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Helena
7/10 Hayley était prête pour un dernier entraînement intensif avant le grand jour. Dans quelques semaines se déroulerait le World Junior Girl Championship de Dallais, tournoi de golf amateur au cours duquel seraient repérés les futurs professionnels. Sur le départ pour rencontrer son coach, sa vie d’adolescente s’effondre : elle a surpris son petit ami avec une jeune fille moins… farouche. Rester sur place pour régler ça et renoncer au tournoi ? Non, elle partira quand même. Cet enfoiré attendra et la donzelle ne perd rien pour attendre. Pour s’assurer de ne pas craquer, elle dépose son portable chez sa meilleure amie et, le cœur lourd, elle prend la route. Si son père n’accorde pas tellement d’importance à la carrière qu’elle miroite, sa mère, elle, y croyait et lui a très tôt donné les moyens de réussir. Pour elle, elle se doit d’aller jusqu’au bout.
Hayley est toute à ses ruminements quand le capot de la voiture se met à fumer… et à fumer tant et plus. Première sortie, elle quitte l’autoroute, quelqu’un va devoir la dépanner. La chance semble revenir lorsque Norma, sympathique mère de famille, propose de tracter sa voiture jusqu’à chez elle et d’aviser. Mais on se doute bien que ça va partir en vrille, parce qu’un peu plus tôt dans le roman, on a croisé Tommy. Il était en train d’éviscérer un chien dans un ancien abattoir (j’ai lu ce passage en diagonale : dépecer un homme si vous voulez, mais ne vous avisez pas de marcher sur la queue du chat, ça me rend malade), et il n’en était pas à son coup d’essai. À première vue, rien ne relie les personnages, alors qu’en est-il ? L’auteur laisse au lecteur le temps de se poser des questions et balance le truc tout à trac. L’effet recherché n’en est que plus réussi. On suit les unes, puis l’autre, et l’une, et l’autre, et psychologiquement, c’est assez éprouvant. Chaque chose qui se produit semble en entraîner une autre, et le battement d’aile du papillon va déclencher un tsunami. Les personnages, à leur place dans leur rôle, progressent en demi-teinte et sèment un trouble certain. Qui sont les vrais méchants ? Y en a-t-il, d’ailleurs ? Les 730 pages passent vite, si ce n’est les passages entre rêve/cauchemar/réalité avec lesquels j’ai eu un peu de mal. C’est un procédé qui a tendance à me couper dans mon élan. Cela dit, Helena est un bon roman, qui n’hésite pas à venir gratter les plaies qu’on croyait cicatrisées : méfiez-vous de ce qui se cache en dessous.23/09/2018 à 00:05 4
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Le Pensionnat des innocentes
7/10 Ils étaient 5 à connaître la vérité, 5 à avoir juré de ne jamais avouer l’inavouable. Ils ne sont désormais plus que 4. Le passé semble décidé à leur sauter à la gorge, et Teresa Wyatt a été la première à en faire les frais.
Lorsque les ossements d’une jeune fille sont retrouvés près de Crestwood, pas de doute possible pour Kim Stone : la mère Wyatt n’était pas toute claire. Pourquoi diable a–t-elle mis son nez dans les fouilles archéologiques menées du côté du pensionnat ? Kim ne sait que trop bien ce que cachent les taules comme celle-ci. C’est là qu’elle a échoué, à l’âge de 6 ans, lorsque sa mère a été internée en psychiatrie. Des années malheureuses, qui lui ont laissé pas mal de cicatrices. Cette enquête, elle en fait une affaire personnelle. Rapidement, la liste des victimes s’allonge, dans les deux camps. Aussi grande gueule qu’elle peut-être renfrognée, l’inspectrice doit trouver quelque chose à se mettre la dent, quitte à prendre quelques libertés avec les procédures, au grand dam de sa hiérarchie.
Rien que du très classique, me direz-vous. Mais l’auteur vient vous cueillir là où vous ne vous y attendiez peut-être pas : elle vous émeut.
Comment ne pas avoir de peine pour ces gamines qui n’étaient que des numéros de dossier et des emplacements de dortoir pour l’assistance publique ? Cloitrées entre 4 murs de violences physiques et psychologiques, on ne leur a jamais laissé le temps pour l’espoir. Pour porter ce triste secret de polichinelle, Angela Marsons a choisi le Pays Noir, dans l’ouest de l’Angleterre. Une ancienne région minière où le chômage le dispute à la délinquance. Une véritable décharge sociale.
L’ambiance est morose, écrasante. À mesure qu’on avance dans le roman et que tombent les premières révélations, on se sent gagné par la morosité des lieux et des personnages. On sait que malgré le dénouement, justice ne sera pas jamais tout à fait rendue. Un dénouement surprenant et tout en noirceur, tel que je l’attendais.
Merci aux éditions Belfond pour leur confiance.15/06/2018 à 23:35 4
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La Femme à la fenêtre
6/10 Installée derrière sa fenêtre, Anna observe ses voisins. Il y a les Miller. Madame a une liaison avec son ouvrier, son mari a failli les surprendre. Le fils Taneka, lui, joue très bien du violon, mais elle évite les Wasserman, qui ne l’aiment pas beaucoup.
Le jour où les Russell emménagent, son quotidien va se trouver chambouler. Par Ethan d’abord, le fils, qui vient se présenter, puis par sa mère, Jane, qui sauve Anna au bord du malaise devant sa porte, puis passe la soirée chez elle à rire autour d’une bouteille. La même Jane qu’Anna voit se faire poignarder par son mari dans leur salon quelques jours plus tard…
Sans preuves de ce qu’elle avance, Anna peine à convaincre la police… et commence elle-même à douter. Dépressive, agoraphobe et surtout gavée de neuroleptiques et imbibée de vin rouge, avouez qu’on a vu plus crédible. Et lorsque Jane Russell, pas plus morte que vous et moi, débarque chez elle, Anna s’effondre.
J’ai failli reculer devant le premier chapitre, qui m’a rappelé La Fille du train. S’il y a bien un roman dont je n’ai pas envie de me souvenir, c’est celui-là ! Je ne regrette pas d’avoir poursuivi car finalement… l’histoire est plutôt bien ficelée, et on le sait bien, nous, qu’elle n’a pas rêvé et qu’il s’est passé quelque chose chez les voisins. Alors, qui la manipule, et pourquoi ?
Si Anna n’a pas suscité chez moi quelque empathie que ce soit, j’ai aimé son goût pour Hitchcock et les vieux films à suspense en noir et blanc, qui ajoute vraiment un truc. Entre ses discussions sur un site web spécialisé et ses errances alcoolisées, son quotidien est assez proche de ce qu’on peut imaginer, ce qui me semble justifier le côté répétitif. À mesure que les jours défilent (et s’étirent, et se ressemblent, c’est un peu longuet quand même), elle revient sur l’élément déclencheur de sa phobie. De quoi accélérer la lecture, jusqu’à ce qu’elle doive sortir de sa réalité avinée.
La Femme à la fenêtre est certes un peu long à démarrer, mais une fois fait, la tension va bon train, les dialogues sont enlevés et les surprises au rendez-vous. Les amateurs de thrillers y retrouveront les ficelles qu’ils connaissent, les moins chevronnés risquent de se régaler.29/05/2018 à 15:22 7
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Les Nouveaux voisins
3/10 Quand Julie Prentice emménage à Pine Street, elle espère retrouver l'équilibre qu'elle a perdu à la sortie de son premier roman. Un roman parfois discuté, dont on l'accuse de ressembler un peu trop à l'héroïne, et qui lui a attiré les foudres d'une lectrice.
Mais rien ne se passe comme prévu.
Le quartier est régi par la poigne de fer de Cindy Sutton, qui a les yeux partout et sait tout mieux que tout le monde. le genre de mé(na)gère qu'il ne vaut mieux pas se mettre à dos. Autant dire que son « courrier de bienvenue » n'est pas du goût de Julie, qui refuse d'être contrainte à pointer à la fête des voisins, et encore moins qu'on lui dise à combien d'apéros elle a droit.
Mais Pine Street est une petite communauté qui n'aime pas être dérangée, et les Prentice sont vite pris pour cible. Seul John, le plus proche voisin, se rapproche de Julie. Bon père de famille, la quarantaine seyante, tous deux aiment courir et partagent leur parcours chaque matin. Jusqu'au jour où…
De Julie à John, d'aujourd'hui à l'année passée, l'auteur nous amuse, ne distillant que très peu d'indices sur le drame qui a brisé la vie de ces bons citoyens. Tous jouent plus ou moins double jeu, et se retrouvent disséqués par une plume entraînante.
Mais quel gâchis !!
Une construction efficace, des personnages travaillés, de bons moments de suspense: on était en droit d'attendre une fin digne de ce nom. Mais tout est bouclé en 3 pages! On revient en arrière, on se dit qu'on a dû louper quelque chose… Ce qui aurait dû être le climax du roman est discrètement inséré dans les derniers chapitres, le dénouement bâclé. L'exemple même du roman qui vous appâte, et vous plante là.
Parfois, on est un peu déçu, d'autres fois, on se dit qu'on a carrément perdu son temps.29/05/2018 à 15:18 2
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Fausses promesses
8/10 David vient de perdre sa femme. Côté boulot, on ne peut pas dire que ce soit la joie non plus : alors qu'il récupère son ancien poste de rédacteur pour le Standard, le journal met la clé sous la porte. Tant bien que mal, il se réinstalle chez ses parents et maintient le cap pour élever son fils.
En arrivant chez sa cousine Marla, à qui il apporte quelques plats préparés par sa mère, David découvre la jeune femme avec un bébé déposé là, selon elle, par un ange. Ça n'augure rien de bon. Et sachant que Marla a kidnappé un bébé à l'hôpital après la mort de sa petite fille d'un an à peine, il va devoir, bien malgré lui, se poser les bonnes questions. Pendant ce temps, un cinglé a suspendu 23 écureuils morts à une clôture et des étudiantes se font agresser sur le campus. L'inspecteur Duckworth s'arrache les cheveux. Promise Falls a connu des jours meilleurs…
Autant j'ai décroché de la série Zack Walker (Mauvais Garçons), autant je trépigne en attendant le deuxième volet de cette nouvelle trilogie. Linwood Barclay m'a harponnée dès les premières pages. Il sait exactement où venir nous chercher pour qu'on lui accorde toute notre attention. On marche sur des oeufs, au même rythme que les personnages, on enregistre tous les indices dont il veut bien nous faire profiter, mais on a beau recouper les informations, on ne sait pas où tout ça va nous mener.
J'ai retrouvé le David que j'ai tant apprécié dans Ne la quitte pas des yeux, avec un supplément d'autodérision. Ce monsieur Tout-le-monde qui voudrait toujours bien faire mais qui se rend compte qu'il n'est que trop humain. Duckworth est le parfait flic qui vous prend à rebrousse-poil et ne va pas s'en laisser conter. Sans se disperser, Barclay nous fait suivre tantôt l'un, tantôt l'autre, amorçant quelques intrigues parallèles (ou pas), et brille par sa façon de triturer le plus ou moins banal pour en faire de l'original. C'est un peu sa marque de fabrique.
Si ce n'est le fait que je doive attendre pour lire la suite, c'est un sans-faute pour Fausses Promesses. Me voilà définitivement réconciliée avec Linwood Barclay.
29/05/2018 à 15:18 1
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La Fille sous la glace
7/10 Quand Lee Kinney a pris le chemin du boulot ce jour-là, il était loin d'imaginer ce qui l'attendait. « En raison des intempéries, vous êtes autorisé à ne pas vous rendre sur votre lieu de travail. » le SMS du Jobcenter est arrivé un peu tard, alors il a continué jusqu'au musée de Forest Hill. Où gisait le corps d'Andrea Douglas-Brown, fille d'un riche homme d'affaires et fiancée à une figure du gratin local, l'oeil mort, sous la glace des bords du lac.
Quand les riches trinquent, ça fait couler de l'encre. Sans attendre, les journalistes s'emparent de l'affaire, ce qui n'arrange pas Erika Foster, qui voudrait pouvoir faire son boulot à l'abri des ragots. L'enquête s'annonce difficile, d'autant que la DCI Foster se heurte à Sparks, son homologue masculin, éhontément misogyne et déterminé à la tenir à l'écart des investigations. La famille d'Andrea ne l'aide pas beaucoup à avancer, les fantaisies de la jeune femme étant plutôt mal vues de Lors Douglas-Brown, qui tient à éviter les chasseurs de scoops. Et que dire de la soeur à tendance vieille fille névrotique ? le frère discret, la mère dédaigneuse? Pas très coopératifs.
Fragilisée par une descente qui a mal tourné au cours de laquelle elle a perdu son mari, Erika décide de se fier à son instinct (vous devrez faire de même et attendre qu'on vous explique le pourquoi du comment), envers et contre tous, et arpente le terrain plus que de raison pour tenter de gagner la confiance des moins gâtés par la vie, pour qui l'injustice demeure un crime. Mais quelqu'un semble bien décidé à faire taire tous ceux qui pourraient parler…
Robert Bryndza a su doser ses très bons ingrédients et signe là un thriller bien mené. Les dialogues sont vifs – les échanges de piques Foster/Starks sont réjouissants -, les personnages secondaires à la hauteur, cherchant leur place dans un Londres que se disputent les mondains et les laissés-pour-compte. Erika Foster se démarque des fliquettes qu'on croise souvent. Ce n'est pas une bleue, elle a déjà quelques kilomètres au compteur et ni plus femme, ni plus flic, elle fait de son mieux pour tirer son épingle d'un jeu qui l'a mise sur la touche. Une belle représentation du paramètre humain de ce genre d'intrigue.
Un premier roman accrocheur, dont j'attends la suite avec impatience.29/05/2018 à 15:17 3
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La petite amie
7/10 Daniel aurait pu être un énième fils à papa, mais malgré la situation plus qu'aisée de ses parents, il est devenu un homme simple. Cherry, elle, miroitait une place d'agent immobilier dans les quartiers huppés pour rencontrer du beau monde. Rien d'étonnant à ce que ça ait collé entre eux. Mais quand Laura apprend que son fils fréquente la jeune femme, elle voit cette relation d'un mauvais oeil. Pas tant à cause de Cherry qu'elle ne connait pas encore, mais parce que Daniel était le centre de son monde, et son grand garçon lui échappe.
Les présentations ne se passent pas si mal, mais les deux femmes restent sur leurs gardes. C'est surtout le point de vue de Laura qui s'impose dans les premiers chapitres, et lorsque Cherry se dévoile, comme de bien entendu, elle s'avère être une sacrée garce. Vénale, menteuse, manipulatrice. On connait ce genre d'intrigue, on sait à quoi s'attendre. Mais ce que je n'avais pas prévu, c'est que Laura serait aussi détestable que sa future belle-fille! Jalouse, intrusive, infantilisante, curieuse, presque malsaine, à la limite de la névrose. le roman devient donc plus intéressant…
Ni particulièrement bien écrit – simple, concis -, ni porté par des personnages attachants – les personnages secondaires sont quasi inexistants -, je l'ai pourtant dévoré en deux jours (396 pages). Il n'est pas d'une grande originalité non plus, mais l'auteur a su y glisser suffisamment de petits détails pour qu'on se prenne au jeu. Michelle Frances est scénariste, et ça se sent. Certains passages se lisent, et se voient. le final n'offre pas pléthore de possibilités, mais j'avoue que je n'étais sûre de rien.
Un duel déloyal et relativement efficace. Du bon divertissement.29/05/2018 à 15:16 2
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Code 93
10/10 Le corps a été découvert dans un squat de la Seine-Saint-Denis. Elle avait 20 ans peut-être, ravagée par la drogue, les chairs meurtries de sexe barbare. Appelés pour l’identifier, son frère et sa mère déclarent que ce n’est pas Camille. Bien sûr que c’est Camille. Alors pourquoi ce mensonge ? La nuit suivante, le capitaine Victor Coste est appelé en banlieue. Un autre cadavre. Celui-là a le pénis garroté avec de la ficelle à rôti, ses bijoux de famille ont disparu. Mais tandis que la légiste pratique l’autopsie, le mort se réveille. À première vue, rien ne relie ces deux affaires, mais Coste et son équipe ne laissent rien passer, et une chose en entraînant une autre… Coste va mettre les pieds dans une magouille politique, le fameux Code 93, de laquelle il aurait mieux valu rester à l’écart.
Il fallait oser. S’attaquer de front à nos bons dirigeants et, passez-moi l’expression, leur mettre le nez dans leur merde, c’est gonflé. D’autant que c’est fait avec une certaine finesse, au milieu d’une intrigue touffue à souhait et qui se tient de bout en bout. L’affrontement entre les petits costards de la République et les bas-fonds de la cité sonne on ne peut plus juste, et laisse une place de choix à chaque personnage, aussi secondaire soit-il.
L’équipe de Coste, ce sont des flics auxquels il sait pouvoir confier sa vie parce qu’il les a recrutés lui-même, à l’exception de Johanna, nouvellement affectée au SPDJ du 93, et qui va devoir se faire une place dans la meute – les dialogues sont truculents. Coste, dans le rôle de l’homme cassé qui mise tout sur le boulot car fatigué de ramasser les morceaux de sa vie privée et qui « pourrait se taper une crème glacée pendant n’importe quelle autopsie » est remarquable. S’il n’a plus d’idéaux, il lui reste sa conscience et le sens du devoir. Dès le prologue, on sait que ce roman sera un grand cru classé. On arrive (trop vite) au dernier chapitre, essoufflé, écœuré, effaré tant par l’endroit que par l’envers de ce décor brillamment dépeint par Olivier Norek qui parvient, avec des mots simples, des phrases brèves, à donner vie à une ville en déperdition, devenue pantin du peuple et des élus.
Code 93 se rue effrontément dans une réalité poisseuse.
Sans artifices. Brut, brutal.
Fiction vous dites?29/05/2018 à 15:14 7
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Qui je suis
8/10 Hattie était comédienne. Pas seulement sur les planches du théâtre où elle jouait Macbeth ou Jane Eyre. Toute sa vie, elle est passée d’un rôle à l’autre, devenant ce qu’on attendait d’elle. Mais Pine Valley n’était plus assez grand pour ses rêves, elle ne pouvait pas briller sous les lumières des parkings, elle devait aller à New York.
Hattie n’est allée nulle part. On a retrouvé son corps dans la grange des Erikson, le visage mutilé à l’en rendre méconnaissable. La nouvelle se répand vite. À Pine Valley, tout le monde se connait, on achète ses œufs au voisin. Del, le shérif, a vu grandir Hattie. L’enquête n’en est que plus difficile et plus douloureuse pour lui. Dans cette ambiance typique de la campagne américaine, le moindre regard de biais fait de vous un suspect.
Parallèlement aux investigations qui ne semblent mener nulle part, Hattie se révèle sur le ton du journal intime. L’ado souriante, sérieuse et passionnée que tout le monde pensait connaître s’avère avoir été une jeune femme à la personnalité complexe. Son aisance à tromper les apparences a quelque chose de fascinant. Peter Lund, dans le rôle du prof sympa dont l’implication ne reste pas longtemps un mystère, n’est pas en reste. Del, qui fait le lien entre l’horreur et la réalité, est d’une grande justesse. Si l’on se doute plus ou moins de certaines choses, reste la manière dont on les découvrira. Nabokov, Palahniuk, Capote, les références font plaisir. Et Shakespeare bien sûr.
Transposant les codes de la tragédie dans une histoire somme toute classique, Qui je suis est un premier roman abouti, qui brille par sa sobriété. On pourrait craindre qu’il souffre d’inégalités tant il vous saisit dès les premiers chapitres, mais il tient ses promesses. On le referme trop vite, incapables de résister à l’appel du drame porté par une héroïne singulière, qui perd et prend vie derrière des mots forts, des émotions violentes.29/05/2018 à 15:13 1
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L'Arménien : nuits nantaises
10/10 Retrouvé près du corps de ses parents, abattus dans une rue de la capitale arménienne, Luc Kazian est recueilli par sa tante. Peu loquace, parfois maladroit, le gamin préfère laisser le passé là où il est puisque la vie lui a accordé un sursis. Il grandit sans trop d’encombre, à l’abri des livres. Au détour de ses errances dans la ville, il atterrit au salon de coiffure où travaille Bertrand. Rapidement, les deux hommes se lient à la vie à la mort et Bertrand se charge d’introduire son protégé dans le milieu nantais.
1989. Quelques jours avant Noël. Luc gît dans la forêt de Touffou, mutilé et brûlé. Qui pouvait lui en vouloir au point de le massacrer de la sorte ? Bien du monde. De ses premières sorties à son dernier souffle, Luc a connu une ascension sociale fulgurante et s’est fait nombre d’ennemis. Peu à peu, il a gagné les quartiers de la ville pour y revendre sa came en compagnie de son acolyte. Redouté, détesté, adulé, il ne laissait personne indifférent. Les filles étaient à ses pieds, les caïds déjà en place s’associaient avec lui. Mieux valait être du côté de L’Arménien. La piste du règlement de comptes est la plus plausible. Mais l’inspecteur Brandt semble avoir une revanche personnelle à prendre sur les marchands de poudre et ne saurait se satisfaire de l’omerta.
Tour à tour, Bertrand, l’ami de toujours et Françoise, la psy, racontent.
Bertrand, queutard en chef de son état, a le don de s’attirer la guigne. S’il a conscience de ses limites, il s’applique à les dépasser. Il ne peut pas croiser une femme sans lui sortir son grand jeu de séducteur de bas étage. Il épuise les bouteilles de whisky qu’il planque dans l’arrière-boutique au même rythme que son amour-propre. Il avait des rêves, pourtant, des envies de vie de famille, il y a peut-être cru avec Sandrine, mais ça ne lui a pas suffi. Du drôle de duo qu’il formait avec Luc, c’était lui l’agitateur. Il avait voulu se faire instructeur, il s’avérait finalement un piètre élève. Car Luc était raisonné, discret. Généreux, entier et cultivé, il avait su s’attirer le respect que Bertrand n’aurait jamais. De là à faire naître la haine qui pousse à l’irréparable ?
Françoise de Juignain entretenait une relation particulière avec son patient. Elle avait bien tenté de résister à son charme, mais qui l’aurait pu ? Luc savait vous mettre dans sa poche en un regard et quelques mots, et la trop grande empathie de la psy l’a fait déborder de ses fonctions. Elle lui avait tendu la main sans se faire prier, emportée par son désir de protection. Son désir tout court, peut-être. Sa mort laisse un vide immense, beaucoup de questions sans réponses. Ce que l’on dit aujourd’hui du jeune homme ne rend pas justice à celui qu’elle a connu, et elle se fait un devoir moral de défendre sa mémoire. Certes, il était plutôt le genre de gars qu’on évite en temps normal, mais lorsqu’on commence à le connaître…
Comme elle, j’ai eu envie de protéger Luc, mais il était trop tard. Comme Bertrand, j’ai eu envie d’être à ces côtés et de partager cette insouciance d’apparence le temps d’une nuit où rien ne compte. Les Nuits Nantaises, c’est la France des années 80, la France de Mitterrand, la mort de Bob Marley et la chute du mur de Berlin. Le sida a des allures de légende, et on se laisse un mot sur la table si on a oublié de se dire quelque chose. Carl Pineau aborde la décennie avec beaucoup de justesse. Pieds et poings liés, on le suit dans chacune des pérégrinations qu’il a imaginées, car chaque chapitre se clôt d’une telle façon qu’on ne peut qu’entamer le suivant. Difficile de lister toutes les émotions que L’Arménien m’a procurées. Nostalgie, angoisse, sympathie, peine, colère.
Plusieurs fois, j’ai redouté que le pot aux roses ne soit pas à la hauteur de ce que j’espérais, mais Carl Pineau m’a donné bien plus encore. Il aurait pu se contenter d’écrire (très, très bien écrire) un polar original, mais il y a ajouté une histoire d’amitié, d’amour(s) aussi, et des valeurs, beaucoup de valeurs. Un premier roman admirable, qui mérite sa place en tête de toutes les gondoles. J’attends Le Sicilien avec impatience.29/05/2018 à 15:12 1
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Le Mal en soi
9/10 31 ans. 31 ans que la peine et la haine rongent Damiano Valente. Comment faire son deuil lorsque l’infirmité vous rappelle chaque jour que vous n’échapperez pas au passé ? C’était l’été 1985, à Castellaccio, dans le sud de l’Italie. Damiano, Flavio, Stefano et Claudia ne souhaitaient rien tant que profiter de la belle saison. Comment auraient-ils pu se douter ? On n’imagine pas ces choses-là.
Stefano, un peu roquet, le verbe haut, n’aime pas qu’on lui fasse de l’ombre. Damiano est sportif et conciliant, mais il ne faut pas trop lui marcher sur les pieds. Et Claudia, la jolie Claudia, rieuse, volontaire et intègre. Pas facile pour Flavio, l’orphelin de Turin, d’atterrir ici, chez un grand-père qu’il ne connait pas. Pourtant, des liens se nouent très vite. Claudia et Flavio s’observent à la dérobée sous le regard résigné de Damiano et la jalousie de Stefano. C’est l’âge où les amitiés partent de trois fois rien et deviennent plus fortes que tout. Le temps des premiers émois, des grandes promesses. Sa promesse, Damiano la tiendra. Il trouvera qui a tué Claudia et fait voler leurs vies en éclats.
Lorsque le corps d’une jeune femme, la tête tranchée, est retrouvé là où tout a commencé, le Chacal s’incruste dans l’enquête. Le commissaire De Vivo n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent, c’est l’occasion pour Damiano de remonter à l’origine du mal.
Alors oui, bien sûr, certains éléments de l’intrigue rappellent l’inoubliable Ça de Stephen King : des jeunes gens au cœur d’un drame, une narration qui alterne entre 1985 et aujourd’hui, le besoin viscéral que justice soit faite. Mais ce roman peut s’affranchir de toute comparaison pour qu’on lui reconnaisse l’excellence qui est la sienne. Antonio Lanzetta crée, dès les premiers mots, une atmosphère incroyable. Poisseuse, oppressante, emprunte d’une profonde tristesse. Puis on remonte le temps, le contraste est saisissant, et on se retrouve bercés d’insouciance sous le soleil de l’Italie profonde. Plus que des descriptions, l’auteur nous emmène en voyage à chaque ligne. J’ai l’impression d’avoir vécu cet été 85. Cet instant unique où les personnages vacillent sur la ligne de l’adolescence, pas encore prêts à renoncer à leur innocence mais poussés vers l’âge adulte par des événements qui les dépassent. Et quels personnages ! Brisés par la vie mais toujours debout. D’une force émouvante. J’ai éprouvé beaucoup d’affection pour Don Mimi, le grand-père de Flavio, dépeint avec une grande tendresse – malgré sa rudesse – et tout le respect dû à nos anciens. Poétique, atroce, fascinant, j’ai fait durer les derniers chapitres sans rien voir venir (j’ai cru que, mais non).
Le Mal en soi n’est pas l’apanage des criminels…29/05/2018 à 15:10 2
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La Saison des feux
8/10 Mia Warren est photographe. Elle représente le monde tel qu’elle le ressent, et met en lumière ce qu’on voudrait parfois taire. À 36 ans, elle est incapable de tenir en place. Elle a déjà traversé une bonne partie des États-Unis accompagnée de sa fille, rien ne semble jamais pouvoir la retenir nulle part. Si Mia se satisfait de cette vie marginale, il serait temps pour Pearl de connaître autre chose. C’est à Shaker Heights, non loin de Cleveland, qu’elles décident de s’établir. La devise du quartier : « La plupart des communautés se développent au hasard, les meilleurs sont planifiées. » Était-ce l’endroit le plus approprié ? Shaker Heights a ses règles, et personne ne les discute. On dépose ses poubelles derrière la maison le vendredi matin, pour ne pas entacher le décor de film que constitue le quartier. L’exemple en dit long sur les Richardson. Bill et Elena Richardson, et leurs 4 enfants. Snobs, cultivés, bien élevés. La famille américaine idéale, où l’on se doit de prétendre défendre les droits de l’Homme et où l’on choisit son université avec soin. Pas de place pour l’imprévu, l’inconvenant, le déplaisant. Pas de place pour Izzy, la benjamine des Richardson, anticonformiste dans l’âme.
Et c’est ainsi que tout commence.
La maison fume encore. Depuis sa « pelouse arborée », comme on dit ici, Elena Richardson observe la carcasse noircie. Trip, Lexie et Moody, juchés sur le toit de la voiture, réalisent qu’il ne reste rien de leur vie. Izzy a disparu. Ça ne fait aucun doute pour personne, ce feu, c’est elle qui l’a allumé, au sens propre du terme, après en avoir attisé bien d’autres dès ses plus jeunes années. L’auteur nous ramène alors à l’été précédent, lorsque les Warren ont emménagé dans la petite maison de location des Richardson. Elena se réjouissait de cette bonne action : une mère célibataire qui peine à joindre les deux bouts, il fallait lui tendre la main. Très vite, Pearl a sympathisé avec ses enfants jusqu’à faire partie de la famille. Moody a gagné son amitié, Lexie sa confiance, Trip feignait de ne pas remarquer ses regards enamourés. Elena et Mia, d’abord réticentes à voir se côtoyer les torchons et les serviettes, entretenaient des rapports cordiaux. Alors qu’un nouvel équilibre semblait s’être installé, Izzy s’est rapprochée de Mia, brisant plus que jamais le modèle maternel, idolâtrant chez elle ce que Pearl délaissait au profit des Richardson.
Entre thriller psychologique et comédie de mœurs, La Saison des feux brosse un portrait de la société fascinant. Le titre original, Little Fires Everywhere, prend peu à peu tout son sens. Partant d’une histoire somme toute banale, le récit se structure doucement, porté par des personnages épatants. Tous sont travaillés avec le même soin. Chacun se révèle au contact de l’autre, hésitant entre se soustraire au carcan qu’il a toujours connu et la liberté qui lui fait des appels du pied. Le problème de la liberté, c’est qu’on ne sait pas jusqu’où elle peut nous conduire. Sont-ils prêts à tomber les masques ? Méfiance ou tolérance, sécurité et sincérité, aveux et secrets, chacun tente de préserver ce qu’il a. Celeste Ng décrypte la relation mère/fille avec piquant et confronte intelligemment les générations et pose un regard résolument féminin sur l’Amérique de Clinton. Une satire saisissante.29/05/2018 à 15:07 4
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La Soie et le Fusil
8/10 Depuis la nuit des temps, on raconte que les Dominici et les Therrime se haïssent et se maudissent. Lorsque l’orage et la pluie s’abattirent sur la vallée de l’Aspromonte, tous durent quitter les villages d’Ascruthia et de Coraci, et remonter le fleuve en quête d’un nouveau territoire où s’établir. Refusant de s’allier pour travailler la terre, les deux clans cultivèrent l’art de la guerre, irriguant de sang la vallée de l’Allaro. Les femmes tentèrent vainement de raisonner les hommes. Tandis qu’elles tissaient la soie, eux maniaient le fusil.
Bien des siècles plus tard, Julien Dominici et Agnese Therrime se rencontrent. Comment empêcher deux enfants de s’aimer ? D’année en année naissent des sentiments toujours plus forts. Sous l’œil mi-jaloux mi-admiratif d’Alberto, le jumeau d’Agnese, ils s’aiment de cet amour qui se passe de mots. Peu importe qu’il faille affronter la colère des anciens. Une première fois, la vie les sépare. À peine le temps des retrouvailles, le destin s’acharne : Julien, accusé de flirter avec la mafia calabraise qu’il abhorre, écope de 20 ans de prison. 20 années durant lesquelles il se nourrit de noirceur et de haine. 20 longues années à attendre de rejoindre Agnese. Sa liberté retrouvée s’avère pourtant bien loin de ses espoirs. Mêlé malgré lui à un trafic d’envergure internationale, son combat n’est pas terminé.
Je découvre Gioacchino Criaco avec ce Roméo et Juliette des temps modernes. Je suis troublée. Ils ont un truc, ces auteurs italiens. Ce talent pour décrire la passion, au sens christique comme au sens courant. D’une voix à l’autre, le Gecko – Julien –, la Nymphe – Agnese –, les Loups contre les Aigles, le Chiot, le Serpent – la part de mythologie orientale –, tissent les liens du passé et du présent, les resserrent, les déchirent, les nouent, luttent pour que l’histoire ne se répète pas. Des personnages superbes de violence. Des émotions denses. Des valeurs profondes. Une nature splendide. La Soie et le fusil ne se raconte pas, il se lit, doucement, pour s’imprégner des couleurs, des sons, des odeurs. Noir et intense.29/05/2018 à 15:06 3
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Je t'aime
7/10 4 femmes, 4 personnalités. 4 vies. 4 amours différents qui les mènent sur des chemins impensables. 4 vies bouleversées, brisées.
Elles s'appellent Maude, Alice, Nicole, Solange. On les découvre tour à tour amoureuses et dévouées, femmes blessées ou mères rejetées.
Maude ne pouvait pas prévoir que son silence ruinerait sa vie et celles de plusieurs familles. Ce joint dans la bouche d'Alice, ce n'était qu'un incident. Pourquoi se la mettre encore plus à dos et voir Simon et sa fille se déchirer ? Alice est une ado avec tout ce que cela comporte, du plomb dans les semelles lorsqu'il s'agit d'aller en cours, le verbe haut. Maquillée comme un camion volé, ce n'est pas la jeune fille que les mères rêvent de voir au bras de leur fils. La mère de Bruno ne fait pas exception. Des personnages tout ce qu'il y a de plus banal, je vous le dis. Et c'est là que Barbara Abel fait très fort : partant de trois fois rien, elle vous accroche dès les premières pages. J'ai souvent eu une impression de voyeurisme, épiant les uns les autres, accoudée à la fenêtre de leur cuisine. Pourquoi m'en priver puisque l'auteur les malmène à l'envi pour me les donner à scruter à la lumière crue des néons ?
De leurs plus bas instincts à leurs plus grands élans d'amour, les 4 femmes de ce roman livrent tout. Les seconds tentant de justifier les premiers, on craint très vite ce que ces Je t'aime non dits, mal dits ou dits trop tard sont capables de déclencher. Il y a tant d'ambivalence chez ces héroïnes qui n'en sont pas que je n'ai jamais vraiment su si je devais les comprendre ou les blâmer. Je ne suis pas encore décidée, mais ma préférence va peut-être à Alice. Je ne pensais que ça irait si loin, dans les intentions, dans les actes. Des mots aigres, précis, sans aucun indice sur le dénouement de ce cauchemar éveillé. Je me souviendrai de mon premier Barbara Abel comme d'une bonne dose de torture psychologique.29/05/2018 à 15:04 4