El Marco Modérateur

3405 votes

  • Le Projet Hakana

    Marin Ledun

    9/10 Parce que la Terre est devenue invivable en 2175, une expérience projette des individus – dont beaucoup d’adolescentes – aux îles Marquises, presque six siècles en arrière, afin d’y tester les lieux. Il s’agit de mener des expériences pour s’assurer que des personnes capables à leur tour de voyager dans le temps et munis d’un solide compte bancaire pourront y vivre dans de meilleures conditions et échapper à ce que leur réserve l’avenir. Sauf que parmi ces pèlerins du futur, il y a Rim, une ado qui n’est pas décidée à revenir à son époque, ce qui irrite hautement les meneurs de ce projet. Et si, malgré son jeune âge, elle devenait une égérie de la lutte contre la colonisation ?

    On connaît déjà le puissant talent de Marin Ledun, qu’il s’exprime dans des romans à destination des adultes (Modus operandi, Marketing viral, Les Visages écrasés ou L’Homme qui a vu l’homme) ou d’un public plus adolescent (Luz, Interception ou Un Cri dans la forêt) pour ne citer qu’eux, et voilà qu’il nous revient avec cet ouvrage jeunesse. D’entrée de jeu, l’originalité du scénario intrigue et les premiers chapitres séduisent : on y découvre cette expédition temporelle dont l’un des membres, Rim, est enceinte de huit mois et dont le père est Moana, un Marquisien. Elle s’est rapidement éprise de lui tout en se rendant compte que ce projet Hatana porte les germes d’une nouvelle catastrophe humaine, presque civilisationnelle, comme si l’Histoire s’apprêtait à répéter les erreurs qu’elle a déjà commises : les îles Marquises vont-elles devenir encore une fois un butin que des nantis pourront piller à leur guise ? Son peuple devra-t-il subir les assauts de l’Occident tout-puissant, être pillé puis soumis au cours d’une nouvelle colonisation ? Et s’il était possible de rejouer le cours des événements du XVIe siècle, est-ce que cela ne vaudrait pas la peine de tenter de préserver ce territoire idyllique ? En auteur militant et engagé, Marin Ledun nous offre une véritable bulle de fraîcheur, d’espérance et d’optimisme en l’espèce humaine sans pour autant fermer les yeux sur ses errances et ses méfaits, et se fait lanceur d’alerte. Préoccupation écologique, refus de la cupidité, rejet d’un monde cloisonné entre riches et pauvres, dénonciation des velléités expansionnistes et impérialistes, l’écrivain parvient à mêler ces divers sujets dans cette histoire forte et palpitante, très bien menée et habilement entrecoupée d’extraits d’interrogatoires de celles et ceux qui ont côtoyé Rim. Et le final fait retentir – avec certes de la candeur, mais c’est bien cette perspective humaniste qu’il s’agit de nourrir – ce souhait de rédemption culturelle, avec l’acceptation d’autrui et la possibilité que oui, un autre monde est bel et bien possible.

    Un ouvrage détonant, jouant adroitement sur les paradoxes temporels et la célébration du libre arbitre des populations. Marin Ledun démontre avec maestria que les livres destinés à la jeunesse peuvent être porteurs de message vibrants et intemporels puisque ce sont bien les générations actuelles ou à venir qui sont les dépositaires de l’avenir d’une planète que nous leur avons léguée dans un état guère brillant.

    08/03/2023 à 06:47 9

  • La Colère des dieux

    Maza, Richard D. Nolane

    6/10 Un dix-neuvième tome qui commence presque par un chouette ballet aérien puis une série de combats dans les airs autour d’un bombardement massif qui s’illustre par la quantité d’appareils mobilisés. Une bataille intense et de toute beauté graphiquement, dommage que le fil de la série passe ici un peu au second plan malgré la réapparition de Reitsch, le nazi masqué, ainsi que d’un bombardement prenant pour cible le bunker circulaire.

    06/03/2023 à 17:44 1

  • Vies et mort de Lucy Loveless

    Laura Shepherd-Robinson

    9/10 Londres, 1782. Caroline Corsham retrouve dans un jardin où se jouent des parties fines son amie, Lucy Loveless, mourante. Elle a été poignardée à de multiples reprises et n’a le temps, avant de décéder, que de confier : « Il sait ». Décidée à mener l’enquête, Caro engage Peregrine Child, un « attrape-voleurs », l’équivalent d’un détective privé, afin de comprendre ce que la défunte a voulu dire et qui l’a assassinée. Mais il existe des secrets tabous, si interdits que l’on est prêt à tout pour les conserver cachés, quitte à tuer.

    Après l’excellent Blood & Sugar, Laura Shepherd-Robinson nous revient avec ce deuxième roman qui est au moins aussi bon que le précédent. Bâti sur une documentation plus que solide, l’écrivaine nous offre une radioscopie sidérante de la société anglaise du XVIIIe siècle, dont les plus profondes strates, miséreuses et volontairement prostituées pour échapper à cette indigence, côtoient une noblesse et une bourgeoisie qui ne demandent qu’à s’encanailler. Usant d’une langue délicate et raffinée qui sied parfaitement à l’époque, l’auteure nous propose un large éventail de personnages, tous très contrastés et dont on finit, chapitre après chapitre, par découvrir la profondeur psychologique ainsi que des failles dont on n’aurait pas pu se douter de prime abord. Si Caro – que l’on avait déjà croisée dans le premier ouvrage de Laura Shepherd-Robinson – est une femme déterminée et courageuse, elle tente de cacher comme elle le peut qu’elle est enceinte d’un autre homme que son mari, parti en Amérique. Peregrine Child n’a rien non plus du détective intrépide et exemplaire : alcoolique, surendetté, il n’accepte cette mission confiée par la jeune femme que pour échapper au courroux de son créancier, et ce n’est d’ailleurs que vers la fin du livre que l’on apprend le sort tragique qu’ont subi son épouse et son fils. Il y a encore bien d’autres individus interlopes dans ce récit, du peintre Jacob Agnetti qui semble dissimuler des trésors de barbarie et dont la femme a disparu, au lieutenant Edward Dodd-Bellingham, séducteur patenté et ancien héros de guerre, en passant par Lucy Loveless, la victime, qui faisait croire qu’elle était d’une haute extraction italienne, et Ambrose Craven, le propre frère de Caro, qui a également un lourd secret à dissimuler. Au-delà de l’aspect purement policier, ce roman se distingue aussi par certaines ambiances, lourdes, délétères, presque asphyxiantes, de cette société que nombre d’auteurs nous ont déjà dépeinte comme exemplaire et vertueuse. Où l’âge de consentement sexuel était de douze ans. Où « une fille de quinze ans [était] vendue aux enchères comme de la viande de cheval ». Où l’on pensait encore que la syphilis pouvait être soignée par l’accouplement avec des vierges. Et ce n’est que dans les derniers chapitres que la résolution de l’affaire apparaît, venant apporter une lumineuse conclusion à cette intrigue si dense, savamment bâtie et menée avec maestria.

    Un nouveau coup de maître pour Laura Shepherd-Robinson qui panache avec un succès indéniable le whodunit, le roman sombre et le genre historique. Dans le genre, un bijou. Noir, forcément.

    06/03/2023 à 07:02 7

  • Blood Rain tome 1

    Mio Murao

    7/10 Un mystérieux tueur en série se met à massacrer des gens quand le temps est à la pluie. Aihara Kumi connaissait la dernière victime, Masashi, puisqu’elle était autrefois la manageuse du club de baseball dans lequel la victime jouait. Il semble d’ailleurs que l’assassin élimine les uns après les autres ces gens qui se sont connus par le passé dans cette équipe sportive…
    Un slasher dans la plus pure tradition, plutôt habile, agréablement graphiquement (l’esthétique a nécessairement vieilli, ça date de 2000) et offrant une petite dose d’érotisme. Il ne réinvente absolument pas le genre mais il maintient amplement en haleine. La dernière planche montre le visage du meurtrier : espérons que le rythme restera sauf.

    05/03/2023 à 20:15 2

  • Boufbowl tome 4

    Grelin, Maxe L'Hermenier

    1/10 Comme il fallait s’y attendre, voilà le match final : l’outsider contre le champion en titre. Toujours les mêmes cadrages foireux qui nous montrent des joueurs avec, en arrière-plan, des angles de murs et le sol où l’on aplatit la balle. Un naufrage ! Et, en plus, vu que cette série s’adresse, j’imagine, à un jeune lectorat, je réprouve certains aspects moraux. Je ne suis pas une conscience, mais tout de même, des protagonistes plutôt sympathiques de prime abord qui se dopent, trichent en simulant des blessures, utilisent des fumigènes pour aveugler l’équipe adverse, utilisent leur argent pour des paris sportifs et finissent, après leur victoire tellement téléphonée, par se comporter comme de petites divas pourries par leur fortune, leur gloire dérisoire et leur gloriole, ça aurait pu être une belle dénonciation alors qu’ici, c’est du premier degré assumé. Affligeant ! Une débâcle scénaristique, morale et du point de vue de la mise en perspective des plans.

    04/03/2023 à 20:48 2

  • Topographie de la terreur

    Régis Descott

    8/10 Berlin, 1943. Le commissaire de police Gerhard Lenz doit enquêter sur une affaire peu commune : un psychiatre a été retrouvé supplicié, pieds et mains tranchés, des papiers fourrés dans la bouche. Tandis que la capitale allemande souffre des privations, des séquelles de la guerre que l’Etat nazi est en train de perdre, et que la paranoïa s’accroît, l’assassinat d’un autre médecin va mettre le policier sur la piste d’une terrible vengeance.

    Régis Descott nous avait déjà régalés avec des ouvrages puissants comme Pavillon 38, Obscura ou encore L’Année du rat, et voici qu’il nous revient avec ce thriller paru chez L’Archipel. Ce qui sidère d’entrée de jeu, c’est l’incroyable reconstitution à laquelle l’auteur s’est livré. Du point de vue géographique – le titre venant de ce lieu où étaient regroupées les principales émanations de la terreur nazie, historique, idéologique et culturel, ce livre est absolument remarquable. Aux côtés de Gerhard, le lecteur plonge dans cette cité balayée par les bombardements alliés, anémiée par les insuffisances alimentaires, épuisée par les défaites à l’Est et meurtrie par un pouvoir qui refuse les évidences quant à l’inéluctable défaite finale. Les divers organismes totalitaires sombrent littéralement, cherchent encore à dénicher les traîtres, extraire les séditieux, et poursuivent leur traque ignoble des malheureux individus ne correspondant pas aux convictions extrémistes, qu’il s’agisse des juifs, des homosexuels, des prétendus communistes ou des handicapés. Gerhard est un limier à part : ce n’est certainement pas un nazi, et il s’est amouraché de la belle et fougueuse Flora, une juive, qui porte désormais leur enfant. Régis Descott signe ici un livre troublant et percutant, quelque part entre le roman noir et le pur thriller, où l’arrière-plan, à savoir le contexte, est si bien rendu qu’il se commue presque en un personnage à part entière. L’intrigue est certes réussie et enivrante, mais c’est indéniablement la documentation réunie et exploitée par l’écrivain, lui servant à recréer avec une telle maestria la situation de cette époque à la fois féroce et altérée, qui mutilera bien longtemps la mémoire du lectorat.

    Un opus fort et exigeant, d’une rare force d’évocation, à classer tout à côté des Promises de Jean-Christophe Grangé.

    03/03/2023 à 06:58 7

  • Le Début d'une nouvelle vie

    Sophie Rigal-Goulard

    7/10 Colombe Golovine a douze ans et ses parents ont acheté et remis en état un ancien hôtel sur les bords d’un lac. Avec ses quatre frères particulièrement typés, le travail à la pension et ses amitiés naissantes, d’autres événements surprenants surviennent. Quel est le rôle de ce faucon qu’elle surnomme rapidement Alphonse ? Quid de cette étrange cliente, madame Fribourg, qui ne sort jamais de sa chambre ? Et de son jeune frère qui prétend converser avec un ami imaginaire qui ne l’est peut-être pas tant que ça ?

    Sophie Rigal-Coulard est une auteure pour la jeunesse que l’on n’a plus besoin de présenter. Avec ce roman, elle inaugure probablement une série dont on a déjà hâte de lire les prochains opus. Colombe est une adolescente pleine de ressources, aimable et bondissante, que l’on aura certainement plaisir à retrouver par la suite. Entourée de jumeaux taillés comme des réfrigérateurs, un autre, Esteban, très jeune, qui ne pense qu’à manger, et Caspar qui ne vit presque que dans sa bulle d’imagination, elle va faire la connaissance de Meredith, espiègle en diable, et Paul qui ressemble à s’y méprendre à une fille. Le quotidien de l’hôtel est sympathique, mais ce sont davantage les énigmes qui retiennent l’attention, comme de délicieux instants de suspense enchâssés dans son existence enjouée et trépidante. Un faucon qui semble porteur de messages, une cliente qui paraît dissimuler sa véritable identité ainsi que son visage, le passé américain de l’hôtel avec ces mystérieux Henry et Louisa Shawn… La fin, assez ouverte, constitue une porte délibérément béante sur d’autres tomes que l’on espère aussi allègres et rafraîchissants.

    Voilà un roman pour la jeunesse où le polar côtoie une littérature bien plus blanche et malicieuse. Un très agréable moment de littérature qui conviendra au plus grand nombre de nos chères têtes blondes.

    02/03/2023 à 07:07 2

  • Le Frisson

    Ross MacDonald

    9/10 Lew Archer est détective privé, et c’est en sortant du tribunal où il dépose qu’il est abordé par Alex Kincaid. L’épouse de ce dernier, Dorothy McGee, dite Dolly, a disparu juste après leur mariage. A-t-elle été enlevée ? L’a-t-on kidnappée ? Lew accepte cette mission sans savoir qu’elle va s’avérer beaucoup plus complexe que prévu, avec des racines s’enfouissant deux décennies plus tôt.

    Voici un pur roman noir que Ross MacDonald signait en 1963 et faisant partie de la série consacrée à Lew Archer. On se rend rapidement compte que ce limier dispose d’une personnalité bien particulière : peu porté sur la violence – même si distribuer des coups ne le choque pas, désintéressé, peu enclin à la boisson, doué d’une incroyable mémoire, il s’illustre par sa sagacité, sa morale et son humour. Il faut d’ailleurs reconnaître que Ross MacDonald nous régale avec la manière qu’il a de mener son récit : dialogues au cordeau, réparties soulignées par un bel esprit, descriptions concises et fort réussies. Dans le même temps, l’intrigue est particulièrement soignée et dédaléenne. Cela commence comme une disparition que l’on pourrait presque qualifier de banale, mais la suite des événements va rapidement contredire ce sentiment premier. Un mystérieux barbu venu à la rencontre de Dolly peu de temps avant qu’elle ne quitte la scène, des vieilles dames au-dessus de tout soupçon, le shérif Crane qui n’y va pas par quatre chemins, des personnages douteux dans le milieu universitaire, des mariages que certains auraient préféré garder secrets, un sénateur, un psychiatre, des individus connus sous plusieurs identités, des doubles vies, un suicide suspect… Et Lew Archer n’est pas au bout de ses peines dans la mesure où l’étendue de cette affaire va se complexifier avec un premier meurtre, l’obligeant à enquêter sur plusieurs assassinats, « espacés sur une période de vingt-deux ans ». Et il faudra attendre le trente-deuxième et dernier chapitre pour obtenir la résolution de cette trame serrée et vertigineuse de roublardise : après une succession de rebondissements et de fausses pistes, Ross MacDonald nous offre un dénouement de haute volée, inattendu et marquant, achevant ce livre de manière remarquable.

    Pas étonnant que des auteurs comme James Ellroy ou Michael Connelly encensent Ross MacDonald et son œuvre. Ce roman se distingue par l’excellence de son écriture, la complexité de son histoire et la finesse de ses analyses psychologiques – sobres et incisives.

    01/03/2023 à 07:00 6

  • Les tigres ne crachent pas le morceau

    Michel Maisonneuve

    7/10 Alors que le cirque vient de s’installer à Marseille, le dompteur Hildeberg est retrouvé mort, les morceaux de son cadavre dispersés dans les trois cages des tigres. Un indice supplémentaire : la trace d’un objet cylindrique planté dans la glotte. Le directeur, Raoul Babinetti, demande à son vieil ami Dachi El Ahmed de mener discrètement l’enquête, en se faisant passer pour un charmeur de cobra. Mais parmi tous les artistes, nombreux sont ceux qui en avaient après le défunt…

    Voilà un ouvrage qui n’engendre pas la mélancolie. Michel Maisonneuve donne le ton dès les premières pages : ça sera décomplexé, coloré et vibrionnant. On se retrouve ainsi avec une pléiade de personnages truculents dont, à la manière d’un bon vieux whodunit, chacun peut être le coupable. Giuletta Pantaleoni, la sulfureuse épouse du chef du cirque. Raoul, homme-canon au caractère bien trempé. Mitchum, ainsi surnommé en raison de sa ressemblance avec l’acteur, illusionniste et lâchant souvent des citations de Shakespeare et de Baudelaire. Perle de Rosée en Jade Précieux, la belle acrobate asiatique. Alice, jeune fille capable de faire du trapèze, de tirer les cartes ou de dresser des criquets. Bibi le clown. Miléna, la belle écuyère. Et c’est également sans compter sur des protagonistes extérieurs à cet univers circassien comme un policier ou un journaliste. Le ton est alerte, les chapitres courts et vifs, et l’humour omniprésent. On se régale des situations, burlesques et volontairement décalées, et des dialogues, bien poilants. Dachi est un limier amusant, adepte du soufisme et de pensées du poète Omar Khayyam, et tombant rapidement sous le charme de la magnifique Léda. L’auteur nous gratifie ainsi d’une joyeuse cocasserie de la première à la dernière page, notamment d’une scène de course-poursuite décrite à la manière d’un commentateur hippique. L’intrigue n’est pas pour autant laissée de côté et, même si elle ne marquera probablement pas longtemps les mémoires, a l’immense mérite de ne pas être plate, entre trafic de drogue, adoption, prostitution, et même une malle inspirée de l’immense Houdini qui aura toute sa place dans le dénouement.

    Un roman distrayant, dont la bouffonnerie assumée ne vient pas éclipser un scénario bien bâti. C’et parallèlement un bel hommage que rend Michel Maisonneuve à un monde en déclin, celui des clowns et autres artistes nomades, des plaisirs simples et innocents. Un témoignage d’amitié teinté de nostalgie mais aussi de malice.

    22/02/2023 à 08:08 1

  • Faux pas

    Maria Adolfsson

    7/10 Maudite chambre 507. En sortant de l’Hôtel Strand, c’est ce que se dit l’inspectrice Karen Eiken Hornby. Le problème est qu’elle vient également de quitter le lit qu’elle a partagé durant la nuit avec son supérieur, Jounas Smeed. Et les embêtements continuent avec la découverte du corps de Susanne Smeed, l’ex-femme de Jounas. La malheureuse est décédée de trois coups portés à la tête, probablement par un crochet de foyer en fer, et dont le crâne a ensuite violemment heurté un poêle. Karen est dans une situation plus que complexe puisqu’elle a donc couché avec le premier suspect. Mais la victime correspondait-elle vraiment à ce que tout le monde pensait d’elle ?

    Maria Adolfsson signe un premier roman fort réussi. On apprend lentement à connaître Karen, tenace et perspicace, s’étant fichue dans de sales draps, dans tous les sens de l’expression. D’ailleurs, ce personnage, bientôt quinquagénaire, va révéler un sombre et poignant pan de son passé au cours du cinquante-neuvième chapitre : des mots simples pour des maux forts et puissants, restitués avec beaucoup d’émotions. L’intrigue, en soi, prend le temps d’être plantée, et certains passages, parfois bavards, auraient amplement pu être soustraits au livre. Néanmoins, l’histoire est prenante, fort bien menée, et Maria Adolfsson nous gratifie d’une véritable enquête ponctuée d’impasses et de rebondissements intéressants, sans ellipses et avec une belle dose de crédibilité. Il faut dire que les pistes ne manquent pas : un parc d’éoliennes, le caractère volcanique et vénal de Susanne, de sinistres histoires de famille, une ancienne communauté de hippies durant les années soixante-dix, etc. Et ce n’est que sur un ferry que Karen – et le lecteur, évidemment – connaîtra la vérité, avec un twist certes classique et déjà lu ailleurs mais qui s’insère avec intelligence et à-propos dans le récit.

    Un roman bien charpenté et fort agréable à lire, sachant que l’on peut d’ores et déjà se procurer la deuxième enquête mettant en scène notre protagoniste avec La Part de l’ange.

    20/02/2023 à 08:15 3

  • Black-Box tome 5

    Tsutomu Takahashi

    8/10 Ryoga et Shidoh commencent cet opus en s’affrontant au micro façon « dirty talking » lors de la conférence de presse. Le combat commence et l’on apprend enfin la teneur de la promesse réciproque faite entre les deux adversaires, même si Ryoga semble avoir changé d’avis. Un graphisme toujours aussi remarquable, de belles trouvailles tant esthétiques que scénaristiques (cf. le Rubik’s Cube et le coup des trois dimensions). Un nouvel épisode très réussi et prenant qui doit autant à sa façon de déjouer des codes pourtant connus que de proposer un aspect plastique singulier et aussitôt reconnaissable.

    20/02/2023 à 08:13 2

  • Prison School 007

    Akira Hiramoto

    2/10 Les premières planches sont cohérentes avec les précédents opus que j’ai lus : vulgaires. D’entrée de jeu, une vue en contre-plongée sur des sous-vêtements puis un bras de fer mixte, l’un de lutteurs étant tellement obnubilé par le téton de son adversaire qu’il ne sent même pas son bras craquer, avec force dessins voyeuristes sur les fesses et le sexe de la lutteuse. En plus, ça dure des plombes (un peu plus de cinquante pages), cette histoire. Et le reste de cet opus est du même genre, avec des questions fondamentales comme savoir si les types « préfèrent les culs ou les nichons » (désolé, c’est graveleux, mais c’est une citation…) ou autres mots volontairement scindés pour que la fraction finale ait une connotation sexuelle. L’auteur aurait mieux fait de coller une étiquette « pornographie » sur le manga, ça aurait été plus honnête. Un vrai naufrage, d’autant plus dommage que les graphismes sont vraiment bons.

    19/02/2023 à 08:34 2

  • Entre la vie et la mort

    Maza, Richard D. Nolane

    7/10 Un dix-huitième tome qui met encore une fois en valeur les avions et autres engins aériens, tout en proposant des discussions crédibles entre personnages historiques (davantage d’alliés que d’Allemands, ici), tandis que le Reich veut mettre à mort ses ennemis qui sont actuellement aux Bermudes. Vraiment prenant et distractif.

    18/02/2023 à 08:37 2

  • L'Antre de la cruauté

    Maza, Richard D. Nolane

    7/10 Les malheureux déportés d’Auschwitz voient une sphère orangée se créer au-dessus du camp, et l’explosion ainsi que les radiations produites mettent en partie à mal les plans d’Hitler. Une BD toujours aussi prenante tant esthétiquement (les combats aériens sont vraiment réussis) que scénaristiquement qui panache nazisme, dystopie, expériences occultes, pouvoirs surnaturels (cf. l’Allemand au casque maîtrisant la puissance laser). Je poursuis.

    18/02/2023 à 08:36 2

  • L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de Mr Hyde

    Robert Louis Stevenson

    10/10 Je ne découvre que maintenant ce jalon de la littérature fantastique et je me suis régalé. Ou comment un notaire londonien, Utterson, en vient à être confronté à un nabot maléfique, Edward Hyde, qui s’en est pris à une fillette avant de faire le lien avec un ami et client à lui, le docteur Jekyll, qui lui a transmis son testament et qui a fait de cet être malsain son légataire (pour un quart de million de livres, tout de même). La suite, (presque) tout le monde la connaît, et ça prouve son impact (au moins à l’époque) et la pérennité de son propos. Le style est vraiment très élégant, évidemment un peu suranné, mais j’ai trouvé que ça ajoutait un peu de délice à l’ensemble. La construction est parfaite, le pitch particulièrement novateur, la tension habilement restituée, et même si quelques éléments ont pas mal vieilli (comme le coup des potions et autres médocs de transformation et de contention), voilà à mes yeux un authentique chef-d’œuvre que l’on se doit d’avoir lu, ne serait-ce que pour pouvoir ensuite pleinement donner son avis sur ce livre marquant.

    17/02/2023 à 08:24 4

  • Le Dieu de feu

    Edouard Aidans

    6/10 Tounga tâchant de survivre dans la montagne, d’autant qu’une chute lors d’une escalade a détruit sa « cage à feu ». Il va affronter, avec la tribu qui l’a secouru, celle des « Hommes du feu ». Une aventure bien classique, avec force animaux sauvages et combat contre une peuplade adverse, au cours de laquelle Tounga fera preuve autant de force et de vaillance que de ruse tandis qu’un volcan gronde et menace d’entrer en éruption.

    17/02/2023 à 08:23 2

  • Comme une image

    Magali Collet

    9/10 Eulalie – que l’on surnomme Lalie – est une gamine de neuf ans, bientôt dix. Belle, intelligente, elle est particulièrement douée du point de vue scolaire. Elle semble en plus avoir toutes les qualités humaines du monde. En apparence… Parce qu’en réalité, Lalie cache particulièrement bien son jeu. Il se pourrait même que sa psychopathie fasse des ravages…

    Avec ce court roman, Magali Collet frappe fort. Très fort. Dès les premiers instants, on est intrigué par cet enfant visiblement bien sous tous rapports mais qui dissimule une âme et un cerveau bien tordus. Elle harcèle ses petits camarades d’école et les rabaisse constamment en prenant toujours garde de ne jamais se faire coincer par la maîtresse. Elle multiplie les doubles discours et profite des absences des uns et des autres pour semer le doute voire le chaos dans l’esprit de ses proches. N’est-elle qu’une simple peste ? Non. Certains passages, que l’on ne fera qu’évoquer pour conserver leur puissance d’impact, surprendront et choqueront certains lecteurs par leur aspect abrupt, inattendu, monstrueux, sans pour autant que l’écrivaine ne tombe dans le voyeurisme sale ni l’excès. Il faut dire que cette môme a suffisamment de monde à ses côtés pour s’adonner à sa froide démence : des chatons, deux frères, une belle-mère, etc. Et ces protagonistes vont graduellement comprendre qu’on donnerait volontiers le bon Dieu sans confession à cette gamine, mais qu’en retour, c’est bien le Diable qu’elle invoque et convoque dans le quotidien des membres de sa famille. Magali Collet a bâti son récit avec intelligence, tact et machiavélisme, donnant à voir un personnage mémorable qui ne tombe jamais dans les clichés du genre. Et que dire du final… Une idée pourtant toute simple, presque élémentaire, comme un éclair de malveillance qui clôt définitivement ce récit sur cette note espiègle… et vipérine.

    L’auteure nous offre un ouvrage singulièrement sombre et rusé, nous prenant littéralement au collet de son scénario diabolique et de son indéniable talent de conteuse. Un régal de noirceur.

    15/02/2023 à 08:13 3

  • Cette guerre est nôtre !

    Maza, Richard D. Nolane

    7/10 Le Visiteur, dont le look ressemble de plus en plus à celui de Dark Vador ou au Surfeur d’argent, parvient à déglinguer des avions grâce à son pouvoir et à neutraliser le largage de la bombe atomique. Mais maintenant que l’explosion est piégée dans la sphère créée par le Visiteur, il se pourrait que les nazis renvoient cette arme dévastatrice aux expéditeurs. L’intrigue de cette BD tient plutôt bien la corde, je me demande ce que nous réservent les tomes suivants.

    14/02/2023 à 17:56 2

  • Adesh

    Jerry Frissen, Peter Snejbjerg

    5/10 Désert des Mojaves, juillet 1956 : l’armée essaie de faire passer pour un simple crash aéronautique quelque chose de bien plus grave alors qu’il s’agit en réalité de l’atterrissage d’une soucoupe extraterrestre. Quelques clins d’œil – du moins, je le pense – à des films comme Blade Runner ou Armageddon, mais ce troisième et dernier tome de la série me renforce dans mon sentiment mitigé concernant les deux précédents ainsi que sur la série en général, du coup : des épisodes très attendus, une esthétique sympa mais qui n’a rien d’exceptionnel, une fin téléphonée et de nombreux autres poncifs du genre dont je ne suis pas du tout certain qu’ils soient assumés. Bref, une BD assez ordinaire et sans la moindre fougue scénaristique qui tient du gâchis ou du manque de volonté.

    14/02/2023 à 10:31 2

  • Opération Gomorrhe

    Maza, Richard D. Nolane

    6/10 Requinqué par son discours et la démonstration de ce pouvoir miraculeux, Hitler s’entretient avec le Visiteur qui lui fait part de cette appétence pour Auschwitz et de « 1000 humains » pris sur place. Churchill échappe de peu à un attentat mené par un V2. Encore un peu trop de bavardages à mon goût, la série aurait probablement mérité d’être raccourcie. Et puis, c’est un détail, mais j’ai eu du mal avec la scène où le Visiteur « s’occupe » des prisonniers, seuls dans le camp de concentration. La vérité historique a été bien plus ignoble, indicible que ça, mais ce passage m’a dérangé : en espérant que la suite des opus saura s’appuyer sur cette scène provocante comme sur un ressort nécessaire, afin que ça ne soit pas juste de la cruauté gratuite…

    14/02/2023 à 10:28 2