El Marco Modérateur

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  • Le Salon du prêt-à-saigner

    Joseph Bialot

    7/10 … ou la terrible croisade meurtrière de Yosip Vissarianovitch dans le quartier du Sentier. Des meurtres, du sang, beaucoup de mystères, des policiers aux abois, des journalistes prêts à tous les jeux de mots possibles, des foules estomaquées par cette vague d’hémoglobine… La langue de Joseph Bialot est remarquable, mâtinant les envolées lyriques et poétiques (les nombreuses séances de corps-à-corps et de fusillades sont de petits bijoux littéraires, à lire et relire), l’humour (notamment dans les réactions des médias aux divers crimes où chacun interprète les assassinats en fonction de ses penchants idéologiques ou politiques), et le sombre (bien des passages sont durs, sans pour autant tomber dans la description malsaine ou extrême). L’intrigue est bien ficelée, et c’est avec un plaisir continu que l’on enchaîne les chapitres (courts et découpés en brèves parties), même si la révélation finale, avec les motivations profondes de Yosip, n’a rien de renversant. Etonnant paradoxe, d’ailleurs : tout est bien agencé, huilé, charpenté, mais je ne suis pas persuadé de me souvenir longtemps du cœur de l’histoire. En revanche, je me rappellerai longtemps de certains moments (comme Yosip et Vania avec la machine à couper), d’une ambiance générale soufrée et délétère, et d’une écriture au cordeau.

    29/08/2018 à 17:57 3

  • Projet oXatan

    Fabrice Colin

    7/10 … ou les étranges pérégrinations de quatre adolescents (Phyllis, Arthur, Diana et Jester) au cours du vingt-sixième siècle, sur une portion d’une planète Mars terraformée. Il y sera question d’une sorte de huis clos, d’une belle-mère/nurse Mademoiselle Grâce particulièrement sévère et mystérieuse, un ancien réalisateur de cinéma devenu fou, des origines énigmatiques de ces quatre gamins, d’ogres rôdant près du complexe où vivent les humains, d’une pyramide d’inspiration maya, etc. Dit comme ça, cela ressemble à un sacré capharnaüm, mais Fabrice Colin a bâti une intrigue sérieuse, compacte et intelligente, recélant en son sein probablement pas mal d’idées qui refleuriront par la suite en littérature et au cinéma (le roman date de 2002). Une ambiance légèrement anxiogène, des protagonistes qui savent attirer l’attention du jeune lectorat, sans jamais tomber dans la facilité ou le gnangnan. Par moment, j’ai retrouvé des accents à la Serge Brussolo pour la globalité de l’intrigue ainsi que son côté hétéroclite et inventif. Au-delà de l’aspect purement distractif, de nombreuses réflexions prenantes sur la paternité, le progrès scientifique, l’amitié et l’amour, la passion filiale jusqu’à ses ultimes démonstrations, etc. Probablement pas un ouvrage mémorable à vie, surtout pour moi qui ne lit que très (trop ?) rarement ce type de littérature, mais un très agréable moment de lecture, qui m’a diverti autant que fait réfléchir, d’autant que c’est un chemin littéraire que je n’emprunte qu’occasionnellement.

    29/08/2018 à 17:54 2

  • Tokyo's Tournament

    Marie-Alix Thomelin

    6/10 Jess et Shayma sont deux femmes françaises qui pratiquent le combat. A l’issue d’un match, elles sont toutes les deux recrutées pour participer à un tournoi de combat libre, au Japon. Si elles ne voient dans un premier temps que l’opportunité de disputer une compétition autrement plus prestigieuse que celles auxquelles elles concourent habituellement, elles ne se rendent pas encore compte qu’elles viennent de tomber dans un guet-apens.

    Marie-Alix Thomelin a déjà pratiqué les arts martiaux mixtes, et cela se sent dans son récit. Ce dernier, court, se lit du début à la fin avec un grand plaisir. L’écriture comme le souffle y sont simples, rapides et efficaces. Si le résumé laisse présager une histoire de combats truqués, il n’en est rien : on bascule assez vite dans une intrigue avec une machination à la clef. Ce complot et les méthodes mises en œuvre pour le concevoir ne sont pas particulièrement originales. De même, quelques poncifs émaillent le livre, comme une histoire d’amour assez naïve et peu marquante avec le journaliste Arthur, ou encore le cœur de l’ouvrage, à savoir la conspiration, qui aurait probablement mérité un traitement plus atypique ou une envergure supérieure. Bref, il y a un arrière-goût de déception une fois ce roman achevé. Néanmoins, il est indéniable que Marie-Alix Thomelin a pris du plaisir à l’écrire. On y suit les pérégrinations de Jess et Shayma au Japon, la découverte de ce pays et de sa culture, et les immersions dans le monde des combats, sans être mémorables, se laissent lire. Finalement, Marie-Alix Thomelin se positionne dans la « littérature de gare », sans la moindre notion péjorative : un livre qui se lit facilement, agréablement et rapidement, ce qui n’est déjà pas si mal.

    29/08/2018 à 17:06 2

  • Un Havre de paix

    Stanislas Petrosky

    7/10 Un homme vient d’être retrouvé suicidé à la prison du Havre. Missionné pour s’occuper du corps, Luc Mandoline, alias « L’Embaumeur » découvre, dans le même temps, que le suicide n’en est pas un, et que ce détenu était en réalité un policier infiltré. Pour rendre service à Max, son ami et policier, Luc va mener son enquête.

    Désormais publié aux éditions French Pulp, voici donc le dernier-né de la série consacrée à Luc Mandoline, cette fois-ci avec Stanislas Petrosky à la manœuvre. D’entrée de jeu, le ton est donné : on sera dans le décontracté. Assurément, l’auteur prend le relai de ses petits camarades de plume avec l’envie de s’éclater et de donner du plaisir à son lectorat, avec un univers trivial et de l’humour potache. Quelque part entre Frédéric Dard et Michel Audiard (dont il emprunte quelques citations en guise de clin d’œil), Stanislas Petrosky multiplie les calembours, réparties vachardes et situations cocasses. Dans le même temps, il soigne son intrigue, dans la droite ligne des précédents opus dédiés à L’Embaumeur, avec toujours ce soupçon d’âme et cette touche personnelle qu’apporte chaque auteur, comme Michel Vigneron, Hervé Sard, Maxime Gillio ou Jean-Christophe Macquet pour ne citer qu’eux. Au programme : le monde pénitentiaire, un dangereux malfrat surnommé « Le Turc » accusé de saloperies pédophiles, un reclus spécialiste en chimie, un gardien de prison corrompu jusqu’au coccyx et un bon paquet de magouilles pour faire le lien. Une sacrée dose d’humour, de la castagne, un Luc Mandoline accompagné de ses fidèles amis (dont le si précieux Sullivan), des courses-poursuites, des chantages, et quelques feux d’artifice.

    Un bon petit polar, détendu et détendant, répondant parfaitement au cahier des charges de la série, et qui procure à son lectorat plus qu’il n’en faut de rigolades et de bourre-pifs. Stanislas Petrosky s’est mis sans mal dans la peau de L’Embaumeur, on l’en remercie vivement, et l’on attend déjà impatiemment la livraison du prochain tome.

    29/08/2018 à 17:00 4

  • L'Assassin

    Chris Bradford

    8/10 Le mouvement anticorruption Notre Russie commence à prendre de l’essor alors que l’on s’approche à grands pas des élections présidentielles dans ce pays. A sa tête : Malkov, un homme richissime, bien déterminé à renverser la table et permettre à sa patrie de se débarrasser du fléau de la dégénérescence. Pour protéger le fils de Malkov, Feliks, l’agence Bodyguard délègue deux de ses meilleurs agents : Connor et Jason, qui sont également de farouches rivaux.

    Ce cinquième tome de la série Bodyguard met en avant les mêmes ingrédients que ceux présents dans les autres opus. On a de l’action à revendre, des héros irréprochables et prompts à affronter les situations les plus complexes, et un scénario suffisamment charpenté pour tenir en haleine son lectorat. Cependant, cet épisode gagne en tension et en profondeur par rapport aux précédents. En effet, ce n’est pas parce qu’il s’agit de littérature jeunesse que ce roman est tout en innocence et en pastel. Certaines scènes surprennent et désarçonnent, sans pour autant tomber dans les descriptions inutilement malsaines. Tout commence par le massacre d’une famille par des mafieux, un gamin étant abattu par les brutes. Par la suite, il existe un passage où un adolescent se fait torturer avec une agrafeuse. Enfin, une des parties finales s’achève par la mort violente de l’un des protagonistes de cette folle aventure. Indéniablement, Chris Bradford a su imaginer un récit propre à happer l’attention de ses lecteurs, et le rythme qu’il insuffle à la cadence des chapitres fait que l’on se les prend en pleine tête à la vitesse d’une noria de katas. Ce qui surprend également, et fort agréablement, se situe au niveau de l’intrigue, bien plus complexe qu’en apparence : de nombreux personnages apparaissent, et certains d’entre eux montreront un visage cruel totalement inattendu.

    Une belle réussite littéraire de la part de Chris Bradford, à la fois sombre et nerveuse, qui pose en outre de légitimes questions quant au rôle des élites politiques, la loi du talion ou l’état actuel de la Russie. On est déjà plus qu’impatient de pouvoir lire le sixième et ultime opus de la saga, Fugitive, à ce jour pas encore traduit en français.

    29/08/2018 à 16:56 2

  • Petit frère

    Christophe Lambert

    8/10 Un bon petit ouvrage, thriller fantastique, ou comment une famille, après le décès de leur fils de dix ans suite à une noyade accidentelle dans une piscine, en vient à porter ses espoirs en le faisant cloner puis grandir artificiellement dans une sorte de matrice, au sein d’un village isolé et surprotégé dans le désert américain. Christophe Lambert a signé un ouvrage court, où les premières pages placent d’entrée le couple Martin et leur fille Kimberley face à la mort de David. Une écriture soignée, parfois émouvante, toujours juste, et une série de réflexions pertinents et intelligentes, à la hauteur des jeunes consciences auxquelles s’adresse le roman, en plus de son lot de suspense. Parfois, le trait est un peu trop appuyé, et sans nécessité aucune (le côté raciste de cette chapelle scientifique), mais l’ensemble du livre est un véritable régal, alliant des références adéquates voire nécessaires aux pratiques sectaires, à la famille, au deuil et à la question centrale : jusqu’où est-on prêt à aller pour l’amour de son enfant ?

    09/08/2018 à 23:51 2

  • Le Mystère Dédale

    Richard Normandon

    8/10 Une très habile transposition du roman policier, avec ses codes connus de tous, dans le monde mirifique de la mythologie grecque, à moins que ça ne soit l’inverse. Hermès menant l’enquête, en partie avec Eros, pour découvrir qui a tué Dédale et l’a fait se jeter du haut d’une falaise. Tous les ingrédients sont là : les indices, les alibis des uns et des autres, les luttes de pouvoir entre dieux, les supercheries, rancœurs et rivalités, qui fournissent, au gré du roman, une astucieuse succession de suspects potentiels, jusqu’au dénouement final, dans le palais d’Athéna, où tous les protagonistes sont réunis et où Hermès livre la vérité. Un passionnant livre, érudit et instructif, à la portée des jeunes lecteurs auxquels il s’adresse, même si les adultes y trouveront sans le moindre mal beaucoup de plaisir. Et, en plus de cet aspect policier et de la culture qu’il dispense, cet opus est également un petit régal d’aventures et de malice, avec des épisodes intéressants, comme la régénération de la statue du Minotaure, le passage du Styx, la course-poursuite avec l’étrange scintillement, etc. Un ouvrage très séduisant et magique, sacrément original, et qui me donne très envie d’entreprendre la lecture d’autres livres de Richard Normandon.

    09/08/2018 à 23:49 3

  • Demandez au perroquet

    Donald Westlake

    8/10 Après les événements d’A bout de course !, Parker se retrouve en fuite, traqué par les forces de police. Dans sa cavale, il fait la rencontre de Lindahl, un type qui accepte de l’héberger. Mais ce n’est guère par altruisme qu’il fait cela : revanchard et désireux de rafler le pactole, Lindahl a besoin de Parker pour commettre un vol à l’hippodrome Gro-More. En effet, rien de tel que s’associer à un calibre comme ce truand pourchassé par la maréchaussée pour réussir, pas vrai ? Mais tout plan ingénieux connaît parfois des soubresauts inattendus.

    Sous le pseudonyme de Richard Stark, Donald Westlake signait ici en 2006 l’avant-dernier roman de la série consacrée à Parker. On y retrouve avec un régal jamais affadi ce truand, froid et professionnel, uniquement mû par l’appétit du gain, capable de pensées et réactions à la fois très crédibles et frappées au coin du bon sens, et dont l’économie des moyens déployés pour ses coups est à la mesure de son flegme. Ici, après avoir échappé de peu à une arrestation, il en vient à s’associer à un pauvre type, mais, bien évidemment, rien ne va se passer comme prévu. Il va en effet falloir compter sur Cal et Cory, deux frères aussi déterminés que prêts à user de la violence pour aboutir à leurs fins, un malheureux gars qui abat par erreur un SDF, ou encore deux agents de sécurité. Ce qui (d)étonne à chaque fois chez Donald Westlake, c’est l’efficacité de sa plume : tout y est fluide, naturel, sans grande démonstration littéraire ni travail forcené de la langue. Les mots et constructions narratives s’imposent d’eux-mêmes, presque élémentaires, et pertinents, ce qui renforce la crédibilité de l’histoire. A cet égard, les derniers chapitres sont hautement significatifs : une fusillade, des guet-apens et une conclusion délivrés dans des pages rendues véloces par la spontanéité des termes employés.

    Un petit régal de littérature policière, avec cette carte abattue du jeu de Donald Westlake. Un récit aussi pétulant que simple qui séduit de bout en bout.

    31/07/2018 à 08:58 6

  • Marconi Park

    Åke Edwardson

    7/10 Göteborg. Un cadavre est découvert. Pantalon baissé. Mains liées. Sac sur la tête. Un « R » peint sur un carton à côté du corps. Le policier Erik Winter et son équipe enquêtent. Le début d’une longue litanie de morts et de lettres, jusqu’à plonger dans un passé immonde.

    Ce douzième opus de la série consacrée à Erik Winter réjouit d’entrée de jeu. Il ne faut en effet attendre que la deuxième page pour que l’escouade de policiers soit confrontée au premier crime. Åke Edwardson emploie sa plume légère pour écrire son histoire. Que les férus de pétarades, courses-poursuites et autres fusillades mémorables passent leur chemin : ici, tout est vaporeux, en subtilité. On se prend rapidement d'affection pour les divers officiers, et surtout pour Winter. Capable de jolis traits d’humour, il tombe sous le charme musical de Michael Bolton, se remet au jogging, et est capable de poursuivre un suspect à vélo sur plusieurs chapitres. Dans le même temps, Åke Edwardson use de nombreux dialogues, secs et souvent teintés d’ironie, qui ravissent. L’intrigue ne constitue pas, en soi, une réussite mémorable. Sans rien vouloir dévoiler, les ressorts apparaissent vite et ont déjà été si souvent exploités par le passé, en littérature comme au cinéma, qu’ils ne font plus guère rebondir l’ensemble. Même si cette immersion vers une histoire ancienne où il est question d’une « bande au ballon » est intéressante, on la devine à plusieurs dizaines de chapitres à l’avance. Il reste cependant le style de l’auteur, apaisé, alternant le blanc et le noir, avec de si belles pages, comme ce quarante-et-unième chapitre où Winter est confronté au tueur et se pose de légitimes questions morales quant à l’empathie.

    Un ouvrage simple, tout en retenue, plus séduisant par son écriture et les peintures psychologiques qu’il livre que par son intrigue.

    31/07/2018 à 08:54 3

  • La Disparue de la cabine n° 10

    Ruth Ware

    8/10 On ne peut pas dire que Laura Blacklock mène en ce moment une vie de tout repos. Elle vient de tomber nez à nez avec un cambrioleur alors qu’elle était à son appartement, ne parvient pas à se débarrasser de son addiction aux antidépresseurs et à l’alcool, et ses amours avec Judah sont incertaines. Alors, lorsqu’on lui propose de partir une semaine dans un yacht pour multimillionnaires avec une dizaine d’autres invités afin de couvrir l’événement, la journaliste n’hésite guère. Au cours de la croisière, elle fait la rencontre d’une femme, occupant la cabine jouxtant la sienne, qui disparaît aussitôt, après que Laura a entendu un grand plouf. Le problème, c’est qu’aucun voyageur ne manque à l’appel…

    Après Promenez-vous dans les bois, voici le deuxième livre de Ruth Ware, un whodunit à la fois classique et très efficace. On se prend rapidement d’amitié pour Laura – appelez-la Lo, elle préfère, qui est une jeune trentenaire, à la fois faible en raison de ses dépendances pharmacologiques et alcooliques, mais sacrément pugnace. Elle n’hésitera d’ailleurs pas à mener son enquête sur cette étrange disparition que tout le monde prétend fausse puisqu’il n’y a pas de croisiériste manquant. C’est alors un habile jeu du chat et de la souris qui commence, au cours duquel Lo va tenter de percer les mystères de l’Aurora Borealis, ce bateau à la fois bien plus petit que ces traditionnels monstres des mers et suffisamment grand pour abriter des énigmes. Les divers suspects, transcrits en quelques rapides et habiles coups de plume, sont intéressants, qu’ils soient reporters, mannequins ou magnats, et présentent des profils auxquels Lo essaiera d’accrocher une pancarte « coupable ». L’ambiance est adroitement plantée, de la décontraction entre personnes opulentes jusqu’à la paranoïa croissante de notre héroïne. Des mots griffonnés sur un miroir embué, des traces de pas, un mascara ainsi que des photographies qui disparaissent, autant de signes annonciateurs qui démontrent que l’on en veut à Lo, au point de passer de l’intimidation au meurtre. Inutile d’attendre dans ce livre de Ruth Ware des scènes pétaradantes, des éruptions sanglantes ou un tueur en série aliéné : c’est bien plus du côté d’Agatha Christie que l’écrivaine va chercher son inspiration, sans pour autant tenter de copier la Reine du crime. Et c’est un régal de bout en bout, avec une réelle inspiration, une narration à la première personne qui crée une belle proximité avec miss Blacklock, un sens aigu du suspense, et quelques rebondissements très fins. On apprécie également les extraits de forums, messages sur les réseaux sociaux et autres SMS qui émaillent le roman. Et c’est sur des chapitres d’une tension maligne que se résout l’énigme, achevant de faire de cet opus une réussite en son genre.

    31/07/2018 à 08:48 4

  • Les 7 Sherlock

    Jean-Michel Darlot, Jeff Pourquié, Damien Vidal

    7/10 Une agréable relecture du monde d’Arthur Conan Doyle, avec un jeune enquêteur en herbe, Alexis Jurkiewicz, accompagné d’un détective imaginaire nommé Barney Spottiwood, et où il est question d’enlèvements en série en Angleterre, nation vers laquelle Julius va aller traîner ses guêtres à l’occasion d’un voyage scolaire. Il y sera alors question d’étranges policiers, grimés, émettant le curieux cri « Tikeli-li » et ayant visiblement des comptes à régler avec certains individus. Une ambiance agréable et une intrigue qui se laisse lire avec plaisir, où il sera question d’un vol organisé, d’une vengeance et des célèbres fées de Cottingley. Même si je n’ai pas été particulièrement charmé par les dessins de messieurs Pourquié et Vidal, cela demeure à mes yeux une bande dessinée intéressante, décontractée et qui détend.

    28/07/2018 à 08:45 1

  • Et ils oublieront la colère

    Elsa Marpeau

    9/10 En 1944, Marianne Marceau court à travers la campagne de l’Yonne pour échapper à une meute furieuse. Son crime ? Avoir couché avec un soldat allemand. De nos jours, on retrouve le cadavre de Mehdi Azem, tué par balles, non loin de cette lointaine cavale. La victime, professeur d’histoire, était passionnée par la période de la Libération, et comptait écrire sur les dérives de l’épuration et la tonte des femmes suspectées de collaboration. Garance Calderon, capitaine de gendarmerie, mène l’enquête, sans se rendre compte que ces deux affaires sont intimement liées.

    Elsa Marpeau signe ici un roman d’une excellente tenue. L’intrigue, originale, met en relief un pan honteux de l’Histoire de France : les femmes tondues lors de la Libération, offertes à des foules hargneuses et vengeresses, parfois composées d’individus à l’héroïsme précipité et ayant tant de lâchetés à se faire pardonner. Un pari osé, risqué, qui pouvait déboucher sur des clichés en chapelets et des vérités premières sans intérêt. Le grand tour de force de l’écrivaine est justement de rejeter les poncifs, accordant aux uns et aux autres des fragments de justesse en cette époque particulièrement troublante et troublée. Dans le même temps, le récit policier est impressionnant d’intelligence et d’humanité. Tous les personnages sont vertigineux de crédibilité, avec leurs parts d’ombre et de lumière, leurs attitudes et leurs tempéraments. A cet égard, Garance Calderon est remarquable : une femme forte, mais dont l’investigation va la mener à affronter ses propres fantômes, comme cette mère prostituée qui s’est suicidée, et qui a été tondue par son grand-père quand, adolescente, elle a tenté une coloration approximative de sa chevelure afin de ne plus ressembler à sa génitrice. L’assassinat de Mehdi Azem va réveiller de vieilles rancœurs et ranimer des morts que tout le monde aurait bien voulu oublier. En outre, quelques rebondissements vers la fin achèvent d’en faire un modèle du genre.

    Elsa Marpeau, auteure chevronnée, livre un opus d’une incroyable densité humaine et historique, sans jamais tomber dans le guet-apens de la facilité ou de la partialité. Un roman qui séduit puis hypnotise, tant par l’excellence de sa plume que l’originalité de son propos, avant de désarçonner par une telle percussion de noirceur. Un grand moment de littérature, tout simplement.

    17/07/2018 à 08:32 5

  • Souvenirs effacés

    Arno Strobel

    8/10 Quand elle se réveille du coma, Sibylle perd complètement pied. Elle revoit parfaitement l’enlèvement de son fils, revoit même le bras tatoué du kidnappeur. Quand le médecin à son chevet lui apprend qu’elle n’a jamais eu d’enfant, puis que son propre mari ne la reconnaît pas, la jeune femme bascule complètement. Que se passe-t-il ? Lui joue-t-on une mauvaise farce ? Et en qui peut-elle avoir confiance ?

    Après Enterrées vivantes, voici le deuxième ouvrage d’Arno Strobel. On y retrouve les ressorts du précédent ouvrage, avec une femme qui plonge dans une situation ubuesque, en pleine anomie, et où grondent l’aliénation et la paranoïa. Si l’on pouvait reprocher à Enterrées vivantes une langue trop chiche, il n’en est rien ici. La plume de l’auteur a pris indéniablement de l’épaisseur, même si elle demeure assez sèche, et confond le lecteur au gré des multiples rebondissements. Les personnages, nécessairement interlopes, sont nombreux : deux policiers, un quidam qui prétend en savoir beaucoup sur un complot, une sexagénaire qui porte secours à Sibylle, un médecin tirant bien des ficelles, un ancien légionnaire devenu mercenaire, etc. Arno Strobel multiplie les fausses pistes, les zones d’ombre, les identités multiples, les chausse-trapes. Et ce n’est que dans les ultimes pages que l’intrigue se résoudra. Une explication scientifique, qui réjouira les amateurs de machinations et de conspirations médicales.

    Un roman échevelé, efficace et prenant, avançant au fur et à mesure du récit des apparences de vérité pour mieux les escamoter par la suite, dans un enchaînement presque sans fin de leurres et de contre-vérités.

    17/07/2018 à 08:26 2

  • Un privé chez les insectes

    Paul Shipton

    8/10 Une jolie enquête, espiègle et très animée, de notre détective privé/scarabée Bug Muldoon, avec, au programme, un hérisson qui meurt subitement, la disparition inexpliquée d’insectes, la journaliste/sauterelle Velma qui s’évanouit, une puce surexcitée dont Bug doit s’occuper, sans oublier des combats de boxe truqués entre lucanes, un prédateur d’un type inconnu rôdant non loin de la maison des Humains, et un Garçon qui va terrifier tous les animaux avec sa passion de l’entomologie. Le ton est humoristique, endiablé, et il n’y a pas le moindre temps mort. Encore plus séduisant que le premier tome, celui-ci marque également davantage cette transposition flagrante des codes du roman noir américain des années 1950/1960, avec ce personnage de privé entêté, à la carapace épaisse mais au cœur tendre, ainsi qu’avec bien d’autres détails du livre qui sont autant de références, hommages et clins d’œil. Un petit délice.

    16/07/2018 à 08:22 3

  • Messagère

    Craig Johnson

    9/10 Une nouvelle sacrément espiègle et comique, où il est question d’oursons, d’un hibou et de toilettes. Une bien belle dose d’humour qui tranche particulièrement avec les autres nouvelles de Craig Johnson qu’il m’a été donné de lire. Une plume toujours aussi réjouissante, cette fois-ci dans un registre différent, avec de l’humour dans les réparties comme des les situations. Mais l’auteur n’en oublie pas sa finesse et son goût pour les symboles, puisque l’oiseau viendra prendre une place très particulière dans l’histoire, à la fois en raison d’une croyance amérindienne et également par son action déterminante. Un régal de bout en bout.

    16/07/2018 à 08:20 5

  • Trafic

    David Combet, Baptiste Payen

    7/10 N’ayant pas lu le roman originel, mais ayant tout de même lu quelques-uns des ouvrages de CHERUB, je trouve cette adaptation de qualité et fidèle à l’esprit de la série. Il y a pas mal d’action et de suspense, avec un graphisme plaisant et qui conviendra parfaitement aux jeunes, en plus d’être pertinent par rapport à l’écriture de Robert Muchamore. Une histoire d’infiltration, où nos agents en herbe devront devenir les proches des enfants d’un trafiquant de drogue pour mieux s’approcher de l’organisation criminelle et faire tomber ce malfaiteur, ce qui les emmènera jusqu’à Miami pour le final. L’accent est néanmoins mis sur les portraits psychologiques des adolescents, leurs relations interpersonnelles, avec quelques flirts amorcés et des focus intéressants sur leurs personnalités (avec notamment le coming-out de l’un d’entre eux). Une bande dessinée séduisante, sans être à mon avis aussi réussie que la première, mais qui a le double mérite d’être divertissante et en adéquation avec la série initiale.

    16/07/2018 à 08:18 3

  • Tant pis pour le sud

    Philippe Rouquier

    7/10 Marc Meneric a disparu. Le seul indice que possède sa famille, c’est un lieu et une date. La mer au sud des Philippines, le 17 octobre à 23h32. C’est sa montre GPS qui a transmis l’information. Il était ingénieur en géostatistique, devant ainsi découvrir des gisements miniers. Son frère Vincent, lobbyiste dans la même entreprise, ne peut se résoudre à ce que le cercueil de Marc demeure vide. Aussi part-il à la recherche du corps de son frère.

    Ce premier roman de Philippe Rouquier a reçu le Prix du premier roman policier du festival de Beaune en 2017, avec un jury parmi lesquels figuraient Jean-Christophe Grangé et Sylvie Granotier. D’entrée de jeu, l’auteur impose sa plume : foisonnante, intelligente, efficace. Le récit consiste en une longue traque du corps de Marc, même si Vincent est persuadé à de nombreuses reprises qu’il n’est pas mort. Au gré de son périple, il fera de multiples rencontres, entre personnages doubles et troubles, femmes fatales, trafiquants, ainsi que des concurrents aux dents effilées. Par moments, le rythme faiblit, et le lecteur friand de suspense effréné, de courses-poursuites haletantes et de complots à l’échelle intercontinentale en seront pour leurs frais. Néanmoins, Philippe Rouquier mérite amplement sa récompense ainsi qu’un large lectorat pour au moins deux raisons. Lorsque l’on découvre la raison de la disparition de son frère, on est à peu près aussi désarçonné que Vincent : le choix de l’écrivain est fin et crédible, atypique, ne pouvant que surprendre. L’autre raison est le panache du final. Des pages d’une extrême sensibilité, brillantes et émouvantes, loin des clichés de la littérature de ce genre, dont on se souviendra longtemps.

    Un premier roman très maîtrisé, mis à part quelques passages plus faibles ou engourdis, qui ne peut que nous permettre d’espérer de la part de Philippe Rouquier d’autres ouvrages de cette teneur, dans un avenir que l’on souhaite évidemment le plus proche possible.

    09/07/2018 à 09:16 3

  • Élastique Nègre

    Stéphane Pair

    7/10 Le corps d’une inconnue est retrouvé dans la mangrove, non loin d’une plage. Ce crime, au départ inexpliqué, va agiter la population locale et permettre à nombre de personnes, aux traits et activités variés, de s’exprimer.

    Stéphane Pair signe un roman qu’il sera difficile d’oublier. Ouvrage choral, il met tour à tour en scène des individus particulièrement différents, tous ayant plus ou moins gravité autour de la victime. Le gendarme Gardé, originaire de l’Hexagone en butte à une criminalité galopante. Aymé, un pêcheur à la retraite. « Vegeta », Aristide de son vrai prénom, un dealer. Tavares, un narcotrafiquant bahaméen. Jimmy, un gamin. Gina, sa sœur, une conteuse. Josette, quimboiseuse, c’est-à-dire pratiquant la sorcellerie. Lize, une étudiante américaine qui est la compagne de Tavares. Chacun, au gré des chapitres, viendra parler, expliquer sa vérité, décrire le contexte de la vie locale ainsi que l’envers du décor. Car Stéphane Pair, journaliste, n’envoie pas ici une carte postale faite de décors de rêve, de pastels et de clichés. Il y est question de magie, d’inceste, de pauvreté, tant pécuniaire qu’humaine, de familles déchirées, de trafic de drogue exploitant des moyens souvent fort ingénieux pour faire transiter la marchandise, de jeux de pouvoir. L’alternance pourra d’ailleurs déstabiliser les lecteurs plus habitués à une construction classique et qui pourraient éventuellement se perdre dans ce léger dédale. Mais là où l’auteur fait fort, plus qu’au niveau de l’intrigue, somme toute attendue, c’est au niveau de la forme : la langue qu’il emploie est absolument remarquable. Mêlant le langage habituel à des idiomatismes typiques de la Guadeloupe, toujours expliqués via des notes de bas de page, les registres que l’on pouvait s’attendre à trouver en fonction de l’éducation et des profils des personnages à des tournures particulièrement poétiques, la globalité de ce livre est une véritable éruption littéraire.

    Un ouvrage qui envoûte et séduit, même s’il peut surprendre par sa construction labyrinthique et son parler si riche. Un métissage qui saura néanmoins ensorceler au gré d’une petite musique noire, au sens littéraire du terme, qui n’est assurément pas une biguine.

    09/07/2018 à 09:11 3

  • La Dame de la chambre close

    Minetaro Mochizuki

    6/10 Une histoire assez classique de revenant et de harcèlement, menée sans temps mort, avec une fin assez ouverte. Version très nippone de légendes urbaines et autres récits folkloriques comme la dame blanche, j’ai été vite happé par le récit, même si ce dernier ne recèle que peu de réels rebondissements, mis à part cet épilogue assez mystérieux, à l’instar de l’ensemble du récit. Du point de vue purement graphique, j’ai été moins séduit, avec notamment des traits de visages peu engageants, à mes yeux parfois grossiers, et un léger manque de tension et de noirceur : le combat de Satake, les scènes relatives à Hiroshi dans son appartement ou les moments où apparait cette étrange dame fantomatique m’ont paru bien en-deçà de ce qu’elles auraient dû être afin d’être plus anxiogènes. Au final, un manga quelque part entre l’ésotérique, l’horrifique et le suspense, mais qui ne creuse qu’insuffisamment son sillon et se refuse à clairement choisir son genre.

    04/07/2018 à 14:18

  • À feu et à sang

    Ross MacDonald

    7/10 … ou la pénible enquête de Weather, juste après la Seconde Guerre mondiale, revenu dans la ville où son père a été assassiné il y a peu. Une plume typique – le livre a été publié en 1948 – des anciens romans noirs, forts et courts comme des cafés très serrés. Pas mal d’humour dans les réparties, mais surtout de l’humour noir, désabusé, qui claque comme des morsures. Et puisque l’on parle de sang et de douleur, il y en a beaucoup dans ce livre, avec de nombreuses scènes de bastons, de tabassages et de personnages torturés, même si Kenneth Millar évite le piège du voyeurisme ou de la surenchère. Il y sera question de quête, où le personnage principal apprendra à mieux connaître son défunt père, tout en se débattant au beau milieu d’une ville engluée dans les corruptions, les chantages et les manigances diverses. Seul point de luminosité dans cette nébulosité : l’amour de John pour Carla. Une passion douloureuse et houleuse qui achève ce roman à l’intrigue finalement très classique, mais rondement menée, intelligemment bâtie, et qui m’a permis de passer un bon moment de lecture.

    04/07/2018 à 14:16 2