El Marco Modérateur

3231 votes

  • Jeudi Noir

    Michaël Mention

    9/10 De Michaël Mention, on a tout connu, un peu comme avec un être que l’on voit grandir. De ses débuts prometteurs avec La Voix secrète et Maison fondée en 1959, ses premiers pas décidés chez l’éditeur Rivages, et ses prochains écrits que sont le Carnaval des hyènes et ... Et justice pour tous. L’homme est indéniablement doué, sait transfigurer un épisode qui ne s'y prête apparemment pas en puissante épopée humaine. Il démontre qu’il sait jouer sur bien des surfaces de jeu, en somme. Alors, un roman noir sur une compétition de foot sans soûler les admirateurs ni exclure les récalcitrants du genre, est-ce possible ? Oui, la démonstration en est faite, et de la plus belle des manières qui soit.

    13/05/2015 à 14:21 4

  • La Voix secrète

    Michaël Mention

    8/10 Au milieu des années 1830, le criminel Pierre-François Lacenaire attend son exécution dans son cachot. Il profite du temps qui lui reste pour achever ses mémoires et ainsi envoyer ses ultimes crachats à la face de la société. Dans le même temps, des enfants sont agressés et décapités, et l'on retrouve dans Paris les morceaux de leurs dépouilles. En ces temps politiquement troublés, un policier décide qu'inviter Lacenaire à participer à l'enquête peut être un bon moyen de démasquer le tueur en série, d'autant que ce dernier semble s'inspirer des méfaits de Lacenaire...

    Les Éditions du Fantascope publient deux romans de Michaël Mention à la même date, Maison fondée en 1959 et cette Voix secrète. Dans ce dernier ouvrage, captivant, le lecteur se passionne rapidement pour les deux histoires qui s'enchevêtrent : celle de Pierre-François Lacenaire, assassin honni, qui voue une haine profonde à la société qui l'a vu naître, et celle concernant le mystérieux « Coupeur de têtes ». La langue de l'auteur est admirable, subtil mélange de poésie et d'un naturalisme assourdissant. Les lieux et ambiances sont parfaitement retranscrits, avec cette capitale aux parfums méphitiques, traversée de conflits politiques et fourmillant de mille maux, à tel point que sa population ressemble parfois à une faune. Le roman est bien court – à peine plus de deux cents pages – et se lit à la fois facilement et rapidement. Malgré le caractère subversif de Lacenaire, le lecteur finit presque par ressentir pour lui de la sympathie – ou tout du moins à ne pas l'exécrer comme le laissaient pourtant augurer ses forfaits de sang. Parallèlement, l'enquête policière est brillamment menée, et permet d'explorer une étonnante galerie de personnages, depuis les écorcheurs qui sillonnent la ville jusqu'aux policiers en passant par les autres protagonistes, la plupart issus des couches populaires. Les meurtres se multiplient, les fausses pistes également, et il faut attendre l'avant-dernier chapitre pour comprendre les motivations profondes de ces ruisseaux de sang. Indéniablement, Michaël Mention dispose d'un talent rare de conteur ; en plus d'avoir bâti une intrigue adroite, il sait fixer un physique, un lieu, une atmosphère, avec une économie de mots judicieusement choisis.

    Ce polar historique au climat ténébreux est un véritable régal. À la fois sulfureux et distrayant, bien documenté et fictif, diabolique et réjouissant, il scelle de manière indiscutable l'entrée dans l'univers de la littérature policière d’un auteur de talent qui est reçu... avec mention.

    31/08/2011 à 13:13 7

  • Maison fondée en 1959

    Michaël Mention

    8/10 Luc Lettelier a trente ans et des velléités d'écriture plein l'avenir. En fait, il a déjà rédigé six romans mais les portes de l'édition ne se sont jamais ouvertes à lui. Aussi, quand il reçoit un courrier positif de la part des Éditions Rhésus, il bascule dans le bonheur... avant que son rêve ne s'achève brutalement. Oscar Lernheim, le directeur de cette maison, donne à Luc la mission de réécrire un roman, intitulé La voix secrète. Luc se retrouve empoisonné, et seul l'ordinateur lui pourvoira chaque jour sa dose d'antidote à condition qu'il écrive suffisamment. Mais jusqu'où ira ce cauchemar ?

    Le suspense et la machination proposés par Michaël Mention impressionnent rapidement, au même titre que l’écriture. Tout ici a été étudié, calibré, travaillé à la ligne près. L'histoire se révèle rapidement tendue, plongeant le jeune écrivain dans un rapport de production forcée face au clavier de son ordinateur, avec les rebondissements que l'on pouvait attendre d'une telle intrigue : incompréhension, rébellion, soumission, et tant d'autres changements de situation qui ne feront qu'accentuer la juste paranoïa du protagoniste. L'ensemble, assez court, se lit avec énergie, et tout au long de ce récit prenant, on s'émerveille de la plume de Michaël Mention : audacieuse, humoristique, féroce, celle d'un petit jeune qui ose, là où d'autres écrivains se seraient contentés du strict minimum stylistique. Les réflexions quant au travail d'écriture sont brillantes, et le suspense va crescendo jusqu'aux ultimes pages, incendiaires. Certes, on pouvait espérer un dernier rebondissement qui aurait rendu le complot ourdi contre Luc un peu plus crédible, mais ce livre doit avant tout être considéré comme une fugue littéraire, décomplexée, hors des sentiers battus.

    Voilà un opus qui conjugue la frénésie d'un thriller, semblable au Misery de Stephen King ou au Nuisible de Serge Brussolo, à l'introspection de l'auteur en devenir. Le fait que le livre retravaillé par le personnage soit d'ailleurs La voix secrète, sorti en même temps que ce roman, souligne l'aplomb et l'intelligence de Michaël Mention dont on espère lire prochainement d'autres écrits.

    12/10/2011 à 17:47 1

  • Manhattan chaos

    Michaël Mention

    7/10 New York, 13 juillet 1977. Un black-out s’abat sur la ville, la plongeant dans les ténèbres. Parce qu’il a fiévreusement besoin d’un shoot, Miles Davis, reclus dans son appartement depuis très longtemps, doit maintenant en sortir pour aller chercher sa dope. A l’extérieur, il va vivre une nuit d’anthologie.

    Avec sa bibliographie qui n’a cessé de croître depuis 2008, Michaël Mention continue de séduire. Ce qui frappe, au-delà de ses qualités d’écriture et son imagination, c’est, entre autres, la variété des sujets abordés : un sous-marin pendant la Seconde Guerre mondiale dans Unter Blechkoller, le mythique match de football entre la France et la RFA le 8 juillet 1982 dans Jeudi noir, un patelin paumé de l’Australie dans Bienvenue à Cotton's Warwick, etc. Ici, il s’attaque à quelque chose d’encore très différent : Miles Davis plongé dans la furie d’une gigantesque coupure d’électricité à New York. On y retrouve le style si particulier de l’écrivain, celui qui transparaissait déjà dans ses premiers ouvrages, comme La Voix secrète et Maison fondée en 1959 : écriture hachée, mots qui claquent, déconstruction de la syntaxe. Un véritable feu d’artifice dans la forme, qui n’en finit pas de surprendre et, dans le même temps, de captiver. Miles Davis est un personnage particulièrement intéressant : musicien de génie, d’une exigence monstrueuse avec lui-même, il a fini par ne plus toucher à sa trompette pour vivre comme un ermite, comme un indigent, dans son luxueux appartement new-yorkais. Vrillé par la drogue et les abus, il va néanmoins devoir sortir de chez lui pour aller s’acheter sa dose. Et c’est le début d’une nuit furieuse. A la rencontre de personnages interlopes, depuis les dealers jusqu’aux rescapés du black-out, en passant par des êtres réels, comme Juliette Gréco, des membres des Black Panthers ou du Ku Klux Klan, le tueur en série surnommé « Fils de Sam » (que l’auteur a déjà étudié dans son documentaire Fils de Sam), ou encore des soldats de la Guerre de Sécession… Car Michaël Mention secoue son protagoniste au point de le faire changer d’époque et de le confronter aux pires démons des Etats-Unis, comme le racisme et la misère. Des voyages spatio-temporels détonants, tonitruants, qui sidèrent, mais n’en sont pas moins parfaitement maîtrisés.

    Au final, ce sont deux cents pages de pur délire, destroy à l’image de Miles Davis qui voulait détruire le jazz et l’enterrer pour mieux créer son propre sillon, sa musique intime, toucher la perfection du son et du rythme. Une nuit d’ivresse qui nous fait toucher du doigt les fantômes de Miles Davis (avec la présence énigmatique de ce John, dans une relation presque faustienne) comme ceux de la société américaine. Ce ne sera probablement pas l’ouvrage le plus consensuel de Michaël Mention en raison de son sujet et de ses choix narratifs, mais la magie opère, une fois encore, et on est emporté dans cette longue nuit d’ivresse et de ténèbres. De la littérature noire mâtinée de blanche, toutes deux ponctuées de notes bleues.

    24/04/2019 à 18:02 9

  • Sale temps pour le pays

    Michaël Mention

    8/10 1976. Alors que l’Angleterre est tourmentée par des conflits divers, un tueur en série particulièrement épouvantable sévit. Parmi les policiers qui le traquent, deux agents : George Knox et Mark Burstyn. Il faudra des années et bien des drames pour que la chasse s’achève.

    Inspiré de de faits réels, cette histoire est d’autant plus saisissante. Michaël Mention, à qui l’on doit déjà La Voix secrète et Maison fondée en 1959, fait preuve une fois de plus d’un remarquable talent de narrateur. L’histoire est particulièrement prenante, et l’on bascule avec une facilité déconcertante dans une nation terrorisée par cet assassin insaisissable, en même temps que l’on est rudoyé par le climat de l’époque, avec les heurts politiques, économiques et raciaux. Le récit est dynamique, avec des chapitres courts et énergiques, une écriture brûlante, des dialogues qui font mouche, et quelques clins d’œil amusants semés par l’auteur. Les personnages prennent rapidement vie, avec leurs passions, les drames qu’ils subissent, leurs errances. Tout sonne juste dans ce roman, ce qui amplifie davantage la puissance ténébreuse de ce criminel que tous ces policiers vont pourchasser durant de longues années.

    Avec une belle économie de moyens à laquelle s’allie un exceptionnel travail de documentation, Michaël Mention est parvenu autant à croquer une histoire effrayante qu’une période troublée. Voilà décidément un auteur avec lequel il faudra compter à l’avenir.

    09/01/2013 à 17:14 4

  • Unter Blechkoller

    Michaël Mention

    8/10 1944, dans l’Atlantique Nord. Un sous-marin d’élite allemand, le U-2402, doit plonger pour éviter les charges d’un destroyer britannique. Heurtant une barrière rocheuse, l’engin se désagrège lentement, portant en lui les quelques rares survivants. Pour la douzaine de soldats, commence une lente descente aux enfers, où les hommes ne sont pas les seuls prédateurs.

    De Michaël Mention, on connaissait les très bons La Voix secrète, Maison fondée en 1959 ou encore Sale temps pour le pays. Avec ce nouvel ouvrage paru chez Le Fantascope, l’auteur nous démontre un autre pan de son talent. Le récit est haletant, sectionné en courts chapitres, et en s’étalant que sur cent-cinquante pages. Ce huis clos reprend les codes du genre, avec des personnages divers, immédiatement identifiables, soumis à la férocité d’une promiscuité brutale, et devant se dépasser pour survivre. Les lieux et l’atmosphère sont rendus avec une rare fidélité, en quelques traits secs et efficaces. Michaël Mention continue de jouer avec la langue, notamment en usant des lettres capitales lors des hurlements des individus et en exploitant les onomatopées. Parallèlement, l’histoire prend des accents fantastiques, avec une terreur abyssale qui n’est pas liée qu’à la seule profondeur des militaires, et où s’engage un jeu de massacre très prenant. Avec un sens indéniable du suspense, l’écrivain mène le lecteur jusqu’à l’épilogue.

    Maîtrisé, tendu, à la fois classique et original, ce roman est un petit délice. Il surprend autant qu’il fait frissonner, et ne fait que confirmer tout le bien que l’on pensait de Michaël Mention. Ce dernier est décidément une jeune pousse qu’il sera bien agréable de voir croître.

    25/07/2013 à 14:06 2

  • La Malédiction du chat du Caire

    Dan Metcalf

    7/10 Alors que son dévoilement doit constituer un événement majeur, patatras ! La statuette du chat doré du Caire, n’est plus dans son écrin. Stupeur et tremblement dans le public médusé ! Heureusement, la gamine Lottie Lipton est prête à relever tous les défis pour retrouver l’œuvre d’art. D’autant que cette dernière a laissé dans son sillage des énigmes à décrypter.

    Dan Metcalf arrive dans le paysage de la littérature policière pour les jeunes en France avec deux livres, dont cette Malédiction du chat du Caire. On y trouve trois personnages fort sympathiques : Lolie, espiègle gamine capable de faire phosphorer neurones et synapses pour résoudre l’intrigue, son grand-oncle Betram West qui est le responsable des antiquités égyptiennes, et le vieux George, gardien du musée. Alors que la statuette s’est volatilisée, ils vont devoir subir le courroux de l’exécrable Trevelyan Taylor, le directeur des lieux. Malicieuse, la figurine a lâché des énigmes à résoudre. Ce sont des messages qui doivent être déchiffrés : de petites énigmes et autres textes encodés. Sur le principe, rien de bien nouveau sous le soleil, car le concept de livre-jeu est connu. Cependant, ces mystères, destinés à un jeune public, sont intéressants à résoudre et obligeront les lecteurs à se creuser un peu les méninges afin de suivre la piste du matou. Parallèlement, le roman double le plaisir de lecture grâce à sa forme : c’est un bien bel objet, pourvu de rabats élégants, d’un bloc-notes et d’un crayon afin de pouvoir poser les devinettes et mieux les dénouer.

    Un petit ouvrage épatant, qui enthousiasme davantage par sa configuration que par la teneur de son intrigue, et qui ravira sans nul doute le jeune lectorat auquel il se destine.

    07/11/2017 à 20:00 2

  • Les Secrets de la pierre d’Égypte

    Dan Metcalf

    8/10 Terreur ! Quelqu’un s’est introduit dans le British Museum. Rapidement, Lottie Lipton, aidée de son grand-oncle Bert et de George, factotum, se lancent dans une enquête afin de retrouver un mystérieux trident.

    Au même titre que La Malédiction du chat du Caire, Dan Metcalf réjouit avec ce livre-jeu très prenant. L’intrigue reste assez simple mais efficace, et les diverses énigmes mises en travers du chemin du trio de limiers sont attachantes. D’ailleurs, l’ensemble se situe un cran au-dessus de ce que l’on a pu trouver dans l’autre opus des aventures de l’espiègle Lottie. En effet, les devinettes sont un peu plus originales et excitantes, avec des codes secrets à décrypter. D’autre part, on prend plaisir à voir cette fine équipe affronter Bloomsbury Bill, un redoutable malfaiteur. Et c’est ainsi une bien fière Lottie qui, inspirée par l’inspecteur Blade, un officier qui signe des histoires policières dans le magazine Enquêtes et Mystères, saura venir à bout de cette intrigue.

    Un concept toujours aussi intéressant, avec cet écrin constitué non seulement du roman, mais aussi d’un carnet de notes et d’un crayon, permettant ainsi aux jeunes lecteurs de prendre part à la résolution des différents problèmes. Un délicieux petit régal.

    24/01/2018 à 19:54 2

  • Peau

    Ben Mezrich

    7/10 Le livre commence sur les chapeaux de roue et le mystère s’installe avec intelligence, le tout servi par une écriture réussie et prenante, avec une réelle densité des personnages principaux que sont Mulder et Scully. L’histoire préserve de bons moments de suspense et l’exploration de la Thaïlande est efficace, entre complot scientifique, bête mythologique et atmosphère d’effroi. Mais la résolution finale de l’intrigue est un peu faible, ne trouvant pas la juste distance entre réalité médicale et occultisme.

    11/05/2014 à 18:55

  • Lazy Bird

    Andrée A. Michaud

    9/10 Bob Richard, animateur de radio, solitaire et albinos, accepte, presque sur un coup de tête, de déménager à Solitary Mountain, dans le Vermont, pour tenir une émission sur WZCZ. Il devient rapidement la proie d’une mystérieuse voix de femme qui se fait de plus en plus envahissante. Qui est-elle et que veut-elle ? Un oppressant sentiment de paranoïa envahit progressivement Bob, à mesure que les menaces se font de plus en plus inquiétantes.

    Andrée A. Michaud, à qui l’on doit également Bondrée et Rivière tremblante, revenait en 2009 avec ce pur bijou de noirceur. Le pitch est largement inspiré du film de et avec Clint Eastwood, Un Frisson dans la nuit, et ce n’est d’ailleurs pas le seul des clins d’œil que se permet l’écrivaine. De nombreuses références cinématographiques, littéraires et musicales ponctuent ce roman, et c’est un régal de les découvrir au gré du récit. Le texte, écrit en grande partie à la première personne, permet une incursion remarquable dans la psyché de Bob Richard, et l’on plonge dans son esprit torturé, dépressif et errant. L’écriture est absolument remarquable, poétique et magnifiquement tournée, au point que l’on en vient, à de multiples reprises, à relire certains passages tant la langue – empruntant parfois d’agréables québécismes – est admirable. Certains moments sont d’ailleurs de purs moments de grâce, comme les descriptions des animaux albinos qui ont accompagné l’enfance de Bob, le sort tragique de ses deux parents, ses amitiés si profondes et particulières avec Lucy-Ann qu’il a surnommée « Lazy Bird » ou avec Charlie, qu’il qualifie de « The Wild » et dont le sort ne pourra qu’émouvoir. Dans le même temps, l’intrigue est dense et riche, tandis que les cercles concentriques de cette impénétrable auditrice de la nuit autour de notre animateur sont de plus en plus rapprochés : des messages, un frigo qu’elle remplit, un chien qu’elle s’en va écraser, jusqu’aux premiers cadavres. Un scénario brillant et pénétrant de noirceur, que certaines longueurs ne viennent pourtant pas affadir. Puis arrive le dernier chapitre, intitulé Play Misty for Me, qui est un modèle du genre : la révélation ultime, forte et assourdissante, que certains auront peut-être vu venir, et qui rebat intégralement les cartes de ce roman noir si brillamment construit.

    Une ode à la littérature noire, aussi désespérée qu’exceptionnellement humaine, et qui se montre exemplaire, à plus d’un titre. Indéniablement, férocement, intrinsèquement, une pépite.

    25/05/2020 à 17:42 5

  • Proies

    Andrée A. Michaud

    8/10 Tout laissait augurer un bel événement. Judith, Abigail et Alexandre sont partis en forêt pour y camper. Le long de la rivière Brûlée, la saison est agréable, les amis s’entendent à merveille et leur paquetage est complet. Mais un drame survient : un inconnu armé d’un fusil calibre .308 se manifeste, prend presque comme un jeu d’effaroucher les adolescents, jusqu’à ce que la plaisanterie prenne une tournure sanglante : un mort, un survivant et un disparu. A Rivière-Brûlée, le village adjacent, l’ambiance était festive pour la fête agricole annuelle, et rien ne pouvait laisser penser que l’excursion de ces trois jeunes gens aboutirait à la confusion, la peur, le sang et la mort. Et il ne faut désormais que peu de choses pour que la petite communauté n’implose.

    Andrée A. Michaud nous avait déjà régalés avec Lazy Bird, Rivière tremblante ou Bondrée, et elle nous revient avec ce roman noir d’une excellente tenue. Son style étonne et séduit très rapidement : les québécismes abondent tandis que le discours indirect libre est exploité à foison. Dans le même temps, l’écrivaine plonge le lecteur dans le drame dès les premières pages. Néanmoins, à la lecture du résumé de l’éditeur, on pourrait penser à une variation sur le thème développé dans le livre Délivrance de James Dickey, ce qui serait faux : il s’agit moins de la survie d’individus plongés dans une Nature hostile – même si cet élément fait partie du récit – que d’une analyse simple et hautement crédible des secousses qui agitent la communauté humaine dont ils sont issus. Avec des mots élémentaires quoique ciselés, Andrée A. Michaud nous montre à voir les réactions chez les habitants, des membres de la famille endeuillée aux proches de l’ado qui a disparu, sans oublier deux personnages ayant pris part à la tragédie, à savoir Gerry Nantel et Shooter Gobeil. Les sentiments humains sont parfaitement rendus, des attitudes poignantes aux émotions contradictoires, et l’auteure, avec une belle économie de moyens qui n’affaiblit nullement ce large panel de désarrois, nous narre finalement la désagrégation d’une microsociété et le poids effrayant de la culpabilité individuelle. C’est à la fois étourdissant et évident, simple et savamment construit, effarant et somme toute si rationnel.

    Un roman noir vraiment très bon, gorgé des errements, des fragilités et des bassesses des hommes ici dépeints. Une fresque – jamais caricaturale – de ce que nous sommes, sans artifice ni mystification.

    01/02/2024 à 06:57 7

  • Celui qui voit

    Mig, Hervé Richez

    6/10 Sud Vietnam, en décembre 1966. Le soldat Sam Lawry revient d’un congé pour convalescence lorsqu’il a une vision, celle d’un militaire, Fox, troué de balles. Par la suite, d’autres hallucinations s’avèreront tout aussi prophétiques. Serait-il subitement devenu médium ? Un scénario pas particulièrement innovant et une esthétique qui a vieilli (ça date de 2002), mais cette BD est agréable à suivre, notamment grâce à un personnage central dont on a malgré tout envie de savoir ce qui lui est arrivé et ce qui va également lui arriver, lui qui est honni par ses camarades parce qu’il fait peur, adulé lorsqu’il peut prévoir les pièges de l’armée adverse et être capable des plus grands mensonges quand il entrevoit la mort de son salopard de commandant. Globalement plutôt sympa.

    29/03/2023 à 18:56 1

  • L'Oeil de Caïn

    Mig, Hervé Richez

    6/10 Da Nang, 30 janvier 1968. Le soldat Lawry est encore désorienté par son don de voyance, à la fois un cadeau et une malédiction. Ce deuxième opus est beaucoup moins violent et saignant que le précédent, s’attardant – à juste titre – sur l’aversion croissante du peuple américain pour cette guerre autant que les dégâts sur les blessés et mutilés. Sam tâchera de protéger son frère, Nathan, à propos duquel il a eu une sordide vision et découvrira un éphémère amour auprès de la dénommée Mary. Moins d’action et plus de sentiments, ce qui n’est pas pour me déplaire.

    14/05/2023 à 18:52 2

  • 1953

    Mike Mignola, Paolo Rivera

    7/10 Une maison hantée, une main mobile et une créature bien costaude pour commencer ce deuxième opus : on est tout de suite dans le bain. Viennent ensuite de la sorcellerie et des spectres de soldats, un kelpie (un cheval d’eau), un détour par le Wyoming avec les âmes errants de mineurs, une sorte de lévrier afghan qui terrorise une petite ville, etc. De l’humour et de l’action ininterrompus pour un divertissement total !

    22/05/2023 à 20:31 2

  • La Bête de Vargu

    Mike Mignola, Ben Stenbeck

    7/10 Péripéties roumaines pour Hellboy, New Hampshire, Connecticut, Autriche, Angleterre : notre héros voyage de nouveau pas mal pour affronter de sacrés adversaires. La première histoire est passable, la deuxième prenante, la troisième également, la quatrième beaucoup trop courte selon moi. Dans l’ensemble, un bon opus, très divertissant.

    10/04/2024 à 19:41

  • Légitime défonce

    Paul Milan

    4/10 Michel Barne, petit cambrioleur sans envergure, pénètre dans la demeure genevoise d’un riche propriétaire. Mais ce dernier, membre d’une milice d’autodéfense, tente de l’assassiner sans que le vol nécessite de telles représailles. Michel parvient à tuer l’homme et devient alors le gibier d’une vaste chasse lancée par les amis de la victime. Quand Gabriel Lecouvreur apprend ce déferlement de violences, il décide de se rendre sur place.

    Cent-quatrième enquête du Poulpe signée par Paul Milan, cet ouvrage déçoit assez vite. Si le ton est agréable et bien dans l’esprit de la série, il manque de panache pour convaincre pleinement. Les passages où Michel Barne s’exprime détonnent par le ton employé (écriture hachée, langage coloré) mais les autres scènes sont sans grand éclat. Les rencontres entre le voleur en fuite et les miliciens sont sans envergure et répétitives, certaines ruses utilisées par le Poulpe sont tout bonnement invraisemblables et téléphonées, et les mercenaires sont tellement caricaturaux et insipides qu’ils en deviennent interchangeables. De plus, alors que l’idée de dénoncer les dérives de l’autodéfense peut amplement se justifier, Paul Milan ne fait que survoler les motivations et psychologies des traqueurs, ce qui fait qu’à aucun moment, le lecteur ne se sent réellement impliqué du point de vue émotionnel dans cette histoire. Alors, certes, Gabriel est souvent écœuré par ces pratiques, mais même le dégoût d’un personnage hautement sympathique ne peut générer automatiquement une répugnance similaire chez le lectorat.

    Pas assez développé ou creusé, cet opus moyen n’en reste qu’au stade des bonnes intentions. Il manque surtout cruellement de corps, d’âme et d’esprit, ce qui est d’autant plus frustrant que le protagoniste confié à Paul Milan n’en manque pas. Pour résumer, ce roman met en situation sans jamais vraiment mettre en scène.

    02/10/2013 à 20:25 2

  • Sin City

    Frank Miller

    9/10 Un homme, Marvin, se jure de venger Goldie, assassinée dans des conditions étranges. Ça commence d’entrée de jeu avec l’irruption d’une colonne de policiers à laquelle échappe le protagoniste en fuyant et en allant se réfugier chez sa contrôleuse judiciaire, Lucille. Une esthétique remarquable, unique, que j’ai retrouvée après vu (il y a fort longtemps) l’adaptation cinématographique. Un mélange d’érotisme, de suspense et de violence qui déstructure les codes traditionnels de la BD tout en rendant un hommage appuyé au roman noir d’antan. Beaucoup de bruit et de fureur dans ce premier tome que j’ai adoré et qui se conclut sur un élément inattendu, probablement faux et qui me donne d’autant plus envie d’attaquer le second opus.

    28/09/2023 à 18:47 5

  • Peace Maker tome 1

    Ryoji Minagawa

    8/10 Un ouvrage qui mélange habilement les univers du manga japonais et du western. Des références nombreuses et intelligentes à quelques films du genre, et un travail original et intéressant quant aux duels, plus particulièrement concernant les techniques de tir (le « twist draw », le « fanning », le « spot burst shot », ou encore le « get off three shot »). Une ambiance et des dessins qui s’épousent intelligemment, et des personnages intéressants, depuis les sympathiques qui entourent Hope Emerson, mais aussi les membres des Crimson Executers, comme Heckel et sa Gatling, ou encore l’apparition de cet énigmatique Ian Wendys dans la dernière page. Aficionados de combats aux six coups dans les plaines du Far West et de westerns, faites-vous plaisir, et ruez-vous sur cette série. Pour ma part, j’essaierai avec plaisir d’être au rendez-vous des autres opus !

    29/08/2017 à 17:18

  • Peace Maker tome 2

    Ryoji Minagawa

    8/10 J’ai retrouvé dans cet opus le même charme que dans le précédent, avec une histoire mêlant intelligemment western et manga. Une esthétique léchée, un scénario prenant, et de réelles avancées dans l’histoire générale de la série. Deux adversaires de taille : Ian Wendys, un Crimson Executer, et Acrab Kassim, le champion local. Le premier, quoique phsyiquement ridicule, use des bombes avec une maestria remarquable durant ce compte à rebours sur le bateau, et le second emploie une technique très particulière de cambrure durant les duels. On en apprend beaucoup sur le secret qui concerne la jeune Nicola. Beaucoup de rythme et de tension, et malgré des passages nécessairement tirés par les cheveux – comme Beat Gabriel qui utilise une moto comme un spécialiste alors que c’est la première fois qu’il en enfourche une, la magie du premier tome est intacte et se poursuit dans ce nouvel opus.

    04/12/2017 à 17:09

  • Peace Maker tome 3

    Ryoji Minagawa

    7/10 Nos amis, qui accompagnent Hope Emerson à la recherche de son frère arrivent cette fois-ci à Iconoclast, une ville réputée pour sa violence. Mais en réalité, c’est plutôt son côté babylonien qui frappe : des tueurs comme des duellistes, des brigands et des héros s’y côtoient, y jouant librement des armes comme ils l’entendent, sans véritables règles. Une femme règne sur la ville : Conny Levin, une incroyable criminelle particulièrement véloce et capable de dégainer son fusil comme elle le ferait d’un revolver. Encore une fois, les graphismes font mouche, l’action ne manque pas, et la confrontation avec Conny Levin est intéressante. Mais j’ai regretté que l’on se soit éloigné, dans cet opus, du côté purement « duels » qui était si présent dans les précédents. Là, beaucoup de fusillades (presque trop), au point de perdre en lisibilité pour n’offrir que cette interminable succession de bastons.

    06/01/2019 à 18:21