El Marco Modérateur

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  • L'Attaque des spectres

    R. L. Stine

    5/10 … ou comment le jeune Stanislas Kasimir, après avoir malencontreusement dérangé le fantôme d’un individu tyrannique, Oswald Manse, perd possession de son corps puisque cette enveloppe charnelle est désormais en la possession de ce spectre. On retrouve l’écriture typique de R. L. Stine, avec ses chapitres très courts, une ambiance à faire frémir les jeunes lecteurs, des cliffhangers fréquents en fin de chapitres, et un roman concis pour procurer juste ce qu’il faut de frissons littéraires. Ici, j’ai trouvé que l’histoire sortait un peu du lot, sans que je puisse faire spontanément un lien avec un autre des livres de l’écrivain que j’aurais pu lire précédemment, ce qui est bien agréable. Si le thème des fantômes n’a strictement rien de nouveau, le traitement est plutôt original avec cette idée de possession des corps, et surtout, que l’on puisse se servir de ces organismes comme d’hôtes, de véhicules, puisque les esprits peuvent passer de l’un à l’autre (le livre date de 1997, soit un an avant le film « Le Témoin du mal »). Certains passages sont plus classiques dans le traitement (notamment ceux relatifs aux combats entre les animaux, lorsque Stan est l’un d’eux), et l’ensemble se lit assez bien jusqu’au bout, avec un final sympathique entre notre jeune héros et Audrey, dans une situation inattendue. En revanche, la manière dont nos protagonistes parviennent à prendre le dessus sur les fantômes tient, selon moi, du grand-guignol : du n’importe quoi consommé ! Ce n’est pas tant que je refuse l’ésotérique, le surnaturel, et c’est même bien le contraire, puisque j’avais trouvé cet opus très potable jusqu’à ce moment-là, et alors, patatras ! Un rebondissement que j’attendais intéressant, surprenant, et j’aurais même admis un élément plus classique voire téléphoné, mais dans ce cas précis, cela me rappelle « Terrible internat », comme si R. L. Stine s’était laissé aller à faire un choix auquel lui-même ne croyait pas. Bref, rien de rédhibitoire par rapport à la globalité de l’ouvrage, car cet épisode pouvait – non, devait – constituer un élément moteur du récit, comme une résolution d’énigme dans un roman policier. Et là, c’est franchement raté !

    03/02/2019 à 18:20 2

  • La Mort du petit coeur

    Daniel Woodrell

    9/10 Shuggie Atins a une existence peu enviable. Obèse et solitaire, il vit aux côtés de deux individus détraqués. Sa mère, Glenda, est aussi belle et désirable que foncièrement déjantée, inconsciente du désir qu’elle peut susciter chez les mâles, et ayant une relation à la limite de la décence avec son rejeton. Son beau-père, Red, est un aviné, bagarreur, prompt à distribuer les coups, parlant comme un charretier, et usant de la minorité de son prétendu fils pour aller cambrioler des domiciles pour récupérer drogues et autres effets. Ce sera finalement l’arrivée d’un vieux beau dans une superbe Thunderbird qui viendra mettre le feu aux poudres.

    Daniel Woodrell a construit un roman noir dans la plus pure tradition, un véritable hymne à la littérature dans ce qu’elle peut avoir de plus sombre et toxique. D’entrée de jeu, la préface de l’immense Dennis Lehane donne le ton : il ne tarit pas d’éloges sur cet ouvrage, et il est vrai que ce dernier est un véritable bijou. Les personnages sont peu nombreux et s’encastrent à merveille dans la concision de ce livre qui ne compte qu’un peu moins de deux-cent-dix pages. On se prend immédiatement de sympathie pour Shug, enfant martyr, pris entre l’enclume d’un beau-père violent et vindicatif et le marteau d’une génitrice désœuvrée et aux élans érotiques déplacés. Il y a aussi Basil, au physique incongru et sbire débile de Red, sans compter des grands-parents tout aussi fissurés et un nouvel arrivant en ville, cuisinier de son état, dont les belles paroles et le comportement entreprenant vont emporter Glenda sur les voies de l’adultère. Des paroles de Daniel Woodrell et de son récit, on ne peut qu’être tourmenté, balayé par des émotions contraires, ballotté entre le mal-être et une certaine empathie pour l’adolescent. Des propos forts, acides, nimbés d’indéniables ténèbres. Des scènes extraordinaires, aussi empoisonnées qu’inattendues, comme la découverte du domicile maculé de sang par Shug, la scène de cambriolage avec une gouttière retorse, ou encore le moment dans la cuisine entre deux êtres dont l’un aura vu sa libido portée à blanc et l’autre désarçonné par la concupiscence qu’il suscite.

    Un livre assurément noir et aigre, affecté d’un épilogue sur lequel on n’a pas fini de réfléchir, et où se sont consumés bien des appétences et des espoirs, dont celui d’une enfance sanctifiée.

    21/01/2019 à 17:40 8

  • Stasi Block

    David Young

    9/10 Allemagne de l’Est, été 1975. Dans la ville de Halle-Neustadt, deux bébés jumeaux disparaissent : Karsten et Maddelena Salzmann, enlevés à l’hôpital. Si l’on retrouve rapidement le premier, mort, dans une valise, le second demeure introuvable. Karin Müller, lieutenant de la police d’Etat, mène l’enquête avec son équipe, remontant vers de terribles secrets du passé.

    Après Stasi Child, voici le second opus de la série centrée sur le personnage de Karin Müller. Extrêmement bien documenté, cet ouvrage séduit rapidement grâce à son contexte. David Young réussit à rendre immédiate l’ambiance si particulière de la RDA des années 1970. Plus particulièrement, la ville de Halle-Neustadt constitue en soi à la fois une curiosité et un personnage à part entière : une cité ubuesque censée être une vitrine du communisme triomphant, un dortoir dédaléen dont les rues ne portent pas de noms, si chérie des autorités est-allemandes qu’elle va recevoir sous peu un invité de marque, et à propos de laquelle il est plus que fortement conseillé de ne pas faire une mauvaise publicité. D’autre part, l’intrigue est riche, foisonnant de rebondissements et de flash-backs efficaces, prolongeant le mystère quant à ces kidnappings de bébés jusque dans les ultimes paragraphes. De terribles mystères remonteront alors à la surface, entremêlant tragédies familiales et secrets protégés par les hautes sphères du régime. Karin Müller est également une protagoniste singulière : entêtée, fine et vaillante, on apprend de nombreuses informations sur son passé dans cet opus, des éléments qui viendront d’ailleurs jouer un rôle important dans le récit. David Young dépeint une vision sombre et en partie désenchantée, qu’il s’agisse de la RDA, bien évidemment – délicieux mirage où l’Etat contrôle tout jusqu’à conserver des traces administratives d’une gamine osant se révolter contre le sort d’un des amis de son âge – mais aussi d’une société née des décombres brûlants de la Seconde Guerre mondiale.

    Un ouvrage remarquable, enténébré à l’envi, et dont les simples décor et contexte composent, au choix, une révélation ou un ensorcellement.

    21/01/2019 à 17:36 8

  • Black sect

    Hervé Hernu

    6/10 Jack Cope est un être détruit qui tente de se reconstruire. Son épouse a disparu, et Théo, son adolescent de fils, a un comportement de plus en plus distant et étrange. Dans le même temps, des adolescents portant un étrange tatouage se rendent coupable de tueries par armes à feu. Y aurait-il un lien entre ces deux affaires ?

    Hervé Hernu livre ici un roman très dynamique, dont les premières pages, vives, happent l’attention. Cet ouvrage, l’un des rares de chez Ravet-Anceau à se dérouler en dehors des Hauts-de-France (l’action se déroule ici à Oxford avant un périple final en France), distille tous les éléments susceptibles de rallier un large consensus de lecteurs : beaucoup d’action, du suspense, une secte mystérieuse, un gourou machiavélique, et une belle dose d’amour pour parachever l’ensemble. De son propre aveu fan de Mary Higgins Clark et d’Harlan Coben, Hervé Hernu a effectivement beaucoup lu ces maîtres du suspense, et l’on retrouve une histoire – celle concernant la femme de Jack – qui semble directement signée de l’auteur de Ne le dis à personne…. Celle concernant les massacres et la confrérie est plus originale, maintenant une tension remarquable de bout en bout : on n’essaiera même pas de comptabiliser le nombre de fusillades, de coups donnés, de fois où notre héros sombrera dans les vapes, sans parler des multiples rebondissements. Indéniablement, Hervé Hernu maîtrise son sujet, et, en bon rythmicien, imprime un tempo d’enfer à son récit. On regrette d’autant les invraisemblances – certes, souvent inhérentes à ce type de littérature – et autres événements téléphonés, les tics de langage répétés à outrance qui en viennent à agacer – tels « le doigt sur la gâchette » ou « l’instant d’après ».

    Un livre prenant et efficace, assurément, offrant une lecture distractive, auquel il manque d’un soupçon d’âme et de crédibilité. Mais il est toujours difficile de bouder son plaisir lorsque l’on a passé un tel bon moment.

    21/01/2019 à 17:32 3

  • L'Ombre

    Stephen Lloyd Jones

    8/10 Snowdonia, au Pays de Galles. Une famille fuit. Hannah, la mère, Nate, le père, et Leah. Une monstruosité, appelée Jakab, est à leurs trousses. Un tueur impitoyable, capable d’endosser bien des identités. Mais pour mieux comprendre cette cavale, il faut retourner dans le passé. Plus exactement, en 1873, en Hongrie.

    Voilà un roman singulier signé Stephen Lloyd Jones. Le rythme imprimé dès les premières pages est effréné, vif, incisif. On se demande immédiatement qui sont ces trois victimes, poursuivies par une entité qui semble auréolée de pouvoirs surnaturels, et dont la simple évocation du nom terrifie autant qu’elle implique de vérifier l’identité de chacun. L’auteur, par paliers, en suivant trois époques distinctes, nous fait peu à peu comprendre la genèse de Jakab, ses origines, qui il est et les raisons pour lesquelles il traque cette famille. L’écriture est remarquable, anxiogène à souhait, et l’on bascule progressivement vers un surnaturel traité avec intelligence. Il serait absurde de trop en dévoiler quant aux capacités si particulières du monstre, tout au plus peut-on évoquer une mythologie hongroise, une caste bien caractéristique, des amours éconduites et la lente constitution d’un être cruel et sanguinaire, dont la férocité et l’obstination n’empêchent nullement que l’on ne conçoive un peu d’empathie pour cet individu sentimentalement brisé. Stephen Lloyd Jones donne un ton original à son récit, ponctué de nombreuses scènes de paranoïa, de suspense et de non-dits conduisant à des moments de pure tension. Parallèlement, l’idée des époques relatées est intéressante et traitée avec subtilité, nous permettant de mieux comprendre les racines de cette exécration. Des instants forts – comme les ombres chinoises avec Lukacs ou le final dans le moulin périgourdin, contrastent avec des passages bien plus longs et bavards, certes utiles psychologiquement à l’étoffement des personnages, mais rompant souvent la vélocité et l’efficacité de l’ouvrage.

    Un thriller fantastique bien mené et fascinant, ponctué de nombreux passages mémorables alternant avec d’autres plus anecdotiques. Mais l’ensemble n’en demeure pas moins très bon.

    21/01/2019 à 17:28 4

  • La Fenêtre des Rouet

    Georges Simenon

    9/10 … ou les sombres tourments de Dominique Salès, qualifiée de « vieille fille » de quarante ans, qui passe son temps à observer son entourage, et plus précisément la famille des Rouet qui habite en face de chez elle. Dominique est une dame lambda, presque anodine, dont on apprend quelques pans du passé – notamment lorsqu’elle se souvient de son militaire de père et lors d’un deuil, plus vers la fin du livre, et dont la globalité de la vie est un vide, une vacuité existentielle qu’elle comble comme elle peut en scrutant les autres, ou avec le couple des Caille, ces jeunes gens à qui elle loue une partie de son appartement. Grâce à la plume toujours aussi féroce, acide et râclée jusqu’à l’os de Georges Simenon, c’est un immense spleen qui nous envahit, presque toxique, au gré de ces pages toutes en lenteur, voire en langueur, lorsque Dominique se rend lentement compte que tout ce qu’elle a vécu jusqu’à présent n’aura été qu’une immense désillusion. Quelques extraits que je trouve adéquats et symptomatiques : « Attentive à la vie d’un autre, Dominique en oubliait de respirer pour son propre compte », ou encore « Était-ce cela, la vie ? Un peu d’enfance inconsciente, une brève adolescence, puis le vide, un enchevêtrement de soucis, de tracas, de menus soins et déjà, à quarante ans, le sentiment de la vieillesse, d’une pente à descendre sans joie ? ». Inutile de le redire, mais le style ainsi que l’histoire se servent l’une l’autre, comme assez souvent chez Georges Simenon, l’écriture rêche et âpre, où chaque mot est compté, s’adossant à un récit désenchanté, et inversement. Il y a bien quelques menus éléments policiers (le coup du médicament dans le pot de fleurs ou les lettres envoyées par Dominique), mais ça reste un drame presque pur. Une réussite totale à mes yeux, du début à la fin (mémorable, achevant cette partition déchirante sur une ultime note mineure), et une véloce déchéance derrière la trompeuse torpeur de ces maux qui s’enchaînent à merveille.

    20/01/2019 à 18:28 6

  • Resident Evil - Marhawa Desire tome 1

    Capcom, Naoki Serizawa

    6/10 Un opus efficace, à l’esthétique et au graphisme qui tirent plus vers le jeu vidéo que le manga pur, selon moi. C’est efficace, explosif, presque cinématographique – avec une protagoniste très inspirée par Lara Croft, et je ne parle pas du clin d’œil avec ce portrait d’un personnage qui ressemble trait pour trait à Sean Connery, mais j’ai trouvé l’ensemble justement trop calibré. Des mercenaires indestructibles, des zombies trop semblables à ce que l’on lit ou voit ailleurs, en littérature ou au cinéma, etc. Ça se laisse lire avec plaisir, c’est très récréatif et distrayant, mais cela demeure trop téléphoné et attendu pour me faire totalement adhérer.

    20/01/2019 à 18:27 2

  • Le Cheval de discorde

    Craig Johnson

    8/10 Encore une belle nouvelle mettant en scène Walt Longmire, ici pour une disparition de cheval, surnommé « Le Cheval de discorde » car il constitue le lieu ambigu entre deux êtres autrefois mariés et désormais séparés, vivant leur divorce avec fracas. Une langue belle, des personnages assez nombreux pour si peu de pages, mais composés avec une réelle profondeur au point que chacun d’entre eux est immédiatement palpable et humain. Les scènes de chevaux m’ont laissé assez froid (c’est typiquement un spectacle culturel américain), mais c’est toujours aussi bien écrit, te cela m’a permis de découvrir des compétitions traditionnelles que je ne connaissais pas. Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est le jeu entre Walt et sa fille, avec ce compte qui, à sa façon, maintient le suspense et s’achève dans les ultimes lignes. Au final, une intrigue fluette, mais c’est surtout l’occasion de retrouver des protagonistes très agréables et denses, au point que ce court instant de lecture me fait penser à une rencontre – brève mais jouissive – comme on retrouverait, au détour d’une rue, des amis que l’on n’avait pas vus depuis (trop) longtemps.

    20/01/2019 à 18:26 4

  • Les Morsures du froid

    Thomas O'Malley, Douglas Graham Purdy

    9/10 L’hiver 1951 fait subir à Boston l’une de ses pires périodes de froid. C’est dans ces conditions que l’on retrouve le corps d’une femme nue, qui a été torturée. Il s’agit de la dernière victime du tueur en série que l’on a surnommé « Le Boucher ». Elle est également la sœur de l’épouse défunte de Dante Cooper. Ce dernier fait appel à son vieil ami, Cal O’Brien, et tous deux vont mener leur enquête.

    Ce premier roman de Thomas O’Malley et Douglas Graham Purdy frappe fort. Leur écriture est riche, travaillée, mettant en scène les lieux et les psychologies avec une maîtrise rare. Les personnages principaux sont particulièrement réussis. Dante Cooper, ancien pianiste, junkie invétéré, ayant couché aux côtés du cadavre de son épouse pendant plusieurs jours, et devenu une véritable épave humaine. Cal O’Brien, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, encore blessé à la jambe suite à un épisode sur lequel il préfère ne pas s’étendre, tentant avec sa femme Lynne de remonter à la surface. Des êtres denses, vivants et plausibles, aux comportements et aux introspections très réussis. Dans le même temps, la cité de Boston est décrite avec une telle maestria qu’elle devient un personnage à part entière. L’intrigue est très bien construite, mélangeant habilement tueur en série, malversations politiques, corruptions, magouilles immobilières, luttes de clans. Même si certaines ficelles ne surprendront guère les vieux habitués des polars, qu’ils soient littéraires ou cinématographiques, Thomas O’Malley et Douglas Graham Purdy rentrent avec grand talent dans la cour des écrivains majeurs, non loin de James Ellroy et Dennis Lehane. Un ouvrage où l’émotion pénètre les chairs, et ce jusque dans les ultimes chapitres. On pourra retrouver Cal et Dante dans Les Brûlures de la ville. Un rendez-vous à ne pas manquer !

    07/01/2019 à 18:22 4

  • Hemlock Grove

    Brian McGreevy

    8/10 Hemlock Grove, une ville de Pennsylvanie modelée par un passé sidérurgique. Le cadavre d’une jeune femme vient d’être retrouvé, tellement amoché que l’on en vient à penser à l’œuvre d’une bête sauvage. Dans le même temps, deux adolescents vont se rencontrer. Peter Rumancek, un Gitan nouvellement arrivé dans les parages avec sa famille, et Roman Godfrey, dont la famille a contrôlé la métallurgie locale. Un duo improbable de jeunes hommes, qui va lentement remonter la piste du vargulf, ce loup mythique qui tue sans pour autant avoir faim.

    Voilà un roman qui revisite habilement le thème du loup-garou. Une simple relecture ? Non, assurément pas : il lui donne même un sacré coup de fouet. On se laisse immédiatement emporter par l’écriture de Brian McGreevy, jeune auteur très talentueux. Ses mots sont durs, raboteux et poétiques, acerbes, souvent teintés d’un humour noir, de passages assez crus quant au sexe, et de réflexions philosophiques voire métaphysiques. Les personnages qu’il met en scène détonnent dans la littérature consacrée à la lycanthropie. Roman, héritier d’un empire industriel, dont les autres membres de la famille dissimulent également de nombreuses zones d’ombre, se scarifie, est doué d’un pouvoir de persuasion radical et irrationnel sur ses congénères, et aime céder à la tentation de la chair. Peter peut se transformer en loup, en descendant d’une longue et étrange lignée d’individus influencés par les croyances bohémienne et également hindoue. Entre eux deux va naître une phénoménale histoire d’amitié, mais également une découverte réciproque de leurs univers respectifs tandis que seront mis à jour de sidérants secrets de famille. Il y a également d’autres protagonistes dans cette intrigue, plus en arrière-plan, comme Shelley, la sœur de Roman, immense jeune fille grande comme un titan et au visage déformé, et bien d’autres encore, qui auront tous leur rôle à jouer dans ce livre. Cependant, on se gardera bien d’aller au-delà pour ne rien déflorer. Car, s’il y a bien un aspect qu’il faut retenir de cet ouvrage de Brian McGreevy, c’est son côté explosif. Non seulement il emprunte les codes classiques du loup-garou, mais il se permet également de les faire sauter au gré de saynètes hallucinantes, de digressions pertinentes, et de moments particulièrement farouches.

    Bien évidemment, il faudra apprécier ce type d’histoire pour totalement être conquis. Néanmoins, l’écrivain y incorpore une telle fougue et un côté policier mâtiné de fantastique qu’il est bien difficile de résister à cet envoûtement, ou plus exactement, à sa morsure.

    07/01/2019 à 18:17 8

  • Enterrées vivantes

    Arno Strobel

    7/10 Eva devient folle. Elle se voit à de multiples reprises enfermée dans un cercueil. Mais au réveil, elle devine sans mal des ecchymoses sur son corps, comme si elle avait véritablement tenté de s’échapper de cette prison miniature. Et lorsqu’un tueur commence à sévir, narguant la police, et que sa première victime n’est autre que la demi-sœur d’Eva, le piège semble se refermer sur la jeune femme.

    Arno Strobel signe ici un roman qui happe immédiatement le lecteur. Tout est – habilement – fait pour désarçonner le lecteur. Une femme qui chavire dans l’aliénation, de nombreux personnages qui semblent cacher des secrets (le compagnon de la victime, le psychiatre qui traite Eva, l’homme qui gère la compagnie dont a hérité Eva, etc.), et de multiples fausses pistes jusqu’au dénouement. L’auteur emploie une langue singulièrement simple qui sert le récit et en rend la lecture véloce, mais sa chétivité finit parfois par rendre le texte bien maigre. On aurait probablement préféré davantage de densité, de dimension et de style, et ce choix de l’efficacité finit par conférer au roman des allures de squelette uniquement articulé autour de l’intrigue, sans l’épaisseur de bons mots, de belles formules ou de considérations psychologiques. Parallèlement, l’histoire est très bien troussée, débouchant sur une solution brillante, certes peu novatrice, mais qui correspond parfaitement aux attentes du lectorat : il y sera question de famille, de passé refoulé et d’une manipulation à la fois crédible et effrayante.

    Un roman à suspense très percutant, dont on appréciera avec gourmandise la construction et le dénouement, mais moins le dénuement de la langue utilisée.

    07/01/2019 à 18:11 4

  • Blacklight

    Denis Albot

    7/10 Stéphane, policier, a décidé de sauter le pas : il va se faire tatouer. Une peinture gigantesque où toute sa vie sera résumée. En discutant avec Eric, son tatoueur, il apprend que trois autres professionnels pratiquant cette activité artistique sont décédés. Il n’en faut pas moins à Stéphane pour enquêter.

    Denis Albot signe ici un polar réjouissant. Stéphane n’est pas le prototype du flic que l’on rencontre fréquemment. Son existence est une suite de fractures et autres traumas : sa mère est morte lors de l’attentat de la rue des Rosiers, son père a été emporté par un cancer, et il en a sacrément bavé lors de son service militaire ; des épisodes narrés avec justesse et simplicité au cours du récit, et qui permettent d’en savoir plus sur ce protagoniste. Un personnage d’ailleurs étonnant, dont on ne connaît la mission originelle qu’à la fin du livre, lorsqu’est narrée sa rencontre avec le chef du cabinet du ministre de l’Intérieur. Un être capable d’une grande douceur dès lors qu’il s’amourache, comme de grandes colères, à même de mobiliser d’obscures forces du renseignement pour obtenir, par exemple, le service d’un satellite. L’intrigue est intéressante, nous faisant plonger dans le monde des tatoueurs, et préserve des rebondissements prenants, pour une traque qui s’achèvera aux Etats-Unis.

    Un bon petit polar, sans esbrouffe ni effets faciles, et qui remplit amplement la mission qu’il s’était fixée : offrir à son lectorat un agréable moment de détente.

    07/01/2019 à 18:09 3

  • La Folle de Maigret

    Georges Simenon

    7/10 Léontine Antoine de Caramé, brave dame âgée aux yeux magnétiques, vient prudemment à Maigret pour lui confier que des bibelots sont déplacés dans son appartement en son absence. Le commissaire traîne un peu à intervenir, la croyant folle ou à moitié folle, et Léontine est retrouvée chez elle, étouffée. Il s’intéresse alors à la nièce de la défunte. Encore une fois, c’est un Simenon prenant. Un texte sec, raclé jusqu’à l’os, en cent quatre-vingts pages environ, et où les dialogues sont particulièrement nombreux. Des études psychologiques fines et acides, notamment concernant Angèle Louette, la nièce de Léontine, à la fois hommasse et brute, mais dont le final révèle des attraits moraux inattendus. Maigret s’y montre touchant quand il s’en veut de la mort de la vieille dame qu’il n’a pas pu ou essayé d’empêcher, devant enquêter à Paris ainsi qu’à Toulon auprès d’un ancien baron, et très tendre avec son épouse. L’épilogue et le dénouement sont absolument imprévisibles, car ils font intervenir un élément rare et surprenant, ce qui a le mérite de désarçonner le lecteur tout en le flouant peut-être en partie, dans la mesure où cet élément arrive un peu trop à mes yeux comme un « Deux Ex Machina », même s’il se révèle intéressant et roué. Probablement pas le meilleur Maigret à mes yeux, mais il se montre efficace et étonnant.

    06/01/2019 à 18:25 2

  • Btooom ! tome 1

    Junya Inoue

    6/10 Le jeune Ryota Sakamoto est un pur geek, actuellement dixième meilleur joueur mondial au jeu vidéo « Btooom ! » où le but est de combattre des adversaires en ligne à l’aide de petites bombes. Sauf qu’il se retrouve, du jour au lendemain, sur une île inconnue avec une cartouchière contenant des cubes explosifs. Evidemment, il va devoir survivre. Et si les graphismes sont sympathiques et l’histoire agréable à lire, il n’y a là rien de révolutionnaire. On y retrouve quelques-uns des poncifs du genre (la belle naïade, le jeune geek déboussolé mais qui va progressivement prendre le dessus, un pépère rondouillard dépassé par la situation – du moins en apparence, etc.), et l’inévitable dilemme moral, à savoir participer aux combats pour espérer s’en sortir ou refuser de combattre pour garder son humanité, quitte à mourir. Bref, rien de bien extraordinaire ni dans le fond ni dans la forme, mais un style fluide pour un manga vite lu et distrayant.

    06/01/2019 à 18:23 2

  • Les Contes de Beedle le Barde

    J. K. Rowling

    6/10 J’ai bien aimé ces cinq contes. Même si je suis peu réceptif à la saga Harry Potter, cette immersion, courte et amusante, dans l’univers de J. K. Rowling m’a fait passer un court et agréable moment. Franchement rien de très novateur dans le fond ou dans la forme, rien de mémorable, mais quelques histoires joliment tournées, notamment « Le Conte des trois frères ». En revanche, et peut-être est-ce parce que je ne suis pas un Poudlardophile, j’ai été totalement étanche aux commentaires, explications et autres références présents après chaque histoire.

    06/01/2019 à 18:22 1

  • Peace Maker tome 3

    Ryoji Minagawa

    7/10 Nos amis, qui accompagnent Hope Emerson à la recherche de son frère arrivent cette fois-ci à Iconoclast, une ville réputée pour sa violence. Mais en réalité, c’est plutôt son côté babylonien qui frappe : des tueurs comme des duellistes, des brigands et des héros s’y côtoient, y jouant librement des armes comme ils l’entendent, sans véritables règles. Une femme règne sur la ville : Conny Levin, une incroyable criminelle particulièrement véloce et capable de dégainer son fusil comme elle le ferait d’un revolver. Encore une fois, les graphismes font mouche, l’action ne manque pas, et la confrontation avec Conny Levin est intéressante. Mais j’ai regretté que l’on se soit éloigné, dans cet opus, du côté purement « duels » qui était si présent dans les précédents. Là, beaucoup de fusillades (presque trop), au point de perdre en lisibilité pour n’offrir que cette interminable succession de bastons.

    06/01/2019 à 18:21

  • Des Savons pour la vie

    Harry Crews

    6/10 Hickum Looney mène une vie étrange. Représentant en savons, cela fait un quart de siècle qu’il travaille pour la boîte « Des savons pour la vie ». Il a beau, chaque année, tenter de remporter le titre de meilleur vendeur, toujours détenu par « Le Chef » avec neuf carnets à souche, c’est à chaque fois un échec. Mais le hasard veut qu’il fasse la rencontre d’Ida Mae, une personne abracadabrantesque qui va permettre à Hickum de vendre ses marchandises à d’autres personnes, jusqu’à écouler douze carnets de savons. Mais, contrairement à ce qu’il avait prévu, ces placements exceptionnels vont le mener tout droit à sa propre perte.

    On ne présente plus Harry Crews. Auteur excentrique d’ouvrages cocasses, celui-ci ne déroge pas à la règle. Les personnages que l’on y découvre sont à cet égard patents, déjantés, martyrisés par leur physique contrefait ou leur passé traumatisant. « Le Chef » de l’entreprise, nabot vibrionnant handicapé par un bec-de-lièvre, auteur du « Manuel de vente » contenant des trésors de méthodes pour persuader les acheteurs, qui se révèle être à la fois un histrion remarquable en plus d’un véritable Sun-Tzu du commerce. Hickum Looney, loser sympathique et maladroit comme ça n’est guère permis avec les femmes, dont la performance marchande va être à l’origine de sa déchéance. Gaye Nell, magnifique femme à la poitrine non moins magnifique, affublée d’un pitbull, Bubba, affamé en permanence. Ce serait d’ailleurs gâcher le plaisir du lecteur que de dévoiler les diverses péripéties de ces protagonistes, les interactions entre eux, et la cascade d’événements grotesques et insensés qui va leur tomber sur le coin de la figure. L’écrivain maîtrise l’art de la narration et de l’humour, tant dans les situations que les dialogues. L’aspect policier n’est cependant guère marqué, contrairement à des pépites comme La Foire aux serpents ou Le Chanteur de gospel. Mais par la suite, le récit s’effiloche. L’auteur aura tissé sa trame de façon très drue et acide dans la première moitié du livre, les chapitres ultérieurs sont assez décevants. Harry Crews continue de mener ses protagonistes comme de délicieuses marionnettes dans un spectacle extravagant, mais le souffle s’atténue, les rebondissements s’épuisent, et certains passages ne sont guère passionnants. Reste la surprise finale, aimable twist inattendu, où les apparences se seront montrées fort trompeuses, à l’image de ce feu de cheminée si symbolique qui « était en fait un faux, seulement de la lumière colorée ».

    Un joli feu d’artifice burlesque, satire de la société de consommation comme de l’univers mercantile, mais qui se consume trop rapidement et auquel il manque un bouquet final digne de ce nom.

    18/12/2018 à 19:59 5

  • Colorado Kid

    Stephen King

    7/10 Moose-Lookit, une petite île au large du Maine. Il y a vingt-cinq ans, un inconnu a été retrouvé mort sur la plage. Peu d’indices, au point que ce cas est demeuré lettre morte. Mais aujourd’hui, les deux journalistes qui avaient enquêté en parlent à une jeune collègue, Stephanie McCann. Une plongée dans le passé autant que dans une véritable mer de mystères.

    Stephen King, l’un des plus grands romanciers de tous les temps, signait en 2005 ce roman atypique, qui rompt particulièrement avec le reste de sa bibliographie. Un ouvrage purement policier, qui emprunte beaucoup à Graham Greene, Dashiell Hammett et Dan James Marlowe auquel le livre est d’ailleurs dédié. Une ambiance de pur polar, très procédural, où les indices sont exploités à fond, les pistes creusées, les hypothèses bâties sur des éléments concrets. Un décryptage de longue haleine, plausible et réaliste, grâce aux témoignages conjoints des deux reporters, fort âgés au moment de cette confession, à savoir Dave Bowie et Vince Teague. Des personnes bien abimées par le temps, mais qui n’ont rien perdu de leur verve, de leur espièglerie, et dont la mémoire demeure intacte quant aux tenants et aboutissants de leur ancienne investigation. Les moindres détails sont alors réétudiés et explicités auprès de leur si jeune confrère, Stephanie : l’identité de la victime, son emploi du temps, les vêtements de la victime, et les raisons pour lesquelles il a filé à toute allure du Colorado au Maine. Sans compter ces éléments anodins mais qui pourraient fort bien permettre de tout comprendre, comme ce morceau de steak resté dans sa gorge, sa position étrange contre la poubelle de la plage, ce paquet de cigarette ou cette pièce de monnaie russe. Indéniablement, Stephen King a quitté sa zone de confort pour fouler les terres du roman policier, et l’on ne peut que louer cet exercice. Et c’est surtout la fin qui risque de désarçonner le lectorat. Comme il l’explique dans sa postface, cet aspect ouvert, irrésolu, sans aucune conclusion affirmée, va décevoir, voire léser bien des attentes Mais il explique, avec l’habilité qu’on lui connaît, que c’est moins la résolution qui l’intéressait que la restitution pointilleuse de ces multiples énigmes qui constituait tout l’enjeu de cet ouvrage. D’ailleurs, on s’attend à cet épilogue nébuleux, puisque le duo de journalistes explique à Stephanie qu’une bonne histoire journalistique a nécessairement un début, un milieu et une fin, et que c’est justement l’absence de cette fin établie qui a empêché la parution d’un article digne de ce nom. Chaque lecteur aura donc le loisir de construire sa propre résolution, lors de ce dénouement qui n’en est assurément pas un, mais plutôt une sorte de transmission littéraire de témoin, où c’est alors à chacun de devenir acteur de cette histoire.

    18/12/2018 à 19:52 6

  • Dans les griffes de la Mafia

    Nicolas Trenti

    9/10 Autant j’avais été très déçu par un précédent Escape Game (« Le Piège de Moriarty »), autant celui-ci m’a vraiment emballé, et cela n’a bien évidemment strictement rien à voir avec l’identité de son auteur. J’ai, en effet, trouvé ici une véritable interactivité avec le livre, très chouettement imaginé, bâti et illustré, avec un nombre suffisant d’énigmes et de pistes à exploiter pour s’occuper une heure, voire plus. Car maintenant que j’ai bouclé le périple, je vais me relancer dedans pour en saisir les chemins alternatifs et autres éléments qui m’ont échappé. Sincèrement, beaucoup de devinettes, de possibilités, et même des choix absurdes dans lesquels je me suis lancé, juste pour les tester et voir s’ils avaient été envisagés par son auteur (les choix « VOPI » et « TOCE », par exemple, et plus exactement les résultats obtenus, m’ont bien fait rire). Et c’est ça qui est vraiment génial avec ce livre-jeu : son champ des possibles. Même avec, finalement, assez peu de pages et d’éléments en main, il y a largement de quoi s’occuper grâce aux divers outils, actions et interactions envisageable, mêmes les plus folles et les plus idiotes. J’ai vraiment passé un excellent moment, tout autant de lecture que de réflexion, et je vais tâcher de soumettre ce livre à mes élèves collégiens pour voir leur façon de se dépatouiller avec les problèmes, comment ils vont appréhender les règles (les combinaisons notamment), et voir s’ils parviennent à s’immerger dans cet univers ludique et de raisonnements. A titre personnel, je n’ai pas obtenu les cinq étoiles (saletés de clefs que j’ai mal utilisées au départ, et saletés de panneau électrique qui m’a résisté). Il me reste également à voir la version numérique de ce livre-jeu. Vraiment, une réussite totale pour un concept très bien pensé, huilé et prenant !

    16/12/2018 à 18:29 7

  • Le Haut Mal

    Georges Simenon

    8/10 … ou comment la mort presque anodine d’un homme, tombé d’un grenier alors qu’il était dans une crise d’épilepsie (surnommée « le haut mal ») plonge dans une série de rebondissements dramatiques des familles et toute une communauté. Comme toujours chez Georges Simenon, une écriture où la concision le dispute à une insondable acidité, avec ces nombreux seaux de vitriol balancés à la face d’une société figée et bienpensante. Tout le monde en prend pour son grade : la famille du défunt, avec un père détruit par le deuil, soucieux de récupérer l’exploitation agricole à tout prix, prompt à étaler son argent tout autant que de se saouler. Mais c’est surtout la famille Pontreau, la belle-famille (d’ailleurs tout sauf « belle »), qui est maltraitée par les descriptions acerbes de l’auteur. La mère est un véritable suzerain régnant sur sa progéniture avec une main de fer, dans un système matriarcal sans la moindre faille, tandis que ses filles sont reléguées au rang de pâles sujettes. De cet accident, des drames surviendront, comme la mort d’un enfant écrasé, une jeune femme qui finira par briser le carcan familial et voler de ses propres ailes malgré les pressions, et toute une communauté sclérosée être secouée par les rumeurs, la vindicte publique et autres bêlements de la foule. On retiendra de nombreux passages pittoresques, comme le marché que fait la mère Pontreau, ou encore la scène du cortège funèbre et des funérailles. Et l’aspect policier réapparaît au beau milieu du livre (page 101 dans l’édition que j’ai eue entre les mains), avec un rebondissement intéressant entraînant toute une série de chantages, tensions et autres germes de catastrophes à venir. Le roman se clôt sur une scène très sobre, plusieurs années après le cœur de l’intrigue, et envoie, en quelques paragraphes, en quelques phrases, une vision désespérée du monde tel que le voit Georges Simenon, où se disloque la structure familiale. A mi-chemin entre le roman policier noir et la littérature blanche quoique sacrément noire tout court, une nouvelle pépite, moins connue que les autres peut-être, à extraire de la bibliographie abondante de cet immense écrivain.

    16/12/2018 à 18:26 4