El Marco Modérateur

3262 votes

  • Chemin de croix

    Jeff Lemire, Andrea Sorrentino

    9/10 Dès les premières planches, on bascule à nouveau dans cet univers si atypique (et même unique), tant du point de vue graphique que scénaristique. Nos protagonistes basculent dans des mondes parallèles, le désert pour père Fred avec une ville ambiance western qui s’appelle Gideon Falls. Voyages dans les époques, univers parallèles, paradoxes temporels : on comprend que l’un des personnages ait ressenti le besoin de dessiner une carte de ce chaos pour essayer de l’ordonner. Un épisode aussi fou que les précédents, et une telle démence, j’en redemande.

    28/04/2024 à 08:27 2

  • La Grange noire

    Jeff Lemire, Andrea Sorrentino

    8/10 Norton Sinclair est un jeune homme, complotiste et paranoïaque, qui collectionne les menus objets piochés dans les détritus de ses contemporains en les mettant dans des bocaux, persuadé que quelque chose de mal est en train de se tramer. Le père Wilfred arrive à Gideon Falls pour remplacer le précédent révérend, père Tom. Il va d’ailleurs rapidement trouver un cadavre de femme dans un champ. Le point commun entre ces deux individus ? Une mystérieuse grange noire que les personnages voient en vision et qui donne son titre à ce tome.
    Une BD graphiquement très originale (entre roman photo et épure esthétique, avec des visages qui semblent si réels : celui de la psy – Angie Xu – m’a fait penser à celui de Lucy Liu) avec une ambiance sombre et pesante particulièrement réussie. J’ai déjà hâte de continuer.

    27/04/2024 à 08:20 4

  • Le Pentoculus

    Jeff Lemire, Andrea Sorrentino

    9/10 Une ambiance toujours aussi incroyable, avec de multiples jeux sur les ombres, les formes, les couleurs, les textures. Le titre de ce quatrième tome vient de la machine créée par Norton Sinclair ayant ouvert une brèche dimensionnelle vers un monde alternatif. Une chouette référence à l’univers de Stephen King (le coup des bestioles sortant de la bouche) pour une série radicale et singulière. Un final explosif – à tous les sens du terme – et je me demande ce que le cinquième et dernier tome va nous réserver.

    28/04/2024 à 08:28 2

  • Péché originel

    Jeff Lemire, Andrea Sorrentino

    8/10 Norton confie à sa psy, Angie, qu’il essayait de reconstituer la grange noire à l’aide des divers objets qu’il piochait et collectionnait. Pendant ce temps, le père Fred continue sa quête quand on lui apprend qu’Abel Lacroix vient d’être enlevé.
    Un récit toujours aussi puissant, souvent schizophrénique, soutenu par cette esthétique si particulière et ces planches souvent déstructurées parcourues d’encarts rouges. C’est complètement fou et en même temps si réaliste que ça fait froid dans le dos. Une fin abrupte qui aiguise l’appétit pour la suite, quand le père Fred et Norton sont entrés dans cette fameuse grange.

    27/04/2024 à 08:20 2

  • Clair de loup

    Thierry Lenain

    7/10 Paola, une gamine qui n’est toujours pas parvenue à faire son deuil de sa grand-mère, en vient à côtoyer les Gaillard, une famille d’accueil, chez qui se trouve Lou, un garçon de son âge. Discret, presque secret, le gamin a été recueilli alors qu’il était visiblement élevé par des loups, ce qui continue d’attiser la méfiance des villageois à son égard, voire une forme larvée d’hostilité nourrie par les rumeurs les plus folles, d’autant que des silhouettes animales rôdent dans les parages… Un court et joli roman pour la jeunesse, ensemencé de bons sentiments (le sens de l’amitié, voire une inclination amoureuse de Paola pour Lou, le respect de l’altérité, la lutte contre les préjugés, etc.) et qui y mêle le concept de la lycanthropie. Thierry Lenain a signé en 1994 un bel opus, simple et efficace, très agréable à lire, qui n’a rien perdu de son charme.

    21/06/2020 à 19:39 1

  • La Fille du canal

    Thierry Lenain

    9/10 … ou la vie terriblement poignante de Sarah, onze ans, qui a vécu ou vit des choses si terribles qu’elle n’ose s’en ouvrir à personne, surtout pas à sa famille. Il n’y a que son institutrice qui va se rendre compte que quelque chose cloche. Des mots simples, adroits, choisi et travaillés avec une justesse prodigieuse, sans le moindre terme en trop. Une sécheresse purement formelle qui ne détourne absolument pas le flot de ces émotions puissantes qui coulent au gré des pages. Des signes, presque des symptômes, retranscrits avec une humanité une véracité remarquables par Thierry Lenain : des résultats en baisse pour la gamine, un appétit en berne, une poupée maltraitée et au ventre délibérément brûlé, des cheveux qu’elle a subitement fait couper courts, et un mutisme croissant qui n’a vraiment rien de bon. L’institutrice, victime vingt ans plus tôt d’un acte ignoble dans le cercle familial, constituera la planche de salut de Sarah tout en lui permettant d’affronter les démons de son propre passé et d’entamer, si c’est encore possible, sa rédemption. Un texte court, rédigé avec un talent inouï, tout en retenue et en tact, sans que les termes nécessaires – « viol », « inceste », « attouchements » ou « pédophilie » – ne soient jamais écrits, car inutiles, au vu de la qualité et de la force évocatrice de l’écrivain. Un ouvrage riche, fulgurant, à la fois glaçant et brûlant, et qui en devient presque indispensable par l’intelligence des mots employés et des maux décrits.

    24/02/2019 à 17:49 5

  • Charlie Martz et autres histoires

    Elmore Leonard

    8/10 D’Elmore Leonard, on croyait tout connaître : son style lapidaire si typique, sa richesse, avec sa bibliographie si riche et variée. Et c’est donc avec un plaisir de gamin alléché que l’on apprend l’édition de nouvelles demeurées jusqu’à présent inédites. Tel un délicieux patchwork, chacun pourra y trouver son bonheur littéraire. Des scènes de western (« Charlie Martz », ou la vengeance de Billy Bushway face à un shérif vieillissant, ou « Confession », avec un prêtre atypique aux prises avec de sinistres individus bien décidés à récupérer le butin d’un vol), une peinture au vitriol du cinéma sur un plateau de tournage (« Un bon fantassin syrien est un fantassin mort »), une saynète de vie conjugale (« La coupe italienne »), une vendetta qui se clôt sur une bien étrange solution à des mots croisés (« Un, horizontal »), etc. Elmore Leonard maîtrise son art, alors que ces récits datent pour la plupart du milieu des années 1950, soit juste avant qu’il ne se lance dans les romans qui ont fait son succès critique et public. Des dialogues au cordeau, un sens de la mise en scène bien dépouillée, des descriptions réduites à leur plus simple expression sans jamais qu’un mot ne manque, et autant de démonstrations de ce que doivent être des nouvelles à chute. A cet égard, « Arma virumque cano » en est le plus bel exemple : seize pages décrivant un échange bien banal entre un conducteur et une autostoppeuse avant le final, excellent et mémorable. Tout le génie de l’écrivain est définitivement là : le vernis d’un moment banal, et l’épilogue qui surprend et fauche le lecteur puisque ce dernier était trop euthanasié pour voir venir le twist. Et même si la surprise ou l’originalité n’est pas toujours au rendez-vous (« Juste pour faire quelque chose »), ce recueil séduit indéniablement. Il fait un peu penser à une assiette d’antipasti dans laquelle on peut piocher, en fonction de ses goûts propres, avant de passer au plat de résistance, à savoir les autres ouvrages d’Elmore Leonard.

    02/10/2017 à 19:56 5

  • Hitler's Day

    Elmore Leonard

    7/10 Aucun doute possible. Ils sont nés le même jour, à la même heure, au même endroit et ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Walter en est donc persuadé : il est le frère jumeau d’Heinrich Himmler. Pendant ce temps, le marshal Carl Webster est à la recherche de Jurgen et Otto, deux officiers nazis échappés qui pourraient se trouver dans la ferme de Walter. Carl a trouvé un moyen de s’approcher de ce dernier sans trop attirer l’attention : être dans les petits papiers de Honey, l’ex-femme du nazillon. Mais on ne s’approche pas aussi facilement d’un tel cercle d’individus.

    Elmore Leonard, c’est un style inimitable et une série de traditions narratives : des digressions à tire-larigot, des dialogues alléchants et jouissifs, une ribambelle de personnages baroques. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet ouvrage est en ce sens typique. Le postulat de départ, déjà amusant, régale tout au long du livre, et permet de croiser une sacrée brochette de phénomènes. Un boucher persuadé d’être le jumeau d’un des plus grands dignitaires du Troisième Reich, à la fois borné et insensible, et prêt à tout pour offrir un cadeau explosif à Adolf Hitler. Deux fugitifs, un SS et un de l’Afrikakorps, dont l’un va convoler avec une juive et travailler dans l’édition et le second hésite à se lancer dans le rodéo. La femme du marshal, devenue instructrice dans le maniement des mitrailleuses de bombardier. Honey, une belle plante, très convoitée, et qui a le béguin pour notre représentant de l’ordre. Bo, un compagnon bien encombrant qui s’habille systématiquement en jupe depuis qu’il a été surpris avec sa maîtresse par le mari de cette dernière. Avouons que cette constellation d’individus n’est pas fade… A côté de cela, l’intrigue est parfois un peu usée, comme une corde sur laquelle on aurait trop tiré, avec notamment des temps morts et autres bavardages. L’ensemble se tient bien, se lit avec plaisir, l’humour d’Elmore Leonard est un régal, mais on aurait probablement préféré plus de tenue, ou une intrigue resserrée.

    Elmore Leonard était, est et restera un écrivain majeur de la littérature policière. Même s’il laisse parfois son exubérance et sa prolixité prendre le pas sur l’histoire, il n’a pas fini d’inspirer des générations d’auteurs et d’envoûter ses lecteurs.

    04/11/2015 à 18:32 2

  • Inconnu 89

    Elmore Leonard

    8/10 Jack Ryan, la trentaine, est devenu huissier pour les tribunaux de Détroit, où il se contente, la plupart du temps, de remettre la main sur les bonnes personnes pour leur transmettre des documents légaux. Cette fois-ci, pour le compte d’un dénommé monsieur Perez et l’entremise d’une connaissance, Jay Walt, il doit dénicher un dénommé Robert Leary Jr, dit « Bobby Lear ». Mais quand Jack retrouve Leary, c’est à la morgue, avec à l’orteil une étiquette indiquant « Inconnu 89 ». Il ne le sait pas encore, mais notre huissier vient de mettre les pieds dans un sacré nid de serpents.

    Second opus de la série consacrée à Jack Ryan après Cinglés, cet Inconnu 89 reparaît chez Rivages dans une nouvelle traduction intégrale, après avoir été préalablement édité à la Série Noire. On retrouve avec bonheur la langue et le style, tous deux uniques, d’Elmore Leonard : une intrigue serrée, de l’humour, et des dialogues qui font aussi souvent mouche qu’un sniper à la fête foraine. De prime abord assez classique, l’auteur, entre autres, de 3 heures 10 pour Yuma, Zigzag Movie et Punch créole, nous sert une histoire qui va vite se révéler bien plus complexe. Il y a Jack, mais également Denise, la veuve de Leary, Perez et Raymond, son bras armé, ainsi que Virgil, toujours prompt à jouer des armes, et Dick Speed, policier et ami de Jack. Le scénario va tourner autour de ces mystérieuses actions que Jack doit transmettre à Leary et, le cas échéant, à sa veuve, mais cela ne va pas se faire sans heurts ni morts. Elmore Leonard sait faire alterner avec maestria les moments hilarants (notamment lors de réparties particulièrement savoureuses), les instants plus durs (cf. le passage de Jack à la morgue), voire émouvants (quand notre héros repique à la bouteille). Même si certains moments sont un peu plus relâchés (comme l’escapade floridienne), l’ensemble ne présente guère de temps morts, et l’ensemble se dévore plus qu’il ne se lit.

    Encore un très bon roman de la part de cet auteur exceptionnel, dont on ne saurait se lasser de la bibliographie, étoffée et hétéroclite.

    04/09/2020 à 14:53 4

  • Killshot

    Elmore Leonard

    6/10 Richie Nix n’est qu’un petit voyou cherchant à battre le record des braquages de banques. Incapable de mettre en œuvre de grands casses, il se rabat sur une escroquerie contre un agent immobilier et tente de dérober une Cadillac. Problème : le chauffeur du véhicule est un tueur à gages surnommé Blackbird. Les deux hommes finissent par faire équipe et se rendent chez l’agent mais se trompent de cible : ils croient voir dans le couple formé par Wayne, poseur de charpentes métalliques, et Carmen, son épouse, leurs proies. Pour les deux mariés, il va falloir échapper à ces deux criminels qui veulent à tout prix se débarrasser de ces témoins embarrassants.

    Avec cet ouvrage, Elmore Leonard se coule avec plaisir dans le genre du roman à suspense un peu décalé : les protagonistes sont de parfaites brutes très malchanceuses, leurs victimes potentielles sont bien plus rusées qu’il n’y paraît, et les policiers et autres agents fédéraux ne sont pas les sauveurs auxquels on pouvait s’attendre. Ponctué de dialogues amusants voire parodiques, le récit est bien bâti, offrant au lecteur une lecture divertissante, avec notamment le personnage de Carmen, très attachante et pleine de ressources.
    Cependant, il est dommage que l’intrigue soit au final assez sommaire et que des longueurs viennent grever la narration. On aurait aimé un peu plus de punch dans certaines situations ainsi que davantage d'originalité.

    Killshot constitue donc un bon moment de lecture récréative qui plaira avant tout aux fans d’Elmore Leonard, mais n’offre probablement pas le meilleur roman pour plonger dans l’univers de cet auteur.

    16/05/2008 à 22:32

  • Mes dix règles d'écriture

    Elmore Leonard

    8/10 Elmore Leonard n'est plus à présenter. Depuis plus de trente ans, sa carrière prolifique et son talent d'écrivain ont fait de lui une figure majeure de la littérature. Du western (Gold Coast, Hombre, L'homme au bras de fer) au roman à suspense, souvent teinté d'humour (Be cool !, Killshot), en passant par la littérature de jeunesse (Un coyote à la maison !), Elmore Leonard a séduit un très large lectorat. En 2001, il passait à table pour raconter ses techniques d'écriture. Une véritable parole d'évangile.

    Ses conseils, prenant appui sur les méthodes d'illustres prédécesseurs comme Ernest Hemingway et John Steinbeck, mettent à nu ce qui a fait la forme de ses écrits : peu de descriptions, d'adverbes, de points d'exclamation. Par ailleurs, il s'oppose aux auteurs qui s'évertuent à diluer leur plume dans des passages longs, voire inutiles. Dix règles d'écriture, donc, qui permettent de mieux cerner l'art du maître, mettant en relief ses réflexions en la matière et son jugement sur ses pairs. Par ailleurs, ses avis quant aux prologues et patois, toujours sur le ton humoristique, valent nettement le détour. Les illustrations de Joe Ciardello sont très drôles et complètent à merveille les propos d'Elmore Leonard.

    A la manière d'Ecriture de Stephen King, ce livre est un jalon pour qui veut s'initier à l'art d'écrire, voire de mieux écrire. Certes très courte – au point de constituer son seul véritable défaut -, cette confession d'un auteur au sommet de son talent reste un délicieux moment de partage, de jubilation et de modestie.

    24/10/2010 à 11:24

  • Permis de chasse

    Elmore Leonard

    8/10 Robbie Daniels vit comme un nabab dans sa magnifique propriété de Palm Beach. Riche, séducteur, au-dessus de tout soupçon, il incarne la réussite professionnelle parfaitement épanouie. Mais Daniels n’est pas qu’une gravure de mode : c’est également un psychopathe. Féru d’armes à feu, il les collectionne et les utilise, à l’occasion, comme avec ce réfugié haïtien sur lequel il a tiré, alors que les circonstances de la légitime défense sont encore floues. Il engage un policier pour être à sa solde, autorise une journaliste pour qu’elle dresse son portrait, tandis qu’un autre flic commence à se mêler de ses affaires. Les nuages s’accumulent, et l’orage n’est décidément pas loin…

    Auteur adoré par ses pairs et dont les œuvres ont souvent été portées à l’écran, Elmore Leonard fait partie de ces écrivains que l’on a plus besoin de présenter. Publié en français pour la première fois, ce Permis de chasse met immédiatement en lumière son style si particulier. Prompt aux digressions, capable de rendre des dialogues croustillants, mettant en scène des individus assez farfelus, cet opus ne déroge pas à la règle. Robbie Daniels est même une sorte de synthèse de ses créatures littéraires : siphonné sans jamais être une caricature de névrosé, il se passionne pour les armes, essaie de partager cette ferveur avec les gens qu’il croise, et devient complètement obsédé par la possibilité d’un meurtre ultime, sorte de parangon de ce qui pourrait se faire en la matière, qui serait pratiqué sur une vermine absolue. Il parvient à traîner Walter Kouza, policier à la dérive, dans son sillage de mort, et fait de lui son assistant. Ses relations avec Angela Nolan, la journaliste, et Bryan Hurd, limier perspicace, vont s’entrelacer jusqu’à un chaos que l’on devine toujours plus proche à mesure que les pages se tournent. Derrière les mots d'Elmore Leonard, sous les apparentes banalités de quelques verbiages et autres situations loufoques, on sent nettement des martèlements, ceux qui animent des individus purement fictionnels mais auxquels les écrivains doués savent donner vie. C’est ici le cas. Dans les réparties, les saynètes, les sentiments, tout sonne juste, jusqu’à parfois égarer le lecteur qui vient parfois à croire à une histoire bien cocasse, à s’en taper sur les cuisses tant c’est comique. Mais il n’en est rien : des gens sont abattus, d’autres filment les derniers moments de vie de malheureuses proies, et le dégoût se lie à l’absurdité des desseins de Daniels.

    C’est tout le paradoxe de ces ouvrages d’Elmore Leonard : parvenir à les rendre burlesques sans jamais faire déteindre cette encre si noire avec laquelle il les écrit. Ou l’inverse : conserver cette teinte sombre sous le vernis d’un récit divertissant. Peu d’auteurs peuvent le faire sans tomber dans le ridicule ou le bancal. Non. En fait, il n’y en avait qu’un seul. Et c’est pour cela qu’on l’aimait tant. Elmore Leonard nous a quittés le 20 août dernier.

    22/09/2013 à 18:24 1

  • Rebelle en fuite et autres histoires

    Elmore Leonard

    7/10 Un an plus tôt, paraissait en France Charlie Martz et autres histoires, dont on pensait le plus grand bien. C’est maintenant au tour de cet autre recueil de nouvelles écrites par Elmore Leonard de nous parvenir. Sept très courtes histoires où brillent tous les éléments qui ont fait et continuent de constituer tout le talent de l’écrivain : dialogues secs et pertinents, des descriptions qui n’ont que la longueur nécessaire – c’est-à-dire quelques mots habilement choisis, et une aptitude remarquable à emmener le lecteur avec une immense économie de moyens. Charlie Martz en cowboy est de retour pour une histoire d’encoche illégitime sur son revolver, avec un duel à l’issue assez originale. Un honnête père de famille qui refuse de prendre les armes face à des intrus. Une ancienne terroriste malaisienne, « retournée » dans un camp de rééducation, devenue secrétaire et qui se retrouve confrontée à un fantôme de son passé. Encore plus que dans le précédent spicilège, les registres littéraires sont variés. Nous avons ainsi droit à une histoire d’adultère entre membres du personnel aéronautique, un ancien torero reconverti en ouvrier agricole convoqué dans une parodie de tauromachie humaine, une veuve qui va apporter une aide zélée et inattendue à un soldat durant la Guerre de Sécession, et une histoire de pure littérature blanche se déroulant dans un hôtel espagnol. La concision de ces récits les rend particulièrement digestibles, et c’est toujours avec entrain que l’on se laisse aguicher par ces décors si vite plantés, prendre par ces fictions, et emmener vers l’épilogue. Néanmoins, certaines nouvelles paraissent nettement moins séduisantes que d’autres, tandis que l’on retrouve cette même hétérogénéité au niveau des genres. Les côtés noir et policier semblent marquer le pas, ce que certains lecteurs apprécieront peut-être, afin de pouvoir apprécier une autre facette du génie d’Elmore Leonard.

    10/10/2018 à 17:11 2

  • Stick

    Elmore Leonard

    9/10 Ernest Stickley pensait en avoir fini avec les tracas en sortant de prison. Erreur. Au cours de ce qui aurait dû être un simple troc, son copain Rainy se fait abattre alors que c’était lui qui aurait dû être la proie des balles. Et ça n’est encore que le début des problèmes…

    Elmore Leonard nous a quittés il y a plus d’un an. Sa bibliographie imposante, les nombreuses adaptations cinématographiques, mais surtout le ton de ses œuvres nous manquent désespérément. Il suffit d’entreprendre la lecture de n’importe lequel de ses romans pour s’en rendre compte. Avec ce Stick, la patte de ce géant de la littérature est immédiatement reconnaissable, et elle a pourtant cette capacité si paradoxale de nous surprendre à chaque fois. Un humour total, dans les portraits psychologiques ou dans les réparties, à en tomber du fauteuil. Des personnages tous plus cocasses les uns que les autres, jugez-en vous-mêmes. Stick, sympathique cambrioleur, à la fois maladroit dans les braquages et suffisamment irrévérencieux pour mettre en pétard un mafieux. Cornell, majordome prêt à se plier aux exigences sexuelles de son employée, quitte à se vêtir en esclave tout droit issu d’un péplum intime et de lui jouer le Chibre Infernal. Chucky, truand pathétique accro aux pilules et incapable de rester immobile, à part le mettre sous le joug d’une fourche. Monk, gangster si coquet de son chapeau qu’il peut perdre tout contrôle si on s’en prend à son couvre-chef. Barry, riche électron libre passionné par les investissements en bourse. Mélangez tous ces spécimens hilarants, ajoutez-y des interactions inattendues et astucieuses comme une escroquerie via la production d’un film, saupoudrez de la verve inimitable de Elmore Leonard, passez le tout au shaker et vous obtiendrez un roman déjanté tout autant bavard que rigoureux dans sa structure, un magnifique exemple de ce que ce défunt orfèvre des mots et des situations hilarantes pouvait offrir à son lectorat.

    01/05/2015 à 23:13 2

  • Swag

    Elmore Leonard

    8/10 Frank Ryan n’en croit pas ses yeux : un individu lui vole une des voitures qu’il essaie de vendre sous son nez et avec une totale décontraction. Rapidement arrêté, cet homme que l’on surnomme « Stick » finit au tribunal… et Frank prend sa défense en revenant sur sa déclaration. Pourquoi ? Parce que Stick lui a, à sa façon, tapé dans l’œil. Aussitôt, il propose à ce voleur à la petite semaine une association, pour des braquages, puisque ces derniers semblent être très lucratifs. Et ça tombe bien : Frank a justement écrit dix règles d’or du parfait braqueur pour toujours s’en sortir. Seul problème : les règles, lorsqu’elles sont trop belles, sont justement là pour être enfreintes…

    De Elmore Leonard, on retient une imposante bibliographie, du western au polar, et dont des ouvrages ont été adaptés au cinéma. Ce qui marque également, c’est son écriture, unique, remarquable entre mille : un style sec, une immense économie de mots, et des dialogues qui claquent en restant crédibles et débarrassés de toute recherche littéraire. Comme il le disait lui-même, nous le rappelle Laurent Chalumeau – l’auteur de Elmore Leonard, un maître à écrire – dans la préface : « If it sounds like writing, I rewrite it ». Ce roman ne déroge pas à la règle : des réparties excellentes, crédibles, jamais travaillées. C’est aussi l’occasion de découvrir deux sacrés protagonistes : Frank, petit rusé, parfois sanguin, qui abuse des alcools et s’associe parfois à des personnes peu recommandables, et Stick, plus flegmatique, guignant les bons coups, même illégaux, pour mettre de l’argent de côté et en faire profiter sa fille, et avec une solide forme de moralité – enfin, pour un braqueur… Elmore Leonard avait déjà imaginé, en 1976, dix règles qu’il transposera, près de trente ans plus tard, pour caractériser ses spécificités d’écrivain dans Mes dix règles d'écriture. Mais, comme on s’en doute un peu, ces préceptes ne vont pas être totalement suivis, et les problèmes ne tarderont pas à survenir. Un roman noir dans la plus pure tradition du genre, à l’intrigue simple mais redoutable d’efficacité, mettant en scène quelques autres personnages bien sentis comme le policier Cal Brown, ou encore Arlene, belle et désirable jeune femme.

    Elmore Leonard, en auteur roué et maître de sa technique dès les seventies, signait alors un opus fort réussi et entraînant, reposant pourtant sur une histoire réduite à la portion congrue mais dont, dans un puissant paradoxe, l’écrivain a su tirer le meilleur justement grâce à cette belle sobriété et son expertise dans les dialogues. « Less is more » : dans tous les arts, le minimalisme a parfois du bon, et on ne cessera jamais de célébrer cette ligne de conduite littéraire dès lors qu’elle s’exprime avec autant de talent.

    29/09/2021 à 07:21 2

  • La Mort et le mourant

    Lucio Leoni, Olivier Peru

    8/10 Un tome 0 qui permet un focus sur Serge LaPointe, vu ailleurs dans la série, acteur déchu de films d’horreur ici à Saint-Pétersbourg quand un flot de morts-vivants déferle. Quand la réalité dépasse la fiction… Ce qu’il faut d’action, de courses-poursuites en voiture et autres ingrédients nécessaires au cocktail du genre (armée en déroute et faisant feu sur des civils, état de siège, etc.). Au début, j’étais un peu dubitatif quant à cet épisode isolé au sein de la série, mais j’ai finalement apprécié ce zoom sur ce personnage qui a vécu hors-sol avant d’être plongé dans l’horreur, la vraie. Et le final est également très bon et très fort, où les auteurs ne plient pas devant le mythe du héros et son passage presque obligé dans ce type de littérature : les êtres humains, en proie à un dilemme, peuvent choisir la solution opportuniste, individualiste et égocentrée tout simplement parce qu’ils ont la trouille.

    17/03/2024 à 18:22 1

  • Le requiem d'Orphée

    Mickael Lepeintre

    8/10 David se retrouve immergé dans une cuve, alimenté en oxygène par une sonde. Il parvient à se défaire de ce dispositif et va chercher à recouvrer sa liberté. Dans le même temps, probablement non loin de David, Jezabel se réveille dans ce qui ressemble à une chambre d'hôpital. Où sont-ils ? Pourquoi ont-ils été enfermés ? À mesure qu'ils progressent dans un gigantesque complexe, ces deux individus découvrent d'autres prisonniers tandis que dans les coursives rôdent les ombres inquiétantes d'animaux monstrueux...

    Après le roman historique Le légat de Rome, Mickael Lepeintre signe avec Le requiem d'Orphée un ouvrage presque impossible à classer. D'entrée de jeu, grâce à une écriture très élégante, un postulat de départ assez excitant – les raisons de la claustration de plusieurs personnes dans un même lieu – et un indéniable talent de conteur, l'attention du lecteur est retenue. Par la suite, le récit dérive progressivement vers des scènes qui pourront rappeler à certains des épisodes de Lost ainsi que des séries de science-fiction, mélangeant des styles aussi divers que l'aventure, l'anticipation et l'action pure. Par ailleurs, Mickael Lepeintre a soigné la construction de son livre, avec de très nombreuses alternances entre événements passés, présents et même futurs, sans que l'on en comprenne au départ les réelles motivations ; si ce procédé est assurément maîtrisé, il n'en demeure pas moins qu'il risque de perdre dans ses méandres certains lecteurs si ces derniers ne restent pas très attentifs aux noms des protagonistes ainsi qu'à leurs actions. Peu à peu, les tenants de l'intrigue se dévoilent et le fin mot de l'histoire n'apparaît que dans les dernières pages, achevant de faire du Requiem d'Orphée un roman certes complexe et dédaléen, mais qui détient de multiples qualités parmi lesquelles l'imagination et l'habileté de Mickael Lepeintre ainsi qu'une histoire inimitable et inimitée.

    Pour conclure, Le requiem d'Orphée est un OLNI : un Ouvrage Littéraire Non Identifié. Définitivement atypique, il est en soi une véritable aventure romanesque, bousculant les codes et s'affirmant comme un ouvrage unique. Certains l'aduleront, d'autres seront désarçonnés, mais ce livre n'en reste pas moins un opus qui ne ressemble à aucun autre.

    28/01/2010 à 06:45

  • L'Article 637

    Jules Lermina

    5/10 Le narrateur ainsi que le détective Maurice Parent sont invités chez les Liévin pour dîner, le 25 décembre. C’est aussi le dixième anniversaire de la mort de M. Liévin, l’époux et le père de deux filles. On n’a retrouvé de la victime qu’une jambe, tronçonnée et découverte dans la Seine. C’est alors que Maurice Parent cite cet article 637 qui prescrit les crimes au bout d’une décennie. C’est aussitôt après qu’il incrimine M. Marion, ami et subordonné de la victime.
    La nouvelle est vertigineuse de concision, au point que, lorsqu’on prend conscience de cette brièveté, on se doute que l’auteur va devoir exploiter un ressort ultra expéditif, et alors, on en finit presque par comprendre comment va se faire piéger le criminel, comme dans un bon épisode de Columbo. Bref, l’idée est astucieuse et le texte plutôt réussi, mais à vouloir trop jouer la vélocité, je trouve que l’auteur a en grande partie manqué sa cible, en nous ôtant tout suspense, toute tension, toute réflexion, bref, en désamorçant une grande, voire une immense partie de l’intérêt de la lecture.

    17/05/2021 à 17:49 1

  • Le Fauteuil hanté

    Gaston Leroux

    7/10 Un bon petit polar, qui a tout de même plus d’un siècle. Une histoire assez farfelue, menée avec beaucoup d’entrain par Gaston Leroux, avec des académiciens aux atermoiements risibles et prêts à croire en des phénomènes magiques (belle ombre maléfique que celle de Eliphas de Saint-Elme de Taillebourg de La Nox, mage autoproclamé), et un commerçant en antiquités, Gaspard Lalouette, prêt à remplir de son séant ce maudit quarantième fauteuil qui a porté malheur à ses précédents prétendants, alors qu’il ne sait même pas lire. De l’humour, de l’ironie, mais aussi, même si l’intrigue ne débroussaille pas bien loin, des pistes intéressantes, notamment dans la résolution de l’anathème, alors que ce roman date, comme je le disais, de 1909.

    29/08/2017 à 17:16 1

  • La grande môme

    Jérôme Leroy

    4/10 Pas vraiment emballé. Des personnages trop caricaturaux à mon goût, entre une ancienne activiste terroriste qui ne s’exprime jamais et dont on n’a des infos que par l’avocat ou sa fille, et un policier tellement brutal et corrompu qu’il en devient grotesque. L’histoire d’amour entre les deux ados est trop superficielle et déjà lue. Je ne dis pas que ça n’intéressera jamais les jeunes lecteurs auxquels s’adresse l’auteur, mais ça ne m’a jamais touché. Une des rares fois où je n’ai pas pu substituer des yeux de collégiens ou de lycéens aux miens.

    20/08/2014 à 15:24