El Marco Modérateur

3256 votes

  • Me And The Devil Blues tome 1

    Akira Hiramoto

    8/10 … ou l’histoire romancée du génialissime Robert Johnson, le bluesman qui a, depuis son décès, été honoré par toutes les pointures du genre, et même bien au-delà. Moi qui suis fan de ce style musical, je me suis rué sur ce manga, en plus d’être curieux de voir comment un Japonais, écrivant un manga, allait pouvoir traiter une histoire typiquement américaine à propos d’un musicien jouant une musique également typiquement américaine. Et je dois dire que j’ai été séduit. Un graphisme magnifique (surtout quand l’auteur traite les zones d’ombre, les démons, ou encore les décors enfumés des bars), une histoire qui multiplie habilement les références à l’œuvre, pourtant si courte, de l’immense musicien. Un opus furieux, déchaîné, fort et poignant, diablement original, qui permet en outre de croiser avec délectation quelques-unes des grandes figures du blues de l’époque, jusqu’à, fait étonnant, Clyde Barrow. J’ai conscience de ne pas être très objectif, mais là, une telle originalité avec un tel traitement esthétique, somptueux, j’adhère à fond. Et je ne parviens pas à comprendre comment Akira Hiramoto a pu commettre cette soupe délayée et assez vulgaire qu’est la série « Prison School » et réaliser une telle réussite.

    17/11/2019 à 18:39 1

  • Détective Conan Tome 79

    Gosho Aoyama

    8/10 La fin de l’énigme présentée dans l’opus précédent, où le Kid joue un rôle intéressant dans ce cambriolage saugrenu et ingénieux, avec cette histoire de disparition, de diamants et d’une… tortue. Ensuite, un homme assassiné alors qu’il était sous la surveillance de la police, pendu. Mais ne serait-ce pas en fait un suicide, car c’est un autre cadavre qui est ensuite découvert dans un ascenseur. Très malin et astucieux. Puis une histoire de vampires avec un meurtre datant de six mois plus tôt, et d’un cadavre découvert dans un cercueil qui disparaît peu de temps après. Beaucoup de rebondissements même si j’ai trouvé l’ensemble un peu long et bavard, et encore, l’intrigue n’est résolue que dans le tome suivant. Un peu dommage, mais l’ensemble reste vraiment très bon, une fois de plus.

    17/11/2019 à 18:38 1

  • Brume

    Stephen King

    9/10 Une nouvelle (j’ai un peu du mal à l’appeler ainsi, car elle est tout de même bien longue pour correspondre à cette étiquette) que j’avais adorée dans le recueil. Ou comment une brume abritant des créatures surnaturelles et mortelles oblige de paisibles Américains à être reclus dans un supermarché. Dit comme ça, ça ressemble à un scénario de navet cinématographique. Sauf que c’est le King qui est aux manettes. L’intelligence et l’originalité de son postulat, la manière de tisser le suspense, l’humanité et les sentiments si crédibles qui meuvent les personnages, et ce qui fait que Stephen King n’écrit comme personne et que personne n’écrit comme lui : le fait que les protagonistes apparaissent rapidement, pour n’importe quel lecteur, comme un individu que l’on connaît, que l’on a croisé, qui nous rappelle quelqu’un. Il est selon moi le seul écrivain qui mêle avec autant d’habileté le surnaturel et les « vraies personnes ». Un grand moment de lecture, et qui, bien des années plus tard, est encore gravé en moi.

    09/11/2019 à 17:24 4

  • Les Exploits de Fantômette

    Georges Chaulet

    7/10 … ou comment la jeune et intrépide super-héroïne Fantômette en vient à contrecarrer les plans d’un trio de malfaiteurs souhaitant récupérer l’invention d’un savant, à savoir une tuyère servant à une fusée révolutionnaire. J’avais déjà lu « Pas de vacances pour Fantômette », et je retrouve ici le ton si particulier de la série. De l’humour, la plume de Georges Chaulet qui est tout sauf simpliste ni caricaturalement enfantine, et pas mal d’action. J’ai vraiment pris plaisir au gré de ces quelque 180 pages, avec une satisfaction qui n’est même pas coupable, puisqu’il n’y a ici pas d’infantilisation. Des moments cocasses, notamment dans les dialogues, ou dans les objets inventés par le professeur Potasse, l’oncle d’Isabelle (« Pompe à eau, Siège éjectable, Hélicoptère à vapeur, Patinette-tondeuse-à-gazon », p. 52, ou encore « Pendule à trois cadrans », « Ouvre-boîte à musique », « Extincteur à trompette » p.87). Fantômette y apparaît ici comme un amusant croisement entre James Bond, Catwoman et Indiana Jones, avec l’emploi de quelques gadgets (dont sa broche), ses techniques de combat, sa double identité (écolière – redresseuse de torts), ou encore sa grande sagacité. Elle aura ici fort à faire face au tiercé de crapules composé de Bébert, de Kafar et du colonel Pork, travaillant pour l’Etat de Névralgie (j’ai d’ailleurs trouvé que le fait de donner d’attribuer des noms communs à des personnages – Lilas, Godillot, Bigoudi, Boulotte, Ficelle, etc. – astucieux pour le jeune lectorat auquel se destine ce roman, même si pour des adultes, c’est un choix moins pertinent car situant tout l’univers du livre dans quelque chose de trop fictif, irréaliste, faux). Des cambriolages, des bagarres, des tentatives de meurtres, des kidnappings, des chantages, bref, aucun temps mort pour cet opus qui est également le premier de la série et qui, détail amusant, essaie de préserver une forme de suspense autour de l’identité réelle de Fantômette jusqu’au dernier chapitre, le onzième, intitulé « Qui est Fantômette ? ». Pour résumer, pas de quoi épiler un hérisson, c’est indéniable, mais un souffle suffisamment bienveillant et enjoué pour emporter jeunes et moins jeunes lecteurs.

    09/11/2019 à 17:23 2

  • Tous les péchés sont capitaux

    Daria Desombre

    7/10 Moscou. Un cadavre repêché, avec le nombre 14 sur le crâne, et qui serait resté plusieurs mois dans un congélateur. La jeune Macha Karavaï, étudiante en droit, bénéficie d’un stage auprès du policier Andreï Yakovlev, et tous deux vont enquêter sur ce crime étrange et faire remonter à la surface d’autres homicides plus anciens, jusqu’à marcher dans les pas d’un tueur en série que l’on surnomme « Le Tourmenteur ».

    Ce premier roman de Daria Desombre séduit rapidement. Le cadre de la capitale russe est joliment décrit, et c’est avec plaisir que l’on plonge dans le dédale de ses rues, de son histoire et de ses us et coutumes. Les personnages sont vraiment réussis. Macha, fougueuse, « attirée par la connaissance comme un tournesol par le soleil » comme le disait son défunt père, obsédée par les tueurs en série, et qui va d’ailleurs bigrement se rapprocher du prédateur à l’œuvre dans ce roman, à moins que ça ne soit l’inverse. Andreï, qui vit une relation bouffonne avec son chien Marilyn, d’abord agacé de devoir faire équipe avec Macha avant de plier devant son savoir… et sa beauté. Innokenti, ami de la jeune femme et antiquaire de son état, qui va se révéler déterminant dans cette traque au monstre. Dès l’entame, le rythme est haletant, les informations se bousculent, et les chapitres, très courts, peinent presque à contenir tant de rebondissements. Cet opus s’intéresse à certains pans de la religion orthodoxe, et notamment ceux que l’on appelle les « vieux croyants ». On retrouve de nombreuses références littéraires et cinématographiques, comme au Silence des agneaux de Thomas Harris, les ouvrages de Dan Brown, ou encore le film mythique de David Fincher Seven. Et c’est peut-être d’ailleurs sur ce point que ce livre pèche, sans pour autant que cet écart ne soit capital : on a parfois l’impression que Daria Desombre a du mal à s’extraire de l’ombre de ses aînés. Si certains clins d’œil sont évidemment complices, donc sans que l’on puisse taxer l’écrivaine de duplication, d’autres moments sont par trop devinables pour qui aura lu ou vu les œuvres précitées.

    Un roman à suspense de bonne tenue, haletant et maîtrisé, qui a en outre le tact de ne jamais tomber dans la surenchère voyeuriste de scènes choquantes au prétexte de vouloir devenir mémorables. Mais Daria Desombre, avec le talent qui est indubitablement le sien, va devoir s’affranchir de ses prédécesseurs pour convaincre totalement.

    05/11/2019 à 20:18 3

  • Le Voyageur du doute

    Maud Tabachnik

    8/10 Simon et Black, les meilleurs amis du monde. Un individu et son fidèle chien, parcourant les routes, promenant sur le monde qui les entoure un regard désillusionné, nourri de nombreuses réflexions défaitistes quant à l’âme humaine. Quand ils croisent cinq jeunes personnes qui s’adonnent aux cambriolages, leur existence va prendre une direction inattendue.

    De Maud Tabachnik, on connaît surtout l’œuvre constituée de nombreux romans sombres et thrillers destinés aux adultes, et voilà qu’elle arrive avec ce titre voué à être lu par de plus jeunes lecteurs. D’entrée de jeu, son style surprend et séduit. Simon et Black, en jeune explorateurs d’un univers qui les dépasse et dont ils n’attendent guère plus rien, communiquent, lâchent au gré de leurs rencontres des sentences appuyées sur le sort de l’Europe et du monde, autant d’aphorismes et de formules qui pourraient devenir de véritables dictons. C’est avec un quintette de jeunes à la dérive (Sonate, Arèle, Flamberge, Safran et Beauregard) qu’ils vont se lier d’amitié (voire d’amour, en ce qui concerne Simon pour Sonate), malgré les muettes récriminations de Black qui ne voit dans cette alliance qu’une source de problèmes à venir. D’ailleurs, un avenir proche va lui donner raison, puisque cette petite troupe va tomber sous la coupe d’individus peu scrupuleux, leur demandant jusqu’à aller accomplir une exécution. Maud Tabachnik dresse un tableau sans concession de notre époque (d’ailleurs, certaines références politiques et géographiques désarçonneront le lectorat puisqu’elle semblent situer le contexte du livre dans un avenir proche), avec des maximes joliment senties quant au pouvoir, l’individualisme, l’amitié, l’emprise de l’argent, la société et ses laissés-pour-compte. L’aspect policier revient au premier plan dans un dernier tiers du roman, avec cette histoire de contrat, digne des meilleurs polars, et s’achève sur une note sombre que l’on ne va pas détailler pour éviter de spoiler l’intrigue.

    De ce roman à mi-chemin entre la littérature blanche et la noire, on retiendra particulièrement la langue de Maud Tabachnik, et ce ton, philosophique, presque initiatique, qui séduit du début à la fin. Un ouvrage qui détonne dans le paysage de la littérature pour la jeunesse.

    05/11/2019 à 20:13

  • Un trou dans la carapace

    Nicolas Ménard

    8/10 Dix-sept ans après son départ de Montiviliers, en Sologne, où son père continue de gérer un parc animalier, c’est en tant que lieutenant de police que Bastien Guilian revient. Une série de meurtres sauvages, probablement dus à un animal indéterminé, ensanglante la contrée. La solution se trouve-t-elle dans un vieux conte de la région ? A moins qu’il ne se trouve dans le passé de l’enquêteur.

    Voilà un roman qui, pendant les premiers chapitres, désarçonne. En effet, bien loin du résumé de la quatrième de couverture, Nicolas Ménard brouille les pistes et installe une intrigue apparemment très différente : un dangereux terroriste, Lyazid Jaafar, débarque en Sologne, est victime d’un accident, et l’on voit d’étranges trafics tournant autour d’un mystérieux laboratoire. Mais après ce prologue assez distant de l’intrigue principale, tout se remet en place. La langue de l’auteur, simple et séduisante, mène le lecteur dans les traces d’un animal étonnant et détonnant qui massacre et démembre. Est-ce un monstre ? Un des félins du parc animalier qui aurait réussi à s’échapper ? Ou une variation sur le thème de la Bête du Gévaudan ? L’auteur sème une habile zizanie dans le récit, mélange divers genres et pistes, sans jamais pour autant perdre son lectorat. D’anciennes affaires de famille, des expérimentations secrètes menées par l’Etat français, une légende où il est question d’un énigmatique nectar, un arbre découvert en terres amazoniennes… Il fallait du toupet pour ainsi mêler tant d’ingrédients dans le creuset d’un seul roman, et Nicolas Ménard, grâce à son talent et à sa maîtrise, ne perd jamais le cap. Ses personnages tiennent amplement la route et disposent de suffisamment de profondeur humaine et psychologique pour demeurer crédibles. Dans le même temps, l’histoire est intelligemment menée, et ce n’est que l’épilogue qui livre la dernière clef, avec un bien beau rebondissement, de cette histoire forte.

    Un immense merci à Nicolas Ménard de nous avoir épargné les poncifs du genre, qu’ils soient littéraires ou cinématographiques, au gré de ce roman efficace et plausible, même si l’on aurait peut-être préféré que l’intrigue soit plus resserrée. Un très bon moment de lecture qui offre indéniablement les fondations nécessaires à un téléfilm de grande qualité.

    05/11/2019 à 20:10 1

  • Le Salon de beauté

    Melba Escobar

    7/10 Bogota. « La Maison de beauté » est un établissement sélect où l’on prend soin de riches clientes. Parmi les petites mains, Karen, une jeune maman qui déploie bien des efforts pour mettre de l’argent de côté et ainsi permettre à son fils de la rejoindre. Mais c’est un jour Sabrina, une adolescente, qui demande des soins à l’institut, avant d’être retrouvée morte le lendemain, officiellement d’un problème cardiaque. Et si sa mort n’était en réalité pas naturelle ?

    Ce seul ouvrage traduit en français de Melba Escobar séduit d’entrée de jeu. La plume de l’écrivaine est enchanteresse, gracile et élégante, donnant à voir de beaux portraits de femmes. Il y a bien évidemment Karen, principale protagoniste du roman, confrontée de plein fouet à la misère de la Colombie, prête à tout pour permettre à son enfant de quitter Carthagène et de lui offrir une jeunesse correcte. Mais est-ce encore possible quand il faut accumuler les heures de travail auprès de clientes parfois brutales, dédaigneuses, aux caprices incroyables, et avec une monnaie dévaluée, où il faut des milliers et des milliers de pesos pour s’offrir trois fois rien ? De même, son jeune âge et ses atours attirent l’attention de mâles prêts à troquer le désir charnel qu’elle provoque contre cet argent qui lui fait tant défaut. Dans le même temps, le lecteur sera marqué par d’autres beaux portraits de femmes, comme Consuelo Paredes, la mère de Sabrina, ou encore Lucia, devenue écrivaine de l’ombre pour son mari, bien plus jeune qu’elle, qui ne la conçoit que comme sa plume et non sa chérie, au point de ne plus la considérer avec la décence qu’elle mérite. Melba Escobar décrit donc avec beaucoup de tact et de justesse la condition féminine colombienne, avec une large palette de dames, toutes conditions sociales confondues, qui ne peut que faire écho au sort, plus global, de ces malheureuses, dévalorisées, réduites à des ventres, soumises au bon vouloir de prédateurs sexuels ou politiques. L’intrigue passe d’ailleurs au second plan, ce qui décevra probablement certains lecteurs.

    Même si l’aspect purement policier ne constitue pas sa plus flagrante qualité, voilà un roman original et très humain, sans effet lacrymal de mauvais aloi ni pathos étalé à la truelle. De belles nuances féminines éclairent ce texte subtil, et c’est en soi une grande vertu.

    05/11/2019 à 20:07 2

  • Kaïken

    Jean-Christophe Grangé

    7/10 … ou comment j’essaie de rattraper le retard (relatif) dans la lecture des œuvres de Jean-Christophe Grangé. J’ai été immédiatement pris par le rythme imposé par le boss (phrases courtes, cadence soutenue, chapitres lapidaires, enchaînements vifs) et le style de l’histoire, avec toujours cette propension à s’intéresser et mettre en relief des personnages cabossés. Olivier Passan, borderline, a retenu mon attention, fonceur, opiniâtre et bagarreur, perclus de fêlures au même titre que son épouse Naoko, avec cet amour ambivalent et contradictoire pour le Japon, entre pays fantasmé et conception déformée. Toujours autant de panache dans le début de ses récits, avec des protagonistes brisés, victimes devenues bourreaux (je me souviendrai longtemps de Guillard avec son anormalité sexuelle) et des scènes marquantes, très cinématographiques (« le baiser de feu », le sang coulant dans la salle de bain de Passan, etc.). Des psychologies également habilement mises en valeur, notamment dans la guerre que se livrent Passan et Naoko à propos de leurs deux enfants, de l’occupation de la maison, mais surtout, à mes yeux, entre Naoko et un autre personnage clef apparaissant bien plus tard dans le récit (inutile de spoiler). Mais j’ai été déçu par le final, que je m’attendais à découvrir apocalyptique, mémorable, saignant, comme le bouquet final d’un long feu d’artifice : trop court, pas aussi endiablé que le reste du livre (je me souviens avec nostalgie et de nombreux frissons de ce que Stephen Hunter, dans un genre avoisinant pour ce qui concerne l’épilogue, nous avait concoctés dans « Le 47è samouraï » que j’avais adoré et dont je me souviens encore), bref, presque médiocre par rapport à l’attente légitime que l’on pouvait en avoir. Et au final, même si je ne boude pas mon plaisir de lecture et mes « retrouvailles » avec cet écrivain, la dernière page tournée, j’ai encore un peu de mal à comprendre cette espèce de coexistence entre ces deux histoires, fortes, dont chacune aurait pu faire l’objet d’un ouvrage en tant que tel, mais qui une fois réunies, ont perdu à mon goût de leur impact respectif, s’annihilant dans cette sorte de surcharge de saveurs, où chaque ingrédient / épice / mets anesthésie l’autre.

    04/11/2019 à 17:19 3

  • Les Scrupules de Maigret

    Georges Simenon

    9/10 … ou comment, par un mois de janvier froid et neigeux, le commissaire Maigret reçoit la visite de Xavier Marton, vendeur de trains électriques dans un grand magasin. Pourquoi ? Il écrit simplement « a absolument besoin de s’entretenir avec le commissaire Maigret », et explique au policier qu’il craint que son épouse, Gisèle, n’essaie de l’empoisonner. Et ce qui est troublant, c’est que Gisèle vient ensuite voir Maigret pour lui dire que son mari a des problèmes d’ordre psychologique. Dès lors, notre limier va être confronté à un dilemme, une véritable torture qui ne va plus le lâcher : n’y a-t-il pas là, sous les atours d’une simple friction conjugale, les prémices d’un drame à venir ? J’ai retrouvé avec un entrain qui s’amollit pas la plume de l’immense Simenon, si caractéristique, à la fois sèche et trempée dans le vitriol, pour nous dépeindre ici un couple en plein chaos, d’autant qu’il y a Jenny, la sœur de Gisèle, récemment veuve depuis le décès aux Etats-Unis de son mari, revenu vivre auprès d’elle et de son beau-frère, d’autant plus « dangereuse » qu’elle a dix ans de moins que son aînée et est plus attrayante. Maigret demeure cette force tranquille, toujours aussi juste dans ses observations et ses déductions, même si cette enquête est pour lui assez particulière, comme il le confesse : il n’y a pas encore de crime, alors sur quoi peut-il instruire, même s’il sent que la tragédie est proche. De même, notre commissaire est toujours aussi humain (cf. sa relation avec ses subalternes qu’il appelle toujours « mes enfants », ainsi qu’avec son épouse, qui doit ici perdre un peu de poids et se souvient avec une émotion poignante quoique tout en retenue, de ses premiers baisers avec celui qui va devenir son homme ainsi que la manière dont ils ont pris l’habitude de s’étreindre). L’intrigue est d’autant plus forte qu’elle est d’une simplicité presque élémentaire, ajoutant cette immédiateté à son aspect plausible. Une histoire qui mêle humiliations, déceptions, impuissance, désespoir, puis une double espérance débouchant sur une scène forte, où l’on trouve, à parts égales, une franche ironie du sort, un rebondissement et un moment que n’aurait pas renié Agatha Christie. Toujours ce panache du célébrissime écrivain belge pour décrire les turpitudes d’un couple lambda, aux conséquences terribles et à l’issue létale, que Simenon conclut ainsi : « Pour lui [Maigret], c’était fini. Le reste regardait les juges, et il n’avait aucune envie d’être à leur place ». Encore un excellent opus, à la fois de Simenon et de la série consacrée à Maigret, et, c’est un paradoxe brûlant, d’autant plus fort qu’il est tragiquement crédible.

    04/11/2019 à 17:17 1

  • Orgies funéraires

    Michael Avallone

    8/10 … ou la terrible vengeance en plusieurs actes de Stewart Turner Garland, embaumeur dans l’opulente ville de Roseland, sur celles et ceux qu’il estime responsables du décès de sa fille. La mort, STG l’a côtoyée lors de la Guerre de Corée, là où il a pris la décision qu’il viendrait plus tard redonner forme humaine aux cadavres, également la raison pour laquelle il garde toujours autour du cou ses plaques d’indentification militaires. Mais on a beau faire appel à ses services dès que survient un trépas, il n’est guère considéré à la hauteur de son talent, et sa femme et sa fille – respectivement Orchid et Violet – vont en faire les frais et subir un tragique accident de la route. Dès lors, la colère de l’embaumeur va exploser et le porter non seulement à tuer mais aussi à s’en prendre aux dépouilles des défunts. Une plume alerte, noire et ensorcelante, ménageant quelques délicats éclats d’humour noir, au gré de ce jeu de massacre où vont y passer divers notables et autres personnalités de Roseland qui ont osé s’en prendre aux proches de l’embaumeur ainsi qu’à lui-même. Le psychiatre qui a bafoué sa profession dans un livre acide, un queutard invétéré, un gros lard, des calomniateurs, etc. Michael Avallone semble prendre un réel plaisir à éclabousser ce microcosme provincial si hypocrite, en le renvoyant à ses duperies et sournoiseries, tandis que Stewart Turner Garland sombre dans une spirale de violence et de barbarie sur les cadavres. Il en vient même, dans sa démence compréhensible, à croiser et échanger verbalement avec le fantôme de sa défunte fille Violet, aux appâts fort aguicheurs, tandis que son épouse Violet demeure recluse dans sa chambre, ceinte de bandelettes et d’onguents façon momie en raison de ses multiples et profondes brûlures consécutives à l’accident. Et ce n’est qu’au terme d’une longue liste de morts apparemment accidentelles que toute « l’œuvre » vengeresse de notre héros sera découverte… en même temps que ce qu’il aura réservé aux macchabées. Une véritable réussite littéraire, toute de noir vêtue, qui envoûte par la qualité de son style, et retient d’un bout à l’autre l’attention du lecteur par son postulat original et habilement maîtrisé. Personnellement, ça ne donne vraiment pas envie d’être incinéré…

    04/11/2019 à 17:14 1

  • Starving Anonymous tome 3

    Kazu Inabe, Yuu Kuraishi

    8/10 Un troisième opus qui commence par l’annonce du fait que 17 êtres humains vont devoir aller nourrir les larves. Des graphismes très réussis quand les hommes découvrent que leur numéro vient d’être tiré. Cet opus permet de donner encore un peu plus de chair à la série, avec une vue en dehors de l’institut, ce monstrueux élevage humain. De beaux moments de démence lors de cette évasion, une esthétique sombre, racée et gore. Je kiffe définitivement !

    04/11/2019 à 17:12

  • Les Terres Basses

    Bruno Gazzotti, Fabien Vehlmann

    7/10 Les héros sont désormais aux prises avec un curieux effondrement de la ville, tandis que des gamins aux yeux rouges apparaissent, faisant le lien avec la dernière image du tome précédent, ainsi qu’un étrange brouillard. Des images saisissantes (ce qu’affrontent Dodji et le nazillon blondin). Toujours de l’aventure, du suspense (mais pas du « gore », ah non), des pincées d’humour, et une dynamique intacte.

    04/11/2019 à 17:11 1

  • La quatrième dimension et demie

    Bruno Gazzotti, Fabien Vehlmann

    6/10 Maintenant que nos jeunes héros croient savoir pourquoi ils sont là, réunis, avec la révélation du tome précédent (d’ailleurs, le résumé de la quatrième de couverture aurait pu se passer d’un tel spoiler, surtout pour celles et ceux qui prennent la série en cours de route…), ils s’adonnent à des activités diverses et variées (messe, ouija, etc.). Une lutte territoriale s’amorce, avec des tags qui parcourent les rues et façades. Une course-poursuite sympa, char contre bus, et s’esquisse une mystérieuse « 9ème famille ». Contrairement à Gamille67, je ne trouve pas le ton ici plus grave, au contraire : pas de mort (à part le sniper, mais peut-on parler de « mort » alors qu’ils le sont déjà tous ?), pas de révélation quant au passé des personnages (ou alors le coup des cicatrices ?), pas de moment poignant. Cela demeure agréable, un peu plus bavard que les précédents, je trouve.

    04/11/2019 à 17:10 2

  • Les Retournants

    Michel Moatti

    8/10 Août 1918, sur le front de la Somme. Deux soldats, Vasseur et Jansen, entreprennent, après des années de combats, de fuir les lignes et déserter. Même s’ils se connaissent finalement assez peu l’un l’autre, ils n’en peuvent plus de la sauvagerie des engagements, quêtant dans cette fuite leur ultime chance de salut. Leur cavale va les mener au domaine d’Ansennes, tandis qu’un gendarme, Delestre, spécialisé dans la traque de déserteurs, est déjà à leurs basques.

    Michel Moatti, à qui l’on doit déjà, entre autres, les très bons Retour à Whitechapel et Blackout Baby, revient avec ce roman très sombre ancré dans la Première Guerre mondiale. Le chaos des armes, les légitimes peurs des belligérants, l’absence d’espoir de survie : tout cela va conduire deux d’entre eux à opter pour la défection. Jansen est instituteur et Vasseur percepteur. Mais il y a une autre réalité derrière l’étiquette de ces professions concernant le second : Vasseur est un psychopathe. Capable de tuer un ennemi en l’égorgeant avec les dents avant de se masturber sur son cadavre, ou de jeter dans le foyer d’une cheminée un gendarme encore vivant qui s’est dressé sur sa route. Dans le même temps, c’est un excellent comédien, capable d’endosser avec habileté une autre identité et de s’exprimer avec de bien belles paroles. Les deux déserteurs rencontrent trois personnes au domaine d’Ansennes : un vieil industriel désargenté de la verrerie, Givrais, sa fille Mathilde et leur domestique, Nelly Voyelle. Ayant usurpé les identités de deux docteurs, Jansen et Vasseur vont vivre plusieurs mois au sein de la propriété jusqu’à ce que tout explose. Michel Moatti, grâce à son style à la fois riche et sa plume qui ne croque que l’essentiel, expose avec beaucoup de noirceur l’ambiance pesante qui envahit le château, avec les zones de doute, d’ombre et de violence à peine muselées. Un huis clos savamment charpenté, particulièrement réussi, jusqu’à la dislocation meurtrière et le retour du sang. Tous les portraits psychologiques sont savoureux, édifiants, et l’on retiendra peut-être plus particulièrement celui de François Delestre, capitaine de la gendarmerie prévôtale d’Amiens, fin limier et, dans le même temps, saturé de contradictions morales quant à ces pauvres hères qui se sont éloignés de la boucherie des tranchées. Même avec quelques longueurs dans les derniers chapitres, ce roman est une pure merveille, l’auteur venant également apporter une autre résonnance au titre, désignant à l’origine les déserteurs, et plus particulièrement lors d’un passage ouvert à l’interprétation de chacun et détonnant.

    Quelque part entre le roman noir et le thriller, un opus d’une très grande qualité, âpre et mémorable, dont Michel Moatti nous narre la genèse dans une postface poignante.

    23/10/2019 à 22:54 7

  • Bon pied, bon oeil et 99 autres expressions autour du corps et de la santé

    Marc Magro

    7/10 Comme le rappelle le titre alternatif de cet ouvrage, il s’agit de « 99 autres expressions [donc 100 en tout] autour du corps et de la santé ». L’auteur, médecin urgentiste, connaît son affaire et a signé un joli livre autour de ces expressions typiquement françaises, même si certaines d’entre elles trouvent des échos ailleurs dans le monde, plus particulièrement en Europe, voire des traductions très proches ou, paradoxalement, très éloignées. Il y en aura pour tous les goûts, depuis les formules assez actuelles jusqu’à celles venant de l’Antiquité ou du Moyen Âge. Certaines d’entre elles sont couramment utilisées (« Avoir un cheveu sur la langue », « Pomme d’Adam »), d’autres bien moins usitées (« Si on lui pressait le nez, il en sortirait du lait », « Le cul sur le visage ») et d’autres encore tellement surannées que les personnes qui les utilisent encore de nos jours doivent être rares (« Avoir du sang de navet », « Manger comme un chancre », « Refaire son nez », « Un va-du-gland »). A chaque fois, il y a eu de véritables recherches historiques pour voir à quand remontaient ces préceptes, presque des dictons, d’où elles pouvaient provenir (parfois, j’ai trouvé certaines explications un peu nébuleuses ou trop subjectives pour y adhérer totalement), ainsi que des extraits de textes classiques pour les illustrer. Marc Magro nous offre au passage quelques recommandations typiquement issues de la bouche d’un médecin, donc soucieux de notre bonne santé, et de jeux de mots pas toujours très réussis mais agréables et venant à point nommé. Moi qui ne suis pas fan des livres « réalisés à l’agrafeuse », ce que j’entends comme des recueils de textes disséminés au gré d’émissions radiophoniques, d’articles dans les journaux ou déjà vus ou lus un peu partout ailleurs, je n’ai jamais boudé mon plaisir. En un seul ouvrage, j’ai eu droit à de la médecine, de l’histoire, du littéraire et de l’humour, ou comment accoler culture et divertissement au gré de ce spicilège que l’on peut tout aussi bien butiner que lire d’une traite (ce qui a été mon cas).

    23/10/2019 à 08:58 1

  • Hotspots

    Eric Oliva

    7/10 Un délicieux petit roman policier, bien écrit et intelligent, ou la traque d’une équipe de policiers après un psychopathe très pervers et tordu qui multiplie les ignobles assassinats pour des raisons qui échappent à tout le monde. Une écriture simple et prenante, des notes d’humour bienvenues, beaucoup de noirceur (les exécutions pratiquées par le tueur en série sont fortes et mémorables), et de l’émotion qui n’a jamais besoin d’être théâtralisée et forcée (le final, à simple titre d’exemple, s’impose sans fioriture et prend aux tripes). Le criminel mènera la vie dure à nos policiers, et il faudra l’aide d’un spécialiste en informatique pour coincer ce fauve et comprendre une part de ses motivations. Beaucoup de travail de recherche de la part de l’auteur, Éric Oliva, qui maîtrise le jargon et les procédures criminelles (le lexique en fin d’ouvrage n’est pas inutile, loin de là), et qui livre un ouvrage très crédible et efficace, humble et noir, même s’il reste une part de mystère quant à l’assassin (pas sur son identité, d’ailleurs, car elle devient rapidement devinable) à propos de ses motivations primitives. Une belle découverte en ce qui me concerne.

    23/10/2019 à 08:54 3

  • School Judgment tome 1

    Nobuaki Enoki, Takeshi Obata

    8/10 Pour contrer la violence en milieu scolaire, les écoles et collèges japonais disposent d’un nouveau système de régulation : des tribunaux internes, où les rôles des avocats et magistrats sont tenus par les élèves eux-mêmes. Quand Suzuki est découvert mort découpé (on se calme, ce n’est qu’un poisson…), la machine judiciaire junior se met en marche. Un graphisme particulièrement typé manga, mais très travaillé, les codes du polar judiciaire très bien saisis et réexploités dans le milieu éducatif avec juste ce qu’il faut de dérision mais également de sérieux pour que l’ensemble soit à la fois crédible (même si certains propos et réactions des gamins sont trop matures, objectivement, sans compter que l’un d’entre eux, par exemple, connaît le principe animal de la « thanatose ») et tourne en caricature avec tact les excès. Le manga prend appui ensuite sur une histoire de voyeurisme sur mineure, des antisèches, d’un mystérieux « vendeur masqué » et tisse un lien avec un carnage datant de cinq ans auparavant. Les ressorts classiques du roman à énigme, encore une fois, sont exploités avec intelligence. Cela me fait penser, moi qui ne suis pas un gros lecteur de mangas et n’ai donc pas la culture littéraire suffisante pour en parler autrement qu’en dilettante, à du « Détective Conan » avec une esthétique plus travaillée et un cadre purement scolaire. Je ne vois pas trop ce que vont offrir les deux autres et derniers tomes de cette trilogie, aussi ai-je d’autant plus envie de savoir ce que le scénariste Nobuaki Enoki et le dessinateur Takeshi Obata ont mijoté.

    23/10/2019 à 08:53 1

  • Time Shadows tome 1

    Yasuki Tanaka

    7/10 L’île de Hitogashima, 5km² et 700 habitants, et notre jeune héros, Shinpei, s’y rend après deux ans d’absence, pour les funérailles d’Ushio. Mais il semblerait qu’Ushio ne soit pas morte aussi « simplement » que ce que l’on pensait. Un départ un peu lent et long, mais cette légende autour de « la maladie des ombres », version locale du doppelgänger puis ces boucles temporelles ont vite happé mon attention. Un dessin sympa et réussi, un scénario qui intrigue et captive, avec un air de « Un jour sans fin » version policière et fantastique. Je me demande où vers quoi vont se diriger les autres opus, mais je vais m’y rendre également pour savoir.

    23/10/2019 à 08:52 1

  • Kimi no knife tome 1

    Yua Kotegawa

    6/10 Enseignant remplaçant, Shiki, parce qu’il a un coup dans le nez ainsi que besoin d’argent, de tuer quelqu’un, un criminel qui plus est, en échange de cinq millions de yens. La cible est un homme d’affaires qui fait du trafic de drogue et aurait fait disparaître deux de ses employés parce qu’ils s’apprêtaient à tout révéler. Son arme sera un couteau papillon, pour faire croire à un cambriolage qui aura mal tourné. Si le contrat se déroule bien, Shiki en vient à souhaiter d’autres missions tarifées pour gagner plus d’argent encore, tandis qu’il fait une rencontre imprévue sur les lieux de l’exécution. Un graphisme simple mais qui est tout sauf simpliste, une histoire crédible, des comportements et attitudes plausibles et humaines. Ce n’est d’ailleurs que dans les dernières pages que l’on apprend pourquoi Shiki a tant besoin d’argent. Et si l’ensemble est vraiment agréable et se laisse lire sans le moindre déplaisir, je trouve qu’il manque un soupçon d’originalité, une pointe de piment, un complément de noirceur, une rasade supplémentaire de rebondissements, bref, un petit je ne sais quoi qui différencie cet ouvrage des autres, en épice la saveur, et le rende moins facilement oubliable. J’essaierai d’être au rendez-vous d’autres opus de la série.

    23/10/2019 à 08:51 1