El Marco Modérateur

3223 votes

  • Vengeance sanglante

    Kazuo Kamimura, Kazuo Koike

    6/10 Un manga qui mixe habilement divers codes : le film japonais de sabre, les arts martiaux, le polar, la vengeance, l’aventure, avec pas mal de violence et de sexe. Les auteurs rappellent d’ailleurs, dès l’entame, leurs préférences cinématographiques et autres, rendant donc une forme d’hommage appuyé à ces différents prédécesseurs. Néanmoins, le graphisme un peu fade selon moi (même s’il met bien en valeur l’action lors des combats), la répétition de scènes de sexe et un scénario un peu pâlot font que je ne suis pas certain d’être au rendez-vous des opus suivants.

    11/12/2019 à 18:30 2

  • Vers quel avenir ?

    Charlie Adlard, Robert Kirkman

    7/10 Un opus qui commence avec un flash-back qui est en réalité un rêve tournant au cauchemar. De zombies continuent de rôder dans les parages ainsi que des écumeurs de la route – bien humains, ceux-là. Un opus un peu plus calme que les précédents, ce qui n’empêche nullement quelques déferlements de violence, tout autant contre les monstres que contre les humains.

    11/04/2021 à 08:09 2

  • Versailles Of The Dead tome 1

    Kumiko Suekane

    3/10 Alors qu’elle se rend à Versailles avec son frère jumeau Albert, la jeune Marie-Antoinette est attaquée dans son carrosse par… des morts-vivants. Albert prend la fuite et l’archiduchesse finit par rejoindre la cour, visiblement blessée mais indemne. Sauf que celle-ci est sa demi-sœur, sa « doublure », et que l’on décide alors qu’Albert va prendre la place de la défunte Marie-Antoinette, ce qui est permis grâce à son aspect très féminin. Madame du Barry, Axel de Fersen, Louis XVI évidemment, apparaissent dans ce manga qui, vous l’aurez compris, est un vaste et profond n’importe quoi : visages interchangeables, histoire abracadabrante (même si a priori, ça aurait justement pu me plaire avec un ixième degré assumé), un scénario pour le moment sans intérêt, un graphisme plat et déjà lu des milliers de fois. J’ai failli abandonner cette fumisterie, mais je me demande comment l’auteur va poursuivre, et jusqu’où il est capable d’aller dans cet univers WTF, alors je continue, au moins sur un tome.

    19/10/2021 à 20:15 1

  • Versailles Of The Dead tome 2

    Kumiko Suekane

    1/10 Où l’on apprend, d’entrée de jeu, que les morts-vivants se nourrissent de pierres précieuses (ben allons donc…). On reprend donc une louche de ce brouet mélangeant histoire (mal) revue et (très mal) corrigée, zombies, cambriolages, dessins plats, scènes saphistes sans intérêt, passages occultes complètement grotesques, démonologie pathétique, immense ennui croissant, et quelques malheureux fous rires tant l’ensemble est navrant. Que l’Histoire soit réécrite, oui, pourquoi pas, mais pour le faire, il faut un minimum de talent (pourtant présent dans « Afterschool Charisma ») et surtout, il faut y croire, parce que là, j’ai surtout pensé que le mangaka avait perdu un gage et progressait dans son histoire à marche forcée, comme on va à la guillotine, justement. Ou alors, il aurait fallu une forme de distanciation, d’ixième degré, d’humour parodique, bref, ce qui manque au moins autant cruellement à cette série que du goût. A oublier de toute urgence.

    13/03/2023 à 18:56 4

  • Versailles Of The Dead tome 3

    Kumiko Suekane

    2/10 Des individus retrouvés pendus dans une forêt. En fait, il s’agit de zombies dont il faut trancher la tête pour vraiment les tuer. Retour aux défauts que j’avais relevés dans les deux précédents tomes : graphisme assez plat, scénario souvent ridicule, personnages aux visages interchangeables, thématique des morts-vivants catapultée en pleine Révolution française sans la moindre nuance ni même de « justification », comme un copier-coller mal effectué, esthétique typiquement manga mal accordée au sujet et à l’époque, scènes longues et mollassonnes, etc. J’ai essayé d’accorder une autre chance à l’auteur (qui est à la fois scénariste et dessinateur) mais il n’est toujours pas parvenu à me raccrocher à sa série ni à éveiller le moindre intérêt chez moi. Je pense que je vais m’arrêter là.

    01/10/2023 à 19:49 1

  • Versailles Of The Dead tome 4

    Kumiko Suekane

    1/10 Je retrouve avec déplaisir cette série dont je n’avais vraiment pas apprécié les trois premiers tomes, et je replonge dans ce quatrième opus comme un ouvrier redescend dans la mine. Puisque je l’avais sous la main, j’ai re-re-retenté de m’y agripper, mais ça ne passe décidemment pas : graphisme quelconque, visages des personnages interchangeables, scènes ouvertement grotesques (notamment l’apparition d’un dieu façon « Mythologie pour les nuls » et raid en règle d’anges masqués), Jeanne d’Arc qui revient d’entre les morts, etc. Et je ne parle même pas des ingrédients surnuméraires et tous aussi risibles (un démon, un golem, un échange de corps) qui viennent s’ajouter à ce brouet, comme si la mixture n’était pas déjà suffisamment poisseuse et immangeable. Allez, plus qu’un seul tome et c’en sera fini.

    16/11/2023 à 19:42 1

  • Versailles Of The Dead tome 5

    Kumiko Suekane

    1/10 A part cette histoire d’avant-bras mal ressoudé à son emplacement originel [sic], un début mollasson et bavard pour ce cinquième et ultime opus de cette série qui j’ai bue avec l’entrain d’un môme absorbant de l’huile de foie de morue. Une vision pathétique et réductrice de la Révolution française (des deux côtés de la barrière, d’ailleurs) digne d’un cancre niveau maternelle, des émeutiers qui ne sont jamais plus d’une dizaine et qui se transforment brutalement en zombies, les gardes suisses qui les voient lançant instantanément « Des morts-vivants ! » (normal, c’est vachement courant d’en voir à l’époque), des pierres précieuses tombant du cou de Marie-Antoinette décapitée, sans parler d’un épilogue, de nos jours, tellement attendu et pitoyable que ça a au moins eu le mérite de me faire éclater de rire. Pour conclure, une série aussi ratée que débile, qui mélange tout et n’importe quoi, marquée du sceau d’un mauvais goût vertigineux et dont le ridicule est d’autant plus total que l’auteur ne semble même pas avoir eu conscience d’avoir signé un naufrage scénaristique mémorable.

    11/02/2024 à 18:57 2

  • Version officielle

    James Renner

    8/10 Jack Felter, professeur d’histoire en lycée, revient à Franklin Mills, Ohio, car son père, un vétéran du Vietnam, sombre de plus en plus dans la démence. Il y retrouve Sam, son amour de jeunesse, dont le mari, Tony, a disparu. Jack accepte de l’aider, mais la seule personne qui semble pouvoir l’épauler dans ses recherches est Cole Monroe, un ado schizophrène qui est persuadé d’un immense complot. Et si, pour retrouver Tony, Jack allait devoir affronter l’un des plus grands complots de l’Histoire ? En sortira-t-il indemne ?

    Après L’Obsession, voici le deuxième ouvrage de James Renner, assurément un livre à ne pas mettre entre toutes les mains. Car il s’agit d’un immense délire littéraire, dont on a parfois bien du mal à cerner la part volontaire de fiction, voire de facticité, insufflée par l’auteur, et ce à quoi il peut éventuellement croire. Quatre cents pages qui galopent à toute allure, sans la moindre retenue, au gré d’une écriture particulièrement simple, presque élémentaire, avec un lot incroyable de rebondissements. Est-ce que vous croyez à la fluoration de l’eau pour abrutir les masses de consommateurs ? Aux chemtrails ? Aux dessins inscrits sur les affiches le long des routes pour indiquer des points névralgiques ? A l’hypothèse du temps fantôme, à cause de laquelle trois cents années auraient disparu ? A une conjuration mondialisée du Grand Oubli, rendant amnésiques les foules pour faire disparaître certains événements traumatisants ? Peut-être trouverez-vous cela même complètement aberrant, voire ridicule ? Et vous savez quoi ? James Renner a osé. Il a tissé une intrigue solide, nouée avec expertise, et semble prendre un plaisir consommé à tirer sur quelques-uns des brins de textile s’échappant de la pelote, nous entraînant avec lui sur les chemins audacieux du complotisme. Là où nombre d’auteurs, par fanatisme ou au contraire par retenue, se seraient lamentablement cassé la figure, James Renner, lui, y va franchement, mais toujours avec finesse, plus exactement en nous plongeant dans ce grand bain amniotique de la conspiration internationalisée, à faire passer les auteurs de la série X-Files pour d’aimables plaisantins à l’imagination étroite. Des personnages savoureux, tous dépeints de manière lapidaire, de Jack Felter à Cole Monroe en passant par le Capitaine (le père de Jack), Sam, ou encore ces étranges individus appelés Les Chiens. Une équipée sacrément échevelée, où le loufoque le dispute à la plus impitoyable des logiques, jusqu’à un épilogue dantesque, pour une réécriture particulièrement audacieuse d’un épisode traumatisant du cours de notre civilisation.

    Sur le fil ténu et mouvant qui sépare le guignolesque de la gravité, dans un périlleux exercice de fildefériste, James Renner se maintient à l’équilibre tout au long de ce roman ambitieux et clivant, que l’on adorera détester ou que l’on encensera pour son originalité stupéfiante. Mais pour notre part, c’est assurément une réussite !

    20/05/2019 à 17:35 7

  • Vertige

    Franck Thilliez

    7/10 Un thriller dédaléen, nourri de références cinématographiques, et mené de main de maître par Franck Thilliez. Les énigmes successives apparaissent, les pièces du puzzle s’emboitent, et le suspense monte crescendo. De nombreuses scènes me resteront en mémoire, immédiatement visuelles, marquant l’histoire d’autant de jalons, pour une intrigue qui m’a souvent fait penser à du Serge Brussolo. Petit bémol pour ma part : j’ai souvent eu du mal à trembler pour les personnages en raison justement de ces scènes trop tirées par les cheveux à force de vouloir être marquantes, d’où cette sensation bien subjective de ne jamais avoir été totalement embarqué par cette histoire. Néanmoins, ça ne retire strictement rien à la virtuosité que je reconnais pleinement à Franck Thilliez d’imaginer et peindre des histoires effrayantes.

    19/05/2013 à 11:24

  • Via Crucis

    René Charlet, Geneviève Reumaux

    8/10 Suite à une répétition annulée, Georges-Albert rentre plus tôt chez lui. Il y découvre sa femme en compagnie d’un autre homme. Surpris par l’arme que tient ce dernier, Georges-Albert utilise la serpe qu’il a trouvée dans l’escalier et tue l’amant. Le crime passionnel par excellence. La messe est dite. Du moins en apparence. Car le fait que l’amant ait empoigné un fusil n’est pas prouvé, de même que la présence fortuite de la serpe près de la chambre.

    Écrit par Geneviève Reumaux et René Charlet, ce livre qui oscille entre roman noir et à suspense séduit rapidement par sa forme. Les faits sont énoncés clairement, sans la moindre équivoque, au travers des points de vue des deux protagonistes que sont Georges-Albert et Mathilde, son épouse. Tout y est, au moins au départ, sec, laconique, au point que l’on se demande où veulent en venir les deux écrivains puisque l’affaire semble si limpide. Mais, avec un sens intelligent de l’intrigue, tant policière qu’amoureuse, Geneviève Reumaux et René Charlet sèment au long du récit des petits cailloux comme autant de pierres d’achoppement, et l’on comprend vite que l’histoire sera bien plus complexe. Un peu à la manière d’un Georges Simenon, les mœurs, attitudes et errements des personnages sont rendus de manière lapidaire, presque naturaliste, et c’est un ensemble de petits drames, rancœurs et amours déçues qui sont à l’origine du drame. C’est également au crédit du duo d’auteurs qu’il faut porter ce découpage du livre en autant de stations du Christ lors de son chemin de croix, avec Georges-Albert dans son rôle bien métaphorique d’être crucifié par la justice.

    Une œuvre écrite avec beaucoup de délicatesse et d’érudition, axée avant tout sur le processus judiciaire clouant au pilori un individu ainsi que sur la genèse d’une tragédie. Une sensibilité des mots et une attention particulière portée à la vraisemblance de l’histoire achèvent de faire de ce Via Crucis un ouvrage qui plaira certainement aux amateurs de récits crédibles et humains.

    15/01/2014 à 13:38

  • Victime 55

    James Delargy

    7/10 Un thriller que j’ai bien apprécié, tant par son pitch que par sa construction et sa forme. Qui, de Gabriel ou de Heath, est le véritable tueur en série ? Pile ou face ? A moins que la vérité ne se trouve sur la tranche ? Ou alors recto et verso ? Ce sont ces questions que va se poser Chandler Jenkins, sergent à la police de Wilbrook, quand il reçoit successivement deux inconnus prétendant être la « victime 55 » d’un serial killer et dénonçant l’autre comme étant ce mystérieux prédateur. James Delargy a imaginé un excellent départ d’histoire, sait bien écrire (quelques dialogues à l’emporte-pièce, qui font mouche ; des psychologies qui, sans être lyriques ni très originales, s’en tirent plus qu’avec les honneurs ; et une belle construction narrative). J’ai bien aimé cette confrontation psychologique entre Chandler et Mitch, une rivalité nourrie par cette disparition passée qui a été à l’origine de leur scission, et qui continue d’être alimentée par cette différence de grades que Mitch met régulièrement en avant ainsi que par de récentes affaires de cœur. Cependant, je trouve dommage que, dans le dernier cinquième du roman environ, cette sorte d’énigme pour savoir qui de Gabriel ou de Heath était le criminel finisse par être balayée en quelques phrases, même si l’auteur nous a concocté un rebondissement sympathique quant au mobile du monstre dont, dans le même temps, les ressorts psychologiques et mobiles de ce dernier ne sont pas particulièrement surprenants ni travaillés, mais ils tiennent amplement la route pour ce type d’ouvrage.
    Bref, un thriller de très bonne tenue, original dans son amorce et solide dans sa construction.

    24/12/2023 à 07:53 3

  • Victime Delta

    Élie Robert-Nicoud

    7/10 Un bon petit polar pour la jeunesse, qui s’avale facilement et rapidement. Un format aux allures de nouvelle, une intrigue simple et prenante, qui donne autant la place à la dimension humaine des personnages décrits qu’au fil rouge que constitue l’histoire criminelle. A la manière de « La lecture du feu » qui s’adresse plus aux adultes, un ouvrage intéressant et enthousiasmant.

    30/09/2012 à 19:21

  • Vienne la nuit, sonne l'heure

    Jean-Luc Bizien

    8/10 L’aliéniste Simon Bloomberg se retrouve dans les souterrains de Paris, avec un compagnon d’infortune. Persuadé qu’il va y mourir, il se souvient. Récemment, la violence l’a enveloppé. Un couple qui se déchire. Ulysse prêt à en découdre avec des importuns. Sarah horrifiée quand un de ses courtisans use de brutalité pour affronter des crapules. Les exemples se multiplient. Chaque individu semble sauvagement envahi par sa part d’ombre. Et pendant ce temps, un traquenard se refermait lentement sur Bloomberg…

    Après La Chambre mortuaire et La Main de gloire, ce troisième ouvrage poursuit sur la brillante lancée de la série consacrée à la Cour des Miracles. En quelques traits, on retrouve avec délectation le style de Jean-Luc Bizien. Les lieux et l’époque du Paris de la fin du dix-neuvième siècle sont brillamment reconstitués, avec une belle économie de moyens, et sans jamais pour autant apparaître fade ou terne. Les personnages conservent tout leur allant, et ce roman se distingue d’ailleurs des précédents par cette focalisation sur les rapports qu’ils entretiennent entre eux : Sarah Englewood, la belle et jeune employée de maison, Simon Bloomberg, cet aliéniste brillant toujours poursuivi par le doute et rongé par la mort de sa femme, Ulysse, ce si doux et innocent colosse… Dans sa postface, l’auteur explique d’ailleurs que ce livre se voulait singulier dans la série, un moment que l’on interprète volontiers comme une parenthèse, un moment privilégié pour interroger les protagonistes ainsi que le lecteur quant au problème suivant : d’où provient la violence ? L’intrigue imaginée par Jean-Luc Bizien permet en partie d’y répondre, grâce à une histoire concise, sombre, et tragiquement crédible, un guet-apens tout en subtilité.

    Vienne la nuit, sonne l’heure offre donc au lecteur la possibilité de voir les créatures littéraires de Jean-Luc Bizien s’émouvoir, se questionner et douter, encore plus que par le passé. Ouvrage charnière, il fournit cette respiration nécessaire à la saga de la Cour des Miracles, pour engager un approfondissement des natures et devenirs des personnages, sans pour autant délaisser une enquête criminelle, solide et plausible.

    26/08/2012 à 10:39 1

  • Viens poupoulpe

    Christian Zeimert

    4/10 Voilà un Poulpe un peu pâlot, qui s’égaie dans une histoire où il semble être le seul à s’amuser. On a parfois l’impression que l’auteur s’est fait plaisir en jouant les marionnettistes du fameux limier sans pour autant chercher à combler les groupies de Gabriel. Il en ressort donc cette impression bancale quand on quitte une chambre d’hôpital où l’on a rendu visite à un ami malade : ce sentiment mitigé, quelque part entre la joie de retrouver le Poulpe et la tristesse, une fois le récit achevé, de l’avoir vu en si petite forme.

    02/06/2013 à 08:41 1

  • Vies et mort de Lucy Loveless

    Laura Shepherd-Robinson

    9/10 Londres, 1782. Caroline Corsham retrouve dans un jardin où se jouent des parties fines son amie, Lucy Loveless, mourante. Elle a été poignardée à de multiples reprises et n’a le temps, avant de décéder, que de confier : « Il sait ». Décidée à mener l’enquête, Caro engage Peregrine Child, un « attrape-voleurs », l’équivalent d’un détective privé, afin de comprendre ce que la défunte a voulu dire et qui l’a assassinée. Mais il existe des secrets tabous, si interdits que l’on est prêt à tout pour les conserver cachés, quitte à tuer.

    Après l’excellent Blood & Sugar, Laura Shepherd-Robinson nous revient avec ce deuxième roman qui est au moins aussi bon que le précédent. Bâti sur une documentation plus que solide, l’écrivaine nous offre une radioscopie sidérante de la société anglaise du XVIIIe siècle, dont les plus profondes strates, miséreuses et volontairement prostituées pour échapper à cette indigence, côtoient une noblesse et une bourgeoisie qui ne demandent qu’à s’encanailler. Usant d’une langue délicate et raffinée qui sied parfaitement à l’époque, l’auteure nous propose un large éventail de personnages, tous très contrastés et dont on finit, chapitre après chapitre, par découvrir la profondeur psychologique ainsi que des failles dont on n’aurait pas pu se douter de prime abord. Si Caro – que l’on avait déjà croisée dans le premier ouvrage de Laura Shepherd-Robinson – est une femme déterminée et courageuse, elle tente de cacher comme elle le peut qu’elle est enceinte d’un autre homme que son mari, parti en Amérique. Peregrine Child n’a rien non plus du détective intrépide et exemplaire : alcoolique, surendetté, il n’accepte cette mission confiée par la jeune femme que pour échapper au courroux de son créancier, et ce n’est d’ailleurs que vers la fin du livre que l’on apprend le sort tragique qu’ont subi son épouse et son fils. Il y a encore bien d’autres individus interlopes dans ce récit, du peintre Jacob Agnetti qui semble dissimuler des trésors de barbarie et dont la femme a disparu, au lieutenant Edward Dodd-Bellingham, séducteur patenté et ancien héros de guerre, en passant par Lucy Loveless, la victime, qui faisait croire qu’elle était d’une haute extraction italienne, et Ambrose Craven, le propre frère de Caro, qui a également un lourd secret à dissimuler. Au-delà de l’aspect purement policier, ce roman se distingue aussi par certaines ambiances, lourdes, délétères, presque asphyxiantes, de cette société que nombre d’auteurs nous ont déjà dépeinte comme exemplaire et vertueuse. Où l’âge de consentement sexuel était de douze ans. Où « une fille de quinze ans [était] vendue aux enchères comme de la viande de cheval ». Où l’on pensait encore que la syphilis pouvait être soignée par l’accouplement avec des vierges. Et ce n’est que dans les derniers chapitres que la résolution de l’affaire apparaît, venant apporter une lumineuse conclusion à cette intrigue si dense, savamment bâtie et menée avec maestria.

    Un nouveau coup de maître pour Laura Shepherd-Robinson qui panache avec un succès indéniable le whodunit, le roman sombre et le genre historique. Dans le genre, un bijou. Noir, forcément.

    06/03/2023 à 07:02 7

  • Ville sans loi

    Jim Thompson

    8/10 David McKenna, surnommé « Bugs », à savoir « dingue, dérangé », vient d’arriver à Ragtown (« ville loqueteuse », une cité qui a poussé comme un champignon grâce aux forages de pétrole. Grâce à l’entremise de Lou Ford, l’adjoint au shérif, il devient détective privé à l’hôtel détenu par Mike Hanlon, un vieillard impotent qui a fait fortune dans les hydrocarbures. Cet homme a une femme, Joyce, qui semble avoir des envies de récupérer le magot de son infirme de mari. McKenna serait-il tombé dans un piège ?

    Jim Thompson, l’un des plus emblématiques auteurs de romans noirs, nous revient en France avec cet ouvrage datant de 1957. Et c’est un véritable régal, de bout en bout. On retrouve le goût consommé de l’auteur pour les personnages denses, décrits en peu de mots, aux contours flous et qui cachent, dans ces zones d’ombre, de curieux sentiments et des comportements dangereux. Mike Hanlon, ancêtre tassé dans un fauteuil roulant, craignant pour sa vie ainsi que pour la sécurité de son hôtel. McKenna, qui a déjà purgé de la prison, bloc de muscles et d’une violence à peine contenue, capable de coups de sang et, dans le même temps, prude et balbutiant lorsqu’il se retrouve avec une jolie femme. Lou Ford (le terrible agent découvert cinq ans plus tôt dans Le Démon dans ma peau et sa seconde traduction L’Assassin qui est en moi), habile manipulateur qui, malgré son allure anodine, n’en est pas moins un véritable squale humain ainsi qu’un individu prompt à la castagne. Et que dire de ces femmes, parfois fatales, belles à se damner, comme Joyce (la femme du propriétaire), Amy (la compagne de Lou qui n’en éprouve pas moins une forte inclination pour McKenna) ou Rosie, cette magnifique fleur où coule, en toute discrétion, du sang noir ? De ces pièces éparses, Jim Thompson constitue un puzzle flamboyant, sombre et torturé, où les coups bas ne manqueront pas : des empoisonnements, un suicide douteux, un vol de 5000 dollars, un chantage, des rapports de domination où un simple retour d’ascenseur peut conduire à la mort d’un être humain… Un opus enflammé qui se conclut à la manière d’un whodunit, où Lou Ford, « pour sûr », saura rétablir la vérité en une petite quinzaine de pages.

    Si ce roman n’a pas la puissance évocatrice du Démon dans ma peau ou de L’Assassin qui est en moi), il n’en demeure pas moins riche et terriblement efficace. Une pépite de ténèbres à redécouvrir d’urgence !

    06/05/2019 à 17:45 4

  • Vingt Mille Vieux Sur Les Nerfs

    Jean-Paul Jody

    8/10 Cataclysme au bistrot fréquenté par Gabriel Lecouvreur : Gérard, le patron, ne sert plus de pieds de porc ! La raison : plus personne n'en demande. Pour se changer les idées, Gabriel, dit le Poulpe, décide de rendre visite à de vieux compères et organise de nombreux repas remettant à l'honneur ce plat pour que Gérard cède. Mais voilà : tous ces gentils édentés sont d'anciens militants, et une vague subite d'attentats frappe la capitale. Y a-t-il un lien entre le retour chez les vivants de ces papys et mamies et ces actes terroristes ?

    Deux-cent-soixante-cinquième enquête du Poulpe signée par Jean-Paul Jody, cet opus est un véritable régal. On retrouve avec délectation Gabriel Lecouvreur, cette fois-ci en butte à l'apathie sexuelle de sa compagne Chéryl. Le ton est toujours aussi acide, et l'auteur écorne au passage les sphères politiques et médiatiques avec un talent indéniable. Par ailleurs, l'intrigue est bien trouvée : la galerie des anciens peinte par Jean-Paul Jody est jouissive, à la fois tendre et corrosive. C'est avec empathie que le lecteur découvre puis suit les pensées de ces vieux militants, en proie à la détresse liée à leur âge, et affligés par l'incurie des gouvernants. Un parallèle peut être fait avec l'univers de Thierry Jonquet dans Le bal des débris ainsi qu'avec celui de Guillaume Darnaud dans Le crépuscule des vieux. Si le récit est moins axé sur l'énigme policière qu'à l'habitude, Jean-Paul Jody se rattrape avec jubilation dans cette aquarelle humaine, où ces vieillards sont encore bien verts... et prêts à passer à l'action.

    L'auteur de Chères toxines et de La route de Gakona offre un épisode réjouissant et terriblement humain du Poulpe , battant en brèche de nombreux clichés sur la vieillesse et dédiant cet ouvrage à l'activisme politique.

    12/04/2010 à 20:14 1

  • Vinland Saga tome 1

    Makoto Yukimura

    7/10 Xie siècle, sur la terre du royaume des Francs. Thorfinn fait partie des troupes vikings menées par Askeladd qui utilise cet enfant comme porteur de messages, mais se révèle vite un combattant redoutable au sein de ces mercenaires. Au programme : une belle bataille et un trésor volé, un duel entre Thorfinn et Askeladd, un long flashback à propos de l’enfance de Thorfinn et du père de notre jeune héros, Thors. Un premier opus très séduisant, même si certains graphismes typiquement manga (oui, je sais, c’en est un, mais là, je trouve quelques visages et attitudes trop typés) ne m’ont que moyennement séduit. Néanmoins, ce premier tome m’a bien intéressé, je vais tâcher de poursuivre la série.

    15/10/2021 à 21:11 3

  • Vinland Saga tome 2

    Makoto Yukimura

    7/10 Retour sur un épisode du passé, avec Thors, le père de Thorfinn, notre héros alors enfant. On découvre qu’il était auparavant un mercenaire, et on l’embrigade dans une bataille qu’il ne souhaite pas mais inclut la participation de son village. Seulement, surprise une fois le bateau parti : Thorfinn s’était dissimulé dans un des tonneaux. Comme Polarbear, j’ai moyennement goûté la façon dont il se débarrasse à mains nues de ses ennemis sur le navire, façon pro des arts martiaux, donc de manière anachronique et un peu déplacée, et je ne parle même pas du combat contre Bjorn, le berserker qui a gobé un champignon… Néanmoins, le combat final entre Thors et Askeladd tient toutes ses promesses, explique la haine farouche de Thorfinn et érige son père comme un individu d’une droiture exemplaire. Je continue volontiers cette série malgré mes petites réticences sur le côté graphique et trop nippon dans sa transposition.

    09/12/2021 à 19:46 3

  • Vinland Saga tome 3

    Makoto Yukimura

    7/10 Thorfinn est salement blessé par une flèche à l’épaule, et il ne doit son salut qu’à une femme anglaise ainsi qu’à sa jeune fille. Malgré son jeune âge, il est capable de tuer plusieurs soldats avant d’allumer un incendie dans la ferme afin d’alerter ses compatriotes en mer. Quelques années plus tard, l’Angleterre est la proie d’une terrible invasion. Thorfinn accepte la mission donnée par Askeladd, à savoir rapporter la tête de Thorkell, qui a décidé de se retourner contre les siens parce que c’était plus « amusant » que de continuer à combattre les Anglais, en échange d’un duel entre eux deux. Le côté trop nippon du graphisme et du traitement continue de me déranger (cf. le combat façon « Ken le survivant » entre Thorfinn et Thorkell), mais cet opus est très énergique et prenant.

    12/01/2022 à 17:14 2