El Marco Modérateur

3235 votes

  • Vipère au sein

    James Hadley Chase

    7/10 Susan est une danseuse d'une rare beauté qui, chaque soir, pratique un numéro hautement érotique au cours duquel, presque nue, elle joue avec un cobra. Steve Harmas, travaillant pour une compagnie d'assurances, apprend que Susan a obtenu d'un coursier de sa propre compagnie une assurance de cent mille dollars aux clauses très restrictives. Cela sent l'escroquerie à plein nez, d'autant que neuf autres assurances du même genre ont été contractées. Moralité : si la jeune artiste meurt, sous certaines conditions, il y aura une prime d'un million de dollars. Inutile de tergiverser : la machination est plus que probable, d'autant que Susan a une sœur jumelle. Pour Steve, rapidement aidé par son épouse, il va falloir tirer ça au clair, quitte à se frotter à des personnages bien patibulaires prêts à utiliser la force.

    La gémellité est un thème classique du cinéma et de la littérature policière (pour ne citer qu'eux, Le troisième jumeau de Ken Follett, ou encore Duelle par Barbara Abel). Écrivain mondialement connu pour son chef-d'œuvre Pas d'orchidées pour Miss Blandish, James Hadley Chase exploitait ce sujet dès 1951. Comme d'habitude chez l'auteur, l'intrigue est habilement imaginée, le récit rapide et l'action bien présente. La langue de l'écrivain est typique de ses autres œuvres : brève, lapidaire, sans temps mort, avec décors et physiques dépeints en quelques phrases. Les multiples personnages sont campés avec brio, et l'on s'amuse follement avec les dialogues très bien ajustés. Typiquement « hard-boiled », ce livre s'illustre par des protagonistes résolus et violents, peu fragiles, au point que certains lecteurs reprocheront à James Hadley Chase une certaine invincibilité de ses héros, comme dans ce passage : « Elle a été atteinte à l'épaule par une demi-douzaine de balles. Il n'y a pas de fracture, mais elle a tout de même perdu beaucoup de sang ». Néanmoins, par-delà certains aspects peu crédibles, l'histoire mérite très largement le détour.

    Malgré son âge, Vipère au sein est un roman à suspense qui se porte bien : original, efficace et adroit, il marque le lecteur qui n'aura de cesse, au gré des pages, de deviner quelle peut être la manigance imaginée autour de cette histoire d'assurances.

    06/12/2010 à 16:18

  • L'Aliéniste

    Caleb Carr

    9/10 Lu il y a longtemps, mais j'en ai conservé le souvenir tenace d'un excellent roman. Un classique, à coup sûr !

    05/12/2010 à 18:30 6

  • Le Mal du double-bang

    Laurent Fétis

    8/10 Le truand Gus Sarvani est enfermé dans un asile. Pour tuer le temps, il décide de se confesser auprès de son visiteur – le lecteur – et entreprend le récit de son existence de bandit de bas étage. Tout y passe : son frère Rico, ses amitiés particulières, les coups fumants, les rivalités avec les autres gangs, l'argent... Et aussi les drogues, des plus communes jusqu'à celles dont personne n'a jamais entendu parler. A commencer par le Double-Bang, une dope unique, addictive dès la première prise, et qui scella sa chute.

    Paru pour la première fois chez Gallimard en 1992, Le mal du Double-Bang ressort chez Baleine. Déjà auteur de deux romans paru chez cet éditeur (L'aorte sauvage et Le lit de béton), Laurent Fétis signait un opus diablement original, très difficile à classer. Ces aveux, narrés à la première personne et interpellant directement le lecteur à de multiples reprises, tiennent à la fois de la satire sociale, du thriller et du roman noir, avec aussi une bonne dose d'humour. On y croise toute une galerie de personnages, certains inquiétants, d'autres pathétiques, que Gus rencontrera sur le chemin de sa vie de crapule, au travers d'entourloupes, de querelles pour des questions de territoire et d'hégémonie. Il y est également question de camaraderie, de fraternité, mais aussi de trahison, de gloire et de déchéance. Et puis il y aura le Double-Bang, ce que son concepteur qualifie de « F40 des drogues ». Une arme de destruction massive, loin des clichés du genre, à la fois désirable et terrifiante, qui propulsera un peu plus vite Gus et son groupe vers leur perte. Indéniablement, Laurent Fétis est un romancier dont on aimerait lire plus souvent les ouvrages : prose travaillée, à la fois sèche et humoristique, poétique et argotique, avec un style bien à lui.

    Le mal du Double-Bang est un roman atypique et très prenant, à l'image de cette drogue qui donne son nom au livre. Quelque chose qui parle au cœur et aux tripes plus qu'au cerveau, donnant au lecteur à chaque fin de chapitre l'envie – voire le besoin – d'un autre shoot de mots. Un ouvrage qui en rappelle un autre, également paru dans la collection Baleine noire, La grande évasion en pantoufles de Serge Scotto, où un criminel y narre sa virée dans le monde libre.

    28/11/2010 à 17:53

  • Rêves mortels

    Peter James

    7/10 Enfant, Samantha faisait des cauchemars à répétition où elle était poursuivie par un individu diabolique, un dénommé Slider. Désormais maman, ces horreurs semblent lointaines... puis reviennent. Tentatives de viol, assassinats, accidents d'avion... Et le pire, c'est que certains de ces cauchemars se réalisent. Complètement désemparée, Sam se demande si elle ne devient pas folle. Et si elle disposait d'un don de prémonition ? A mesure qu'elle se pose ces questions ahurissantes, elle finit par perdre pied, au risque de basculer dans la terreur.

    Auteur de romans à succès, Peter James signait en 1989 ce thriller fantastique où l'on retrouve tous les ingrédients du genre : apparitions nocturnes horrifiques, déstabilisation du personnage principal et de son entourage familial, suspense égrainé au fil des hallucinations... Le talent de l'auteur est indéniable, et l'on suit avec entrain et avidité le douloureux périple de la protagoniste, en proie au doute et à l'hystérie. Des touches salvatrices d'humour viennent égayer ce récit dense et ténébreux, et les connaissances de Peter James dans les milieux de la publicité – Sam travaillant dans une entreprise de mercatique – sont patentes. Néanmoins, malgré l'intérêt suscité par les débuts du livre, la suite devient un peu moins intéressante, avec quelques parenthèses et autres passages peu utiles. Par ailleurs, la fin semble bien abrupte : la solution – ou esquisse de solution – n'est révélée qu'en peu de lignes avant de disparaître. Ce choix est certainement assumé par l'écrivain, mais on regrette que ce dénouement ne soit pas davantage exploré à défaut d'être explicité, d'autant qu'il était judicieux et assez inattendu.

    Malgré ce bémol concernant la chute, Rêves mortels constitue un bon thriller fantastique. Sur la quatrième de couverture figure l'avis d'un journaliste du Mail on Sunday : « Peter James a trouvé son créneau, quelque part entre Stephen King et Michael Crichton ». L'avenir lui aura donné tort puisque Peter James a éclaté aux yeux du public et de la critique avec sa série consacrée à Roy Grace. Néanmoins, ce pan de la bibliographie de l'auteur, qui a consacré de nombreux ouvrages au fantastique comme Alchimiste ou Faith, mérite l'attention et l'adhésion du lectorat.

    22/11/2010 à 20:02

  • Duel en enfer

    Bob Garcia

    7/10 Pour pouvoir subvenir aux besoins de sa fondation dédiée aux enfants des rues, le docteur Watson accepte le marché offert par le directeur d'un journal londonien : contre cent mille livres, l'ancien acolyte de Sherlock Holmes doit remettre le carnet où le médecin consignait les investigations du détective. Cette fois-ci, le sujet est palpitant : Holmes aurait été, jadis, sur les traces de Jack l'Éventreur, le monstre qui terrorisa la capitale en 1888. Que peut bien recéler un tel livre ? Des pistes jamais dévoilées à la face du monde ? Et si le célèbre détective privé était parvenu à découvrir son identité ?

    Déjà auteur d'un livre mettant en scène l'enquêteur créé par Arthur Conan Doyle (Le testament de Sherlock Holmes), Bob Garcia imagine une confrontation pour le moins alléchante et ambitieuse : Sherlock Holmes contre Jack l'Éventreur. Le style de l'auteur fait mouche : ambiance glauque, descriptions parfois douloureuses, et restitution réaliste du Londres de la fin du dix-neuvième siècle. Les atrocités du tueur en série sont de temps à autre contrebalancées par un humour salvateur, notamment dans les réparties de ses protagonistes. On y retrouve avec plaisir Holmes et Watson, personnages emblématiques de l'œuvre d'Arthur Conan Doyle, ici revisités avec talent et crédibilité. D'ailleurs, c'est presque Watson qui vole la vedette au célèbre détective, avec sa part d'ombre lors de sa participation à la guerre en Afghanistan, ses amours brisées, et ses relations tourmentées avec une gamine sauvée de la cruauté des rues londoniennes. L'intrigue est particulièrement intéressante à suivre, prenante, riche en rebondissements, dont l'intérêt est décuplé par un style sobre et percutant, et des chapitres courts.
    Néanmoins, il faut bien remettre ce roman policier dans son contexte littéraire : il s'agit d'une nouvelle interprétation assez libre de Jack l'Éventreur, une pure fiction, qui ne prétend nullement livrer la véritable identité de l'assassin. Bob Garcia s'est servi d'éléments et personnages avérés, mais ceux qui se seront passionnés pour Jack l'Éventreur démasqué de Sophie Herfort ou Le livre rouge de Jack l'Éventreur de Stéphane Bourgoin, en quête d'une certitude historique ou policière, seront certainement déçus s'ils s'attendaient à une enquête parfaitement plausible. Il s'agit en fait du seul véritable défaut de ce livre, fort louable au demeurant : la démarcation entre exactitude et liberté de l'auteur est si fine, voire indécise, que les deux éléments se confondent jusqu'à ne plus être différentiables.

    Duel en enfer répondra donc aux attentes des fans de Sherlock Holmes, en voyant ce personnage mythique de la littérature policière renaître de ses cendres sous la plume de Bob Garcia, malgré quelques libertés prises avec ce qu'avait créé Arthur Conan Doyle. En revanche, les passionnés de Jack l'Éventreur, tueur dont l'identité ne fut jamais officiellement et indubitablement reconnue ni prouvée, pourront être chagrinés que ce thème ait été exploité avec beaucoup de liberté.

    16/11/2010 à 19:15

  • Pars vite et reviens tard

    Fred Vargas

    8/10 Un pur régal ; l'un de mes préférés de Fred Vargas.

    15/11/2010 à 16:54 1

  • L'Homme à l'envers

    Fred Vargas

    7/10 Un style toujours aussi original et prenant, mais une intrigue un peu moins surprenante que d'autres, selon moi.

    15/11/2010 à 16:54 2

  • Debout les Morts

    Fred Vargas

    8/10 Beaucoup d'humour et une intrigue très prenante.

    15/11/2010 à 16:53 2

  • L'Homme aux cercles bleus

    Fred Vargas

    7/10 Lu il y a longtemps, mais j'en garde un bon souvenir. Le style de Fred Vargas est décidément très séduisant à mes yeux.

    15/11/2010 à 16:52

  • Maria Chape de Haine

    Luc Baranger

    7/10 Le corps de Quentin Cointreau est retrouvé aux abords du lac Memphrémagog, dans la province du Québec. Il se trouve que l'homme était l'un des plus vieux amis d'enfance de Gabriel Lecouvreur. Quand la veuve de Cointreau met au courant Gabriel de cet assassinat, le sang de celui que l'on surnomme le Poulpe ne fait qu'un tour, et le voilà parti de l'autre côté de l'Atlantique.

    Cette deux-cent-soixante-dixième enquête du Poulpe est cette fois-ci signée Luc Baranger. On y retrouve l'univers typique de la série, au ton libertaire assumé, avec un Gabriel Lecouvreur d'autant plus acharné à découvrir la vérité que la victime faisait partie de ses proches. Avec la mort de Cointreau ressurgissent des souvenirs d'enfance, mais aussi des amours anciennes, notamment avec Maria Dansereau, celle qui lui avait jadis renversé le cœur. Si Gabriel quitte le territoire hexagonal, ce qu'il découvre outre-Atlantique est tout aussi détestable : corruptions à grande échelle, proximité des sphères politiques et mafieuses, omnipotence de l'argent, danger de l'extrême droite... Les amateurs de la série seront également heureux de trouver un ton assez singulier ; en effet, Luc Baranger mélange québécismes et langage fleuri à la Auguste Le Breton ou Michel Audiard, cette dernière paternité étant assumée par une dédicace à trois des personnages des Tontons Flingueurs. L'histoire tient la route mais il ne faut pas s'attendre à de l'action à tout crin : certains passages, même s'ils sont toujours croustillants, sont parfois un peu longs. Il n'en reste pas moins que cet opus est délicieux, avec un verbe haut et acide, et une galerie de personnages à la fois attachants et mémorables, comme cette ourse baptisée Frigide, ou Réal Larouche, un enquêteur qui semble dissimuler d'épais secrets.

    Maria chape de haine offre un dépaysement total, prouvant, s'il en était encore besoin, la grande malléabilité d'une série qui, épisode après épisode, n'en conserve pas moins son âme et son souffle. Une véritable gageure.

    08/11/2010 à 20:39 1

  • À la recherche de Rita Kemper

    Luna Satie

    9/10 Rita Kemper était une star adulée, chanteuse et muse d'un groupe de rock aux accents sombres. Elle a fini par se suicider sur scène. Par la suite, le FBI a découvert dans la serre de sa propriété les cadavres de trente-neuf de ses fans, décapités. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le propre corps de la jeune femme a mystérieusement disparu. Le gouvernement a fait interdire les disques de son groupe, craignant un phénomène meurtrier de masse qui ensanglanterait le pays, provoqué par la noirceur de ses textes. Mais l'histoire ne s'arrête hélas pas là. Mary Blake apprend que son mari, Gregory, journaliste spécialiste de la chanteuse, vient de mourir dans des circonstances étranges aux côtés de l'un des membres du groupe auquel appartenait Rita Kemper. Cette dernière est-elle encore en vie ? Est-ce son ombre terrifiante qui continue de semer le chaos ? Y aurait-il un ultime secret que l'on chercherait à enterrer définitivement ? Mary Blake n'a plus qu'une seule solution : suivre les pas de son époux décédé pour tenter de comprendre l'incompréhensible.

    A la recherche de Rita Kemper est l'unique ouvrage écrit par Luna Satie. L'écrivaine n'avait alors que vingt-cinq ans en 2002 quand elle signait cet opus hors du commun, et son talent et sa maturité explosent littéralement au visage du lecteur. Le style est ténébreux, glauque, et le récit à la première personne fait basculer dans un univers d'une rare opacité, rappelant les meilleurs ouvrages de Gillian Flynn ou Mo Hayder. Tous les personnages sont désenchantés, tourmentés, meurtris dans leur chair et leur conscience comme autant de cadavres qui s'ignorent. Et même quand l'humour intervient, il est à l'instar du livre : noir, presque désespéré. L'intrigue est particulièrement originale et riche, offrant de véritables instants forts et un suspense savamment entretenu. Il faut attendre les ultimes pages du livre pour voir éclore la vérité, à la fois très crédible et profondément déstabilisante, achevant de marquer les esprits d'un jet de vitriol en pleine âme.

    Assurément, A la recherche de Rita Kemper est une œuvre folle, presque fétide, croquant les pires pans de l'âme humaine. Luna Satie signe un véritable brûlot de littérature noire dont on ne peut sortir qu'essoufflé, voire troublé. Une pépite qui n'a rien à envier aux standards anglo-saxons, et qui peut même servir de jalon tant le génie et la virtuosité de Luna Satie sont patents. Une chose est certaine : quiconque aura lu cette perle ne pourra que se souvenir durablement de Rita Kemper et des démons qu'elle aura invoqués.

    08/11/2010 à 20:05

  • La Foire aux serpents

    Harry Crews

    8/10 Mystic, Géorgie. Dans cette petite ville des Etats-Unis, on s'apprête à organiser l'immanquable foire aux Crotales. Le programme des réjouissances : combats de chiens, chasses aux serpents et élection de Miss Mystic à Sonnette. Il s'agit de la douzième édition de la fête. Sera-t-elle semblable aux précédentes ? Non. Un point est certain : les participants à cette bringue n'oublieront pas cette session.

    Harry Crews, l'auteur du troublant et fiévreux Chanteur de Gospel, n'a pas son pareil pour décrire des individus en marge, déboussolés, à la fois pathétiques et inquiétants. Un shérif obsédé sexuel à la patte de bois, un entraîneur de molosses de combat un peu trop instable, des haltérophiles prêts à tout pour rigoler, des majorettes à la langue bien pendue... Et bien évidemment, des serpents. Par dizaines, par centaines. D'apparat, constrictors, venimeux. Colonisant les collines, bringuebalés dans les camions des touristes venus exhiber leurs chers animaux de compagnie. Le récit prend lentement forme, plantant le décor et les protagonistes, avec la langueur d'une reptation. Certes, le roman prend son temps, insiste sur des points qui pourront paraître à certains lecteurs bien négligeables, mais la langue d'Harry Crews est un véritable régal, mélangeant poésie et argot, finesse et stupre, délicatesse et férocité. Et puis il y a les ultimes pages. Choquantes. Aussi subites que la détente d'un serpent qui passe à l'action. Un final en deux temps, cruel, sanguinaire. Un pur paradoxe : on pouvait s'attendre à cet épilogue, mais sa brutalité le rend presque inattendu.

    La foire aux serpents est donc un roman noir de très grande qualité. Il louvoie, hypnotise par son apparent engourdissement, avant d'attaquer. Le livre est métaphorique à bien des égards, et sa structure l'est autant. Vous aurez été prévenus.

    02/11/2010 à 10:20 6

  • Drôles de frères

    Donald Westlake

    7/10 Le monastère des membres de l'Ordre Crépinite du Novum Mondum est installé dans un quartier huppé de New York. Mais des promoteurs ont décidé de racheter les lieux pour les raser avant d'ériger de nouveaux immeubles. Seul hic : ces Frères ont souvent vécu des existences peu reluisantes avant de prononcer leurs vœux, et l'idée de devoir quitter leur retraite les hérisse au plus haut point. Et comme si la situation n'était pas déjà assez compliquée, l'un des leurs, frère Benedict, tombe amoureux de la fille du promoteur. Autant dire qu'il va y avoir du rififi dans la Grosse Pomme...

    Publiée en 1975 par le prolifique Donald Westlake, cette comédie policière est typique de l'écrivain. Prenant appui sur une idée de départ originale et caustique, l'auteur du Couperet déploie tout son talent de conteur pour narrer une histoire déjantée qui n'engendre pas la mélancolie. Le ton, à la fois tendre pour ses personnages et cocasse dans les situations, est un véritable régal ; parmi les scènes marquantes, on notera, d'entrée de jeu, la confession désopilante de frère Benedict pour un vol de stylo, ou encore la manière peu banale dont il se porte à la rescousse de la femme pour laquelle il a le béguin. Par ailleurs, l'ordre monacal que Donald Westlake a inventé de toutes pièces est très crédible, avec ses codes et lois, et les tourments de frère Benedict, tiraillé par le désir de la chair et déchiré entre ses vœux et sa passion naissante pour Eileen, bien restitués. On regrette juste que les autres Frères, avec leurs passés troubles, n'aient pas été plus exploités et ne soient finalement pas plus présents dans l'intrigue.

    En 1975, Donald Westlake créait un roman jouissif. Sans la moindre goutte de sang ni violence, il composait une histoire à la fois décapante et atypique, de grande qualité. Un petit trésor d'humour décomplexé, idéal pour passer un bon moment.

    27/10/2010 à 18:41 1

  • 2030, l'Odyssée de la Poisse

    Antoine Chainas

    8/10 En cette année 2030, la société a souvent recours aux clones, notamment pour des expériences sexuelles pour les individus les plus âgés, et Gabriel Lecouvreur, dit le Poulpe, cède à cette tentation. Or, il se trouve qu'un tueur en série s'en prend aux clones. Georgie l'Omnimorphe est l'un d'entre eux. Puisque que Gabriel s'est servi de lui pour satisfaire les appétits de stupre de Chéryl, sa copine, il décide de voler aux secours de son espèce, honnie par les humains. Le Poulpe a soixante-dix ans ? Tout le monde le croit mort et enterré ? On n'a jamais que l'âge de ses artères, et celles qui parcourent les tentacules du Poulpe ont encore beaucoup de jus libertaire à charrier.

    Deux-cent-soixante-neuvième enquête du Poulpe signée par Antoine Chainas, cet épisode ne déroge pas à la règle. On y retrouve Gabriel Lecouvreur, enquêteur au grand cœur et au goût prononcé pour la justice, avec de belles diatribes contre la société de consommation. Croisant son univers avec celui de l'anticipation, assez proche de Frères de chair de Michael Marshall Smith, Antoine Chainas réussit un opus qui répond parfaitement au cahier des charges, tout en y insufflant une âme propre. On se balade avec plaisir dans cette société où règne le capitalisme et où les clones sont relégués au rang de sous-hommes. D'ailleurs, la clef de l'énigme est une véritable perle, amenant le lecteur à réfléchir à des questions particulièrement profondes comme l'esclavage, quelle qu'en soit la forme, et la conscience de soi et des autres. Celles et ceux qui auront aimé Versus, Anaisthêsia, ou encore le très récent Une histoire d'amour radioactive, retrouveront avec joie la plume d'Antoine Chainas, féroce et crue. Sous l'apparente badinerie de certains propos s'ancrent de très justes préceptes sur la place de l'être humain au sein de la société. Certes, on pourra reprocher à Gabriel d'être un peu plus spectateur qu'acteur, lui-même devenant le jouet d'une machination, mais le ton, l'originalité du contexte temporel choisi pour cette enquête ainsi que l'efficacité de cette dernière achève de faire de 2030, l'odyssée de la poisse une excellente cuvée.

    Au sein de la bibliographie d'Antoine Chainas, cette investigation du Poulpe ne marque pas une pause, encore moins un changement. C'est une sorte de synthèse, concise et incisive, de deux univers : celui du Poulpe et celui d'Antoine Chainas. Une alchimie très aboutie où il serait bien difficile de bouder son plaisir.

    24/10/2010 à 11:30 1

  • Mes dix règles d'écriture

    Elmore Leonard

    8/10 Elmore Leonard n'est plus à présenter. Depuis plus de trente ans, sa carrière prolifique et son talent d'écrivain ont fait de lui une figure majeure de la littérature. Du western (Gold Coast, Hombre, L'homme au bras de fer) au roman à suspense, souvent teinté d'humour (Be cool !, Killshot), en passant par la littérature de jeunesse (Un coyote à la maison !), Elmore Leonard a séduit un très large lectorat. En 2001, il passait à table pour raconter ses techniques d'écriture. Une véritable parole d'évangile.

    Ses conseils, prenant appui sur les méthodes d'illustres prédécesseurs comme Ernest Hemingway et John Steinbeck, mettent à nu ce qui a fait la forme de ses écrits : peu de descriptions, d'adverbes, de points d'exclamation. Par ailleurs, il s'oppose aux auteurs qui s'évertuent à diluer leur plume dans des passages longs, voire inutiles. Dix règles d'écriture, donc, qui permettent de mieux cerner l'art du maître, mettant en relief ses réflexions en la matière et son jugement sur ses pairs. Par ailleurs, ses avis quant aux prologues et patois, toujours sur le ton humoristique, valent nettement le détour. Les illustrations de Joe Ciardello sont très drôles et complètent à merveille les propos d'Elmore Leonard.

    A la manière d'Ecriture de Stephen King, ce livre est un jalon pour qui veut s'initier à l'art d'écrire, voire de mieux écrire. Certes très courte – au point de constituer son seul véritable défaut -, cette confession d'un auteur au sommet de son talent reste un délicieux moment de partage, de jubilation et de modestie.

    24/10/2010 à 11:24

  • Une Saison pour les morts

    David Hewson

    8/10 Un homme qui venait d'entrer armé dans la bibliothèque du Vatican est abattu par les gardes suisses avant qu'il ne fasse usage de son pistolet. Dans ses mains : une peau humaine minutieusement prélevée. Le jeune flic Nic Costa ainsi que son partenaire, tous deux membres de la police italienne, se rendent sur les lieux du crime, pourtant situés sur un sol étranger. On retrouve peu de temps après deux autres cadavres, dans une église romaine. Au centre de ce carnage, il y a la belle et énigmatique Sara Farnese, qui avait été la maîtresse des victimes. Sans le savoir, Nic Costa vient de plonger dans une affaire sordide dont les ramifications remontent bien haut dans les sphères religieuses.

    David Hewson signait en 2003 ce premier ouvrage qui allait être suivi de Villa des mystères et de L'héritage vénitien. On pense d'emblée, après avoir lu le résumé de la quatrième de couverture, à un énième roman à la Dan Brown ou Steve Berry, exploitant trame religieuse, secret millénaire et complot ésotérique ; il n'en est rien. L'auteur a choisi de développer une intrigue prenant pour cadre partiel la religiosité de l'Italie ainsi que certaines arcanes du Vatican, sans pour autant se complaire dans une reprise maladroite du Da Vinci code. S'appuyant sur de solides connaissances cultuelles et artistiques, David Hewson tisse une histoire originale, sur fond de mafia et de trafics en tous genres. L'écriture est assez lapidaire, allant à l'essentiel, mais prenant son temps quand il s'agit de décrire les personnages, leurs tourments et leurs envies. Ainsi, aucun des protagonistes n'est brossé à la va-vite, et l'on trouve chez chacun d'entre eux une épaisseur humaine bien singulière. L'histoire est très bien narrée, préservant de nombreux rebondissements, et offre d'adroites alternances entre action et émotion.

    Une saison pour les morts est donc un ouvrage très intéressant et prenant, avec sa propre âme, son propre souffle. Une lecture très agréable qui régalera tous les amateurs de thrillers.

    19/10/2010 à 18:06

  • La Lune d'Omaha

    Jean Amila

    9/10 6 juin 1944. Les forces alliées débarquent en Normandie, et nombre de soldats périssent sur les plages. Dix-neuf ans plus tard, le sergent Reilly, survivant de cette boucherie, est l'un des responsables du cimetière américain. Il doit s'assurer du bon entretien des lieux afin que tous les honneurs soient rendus à ses compatriotes sacrifiés. Dans le même temps, un paysan, Delouis, décède, laissant à son fils un héritage conséquent. Mais un couple se présente, et l'homme dit être également le fils du défunt.

    Écrit en 1964, ce roman brille par sa noirceur et sa concision. Jean Amila, qui rédigera presque vingt ans plus tard Le boucher des Hurlus, manifeste déjà son esprit antimilitariste. Les premières pages, relatant le débarquement du « D-Day », sont particulièrement poignantes, montrant de simples hommes menés à l'abattoir, terrorisés, voyant leurs camarades tomber les uns après les autres. Par la suite, l'intrigue se divise en deux parties distinctes : le sergent Reilly d'un côté, et l'héritage Delouis de l'autre. Le lecteur, dans un premier temps décontenancé car ne voyant pas le rapport entre les deux, verra progressivement un lien apparaître, et les fantômes du passé ressurgir. Car ce roman d'ébène est une réussite : émouvant, crédible, offrant la perspective de simples individus dépassés par les événements auxquels ils ont participé – ou auxquels ils ont été forcés de participer. On découvre dans ce livre, pêle-mêle, des trafics écœurants, de sombres histoires de famille, des rancœurs que l'on croyait éteintes, l'ingratitude des populations sauvées, et au final, d'émouvants fragments de vies déchirées.

    Dans cette œuvre forte, au titre et au final profondément métaphoriques, il y est question de rédemption, de souvenirs, de délivrance. Des sentiments et désirs qui sont parfaitement peints par Jean Amila, s'inspirant de l'Histoire pour créer son histoire. La perpétuelle lutte des minuscules contre les majuscules, à l'image de ce récit, tout aussi marquant que troublant.

    11/10/2010 à 20:14 1

  • Rendez-vous au blockhaus de Bihen

    Philippe Sturbelle

    6/10 Une écriture et un style attachants, qui pallie une intrigue un peu pauvre à mon goût.

    04/10/2010 à 17:38

  • Carotide Blues

    Ludovic Roubaudi

    9/10 Au cœur du vingt-et-unième siècle, la mégalopole de Ouang Shock s'est développée et est devenue une cité monstrueuse. Repaire de l'argent, du crime et de la débauche, véritable Babylone des temps futurs, cette ville est au carrefour de tous les vices et de toutes les tentations. Ashelle Vren, jeune journaliste sur Télé7, est appâtée par une macabre découverte : un grand nombre de fœtus a été découvert. Tandis qu'elle se lance sur cette enquête qui pourrait lui permettre d'accéder aux plus hautes strates de la presse télévisuelle, elle ignore encore à quel point elle vient de basculer dans un univers qui la dépasse et qui pourrait bien se servir d'elle pour assouvir des desseins insoupçonnés.

    Premier volet des chroniques de Ouang Schock, Carotide Blues, sous la plume de Ludovic Roubaudi, permettait d'inaugurer l'une des plus palpitantes et prometteuses série du genre. Prenant pied dans une cité construite de toutes pièces par l'auteur, le lecteur se surprend à être magnétisé par cette métropole bâtie sur le territoire chinois. Économie, industrie, politique, sphères financières, médecine, législation : c'est un portrait saisissant que Ludovic Roubaudi fait de Ouang Shock. Et le plus incroyable dans cette description méticuleuse, c'est son degré de réalisme : l'auteur a certainement passé beaucoup de temps à imaginer ce terreau, mélange de rêves et de cauchemars, pour y planter le décor de son œuvre. Par-delà le lieu, l'intrigue est aussi très riche, et amène le lecteur à côtoyer des trafics inavouables, des cénacles d'influence étouffants, des personnages d'un rare machiavélisme. On y découvre Ashelle Vren, à la fois fragile et combative, minée par le sort de son père qui a besoin au plus vite d'une double greffe, tandis qu'apparaît Wayne Cassidy, policier que l'on découvrira en personnage central de Diablo Corp.. Il faut attendre les dernières pages pour comprendre l'ampleur de la manipulation, à la fois brillante, diabolique et écœurante, ménageant un remarquable suspense entretenu également par des rebondissements intelligents, une écriture alerte et une ambiance ténébreuse.

    A n'en pas douter, Ludovic Roubaudi a réussi un coup de maître. Voyager dans Ouang Shock, c'est dériver lentement vers les rivages les plus sombres de l'âme humaine, où tout s'achète et tout se vend, de la dignité à la chair humaine en passant par les ultimes illusions d'une population affranchie de ses repères moraux. Étonnant, violent, glauque, les qualificatifs pour une telle œuvre ne manquent pas, mais il y en a surtout un qui s'impose : unique.

    27/09/2010 à 17:43

  • Braquages

    Christian Roux

    9/10 Sonia, Paol, Jack et Louis, tous SDF, sont approchés par un homme mystérieux, Hensley, pour un contrat : commettre plusieurs braquages. Les quatre vagabonds acceptent et sont soumis à un entraînement militaire pour devenir de véritables professionnels. Lorsqu'arrive le jour du premier de ces hold-ups, le coup d'essai tourne au désastre. C'est au commissaire Degrave et à son équipe qu'incombe la tâche de résoudre une affaire bien plus glauque et complexe qu'il n'y paraît.

    Premier roman de Christian Roux, Braquages constitue un roman noir d'une rare force de percussion. Justement récompensé par le prix du Premier Polar SNCF 2002 et du prix Polar 2003 de Saint-Quentin en Yvelines, ce livre parvient à allier plusieurs genres ainsi que leurs qualités attendues : la férocité de la dénonciation sociale et politique que ne renierait pas Jean-Bernard Pouy, la rigueur d'une intrigue policière soigneusement structurée, et le sens aigu du suspense. Les personnages sont tous habilement peints, depuis les SDF, malheureux oubliés d'une démocratie décidément amnésique, jusqu'aux divers truands, tous marquants et inquiétants. Au sein de ces individus, le commissaire Degrave se montre très attachant en policier intègre, dont le fils Petit Pierre a lentement glissé vers la mouvance d'extrême-droite et définitivement perdu ses repères. Au fil des chapitres de ce roman assez lapidaire, les protagonistes se frôlent, se croisent, s'entrechoquent, jusqu'à une destruction qui n'épargnera personne, sur le plan physique ou moral. Si le trait est parfois un peu épais, il faut reconnaître à Christian Roux plusieurs talents : il a conçu une histoire solide, réservant bien des surprises, peuplée d'individus d'une grande justesse humaine ou inhumaine.

    Braquages, au-delà de son aspect policier, est un immense roman noir. Il y est question de déchéance, de remords, de rédemption. La clef de l'histoire se situe peut-être justement dans ce pluriel attribué au titre : et s'il y avait plusieurs niveaux de braquage ? Qui, parmi tous ces personnages qui auront vécu, subi et péri dans le cercle restreint de ces deux cents quatre-vingts pages, n'aura pas été lui-même la victime d'un casse psychologique ?

    22/09/2010 à 12:51 1