El Marco Modérateur

3584 votes

  • Petit frère

    Christophe Lambert

    8/10 Un bon petit ouvrage, thriller fantastique, ou comment une famille, après le décès de leur fils de dix ans suite à une noyade accidentelle dans une piscine, en vient à porter ses espoirs en le faisant cloner puis grandir artificiellement dans une sorte de matrice, au sein d’un village isolé et surprotégé dans le désert américain. Christophe Lambert a signé un ouvrage court, où les premières pages placent d’entrée le couple Martin et leur fille Kimberley face à la mort de David. Une écriture soignée, parfois émouvante, toujours juste, et une série de réflexions pertinents et intelligentes, à la hauteur des jeunes consciences auxquelles s’adresse le roman, en plus de son lot de suspense. Parfois, le trait est un peu trop appuyé, et sans nécessité aucune (le côté raciste de cette chapelle scientifique), mais l’ensemble du livre est un véritable régal, alliant des références adéquates voire nécessaires aux pratiques sectaires, à la famille, au deuil et à la question centrale : jusqu’où est-on prêt à aller pour l’amour de son enfant ?

    09/08/2018 à 23:51 2

  • Le Mystère Dédale

    Richard Normandon

    8/10 Une très habile transposition du roman policier, avec ses codes connus de tous, dans le monde mirifique de la mythologie grecque, à moins que ça ne soit l’inverse. Hermès menant l’enquête, en partie avec Eros, pour découvrir qui a tué Dédale et l’a fait se jeter du haut d’une falaise. Tous les ingrédients sont là : les indices, les alibis des uns et des autres, les luttes de pouvoir entre dieux, les supercheries, rancœurs et rivalités, qui fournissent, au gré du roman, une astucieuse succession de suspects potentiels, jusqu’au dénouement final, dans le palais d’Athéna, où tous les protagonistes sont réunis et où Hermès livre la vérité. Un passionnant livre, érudit et instructif, à la portée des jeunes lecteurs auxquels il s’adresse, même si les adultes y trouveront sans le moindre mal beaucoup de plaisir. Et, en plus de cet aspect policier et de la culture qu’il dispense, cet opus est également un petit régal d’aventures et de malice, avec des épisodes intéressants, comme la régénération de la statue du Minotaure, le passage du Styx, la course-poursuite avec l’étrange scintillement, etc. Un ouvrage très séduisant et magique, sacrément original, et qui me donne très envie d’entreprendre la lecture d’autres livres de Richard Normandon.

    09/08/2018 à 23:49 3

  • Demandez au perroquet

    Donald Westlake

    8/10 Après les événements d’A bout de course !, Parker se retrouve en fuite, traqué par les forces de police. Dans sa cavale, il fait la rencontre de Lindahl, un type qui accepte de l’héberger. Mais ce n’est guère par altruisme qu’il fait cela : revanchard et désireux de rafler le pactole, Lindahl a besoin de Parker pour commettre un vol à l’hippodrome Gro-More. En effet, rien de tel que s’associer à un calibre comme ce truand pourchassé par la maréchaussée pour réussir, pas vrai ? Mais tout plan ingénieux connaît parfois des soubresauts inattendus.

    Sous le pseudonyme de Richard Stark, Donald Westlake signait ici en 2006 l’avant-dernier roman de la série consacrée à Parker. On y retrouve avec un régal jamais affadi ce truand, froid et professionnel, uniquement mû par l’appétit du gain, capable de pensées et réactions à la fois très crédibles et frappées au coin du bon sens, et dont l’économie des moyens déployés pour ses coups est à la mesure de son flegme. Ici, après avoir échappé de peu à une arrestation, il en vient à s’associer à un pauvre type, mais, bien évidemment, rien ne va se passer comme prévu. Il va en effet falloir compter sur Cal et Cory, deux frères aussi déterminés que prêts à user de la violence pour aboutir à leurs fins, un malheureux gars qui abat par erreur un SDF, ou encore deux agents de sécurité. Ce qui (d)étonne à chaque fois chez Donald Westlake, c’est l’efficacité de sa plume : tout y est fluide, naturel, sans grande démonstration littéraire ni travail forcené de la langue. Les mots et constructions narratives s’imposent d’eux-mêmes, presque élémentaires, et pertinents, ce qui renforce la crédibilité de l’histoire. A cet égard, les derniers chapitres sont hautement significatifs : une fusillade, des guet-apens et une conclusion délivrés dans des pages rendues véloces par la spontanéité des termes employés.

    Un petit régal de littérature policière, avec cette carte abattue du jeu de Donald Westlake. Un récit aussi pétulant que simple qui séduit de bout en bout.

    31/07/2018 à 08:58 6

  • Marconi Park

    Åke Edwardson

    7/10 Göteborg. Un cadavre est découvert. Pantalon baissé. Mains liées. Sac sur la tête. Un « R » peint sur un carton à côté du corps. Le policier Erik Winter et son équipe enquêtent. Le début d’une longue litanie de morts et de lettres, jusqu’à plonger dans un passé immonde.

    Ce douzième opus de la série consacrée à Erik Winter réjouit d’entrée de jeu. Il ne faut en effet attendre que la deuxième page pour que l’escouade de policiers soit confrontée au premier crime. Åke Edwardson emploie sa plume légère pour écrire son histoire. Que les férus de pétarades, courses-poursuites et autres fusillades mémorables passent leur chemin : ici, tout est vaporeux, en subtilité. On se prend rapidement d'affection pour les divers officiers, et surtout pour Winter. Capable de jolis traits d’humour, il tombe sous le charme musical de Michael Bolton, se remet au jogging, et est capable de poursuivre un suspect à vélo sur plusieurs chapitres. Dans le même temps, Åke Edwardson use de nombreux dialogues, secs et souvent teintés d’ironie, qui ravissent. L’intrigue ne constitue pas, en soi, une réussite mémorable. Sans rien vouloir dévoiler, les ressorts apparaissent vite et ont déjà été si souvent exploités par le passé, en littérature comme au cinéma, qu’ils ne font plus guère rebondir l’ensemble. Même si cette immersion vers une histoire ancienne où il est question d’une « bande au ballon » est intéressante, on la devine à plusieurs dizaines de chapitres à l’avance. Il reste cependant le style de l’auteur, apaisé, alternant le blanc et le noir, avec de si belles pages, comme ce quarante-et-unième chapitre où Winter est confronté au tueur et se pose de légitimes questions morales quant à l’empathie.

    Un ouvrage simple, tout en retenue, plus séduisant par son écriture et les peintures psychologiques qu’il livre que par son intrigue.

    31/07/2018 à 08:54 3

  • La Disparue de la cabine n° 10

    Ruth Ware

    8/10 On ne peut pas dire que Laura Blacklock mène en ce moment une vie de tout repos. Elle vient de tomber nez à nez avec un cambrioleur alors qu’elle était à son appartement, ne parvient pas à se débarrasser de son addiction aux antidépresseurs et à l’alcool, et ses amours avec Judah sont incertaines. Alors, lorsqu’on lui propose de partir une semaine dans un yacht pour multimillionnaires avec une dizaine d’autres invités afin de couvrir l’événement, la journaliste n’hésite guère. Au cours de la croisière, elle fait la rencontre d’une femme, occupant la cabine jouxtant la sienne, qui disparaît aussitôt, après que Laura a entendu un grand plouf. Le problème, c’est qu’aucun voyageur ne manque à l’appel…

    Après Promenez-vous dans les bois, voici le deuxième livre de Ruth Ware, un whodunit à la fois classique et très efficace. On se prend rapidement d’amitié pour Laura – appelez-la Lo, elle préfère, qui est une jeune trentenaire, à la fois faible en raison de ses dépendances pharmacologiques et alcooliques, mais sacrément pugnace. Elle n’hésitera d’ailleurs pas à mener son enquête sur cette étrange disparition que tout le monde prétend fausse puisqu’il n’y a pas de croisiériste manquant. C’est alors un habile jeu du chat et de la souris qui commence, au cours duquel Lo va tenter de percer les mystères de l’Aurora Borealis, ce bateau à la fois bien plus petit que ces traditionnels monstres des mers et suffisamment grand pour abriter des énigmes. Les divers suspects, transcrits en quelques rapides et habiles coups de plume, sont intéressants, qu’ils soient reporters, mannequins ou magnats, et présentent des profils auxquels Lo essaiera d’accrocher une pancarte « coupable ». L’ambiance est adroitement plantée, de la décontraction entre personnes opulentes jusqu’à la paranoïa croissante de notre héroïne. Des mots griffonnés sur un miroir embué, des traces de pas, un mascara ainsi que des photographies qui disparaissent, autant de signes annonciateurs qui démontrent que l’on en veut à Lo, au point de passer de l’intimidation au meurtre. Inutile d’attendre dans ce livre de Ruth Ware des scènes pétaradantes, des éruptions sanglantes ou un tueur en série aliéné : c’est bien plus du côté d’Agatha Christie que l’écrivaine va chercher son inspiration, sans pour autant tenter de copier la Reine du crime. Et c’est un régal de bout en bout, avec une réelle inspiration, une narration à la première personne qui crée une belle proximité avec miss Blacklock, un sens aigu du suspense, et quelques rebondissements très fins. On apprécie également les extraits de forums, messages sur les réseaux sociaux et autres SMS qui émaillent le roman. Et c’est sur des chapitres d’une tension maligne que se résout l’énigme, achevant de faire de cet opus une réussite en son genre.

    31/07/2018 à 08:48 4

  • Les 7 Sherlock

    Jean-Michel Darlot, Jeff Pourquié, Damien Vidal

    7/10 Une agréable relecture du monde d’Arthur Conan Doyle, avec un jeune enquêteur en herbe, Alexis Jurkiewicz, accompagné d’un détective imaginaire nommé Barney Spottiwood, et où il est question d’enlèvements en série en Angleterre, nation vers laquelle Julius va aller traîner ses guêtres à l’occasion d’un voyage scolaire. Il y sera alors question d’étranges policiers, grimés, émettant le curieux cri « Tikeli-li » et ayant visiblement des comptes à régler avec certains individus. Une ambiance agréable et une intrigue qui se laisse lire avec plaisir, où il sera question d’un vol organisé, d’une vengeance et des célèbres fées de Cottingley. Même si je n’ai pas été particulièrement charmé par les dessins de messieurs Pourquié et Vidal, cela demeure à mes yeux une bande dessinée intéressante, décontractée et qui détend.

    28/07/2018 à 08:45 1

  • Et ils oublieront la colère

    Elsa Marpeau

    9/10 En 1944, Marianne Marceau court à travers la campagne de l’Yonne pour échapper à une meute furieuse. Son crime ? Avoir couché avec un soldat allemand. De nos jours, on retrouve le cadavre de Mehdi Azem, tué par balles, non loin de cette lointaine cavale. La victime, professeur d’histoire, était passionnée par la période de la Libération, et comptait écrire sur les dérives de l’épuration et la tonte des femmes suspectées de collaboration. Garance Calderon, capitaine de gendarmerie, mène l’enquête, sans se rendre compte que ces deux affaires sont intimement liées.

    Elsa Marpeau signe ici un roman d’une excellente tenue. L’intrigue, originale, met en relief un pan honteux de l’Histoire de France : les femmes tondues lors de la Libération, offertes à des foules hargneuses et vengeresses, parfois composées d’individus à l’héroïsme précipité et ayant tant de lâchetés à se faire pardonner. Un pari osé, risqué, qui pouvait déboucher sur des clichés en chapelets et des vérités premières sans intérêt. Le grand tour de force de l’écrivaine est justement de rejeter les poncifs, accordant aux uns et aux autres des fragments de justesse en cette époque particulièrement troublante et troublée. Dans le même temps, le récit policier est impressionnant d’intelligence et d’humanité. Tous les personnages sont vertigineux de crédibilité, avec leurs parts d’ombre et de lumière, leurs attitudes et leurs tempéraments. A cet égard, Garance Calderon est remarquable : une femme forte, mais dont l’investigation va la mener à affronter ses propres fantômes, comme cette mère prostituée qui s’est suicidée, et qui a été tondue par son grand-père quand, adolescente, elle a tenté une coloration approximative de sa chevelure afin de ne plus ressembler à sa génitrice. L’assassinat de Mehdi Azem va réveiller de vieilles rancœurs et ranimer des morts que tout le monde aurait bien voulu oublier. En outre, quelques rebondissements vers la fin achèvent d’en faire un modèle du genre.

    Elsa Marpeau, auteure chevronnée, livre un opus d’une incroyable densité humaine et historique, sans jamais tomber dans le guet-apens de la facilité ou de la partialité. Un roman qui séduit puis hypnotise, tant par l’excellence de sa plume que l’originalité de son propos, avant de désarçonner par une telle percussion de noirceur. Un grand moment de littérature, tout simplement.

    17/07/2018 à 08:32 5

  • Souvenirs effacés

    Arno Strobel

    8/10 Quand elle se réveille du coma, Sibylle perd complètement pied. Elle revoit parfaitement l’enlèvement de son fils, revoit même le bras tatoué du kidnappeur. Quand le médecin à son chevet lui apprend qu’elle n’a jamais eu d’enfant, puis que son propre mari ne la reconnaît pas, la jeune femme bascule complètement. Que se passe-t-il ? Lui joue-t-on une mauvaise farce ? Et en qui peut-elle avoir confiance ?

    Après Enterrées vivantes, voici le deuxième ouvrage d’Arno Strobel. On y retrouve les ressorts du précédent ouvrage, avec une femme qui plonge dans une situation ubuesque, en pleine anomie, et où grondent l’aliénation et la paranoïa. Si l’on pouvait reprocher à Enterrées vivantes une langue trop chiche, il n’en est rien ici. La plume de l’auteur a pris indéniablement de l’épaisseur, même si elle demeure assez sèche, et confond le lecteur au gré des multiples rebondissements. Les personnages, nécessairement interlopes, sont nombreux : deux policiers, un quidam qui prétend en savoir beaucoup sur un complot, une sexagénaire qui porte secours à Sibylle, un médecin tirant bien des ficelles, un ancien légionnaire devenu mercenaire, etc. Arno Strobel multiplie les fausses pistes, les zones d’ombre, les identités multiples, les chausse-trapes. Et ce n’est que dans les ultimes pages que l’intrigue se résoudra. Une explication scientifique, qui réjouira les amateurs de machinations et de conspirations médicales.

    Un roman échevelé, efficace et prenant, avançant au fur et à mesure du récit des apparences de vérité pour mieux les escamoter par la suite, dans un enchaînement presque sans fin de leurres et de contre-vérités.

    17/07/2018 à 08:26 2

  • Un privé chez les insectes

    Paul Shipton

    8/10 Une jolie enquête, espiègle et très animée, de notre détective privé/scarabée Bug Muldoon, avec, au programme, un hérisson qui meurt subitement, la disparition inexpliquée d’insectes, la journaliste/sauterelle Velma qui s’évanouit, une puce surexcitée dont Bug doit s’occuper, sans oublier des combats de boxe truqués entre lucanes, un prédateur d’un type inconnu rôdant non loin de la maison des Humains, et un Garçon qui va terrifier tous les animaux avec sa passion de l’entomologie. Le ton est humoristique, endiablé, et il n’y a pas le moindre temps mort. Encore plus séduisant que le premier tome, celui-ci marque également davantage cette transposition flagrante des codes du roman noir américain des années 1950/1960, avec ce personnage de privé entêté, à la carapace épaisse mais au cœur tendre, ainsi qu’avec bien d’autres détails du livre qui sont autant de références, hommages et clins d’œil. Un petit délice.

    16/07/2018 à 08:22 3

  • Messagère

    Craig Johnson

    9/10 Une nouvelle sacrément espiègle et comique, où il est question d’oursons, d’un hibou et de toilettes. Une bien belle dose d’humour qui tranche particulièrement avec les autres nouvelles de Craig Johnson qu’il m’a été donné de lire. Une plume toujours aussi réjouissante, cette fois-ci dans un registre différent, avec de l’humour dans les réparties comme des les situations. Mais l’auteur n’en oublie pas sa finesse et son goût pour les symboles, puisque l’oiseau viendra prendre une place très particulière dans l’histoire, à la fois en raison d’une croyance amérindienne et également par son action déterminante. Un régal de bout en bout.

    16/07/2018 à 08:20 5

  • Trafic

    David Combet, Baptiste Payen

    7/10 N’ayant pas lu le roman originel, mais ayant tout de même lu quelques-uns des ouvrages de CHERUB, je trouve cette adaptation de qualité et fidèle à l’esprit de la série. Il y a pas mal d’action et de suspense, avec un graphisme plaisant et qui conviendra parfaitement aux jeunes, en plus d’être pertinent par rapport à l’écriture de Robert Muchamore. Une histoire d’infiltration, où nos agents en herbe devront devenir les proches des enfants d’un trafiquant de drogue pour mieux s’approcher de l’organisation criminelle et faire tomber ce malfaiteur, ce qui les emmènera jusqu’à Miami pour le final. L’accent est néanmoins mis sur les portraits psychologiques des adolescents, leurs relations interpersonnelles, avec quelques flirts amorcés et des focus intéressants sur leurs personnalités (avec notamment le coming-out de l’un d’entre eux). Une bande dessinée séduisante, sans être à mon avis aussi réussie que la première, mais qui a le double mérite d’être divertissante et en adéquation avec la série initiale.

    16/07/2018 à 08:18 3

  • Tant pis pour le sud

    Philippe Rouquier

    7/10 Marc Meneric a disparu. Le seul indice que possède sa famille, c’est un lieu et une date. La mer au sud des Philippines, le 17 octobre à 23h32. C’est sa montre GPS qui a transmis l’information. Il était ingénieur en géostatistique, devant ainsi découvrir des gisements miniers. Son frère Vincent, lobbyiste dans la même entreprise, ne peut se résoudre à ce que le cercueil de Marc demeure vide. Aussi part-il à la recherche du corps de son frère.

    Ce premier roman de Philippe Rouquier a reçu le Prix du premier roman policier du festival de Beaune en 2017, avec un jury parmi lesquels figuraient Jean-Christophe Grangé et Sylvie Granotier. D’entrée de jeu, l’auteur impose sa plume : foisonnante, intelligente, efficace. Le récit consiste en une longue traque du corps de Marc, même si Vincent est persuadé à de nombreuses reprises qu’il n’est pas mort. Au gré de son périple, il fera de multiples rencontres, entre personnages doubles et troubles, femmes fatales, trafiquants, ainsi que des concurrents aux dents effilées. Par moments, le rythme faiblit, et le lecteur friand de suspense effréné, de courses-poursuites haletantes et de complots à l’échelle intercontinentale en seront pour leurs frais. Néanmoins, Philippe Rouquier mérite amplement sa récompense ainsi qu’un large lectorat pour au moins deux raisons. Lorsque l’on découvre la raison de la disparition de son frère, on est à peu près aussi désarçonné que Vincent : le choix de l’écrivain est fin et crédible, atypique, ne pouvant que surprendre. L’autre raison est le panache du final. Des pages d’une extrême sensibilité, brillantes et émouvantes, loin des clichés de la littérature de ce genre, dont on se souviendra longtemps.

    Un premier roman très maîtrisé, mis à part quelques passages plus faibles ou engourdis, qui ne peut que nous permettre d’espérer de la part de Philippe Rouquier d’autres ouvrages de cette teneur, dans un avenir que l’on souhaite évidemment le plus proche possible.

    09/07/2018 à 09:16 3

  • Élastique Nègre

    Stéphane Pair

    7/10 Le corps d’une inconnue est retrouvé dans la mangrove, non loin d’une plage. Ce crime, au départ inexpliqué, va agiter la population locale et permettre à nombre de personnes, aux traits et activités variés, de s’exprimer.

    Stéphane Pair signe un roman qu’il sera difficile d’oublier. Ouvrage choral, il met tour à tour en scène des individus particulièrement différents, tous ayant plus ou moins gravité autour de la victime. Le gendarme Gardé, originaire de l’Hexagone en butte à une criminalité galopante. Aymé, un pêcheur à la retraite. « Vegeta », Aristide de son vrai prénom, un dealer. Tavares, un narcotrafiquant bahaméen. Jimmy, un gamin. Gina, sa sœur, une conteuse. Josette, quimboiseuse, c’est-à-dire pratiquant la sorcellerie. Lize, une étudiante américaine qui est la compagne de Tavares. Chacun, au gré des chapitres, viendra parler, expliquer sa vérité, décrire le contexte de la vie locale ainsi que l’envers du décor. Car Stéphane Pair, journaliste, n’envoie pas ici une carte postale faite de décors de rêve, de pastels et de clichés. Il y est question de magie, d’inceste, de pauvreté, tant pécuniaire qu’humaine, de familles déchirées, de trafic de drogue exploitant des moyens souvent fort ingénieux pour faire transiter la marchandise, de jeux de pouvoir. L’alternance pourra d’ailleurs déstabiliser les lecteurs plus habitués à une construction classique et qui pourraient éventuellement se perdre dans ce léger dédale. Mais là où l’auteur fait fort, plus qu’au niveau de l’intrigue, somme toute attendue, c’est au niveau de la forme : la langue qu’il emploie est absolument remarquable. Mêlant le langage habituel à des idiomatismes typiques de la Guadeloupe, toujours expliqués via des notes de bas de page, les registres que l’on pouvait s’attendre à trouver en fonction de l’éducation et des profils des personnages à des tournures particulièrement poétiques, la globalité de ce livre est une véritable éruption littéraire.

    Un ouvrage qui envoûte et séduit, même s’il peut surprendre par sa construction labyrinthique et son parler si riche. Un métissage qui saura néanmoins ensorceler au gré d’une petite musique noire, au sens littéraire du terme, qui n’est assurément pas une biguine.

    09/07/2018 à 09:11 3

  • La Dame de la chambre close

    Minetaro Mochizuki

    6/10 Une histoire assez classique de revenant et de harcèlement, menée sans temps mort, avec une fin assez ouverte. Version très nippone de légendes urbaines et autres récits folkloriques comme la dame blanche, j’ai été vite happé par le récit, même si ce dernier ne recèle que peu de réels rebondissements, mis à part cet épilogue assez mystérieux, à l’instar de l’ensemble du récit. Du point de vue purement graphique, j’ai été moins séduit, avec notamment des traits de visages peu engageants, à mes yeux parfois grossiers, et un léger manque de tension et de noirceur : le combat de Satake, les scènes relatives à Hiroshi dans son appartement ou les moments où apparait cette étrange dame fantomatique m’ont paru bien en-deçà de ce qu’elles auraient dû être afin d’être plus anxiogènes. Au final, un manga quelque part entre l’ésotérique, l’horrifique et le suspense, mais qui ne creuse qu’insuffisamment son sillon et se refuse à clairement choisir son genre.

    04/07/2018 à 14:18

  • À feu et à sang

    Ross MacDonald

    7/10 … ou la pénible enquête de Weather, juste après la Seconde Guerre mondiale, revenu dans la ville où son père a été assassiné il y a peu. Une plume typique – le livre a été publié en 1948 – des anciens romans noirs, forts et courts comme des cafés très serrés. Pas mal d’humour dans les réparties, mais surtout de l’humour noir, désabusé, qui claque comme des morsures. Et puisque l’on parle de sang et de douleur, il y en a beaucoup dans ce livre, avec de nombreuses scènes de bastons, de tabassages et de personnages torturés, même si Kenneth Millar évite le piège du voyeurisme ou de la surenchère. Il y sera question de quête, où le personnage principal apprendra à mieux connaître son défunt père, tout en se débattant au beau milieu d’une ville engluée dans les corruptions, les chantages et les manigances diverses. Seul point de luminosité dans cette nébulosité : l’amour de John pour Carla. Une passion douloureuse et houleuse qui achève ce roman à l’intrigue finalement très classique, mais rondement menée, intelligemment bâtie, et qui m’a permis de passer un bon moment de lecture.

    04/07/2018 à 14:16 2

  • Corps-à-corps

    Martin Holmén

    7/10 Début des années 1930 à Stockholm. La dépression économique est tout aussi glacée et glaçante que l’hiver qui s’abat sur la capitale suédoise. Harry Kvist vivote en louant ses services et ses bras expérimentés pour récupérer des dettes. Mais une des personnes sur lesquelles il vient de faire pression est retrouvée sauvagement assassinée. Il devient alors le coupable idéal.

    Il s’agit du premier ouvrage consacré à Harry Kvist. Rapidement, on comprend que l’écriture de Martin Holmén aura quelque chose de langoureux. L’auteur prend en effet son temps pour décrire les lieux, les ambiances, les sentiments de ses personnages. Au gré de ce récit, l’intrigue défile lentement, sans fracture scénaristique ni effets visuels pétaradants. On retiendra principalement deux éléments de ce roman : la représentation de Stockholm vu du côté du petit peuple, de la faim, des prostituées et des maquereaux, et de la misère ambiante. Dans le même temps, Harry Kvist est un protagoniste singulier. Ancien boxeur, il s’est fait sectionner une partie d’un doigt pour avoir refusé de se coucher lors d’un match arrangé. Amateur d’alcool et de tabac, mari et père de deux individus dont il n’a plus une seule nouvelle, maugréant souvent contre lui-même et se morigénant en parlant de lui à la troisième personne, il est bisexuel. Si la plume de Martin Holmén est agréable, voire parfois très sage, les scènes de sexe sont beaucoup plus crues, même licencieuses, et certains lecteurs pourront être surpris de ces passages au vitriol au milieu d’un océan de mots plus débonnaires. L’histoire, sans renouveler le genre, est habilement construite, avec son lot de fausses pistes, de témoins à retrouver, d’êtres interlopes, jusqu’à la révélation de la vérité, dans les ultimes pages.

    Un livre à suspense vraiment réussi, classique dans sa forme mais qui détonne avec la présence d’un héros que l’on retrouve dans Compte à rebours, sorti très récemment.

    19/06/2018 à 18:36 3

  • Là où naissent les ombres

    Colin Winnette

    7/10 Brooke et Sugar sont deux frères, des tueurs à gages de la pire espèce. Véritables psychopathes, ils multiplient les exactions sans la moindre forme d’empathie. Ils découvrent par hasard un garçonnet, amnésique, ne se souvenant même plus de son prénom, et ils décident de l’appeler Bird. Mais ce n’est pas l’arrivée d’un gamin à leurs côtés qui va faire s’éloigner la violence…

    Premier ouvrage de Colin Winnette, ce western déstabilise dès les premières pages. La langue de l’auteur est assurément riche et intéressante à lire, mais c’est la structure du texte qui surprend : aucun découpage en chapitres, des dialogues parfois fort étirés, des descriptions hallucinées. Les amateurs de westerns à l’ancienne, fans des canons du genre au cinéma comme en littérature, seront pour le moins décontenancés. Et cette destructuration du propos met davantage en relief les trois personnages principaux que sont Brooke, Sugar et Bird. Si les deux premiers semblent être de prime abord des caricatures d’assassins sanguinaires, Colin Winnette a su magnifier leur psychologie et leur passé. De longs passages relatent l’enfance de ces individus, apportant des circonstances presque atténuantes aux multiples razzias et barbaries auxquels ils ont ensuite pu se livrer. D’ailleurs, si quelques indices sont disséminés au début du roman, la véritable nature de Sugar saura surprendre et marquer l’esprit du lecteur. Par ailleurs, Bird est un protagoniste mémorable : un môme, perdu dans la violence de l’Amérique, capable de révoltes, d’inclinations et de forts appétits de vengeance. Trois trajectoires fracturées, broyées par un monde étrange et nauséabond, où l’on peut abattre par mégarde une fillette en voulant toucher le preneur d’otage sans la moindre émotion, où l’anthropophagie n’est qu’un simple moyen de se nourrir, où un enfant amputé d’un bras peut à son tour se mettre en tête de devenir un mercenaire, intoxiqué par la violence ambiante.

    Un roman d’une incroyable noirceur, peuplé de prédateurs et de nuisibles, mais dont la forme, particulièrement atypique et déconcertante, risque de perdre voire de rebuter une partie du lectorat.

    19/06/2018 à 18:29 5

  • La Soutane en plomb

    Loren D. Estleman

    8/10 … ou les déboires de Ralph Poteet à qui sa voisine Lyla demande de la débarrasser d’un cadavre encombrant. Sauf que Ralph est un détective privé, Lyla une prostituée et le mort un curé mort d’épectase. Une situation saugrenue qui va déboucher sur d’autres morts et l’apparition de personnages interlopes, en plus d’un complot auquel est mêlée une huile du Gouvernement américain. L’intrigue est solide, le rythme ne faiblit que rarement (peut-être que l’épisode avec les pitbulls se montre un peu longuet et capillotracté), et l’ensemble se dévore du début à la fin. Le personnage du détective est savoureux : cet homme, à l’embonpoint avéré et prêt à se jeter dans les pires situations est devenu borgne suite à des coups de bible de son fêlé de paternel. S’il s’agit d’un bon roman noir, assez classique dans le fond, la forme l’emporte largement avec un humour remarquable. Les dialogues sont parfois à pleurer de bidonnage, certains moments sont mémorables (quand Ralph et le prétendu tueur se retrouvent sous la table), et cette cocasserie finit par être la plus absolue qualité de ce livre. Un sacré moment de rires effrénés en ce qui me concerne.

    17/06/2018 à 19:26 2

  • C'était mon oncle

    Yves Grevet

    6/10 Un roman assez court et destiné aux jeunes lecteurs, au cours duquel Noé Petit apprend par hasard le décès d’un oncle qu’il ne connaissait pas, devenu SDF et féru de poésie. Une plume très agréable et des personnages séduisants (notamment la grand-mère de Noé), en plus d’une histoire très crédible et sortant plutôt de l’ordinaire, même si ce n’est pas un modèle d’originalité. Néanmoins, je n’ai pas été emporté plus que cela par le scénario. Peut-être en raison de la concision du bouquin et, du coup, de son léger manque d’approfondissement voire de profondeur, j’ai eu l’impression, en permanence, et surtout après avoir achevé l’ouvrage, d’être passé à côté de quelque chose, ou que ce quelque chose était passé à côté de moi. Un rendez-vous raté, en somme, mais cela reste de l’ordre du subjectif.

    17/06/2018 à 19:25 2

  • La Loge noire

    Jean-Pierre Croquet

    7/10 Le rapporteur des questions navales au parlement anglais meurt après la rencontre avec ses frères francs-maçons. Le mage Aleister Crowley charge dans le même temps le jeune courtier Mark Bowen de retrouver un exemplaire rarissime de la Kabbalah Denudata, un ouvrage de magie noire. Un tueur en série, que la presse surnomme avec fort peu d’esprit « L’Egorgeur », vient de perpétrer son troisième assassinat dans les rues londoniennes. Nous en sommes en mai 1914, et les nuages ne font alors que commencer à s’amonceler au-dessus du royaume britannique…

    Ce livre de Jean-Pierre Croquet séduit dès les premières pages, en raison d’un rythme particulièrement soutenu. Un autre indice démontre la vélocité de la plume de l’auteur : environ trois cents pages découpées en quatre-vingt-dix chapitres. Tout y est rapide, les événements s’enchaînent à toute vitesse, et l’on ne peut qu’avaler avec gourmandise ce récit. Les personnages sont particulièrement nombreux, et les interactions entre eux se multiplient : des enjeux nationalistes, d’autres bellicistes, des courses au pouvoir politique, des espions et contre-espions, de la sorcellerie, des tueurs à gages, et même du vaudou. Autant dire que les thèmes ne manquent guère. La cadence ne faiblit jamais, et c’est presque avec un certain vertige que certaines parties s’achèvent en raison de la diversité des protagonistes mis en scène, des interférences entre eux et les univers interlopes auxquels ils appartiennent, et des événements qui en découlent. D’ailleurs, il faut louer le choix scénaristique de Jean-Pierre Croquet qui nous évite un de ces énièmes effets téléphonés et très hollywoodiens, puisque son roman effréné s’achève en plusieurs temps, dont aucun n’est véritablement devinable. Cependant, et c’est presque la rançon de cette fébrilité dans l’écriture, certains personnages manquent de chair et d’âme, au point que les retournements de situation qu’ils opèrent nous laissent parfois froid, dans la mesure où l’on n’a jamais eu l’impression de pénétrer véritablement leur psychologie. Il est d’ailleurs à noter que certains d’entre eux, réels, comme Aleister Crowley, Winston Churchill ou Arthur Conan Doyle méritaient vraisemblablement une part plus importante dans l’histoire. De même, quelques passages auraient pu être plus sombres ou détaillés, afin de restituer la tension qu’attendaient probablement des lecteurs.

    Un récit échevelé, sans le moindre temps mort, propre à divertir.

    06/06/2018 à 18:05 4