El Marco Modérateur

3708 votes

  • Le Corps noir

    Dominique Manotti

    9/10 Paris, 6 juin 1944. Les Alliés débarquent sur les plages normandes. Il faudra environ deux mois et demi avant la libération de Paris. Entre ces deux moments, la population va hésiter : les Allemands peuvent-ils encore gagner la guerre ? Qui seront les vainqueurs lorsque s'achèveront les batailles ? C'est tout un microcosme parisien qui s'en trouve ainsi ébranlé, en proie au doute. Banquiers, artistes, prostituées, stars du cinéma, policiers... Dans ce tourbillon de passions accentuées par les rancœurs, les rivalités et les volontés de ne pas être du côté des perdants, chacun devra choisir son camp.

    Dominique Manotti, c'est une plume. Sèche, allant à l'essentiel, avec des phrases saccadées, parfois nominales, avec des verbes sans sujet. L'écriture est alerte, sans concession, aussi effrénée que l'époque dépeinte. Durant cette période très équivoque, emplie de cynisme et de calculs immoraux, l'auteur décrit avec une étonnante crédibilité les échanges entre les divers personnages, nombreux et variés. Le fil conducteur du livre : des trafics, des jeux d'influence. Du sang également, beaucoup, versé pour nettoyer les honneurs impurs et tenter de faire bonne figure quand le vent tourne. Dominique Manotti ne se fait pas juge des attitudes des individus qu'elle décrit : elle présente, en toute objectivité, les situations auxquelles ils sont confrontés, les choix dont ils disposent, les décisions qui sont les leurs. A cet égard, il faut mettre en relief son talent pour brosser le tableau d'une époque plus que troublée et donner vie avec simplicité et humilité aux protagonistes, immergés dans un contexte vacillant qui les dépasse, mettant à nu leurs contradictions et leur sens – parfois très approximatif – de la dignité.

    Le corps noir est donc un ouvrage remarquable, au style trépidant et à l'intrigue très originale. Quiconque s'intéressant à la Seconde Guerre mondiale, à la peinture des mœurs ou à l'âme humaine y trouvera de quoi nourrir sa réflexion. Un opus à la croisée des genres, quelque part entre le thriller, la littérature historique et le roman noir, qui se pose également comme un livre émérite sur la Résistance et l'épuration.

    06/06/2010 à 19:57 3

  • Colère

    Denis Marquet

    7/10 Lu il y a bien longtemps. A défaut d'avoir été profondément marqué par sa lecture, je me souviens avoir passé un agréable moment de lecture avec ce roman catastrophe.

    05/06/2010 à 18:18

  • Le secret de sir Adrian F.

    Béatrice Nicodème

    7/10 Un roman sobre et prenant, bien écrit et agréable à lire, confirmant la plume talentueuse de Béatrice Nicodème.

    31/05/2010 à 18:42

  • L'écorcheur des Flandres

    Philippe Declerck

    7/10 C'est déjà le quatrième meurtre sordide qui ensanglante la région : à chaque fois, on retrouve un trentenaire, martyrisé, le bras écharpé et le sexe tranché. Le commandant de police Olivier Béjot n'a pour le moment pas la moindre piste ni le moindre indice. Il décide alors, sans en parler à sa hiérarchie, de renouer le contact avec un collègue parisien, Nicolas Dantès, lui-même traumatisé par un tueur en série qui avait tué sa femme et dont les compétences de profilage pourraient être très utiles. Mais le temps presse, car nul doute que le bourreau va de nouveau frapper...

    Premier ouvrage de Philippe Declerck, L'écorcheur des Flandres est un bon polar. La scène d'ouverture, décrivant l'antre du tueur et la conduite méthodique de ce dernier, est un modèle du genre, et le lecteur ne pourra qu'avoir envie d'en connaître la suite, tant ce prologue est prometteur. Comme dans les livres de ce genre, on retrouve un meurtrier assez effrayant et une équipe de policiers bien sympathiques, moralement et psychologiquement dépassés par l'horreur de leurs découvertes. À cet égard, Philippe Declerck évite les poncifs des flics imperméables à la douleur des autres, aux déductions miraculeuses et détachés des affaires sordides sur lesquelles ils enquêtent : l'aspect humain et crédible de leur métier est très bien restitué. Le récit se compose d'environ deux-cents pages, et le rythme est bien maintenu, sans temps mort, le tout grâce à une écriture alerte et efficace où l'on retrouve parfois les accents d'illustres écrivains comme Laurent Scalese. Cependant, on aurait peut-être apprécié un peu plus d'originalité quant à l'intrigue ou à son traitement, ainsi que certains clichés soient évités. Mais l'histoire est loin de démériter, d'autant qu'elle offre assurément quelques heures d'une lecture distractive et prenante.

    Cet ouvrage ne révolutionne donc pas le genre, et ce n'est d'ailleurs probablement pas son objectif : cela fait penser à ces plats que l'on commande en toute connaissance de cause, sachant pertinemment que l'on connaît leur goût, et, à défaut d'être surpris, on se plait à retrouver une gastronomie traditionnelle que l'on affectionne. L'écorcheur des Flandres est le premier livre de Philippe Declerck, et l'on espère que d'autres suivront, car la plume de l'auteur et le tempo de son histoire sont vraiment bons.

    24/05/2010 à 10:31

  • Les Orphelins du Mal

    Nicolas d'Estienne d'Orves

    7/10 Anaïs est une jeune pigiste à l'avenir incertain. Elle est contactée par un grand éditeur parisien qui lui propose une somme folle pour écrire un livre sur les Lebensborn, ces haras humains où des médecins SS faisaient naître pendant la Seconde Guerre Mondiale de parfaits petits aryens. Le commanditaire de ce manuscrit : Vidkun Venner, un richissime collectionneur féru d'art nazi. Ce dernier vient de recevoir quatre mains droites momifiées provenant de personnes venant de se suicider. Ce sera pour ces deux êtres le début d'une quête insensée, plongeant vers les racines d'un mal que l'humanité croyait éteint, jusqu'à une mystérieuse île norvégienne, Halgadøm.

    Premier ouvrage de Nicolas D'Estienne d'Orves à paraître chez l'éditeur XO, Les orphelins du mal constitue un sacré pavé (près de sept-cent-cinquante pages dans sa version poche). Au gré des pérégrinations des deux protagonistes, après un prologue particulièrement original et marquant, le voyage s'effectuera à travers une Europe qui porte, sans le savoir, les stigmates d'une emprise nazie inconnue. Par ailleurs, on suivra en parallèle les investigations de policiers français dans le sud-ouest de la France suite à la découverte d'un cadavre atrocement brûlé. Autrement dit, l'auteur a refusé la linéarité et préféré les histoires bâties en miroir, chacune répondant à l'autre, offrant de nombreuses interconnexions et une ample galerie de personnages pour un récit assez dédaléen. La langue de Nicolas D'Estienne d'Orves est très agréable, cultivée et parfois très drôle, exploitant avec bonheur une documentation que l'on devine solide. Les enchaînements sont habiles et il faut reconnaître que ce thriller a été mûrement réfléchi et bâti selon des plans impeccables. Cependant, certains lecteurs pourront justement reprocher à l'auteur d'en avoir un peu trop fait au niveau des entrecroisements entre les divers personnages, et trouveront cette phrase écrite en fin de livre et dite par Anaïs on ne peut plus véridique :Je ne comprends plus rien. Tout s'enchaîne trop vite. D'autre part, la fin est en soi très étonnante : alors que l'ensemble du roman est crédible et prenant, les dernières salves de pages émettent une solution à l'intrigue proche du genre fantastique, ce qui est assez déstabilisant quoique bien amené et assumé par Nicolas D'Estienne d'Orves.

    Les orphelins du mal est donc un thriller labyrinthique, bien conçu, mais dont la fin détonne par rapport à ce que l'on attendait. Même si l'effet de la surprise procurée est en général une des vertus du genre, elle apparaîtra ici à certains insolite voire déplacée. Mais cet opus n'en reste pas moins mémorable, et ceux qui l'auront apprécié ne pourront que se jeter sur le dernier ouvrage de Nicolas D'Estienne d'Orves paru il y a un an, Les derniers jours de Paris.

    18/05/2010 à 19:01

  • Le Sabre sacré

    Yves-Marie Clément

    6/10 Un bon petit polar se déroulant au Japon, avec un protagoniste bien sympathique : aveugle, aimant en secret une camarade, et judoka de talent. L'intrigue est bien menée, l'histoire tient la route. Petits bémols : destiné à un jeune public, c'est court et il m'a semblé que l'auteur aurait pu aller plus loin dans l'originalité et la densité dramatique. Le sabre sacré conviendra à un lectorat de collège mais ne propose probablement qu'une simple lecture récréative aux adultes, sans souvenir mémorable.

    16/05/2010 à 19:52

  • En dépit du tonnerre

    John Dickson Carr

    6/10 Un roman agréable, mais j'ai été déçu dans la mesure où je n'ai pas retrouvé le genre que je pensais trouver, si typique de l'auteur. Le mystère en chambre close est bien moins développé que dans ses autres ouvrages. Cependant, pour les amateurs de whodunit, le livre est intéressant.

    11/05/2010 à 10:23

  • Les Compagnons Du Veau D'Or

    Jean-Bernard Pouy

    8/10 Même si l'intrigue n'est pas le point fort de cet ouvrage, il n'en demeure pas moins très bon, avec de l'humour, du noir, du vitriol jeté sur la société, et une écriture toujours aussi prenante. Décidément, Jean-Beranard Pouy est un maître !

    07/05/2010 à 13:34

  • Le Parchemin Disparu De Maitre Richard

    Laetitia Bourgeois

    8/10 Dans le Gévaudan de l'an 1363, le notaire de Saint-Clément, maître Richard, est retrouvé atrocement criblé de coups de couteau. Le sire de Randon mandate le sergent de justice Barthélemy pour comprendre un tel crime et découvrir le coupable. Dans la maison de maître Richard, la plupart des parchemins et autres actes notariaux ont disparu. Barthélemy découvre assez vite que le notaire était détesté de nombre de villageois. Ce climat tendu a-t-il un rapport avec cet assassinat ? Où sont passés les fameux manuscrits ? Constituent-ils la clef de l'énigme ? Barthélemy aura bien besoin de l'aide de son épouse Ysabellis, la guérisseuse, pour dénouer ces mystères.

    Deuxième roman de Lætitia Bourgeois après Les deniers du Gévaudan, Le parchemin disparu de maître Richard est un très habile roman. Puisant dans ses connaissances – Lætitia Bourgeois étant docteur en histoire médiévale –, l'auteur restitue avec un talent indéniable le Moyen Âge, et ce dans de nombreux domaines : culture, religion, gastronomie, justice, médecine, etc. Le dépaysement est fascinant, au point que la lecture de cet ouvrage aurait presque pu se passer d'intrigue. Pourtant, cette dernière existe, et elle est à l'image du livre : remarquable. Bâtie de manière très originale, l'histoire multiplie les personnages secondaires, fort bien campés, qui sont autant de suspects pour notre limier Barthélemy, un justicier à la fois perspicace, entêté et à la fragilité bien humaine. Par ailleurs, au-delà de la découverte de l'identité de l'assassin, Lætitia Bourgeois offre au lecteur de réels moments de tension et de suspense, où sa plume rusée et élégante s'illustre pleinement.

    Le parchemin disparu de maître Richard est donc un très bon polar historique, aussi divertissant et prenant qu'instructif. On ne pourra que se ruer sur Un seigneur en otage, le troisième tome des enquêtes du sergent de justice Barthélemy, récemment sorti au format poche chez l'éditeur 10-18.

    04/05/2010 à 18:37

  • Hécatombe

    Nada

    7/10 Ils sont une dizaine, appartenant à la fraction Ordre et chaos. Venus d'horizons bien différents, le destin les a fait se croiser. Ils ont en commun des haines communes : les étrangers, le dépérissement de l'Occident, l'impéritie des élites dirigeantes. Ils sont d'obédience nazie, à la sexualité contrariée, drogués et alcooliques, grands amateurs de football, prompts à la violence physique et à la torture. Après les avoir réunis, le sort va les faire errer pendant quelques jours, au gré des vents. Le sang va couler. Jusqu'à l'hécatombe.

    Premier roman de Nada, Hécatombe est un roman d'une infinie noirceur, et le lecteur en prend plein les yeux. Après les dix premiers chapitres où les personnages sont présentés, tous déjantés et terrifiants, l'auteur les engage dans des quêtes diverses, parfois enchevêtrées, parfois parallèles. Le style de Nada allie poésie, situations dignes des enquêtes du Poulpe sous acide, et violence des mots. Tout y passe : coprophagie, inceste, drogue, violence. En un seul ouvrage, Nada réunit à peu près tous les volumes descriptifs de ce qui peut se faire de plus abject en matière de cruauté humaine. Bien évidemment, beaucoup de lecteurs en seront choqués et ne pourront poursuivre le voyage, submergés par des scènes où sont relatées avec force détails des obscénités qu'ils jugeront inutiles, voire écœurantes. Néanmoins, par-delà les ignominies décrites et les barbaries perpétrées, on découvre un rythme, un son, une plume ; il est vrai que Nada a participé à des projets musicaux. Sous ce vernis d'une rare opacité, il décrit par le menu des individus en souffrance, devenus des monstres à la suite d'erreurs de parcours et d'enfances contrariées. Ce ne sont pas des justifications, juste des explications, des mises en perspective. S'il est indéniable que certaines scènes heurteront et susciteront la polémique, Hécatombe constitue un roman dont la noirceur et la brutalité feront date.

    Hécatombe, c'est une virée. Aux confins de l'âme, là où sont lovés les sentiments les plus sombres, les appétits les moins avouables. Une exploration pleine de bruit et de fureur, saturée de ténèbres et d'inhumanité, débordant de haine et de bestialité. Un aller sans retour absolument mémorable à défaut d'être parfaitement assimilable ou louable.

    02/05/2010 à 20:27

  • Cantique des ténèbres

    Edouard Bernadac

    8/10 Dans un futur proche, Paris est devenue un lieu où s'est reformée la Cour des Miracles, comme dans la plupart des autres grandes villes européennes. On y trouve pauvres et malfrats, unis pour tenter de survivre à la loi imposée par un Ministre de l'Intérieur aux méthodes dictatoriales. La jeune Nito Crisgolenko est conservatrice au Louvre et, par le plus grand des hasards, vient à pénétrer dans ce cercle d'infortunés. Elle croisera nombre de personnages étranges avant l'hécatombe déclenchée par un pouvoir politique lassé par tant de laisser-aller.

    Avec Cantique des ténèbres, Édouard Bernadac signe un thriller particulièrement original et saisissant. Avec à peine plus de deux-cents pages, le récit est court, haletant, alternant les scènes d'action et les descriptions de cette fameuse Cour des Miracles. La langue de l'auteur est très agréable, parfois poétique, nourrie de mysticisme, servant avec bonheur une histoire loin des canons de la littérature noire habituelle. En effet, non content de narrer un avenir proche, Édouard Bernadac peint une galerie de protagonistes excentriques : un cabaliste ayant réussi à créer un golem, un Ministre de l'Intérieur prêt à pactiser avec le Diable – au sens littéral du terme -, des ombres démoniaques, un informaticien paré à se lancer dans le monde virtuel qu'il a créé... Le lecteur se trouve dans un univers complètement décalé et ésotérique. Si l'on perd parfois le fil de l'intrigue principale, il faut reconnaître à Édouard Bernadac un indéniable talent de conteur et une imagination débordante, rappelant certaines frénésies de Serge Brussolo ou du Club Van Helsing.

    Cantique des ténèbres est donc un thriller fantastique qui ne ressemble à aucun autre, enlevé et troublant. Au-delà de l'aspect récréatif de l'histoire, cette dernière prend une nette ampleur politique, avec cette vision des indigents chassés de la cité par un pouvoir gouvernant prêt à toutes les alliances pour se débarrasser d'eux. Évidemment, il ne s'agit ici que de pure fiction : toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. Encore que...

    02/05/2010 à 19:48

  • Le Diable du Crystal Palace

    Fabrice Bourland

    8/10 En novembre 1936, les deux détectives Andrew Singleton et James Trelawney sont abordés par Alice Grey. Son compagnon, Frederic Beckford, entomologiste au British Museum, s'est évanoui dans la nature sans la moindre explication. Un unique indice pour les limiers : un article laconique relatant un accident survenu en pleine nuit, un carambolage entre un taxi et un étrange fauve. Rapidement, Singleton et Delawney s'aperçoivent que le félin en question est probablement un machairodus, un animal aux dents de sabre disparu depuis vingt mille ans. Ils iront de surprise en surprise, leur investigation les amenant à découvrir un complot prenant ses racines dans le continent africain.

    Auteur à succès de la série des détectives de l'étrange, Fabrice Bourland signe ici le troisième ouvrage de la série, après Le fantôme de Baker Street et Les portes du sommeil. Il conserve ce qui a fait la réussite des précédents : une langue travaillée et délicieusement surannée, une intrigue faisant appel au fantastique, deux personnages principaux attachants et perspicaces, et une ambiance à la fois historique et géographique parfaitement rendue. On retrouve donc ce qui a fait le charme des romans antérieurs, avec une histoire très originale qui devient vite prenante et savamment menée. Par ailleurs, Fabrice Bourland creuse la psychologie de ses protagonistes, offrant ainsi une poignante histoire d'amour à Andrew Singleton, et orchestrant des scènes d'action et de poursuites bien plus échevelées que par le passé.

    Le diable du Crystal Palace est donc un thriller dans la droite ligne de ses prédécesseurs : atypique, séduisant et instruit. L'auteur de La dernière enquête du Chevalier Dupin poursuit avec bonheur cette série de polars historiques qui, en plus d'être l'une des plus attachantes qui soient dans le genre, parvient à se renouveler, voire à se bonifier. Vivement le prochain !

    27/04/2010 à 09:41

  • Un Echo dans la nuit

    Dianne Emley

    8/10 Nan Vining, policière à Pasadena, fut la victime d'un homme qui la laissa pour morte, la gorge tranchée. Elle revient à la brigade des homicides alors que l'on vient de retrouver le cadavre de Frances Lynde, une inspectrice à la vie mouvementée. La victime a été violée et terriblement brutalisée avant que son bourreau ne laisse son corps sous un pont. Nan réintègre son ancienne équipe et voit dans cette enquête un moyen de ressusciter, tant sur le plan professionnel que psychologique. Mais les démons de son agression n'en ont pas fini avec elle, surtout quand la voix de la défunte Lynde semble lui murmurer des indices...

    Premier roman de Dianne Emley à être traduit en France, Un écho dans la nuit est un thriller habile et haletant. L'auteur s'est très bien documentée sur les techniques policières, et les deux pages de remerciements en fin d'ouvrage témoignent de cette volonté de coller à la réalité. Les divers flics sont très bien campés, leurs relations respectives crédibles et attachantes, et de nombreuses touches d'humour, notamment dans les dialogues, viennent apporter un peu de légèreté dans cet univers glauque. L'intrigue est terriblement sombre : le portrait du tueur en série est assez effrayant, et Dianne Emley décrit de nombreuses scènes de sexe et de violence particulièrement dures. L'histoire, même si elle demeure plutôt classique, est bien menée et suffisamment prenante pour épingler l'attention du lecteur. Par ailleurs, Dianne Emley sait dépeindre les lieux de manière convaincante, ainsi que les portraits humains, en particulier le personnage de Nan Vining, à la fois attachante et redoutable limier.

    S'il ne constitue pas en soi un véritable renouvellement du genre, Un écho dans la nuit demeure un roman d'excellente facture, à la fois sensible et vénéneux, et qui offre une alternative intéressante et réussie aux œuvres des habituels maîtres américains du thriller.

    23/04/2010 à 10:34

  • Le Chant de Kali

    Dan Simmons

    8/10 Le journaliste américain Robert Luczak est missionné à Calcutta pour prendre possession du manuscrit d'un mystérieux poète indien dénommé Das que l'on croyait mort depuis plusieurs années. Il s'y rend accompagné de sa femme et de leur fille. Sur place, il découvre une ville malfaisante, désenchantée et livrée à la plus pathétique des misères. Pire que tout, elle semble tombée sous la coupe très discrète des Kapalikas, une secte extrêmement dangereuse vouant un culte total à Kali, une monstrueuse déesse. Peu à peu, Luczak va franchir les cercles de l'enfer au cours d'un périple dont il ne sortira pas indemne.

    Auteur entre autres de romans policiers (L'épée de Darwin) et de fantastique (L'échiquier du mal), Dan Simmons signait en 1985 un pur thriller fantastique avec Le chant de Kali. La langue de l'auteur est magnifique, souvent proche de celle de la littérature dite classique, et l'intrigue très prenante. Par ailleurs, l'écrivain décrit à merveille les trottoirs bondés et crasseux de Calcutta, en profitant pour nous immerger dans cette ambiance insalubre et troublante. Les personnages américains – la famille Luczak – sont très attachants, au point que le lecteur ne pourra qu'éprouver une empathie certaine pour chacun d'entre eux. L'élément fantastique est indéniablement présent, offrant des moments d'horreur et d'angoisse comme dans certains ouvrages de Clive Barker, tout en devenant presque crédible sous la plume de Dan Simmons ; en effet, la plongée vers l'indicible et le surnaturel se fait par paliers successifs, habiles et réguliers, sans brusque irruption ni événement amené de manière abrupte.

    Au final, Le chant de Kali est un roman qui conjugue plusieurs genres avec harmonie et réussite. Tantôt effrayant, tantôt poignant, ce livre mérite amplement d'être lu et relu, pour que le chant de Kali résonne également dans l'âme d'un lecteur hébété.

    19/04/2010 à 11:16 2

  • Vingt Mille Vieux Sur Les Nerfs

    Jean-Paul Jody

    8/10 Cataclysme au bistrot fréquenté par Gabriel Lecouvreur : Gérard, le patron, ne sert plus de pieds de porc ! La raison : plus personne n'en demande. Pour se changer les idées, Gabriel, dit le Poulpe, décide de rendre visite à de vieux compères et organise de nombreux repas remettant à l'honneur ce plat pour que Gérard cède. Mais voilà : tous ces gentils édentés sont d'anciens militants, et une vague subite d'attentats frappe la capitale. Y a-t-il un lien entre le retour chez les vivants de ces papys et mamies et ces actes terroristes ?

    Deux-cent-soixante-cinquième enquête du Poulpe signée par Jean-Paul Jody, cet opus est un véritable régal. On retrouve avec délectation Gabriel Lecouvreur, cette fois-ci en butte à l'apathie sexuelle de sa compagne Chéryl. Le ton est toujours aussi acide, et l'auteur écorne au passage les sphères politiques et médiatiques avec un talent indéniable. Par ailleurs, l'intrigue est bien trouvée : la galerie des anciens peinte par Jean-Paul Jody est jouissive, à la fois tendre et corrosive. C'est avec empathie que le lecteur découvre puis suit les pensées de ces vieux militants, en proie à la détresse liée à leur âge, et affligés par l'incurie des gouvernants. Un parallèle peut être fait avec l'univers de Thierry Jonquet dans Le bal des débris ainsi qu'avec celui de Guillaume Darnaud dans Le crépuscule des vieux. Si le récit est moins axé sur l'énigme policière qu'à l'habitude, Jean-Paul Jody se rattrape avec jubilation dans cette aquarelle humaine, où ces vieillards sont encore bien verts... et prêts à passer à l'action.

    L'auteur de Chères toxines et de La route de Gakona offre un épisode réjouissant et terriblement humain du Poulpe , battant en brèche de nombreux clichés sur la vieillesse et dédiant cet ouvrage à l'activisme politique.

    12/04/2010 à 20:14 1

  • Enfers.com

    Julia Tommas

    9/10 Lorsque l'inspecteur Yoshiro pénètre dans un appartement de la Douzième Rue de New York, c'est pour y découvrir un habitat sans cadavre ni sang. Le locataire était un pédophile qui a disparu. Au fur et à mesure de son enquête, le policier se rend compte que quelqu'un semble avoir décidé de rendre la justice contre ceux qui s'en sont pris à des enfants. Il lui faudra toute l'aide de la neuropsychiatre Lisa Cavalcante pour comprendre les motivations du prédateur, d'autant que ce dernier n'en est qu'au début de ses crimes...

    Après Brain Damage, Julia Tommas signe une suite très réussie. Le récit est particulièrement bien écrit, et le lecteur aura la joie de découvrir des univers très différents et parfaitement documentés : les états de conscience minimale, la cartographie du cerveau, l'autisme, Internet, etc. Ce thriller ressemble à ce qu'auraient pu écrire d'autres plumes émérites du roman policier comme Jeffery Deaver ou Olivier Descosse, avec des connaissances médicales qui rappelleront probablement les récits de Thierry Serfaty, tout en conservant son identité propre. Divisé en quatre-vingt-six chapitres courts et haletants, Enfers.com est un remarquable opus, à la fois prenant et effrayant, donnant à voir les plus sombres pans de l'âme humaine sans pour autant tomber dans le piège du voyeurisme. Les deux héros de l'enquête, Kenji Yoshiro et Lisa Cavalcante, sont très bien campés, le premier encore traumatisé par le sanglant enlèvement dont il fut jadis la victime, et la seconde se mettant en danger pour prouver qu'une patiente n'est pas le légume dépeint par certains membres de sa famille. Le lecteur passera de scènes d'une grande tension psychologique à des moments de pur suspense, avec un final remarquable dans le ventre de New York.

    Enfers.com est donc un ouvrage admirable, maîtrisé de bout en bout par Julia Tommas dont l'imagination et le talent ne font que se confirmer. Après Brain Damage, il n'y a plus qu'à espérer un troisième livre de la même tenue, car l'habileté de Julia Tommas n'a strictement rien à envier à celle des rois du thriller.

    09/04/2010 à 09:17

  • La veuve de Béthune

    Patrick S. Vast

    8/10 Après un entretien d'embauche qui, une fois de plus, ne mène nulle part, Alain Lefage s'engage dans une nuit d'ivresse. Il lie connaissance avec Charles, un homme à qui il laisse sa mallette, puis rentre chez lui ; dans la nuit, Charles se tue sous les rails d'un train. Le lendemain, la police, persuadée que le mort est Alain, prévient Gisèle, son épouse, de la terrible nouvelle... alors qu'Alain se trouve dans l'appartement. Le couple décide de profiter de cette méprise pour toucher l'assurance-vie établie au nom du mari, mais rien ne va se passer comme prévu.

    Premier livre de Patrick S. Vast, La veuve de Béthune est un remarquable ouvrage. Fusionnant avec délice les codes du roman noir et du suspense, l'auteur a un don indubitable pour inventer et mener à bien un récit. Sa plume est très agréable à lire, concise, et dessine des personnages humains et intéressants. En effet, au-delà de l'intrigue pure, il restitue à l'aide de seulement quelques phrases bien senties leurs sentiments et hésitations, leurs troubles et fêlures. En cent-cinquante pages, Patrick S. Vast a imaginé une histoire tout à fait crédible, originale et prenante. Les ressorts de la machination sont très bons, et avec une empathie presque naturelle, le lecteur en viendra sans mal à prendre en pitié les divers protagonistes de ce récit à la fois émouvant et cruel.

    La veuve de Béthune est donc un très bon opus. Court et haletant, il offre une histoire parfaitement plausible, aux puissants accents tragiques, où les événements dépassent les individus pour mieux les pulvériser.

    07/04/2010 à 18:05

  • Une affaire d'identité et autres aventures de Sherlock Holmes

    Arthur Conan Doyle

    9/10 Trois excellentes nouvelles d'Arthur Conan Doyle. Le flair du détective est toujours aussi remarquable, la langue délicieuse, et les énigmes brillamment dénouées. J'ai préféré les deux premières et moins apprécié la dernière, mais l'ensemble est remarquable, à la fois distractif et terriblement prenant.

    05/04/2010 à 18:23

  • Diablo Corp.

    Ludovic Roubaudi

    9/10 Bienvenue à Ouang Schock ! En ce milieu de vingt-et-unième siècle, cette ville est l'une des plus insalubres et criminelles qui soient. L'époque est dédiée à l'image, télévision ou jeux vidéo. Pas de pitié, pas de salut. Chaos, violence, drames. Un des cercles de l'Enfer. Même les policiers peuvent vendre des informations aux grands médias pour arrondir leurs fins de mois. En cette année 2049, on retrouve les corps de trois gamins qui étaient férus de jeux vidéo. Dans le même temps, des attentats ensanglantent la cité. Y a-t-il un lien ? Le flic Wayne Cassidy est mis sur l'enquête. Pas de quartier, pas de remords, il faut passer à l'acte et remuer la fange qui étouffe Ouang Schock. Quitte à se couvrir les mains d'hémoglobine. Quitte à déranger les plus hautes sphères de la ville.

    Second opus des chroniques de Ouang Schock après Carotides Blues, ce roman poursuit l'objectif littéraire souhaité par Ludovic Roubaudi : la description d'une ville crépusculaire et glauque. A cet égard, cette dernière fait quasiment office de personnage principal, avec ses us et coutumes, règles, détails économiques et descriptions d'outre-tombe. On baigne en plein cauchemar éveillé, quelque part sur le fil du rasoir entre Babylone et Gotham City. D'ailleurs, un blog permet d'expliquer le fonctionnement de Ouang Schock et offre la possibilité aux internautes de participer à cette aventure, offrant donc une interactivité bien plus étoffée que celle de Level 26 où le lecteur demeure un simple spectateur. L'intrigue est très originale et soignée, avec une piste très intéressante, exploitée avec maestria par Ludovic Roubaudi. La langue est rêche, presque sauvage, et l'on bascule d'un chapitre au suivant au gré de divers points de vue (celui de Wayne Cassidy, des informations fournies par les médias, les références sociologiques à la cité, etc.). Les personnages sont tous sombres, au point qu'il est absolument impossible d'en parler comme de héros. Traumatisés, en butte à un territoire qui leur échappe, ils sont à l'image de Ouang Schock : enténébrés. Clef de voûte humaine de cet édifice littéraire, Cassidy est particulièrement marquant, ancien champion des combats sans règles et dont la femme est devenue un légume humain.

    A n'en pas douter, Diablo Corp. est un ouvrage majeur, aussi inquiétant que mémorable. Ludovic Roubaudi a réussi un coup de maître : créer une série inoubliable à l'ambiance pénétrante. Il ne reste plus qu'à espérer des suites de la même tenue !

    28/03/2010 à 12:38

  • Le cadavre du métropolitain

    Lee Jackson

    8/10 Dans la ville de Londres, le métropolitain constitue en ces années 1860 un remarquable progrès dans les transports. Mais une jeune femme y est retrouvée étranglée dans un wagon quasi-désert, et la presse s'empare de l'affaire. L'inspecteur de Scotland Yard Decimus Webb est chargé de l'enquête. Sa traque va le mener jusqu'au « Foyer d'Holborn pour femmes repenties » où sont notamment accueillies d'anciennes prostituées, et l'amener à affronter des secrets de famille absolument inavouables.

    Auteur à succès spécialisé dans les polars historiques se déroulant au Royaume-Uni, Lee Jackson signe avec Le cadavre du métropolitain un ouvrage élégant et prenant. L'ambiance de la capitale est brillamment retranscrite, depuis ses quartiers dorés jusqu'aux bouges les plus abjects, s'appuyant sur une documentation solide et sans pour autant en faire un étalage purement ostentatoire. Les chapitres courts, souvent scindés en plusieurs parties et associés à un indicatif présent rendent le récit très vivant et direct. L'intrigue est bien menée, offrant de nombreuses fausses pistes ainsi qu'une galerie de personnages intéressants, pour rebondir à une trentaine de pages de la fin sur un élément inattendu. Certes, quelques passages peuvent paraître accessoires et l'on peut également reprocher que le personnage principal, Decimus Webb, n'est peut-être pas suffisamment fouillé, mais le livre n'en reste pas moins de grande qualité.

    Le cadavre du métropolitain est donc un opus réjouissant. Documenté, original et alignant une série de protagonistes bien campés, il propose un bon moment de lecture qui donnera probablement envie de découvrir d'autres romans de Lee Jackson.

    25/03/2010 à 18:40