Tamise, Annelie Wendeberg revient avec ce deuxième opus de la série consacrée à Anna Kronberg et Sherlock Holmes. S’il est bien évidemment conseillé de les lire dans l’ordre, un rapide résumé de l’épisode précédent permet sans mal de raccrocher l’histoire. Et il ne faut alors que quelques pages pour être envoûté. L’ambiance, sombre, angoissante, est parfaitement restituée. Anna constitue un modèle de personnage, et l’on comprend rapidement qu’elle puisse composer la colonne vertébrale de la saga. Elle est forte, opiniâtre, experte dans le domaine des armes biologiques (ici, la morve et le charbon), d’une rare intelligence, ayant lutté dans sa jeunesse pour se grimer en homme et ainsi pouvoir suivre son cursus universitaire auprès de collègues masculins. Les moments mettant en scène les études des bacilles sont passionnants, et l’on en vient à s’enthousiasmer lorsque émanent les réflexions et conjectures quant aux meilleures maladies à employer pour anéantir l’ennemi, les voies idoines pour les propager, les solutions souhaitables pour s’en prémunir en cas d’accident, etc. Mais ce qui retient davantage l’attention, c’est la nature de la relation ambiguë qu’Anna va entretenir avec James Moriarty. Un étrange jeu du chat et de la souris, avec son alliance d’émotions contraires, entre syndrome de Stockholm, répugnance, volonté ardente de sauver son père, mais aussi attraction, désir trouble, et flamme inavouable. Un envoûtant huis clos, qui va durer cent-quatre-vingt-quatre jours, une réclusion remarquable d’intensité psychologique, au terme de laquelle Annelie Wendeberg a suffisamment d’énergie et de malice pour imposer quelques rebondissements remarquables.

    Le personnage de Sherlock Holmes a souvent été réemployé par des auteurs contemporains, avec un bonheur inégal. Annelie Wendeberg réussit le tour de force de ressusciter le plus fameux limier de la littérature en lui adjoignant un personnage féminin si marquant qu’elle en vient à lui tenir tête en terme de panache et de mémorabilité. Un succès total.

    04/11/2018 à 18:07 4

  • Le Père de nos pères

    Bernard Werber

    7/10 Un bon roman, assez surprenant, avec une enquête originale quant aux origines non moins originales de l'être humain.

    09/02/2010 à 19:17

  • A bout de course !

    Donald Westlake

    7/10 Parker est sur un nouveau coup. Après avoir dû abandonner un casse à cause d’un partenaire portant un micro, voilà que Beckham lui en propose un autre : quatre fourgons vont convoyer une colossale somme d’argent à l’occasion de la fusion de deux banques. Mais un plan aussi alléchant ne peut que présenter des failles, dont certaines ont la taille d’un canyon…

    N’importe quel amateur de littérature policière connaît Donald Westlake. Dans le pire des cas, il n’en a qu’entendu parler. Dans la meilleure des perspectives, il s’est déjà régalé d’au moins un de ses romans. Ici, on retrouve la patte si caractéristique de l’écrivain : une écriture remarquable d’efficacité, avec une forte économie de moyens et de vocabulaire. L’essentiel est retranscrit en mots simples, accessibles, sans la moindre fioriture, et les chapitres défilent à une vitesse effarante. Ce qui est aussi typique de l’auteur, c’est cette manière si personnelle de créer, en quelques coups d’une plume effilée, des protagonistes croustillants et de les nouer ensuite par des relations interpersonnelles qui vont les faire se télescoper au gré du récit. Parker, en cambrioleur froid et professionnel. Beckham, ancien amant de la femme du directeur de la banque et en cheville avec un étrange médecin pour se forger un alibi en béton lors du hold-up. Reversa, une détective bien plus perspicace qu’on ne le pense. Roy Keenan et sa collaboratrice Sandra Loscalzo, deux chasseurs de primes prêts à tout pour retrouver le mouchard qui avait fait capoter le premier casse de Parker. McWhitney, ayant sur le dos ce duo de chasseurs de primes et prêt à tout pour s’en défaire. Elaine Langen, l’épouse du banquier, qui révèle des ressources inattendues pour protéger son ancien compagnon. Avec une rare maîtrise, Donald Westlake va faire se côtoyer tous ces individus et en désintégrer certains, pour notre plus grand bonheur.

    Si l’intrigue, très classique, n’est assurément pas la qualité maîtresse de ce roman, c’est néanmoins un régal que de se plonger dans une œuvre de Donald Westlake. Son imposante bibliographie s’apparente à un grenier où s’accumulent des coffres que l’on ouvre et dont on (re)découvre toujours avec ravissement les contenus.

    22/02/2016 à 20:12 4

  • Demandez au perroquet

    Donald Westlake

    8/10 Après les événements d’A bout de course !, Parker se retrouve en fuite, traqué par les forces de police. Dans sa cavale, il fait la rencontre de Lindahl, un type qui accepte de l’héberger. Mais ce n’est guère par altruisme qu’il fait cela : revanchard et désireux de rafler le pactole, Lindahl a besoin de Parker pour commettre un vol à l’hippodrome Gro-More. En effet, rien de tel que s’associer à un calibre comme ce truand pourchassé par la maréchaussée pour réussir, pas vrai ? Mais tout plan ingénieux connaît parfois des soubresauts inattendus.

    Sous le pseudonyme de Richard Stark, Donald Westlake signait ici en 2006 l’avant-dernier roman de la série consacrée à Parker. On y retrouve avec un régal jamais affadi ce truand, froid et professionnel, uniquement mû par l’appétit du gain, capable de pensées et réactions à la fois très crédibles et frappées au coin du bon sens, et dont l’économie des moyens déployés pour ses coups est à la mesure de son flegme. Ici, après avoir échappé de peu à une arrestation, il en vient à s’associer à un pauvre type, mais, bien évidemment, rien ne va se passer comme prévu. Il va en effet falloir compter sur Cal et Cory, deux frères aussi déterminés que prêts à user de la violence pour aboutir à leurs fins, un malheureux gars qui abat par erreur un SDF, ou encore deux agents de sécurité. Ce qui (d)étonne à chaque fois chez Donald Westlake, c’est l’efficacité de sa plume : tout y est fluide, naturel, sans grande démonstration littéraire ni travail forcené de la langue. Les mots et constructions narratives s’imposent d’eux-mêmes, presque élémentaires, et pertinents, ce qui renforce la crédibilité de l’histoire. A cet égard, les derniers chapitres sont hautement significatifs : une fusillade, des guet-apens et une conclusion délivrés dans des pages rendues véloces par la spontanéité des termes employés.

    Un petit régal de littérature policière, avec cette carte abattue du jeu de Donald Westlake. Un récit aussi pétulant que simple qui séduit de bout en bout.

    31/07/2018 à 08:58 6

  • Drôles de frères

    Donald Westlake

    7/10 Le monastère des membres de l'Ordre Crépinite du Novum Mondum est installé dans un quartier huppé de New York. Mais des promoteurs ont décidé de racheter les lieux pour les raser avant d'ériger de nouveaux immeubles. Seul hic : ces Frères ont souvent vécu des existences peu reluisantes avant de prononcer leurs vœux, et l'idée de devoir quitter leur retraite les hérisse au plus haut point. Et comme si la situation n'était pas déjà assez compliquée, l'un des leurs, frère Benedict, tombe amoureux de la fille du promoteur. Autant dire qu'il va y avoir du rififi dans la Grosse Pomme...

    Publiée en 1975 par le prolifique Donald Westlake, cette comédie policière est typique de l'écrivain. Prenant appui sur une idée de départ originale et caustique, l'auteur du Couperet déploie tout son talent de conteur pour narrer une histoire déjantée qui n'engendre pas la mélancolie. Le ton, à la fois tendre pour ses personnages et cocasse dans les situations, est un véritable régal ; parmi les scènes marquantes, on notera, d'entrée de jeu, la confession désopilante de frère Benedict pour un vol de stylo, ou encore la manière peu banale dont il se porte à la rescousse de la femme pour laquelle il a le béguin. Par ailleurs, l'ordre monacal que Donald Westlake a inventé de toutes pièces est très crédible, avec ses codes et lois, et les tourments de frère Benedict, tiraillé par le désir de la chair et déchiré entre ses vœux et sa passion naissante pour Eileen, bien restitués. On regrette juste que les autres Frères, avec leurs passés troubles, n'aient pas été plus exploités et ne soient finalement pas plus présents dans l'intrigue.

    En 1975, Donald Westlake créait un roman jouissif. Sans la moindre goutte de sang ni violence, il composait une histoire à la fois décapante et atypique, de grande qualité. Un petit trésor d'humour décomplexé, idéal pour passer un bon moment.

    27/10/2010 à 18:41 1

  • La Pomme de discorde

    Donald Westlake

    8/10 Donald Westlake, écrivain majeur de la littérature américaine, n’est plus à présenter. Encensé par la critique, adulé du public, de multiples fois adapté au cinéma, il n’a cessé de ravir plusieurs générations et d’influencer quantité d’auteurs. Cette Pomme de discorde n’est probablement pas le plus connu de ses œuvres, mais sa lecture n’en procure pas moins un grand plaisir. Si ses mots et son style sont finalement simples, ils n’en demeurent pas moins prenants et terriblement efficaces. Il y a comme une sorte d’enchantement derrière ce texte, et l’on éprouve les plus grandes peines à abandonner le récit tant il est prenant. Les personnages sont nombreux, constituent autant de suspects potentiels, au point que Mitch Tobin doit recenser les pensionnaires de L’Étape avec, pour chacun d’entre eux, les raisons de leur internement, pour commencer à y voir clair. Avec une immense économie de moyens et un sens incontestable des répliques, il plante un décor peuplé de protagonistes, certes aliénés ou mâchés par l’existence, mais nullement caricaturaux. Sans recourir à des pétarades ou autres effets pyrotechniques, Donald Westlake nous entraîne dans les couloirs de cette étrange maison, où rôde un mystérieux Dewey que lui seul semble avoir rencontré, jusqu’au dénouement, à la fois éclatant de sobriété et de justesse.

    Parcourir la bibliographie d’auteurs aussi féconds que Donald Westlake, c’est la certitude d’y trouver, au hasard d’une chronique ou par sérendipité, une pépite oubliée, comme celle que l’on dénicherait sans dessein particulier à l’intérieur d’une malle oubliée dans un grenier. Souhaitons-nous encore d’aussi belles découvertes, car cette Pomme de discorde est une véritable gourmandise.

    05/08/2015 à 08:43 2

  • Le Poster menteur

    Donald Westlake

    7/10 … ou les tribulations de Mitch Tobin à qui il arrive une triple galère : son ancienne compagne lui demande un coup de main, on retrouve le cadavre d’un inconnu dans le musée qu’il garde, et il se trame une sombre histoire de copies des pièces présentes dans les collections. On retrouve la patte de Donald Westlake, avec pas mal d’humour, un récit vif, et un ton propre aux bons vieux romans noirs des années 1970. Un récit en trois parties : d’abord, Mitch, même s’il se démène, est surtout la victime des événements, puis vient le temps de la castagne (pas mal de bons chapitres tout entiers consacrés à des tentatives d’agression des gangsters dans un lieu clos), et enfin la réflexion, où une phrase entendue un peu par hasard va réveiller les synapses de notre héros et lui permettre de comprendre les tenants et aboutissants de toute cette histoire. Un livre décontracté, avec de bien bons moments, où Mitch va, en vrac, éviter une bouteille de vitriol, se faire dérouiller par un flic un peu taquin, et être confronté à de curieux experts en art. Dans l’ensemble, pas de quoi marquer au fer rouge ma mémoire ni écaler une tortue, mais ça permet au moins de passer un agréable moment.

    02/04/2018 à 13:06 6

  • Qui gagne perd

    Donald Westlake

    7/10 Chet Conway est chauffeur de taxi à New York. Sa vie est fade : célibataire, toujours fauché, son père passe son temps à éplucher des contrats d’assurance pour y découvrir une éventuelle faille. Ses seuls hobbys : le poker et les paris hippiques. Un de ses clients lui indique un cheval, Purple Pecunia, qui ne peut que gagner. Indubitablement, le coup du siècle. Et il se trouve qu’effectivement, il remporte la course. Chet avait misé trente-cinq dollars et en récolte neuf cent trente. Mais lorsqu’il se rend chez son bookmaker, Tommy McKay, ce dernier vient d’être abattu. De là à ce que l’on accuse du crime, qu’il devienne la proie de deux gangs rivaux, et que la sœur du défunt, croupière de black jack, se mette en tête de se venger, il n’y a qu’un pas… Un tout petit pas de rien du tout…

    Donald Westlake nous a quittés il y a plus de dix ans, et notre seule consolation, au-delà des souvenirs qui demeurent, c’est sa très riche bibliographie, dont ce Qui gagne perd qui date de 1969. Un roman qui ravira autant les fans de l’écrivain que ceux qui, éventuellement, découvriraient son œuvre. Le ton est immédiatement donné : ça sera drôle. La scène où Chet débarque dans l’appartement de McKay et devient aussitôt la cible des regards suspicieux de la tout juste veuve et des voisins est immanquable d’humour. D’autres passages sont à se tordre, comme lorsque le malfrat se cache dans la penderie alors que l’inspecteur Golderman pénètre dans le domicile, la raclée qu’inflige Abbie, la sœur du défunt à l’un des gangsters, et quelques autres moments où les dialogues sont succulents, resteront longtemps dans les mémoires. Dans le même temps, l’intrigue, assez classique mais très resserrée (le livre ne compte que deux cents soixante-dix pages), tient amplement la route, offrant de nombreuses pistes quant aux raisons pour lesquelles on a dessoudé le preneur de paris. Concurrence entre les bandes de Walter Droble et de Solomon Napoli ? Une histoire d’adultère ? Un flic ripou ? Une escroquerie montée par McKay et qui se serait retournée contre lui ? Le fin mot de l’histoire, inattendu, n’interviendra que dans les dernières pages, où l’auteur se permet même un whodunit pour le moins décontracté, presque parodique, où Abbie s’exclame : « Je dis que c’est pas du jeu. Dans un roman policier, ça ne marcherait pas ».

    Probablement pas le meilleur ouvrage de Donald Westlake, mais assurément un sacré moment de détente, cocasse à souhait, et dont l’humour ne sacrifie néanmoins pas l’intrigue, suffisamment solide pour retenir l’attention. Encore un opus qui consacre le personnage de loser, et nous, on adore ça.

    01/06/2022 à 07:23 6

  • Voleurs à la douzaine

    Donald Westlake

    7/10 Imaginez-vous un voleur qui arrive en plein cambriolage et devient un otage ? Ce même voleur à qui un ancien détenu devenu artiste propose un casse pour faire grimper la cote de ses œuvres ? Ou encore un cheval en guise de cible pour un enlèvement ? Non ? Eh bien, c’est que vous ne connaissez pas encore Dortmunder…

    Personnage fétiche de Donald Westlake, que l’on retrouve par exemple dans Bonne conduite, Pierre qui roule ou Les Sentiers du désastre, Dortmunder est l’archétype du personnage à qui il arrive des aventures pour le moins cocasses. Voleur volé, voire volé voleur, un peu à la manière de l’arroseur arrosé, il vit dans ce recueil des péripéties drôles et toujours surprenantes. L’humour est omniprésent, dans les situations comme dans les dialogues, et l’on rit de bon cœur à de multiples reprises. Par ailleurs, c’est aussi l’occasion de découvrir une palette de personnages – complices de Dortmunder ou simples connaissances – très amusants. Cependant, il ne s’agit pas d’une simple démonstration désopilante, car les intrigues sont également réussies. Tel un leitmotiv, quasiment chacune des nouvelles qui composent ce livre comporte des rebondissements, et le final se ponctue d’une surprise enthousiasmante.

    Court, enlevé, séduisant, ce recueil d’historiettes est une petite perle. Certaines d’entre elles sont certes moins efficaces que d’autres, mais l’ensemble propose assurément un très agréable moment de décontraction.

    02/04/2012 à 18:35 2