El Marco Modérateur

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  • Sur des Breizh ardentes

    Stanislas Petrosky

    8/10 « Les joyeux macareux », un EHPAD breton où il se passe des histoires pas claires. Récemment, c’est le dénommé Laurent Gérard qui a passé l’arme à gauche. Pour le coup, qu’une personne âgée en vienne à mourir dans une maison de retraite, il n’y a pas de quoi être plus surpris que ça, mais quand l’Eglise apprend que cet homme avait fait de l’Eglise son unique légataire avant de changer d’avis au dernier moment, comme par hasard, ça pose question. Alors on délègue sur place Estéban Lehydeux, alias Requiem, le curé de choc afin de comprendre ce qui s’y passe. Parce que, si la vieillesse est un naufrage, ça n’est pas une raison pour couler volontairement ces navires, seulement pour récupérer l’oseille planquée dans les cales…

    Ce sixième opus de la série consacrée à Requiem commence sur les chapeaux de roues, et ce prologue, pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas Requiem et son univers pas piqué des hannetons, va vite les mettre à la page : on va naviguer dans la sacrée gaudriole. Calembours, jeux de mots, réparties bien senties, personnages aussi croustillants que de biscottes, scènes du même acabit : voilà amplement de quoi dérider les plus austères des lecteurs. Avec sa plume caustique, Stanislas Petrosky joue à fond la carte de l’humour débridé, sans le moindre filtre, avec les potards tournés au maximum, et c’est avec plaisir que l’on progresse dans cette intrigue policière plutôt bien troussée qui fait écho à la sombre actualité des EHPAD dirigés notamment par Orpea. Agrémentant son ton particulièrement décomplexé par des notes de bas de pages cocasses et autres passages où Requiem, voire Stanislas Petrosky himself interpelle le lecteur, ce roman est d’autant plus un bonbon que l’auteur ne s’interdit presque rien. Rappelant pêle-mêle Frédéric Dard, Michel Audiard, la série du Poulpe, ou encore celle consacrée à l’Embaumeur, l’écrivain s’en donne à cœur joie, allant même jusqu’à placer dans ce mouroir, où le sinistre le dispute au pétulant, certains de ses amis également auteurs comme Jacques Saussey, Olivier Norek, Claire Favan, Gaëlle Perrin-Guillet ou encore Armelle Carbonel.

    Un ouvrage dans la droite ligne des précédents opus, décontracté et distractif en diable, mobilisant davantage les zygomatiques que les neurones, ce qui est, en soi, un acte salvateur. On en redemande.

    17/11/2022 à 06:52 7

  • Les Aigles endormis

    Danü Danquigny

    9/10 L’Albanie a en partie grandi sous la férule d’Enver Hoxha, un dictateur communiste de la pire espèce. Un pays bridé, une économie asphyxiée, des libertés bafouées, des espoirs impossibles. C’est aussi dans ce pays martyr que grandit Arben avant que l’autocratie ne s’écroule, laissant place à un régime guère plus louable, avec les fléaux du libéralisme et ses inconvenances. Prêt à tout pour réussir et permettre à sa famille de se projeter dans un avenir favorable, probablement à l’étranger, Arben est résolu à jouer avec l’illégalité, sous toutes ses formes, quitte à y perdre son âme et ses proches.

    Ce premier ouvrage de Danü Danquigny séduit dès les premières pages. Une écriture simple qui n’empêche nullement de magnifiques passages, lyriques et puissants. Une histoire classique mais particulièrement prenante jusqu’au final. Des protagonistes formidables de crédibilité, empêtrés dans leurs hypocrisies, leurs propres tourments, leurs velléités de s’en sortir sans trop prendre attention aux moyens employés, leurs violences et autres férocités. On y découvre ce personnage d’Arben, comme tant d’Albanais si heureux de la chute du despote ayant érigé, comme hélas en d’autres endroits du globe, un régime dément et castrateur, édifié sur une doctrine monstrueuse et complètement dévoyée. Il apprendra que la destruction de cette tyrannie ne rimera pas nécessairement avec l’avènement d’une société plus égalitaire. Et c’est d’ailleurs sur ce point que Danü Danquigny est le plus marquant : il nous dépeint une Albanie d’abord sclérosée par l’hégémonie communiste puis meurtrie par un individualisme et un capitalisme presque aussi brutaux et pernicieux. Tout y est décrit avec une concision et une justesse remarquables : la prostitution, les montages financiers construits sur le principe de la pyramide de Ponzi, les trafics d’êtres humains, les escortes de migrants envoyés au casse-pipe, les ruines que se partagent les édiles et autres mafieux soudainement convertis au consumérisme féroce, les règlements de comptes sanglants où les pires engeances essaient de s’approprier les reliefs d’argent… Car sur les vestiges de cette contrée laminée, les aigles de l’Albanie, qui essaient de redresser la tête et se sortir les serres de la misère, vont côtoyer les pires charognards. C’est dans ce marais puant et sanglant qu’Arben, entre deux élans de sauvagerie et autres amnésies, va tenter de trouver, pour lui et les siens, un chemin de traverse les menant vers un semblant de bonheur, d’avenir, presque de survie, mais la bestialité le rattrapera avant qu’il n’ait atteint cette hypothétique félicité, quitte à ce qu’il soit contraint d’emprunter la voie de la vengeance.

    Un roman noir particulièrement réussi, concis et marquant, dont l’une des principales caractéristiques est de nous mener dans un pays en totale reconstruction mais dont la convalescence s’apparente pour ainsi dire à l’aggravation de la maladie. Edifiant et mémorable, presque nécessaire.

    15/11/2022 à 07:04 6

  • Quai de l'oubli

    Philippe Huet

    8/10 Gustave Masurier, dit « Gus », est journaliste au Havre. Au cours d’une déambulation, un homme est abattu d’une balle en pleine tête à une quinzaine de mètres de lui. La victime, Roger Prioul, semble avoir été abattu par un professionnel. Pourtant, rien chez lui n’indique qu’il pouvait être la cible d’un tueur à gage : dessinateur industriel, il œuvrait également dans un club de football, et sa seule aspérité était la bigamie. Aidé par le commissaire Jouvenel, Gus va tenter de comprendre le mobile de l’assassin.

    Voici la réédition d’un livre publié pour la première fois en 1992, une bien belle occasion de se replonger dans la bibliographie de Philippe Huet. Assez court (environ deux cent soixante pages), ce roman nous plonge dans un Havre que l’auteur connaît parfaitement et, à travers les descriptions, on sent nettement la nostalgie qui s’exhale de la plume de l’auteur : la topographie bousculée, le lointain passé industriel, les commerces qui ferment. Dans le même temps, on nourrit rapidement de la sympathie pour Gus. Journaliste un brin désabusé, dans la quarantaine, il a perdu son épouse lors d’un accident de voiture avant de nouer une relation inattendue avec Vickie, une femme d’une vingtaine d’années sa cadette. Son métier est aussi en plein bouleversement, avec l’arrivée aux manettes de son journal d’un magnat qui ne lui inspire guère confiance, risquant de mettre à mal la déontologie du canard tout entier. L’enquête est très intéressante et bien menée, même si elle passe parfois au second plan, et sa résolution surprend : en quelques mots, grâce à la confession écrite du tueur, Philippe Huet nous désarçonne avec une motivation à la fois simple et étonnante, digne des plus terribles faits divers dont le journal de Gus aurait pu se faire l’écho. D’ailleurs, cette information viendra battre en brèche l’idée que l’on se faisait de cet assassin : il était aussi adroit et expérimenté qu’un commando, froid tel le pire des spadassins, mais ce rebondissement apporte un semblant de chaleur humaine à cet individu qui va néanmoins supprimer trois vies au cours du récit.

    Un roman noir d’une bien belle tenue, sombre et traversé d’un spleen communicatif, où Philippe Huet nous dévoile un Havre en pleine mutation, sur lequel s’abat lentement l’aurore d’un vingtième siècle moribond.

    14/11/2022 à 06:51 2

  • Crying Freeman tome 4

    Ryoichi Ikegami , Kazuo Koike

    7/10 Alors que notre tueur à gages passe du bon temps avec sa compagne, une femme, Kitché, apparaît : une tueuse à gages visiblement redoutable, belle, astucieuse, habile dans le maniement des armes comme dans le déguisement. Elle traque le CF et leur rencontre pourrait faire des étincelles. Une mercenaire qui occupe la première place dans ce quatrième tome de la série, où elle excelle dans l’ingéniosité (un corset qui la protège des armes blanches et qui délivre de l’électricité). Un manga à l’esthétique vieillie (normal : il est sorti en 1987), toujours teinté d’érotisme, de philosophie asiatique, et où l’action (principalement avec ces couteaux) se déroule aussi bien sur un sous-marin, dans un avion que l’on détourne, dans un bateau ou en Afrique. Toujours aussi agréable à lire autant que de se replonger dans cette série qui fut un des jalons du genre.

    12/11/2022 à 20:33 1

  • ABC contre Poirot

    Agatha Christie

    8/10 Faisons bref : moi qui n'ai pas lu beaucoup d'ouvrages d'Agatha Christie, en voilà clairement un qui me redonne envie de me plonger dans l'œuvre de la reine du crime. Une structure visiblement classique chez l'écrivaine et un récit fort bien mené, avec une résolution finale parfaitement orchestrée. De bien belles trouvailles, notamment dans la machination mise au point par le coupable et un dénouement largement à la hauteur de mes espérances. L'occasion de retrouver un Hercule Poirot aux petites cellules grises magnifiquement exploitées, en plus d'être un protagoniste assez roublard.

    09/11/2022 à 07:13 4

  • Que la bête meure

    Cecil Day-Lewis

    9/10 Martie, le fils de Frank Cairnes, n’est plus. Il a été renversé par un chauffard six mois plus tôt et l’assassin a aussitôt détalé, sans le moindre remords. Depuis, celui que l’on connaît sous son nom de plume, Felix Lane, nourrit le secret espoir de retrouver le salaud qui a tué son enfant mais la police n’est pas parvenue à le retrouver. Mais cet auteur de romans policiers parvient, de fil en aiguille, à retrouver la trace de la passagère du bolide meurtrier puis du conducteur, un dénommé George Rattery. Aura-t-il le temps de mettre son œuvre de représailles à exécution, ou quelqu’un se substituera-t-il à son bras vengeur ?

    Si tout cela vous dit quelque chose, ça n’est probablement pas parce que le titre est extrait de l’Ecclésiaste mais plus probablement parce que vous en avez vu son adaptation au cinéma, et c’est aujourd’hui un bien bel hommage que rendent les éditions Archipoche en rééditant cet ouvrage majeur. Divisé en quatre parties, le livre hypnotise dès la première : racontée à la première personne, cette centaine de pages est tout simplement sublime. On y lit le journal intime de Felix Lane, et on est littéralement saisi par le talent et la puissance majeure de Cecil Day-Lewis qui a lui-même signé ce roman sous le pseudonyme de Nicholas Blake. La détresse d’un père en deuil, la rage que lui inspire la fuite du monstre, son appétit croissant de vengeance : avec des mots magnifiques et une prose édifiante, l’auteur nous remue complètement, des tripes au cerveau sans oublier, bien évidemment, le cœur. Mais l’aspect policier transparaît déjà : la logique de Felix, ses déductions, la cohérence de ses hypothèses et sa traque, tant psychologique que physique, sont autant de remarquables engrenages qui vont mener notre malheureux père de famille sur la piste de l’assassin de famille. Face à lui, ce George Rattery. Un butor, le monarque peu éclairé d’une famille à qui il inspire davantage la peur qu’une autorité légitime, un gouailleur sans égal et un sinistre personnage qui bat sa femme et humilie leur fils Philip. Cecil Day-Lewis dissèque les attitudes et les contradictions humaines aussi sûrement qu’un légiste autopsie des corps. Le coup de scalpel est net, chirurgical, sans la moindre bavure, et l’on est souvent amené à relire certains passages tant ils sont magnifiquement interprétés ou décrits. Le reste de ce récit datant de 1938 est à l’avenant : excellent. Les chapitres défilent au rythme d’émotions discordantes, de bouffées d’une haine pure envers George Rattery comme d’empathie pour le papa de la victime, et le côté polar n’est pas pour autant éconduit : à cet égard, les dernières pages où s’entremêlent un trouble poignant et les raisonnements de Nigel Strangeways et de son compère Blount sont tout bonnement mémorables.

    Un livre absolument remarquable de maîtrise et de sensibilité : les amateurs de Georges Simenon ou de Graeme Macrae Burnet ne pourront qu’être séduits voire envoûtés par ce jalon de la littérature policière.

    08/11/2022 à 07:06 2

  • Le Nègre du flic

    Jérémy Bouquin

    8/10 Rémi Martingon est journaliste et également « nègre », à savoir « écrivain de l’ombre ». Son éditeur lui a confié la tâche de rédiger la prétendue autobiographie de René Courtois, un gendarme. Ce dernier s’est illustré en reprenant, presque à titre personnel, l’enquête quant à l’affaire de la disparition de la petite Irène Fraq, et que l’on n’a jamais retrouvée. Mais une nouvelle brutale vient chambouler les plans de Martingon : Courtois vient de se suicider. Et si l’auteur, pour achever le livre déjà bien entamé, menait sa propre investigation ?

    Jérémy Bouquin, à la bibliographie déjà imposante et dont on avait particulièrement apprécié son Règlements de contes, nous est revenu en 2016 avec ce roman noir. Dès les premiers chapitres, les premiers paragraphes, les premières phrases, l’auteur nous bouscule avec son style si particulier et sa cadence de narration : des phrases courtes qui claquent, souvent verbales, des dialogues justes, et un entrelacs de propos où chaque mot est soigné, juste, évident. Tout au cours du récit, pas le moindre temps mort ni fusillade : il s’agit d’une histoire particulièrement crédible, foncièrement (in)humaine, où les comportements de tous les protagonistes sont éclatants. Rémi Martingon est fort sympathique en journaliste usé qui tente de joindre les deux bouts, divorcé et père de Max, un adolescent parfois difficile. Les autres personnages, de Jules, l’autre reporter, à Claude Girard, collègue du gendarme, en passant par Odette, l’aimable vieille dame qui loge Martingon, et la famille de la disparue, sont ciselés avec une belle sobriété, ce qui n’empêche nullement l’habile mise en lumière d’attitudes plausibles. Mais celui qui retient le plus l’attention, c’est le défunt. Était-il borné ? Antipathique ? Obnubilé par des mirages ? Ce qui se dit de lui dans le village de Vineuil, de la part des uns et des autres, et de ce qu’apprendra notre écrivain de l’ombre constituera autant de pièces d’un puzzle qui s’agencent avec adresse et intelligence. On est vite sidéré par la façon, si fluide, si naturelle, qu’a Jérémy Bouquin de nous mener d’un bout à l’autre de son opus, sans le moindre effet facile ni recherche du rebondissement à l’américaine. Pourtant, le lecteur est ferré, appâté par cette histoire qui intrigue et qui, même si l’auteur pourra éventuellement le démentir, rappellera furieusement de sinistres faits divers comme l’affaire Grégory Villemin, la traque d’Emile Louis menée par le gendarme Christian Jambert, ou encore l’histoire de Dieter Krombach. Et il y a la révélation : sombre, froide, brute, abrupte, si dérangeante que l’on se demande où s’arrête la fiction et où commence la réalité, à moins que ça ne soit l’inverse. Seul véritable défaut de cet ouvrage : le nombre absolument catastrophique de coquilles qui le polluent.

    Un très bon roman noir, pétri de qualités littéraires et humaines. On ne remerciera jamais assez Jérémy Bouquin de nous avoir offert un tel bouquet de fleurs du mal en nous ayant épargné les épines du voyeurisme et du malsain.

    07/11/2022 à 06:48 4

  • Je crois que je t'aime

    Patricia Lyfoung

    6/10 Nos héros sont toujours en Turquie à la recherche du fameux trésor. Un cocktail connu d’exotisme/romance/humour/aventure, où Guilhem sera à un moment donné en bien mauvaise posture. La cathédrale dédiée aux Templiers et édifiée en plein désert (certainement inspirée de la cité de Pétra) retient l’attention de même que les pouvoirs qu’elle prodigue (façon Dragon Ball : assez moyen, je trouve, comme trouvaille). Une aimable lecture, juste apte à procurer quelques dizaines de minutes d’une lecture délassante.

    06/11/2022 à 19:21 1

  • Le Monstre

    José Moselli

    6/10 Le narrateur explique ce qui est arrivé à lui-même ainsi qu’à son camarade Edward Douglas, alors qu’il était sur un bateau en Norvège afin de travailler sur la « détermination des courants qui règnent sur les côtes du nord de la Scandinavie et de leur liaison avec ceux du large de l’Océan ». Au fin fond d’une caverne qu’ils abordent en canot, les deux amis découvriront une créature incroyable.
    Une nouvelle fort courte (même pour une nouvelle), jouant habilement et avec beaucoup de concision sur les thèmes classiques de l’apparition, du monstre inconnu (même si l’épilogue explique à quelle espèce aurait appartenu le bestiau) et de l’ambiance anxiogène. Rien de très renversant ni de mémorable, certes, mais ça se laisse lire et c’est plutôt bien écrit.

    31/10/2022 à 08:21 2

  • Maigret à Vichy

    Georges Simenon

    9/10 Sur l’aimable insistance de son médecin et ami, M. Pardon, Maigret et son épouse vont faire une cure à Vichy. Notre commissaire a cinquante-trois ans, et si son organisme étonne le docteur par sa robustesse et sa résilience, il doit néanmoins s’offrir une pause. Adieu les plats en sauce, les vins et alcools, la sédentarité toxique de son métier, assis dans son bureau, les repas à la Brasserie Dauphine. Une femme que le couple a croisée, Hélène Lange, est assassinée, étranglée. Le responsable local de l’enquête est un ancien subalterne de Maigret, Lecœur, et Maigret ne va pas pouvoir s’empêcher d’assister son collègue dans cette affaire qui va révéler de sinistres inclinaisons humaines.
    Inutile de dire que je suis un fan absolu de l’œuvre de Georges Simenon, et je me régale, quasiment à chaque fois, de la découverte de l’un des romans du maestro belge. Ici, tout commence pianissimo, avec la délicate léthargie de notre policier, s’amusant, aux côtés de son épouse qui ne le quittera pas, du début à la fin de l’histoire, du rythme si particulier des curistes, de leurs habitudes, avec la manie, presque espiègle, de vouloir deviner les professions et passés de chacun de ces inconnus. Au gré de l’histoire, on en viendra à côtoyer, presque virtuellement, cette dénommée Hélène Lange, solitaire, ayant pas mal voyagé, dont la sœur cadette, Francine Lange, est aussi volcanique et attractive qu’Hélène était une énigme humaine. Maigret, un peu en retrait de l’enquête à proprement parler, assistera Lecœur avec la finesse psychologique qu’on lui connaît, faisant lentement remonter la présence d’un homme qui, s’il est l’assassin, n’en demeure pas moins davantage une victime sacrificielle que ne l’a été Hélène (« J’espère qu’il sera acquitté… » est la phrase prononcée par Maigret et clôturant ce roman remarquable). Impossible de dire de quoi il retourne véritablement sans rien divulguer de l’histoire, mais cet élément, cette racine du Mal, est un pur bijou : simple, crédible, d’une grande intelligence, et surtout d’une insondable ignominie. Georges Simenon est passé maître dans cet art, consommé, de la mise en relief des relations sordides, des portraits à l’acide, et cet opus, plutôt méconnu, constitue un excellent exemple de ce qu’il est capable de démontrer et de souligner dans la noirceur humaine. A (re)découvrir de toute urgence.

    28/10/2022 à 08:14 3

  • L'Affaire Helena Varance

    Jean-Christophe Tixier

    9/10 Richard Clarke, quarante-huit ans, reconnu coupable d’agressions sexuelles sur mineurs, vient d’être libéré grâce au trois-millionième clic d’approbation sur l’application Guilty qui permet de relâcher des prisonniers. Dès lors, l’homme est soumis à la fureur de lyncheurs qui ne pensent qu’à le tuer pour de bon autant que convoité par les Partisans d’une Justice Equitable qui préfèrent le récupérer pour lui faire purger le reste de sa peine dans une prison secrète. Parmi ses défenseurs d’une justice plus humaine et appropriée, Helena Varance. La jeune femme a été la victime d’un viol quand elle avait dix ans : saura-t-elle pardonner à Richard Clarke ses atroces méfaits ou l’assassinera-t-elle elle-même afin de détruire ses propres démons ?

    Après L’Affaire Diego Abrio et L’Affaire Patty Johnson, voici le troisième tome de la série Guilty. Jean-Christophe Tixier, l’auteur de très bons ouvrages pour la jeunesse comme Sept ans plus tard, Foulée d’enfer ou Un Dossard pour l’enfer pour ne citer qu’eux, nous revient pour notre plus grand plaisir avec ce nouvel opus, racé et audacieux. Au-delà de la chasse à l’homme qu’il nous décrit avec le talent qu’on lui connaît, l’auteur nous dépeint une société scindée entre les promoteurs d’une justice expéditive et ceux qui préfèrent davantage d’humanité et d’âme pour traiter ces criminels, indépendamment des horreurs dont ils se sont rendus coupables. A cet égard, Helena Varance est un personnage d’une incroyable justesse, à la fois intelligente et pugnace, prête à empêcher les miliciens autoproclamés d’appliquer un châtiment définitif, tandis que sa propre existence a été brisée lorsqu’elle avait dix ans par un violeur dont on n’apprend l’identité que dans la dernière ligne du roman. Certains pourront craindre, à juste titre, que ce livre soit un prétexte pour que l’écrivain exploite des ficelles usées, des arguments sommaires, des raisonnements simplifiés voire tronqués, mais il n’en est absolument rien. Jean-Christophe Tixier sait habilement exposer les failles du système judiciaire, les possibles errances d’une société pas si lointaine de la nôtre, les légitimes rages des parents des victimes de Richard Clarke ainsi que les doutes qui assaillent, nécessairement, les individus confrontés aux coupables des pires crimes. L’ouvrage nous offre quelques salvatrices respirations comme ces extraits de séances d’Helena chez son psy, des textes consignés par son partenaire Ryan Riss ou encore des extraits de Radio Fréquence Plus qui suit la traque des criminels.

    Un livre autant qu’une série extrêmement originale, audacieuse et forte, dont ni l’intensité ni l’intérêt qu’on lui porte ne diminuent. Un régal à la fois glaçant et bouillonnant, qui démontre s’il en était encore besoin que la littérature jeunesse peut sans mal aborder des sujets épineux sans se montrer simpliste, pourvu que le talent soit là pour porter ces mots et ces maux.

    26/10/2022 à 08:22 1

  • Je serai toujours avec toi

    Patricia Lyfoung

    6/10 Décors de mille-et-une nuits pour ce cinquième tome basé à Istanbul. Un peu plus de nervosité que dans le précédent tome, et un cadre plaisant et original (pour la série, du moins). Un ton bon enfant et une lecture divertissante à défaut d’être captivante ou mémorable (un peu comme les précédents opus, en somme).

    25/10/2022 à 11:22

  • J'irai voir Venise

    Patricia Lyfoung

    6/10 Direction Venise pour nos deux tourtereaux justiciers. Beaucoup moins d’action dans ce quatrième tome, où ce sont les courses-poursuites et autres focus sur le décor vénitien qui prennent le pas sur le reste. Un final où nos héros intègrent le cercle des pirates et rejoignent Istanbul. Sympathique lecture, mais vraiment sans plus à mon goût.

    25/10/2022 à 11:21

  • J'irai où tu iras

    Patricia Lyfoung

    6/10 Guilhem de Landrey vient de révéler à Maud qu’il était le Renard. L’intrigue se met à suivre l’histoire d’un bijou aux pouvoirs fantastiques légués par les Templiers. Toujours aussi plaisant à défaut d’être original ou passionnant, ce troisième tome voit nos deux justiciers combattre ensemble pour la première fois. Une lecture distrayante mais un peu trop enfantine pour moi, même si c’est le lectorat visé par l’auteure/dessinatrice.

    25/10/2022 à 11:20

  • Godfinger

    Pierre-Mony Chan, Jean-Luc Sala

    6/10 Vingt ans plus tard, le jeune religieux poursuit sa quête (cf. tome 2 et 3), cette fois-ci en Ethiopie, tandis que, de nos jours, les trois héroïnes ont pénétré dans les archives secrètes du Vatican. Point de vue dynamisme, toujours rien à redire, mais comme je l’avais dit précédemment, certains passages sont un peu trop simplistes, façon « Chasse au trésor pour les nuls », et d’autres scènes sont certes très visuelles mais abracadabrantes (comme la cavale sur le charriot). Un moment bien rocambolesque où Costanza se croit envoyé au Paradis et un départ vers l’Irak qui se précise en fin de BD.

    24/10/2022 à 08:37

  • Mourir et laisser vivre

    Pierre-Mony Chan, Jean-Luc Sala

    7/10 Eté 1939 dans la basilique Saint-Pierre : les deux religieux découverts dans le précédent tome poursuivent leur traque et dénichent dans les catacombes un tombeau, et peut-être pas n’importe lequel… Retour au présent où nous avions laissé Costanza en bien mauvaise posture. Du dynamisme, de la baston (notamment dans la première moitié, dans le monastère), de l’humour, un complot religieux qui se précise (Judas, Templiers, etc.) pour un ensemble fort divertissant et agréable. Ça ne réinvente pas le genre mais ça joue une mélodie très plaisante.

    23/10/2022 à 08:15 1

  • Du Bruit dans la nuit

    Linwood Barclay

    8/10 Paul Davis, professeur d’université, a vécu un terrible choc : c’est par hasard que sa route a croisé celle de son collègue et ami Kenneth Hoffman alors qu’il avait dans le coffre de sa voiture les corps égorgés de ses deux maîtresses. Kenneth a tenté de se débarrasser de ce témoin encombrant d’un coup de pelle mais il a été appréhendé par la police avant un troisième assassinat. Huit mois plus tard, Paul est toujours mal en point : il a des amnésies et du mal à récupérer mentalement. Il est suivi par une psychologue, Anna White, et décide de coucher sur papier son trauma, histoire de se soulager de cette surcharge mentale. Mais des phénomènes inexpliqués et terrifiants surviennent : des bruits dans sa maison, la machine à écrire Underwood qui cliquette voire lui délivre des messages… Et si cette machine était celle avec laquelle Kenneth avait obligé ses proies à consigner des excuses ?

    Linwood Barclay est un auteur que l’on ne présente plus : déjà une vingtaine d’ouvrages traduits en France avec un égal succès, tant critique que public. Ici, ce roman joue habilement sur les faux-semblants, et l’écrivain décortique avec un talent maîtrisé la lente descente aux enfers d’un Paul Davis, archétype du malheureux devenant la proie de sa propre aliénation. Est-il le jouet d’un complot ? De son propre somnambulisme ? Essaie-t-on de le pousser au suicide ? Cette sinistre machine à écrire est-elle réellement celle employée quelques mois plus tôt par Kenneth qui continue de croupir en prison ? Linwood Barclay emprunte un peu à l’immense Stephen King au sujet de cette Underwood qui pourrait être douée d’une âme propre, mais il ne s’agit pas d’un roman fantastique au sens littéraire du terme : l’écrivain multiplie avec maestria les fausses pistes, les personnages douteux, les scènes pouvant être interprétées de diverses manières. Il décortique avec intelligence la déclivité progressive d’un individu lambda dans la folie, sans effet forcé ni pyrotechnie superflue. Dans le même temps, les autres individus qui peuplent ce récit sont bien campés, de la psychologue à Charlotte, la compagne de Paul, en passant par son copain Bill Myers et ce curieux énergumène, Gavin, suivi par Anna et qui multiplie les « farces » de fort mauvais goût. Et le dénouement est à l’image de l’ensemble de cet opus : simple mais particulièrement efficace.

    Un livre très réussi, crédible et prenant, sans le moindre temps mort et haletant du premier au dernier chapitre.

    21/10/2022 à 06:56 5

  • Je veux que tu m'aimes !

    Patricia Lyfoung

    6/10 Maud s’est transformée en justicière, s’en prenant aux riches pour reverser l’argent aux pauvres comme le fait le Renard, tandis que les méchants de service continuent de comploter pour remettre la main sur un mystérieux carnet. Le deuxième opus marque la rencontre entre Maud et le Renard, ce dernier révélant son identité dans l’ultime planche. L’ensemble est assez plaisant mais plutôt convenu et téléphoné, sans grande originalité. Reste un plaisir d’une lecture purement distractive et gentiment futile.

    19/10/2022 à 18:13 1

  • Enfer en Martinique

    Jean-Yves Delitte

    3/10 On poursuit l’histoire du Belem, accostant ici à Saint-Pierre, en Martinique, peu de temps avant l’(authentique) éruption de la montagne Pelée. Malheureusement, il faut ici passer par une trentaine de planches (la 36ème, pour être exact) puissamment bavardes et sans réelle fil rouge avant d’entendre le « Braaoumm » de la catastrophe en approche. Et je ne parle pas des rares planches suivantes, où ce massacre, qui a tout de même fait près de trente mille morts, est traité à l’arrache, sans panache ni émotion. Dire que cette BD n’est vraiment pas à la hauteur de l’événement décrit serait un euphémisme. Que Jean-Yves Delitte soit « Peintre officiel de la Marine » est une chose (ses dessins sont vraiment beaux), mais de là à dire qu’il est ici également un scénariste à la mesure de ce dont il parle serait totalement faux. Une immense déception, l’impression qu’il y avait tromperie sur la marchandise avec ce tome, presque une arnaque, sans parler de l’absence d’humanité qui était là une obligation morale.

    19/10/2022 à 17:08 1

  • Le Temps des naufrageurs

    Jean-Yves Delitte

    5/10 Le navire « Le Belem » quitte Saint-Nazaire le 31 juillet 1896 et tombe sur un petit bateau à la dérive contenant des survivants, probablement des mutins ainsi punis, ne parlant que l’espagnol ou le portugais. Malheureusement, j’ai du mal à résumer le reste de l’intrigue tant elle s’est effilochée à mes yeux : une disparition, de la tempête, la vie à bord d’un immense voilier, un incendie… Trop d’éléments disparates dans cette histoire dont j’ai eu bien du mal à cerner le fil directeur, la colonne vertébrale scénaristique. Dommage.

    19/10/2022 à 17:06 1