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Le gourou des Terres Froides
8/10 Dans sa jeunesse, Graziella a été la victime d’un gourou qui l’a, comme tant d’autres enfants appartenant à la secte, violée. Adulte, elle a ourdi des représailles contre le fils du monstre qui s’apprête à être jugé aux assises. Par ailleurs, un mystérieux « homme en gris » a lui aussi décidé que la justice des hommes serait insuffisante pour châtier le leader pédophile.
Nicole Provence signe un habile roman policier chez l’éditeur Ravet-Anceau. D’entrée de jeu, le décor est posé : les personnages sont adroitement décrits et auscultés, entre enfances ravagées et espérances d’un avenir apaisé. La plume de l’auteur est belle, souvent poétique lorsqu’elle dépeint les paysages du Nord Isère, et fait la part belle aux émotions humaines. Le suspense est bien maîtrisé, et les pièces du puzzle se mettent lentement en place. Par moments, on regrette quelques faiblesses, comme le fait que la secte ne soit que lapidairement exposée et dont on n’obtient finalement que des contours alors qu’une plongée dans ces ténèbres auraient pu être mémorables, et d’autant plus efficaces qu’elles conditionnaient le désir de vengeance de Graziella.
Cependant, dans les derniers chapitres, le livre prend une tournure remarquable, glaçante : il y a, dans l’histoire de Nicole Provence, des accents de tragédie grecque, plongeant les protagonistes en même temps que le lecteur dans un drame profond et sinistre particulièrement marquant. Viennent les ultimes pages, très touchantes, où la rédemption naîtra des flammes vengeresses.
Le Gourou des Terres Froides est donc un ouvrage saisissant, où les dernières pages compensent sans mal les quelques modiques lacunes de l’histoire. Indéniablement, Nicole Provence a signé en 2007 un très bon roman, sans scène pétaradante ni outrancière, où le noir est une couleur.12/01/2012 à 19:09
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La Disgrâce des noyés
8/10 Un homme, simple, mais à l’existence tumultueuse. Amours désenchantées, morts violentes, drogues… Au fil de ce livre, il se raconte, se livre.
De prime abord, ce roman d’Yvan Robin peut sembler ultra classique, voire anodin. Le scénario apparaît mince, et l’objet ne compte que cent-trente pages, qui plus est très aérées. Alors, cette Disgrâce des noyés est-elle un ouvrage insipide ? Oh que non. Pour son premier roman, Yvan Robin a choisi de privilégier la forme au fond. Un chapitre par page, avec un titre lui-même court. Et surtout, surtout, une prose remarquable. Les mots sont poétiques, les phrases finement ciselées. Les formules lyriques et colorées se succèdent, voire s’emboîtent à merveille, et l’on prend très souvent plaisir à relire bien des passages tant ils sont savoureux.
Parallèlement à cette qualité narrative, le propos est en soi parfois un peu maigre. La déchéance d’un être, ses actes sanglants, la drogue, et ses amours, jalonnant son parcours chaotique, comme autant de rédemptions. Inutile de le redire, on navigue davantage dans la ballade noire que dans le polar pur. Mais, au final, cette minceur scénaristique n’handicape pas le récit.
Cet opus d’Yvan Robin, c’est en quelque sorte une voix : tour à tour chaleureuse, envoûtante, vénéneuse, voire venimeuse. Avec son propre vocable, en lisant une simple ordonnance, elle pourrait nous ensorceler. Tirer des larmes à un escabeau. Remuer les tripes d’une salière. Et le plus incroyable, c’est qu’on est déjà impatient de lire les prochains écrits d’Yvan Robin.11/01/2012 à 19:29
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La Prophétie de cristal
3/10 Pour sceller leur récent mariage, Kit et Stella s’enfoncent dans une grotte et découvrent un crâne de cristal bleu. Ce dernier a été forgé au temps de la civilisation maya et recèlerait, avec les douze autres gemmes sculptés, un pouvoir qui dépasserait l’entendement. Mais un inconnu intervient et blesse grièvement Kit. Qui cela peut-il donc être ? Si l’on s’en réfère aux vieilles légendes, si les treize crânes ne sont pas réunis, le monde courrait à sa perte à la date du 21 décembre 2012. Le compte à rebours est déjà enclenché…
Avec cette Prophétie de cristal, Manda Scott signe un thriller dans l’ère du temps. Millénarisme, religion, ésotérisme, voilà quelques-uns des ingrédients qui ont fait l’immense succès de Dan Brown, Raymond Khoury ou encore Steve Berry pour ne citer qu’eux. Dès le premier chapitre, le lecteur bascule dans l’action. Il faut reconnaître à Manda Scott un certain talent pour donner vie à ses personnages, les rendre humains et crédibles. Par ailleurs, l’imbrication des chapitres au présent et ceux relatant l’épopée de Cedric Owen au XVIe siècle, avec force détails quant à l’époque et aux manigances politiques et religieuses du moment, est bien écrite, et même prenante.
Cependant, parallèlement à ces qualités, et probablement parce que l’écrivaine a fait le choix de la sobriété à l’excès plutôt que de l’action tonitruante, on se retrouve avec un récit particulièrement lénifiant, avec très peu de personnages en jeu, ce qui fait que l’identité du comploteur devient d’une évidence presque enfantine. Ces treize crânes pourraient faire sombrer l’humanité dans le chaos ? Étonnamment, les rares protagonistes présents dans ce roman semblent les seuls à croire à cette prédiction, et on a parfois un peu de peine pour eux, à les voir ainsi se débattre pour retrouver la trace des autres statues sans que cela n’inquiète ou ne motive personne d’autre. Cette impression assez déroutante est renforcée par cette absence de dangerosité de la part de celui qui essaie de retrouver les sculptures : quelques cailloux jetés sur les spéléologistes, un attentat aussi raté que risible, et une tentative de récupération finale qui frise le ridicule. À croire que même Manda Scott, en dépit de son long travail préalable de documentation et de préparation à son ouvrage, n’y croyait pas, ou n’y croyait plus. Il faut ajouter à cela de longues tirades sentimentales, parfaitement inutiles au déroulement de l’histoire, et une fin heureuse, prévisible au-delà du descriptible, pour parachever ce roman à l’eau de rose.
Une idée de départ originale, mais complètement gâchée par un traitement sentimentaliste déplacé, un manque d’action sidérant, et l’impression, une fois le livre achevé, d’une grande vacuité littéraire. De plus, le lecteur aura l’impression tenace que cet opus n’était qu’une bluette liée à la mode des romans ésotériques ; quand cet engouement scénaristique sera passé, à part quelques lecteurs nostalgiques de cette vogue, il est malheureusement fort à craindre que ce livre de Manda Scott ne laissera aucun autre souvenir qu’une vague réminiscence caricaturale et grotesque.11/01/2012 à 19:28
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Mauvais délires
9/10 La patiente d'un asile psychiatrique qui ne veut pas enlever le voile qui recouvre son visage. Un enquêteur aux méthodes bien spéciales. Un adolescent obsédé par une voisine pour des raisons bien sibyllines. Au total, huit fièvres.
Après Mauvais sangs, Sarah Cohen-Scali revient à un genre qui a fait sa réputation : la littérature de jeunesse en nouvelles. Dès le premier récit, le ton s'impose : c'est noir, oppressant, avec les dernières lignes qui claquent comme une détonation. Le style est impeccable, à la fois travaillé et largement accessible pour des adolescents, avec des personnages fouillés, riches en fêlures et en ombres, se débattant dans des univers glauques et fantastiques. Chaque histoire est réussie, sans le moindre temps mort, et l'on en vient à attendre l'épilogue, empli de sentiments mêlés : inquiétude, excitation, doute. Et le charme est au rendez-vous : retournements de situation, étincelle de folie, axe autour duquel la réalité pivote et oblige à une relecture des faits.
Pour les lecteurs en âge d'être en fin de collège ou au lycée comme pour les adultes, Mauvais délires constitue un excellent recueil. On frissonne, on s'émerveille, on s'émeut. Des histoires qui écornent et hantent. Une belle leçon d'écriture doublée d'un brillant moment de lecture.11/01/2012 à 18:47
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Black Rain S01//E1-2
8/10 Incontestablement, voici les deux premiers épisodes, réunis en un livre, d’une série qui remue les sangs. S’adressant aux plus de quinze ans, les lecteurs adultes pourront, sans mal, s’immerger dans ces ambiances ténébreuses où il est si facile de perdre pied. On attend donc avec impatience les prochains développements, pourvus qu’ils soient portés par la même fougue narrative, et féconds en réponses.
05/01/2012 à 19:03
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Big Bug
8/10 Voilà encore un ouvrage de Christian Grenier qui soulèvera l’enthousiasme des lecteurs, jeunes et moins jeunes, tout autant grâce à la plume expérimentée de Christian Grenier qu’à l’idée maîtresse de ce roman. Un tour de force inattendu et efficace.
27/12/2011 à 18:17
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Triple meurtre à Hazebrouck
8/10 Après L’Écorcheur des Flandres et Le Réseau Flandres, Philippe Declerck continue d’enchanter, avec ce double mérite qui caractérise souvent les grands écrivains : une patte reconnaissable et estimable, et des histoires qui, d’opus en opus, ne perdent pas de leur souffle.
27/12/2011 à 18:16
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Massacre à l'espadrille
7/10 Massacre à l’espadrille est donc un ouvrage hors-normes, succinct – environ cent trente pages – et qui parle plus à l’intellect qu’aux tripes. Pour entreprendre cette promenade, aux lisières du bien et du mal, il faut accepter de laisser de côté une certaine perception de l’humanité, et s’offrir tout entier à cette initiation insolite. À cet égard, on pourra réfléchir au titre de cet opus qui est en soi un message clair, mettant bien en relief son apparente absurdité.
20/12/2011 à 11:00
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Tonton Clarinette
9/10 Max Mingus purge une peine de prison pour un acte de justice pour le moins expéditif. Durant sa détention, un magnat le contacte pour retrouver son petit-fils, enlevé sur l’île d’Haïti. Après quelques atermoiements, Mingus accepte et se rend sur place. Il met alors ses pas dans les traces d’un monstre lié au culte vaudou et que l’on surnomme « Tonton Clarinette », version terrifiante du joueur de flûte de Hamelin.
Premier opus de la série consacrée au détective privé Max Mingus, Tonton Clarinette constitue un remarquable roman. D’entrée de jeu, Nick Stone dépeint des personnages denses, d’une rare luxuriance émotionnelle, bien lointains des clichés du genre, et l’on sent qu’une telle plume, sombre et talentueuse, mènera probablement vers des contrées angoissantes. Haïti. Pays-ghetto, subissant les violences, peuplée de gamins prêts à tous les méfaits pour manger autre chose que des galettes de boue, et encore sillonnée par d’anciens Tontons Macoute. Par ailleurs, la contrée est puissamment marquée par le vaudou, religion que nombre d’Occidentaux trouveraient subversive mais que Nick Stone restitue avec sang-froid et objectivité.
L’intrigue est également bien bâtie, offrant notamment vers la fin des rebondissements intéressants, et l’on achève ce livre le souffle court, les tripes en feu. Longtemps après avoir refermé ce roman, le lecteur gardera en tête des images brutales, interlopes, dérangeantes. Plus certainement, il souhaitera retrouver Max Mingus dans d’autres enquêtes, car Nick Stone a disséminé de nombreuses petites pierres, comme autant de promesses de rencontres futures avec le détective. Par exemple, on entraperçoit sans mal l’énergie maléfique de Solomon Boukman, que l’on retrouvera notamment dans Voodoo Land.13/12/2011 à 18:23 6
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Crim' au Cap
9/10 N’importe quel lecteur peut avouer avec sincérité que certaines séries littéraires finissent par tourner en rond, s’essouffler, s’épuiser. Ce quatrième roman des aventures de Garri Gasiglia est probablement le plus abouti : la richesse comique de l’auteur en vient presque à souligner, comme dans un clair-obscur, l’aspect dramatique du propos évoqué. Assurément, un coup de maître.
11/12/2011 à 18:31
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Cris de mes chats le dimanche
5/10 Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe, n’a plus le moral : Cheryl, sa coiffeuse adorée, batifole avec un inconnu, une maladie le prive des pieds de porc dont il raffole, et la politique actuelle de son pays le révulse jusqu’aux confins de ses tentacules. Alors il embarque sur une péniche avec Claire et Bernard, des amis d’un ami, histoire de se changer les idées. Dans l’embarcation, en plus du couple et de leurs enfants, il y a également des chats, dont Mélusine. Étrange félidé, d’ailleurs : tous les dimanches, la bestiole est la proie d’une possession qui la rend complètement enragée pendant quelques instants avant qu’elle ne recouvre son calme. Et ce qui est encore plus curieux, c’est qu’au même moment, un sinistre individu est assassiné. Serait-il possible que Mélusine soit en contact télépathique avec le meurtrier ?
Deux cent soixante-seizième ouvrage consacré au Poulpe, et c’est à présent au tour de Jacques Jouet de relever le défi et d’animer le plus célèbre enquêteur libertaire de la littérature française. On retrouve assez vite le ton qui a fait le succès de la série : Gabriel Lecouvreur demeure le bien sympathique limier qui entreprend ses investigations en partant d’un simple fait divers. Il y a de l’humour, du cocasse, dans les dialogues comme dans les situations, et la société dans laquelle nous vivons et telle qu’il l’observe prend de sévères coups de griffes. Ici, Gabriel traverse une mauvaise passe, sentimentale et psychologique, et c’est un quasi cadavre qui embarque dans la chalande, jusqu’à découvrir une nouvelle enquête qui va le remettre d’aplomb ainsi qu’un amour naissant pour Claire, son hôte du moment.
Cependant, ces qualités ne sauraient masquer un certain nombre d’écueils dans le récit. Jacques Jouet a de la verve et de la répartie, c’est indéniable, mais de nombreux dialogues durent, et durent, au point de perdre une bonne partie de leur saveur. Et puis il y a l’intrigue ; l’idée de départ était très excitante, avec ce phénomène inexpliqué qui se devait d’être le moteur, le propulseur du roman. Malheureusement, elle n’intervient pas assez vite dans le livre, et le lecteur trouvera probablement le temps un peu long avant que l’on entre enfin dans le vif du sujet. Cependant, cette attente pouvait être récompensée par un traitement débridé, audacieux, au moins aussi original que le postulat de cette histoire. Que nenni. Jacques Jouet n’exploite pas du tout le potentiel de la sarabande de Mélusine, s’en débarrasse assez rapidement, et le lecteur sera le spectateur frustré d’une enquête qui n’en est finalement pas une, puisque la résolution de l’énigme devient alors d’une évidence manifeste.
Cris de mes chats le dimanche est donc un écrit décevant : quand Jacques Jouet cesse d’être bavard, malgré d’avérées qualités narratives, et qu’on en vient au cœur du sujet, l’auteur court-circuite sa propre fiction et laisse une immense impression de gâchis, comme si lui-même n’avait pas été en mesure de trouver une résolution solide à l’histoire qu’il avait bâtie, ou, pire, comme s’il n’y avait jamais cru. C’est comme un feu d’artifice sans bouquet final, un espoir déçu. Un opus qui fait malheureusement pschitt.03/12/2011 à 09:03 1
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Souviens-toi de Titus
8/10 Une œuvre assez courte, bien écrite, et au scénario prenant. L'ambiance provinciale est bien restituée, les personnages sont crédibles et ont suffisamment de profondeur. Si l'identité du tueur ainsi que ses motivations apparaissent rapidement, demeure le rebondissement final quant à l'identité actuelle du criminel. Par ailleurs, les deux dernières pages du livre réservent une « chute », au propre comme au figuré, assez mystérieuse et totalement inattendue. Un très bon polar pour les jeunes et moins jeunes.
03/12/2011 à 08:51
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Le Rituel de l'ogre rouge
8/10 Après ses exploits du Châtiment des hommes-tonnerre, le jeune agent de l’Agence Pinkerton reçoit une nouvelle mission : appréhender un membre de la Brigade Pâle, par ailleurs ancienne recrue de l’Agence Pinkerton. Mais rien ne se déroule comme prévu, et Neil est désormais aux prises avec un nouveau mystère : il est sur la piste d’une tribu d’Amérindiens et d’un cérémonial où œuvrent d’étranges papillons…
Il est assez difficile d’en dire plus sans dévoiler la suite des péripéties présentes dans ce roman. À l’instar du précédent, Le Châtiment des hommes-tonnerre, il coule dans les lignes de ce livre une étonnante et prenante fusion entre plusieurs genres : western, policier, aventures et fantastique. Michel Honaker n’a guère son pareil pour insuffler une réelle dimension à ses personnages, les rendant rapidement et durablement, selon les cas, attachants ou angoissants. Dans la mesure où il s’agit d’une saga, on retrouve les protagonistes du précédent opus, ainsi que des nouveaux. Indéniablement, cette série, destinée en priorité aux jeunes mais également très accessible pour les adultes, dispose d’un nombre impressionnant de qualités, et on ne peut qu’attendre le troisième épisode avec impatience. Les scènes sont très visuelles, les rebondissements savamment coordonnés, et le scénario est toujours autant palpitant. Michel Honaker parvient à accaparer l’attention de son lectorat, sans jamais le délaisser, à grands coups de chevauchées dans l’ouest sauvage, de complots ésotériques et de moments particulièrement nerveux.
Cette série réussit cette performance littéraire, pour sa seconde charge, de confirmer tout le bien que l’on pouvait penser de sa première aventure tout en posant les jalons pour la suite. C’est original, prenant, imaginatif, et empli de promesses pour l’avenir : autant d’excellentes raisons pour être présent au prochain rendez-vous donné par Michel Honaker.03/12/2011 à 08:49 1
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Béthune, 2 minutes d'arrêt
8/10 Après être sortie du train, Charline Wartel se rend compte qu’elle a oublié dans son wagon ses effets personnels, parmi lesquels ses papiers, son téléphone et ses clefs. Elle tente de regagner sa place, mais le train vient de repartir. Ce qu’elle ignore, c’est que quelqu’un, Marc Jamet, a déjà tout récupéré. Pour en faire quoi ? Il ne sait pas précisément. Il a juste envie de s’amuser un peu. Juste un tout petit peu. Mais certains divertissements d’adultes peuvent rapidement tourner au drame…
Après le très bon La Veuve de Béthune, Patrick S. Vast signe un nouveau roman à suspense de qualité. On y retrouve les ingrédients qu’il avait employés dans son précédent ouvrage : situation simple, personnages dépassés par les événements, et une mécanique scénaristique implacable. Dès les premières pages, le ton est donné : les phrases sont sèches, les protagonistes décrits rapidement, et les multiples drames en puissance sont déjà sur le point de surgir. En moins de cent trente pages, l’écrivain est parvenu à donner vie à des individus crédibles, auxquels on s’attache ou on s’identifie sans difficulté. Des êtres lambda, parfois hachés par la vie, mais toujours avec ce qu’il faut de vraisemblance pour s’imaginer que ce récit est inspiré d’un fait divers. Patrick S. Vast exploite à nouveau les thèmes de l’usurpation d’identité, des complexes relations avec autrui, et maîtrise avec brio cette intrigue qui commence comme un événement si anodin pour rapidement devenir une tragédie en plusieurs actes. Ici, ce qui frappe encore plus que dans La Veuve de Béthune, c’est l’apparente banalité des personnages, pour ne finalement retenir que le mécanisme de leur lente destruction. Des créatures fragiles, persuadées que les catastrophes n’arrivent qu’aux autres, et qui se retrouvent confrontées à des épreuves qui dépassent leur malheureux entendement. À n’en pas douter, Patrick S. Vast a orchestré une remarquable machination, terrible escalier au nombre de marches encore inconnu au fur et à mesure que les personnages les dégringolent. Une lente annihilation, qui éclate à la fois par son originalité et sa crédibilité, au point que le lecteur ne pourra que fermer le livre et se demander ce qu’il aurait fait si cela lui était arrivé.
Une narration impeccable, un récit lapidaire et maîtrisé, et encore une fois, cette aptitude si naturelle à croquer des êtres humains dans des situations singulières. Inutile d’en écrire plus : Patrick S. Vast parvient, en ce qui le concerne, à faire très bien avec peu de mots.03/12/2011 à 08:44
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Le Feu de Dieu
9/10 François-Xavier, surnommé Franx, avait tout prévu en cas de catastrophe mondiale, et notamment ce fortin isolé dans le Périgord, le Feu de Dieu. Et quand ce gigantesque cataclysme survient, Franx n'est pas aux côtés de sa famille mais à Paris, pour une histoire de succession. Il doit alors rejoindre le bastion mais la France, à l'instar du monde tel que l'humanité le connaissait, est complètement bouleversée : paysages ravagés, hordes de pillards, animaux maîtrisant certaines parties du territoire. Et Franx ignore encore que sa famille, confinée entre les murs de la citadelle retranchée, est sous la coupe d'un dangereux psychopathe.
Avec ce thriller crépusculaire, l'auteur bouscule indéniablement le lecteur, notamment en choisissant de le plonger dans un univers en pleine implosion, et ce dès le premier chapitre. A la manière d'un Cormac McCarthy dans La route, Pierre Bordage peint un décor terrifiant, avec un climat détruit, des paysages désolés, en proie à la furie d'une nature incontrôlable. Dans le même temps, le comportement des êtres humains est particulièrement saisissant, devenant des prédateurs d'une rare férocité. On suit donc, parallèlement, le périple de Franx, accompagné d'une jeune orpheline, dans cet univers effrayant, et la survie de son épouse et de ses enfants aux prises avec un redoutable individu, que les circonstances vont transformer en nuisible. Indéniablement, le récit est crédible, et Pierre Bordage dépeint avec une plume d'une rare efficacité une population en pleine effervescence, cherchant de nouveaux jalons moraux, hésitant entre solidarité et égoïsme. Certains tableaux sont époustouflants, des descriptions des horizons balayés par la catastrophe à la barbarie d'individus revenus à une sauvagerie primitive. Cependant, dans cette histoire lugubre subsistent des éclats de vie, des fragments d'optimisme, comme l'espoir en cette jeunesse qui se réinvente et croit en des lendemains meilleurs : Surya, la jeune fille qu'escorte Franx vers le Feu de Dieu, ou encore ses enfants. Des étincelles de lumière dans un monde qui semble avoir inéluctablement basculé dans le néant.
Le Feu de Dieu est assurément un livre percutant, aux images incandescentes qui marquent l'esprit du lecteur. Une histoire où la bestialité côtoie la promesse d'un avenir possible, avec de belles réflexions quant à la jeunesse et la famille. Un roman catastrophe d'autant plus envoûtant qu'il renvoie à des craintes tout à fait plausibles.20/11/2011 à 16:01 2
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Le Tueur
9/10 Le docteur Samuel Kahn s'intéresse un peu par hasard à Arthur Lingard, un détenu de la prison de Rose Hill. L'homme paraît inoffensif, passe pour être d'une intelligence quelconque, et fait plus penser à un petit animal peureux qu'à un véritable criminel. Progressivement, le psychologue va s'approcher du réel Arthur Lingard et l'amener à se confesser. C'est le début d'une longue descente vers l'enfance du prisonnier, un passé qui a conditionné son psychisme. Et si Lingard était en fait un véritable psychopathe ?
Colin Wilson fait partie de ces nombreux auteurs de romans policiers que la postérité a oubliés. Bien à tort, car ce livre, publié pour la première fois en 1970, est en la matière un petit bijou. Par paliers successifs, comme on pénètrerait à l'aveuglette dans une cave mal éclairée, le lecteur s'approprie l'esprit tourmenté du captif. C'est un univers glauque et terriblement déstabilisant, perclus de traumatismes odieux, de fantasmes inassouvis, de cauchemars vécus éveillés. De ses premières amours pour sa sœur jusqu'aux désirs d'inceste, d'attouchements sous hypnose à la fréquentation de pédophiles honteux, du fétichisme pour les culottes aux viols, ce sont des arpents de ténèbres qui se dévoilent lentement, au gré d'une confession chaotique et terriblement obscène. La chrysalide de l'enfant déstructuré s'est ouverte pour donner naissance à un individu aussi pathétique que dérangeant. Certains passages sont décrits d'une manière très directe, presque naturaliste, à la manière d'un entomologiste observant et narrant l'activité d'un insecte nuisible. Colin Wilson ne s'érige pas en juge : il raconte, explore, mais ne tranche quasiment jamais. Le lecteur pourra d'ailleurs trouver bien des scènes écœurantes, sans ce filtre du moralisme, mais l'écrivain s'est contenté de livrer une vérité humaine brute, sans jalons ni tamis, ce qu'il explique d'ailleurs dans sa postface. À certains égards, on en vient même à se demander si le psychologue, Samuel Kahn, n'est pas un peu insipide face à un être aussi pervers, mais ce choix narratif est amplement compréhensible : la lumière obscure projetée par Lingard ne pouvait s'encombrer de paravent, et se devait d'exposer sa noirceur sans contrepoint.
Derrière ce titre assez banal se dissimule un roman psychologique fort et haletant. Les scènes à faire trembler le lecteur sont bien rares, et ce n'était d'ailleurs pas l'objectif de Colin Wilson. Il s'agissait de mettre en relief la genèse d'un monstre, depuis son enfance brisée jusqu'aux premières effusions de morbidité. Un récit d'autant plus effroyable qu'il est parfaitement crédible, et a certainement influencé des auteurs comme James Ellroy, Thomas Harris ou Keith Ablow.08/11/2011 à 16:08
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Mortelle Venise
8/10 En 1536, à Venise, on retrouve le corps de l’embaumeur Marcello Benvolio dans la rue. Il est retrouvé mort sans que l’on puisse établir les causes définitives de son décès. Sur ses traits, la marque d’une infinie terreur. Pour résoudre cette énigme, le doge fait appel au jeune chevalier Ferrucio Ardani. Cet homme, autrefois vénitien et rejeté de la ville, est un habile enquêteur doué d’un esprit fin et cartésien. Saura-t-il dénouer les fils d’une intrigue qui menace l’équilibre de la cité entière ?
En auteur expert en littérature jeunesse, Michel Honaker maîtrise les codes du suspense, et il en fait de nouveau la démonstration avec ce polar historique de haute volée. Rapidement, son style séduit et envoûte : l’époque et les lieux sont impeccablement retranscrits, et l’on ressent rapidement l’angoisse provoquée par ces endroits engoncés de brumes persistantes. L’intrigue est très bien ficelée, et entrelace de nombreux thèmes, comme la religion, les arts ou le pouvoir politique. Le héros est un modèle du genre : d’esprit vif, subtil analyste des scènes de crime, féru de sciences, courageux et doué pour le combat, il dispose de tous les atouts littéraires nécessaires pour le rendre attachant. Par certains aspects, il ressemble même à Sherlock Holmes, le génial détective du non moins génial Arthur Conan Doyle. Au fil de ce court roman – environ cent quatre-vingts pages, Michel Honaker déploie toute l’étendue de son talent, et le lecteur se passionne autant qu’il frissonne face aux épreuves qui s’imposent au protagoniste : un ordre religieux proche de la secte, une ville assaillie par des rumeurs folles, l’angoisse face à un prétendu monstre surgi des cieux, des enjeux politiciens ambigus, etc. À la lecture de cet opus, on ne peut s’empêcher de penser au chef-d’œuvre d’Umberto Eco, Le Nom de la rose, tant certains parallèles apparaissent évidents : la présence d’un inquisiteur retors, les relations entre Ardani et son domestique, l’omniprésence d’une religion fanatique dressée contre d’hypothétiques hérétiques… À n’en pas douter, en plus d’être un brillant écrivain, Michel Honaker est également un lecteur assidu, et ces références, loin d’être les stigmates d’un plagiat, sont autant d’hommages rendus à d’illustres prédécesseurs.
Œuvre dédiée à la jeunesse mais également abordable par les adultes, cette Mortelle Venise est un récit ensorcelant, efficace et rythmé. Pas le moindre temps mort, une intrigue originale, un héros brillant, et la promesse de quelques heures d’une lecture jubilatoire. À découvrir, du même auteur chez la même maison d’édition : Croisière en meurtre majeur, La Sorcière de midi et Trois cartes à abattre.08/11/2011 à 16:08
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La Bible de Darwin
7/10 À la fin de la Seconde Guerre mondiale, un nourrisson échappant aux bombardements alliés dans les bras d'une scientifique et dans lequel subsistent de bien étranges espoirs. De nos jours, au Népal, des moines bouddhistes détruits par un mal indescriptible. Un exemplaire d'une Bible ayant appartenu à Charles Darwin mis aux enchères et déclenchant des passions meurtrières. En Afrique, une femme emportée par une créature mystérieuse. Au cœur de ces quatre énigmes, un secret monstrueux que tentaient de s'approprier les nazis et qui semble être sur le point de se concrétiser.
Deuxième opus de la série consacrée à la Sigma Force après L'Ordre du dragon, La Bible de Darwin se présente comme un film d'action typiquement américain porté sur papier, sans que cette formule soit pour autant péjorative. Arcanes et rebondissements s'enchaînent au gré de chapitres courts et rythmés, l'action ne manque pas, et les scènes trépidantes de combat foisonnent. Du coup, de nombreux personnages peinent à prendre de la profondeur sous la plume de James Rollins, mais cet écueil fait presque partie des désagréments du genre. L'intrigue a été intelligemment pensée et le roman bien bâti, permettant au lecteur de ne jamais s'ennuyer. Au fil des pages, sur de nombreux continents, on explore de multiples domaines, des ténèbres du nazisme avec le mythe du surhomme en passant par l'évolution darwinienne et la physique quantique. James Rollins réussit à habiller son livre très dynamique de notions qu'il vulgarise avec succès, au point de les rendre accessibles alors qu'elles paraissaient pourtant impénétrables pour le commun des mortels. Et si l'ensemble se lit avec avidité, avec comme premier objectif de longues heures de détente, ce livre s'extrait de la masse d'ouvrages traitant de la mystique aryenne grâce à une idée originale et captivante, même si elle demeurera bien trop irréelle aux yeux de nombreux lecteurs, rappelant en cela le final de Genesis de John Case.
Alerte dans sa forme, atypique dans le fond à quelques reprises, La Bible de Darwin constitue un thriller très détendant. Les amateurs du genre y trouveront certainement leur bonheur tandis que les autres, habituellement hermétiques aux romans fondés sur l'action pure et les complots à l'échelle mondiale, verront s'ouvrir, grâce à cet opus de James Rollins, d'agréables parenthèses de réjouissance.02/11/2011 à 18:26
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Un Tueur à la fenêtre
8/10 Dans une cité anonyme, Max et Lucas, deux amis lycéens, se baladent, quand un coup de feu éclate. Max ne se relèvera pas de la balle qui l’a atteint. Le présumé tueur est retrouvé dans un appartement. Mort lui aussi. Il s’est visiblement suicidé. Mais Max n’y croit pas, et décide de mener sa propre enquête, aux côtés d’une séduisante journaliste. Le jeune homme est alors la proie de menaces de mort…
Stéphane Daniel livre ici un très bon roman pour adolescents qui séduira également les adultes. Rapidement, le ton est donné. Les phrases sont courtes, les chapitres également, et l’emploi du présent de l’indicatif renforce la fougue et l’immédiateté du récit. Les divers protagonistes sont très bien brossés, des journalistes aux policiers en passant par les adolescents. L’intrigue est serrée, les rebondissements intéressants, et probablement seuls les grands lecteurs relèveront le détail qui permet de deviner, ou du moins de percevoir l’identité de l’assassin. Au-delà du récit, Stéphane Daniel brosse également un portrait saisissant d’une banlieue banale, entre trafics, intimidations et peurs, et où les barres d’immeubles s’y dressent comme d’inquiétants sémaphores. Néanmoins, l’auteur s’écarte de tous les poncifs, et peint une galerie de personnages qui oscillent entre clarté et ténèbres – le fait qu’il soit d’ailleurs enseignant n’est certainement pas étranger à sa connaissance de ce microcosme.
Au final, Un tueur à la fenêtre constitue un roman à suspense de haute tenue, très bien écrit et saisissant, où l’intrigue est un fil rouge au gré duquel le lecteur sillonnera des lieux bien singuliers. On pourra donc enchaîner avec d’autres écrits de Stéphane Daniel comme Les Visiteurs d’outre-tombe ou Avant qu’il soit trop tard.20/10/2011 à 17:18
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Le contour de toutes les peurs
8/10 Un livre qui, pour un roman jeunesse, présente de nombreux aspects dérangeants : crudité, violence..., ce qui fait qu'il peut être lu par des adultes. Le style est brut, non dénué de qualité, et l'ensemble se lit en moins d'une heure. Il marque les esprits par certaines scènes ainsi que par un scénario original pour ce type de lectorat. Une belle réussite, mais qu'il ne faut pas mettre entre toutes les mains.
19/10/2011 à 12:44