El Marco Modérateur

3575 votes

  • Trek mortel

    Betty Piccioli

    7/10 Quatre adolescents – Anna, Baptiste, Clément et Diane –, membres du même club d’escalade, décident de se lancer du côté du Pic de Barrosa, dans les Pyrénées. Rapidement, les événements inquiétants se succèdent : toiles de tente déchirées, passé douloureux qui revient à la charge, refuge présumé maudit, présence de drogue dans le chalet. Vous allez incarner Anna et tâcher de prendre les bonnes décisions.

    Après Urbex mortel, Betty Piccioli nous revient, toujours chez l’éditeur Rageot, avec ce nouveau livre-jeu. Il s’agit, comme le veut le concept désormais connu de tous, de faire des choix lorsque cela est proposé, et à chaque aiguillage présenté, poursuivre l’histoire. Le récit est intéressant, le cadre à la fois vertigineux et oppressant, et suffisamment de rebondissements viennent émailler le récit. L’écrivaine propose d’ailleurs sa propre version de l’escape game : on oscille ici entre livre-jeu et littérature. En effet, l’arborescence est assez ténue, et même s’il existe assez de fins différentes pour inviter le jeune lectorat à retenter sa chance et ainsi tester toutes les solutions possibles, on pourrait presque lire cet ouvrage indépendamment des bifurcations indiquées, presque dans l’ordre des chapitres. L’idée peut surprendre mais elle est finalement intéressante et originale : dès lors, cet opus peut tout à la fois séduire les lecteurs adolescents en quête de sensations fortes – certains passages sont sanglants – ainsi que ceux désireux de s’orienter vers une littérature plus interactive.

    Encore un ouvrage intéressant de la part de Betty Piccioli. Finalement, ce mélange des genres s’impose comme une résolution astucieuse et permet à son auteure de tirer son épingle du jeu.

    17/01/2025 à 06:40 2

  • Les Refuges

    Jérôme Loubry

    8/10 Ce livre commence avec une sorte de devinette que narre François Villemin, professeur d’université, à ses étudiants, le cas d’une certaine Sandrine et de son « refuge ». Puis, on bascule dans une histoire à double narration ; d’un côté, une île isolée où ne vivent qu’une poignée habitants chargés d’accueillir, en 1949, des gamins traumatisés et marqués par la guerre, afin qu’ils reprennent goût à la vie. Mais rapidement, certains éléments vont leur échapper. De l’autre, en 1986, Sandrine, journaliste, apprend que sa grand-mère, Monique Vaudrier, vient de décéder, et se rend sur cette île afin de mettre de l’ordre dans les affaires de la défunte, mais là également, une menace plane. Dit comme ça, ça pourrait paraître relativement simple, comme scénario (quand je dis « simple », ça n’a bien évidemment rien de réprobateur), mais on comprend dès la « deuxième balise » (des sortes de parties, des charnières, autour desquelles s’articulent le roman), que ça va se corser puisque Jérôme Loubry va nous mener en bateau. Sur le principe, comme tout le monde d’ailleurs, j’imagine, j’aime être manipulé avant de me prendre dans la face un retournement inattendu, un twist fulgurant, une révélation magistrale, et eu importe laquelle. J’ai presque dévoré ce roman en une seule fois tant il est prenant, et cette somme de mystères, d’ombres et de portes ouvertes m’a mené à l’épilogue sans que je ne voie le temps passer. Cependant, si je devais lui trouver un défaut, c’est justement dans cette surenchère de rebondissements qui tiennent davantage, sans rien dévoiler, à l’interprétation des détails jalonnant les récits et des points de vue adoptés. Les chats, les prénoms, le coup de l’horloge avec 20h37, les noyades, le Roi des Aulnes, les dessins, les enfants disparus, les foires aux bestiaux, les vaches tatouées d’une croix gammées, les viols, et encore, je dois en oublier des pelletées, tout finit par s’imbriquer et trouver, plus exactement, l’éclairage adéquat après de multiples faux-semblants et autres exégèses purement temporaires. Après, selon moi, difficile de ne pas dire que l’ensemble est marquant tant il est torturé et dédaléen, dès lors que l’on s’est donné la peine de dépasser le premier quart environ se passant sur l’île, et la succession de tours de passe-passe, même si encore une fois je les trouve un peu « forcés », compose un sacré socle scénaristique que l’on est libre ou pas de valider, évidemment, mais qui sort de l’ordinaire autant qu’il éprouve le lecteur par sa complexité et certains passages féroces, voire difficilement soutenables. Bref, un thriller solide et bien élaboré, jouant habilement sur les mécanismes des apparences fallacieuses et des replis intimes de la psychologie, voire de la psychiatrie quand l’esprit de l’individu préfère « disjoncter » que d’affronter la réalité, dont je ne critique que la complication parfois inutile de certains engrenages narratifs.

    16/01/2025 à 05:48 3

  • The Fisherman

    John Langan

    9/10 Un cancer et un accident de la route : voilà ce qui a réuni Abe et Dan, deux collègues de travail à IBM. Le premier a perdu son épouse à cause de la maladie, le second sa femme et ses deux enfants après un carambolage. Tous les deux passionnés de pêche, meurtris par le deuil, ils finissent par se rendre dans les bois de Woodstock, là où coule la Dutchman’s Creek. Il se dit bien des choses au sujet de cette rivière, des légendes circulent, et la plus impressionnante d’entre elles est racontée aux deux camarades par un autochtone. Une histoire tout bonnement démentielle qui va peut-être trouver des échos dans leur présent – des résonances d’abomination.

    Ce roman de John Langan saisit dès les premières pages. Le style est magnifique, l’écriture travaillée, et certains passages sont de purs régals littéraires. On apprend ainsi à mieux connaître nos deux protagonistes, tous les deux mutilés par la mort – les passages relatifs à Dan et au feu tricolore où sont décédés les siens sont de toute beauté. Mais quand Howard, le patron du restaurant, commence à leur narrer l’incroyable histoire liée à la Dutchman’s Creek, le lecteur comprend rapidement que tout va basculer. C’est un récit fort, dense et puissant, très circonstancié, nourri au lait maléfique de ce qui se fait de mieux dans le domaine, quelque part à la lisière entre Stephen King, Howard Phillips Lovecraft, Edgar Allan Poe, ou Peter Straub. Ça commence par ce passé relatif à l’édification de ce lac artificiel avant de basculer sur le décès de la conjointe de Cornelius Dort et de l’arrivée d’un mystérieux « Invité » : il y sera question, sans rien vouloir divulgâcher, de déchéance autant que de rédemption, d’amour et d’épouvante, d’occultisme et de perte de la raison, avant qu’Abe et Dan ne fassent à leur tour connaissance avec la malédiction des lieux. John Langan tisse une trame remarquable, gothique et machiavélique, où le surnaturel côtoie le plausible – et c’est probablement ce qui constitue l’une des forces majeures de cet ouvrage. D’ailleurs, de nombreux moments resteront longtemps en tête, comme ces interventions méphitiques du Schwarzkünstler – « l’Artiste noir » –, le combat des villageois contre celui-ci, ou encore les sordides péripéties de nos personnages centraux, bien moins héros que victimes.

    En plus d’être un objet admirable, ce livre joue adroitement sur les codes du genre tout en y apportant sa propre touche d’humanité et ses élans de férocité. En plus d’être hameçonné, le lecteur gardera longtemps à l’âme les crochets acérés de cette chronique tumultueuse.

    15/01/2025 à 06:58 10

  • Plus fort que la nuit

    Frédéric Lepage

    8/10 Parce qu’elle a toujours vécu dans un ranch du Wyoming et qu’elle est une cavalière émérite, la jeune Lana Harpending finit par intégrer la brigade montée de la police new-yorkaise. On lui confie comme destrier Eridan, un appaloosa au comportement erratique, ainsi qu’un collègue, Paul Maryanski, qui malgré son penchant pour le MMA, semble être à la botte de son épouse Alice. Rapidement, Lana comprend que Paul dissimule un secret, et quand le policier disparaît subitement, le cours des événements s’électrise.

    Voilà un roman à suspense particulièrement original que l’on doit à Frédéric Lepage. L’exploitation de la brigade montée du NYPD est singulière, d’autant que l’auteur s’est indéniablement beaucoup documenté sur le sujet – son fonctionnement, son histoire, ses pratiques. Dans le même temps, l’auteur nous écrit une carte postale de grande qualité de cette ville qui ne dort jamais, avec un luxe de descriptions et de détails intéressants sans jamais que cette débauche n’en devienne pesante. Dès lors, deux intrigues vont se nouer : l’étrange attitude d’Eridan, souvent pris de crises de panique et dont on n’explique pas pour le moment les causes ou les origines, et la disparition soudaine de Paul Maryanski que l’on va rapidement retrouver mort. En fin conteur, Frédéric Lepage use d’une plume subtile, élégante, et l’on se plaît très souvent à relire de nombreux paragraphes tant ils sont bien écrits. Le lecteur ne pourra être que touché par le sort d’Eridan, se délectant au passage de la délicatesse et de l’émotion utilisées pour décrire la relation entre ce cheval et sa cavalière. Dans le même temps, le volet purement polar est réussi, permettant de ficeler des événements aussi hétéroclites qu’un meurtre a priori rituel, un ancien immeuble qui a pris feu dans des conditions suspectes ou encore des combats illégaux de chiens.

    Si la formule veut que « le cheval est la plus belle conquête de l’homme », ce Plus fort que la nuit – titre ô combien judicieux et subtil – prend ce cliché à rebours et illustre, avec un style remarquable, qui emprunte parfois davantage à la littérature blanche qu’à la noire, que cet animal est capable d’inspirer des comportements profondément vertueux aux humains. Un livre au suspense parfaitement maîtrisé qui se double d’une poignante leçon de vie.

    14/01/2025 à 06:48 3

  • Bouche d'ombre

    Pascal Dessaint

    9/10 Ils sont trois à se retrouver à l’étude de maître Douard, trois personnes qui connaissaient bien Daniel Lestrade qui vient de décéder et dont on va procéder à l’ouverture du testament. Il y a Elvire, sa sœur, Simon Chanfreau, un SDF que le défunt avait extirpé de la rue pour en faire son chauffeur, et Julia Rosso, sa maîtresse. Tous les trois avaient une excellente raison de vouloir tuer Daniel, qui n’était qu’un monstre, et quand certains aspects du testament sont révélés, les trois sont fixés sur un point indéniable : le mort n’en a pas tout à fait fini avec les vivants.

    Voilà une excellente idée de la part de François Guérif que de vouloir remettre sous les projecteurs quelques-uns de ces « iconiques » – ces ouvrages qu’il a publiés et qui l’ont marqué. Ce roman de Pascal Dessaint date de 1996 et c’est avec un plaisir intact qu’on le lit près de trois décennies plus tard. Plutôt court, ce livre est un bijou de noirceur. De façon chorale, chacun des protagonistes nous permet de comprendre les liens qui l’unissaient à Daniel Lestrade, un personnage sacrément ambivalent : castrateur, volontiers incestueux, capable de puissantes amours comme de haines tenaces, il était également un manipulateur de première, obsédé par sa dernière lubie qui consistait à vouloir tracer les grands malades par un biais informatique afin de dégager de belles sommes d’argent qui n’auraient plus à être versées à ces moribonds. Parallèlement, les autres individus de ce récit sont également torturés : Simon va tomber sous le charme d’Elvire, celle-ci nouant une curieuse connexion avec une mygale, et Julia va lentement se faire à l’idée que Daniel doit mourir. Des spécimens humains fracassés, porteurs d’autant de lézardes que de zones d’ombre, mutilés par un destin qui n’en a pas tout à fait fini avec les trajectoires heurtées de leurs petites vies. Avec un style très maîtrisé, Pascal Dessaint nous offre le tragique spectacle de ces mortels déjà consumés de tant de feux, balayés par des vents contraires et soumis à des farces sordides ourdies par le sort. Après un clin d’œil amical à Claude Mesplède dont le nom a à peine été modifié pour l’occasion afin d’incarner un policier, l’auteur livre son épilogue aux multiples rebondissements, mais qui ont comme dénominateur commun la noirceur – à faire passer la dynastie des Atrides pour une dynastie de clowns aux péripéties enjouées.

    Un roman d’une rare densité humaine, à la fois féroce et meurtri. C’est la lampe glissant à l’intérieur d’un puits et inondant de sa lumière les parois enténébrées pour mieux y deviner la vermine.

    13/01/2025 à 06:52 6

  • Les Amants effroyables

    Yannick Corboz, Wilfrid Lupano

    6/10 Une reconstitution toujours aussi magnifique et réussie de l’Exposition universelle de Paris (et des personnages toujours aussi expressifs) avec ce dernier tome de la série. Cependant, je regrette l’absence de nervosité dans cet opus qui aurait pu se conclure de manière plus marquante que ça : la dernière planche avec le toast porté dans un bateau ne me marquera malheureusement pas bien longtemps. Dommage.

    12/01/2025 à 20:06 2

  • Les attractions coupables

    Yannick Corboz, Wilfrid Lupano

    7/10 Une ambiance d’Egypte antique pour cette entame alors que ça se déroule en réalité dans le Paris de l’Exposition universelle. Je retrouve avec plaisir le graphisme léché (les reconstitutions sont esthétiquement magnifiques, de même que la scène du duel à l’épée) et cette intrigue originale.

    12/01/2025 à 16:30 2

  • La Révélation

    Serge Le Tendre, Christian Rossi

    7/10 Désormais Thya puisque transformé en femme, Tirésias va de nouveau croiser la route de Calypto et de Glaucon. Une existence pour le moins tourmentée pour cette évocation réussie de la mythologie grecque à travers une BD dont le dessin a néanmoins vieilli.

    11/01/2025 à 15:24 2

  • Le Neuvième Livre

    Alexandre Murat

    6/10 Alex Merri et Mary Garza ont repris leurs activités, lui comme enseignant à l’université et elle comme responsable d’une agence de sécurité privée. Malheureusement pour eux, le passé n’a pas fini de les prendre en chasse : le journaliste Dashward vient trouver l’enseignant pour l’interroger sur la société secrète des Neuf Inconnus. Et voilà nos deux protagonistes contraints de se mêler à une quête bien particulière : un mystérieux livre recélant bien des mystères et que les nazis traquaient déjà.

    Après La Légende de l'Empereur, Alexandre Murat revient avec ses héros fétiches pour une nouvelle épopée. L’histoire va brasser nombre de thèmes connus, de la religion à la cabale nazie en passant par le transhumanisme et l’occultisme, et beaucoup de lecteurs verront là une nette connexion avec ce qu’ont déjà exploré des auteurs illustres comme Dan Brown (le fait qu’Alex soit claustrophobe comme Robert Langdon n’est probablement pas un simple hasard), Steve Berry ou James Rollins. La plume est agréable, le tempo cadencé, et les amateurs du genre apprécieront, entre ésotérisme et scènes d’un spectacle très spectaculaire façon blockbuster hollywoodien. Alexandre Murat a eu le bon goût de préparer son récit et de le sceller sur une documentation solide, ce qui n’empêche malencontreusement pas son roman d’inclure les écueils presque inhérents à ce genre de littérature. Ainsi, certains personnages manquent clairement de nuance psychologique et tombent dans la caricature, tandis que de nombreux passages, à force de chercher à tout prix la pyrotechnie ou l’esthétique cinématographique, sont tout bonnement invraisemblables pour ne pas dire risibles (notamment ce final incendiaire dans le désert de Gobi où les héros affrontent un adversaire qui n’est qu’une blafarde copie d’Ironman). Même si, encore une fois, les aficionados aimeront cet ouvrage, on en vient presque à se demander si, en 2024, il est encore d’actualité d’évoquer le « soleil noir » du Troisième Reich, l’implication d’Heinrich Himmler ou le rôle de l’Ahnenerbe tant ces sujets ont maintes fois été abordés voire épuisés. Peut-être serait-il tout simplement bon de passer à autre chose, de chercher des thématiques moins banales, bref, de se montrer plus original.

    Un livre purement distractif, qui pèche par manque de singularité et par excès de connivence avec les clichés du genre.

    10/01/2025 à 06:42 2

  • La Secte de Nazareth

    Fred Duval, Igor Kordey

    8/10 Une habile relecture de la vie de Jésus et de la Bible, où le Christ a été amnistié par Ponce Pilate, où les chrétiens (devenus ici les « Poissons ») multiplient les attentats (cf. la scène de l’amphore enflammée pour tuer le sénateur romain) en attendant l’Apocalypse. Le sujet était méchamment casse-gueule mais le scénario est bien troussé, le graphisme bien particulier, et le final, effectivement apocalyptique (je ne dis pas ce que c’est pour ne rien divulgâcher, mais c’est habile), vient clore avec intelligence le récit.

    08/01/2025 à 20:25 3

  • Les Frontières interdites

    Christophe Bec, Stéphane Betbeder

    8/10 7000 mètres d’altitude : une poignée de soldats avancent au pas cadencé et luttent pour ne pas mourir tandis que dans la montagne, une horde de personnages d’allure préhistorique s’affaire.
    Un premier tome très intéressant et esthétiquement réussi (avec quelques clins d’œil, comme ce personnage qui ressemble bigrement à Robert Duval), avec l’ombre inquiétante de ce bunker 47. Une ambiance très martiale tandis que les premières créatures apparaissent à la fin de la BD.

    08/01/2025 à 20:24 3

  • Douve

    Victor Guilbert

    9/10 L’inspecteur Hugo Boloren découvre un journal près de chez lui qui lui apprend que Douve vient de connaître un assassinat. Celui que l’on surnommait Dédé a été tué à coups de marteau. Il se trouve que les parents d’Hugo – sa mère en tant que journaliste et écrivaine, et son père qui était policier – avaient enquêté dans ce village complètement perdu sur le cas d’un Islandais, Andrès Drengursson, qui avait tué sa femme et leurs deux enfants en les empoisonnant. Il est en outre persuadé que son père n’est pas son véritable géniteur, aussi décide-t-il, presque sur un coup de tête, de se rendre sur place. Mais le passé n’a pas fini d’essayer de dissimuler de lourds secrets.

    Ce roman de Victor Guilbert est un pur enchantement. Dès les premiers paragraphes, l’auteur nous séduit par sa langue si particulière et ses personnages croustillants. Hugo Boloren compose d’ailleurs un protagoniste sacrément atypique : il a renoncé à fumer et substitué la dégustation d’un carré de chocolat à chaque fois qu’il est tenté par une cigarette. Son calme et son apparente fragilité côtoient un système de déduction très spécifique, ce qu’il appelle « la bille », où ses raisonnements s’accomplissent jusqu’à ce que cette sphère fictive vienne percuter une vérité trop longtemps recherchée. Son paternel lui a un jour indiqué qu’il « a Douve dans les veines », et puisqu’il n’a jamais véritablement compris cette formule, d’autant que son père est mort depuis et que sa mère est victime de la maladie d’Alzheimer, c’est au cœur de Douve qu’il va tâcher de comprendre le sens de cette sentence. D’ailleurs, Douve est en soi un individu : cerné de forêts et de marécages, reclus comme un animal apeuré, situé au bout d’une impasse, le patelin tient de l’authentique village fantôme, dont les habitants ne sont pas décidés à parler aussi facilement. Victor Guilbert nous ensorcelle avec un rythme volontairement apaisé, sans pyrotechnie ni scène dantesque, et les moments de tension – comme la longue chasse à l’homme dans les bois – n’en paraissent que d’autant plus explosifs. Le récit est habilement entrecoupé d’extraits de L’Evadé, le livre écrit par la mère d’Hugo, et ces alternances entre le présent et le passé sont de purs bijoux de narration. Et ce beau plaisir de littérature est amplifié par le dénouement, en plusieurs temps, très habile et crédible, avec une vérité insoupçonnée apparaissant aussi sur un quai d’embarquement.

    Un subtil mélange d’ambiance poisseuse et de polar rural, sublimé par une écriture magnifique. Victor Guilbert frappe fort, et l’on se tournera avec convoitise vers les autres romans de la série consacrée à Hugo Boloren.

    08/01/2025 à 06:55 6

  • Les Limbes

    Olivier Bal

    5/10 14 mai 1970, au sud-ouest du Vietnam. Le soldat James Hawkins prend une balle en pleine tête et se croit mort avant de comprendre que c’est faux. Meurtri par cette expérience, revenu à la vie civile, il est la proie de cauchemars et vivote en travaillant dans une scierie. Mais son ancien état-major se rappelle à son bon souvenir et le contraint, sous la menace du chantage, à intégrer la secrète et mystérieuse station K27, en Alaska, pour participer à des expérimentations très spéciales dans le domaine des rêves. Pour James, c’est en réalité le début d’un cauchemar.
    Je ne connaissais pas Olivier Bal, et c’est via ce roman que je découvre cet auteur, sa plume et son univers littéraire, et je n’ai pas été particulièrement séduit. Au niveau des points positifs, indéniablement, l’écrivain a inventé un pitch intéressant qui m’a intrigué au point que je me suis procuré ce livre. Le style y est simple, allant à l’essentiel de l’action et des descriptions, qu’elles soient psychologiques, géographiques ou autres. C’est un livre typiquement américain à mes yeux, au sens où il sillonne ce qu’Hollywood et des auteurs anglo-saxons auraient pu tracer voire avoir déjà arpenté, quelque part entre du Stephen King et je ne sais quels autres réalisateurs. Bref, un pur opus de distraction, un page-turner à faire passer un bon moment sans pour autant être crédible. En revanche, il y a pas mal de points qui m’ont fait tiquer, voire m’ont agacé. Le style, puisque j’en parlais, à force de le dire « simple », m’est vite apparu comme « simpliste » : aucune envolée de mots, pas de passages à relire tant ils sont beaux. La langue est finalement fade, très pauvre, la syntaxe parfois incertaine, pas mal de dialogues creux, et je ne parle même pas du protagoniste qui, s’il traverse des péripéties hallucinantes, tient de l’individu sans réelle profondeur ni caractéristiques humaines. L’histoire, si elle commence bien, tourne vite au grand n’importe quoi. Autant j’ai apprécié ce scénario tournant autour des rêves et cauchemars, des manipulations, des prises de contrôles à distance, autant j’ai été désarçonné puis fort déçu par la structure du roman : un premier tiers qui intrigue, un autre où l’on bascule dans le cœur de ces expériences, mais le dernier ressemble à s’y méprendre à une énième relecture de « The Thing », à tel point que ça ressemblait selon moi à un pompage éhonté tant au niveau de l’action que de l’esprit du film. Et puis, on ne compte les lieux (« la Forêt des Âmes », « les Terres Mortes », « la Nef », « la Cité de Lumière », etc.) ou les personnages (« Les Elus », « Les Eveillés », « les Veilleurs ») qu’Olivier Bal multiplie à l’envi, comme s’il craignait de manquer d’éléments à exploiter, privilégiant la quantité plutôt que la qualité, parce que les allers-retours dans ces endroits éthérés, immatériels, m’ont laissé froid : je ne sais pas à quoi c’est dû, la langue si chiche, l’absence de densité littéraire, le caractère trop abstrait, mais jamais je n’ai vraiment cru en ces endroits qui auraient dû me dresser les poils, ce qui fait que, contrairement à nos protagonistes, je ne suis jamais vraiment rentré en ces lieux terrifiants. Au final, une belle déception pour moi que ce roman écrit à la première personne, qui m’a été en quelque sorte narré sans jamais que je ne me sente concerné.

    07/01/2025 à 06:04 3

  • L'Héritier de Da Vinci

    Michel Bussi, Fred Duval, Noë Monin

    7/10 Le cinq avril 1514, un nouveau-né porteur d'un collier est déposé au château du Clos Lucé. Recueilli et appelé "Avril", il grandit et de Vinci lui confie, peu avant de mourir, que de lui "dépend la vie de millions d'âmes sur cette Terre" et qu'il comprendra tout une fois qu'il aura dix-huit ans.
    Un premier tome dynamique et très attachant, aux dessins agréables typés pour la jeunesse, mêlant quête des origines, Inquisition, personnages portraités aux yeux mobiles, inventions du maître italien, combats à l'épée, etc. Une BD très fraîche et divertissante.

    06/01/2025 à 18:11 2

  • Les Maudits

    Tarn Richardson

    8/10 « Wölfe » : c’est ce qu’arrivent à balbutier des soldats allemands après un massacre dans leur tranchée en ce 12 octobre 1914 quand des militaires britanniques investissent les lieux. Des loups qui auraient massacré ces hommes ? Vraiment ? Dans le même temps, le père Andreas est assassiné dans la cathédrale d’Arras. Pour tirer cette sinistre histoire au clair, l’inquisiteur Poldek Tacit arrive sur place. Mais c’est à un véritable complot surgi des ténèbres qu’il s’apprête à combattre.

    Ce premier tome de la trilogie consacrée à la Main noire enchante dès les premiers chapitres. Tarn Richardson ancre son intrigue sur le terreau brûlé, sanglant et terrible de la Première Guerre mondiale. On y retrouve quelques traits caractéristiques des récits liés aux loups-garous mais l’auteur ne s’est pas contenté de nous jouer une partition attendue, ajoutant des éléments originaux et fort intéressants. Le lecteur a aussi le plaisir de découvrir un protagoniste atypique en la personne de l’inquisiteur Poldek Tacit : alcoolique, violent, désabusé, ce prêtre à la stature monumentale n’hésite pas à menacer un enfant d’une balle pour le faire parler, et ses dérives brutales cachent une genèse douloureuse. Devenu le jouet de l’Eglise, il va affronter de terribles créatures mais également ses propres donneurs d’ordres, puisqu’une conspiration inouïe va graduellement apparaître. Dans cet ouvrage fantastique – à tous les sens du terme –, on découvre aussi le très humain lieutenant Frost, le patibulaire officier Pewter, la troublante sœur Isabella ou encore Sandrine Prideux qui dissimule un incroyable secret. Tarn Richardson nous réserve des passages franchement sanglants ainsi que des scènes criantes de vérité quant à la monstruosité des combats, et le final appelle avec fracas les deux autres livres de la série.

    Un roman très réussi et percutant, jouant à la fois sur les codes du genre tout en se jouant d’eux. Une véritable prouesse littéraire, alors que l’on pensait le sujet déjà beaucoup trop souvent défriché pour espérer y dénicher un jour la moindre originalité.

    06/01/2025 à 06:52 6

  • L'Outrage

    Serge Le Tendre, Christian Rossi

    6/10 Dans la Grèce antique, Tirésias jouit de sa réputation de séducteur à qui personne ne résiste, et il peut même se permettre de remettre en doute les propos d’un guerrier revenu vainqueur des combats – Glaucon – et de répudier son amant – Calypto.
    Une évocation pas inintéressante de la mythologie, avec certes un graphisme qui a vieilli, entre combats de gladiateurs et transformation du héros en femme.

    05/01/2025 à 17:41 2

  • Les Roches bleues

    Def, Jean-Pierre Pécau

    7/10 Un univers futuriste assez accrocheur, avec un peu plus d’action et de violence que dans le précédent tome. Même si ça ne révolutionne absolument pas le genre, c’est distractif et très plaisant. Les passages dans le désert avec le camion sont très réussis à mon avis.

    05/01/2025 à 08:03 2

  • Gannibal tome 11

    Masaaki Ninomiya

    9/10 Le flashback se poursuit, avec les villageois qui comprennent que Gin est encore en vie dans la forêt. Famine, corps éventrés et pendus dans les bois, passages d’une rare violence : du très lourd, du très bon. Cela permet aussi de comprendre l’origine de « Lui ». Même si le coup de l’analepse ne surprend plus comme dans le précédent tome, ça n’en demeure pas moins un procédé judicieux et habile, apportant un sacré lot de révélations. Vite, plus que deux tomes, j’ai très hâte !

    02/01/2025 à 08:10 2

  • Des Ombres sur le sable

    André-Paul Duchâteau, Daniel Hulet

    5/10 Un sale cauchemar pour commencer ce sixième tome. Quand Pharaon parvient à défenestrer son clone venu le tuer dans sa chambre d’hôpital, c’est pour mieux prendre sa place et espérer annihiler le clan adverse après l’avoir noyauté.
    Un ouvrage un peu trop appuyé sur les hallucinations à répétition du héros, mais le côté James Bond au rabais s’est avéré ici un peu banal à mes yeux : c’est certes plein d’action – cf. les scènes avec le sable qui va jouer un rôle crucial – mais j’ai connu bien meilleur, autant ailleurs que dans cette même série.

    27/12/2024 à 07:32 2

  • Business Clan

    Clément Sauvé, Niko Tackian

    4/10 A la prison de Guantanamo, on amène un nouveau prisonnier. Son nom : Adrian Stolker. Huit jours plus tôt à Gaza, Stolker avait infiltré une discussion à propos d’une vente d’armes au terme de laquelle lui et ses camarades sont parvenus à soustraire vingt millions de dollars aux trafiquants.
    Une BD plutôt banale même si elle est graphiquement réussie, qui n’évite pas les clichés du genre, aux personnages stéréotypés, et dont le scénario n’est guère singulier. Je ne sais pas pourquoi ce premier tome, paru en 2007, n’a pas connu de suites (manque de succès public ?), mais à titre très personnel, au-delà de son côté purement divertissant, je ne garderai certainement pas de cette lecture un souvenir impérissable ni ne me lamenterai suite à l’arrêt de cette série.

    23/12/2024 à 08:03 2