El Marco Modérateur

3257 votes

  • Mandoline vs Néandertal

    Jean-Christophe Macquet

    8/10 Alors qu’il se rend dans le pays toulousain pour le mariage d’une lointaine parente, Luc Mandoline, alias l’Embaumeur, tombe rapidement sous le charme de Laura, une belle archéologue. Défenseuse de la cause de l’homme de Néandertal, selon elle bien loin des clichés rétrogrades qui collent à cet homme préhistorique, elle ensorcelle Luc par son opiniâtreté et son intelligence. Dans le même temps, l’ex légionnaire fait la connaissance de Jurgen Haas, un ancien compagnon d’armes, qui disparaît peu de temps après. Parce qu’on ne laisse jamais tomber un camarade, l’Embaumeur va se lancer dans une enquête tumultueuse.

    Ce onzième opus de la série consacrée à l’Embaumeur constitue un petit festin littéraire. Il est très intéressant de voir Luc Mandoline tomber éperdument amoureux de Laura, perdre pied, au point de complètement disparaître aux yeux de son compagnon Sullivan Mermet. Jean-Christophe Macquet donne à notre Embaumeur une épaisseur émotionnelle assez rare. De même, le lecteur pourra être, dans un premier temps, surpris par la manière dont le récit est mené. Le protagoniste y emploie beaucoup moins – voire pas du tout – la force, et l’intrigue semble mettre du temps à se lancer. Néanmoins, l’auteur nous régale par la suite avec des pistes qui finissent par se nouer pour créer une histoire particulièrement sombre et mordante. L'Homme de Cro-Magnon et celui de Néandertal ressuscitent presque, au gré d’un scénario où se mêlent des hommes politiques frontistes, un village martyrisé et cagots. Un puzzle qui, une fois toutes les pièces rassemblées, forme un récit glauque et sanglant, à la fois original et diablement efficace. Quelques touches d’humour émergent, comme ce clin d’œil où Jean-Christophe Macquet prête à deux anciens militaires les patronymes de Maxime Gillio et Claude Vasseur, eux-mêmes ayant écrit chacun un épisode de la série. Et que dire de l’ultime rebondissement ! Un événement inattendu, laissant le lecteur imaginer sa propre fin de l’histoire, mettant fin de manière audacieuse à un ouvrage très efficace.

    18/09/2017 à 18:51 7

  • Nuit de fureur

    Jim Thompson

    8/10 Car Bigelow, également connu sous le sobriquet de Little Bigger. Profession : tueur à gages. Signes particuliers : fait physiquement bien moins que ses trente ans, est presque aveugle, mesure un mètre cinquante, a des dents artificielles, et est atteint de la tuberculose. Sa dernière mission en date : assassiner, sans attirer l’attention, un indicateur qui va bientôt témoigner à un procès. Le plus simple semble être d’intégrer la pension de Peardale, que tient sa future victime, afin de commettre son forfait en toute quiétude. Mais sur place, l’attendent l’épouse de la balance ainsi que Ruth, jeune fille estropiée. Et ça ne constitue que le début des embêtements.

    De Jim Thompson, quasiment tout le monde connaît Le Démon dans ma peau ou encore 1275 âmes. Cet écrivain américain est l’un de ceux dont on continue de prononcer le nom avec déférence, même près de quarante ans après son décès. Ici, on retrouve une belle part des qualités et obsessions de l’auteur, mais avec une noirceur encore plus prononcée, comme s’il avait passé au tamis ses idées et mots pour n’en garder que les plus ténébreux. Cela commence avec un (anti)héros, tueur décomplexé qui s’apprête à remplir son contrat et finit par tomber, d’une certaine manière, sous la coupe de deux femmes, dont l’une est un peu son écho physique féminin. Ici, tout y est souillé, immoral, à la limite du grotesque. Ça boit, ça fume, ça tire des plans sur la comète en se promettant de grandes virées une fois la mission – rien de moins que l’homicide d’un être humain – réalisée. Et, à défaut de la moindre action tout au long de ce récit, on finit par se complaire dans cette fange fétide, peuplée également de personnages retors et inquiétants comme Le Patron, commanditaire de Carl, ou La Gnôle, sous-fifre en mal de reconnaissance. Et ce presque huis clos entre gens de fort mauvaise compagnie s’achève, comme il se doit dans tout roman noir, par une rédemption ou une déchéance. Ici, ça sera la chute. Brutale. À coups de hache. Dans la claustration d’une trappe. Tandis que des chèvres hurlent. Il y a parfois des épilogues si emportés et criards qu’ils parviennent, en quelques pages, à pallier de longs instants en apparence lénitifs et muets, alors que la violence s’exprime parfois ainsi, par des berceuses captieuses et des silences sournois. Assurément, celui de cet ouvrage en constitue l’un des plus vibrants exemples.

    Certains romans ne cherchent pas nécessairement à séduire. Ils produisent leur matériau brut, mal taillé et volontairement rêche, à la face du lecteur, non par arrogance ou paresse mais pour mieux mettre en exergue les affres de l’âme humaine et les hantises de son auteur. C’en est ici le cas typique avec cette œuvre plutôt méconnue de Jim Thompson. Le noir s’y fait couleur, avec ses nuances de désespoir et de finitude, au sens très large du terme. Probablement pas l’œuvre la plus accessible de Jim Thompson, et c’est peut-être en cela qu’elle en devient fondamentale.

    12/02/2017 à 08:50 7

  • Proies

    Andrée A. Michaud

    8/10 Tout laissait augurer un bel événement. Judith, Abigail et Alexandre sont partis en forêt pour y camper. Le long de la rivière Brûlée, la saison est agréable, les amis s’entendent à merveille et leur paquetage est complet. Mais un drame survient : un inconnu armé d’un fusil calibre .308 se manifeste, prend presque comme un jeu d’effaroucher les adolescents, jusqu’à ce que la plaisanterie prenne une tournure sanglante : un mort, un survivant et un disparu. A Rivière-Brûlée, le village adjacent, l’ambiance était festive pour la fête agricole annuelle, et rien ne pouvait laisser penser que l’excursion de ces trois jeunes gens aboutirait à la confusion, la peur, le sang et la mort. Et il ne faut désormais que peu de choses pour que la petite communauté n’implose.

    Andrée A. Michaud nous avait déjà régalés avec Lazy Bird, Rivière tremblante ou Bondrée, et elle nous revient avec ce roman noir d’une excellente tenue. Son style étonne et séduit très rapidement : les québécismes abondent tandis que le discours indirect libre est exploité à foison. Dans le même temps, l’écrivaine plonge le lecteur dans le drame dès les premières pages. Néanmoins, à la lecture du résumé de l’éditeur, on pourrait penser à une variation sur le thème développé dans le livre Délivrance de James Dickey, ce qui serait faux : il s’agit moins de la survie d’individus plongés dans une Nature hostile – même si cet élément fait partie du récit – que d’une analyse simple et hautement crédible des secousses qui agitent la communauté humaine dont ils sont issus. Avec des mots élémentaires quoique ciselés, Andrée A. Michaud nous montre à voir les réactions chez les habitants, des membres de la famille endeuillée aux proches de l’ado qui a disparu, sans oublier deux personnages ayant pris part à la tragédie, à savoir Gerry Nantel et Shooter Gobeil. Les sentiments humains sont parfaitement rendus, des attitudes poignantes aux émotions contradictoires, et l’auteure, avec une belle économie de moyens qui n’affaiblit nullement ce large panel de désarrois, nous narre finalement la désagrégation d’une microsociété et le poids effrayant de la culpabilité individuelle. C’est à la fois étourdissant et évident, simple et savamment construit, effarant et somme toute si rationnel.

    Un roman noir vraiment très bon, gorgé des errements, des fragilités et des bassesses des hommes ici dépeints. Une fresque – jamais caricaturale – de ce que nous sommes, sans artifice ni mystification.

    01/02/2024 à 06:57 7

  • Quand sort la recluse

    Fred Vargas

    8/10 … ou comment le commissaire Adamsberg, par une indiscrétion en regardant l’écran de l’ordinateur de l’un de ses adjoints, en vient à enquêter sur la mort de vieillards dans le Sud de la France, décédés suite à la morsure d’araignées, les recluses. Pour ma part, cela faisait un bail que je n’avais pas lu d’ouvrages de Fred Vargas, et la diffusion de l’adaptation télévisée de cet opus m’a poussé à faire grimper ce roman tout en haut de ma PAL. J’y ai retrouvé l’univers « vargassien » tel que je l’avais encore en tête : des dialogues agréables et ciselés, des personnages denses, et toujours ce goût pour une écriture et un récit qui prend son temps, en père peinard, ce qui permet au lectorat de savourer la gouaille de l’écrivaine et son appétit pour les protagonistes « normaux », ce que j’entends non pas par « communs » ou « banals », mais « crédibles », à des années-lumière des héros de blockbusters littéraires et autres pétarades américaines. Pas mal d’humour et de décontraction dans les liens entre nos policiers, même si (et j’ai dû rater trop de wagonnets pour ne découvrir que maintenant la transformation du bon Danglard en calculateur, craignant une propre faille dans sa famille, au point d’obliger Adamsberg à jouer des poings avec lui). J’ai d’ailleurs beaucoup aimé la plaisanterie – un peu private joke, mais comment ne pas l’avoir vue ou comprise ? – quand Danglard est interrogé à propos de Magellan quand l’acteur qui l’incarne, Jacques Spiesser, joue dans une série du même nom. Il y a également une immense gravité dans l’intrigue, sombre et cruelle, et si la première moitié est bien menée, j’étais dubitatif quant à la suite, sachant que ce n’est pas en soi une histoire farouchement originale. Mais l’autre moitié du roman m’a redonné un coup de fouet, avec ce fragment du passé d’Adamsberg qu’il revoit, et donc cette piste sur laquelle il se lance, bien plus singulière à mes yeux, et où l’on va, à la manière de Mathias sur le terrain à fouiller, découvrir plusieurs strates d’horreur dans ce fait divers, hélas plausible et d’un puissant impact évocateur. De l’humanité aussi, notamment dans les derniers chapitres, dans le lien entre notre commissaire et le tueur, avec une immense symbolique quant à la prison. Même si, à tête reposée, je suis sceptique quant au stratagème employé par l’exterminateur – le « crachat tombé du ciel », beaucoup trop capillotracté - j’ai vraiment beaucoup aimé cet opus malgré quelques bavardages et autres circonvolutions inutiles selon moi, mais on est chez Fred Vargas, et chez personne d’autre, ceci expliquant cette patte narrative.

    22/04/2019 à 18:39 7

  • Que ta volonté soit faite

    Maxime Chattam

    8/10 J’ai beaucoup apprécié ce roman et le fait qu’il soit vraiment différent des autres livres de Maxime Chattam y est certainement pour beaucoup. L’ambiance est très réussie, au milieu de ces rednecks perclus de religion, et c’est avec régal et un certain malaise, voire un malaise certain, que j’ai vu pousser cette monstrueuse plante qu’est Jon Petersen. Rien d’atypique dans la genèse de ce démon, reconnaissons-le, mais en utilisant les bons ingrédients, la juste recette et l’adéquat tournemain, l’auteur rend cette conception prenante. Des mots très bien choisis, une écriture fluide et un rythme efficace, loin des tournures souvent ampoulées et un peu creuses que j’ai pu reprocher à l’écrivain dans d’autres opus. Un coup de cœur particulier pour le shérif Jarvis, si réussi, à la fois opiniâtre sans jamais tomber dans le cliché du policier intraitable, brillantissime et surhumain. Quant à la fin, parfois décriée, je l’ai clairement aimée. A défaut d’être très réglementaire ou acceptable de tous, chez moi, elle a vraiment fonctionné. Bref, une très agréable respiration à mon sens dans la bibliographie du monsieur, et une véritable réussite littéraire et scénaristique qui me donne envie de retrouver les rivages de Maxime Chattam que j’ai un peu délaissés depuis quelques temps.

    04/12/2017 à 17:15 7

  • Sous l'aile du corbeau

    Trevor Ferguson

    8/10 Cela fait dix-sept ans que la jeune Gail Duff est morte dans des circonstances floues. Gail était la seule représentante de la gent féminine de la lignée des Duff, des êtres que l’on présente, au choix, comme de dangereux et inquiétants personnages ou comme des arriérés profonds. C’est aussi dix-sept ans plus tard que revient Morgan, frère de Gail. Mais ce retour va s’accompagner de nombreuses violences dont deux individus vont être les victimes : David Marifield, médecin, et Henry Scowcroft.

    Trevor Ferguson signe ici un roman noir. Très noir. On est saisi, dès le premier chapitre, par son style si particulier : des phrases hachées, des paragraphes longs, très peu de dialogues, et, paradoxalement, des passages particulièrement travaillés. Certains lecteurs se perdront d’ailleurs dans ce maquis narratif, peuplé de curieuses assertions, d’hallucinations vécues éveillées, et autres digressions qui déstructurent le récit. Ceci n’est bien entendu pas un défaut dans la technique d’écriture de Trevor Ferguson ou la marque d’un désordre dans son récit, mais plutôt une manière, dense et chaotique, de faire écho à une histoire complexe et douloureuse. On se familiarise avec les protagonistes assez rapidement, tout en se laissant bercer par les descriptions de l’auteur quant à la nature de cette contrée esseulée de la Colombie Britannique, sur l’île de Skincuttle. Une ode particulièrement poétique à sa faune et à sa flore, jamais gratuite ni stérile, et où flotte encore le parfum entêtant du passé. Et de la mort. Car c’est au terme de cet opus, lourd et sombre, que jaillira enfin la vérité quant à la mort de Gail. Une véritable horreur, ignominieuse, dont la révélation éclaboussera tripes et âmes des personnages comme du lecteur.

    Un ouvrage dense et troublé, qui ne se donne pas mais se mérite. Il ne ressemble à aucun autre et, en retour des efforts fournis par le lecteur, le récompensera au centuple par ce festin de maux et de tourments. Une littérature âpre et exigeante.

    15/10/2020 à 09:39 7

  • Sous terre, personne ne vous entend crier

    Gilbert Gallerne

    8/10 L’interpellation d’un bandit surnommé « Le Serbe » tourne au désastre, et le commissaire Lionel Jonzac sait qu’il va s’en prendre plein la tête par sa hiérarchie. Mais une nouvelle bien plus tragique vient effacer la première : on vient de retrouver le cadavre de sa nièce dans les catacombes de Paris. Tuée, avec sur le corps d’étranges traces de morsures. Un duel sanglant entre les deux hommes commence, d’autant que le tueur en série qui rôde dans les souterrains de la capitale semble en avoir après le policier.

    Gilbert Gallerne signe là un roman particulièrement efficace et prenant. D’entrée de jeu, on est saisi par le rythme de l’intrigue, la cadence de défilement des chapitres (particulièrement courts, il y en a environ quatre-vingt-dix), et l’entrain de la plume de l’auteur. Ce dernier sait rendre crédible les personnages policiers, avec leurs méthodes, leur vocabulaire et les traits caractéristiques de leur métier. Parallèlement, l’intrigue est très bien construite, donnant notamment à voir un tueur en série singulier, écumant les abîmes parisiens, partageant plusieurs pans du passé de Lionel Jonzac, et dévoré par une surprenante double identité révélée dans les ultimes pages – celle qui distingue Mikael de « l’Autre ». Gilbert Gallerne alterne habilement les séquences – émotion, tension, procédures policières, courses-poursuites, combat, et même si quelques éléments sont un peu téléphonés, force est de reconnaître que ce livre met assurément dans le mille.

    Un ouvrage qui emprunte volontiers aux codes du thriller américain tout en taillant des croupières à ce dernier, en ayant en plus le bon goût de conserver son âme et son sens acéré de l’action. On en redemande !

    19/11/2018 à 17:54 7

  • Sur des Breizh ardentes

    Stanislas Petrosky

    8/10 « Les joyeux macareux », un EHPAD breton où il se passe des histoires pas claires. Récemment, c’est le dénommé Laurent Gérard qui a passé l’arme à gauche. Pour le coup, qu’une personne âgée en vienne à mourir dans une maison de retraite, il n’y a pas de quoi être plus surpris que ça, mais quand l’Eglise apprend que cet homme avait fait de l’Eglise son unique légataire avant de changer d’avis au dernier moment, comme par hasard, ça pose question. Alors on délègue sur place Estéban Lehydeux, alias Requiem, le curé de choc afin de comprendre ce qui s’y passe. Parce que, si la vieillesse est un naufrage, ça n’est pas une raison pour couler volontairement ces navires, seulement pour récupérer l’oseille planquée dans les cales…

    Ce sixième opus de la série consacrée à Requiem commence sur les chapeaux de roues, et ce prologue, pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas Requiem et son univers pas piqué des hannetons, va vite les mettre à la page : on va naviguer dans la sacrée gaudriole. Calembours, jeux de mots, réparties bien senties, personnages aussi croustillants que de biscottes, scènes du même acabit : voilà amplement de quoi dérider les plus austères des lecteurs. Avec sa plume caustique, Stanislas Petrosky joue à fond la carte de l’humour débridé, sans le moindre filtre, avec les potards tournés au maximum, et c’est avec plaisir que l’on progresse dans cette intrigue policière plutôt bien troussée qui fait écho à la sombre actualité des EHPAD dirigés notamment par Orpea. Agrémentant son ton particulièrement décomplexé par des notes de bas de pages cocasses et autres passages où Requiem, voire Stanislas Petrosky himself interpelle le lecteur, ce roman est d’autant plus un bonbon que l’auteur ne s’interdit presque rien. Rappelant pêle-mêle Frédéric Dard, Michel Audiard, la série du Poulpe, ou encore celle consacrée à l’Embaumeur, l’écrivain s’en donne à cœur joie, allant même jusqu’à placer dans ce mouroir, où le sinistre le dispute au pétulant, certains de ses amis également auteurs comme Jacques Saussey, Olivier Norek, Claire Favan, Gaëlle Perrin-Guillet ou encore Armelle Carbonel.

    Un ouvrage dans la droite ligne des précédents opus, décontracté et distractif en diable, mobilisant davantage les zygomatiques que les neurones, ce qui est, en soi, un acte salvateur. On en redemande.

    17/11/2022 à 06:52 7

  • The Cry

    Helen Fitzgerald

    9/10 Une tragédie. Lorsque Joanna et Alistair débarquent à l’aéroport de Melbourne, ils ignorent encore que leur bébé de quelques semaines, Noah, est décédé. Aucun des deux parents ne s’en est rendu compte. A qui la faute ? Alistair attire sa compagne sur un fait troublant : elle a probablement confondu le paracétamol pour l’enfant et un antibiotique pour l’infection que la jeune femme a à l’oreille. Une terrible méprise. Pour sauver ce qui peut encore l’être, ils décident d’enterrer le petit cadavre et faire croire qu’il a été enlevé. Mais jusqu’où sont-ils capables d’aller pour taire la vérité ?

    Un très bon roman que ce The Cry. Helen Fitzgerald a adroitement peint des personnages forts et plausibles, en proie à un drame épouvantable, et qui vont tout faire pour que la réalité ne soit jamais découverte. Dit ainsi, le sujet semble être mince, voire famélique, mais il n’en est rien : l’écrivaine a construit un récit dense, haletant, et particulièrement poignant. Quand la nouvelle de l’enlèvement va se propager dans les médias et sur les réseaux sociaux, Joanna va vite passer pour la sale mégère, celle qui, déjà dans l’avion qui menait la petite famille en Australie, se comportait mal avec le bébé. Elle avait déjà par le passé brisé le couple que formaient Alistair et Alexandra, heureux parents d’une ado, et voilà qu’elle va être foudroyée par la vindicte populaire et le courroux des masses mal informées, voire pas informées du tout. Alistair, qui est l’étoile montante du parti travailliste, ne tient pas à ce que la mort de son fils soit connue, pour des raisons aussi équivoques que froides, et c’est lui qui va être l’instigateur de ce mensonge éhonté. Helen Fitzgerald a construit son ouvrage avec une belle virtuosité, décrivant avec un immense talent une large gamme d’émotions, des sentiments parfois contradictoires, touchants et révoltants, qui vont traverser les protagonistes de cette histoire. L’auteure décrit avec beaucoup de tact et d’authenticité les démons du deuil, les questions accablantes après le décès d’un proche et les tourments qui peuvent agiter un couple. Un livre choral où s’illustrent les divers personnages – Joanna, Alistair, Alexandra, et également Chloe, l’enfant née du précédent mariage brisé par l’adultère. Et puis il y a ce final : inattendu, mémorable. Un détail, presque insignifiant, narré par une des passagères de l’avion et qui va venir habilement rebattre les cartes de l’histoire. Un rebondissement à la fois crédible et renversant, ouvrant la voie à un épilogue d’une belle justesse humaine.

    Un récit qui chamboule et marque durablement les esprits. Helen Fitzgerald s’illustre par la clarté de son propos qui fait écho à la noirceur de son scénario, diaboliquement simple et mené avec intelligence.

    05/10/2023 à 06:35 7

  • Topographie de la terreur

    Régis Descott

    8/10 Berlin, 1943. Le commissaire de police Gerhard Lenz doit enquêter sur une affaire peu commune : un psychiatre a été retrouvé supplicié, pieds et mains tranchés, des papiers fourrés dans la bouche. Tandis que la capitale allemande souffre des privations, des séquelles de la guerre que l’Etat nazi est en train de perdre, et que la paranoïa s’accroît, l’assassinat d’un autre médecin va mettre le policier sur la piste d’une terrible vengeance.

    Régis Descott nous avait déjà régalés avec des ouvrages puissants comme Pavillon 38, Obscura ou encore L’Année du rat, et voici qu’il nous revient avec ce thriller paru chez L’Archipel. Ce qui sidère d’entrée de jeu, c’est l’incroyable reconstitution à laquelle l’auteur s’est livré. Du point de vue géographique – le titre venant de ce lieu où étaient regroupées les principales émanations de la terreur nazie, historique, idéologique et culturel, ce livre est absolument remarquable. Aux côtés de Gerhard, le lecteur plonge dans cette cité balayée par les bombardements alliés, anémiée par les insuffisances alimentaires, épuisée par les défaites à l’Est et meurtrie par un pouvoir qui refuse les évidences quant à l’inéluctable défaite finale. Les divers organismes totalitaires sombrent littéralement, cherchent encore à dénicher les traîtres, extraire les séditieux, et poursuivent leur traque ignoble des malheureux individus ne correspondant pas aux convictions extrémistes, qu’il s’agisse des juifs, des homosexuels, des prétendus communistes ou des handicapés. Gerhard est un limier à part : ce n’est certainement pas un nazi, et il s’est amouraché de la belle et fougueuse Flora, une juive, qui porte désormais leur enfant. Régis Descott signe ici un livre troublant et percutant, quelque part entre le roman noir et le pur thriller, où l’arrière-plan, à savoir le contexte, est si bien rendu qu’il se commue presque en un personnage à part entière. L’intrigue est certes réussie et enivrante, mais c’est indéniablement la documentation réunie et exploitée par l’écrivain, lui servant à recréer avec une telle maestria la situation de cette époque à la fois féroce et altérée, qui mutilera bien longtemps la mémoire du lectorat.

    Un opus fort et exigeant, d’une rare force d’évocation, à classer tout à côté des Promises de Jean-Christophe Grangé.

    03/03/2023 à 06:58 7

  • Une Confession

    John Wainwright

    9/10 John Duxbury est un citoyen tout ce qu’il y a de plus insoupçonnable. Marié, un enfant, il dirige une imprimerie. Une vie sans le moindre accroc, la respectabilité à l’état pur. En réalité, son couple bat de l’aile. Quand son épouse, Maude, chute du haut d’une falaise alors qu’ils sont tous les deux en vacances, l’accident apparaît évident. Sauf qu’un témoin, Raymond Foster, affirme avoir vu l’époux pousser sa femme. Alors, meurtre ou malheureuse glissade ? L’inspecteur Harry Harker enquête.

    De John Wainwright, on connaît déjà l’immense Bois de justice ainsi qu’A table !, adapté au cinéma sous le titre Garde à vue avec Michel Serrault et Lino Ventura, et dialogué par Michel Audiard. Ce roman, datant de 1984, a été encensé par Georges Simenon, et l’on comprend rapidement pourquoi le grand auteur l’avait tant apprécié. Une écriture remarquable, râclée jusqu’à l’os, simple sans jamais être simpliste. Des portraits particulièrement denses et humains, où les écarts, l’hypocrisie et les non-dits s’expriment parfois en quelques formules lapidaires bien senties. Et il y a ces portraits psychologiques, remarquables. Le policier Harker, boiteux, doué d’une immense mémoire, obstiné jusqu’à éclater en colères volcaniques. Maude, harpie aux allures de parfaite épouse lorsqu’elle se trouve en société. John, pauvre bougre parfois trop poli ou complaisant, même lorsque l’un de ses employés le vole. On apprend à saisir toutes les subtilités de ces personnages au gré d’un récit atypique, entre fractions du journal intime du mari et les points de vue des autres protagonistes, jusqu’à la révélation finale, qui est un pur joyau. On saisit à ce moment-là, avec encore plus d’acuité, pourquoi Georges Simenon a qualifié ce livre de « roman inoubliable ». Ce que Harker va dévoiler est d’une incroyable justesse, faisant jaillir le pus du furoncle marital. Quelques pages, pourtant d’une rare sécheresse stylistique, suffisent à divulguer l’ampleur de la tragédie sous-jacente. Un rebondissement, sans surenchère stérile ni effet de mauvais aloi, que l’on retrouve d’ailleurs dans certains des ouvrages du maître belge.

    Un opus magistral, dont l’efficacité est d’ailleurs inversement proportionnelle aux moyens mis en œuvre. Quelques individus, une intrigue de prime abord fluette, et pourtant, à l’arrivée, un grand moment de littérature noire et humaine. Tout simplement.

    03/05/2020 à 23:35 7

  • Version officielle

    James Renner

    8/10 Jack Felter, professeur d’histoire en lycée, revient à Franklin Mills, Ohio, car son père, un vétéran du Vietnam, sombre de plus en plus dans la démence. Il y retrouve Sam, son amour de jeunesse, dont le mari, Tony, a disparu. Jack accepte de l’aider, mais la seule personne qui semble pouvoir l’épauler dans ses recherches est Cole Monroe, un ado schizophrène qui est persuadé d’un immense complot. Et si, pour retrouver Tony, Jack allait devoir affronter l’un des plus grands complots de l’Histoire ? En sortira-t-il indemne ?

    Après L’Obsession, voici le deuxième ouvrage de James Renner, assurément un livre à ne pas mettre entre toutes les mains. Car il s’agit d’un immense délire littéraire, dont on a parfois bien du mal à cerner la part volontaire de fiction, voire de facticité, insufflée par l’auteur, et ce à quoi il peut éventuellement croire. Quatre cents pages qui galopent à toute allure, sans la moindre retenue, au gré d’une écriture particulièrement simple, presque élémentaire, avec un lot incroyable de rebondissements. Est-ce que vous croyez à la fluoration de l’eau pour abrutir les masses de consommateurs ? Aux chemtrails ? Aux dessins inscrits sur les affiches le long des routes pour indiquer des points névralgiques ? A l’hypothèse du temps fantôme, à cause de laquelle trois cents années auraient disparu ? A une conjuration mondialisée du Grand Oubli, rendant amnésiques les foules pour faire disparaître certains événements traumatisants ? Peut-être trouverez-vous cela même complètement aberrant, voire ridicule ? Et vous savez quoi ? James Renner a osé. Il a tissé une intrigue solide, nouée avec expertise, et semble prendre un plaisir consommé à tirer sur quelques-uns des brins de textile s’échappant de la pelote, nous entraînant avec lui sur les chemins audacieux du complotisme. Là où nombre d’auteurs, par fanatisme ou au contraire par retenue, se seraient lamentablement cassé la figure, James Renner, lui, y va franchement, mais toujours avec finesse, plus exactement en nous plongeant dans ce grand bain amniotique de la conspiration internationalisée, à faire passer les auteurs de la série X-Files pour d’aimables plaisantins à l’imagination étroite. Des personnages savoureux, tous dépeints de manière lapidaire, de Jack Felter à Cole Monroe en passant par le Capitaine (le père de Jack), Sam, ou encore ces étranges individus appelés Les Chiens. Une équipée sacrément échevelée, où le loufoque le dispute à la plus impitoyable des logiques, jusqu’à un épilogue dantesque, pour une réécriture particulièrement audacieuse d’un épisode traumatisant du cours de notre civilisation.

    Sur le fil ténu et mouvant qui sépare le guignolesque de la gravité, dans un périlleux exercice de fildefériste, James Renner se maintient à l’équilibre tout au long de ce roman ambitieux et clivant, que l’on adorera détester ou que l’on encensera pour son originalité stupéfiante. Mais pour notre part, c’est assurément une réussite !

    20/05/2019 à 17:35 7

  • Vies et mort de Lucy Loveless

    Laura Shepherd-Robinson

    9/10 Londres, 1782. Caroline Corsham retrouve dans un jardin où se jouent des parties fines son amie, Lucy Loveless, mourante. Elle a été poignardée à de multiples reprises et n’a le temps, avant de décéder, que de confier : « Il sait ». Décidée à mener l’enquête, Caro engage Peregrine Child, un « attrape-voleurs », l’équivalent d’un détective privé, afin de comprendre ce que la défunte a voulu dire et qui l’a assassinée. Mais il existe des secrets tabous, si interdits que l’on est prêt à tout pour les conserver cachés, quitte à tuer.

    Après l’excellent Blood & Sugar, Laura Shepherd-Robinson nous revient avec ce deuxième roman qui est au moins aussi bon que le précédent. Bâti sur une documentation plus que solide, l’écrivaine nous offre une radioscopie sidérante de la société anglaise du XVIIIe siècle, dont les plus profondes strates, miséreuses et volontairement prostituées pour échapper à cette indigence, côtoient une noblesse et une bourgeoisie qui ne demandent qu’à s’encanailler. Usant d’une langue délicate et raffinée qui sied parfaitement à l’époque, l’auteure nous propose un large éventail de personnages, tous très contrastés et dont on finit, chapitre après chapitre, par découvrir la profondeur psychologique ainsi que des failles dont on n’aurait pas pu se douter de prime abord. Si Caro – que l’on avait déjà croisée dans le premier ouvrage de Laura Shepherd-Robinson – est une femme déterminée et courageuse, elle tente de cacher comme elle le peut qu’elle est enceinte d’un autre homme que son mari, parti en Amérique. Peregrine Child n’a rien non plus du détective intrépide et exemplaire : alcoolique, surendetté, il n’accepte cette mission confiée par la jeune femme que pour échapper au courroux de son créancier, et ce n’est d’ailleurs que vers la fin du livre que l’on apprend le sort tragique qu’ont subi son épouse et son fils. Il y a encore bien d’autres individus interlopes dans ce récit, du peintre Jacob Agnetti qui semble dissimuler des trésors de barbarie et dont la femme a disparu, au lieutenant Edward Dodd-Bellingham, séducteur patenté et ancien héros de guerre, en passant par Lucy Loveless, la victime, qui faisait croire qu’elle était d’une haute extraction italienne, et Ambrose Craven, le propre frère de Caro, qui a également un lourd secret à dissimuler. Au-delà de l’aspect purement policier, ce roman se distingue aussi par certaines ambiances, lourdes, délétères, presque asphyxiantes, de cette société que nombre d’auteurs nous ont déjà dépeinte comme exemplaire et vertueuse. Où l’âge de consentement sexuel était de douze ans. Où « une fille de quinze ans [était] vendue aux enchères comme de la viande de cheval ». Où l’on pensait encore que la syphilis pouvait être soignée par l’accouplement avec des vierges. Et ce n’est que dans les derniers chapitres que la résolution de l’affaire apparaît, venant apporter une lumineuse conclusion à cette intrigue si dense, savamment bâtie et menée avec maestria.

    Un nouveau coup de maître pour Laura Shepherd-Robinson qui panache avec un succès indéniable le whodunit, le roman sombre et le genre historique. Dans le genre, un bijou. Noir, forcément.

    06/03/2023 à 07:02 7

  • 1991

    Franck Thilliez

    9/10 En 1991, Franck Sharko a tout juste trente ans et a intégré le 36 du Quai des Orfèvres. Encore novice, il va participer à une enquête vertigineuse qui commence par une histoire de lettres anonymes envoyant leur destinataire sur les lieux d’un crime où une femme a été massacrée (organes génitaux brûlés). Mais ce n’est que le début d’un long hiver pour l’équipe de policiers, un enfer graduel qui va les mener à la chasse menée par un prédateur d’un rare machiavélisme.
    Des Franck Thilliez, j’en ai lu un bon paquet, mais celui-ci, indéniablement, est un régal. On y retrouve le style de l’auteur, avec des phrases simples et directes, sans recherche particulière, qui vont à l’essentiel et cognent rapidement. Des descriptions lapidaires, des personnages écorchés, un peu trop souvent reliées à un surnom à mon humble avis, et confrontés à une énigme redoutable. Une fois la dernière page refermée, j’ai essayé de remettre tout à l’endroit et tout se tient : date, processus meurtrier, interactions, charpente narrative. Un extraordinaire travail de documentation, un soubassement scénaristique de premier ordre. Et sur ces fondations, la patte Thilliez : des chapitres courts et véloces (77 en tout), qui s’enchaînent avec maestria, un pur page-turner à la française qui a l’excellent goût de ne rien pomper aux auteurs américains. Je ne parle même pas de la richesse des thèmes abordés (vaudou, magie, expérimentations médicales bien trash, psychés déstructurées, jeu de piste infernal, enfants bousillés, etc.). Difficile d’en dire plus sans déflorer l’intrigue, mais, même si l’on retrouve effectivement, comme noté dans d’autres commentaires de mes petits camarades, des éléments déjà présents dans d’autres ouvrages et ainsi « recyclés », ce cocktail m’a littéralement bluffé. Et puis, quelle riche idée de proposer une enquête de Sharko, sa première, où se dessine déjà son caractère fort et sagace, à une époque révolue où les communications étaient si différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui (le « mot de la fin » de l’écrivain nous éclaire en peu de mots à ce sujet à propos de son confinement mais avec beaucoup de tact et de justesse). Bref, encore une fois, un excellent thriller de la part de Franck Thilliez : je ne suis pas près d’oublier la scène avec le mamba noir, les références à Houdini, les traitements médico-sexuels sur les gamins ou encore ce qu’est la cryptophasie. Un diamant littéraire brut(al).

    03/04/2023 à 18:11 6

  • Abîmes

    Sonja Delzongle

    8/10 Janvier 1999 : un avion de tourisme s’écrase avec ses deux passagers, Viktor et Dolores Mendi. Aucun des deux membres de ce couple ne survit au crash. S’ensuit une avalanche qui tue une dizaine d’enfants. Vingt-quatre ans plus tard, le lieutenant Antoine Mendi – le fils des accidentés – intègre la gendarmerie où a eu lieu le drame. Un lieu très enclavé, tassé sur lui-même, où règne le silence et les non-dits, jusqu’à ce qu’apparaissent de petits bonshommes de neige accompagnés de messages menaçants. Et les premiers meurtres se mettent à se multiplier.

    Quiconque a déjà lu les ouvrages de Sonja Delzongle connaît la forte appétence de l’auteure pour les sujets durs et les intrigues retorses : Le Hameau des Purs, Dust, L’Homme de la plaine du Nord ou encore Le Dernier Chant pour ne citer qu’eux regorgent de fausses pistes, de personnages équivoques et d’une belle prolixité scénaristique. Cet Abîmes ne déroge en rien à cette règle, qui est presque la patte de l’écrivaine : un récit singulier, à la fois échevelé et très consistant, des rebondissements incessants et des histoires imbriquées les unes dans les autres si nombreuses qu’elles engendrent un authentique vertige littéraire. Jugez plutôt : des individus aux identités multiples, des actes pédophiles, un « Prêcheur » hantant les montagnes, un microcosme divisé entre « Ceux d’en haut » et « Ceux de la forêt », des avalanches qui n’ont rien de fortuites, des séances d’exorcisme pratiquées sur un môme inquiétant atteint de schizophrénie, la légende de Millaris, des faits d’inceste, un probable cas de gémellité, etc. Rarement une fiche descriptive sur Polars Pourpres n’aura autant été en peine de contenir tous les mots-clefs adéquats. Sonja Delzongle s’est véritablement lâchée dans cette histoire hallucinante d’exubérance et d’inventivité, et c’est peut-être cet élément – le seul – qui pourra constituer l’éventuelle faiblesse de ce roman aux yeux de certains lecteurs : une densité si gargantuesque qu’elle en vient presque à diluer la part de vraisemblance de l’ensemble. Néanmoins, pour qui apprécie les intrigues plus que solides, avec des cliffhangers à la fin de chaque chapitre, et des trames narratives enivrées de ténèbres, voilà un opus idéal.

    Sonja Delzongle continue de nous régaler avec ses œuvres sombres et retorses, parfois excessives et assourdissantes, et on préfère amplement cette démesure à la légèreté badine et superficielle. Un pur roc de jais cerclé du cadre majestueux des montagnes pyrénéennes et hanté par des spectres vengeurs.

    11/12/2023 à 06:56 6

  • Alice in Borderland tome 2

    Haro Asô

    8/10 Retour de nos quatre héros projetés dans un Tokyo virtuel. Entre flashbacks de leur ancienne (et pourtant si proche) existence et séances de pêche, ils tentent de se réinventer, de vivre avec bonheur. Mais l’heure tourne et leur visa va bientôt expirer. Moralité : ils vont devoir participer à une nouvelle épreuve afin de prolonger ce document virtuel. Rendez-vous dans un immeuble où les onze joueurs vont devoir jouer à cache-cache et trouver l’unique chambre où ils seront à l’abri d’un terrible tueur qui se balade avec un MAC-10 et un masque en forme de tête de cheval. Un deuxième tome beaucoup plus oppressant que le précédent, avec ce taré qui mitraille à tour de bras, et dans lequel la psychologie n'est heureusement pas absente : ce n’est pas un énième jeu de massacre, et il rappelle l’univers des « Sky High Survival ». Un très bon moment de lecture, d’autant que deux nouveaux personnages, dont les noms de famille font respectivement référence au lapin et au chat du conte « Alice au pays des merveilles ».

    08/01/2022 à 19:05 3

  • Atomka

    Franck Thilliez

    9/10 Comme les deux précédents opus (« Le Syndrome [E] » et « GATACA »), j’ai de nouveau beaucoup aimé cette enquête de Sharko et de Lucie. Encore plus qu’auparavant, j’ai l’impression d’être littéralement monté dans un ascenseur fou dès les premiers chapitres, avec une succession détonante d’événements, scènes, rebondissements, et pour moi, le rythme ne s’est nullement affaissé jusqu’au final. Très intrigué par les premiers éléments (le cadavre dans le réfrigérateur, ce gosse à l’état physique déplorable, les investigations du journaliste, etc.), je me suis sans mal laissé prendre à cette enquête, sacrément fournie et explosive. Et puis, il y a comme ça des thèmes qui m’intéressent, parce que je n’y connais strictement rien, et que lire un polar/roman noir/thriller n’a rien de contradictoire avec le fait de s’instruire. De Tchernobyl, de l’atome ou des effets du froid, je l’avoue bien humblement, je n’en savais que les (très) grandes lignes, et j’ai pris un immense plaisir à engranger, même momentanément, des informations à ce sujet. Dans le même temps, nos deux héros vivent, encore, un épisode charnière de leur existence collective, et de vieux démons du passé de Sharko réapparaissent avec énormément de violence, comme s’il n’en avait déjà pas assez avec cette histoire de noyades étranges et autres expérimentations abominables. Comme dans les deux opus précédents, même si je ne suis habituellement pas un aficionado de la surcharge scénaristique et des pans entiers de l’intrigue sans respiration, là, je n’ai rien pu faire contre le rythme du bouquin et je me suis laissé emporter. A mes yeux, c’est peut-être d’ailleurs, des trois que j’ai lus, celui qui parle le plus intensément de la vie et, paradoxalement, ou alors, au contraire, conséquemment, de la mort. Une réussite littéraire assourdissante.

    17/11/2019 à 18:41 6

  • Auschwitz

    Pascal Croci

    9/10 Lu peu de temps après sa sortie, mais j'en conserve un souvenir assez précis d'une lecture particulièrement émouvante. Un sujet archiconnu mais une thématique malheureusement impérissable, un graphisme en noir et blanc qui fait parfaitement écho à la douleur vécue par les protagonistes. Un petit bijou à la fois littéraire et historique, probablement l'une des plus belles BD sur ce thème si ma mémoire est bonne.

    19/01/2023 à 07:11 3

  • Avalanche hôtel

    Niko Tackian

    7/10 … ou la très curieuse succession d’expériences inexpliquées de Joshua Auberson, vigile dans un hôtel proche de Montreux en Suisse, vécues comme les pièces disparates d’un puzzle : la disparition d’une adolescente dans les années 1980, un énigmatique barman, une curieuse pérégrination dans la neige, une piste de bobsleigh aussi abandonnée que l’hôtel où travaille Joshua… puis un retour à une époque contemporaine. Mon premier roman de Niko Tackian (je mets à part « Phobia », le recueil auquel il avait participé avec une nouvelle), et j’ai vraiment apprécié cette expérience. Une écriture fluide et qui va à l’essentiel, une histoire qui semble au départ très décousue et qui finit, graduellement, par faire se rejoindre ces divers blocs de vérité, le tout dans un décor anxiogène et prenant de montagnes enneigées, d’un établissement désaffecté ainsi que ces « entrailles de la Terre » qui participent à la réussite de l’ensemble. Quelques rapides touches d’un humour salvateur à travers la présence de Sybille, la partenaire de Joshua, mais l’ensemble, si l’on met de côté la note finale d’espoir, est sacrément sombre. L’intrigue est très bien menée, mais il est vrai qu’à force de loucher – je dis cela sans méchanceté aucune, c’est juste une sorte de filiation littéraire ou de mitoyenneté scénaristique – sur les œuvres de Franck Thilliez ou de Jean-Christophe Grangé, la chute apparaît vite transparente, aisément devinable, presque téléphonée, et constitue à mes yeux le seul réel défaut de cet opus. En vrac dans cette histoire : les thèmes de la famille, le syndrome de Marfan, la mémoire et l’hippocampe, la quête des origines, le coma, et encore pas mal d’autres éléments qui concourent à créer une histoire riche en fausses pistes diverses et au rythme très prenant et efficace. Un bien bon moment de lecture, et je tâcherai de lire d’autres romans de cet écrivain dans un avenir proche.

    28/11/2023 à 18:45 6

  • Barré

    François Clapeau

    8/10 A Limoges, les policiers Aurélie Laurencin et Donat Vigier sont sur le point d’appréhender un braqueur de bijouteries quand l’improbable se produit : Donat a un malaise. Plus exactement, il se sent dépossédé de son propre corps, incapable du moindre mouvement. Lorsqu’il se réveille à l’hôpital, le verdict des médecins lui tombe dessus comme un couperet : syndrome de Guillain-Barré, une maladie extrêmement rare qui l'immobilise presque entièrement et qui va le clouer dans la paralysie pendant un temps indéterminé. Mais quand une infirmière est assassinée, il comprend qu’il est à la merci d’un tueur bien mystérieux.

    François Clapeau livre ici un roman à suspense court (environ deux-cent-dix pages) et très prenant. S’appuyant sur un pitch original, il plonge rapidement dans le vif du sujet avec un lieutenant de police atteint d’un mal subit et étrange, que l’on pourrait qualifier de saugrenu s’il n’était malheureusement pas si authentique, qui va devoir surveiller sa propre personne, punaisée à l’hôpital, tandis qu’un assassin est peut-être en train de roder autour de lui. Parce que, si Donat est statufié et ne peut plus s’exprimer que par de vagues mouvements de la tête et en écrivant avec un feutre et une ardoise, bourré de médicaments, soumis à diverses machines médicales, il n’en demeure pas moins un policier aux sens éveillés, en alerte, et toujours doué d’au moins une bonne partie de son intellect. Il va observer les médecins, les infirmières, les écouter, analyser leurs propos et attitudes, et faire quelques belles déductions. Un tatouage, un emploi du temps, des interconnexions humaines, et la vérité va lentement apparaître. Mais Donat a-t-il pour autant raison ? Lui qui voit des korrigans dans sa chambre peut-il encore être certain de ce qu’il perçoit et raisonne ? François Clapeau livre un récit sans le moindre temps mort, vif et délicieusement anxiogène, alors qu’Aurélie et d’autres coéquipiers sont toujours en train de traquer ce braqueur qui vient de se rendre coupable d’un meurtre lors d’un hold-up. Néanmoins, là où l’auteur tire son épingle du jeu, c’est dans le final. Un épilogue fort et ouvert, rebattant les cartes jusqu’alors étalées sur la table de cette histoire qui aurait peut-être mérité, çà et là, davantage de noirceur ou de tempérament. Mais cette chute, sacrément intéressante et qui va obliger le lecteur à se poser beaucoup de questions, quitte à lui-même fournir des réponses très personnelles et intimes, constitue cet exquis bouquet final que l’on n’attendait pas.

    Un ouvrage concis et très réussi, où les ultimes chapitres viennent apporter une explication quant au choix du titre en plus de constituer un habile jeu de mots avec le syndrome qui a fauché le héros.

    17/06/2021 à 07:11 6