El Marco Modérateur

3303 votes

  • Le Tueur

    Colin Wilson

    9/10 Le docteur Samuel Kahn s'intéresse un peu par hasard à Arthur Lingard, un détenu de la prison de Rose Hill. L'homme paraît inoffensif, passe pour être d'une intelligence quelconque, et fait plus penser à un petit animal peureux qu'à un véritable criminel. Progressivement, le psychologue va s'approcher du réel Arthur Lingard et l'amener à se confesser. C'est le début d'une longue descente vers l'enfance du prisonnier, un passé qui a conditionné son psychisme. Et si Lingard était en fait un véritable psychopathe ?

    Colin Wilson fait partie de ces nombreux auteurs de romans policiers que la postérité a oubliés. Bien à tort, car ce livre, publié pour la première fois en 1970, est en la matière un petit bijou. Par paliers successifs, comme on pénètrerait à l'aveuglette dans une cave mal éclairée, le lecteur s'approprie l'esprit tourmenté du captif. C'est un univers glauque et terriblement déstabilisant, perclus de traumatismes odieux, de fantasmes inassouvis, de cauchemars vécus éveillés. De ses premières amours pour sa sœur jusqu'aux désirs d'inceste, d'attouchements sous hypnose à la fréquentation de pédophiles honteux, du fétichisme pour les culottes aux viols, ce sont des arpents de ténèbres qui se dévoilent lentement, au gré d'une confession chaotique et terriblement obscène. La chrysalide de l'enfant déstructuré s'est ouverte pour donner naissance à un individu aussi pathétique que dérangeant. Certains passages sont décrits d'une manière très directe, presque naturaliste, à la manière d'un entomologiste observant et narrant l'activité d'un insecte nuisible. Colin Wilson ne s'érige pas en juge : il raconte, explore, mais ne tranche quasiment jamais. Le lecteur pourra d'ailleurs trouver bien des scènes écœurantes, sans ce filtre du moralisme, mais l'écrivain s'est contenté de livrer une vérité humaine brute, sans jalons ni tamis, ce qu'il explique d'ailleurs dans sa postface. À certains égards, on en vient même à se demander si le psychologue, Samuel Kahn, n'est pas un peu insipide face à un être aussi pervers, mais ce choix narratif est amplement compréhensible : la lumière obscure projetée par Lingard ne pouvait s'encombrer de paravent, et se devait d'exposer sa noirceur sans contrepoint.

    Derrière ce titre assez banal se dissimule un roman psychologique fort et haletant. Les scènes à faire trembler le lecteur sont bien rares, et ce n'était d'ailleurs pas l'objectif de Colin Wilson. Il s'agissait de mettre en relief la genèse d'un monstre, depuis son enfance brisée jusqu'aux premières effusions de morbidité. Un récit d'autant plus effroyable qu'il est parfaitement crédible, et a certainement influencé des auteurs comme James Ellroy, Thomas Harris ou Keith Ablow.

    08/11/2011 à 16:08

  • Mortelle Venise

    Michel Honaker

    8/10 En 1536, à Venise, on retrouve le corps de l’embaumeur Marcello Benvolio dans la rue. Il est retrouvé mort sans que l’on puisse établir les causes définitives de son décès. Sur ses traits, la marque d’une infinie terreur. Pour résoudre cette énigme, le doge fait appel au jeune chevalier Ferrucio Ardani. Cet homme, autrefois vénitien et rejeté de la ville, est un habile enquêteur doué d’un esprit fin et cartésien. Saura-t-il dénouer les fils d’une intrigue qui menace l’équilibre de la cité entière ?

    En auteur expert en littérature jeunesse, Michel Honaker maîtrise les codes du suspense, et il en fait de nouveau la démonstration avec ce polar historique de haute volée. Rapidement, son style séduit et envoûte : l’époque et les lieux sont impeccablement retranscrits, et l’on ressent rapidement l’angoisse provoquée par ces endroits engoncés de brumes persistantes. L’intrigue est très bien ficelée, et entrelace de nombreux thèmes, comme la religion, les arts ou le pouvoir politique. Le héros est un modèle du genre : d’esprit vif, subtil analyste des scènes de crime, féru de sciences, courageux et doué pour le combat, il dispose de tous les atouts littéraires nécessaires pour le rendre attachant. Par certains aspects, il ressemble même à Sherlock Holmes, le génial détective du non moins génial Arthur Conan Doyle. Au fil de ce court roman – environ cent quatre-vingts pages, Michel Honaker déploie toute l’étendue de son talent, et le lecteur se passionne autant qu’il frissonne face aux épreuves qui s’imposent au protagoniste : un ordre religieux proche de la secte, une ville assaillie par des rumeurs folles, l’angoisse face à un prétendu monstre surgi des cieux, des enjeux politiciens ambigus, etc. À la lecture de cet opus, on ne peut s’empêcher de penser au chef-d’œuvre d’Umberto Eco, Le Nom de la rose, tant certains parallèles apparaissent évidents : la présence d’un inquisiteur retors, les relations entre Ardani et son domestique, l’omniprésence d’une religion fanatique dressée contre d’hypothétiques hérétiques… À n’en pas douter, en plus d’être un brillant écrivain, Michel Honaker est également un lecteur assidu, et ces références, loin d’être les stigmates d’un plagiat, sont autant d’hommages rendus à d’illustres prédécesseurs.

    Œuvre dédiée à la jeunesse mais également abordable par les adultes, cette Mortelle Venise est un récit ensorcelant, efficace et rythmé. Pas le moindre temps mort, une intrigue originale, un héros brillant, et la promesse de quelques heures d’une lecture jubilatoire. À découvrir, du même auteur chez la même maison d’édition : Croisière en meurtre majeur, La Sorcière de midi et Trois cartes à abattre.

    08/11/2011 à 16:08

  • La Bible de Darwin

    James Rollins

    7/10 À la fin de la Seconde Guerre mondiale, un nourrisson échappant aux bombardements alliés dans les bras d'une scientifique et dans lequel subsistent de bien étranges espoirs. De nos jours, au Népal, des moines bouddhistes détruits par un mal indescriptible. Un exemplaire d'une Bible ayant appartenu à Charles Darwin mis aux enchères et déclenchant des passions meurtrières. En Afrique, une femme emportée par une créature mystérieuse. Au cœur de ces quatre énigmes, un secret monstrueux que tentaient de s'approprier les nazis et qui semble être sur le point de se concrétiser.

    Deuxième opus de la série consacrée à la Sigma Force après L'Ordre du dragon, La Bible de Darwin se présente comme un film d'action typiquement américain porté sur papier, sans que cette formule soit pour autant péjorative. Arcanes et rebondissements s'enchaînent au gré de chapitres courts et rythmés, l'action ne manque pas, et les scènes trépidantes de combat foisonnent. Du coup, de nombreux personnages peinent à prendre de la profondeur sous la plume de James Rollins, mais cet écueil fait presque partie des désagréments du genre. L'intrigue a été intelligemment pensée et le roman bien bâti, permettant au lecteur de ne jamais s'ennuyer. Au fil des pages, sur de nombreux continents, on explore de multiples domaines, des ténèbres du nazisme avec le mythe du surhomme en passant par l'évolution darwinienne et la physique quantique. James Rollins réussit à habiller son livre très dynamique de notions qu'il vulgarise avec succès, au point de les rendre accessibles alors qu'elles paraissaient pourtant impénétrables pour le commun des mortels. Et si l'ensemble se lit avec avidité, avec comme premier objectif de longues heures de détente, ce livre s'extrait de la masse d'ouvrages traitant de la mystique aryenne grâce à une idée originale et captivante, même si elle demeurera bien trop irréelle aux yeux de nombreux lecteurs, rappelant en cela le final de Genesis de John Case.

    Alerte dans sa forme, atypique dans le fond à quelques reprises, La Bible de Darwin constitue un thriller très détendant. Les amateurs du genre y trouveront certainement leur bonheur tandis que les autres, habituellement hermétiques aux romans fondés sur l'action pure et les complots à l'échelle mondiale, verront s'ouvrir, grâce à cet opus de James Rollins, d'agréables parenthèses de réjouissance.

    02/11/2011 à 18:26

  • Un Tueur à la fenêtre

    Stéphane Daniel

    8/10 Dans une cité anonyme, Max et Lucas, deux amis lycéens, se baladent, quand un coup de feu éclate. Max ne se relèvera pas de la balle qui l’a atteint. Le présumé tueur est retrouvé dans un appartement. Mort lui aussi. Il s’est visiblement suicidé. Mais Max n’y croit pas, et décide de mener sa propre enquête, aux côtés d’une séduisante journaliste. Le jeune homme est alors la proie de menaces de mort…

    Stéphane Daniel livre ici un très bon roman pour adolescents qui séduira également les adultes. Rapidement, le ton est donné. Les phrases sont courtes, les chapitres également, et l’emploi du présent de l’indicatif renforce la fougue et l’immédiateté du récit. Les divers protagonistes sont très bien brossés, des journalistes aux policiers en passant par les adolescents. L’intrigue est serrée, les rebondissements intéressants, et probablement seuls les grands lecteurs relèveront le détail qui permet de deviner, ou du moins de percevoir l’identité de l’assassin. Au-delà du récit, Stéphane Daniel brosse également un portrait saisissant d’une banlieue banale, entre trafics, intimidations et peurs, et où les barres d’immeubles s’y dressent comme d’inquiétants sémaphores. Néanmoins, l’auteur s’écarte de tous les poncifs, et peint une galerie de personnages qui oscillent entre clarté et ténèbres – le fait qu’il soit d’ailleurs enseignant n’est certainement pas étranger à sa connaissance de ce microcosme.

    Au final, Un tueur à la fenêtre constitue un roman à suspense de haute tenue, très bien écrit et saisissant, où l’intrigue est un fil rouge au gré duquel le lecteur sillonnera des lieux bien singuliers. On pourra donc enchaîner avec d’autres écrits de Stéphane Daniel comme Les Visiteurs d’outre-tombe ou Avant qu’il soit trop tard.

    20/10/2011 à 17:18

  • Le contour de toutes les peurs

    Guillaume Guéraud

    8/10 Un livre qui, pour un roman jeunesse, présente de nombreux aspects dérangeants : crudité, violence..., ce qui fait qu'il peut être lu par des adultes. Le style est brut, non dénué de qualité, et l'ensemble se lit en moins d'une heure. Il marque les esprits par certaines scènes ainsi que par un scénario original pour ce type de lectorat. Une belle réussite, mais qu'il ne faut pas mettre entre toutes les mains.

    19/10/2011 à 12:44

  • Dans le grand bain

    Jean-Hugues Oppel

    9/10 Un grand moment de frissons, moins polar que roman à suspense. On ne peut s'empêcher de penser à l'œuvre de Peter Benchley et à l'adaptation cinématographique de Steven Spielberg, « Les dents de la mer ». C'est concis – toute l'action ne dure dans le livre guère plus d'une petite trentaine de minutes, et la plume de Jean-Hugues Oppel est exemplaire, allant à l'essentiel tout en étant poétique. Une intrigue au cordeau pour un classique de la littérature jeunesse.

    17/10/2011 à 17:18

  • La conspiration du harem

    Béatrice Egémar

    7/10 Une intrigue intéressante et bien menée, avec une très riche documentation quant à l'Égypte antique. On s'instruit en lisant ce livre (qui est d'ailleurs joliment illustré et maquetté) tout en passant un agréable moment avec Hori et ses amis.

    17/10/2011 à 17:16

  • Le Maître de Chaource

    Jean-Paul Fosset

    7/10 Au Moyen Âge, un artiste établi à Troyes, surnommé « le Maître de Chaource », est un tailleur de pierre réputé. Néanmoins, d'étranges signes s'amoncellent autour de lui, de sa famille et de ses proches : rumeurs, menaces, puis agressions physiques. À l'origine de ces dangers naissants, un individu appelé Mondé, vêtu comme un homme d'église. Plusieurs siècles plus tard, un homme encapuchonné s'en prend aux œuvres du Maître de Chaource. Le commissaire d'Artagnac et son équipe enquêtent ; ils ignorent encore que les dégradations ne sont pas les seuls méfaits de leur mystérieux agresseur.

    Premier ouvrage de Jean-Paul Fosset à être publié chez Ravet-Anceau, ce Maître de Chaource bénéficie d'une intrigue originale, où art et histoire se mêlent de sang. La langue est belle, très poétique, et ce récit court se lit d'une traite. Les chapitres alternent entre le XVIe siècle, l'époque contemporaine, et les propos de l'artiste, observant les policiers depuis les cieux. Il est d'ailleurs important de noter que le lapicide fut un personnage réel, à propos duquel les informations manquent malgré la qualité de ses œuvres (cf. cet article de Wikipédia). Indéniablement, Jean-Paul Fosset sait donner vie à ses personnages, notamment l'équipe du commissaire, composée de joyeux drilles, des protagonistes épicés et au verbe fleuri que ne renierait pas Fred Vargas. L'intrigue est également intéressante et se laisse lire avec plaisir, le suspense relayant des descriptions très crédibles des lieux et époques évoqués. Au milieu de toutes ces qualités littéraires qui donneront envie de lire d'autres ouvrages de Jean-Paul Fosset, on regrettera cependant quelques passages répétitifs, notamment lors des intimidations contre l'artiste, et une histoire qui aurait peut-être pu s'enrichir de quelques rebondissements.

    Le Maître de Chaource constitue un opus brillant et délicieux qui évite les poncifs du complot religieux. Ici, point de récit à la Dan Brown ou Steve Berry : on demeure dans le crédible, à mille lieues des productions anglo-saxonnes du moment. Malgré, peut-être, quelques menues faiblesses, on ne peut que louer les aptitudes de l'auteur et espérer d'autres écrits de sa part.

    17/10/2011 à 17:15

  • Maison fondée en 1959

    Michaël Mention

    8/10 Luc Lettelier a trente ans et des velléités d'écriture plein l'avenir. En fait, il a déjà rédigé six romans mais les portes de l'édition ne se sont jamais ouvertes à lui. Aussi, quand il reçoit un courrier positif de la part des Éditions Rhésus, il bascule dans le bonheur... avant que son rêve ne s'achève brutalement. Oscar Lernheim, le directeur de cette maison, donne à Luc la mission de réécrire un roman, intitulé La voix secrète. Luc se retrouve empoisonné, et seul l'ordinateur lui pourvoira chaque jour sa dose d'antidote à condition qu'il écrive suffisamment. Mais jusqu'où ira ce cauchemar ?

    Le suspense et la machination proposés par Michaël Mention impressionnent rapidement, au même titre que l’écriture. Tout ici a été étudié, calibré, travaillé à la ligne près. L'histoire se révèle rapidement tendue, plongeant le jeune écrivain dans un rapport de production forcée face au clavier de son ordinateur, avec les rebondissements que l'on pouvait attendre d'une telle intrigue : incompréhension, rébellion, soumission, et tant d'autres changements de situation qui ne feront qu'accentuer la juste paranoïa du protagoniste. L'ensemble, assez court, se lit avec énergie, et tout au long de ce récit prenant, on s'émerveille de la plume de Michaël Mention : audacieuse, humoristique, féroce, celle d'un petit jeune qui ose, là où d'autres écrivains se seraient contentés du strict minimum stylistique. Les réflexions quant au travail d'écriture sont brillantes, et le suspense va crescendo jusqu'aux ultimes pages, incendiaires. Certes, on pouvait espérer un dernier rebondissement qui aurait rendu le complot ourdi contre Luc un peu plus crédible, mais ce livre doit avant tout être considéré comme une fugue littéraire, décomplexée, hors des sentiers battus.

    Voilà un opus qui conjugue la frénésie d'un thriller, semblable au Misery de Stephen King ou au Nuisible de Serge Brussolo, à l'introspection de l'auteur en devenir. Le fait que le livre retravaillé par le personnage soit d'ailleurs La voix secrète, sorti en même temps que ce roman, souligne l'aplomb et l'intelligence de Michaël Mention dont on espère lire prochainement d'autres écrits.

    12/10/2011 à 17:47 1

  • Le châtiment des hommes-tonnerres

    Michel Honaker

    9/10 Le jeune Neil Galore est recruté par l'Agence Pinkerton, un cabinet réputé et officiant sur tout le territoire des États-Unis. Il s'agit d'une agence fédérale, comptant en son sein de fines gâchettes et des enquêteurs hors-pair. Avec trois autres individus de son âge, Neil se voit confier sa première mission : arrêter le Chapardeur, un voleur agissant dans les trains et ayant tué récemment trois policiers de l'agence. Mais l'affaire est bien plus complexe que prévue...

    Michel Honaker est l'un des auteurs de littérature policière les plus lus et respectés de France. Cet ouvrage inaugure une nouvelle série consacrée à l'Agence Pinkerton, et le moins que l'on puisse dire est que cette saga se présente de manière bien excitante. On retrouve la plume aguerrie de l'auteur, et cette capacité incroyable à générer des intrigues et des ambiances palpitantes. Les personnages sont savamment croqués et laissent dans l'ombre d'amples parts de leur être qui ne demandent qu'à être exploitées dans les prochains volumes. Neil entraperçoit les passés des gens grâce aux cartes, un autre peut enflammer les objets, Armando semble avoir des comptes à régler avec l'État américain... Voilà toute une galerie de protagonistes que l'on a déjà hâte de revoir par la suite. L'ambiance western est bien rendue par Michel Honaker, et très visuelle ; on sent que l'auteur est nourri de cette culture cinématographique où s'ébattent des pistoleros dans de vastes étendues sauvages. Par ailleurs, on sent que l'écrivain est un grand lecteur car son opus tend vers des références pour le moins flatteuses : Stephen King, Serge Brussolo, ou encore Alec Covin. L'intrigue bascule rapidement vers le fantastique, et le lecteur plonge avec délice dans un univers où s'affrontent des ogres inquiétants : mythologie amérindienne, fantômes chinois, cavaliers spectraux... Indéniablement, Michel Honaker, en peintre littéraire, a su capter, en un seul roman, l'attention d'un lecteur qui finira ce livre à la fois heureux du périple offert et impatient de chevaucher les suivants aux côtés de Neil Galore.

    Voilà une série destinée à la jeunesse qui s'annonce on ne peut mieux : suspense, personnages solides, ambiance unique, et tout au long de ce premier opus, toute une série de graines semées qui ne demandent qu'à germer dans les futurs ouvrages. Le Châtiment des hommes-tonnerres est assurément un roman très réussi, pour les jeunes comme pour les adultes, et qui s'offre le luxe de proposer une bien agréable distraction tout en revisitant certaines pages bien atroces de l'histoire du continent nord-américain. La suite est déjà sortie : il s’agit du Rituel de l’ogre rouge.

    05/10/2011 à 18:28 2

  • Dernier tour de manège

    Jean-Paul Nozière

    8/10 Dans les parages de Bocagna, entre Bourgogne et Franche-Comté, un déséquilibré mutile des chevaux et agresse leurs propriétaires. Louise Brocoin et Sakun Sen, deux individus récupérant des créances pour des tiers, découvrent ainsi, au cours de l’une de leurs « missions », une femme bâillonnée et sa jument massacrée. Il faudra l’intervention du brave adjudant Patrick Gannori pour y voir un peu plus clair dans cette affaire.

    Jean-Paul Nozière signe ici un très bon roman noir. L’ambiance rurale est parfaitement restituée, les décors vivent sous sa plume, et les multiples personnages qui peuplent ce livre sont d’une belle épaisseur humaine. Jugez plutôt : Louise, femme désirable et gironde, dont la fille a été enlevée par son géniteur ; Sakun dit le Viet, mastard testant les religions les unes après les autres ; Patrick, dont le paternel est un haut gradé de la gendarmerie, qui a des velléités littéraires et qui brûle d’amour pour Louise. Ajoutez à ce trio atypique un gourou spirite et un criminel obsédé par son épouse, les mutilations sur les animaux et les plans singuliers pour atteindre l’immortalité, et vous obtenez une palette très colorée de protagonistes. Le style de Jean-Paul Nozière alterne adroitement les moments de tension et les portraits psychologiques de ses personnages, sans oublier des touches d’un humour salvateur. L’intrigue est également bien conçue, riche et originale, ne s’achevant qu’à l’ultime page, voire à l’ultime ligne.

    Dernier tour de manège est donc un pur régal, jouant sur les codes du roman noir tout en se jouant d’eux. Une réussite supplémentaire à porter au crédit de l’auteur du Silence des morts, Je vais tuer mon papa et Cocktail Molotov.

    02/10/2011 à 18:43

  • Le Portrait du mal

    Graham Masterton

    7/10 Une étrange dynastie s'en prend à des innocents dont on retrouve ensuite les corps, massacrés. Qui sont ces êtres qui semblent en quête d'un secret inavouable ? Et quel est le rapport avec ce tableau en pleine décrépitude ? Vincent Pearson, l'actuel propriétaire de l'œuvre, découvrira la teneur du projet de ces monstres.

    Graham Masterton fait partie de ces très célèbres auteurs d'horreur, au même titre que Stephen King et Dean Koontz. Ce Portrait du Mal est une habile variation sur le thème de l'œuvre maudite et de l'éternité, dont Oscar Wilde, avec son Portrait de Dorian Gray, fut le génial pionnier. D'entrée de jeu, on prend en plein visage le style de l'écrivain, si doué pour générer des frissons au lecteur avec des ambiances glauques et des éruptions de violences sordides. Les personnages ont suffisamment d'épaisseur pour tenir la distance, et Graham Masterton a ménagé des rebondissements, certes attendus, mais bienvenus pour maintenir l'attention. Si le cœur de la machination ourdie par les Gray est assez vite révélée – la description des cadavres ne laisse guère de doute à ce sujet, l'auteur a su imaginer des situations brillantes et atypiques, comme cette course effrénée à travers les tableaux dans les derniers moments, ou encore la condition finale de Vincent Pearson.

    Hommage à l'histoire d'Oscar Wilde dont il se démarque par quelques judicieuses trouvailles, ce roman réserve son lot d'angoisses horrifiques, d'événements macabres et de phénomènes inquiétants pour largement contenter les amateurs du genre.

    21/09/2011 à 12:48 2

  • Natural Enemies

    Julius Horwitz

    8/10 Paul Steward est l’éditeur new-yorkais d’une revue spécialisée dans les articles scientifiques. Trois enfants, une femme, une maison dans le Connecticut, une entreprise qui marche bien. Des signes extérieurs de bonheur. Des leurres. Car aujourd'hui, Paul Steward va se suicider et entraîner dans la mort sa famille. Pourquoi, alors que tout semblait être si prospère pour lui ? C'est ce qu'il explique dans ce récit.

    Second ouvrage de Julius Horwitz à avoir été traduit en français après Journal d'une fille de Harlem, il décrit, à partir de six heures du matin, l'ultime journée de ce citoyen américain si commun. Histoire narrée à la première personne, ce livre est particulièrement original, tant par le sujet que par sa forme. Julius Horwitz brosse, au gré des rencontres du protagoniste, l'existence à la fois si florissante en apparence et pourtant si futile de Paul Steward. Il rencontrera sa secrétaire, un fidèle ami rescapé des camps de concentration, des prostituées, ainsi que son épouse et ses enfants. Au gré de ces dialogues et réflexions, le lecteur touche rapidement du doigt les faux-semblants d'un parcours sentimental, professionnel et psychologique finalement vide, seulement camouflé par les atours de la normalité. Paul Steward n'est pas un homme heureux : son travail ne le comble pas, sa femme, en proie aux dépressions répétitives et profondes, ne lui apporte aucun secours, et il a brisé les ponts sans s'en rendre compte avec sa progéniture. Alors, que lui reste-t-il ? Rien. Julius Horwitz parvient à un véritable tour de force : mettre en relief les absurdités de la vie d'un homme lambda, avec ses joies chimériques, ses impasses amoureuses, ses incongruités existentielles. Le lecteur trouvera probablement des échos de cette destinée erronée dans son propre vécu, ce qui atteste de la puissance narrative de Julius Horwitz : trouver, sous le vernis des conventions et des codes sociaux, ces petites pierres d'achoppement sur lesquelles n'importe qui pourra un jour ou l'autre glisser et tomber bas, très bas.

    Voilà un roman sans effusion de sang ni scène choc. Semblable à une rivière, lente et sinueuse, l'histoire se déploie de manière calme et apaisée, pour aboutir au drame, inéluctable. Il s'agit d'une tragédie moderne, très crédible et marquante, qui interrogera chacun sur sa place dans la société, avec des préceptes forts et bien sentis quant aux relations à autrui, à la famille et au couple.

    11/09/2011 à 12:14

  • Marcq ou crève !

    Philippe Govart

    9/10 Le corps d'une jeune et jolie femme est retrouvé sur un terrain vague. Deux policiers vont être, à la suite l'un de l'autre, sur l'affaire : Schryve, un être détruit du point de vue humain et grand alcoolique, puis Leroy, un jeune loup plein de ressources. Ils ne ressortiront pas indemnes de cette histoire.

    Après Bondues sans confession, voici le second ouvrage de Philippe Govart à sortir chez Ravet-Anceau. En apparence classique, cette enquête criminelle est un pur régal. La plume de l'auteur mérite les plus amples compliments : tour à tour nerveuse, acide, cocasse, déchirante, elle est d'une immense efficacité. Par ailleurs, l'intrigue est un véritable modèle du genre et se décline en trois parties : d'abord Schryve qui va recueillir les premiers éléments et passer juste à côté d'un élément vital, puis Leroy, et enfin les deux enquêteurs ensemble. Le récit ménage de nombreux rebondissements au gré des personnages rencontrés, inquiétants, savoureux ou dissimulant d'amples arpents de vérité. Deux points, au-delà de la mécanique si bien huilée, retiennent l'attention : le rythme et le final. À mesure que le lecteur avale les pages, il aura l'impression que les découvertes d'informations – souvent inattendues – s'accélèreront, et ce jusqu'à la conclusion du livre. Car il y a une fin, et quelle fin ! Une issue imprévisible, à la fois monstrueuse et poignante, qui prend tout autant aux tripes qu'à l'intellect. Un point final qui résonne également comme un impressionnant point d'exclamation.

    Alors qu'il ne s'agit « que » d'un deuxième ouvrage, Marcq ou crève ! proclame sans difficulté le très grand talent de Philippe Govart. Astucieux et retors, implacable et émouvant, ce livre mérite nettement de figurer dans la bibliothèque de tout amateur de polars rugueux. Pour l'anecdote, on notera un élégant clin d'œil à Maxime Gillio et Virginie Valmain puisqu'y apparaît brièvement l'héroïne des Disparus de l'A16.

    11/09/2011 à 12:11

  • La Voix secrète

    Michaël Mention

    8/10 Au milieu des années 1830, le criminel Pierre-François Lacenaire attend son exécution dans son cachot. Il profite du temps qui lui reste pour achever ses mémoires et ainsi envoyer ses ultimes crachats à la face de la société. Dans le même temps, des enfants sont agressés et décapités, et l'on retrouve dans Paris les morceaux de leurs dépouilles. En ces temps politiquement troublés, un policier décide qu'inviter Lacenaire à participer à l'enquête peut être un bon moyen de démasquer le tueur en série, d'autant que ce dernier semble s'inspirer des méfaits de Lacenaire...

    Les Éditions du Fantascope publient deux romans de Michaël Mention à la même date, Maison fondée en 1959 et cette Voix secrète. Dans ce dernier ouvrage, captivant, le lecteur se passionne rapidement pour les deux histoires qui s'enchevêtrent : celle de Pierre-François Lacenaire, assassin honni, qui voue une haine profonde à la société qui l'a vu naître, et celle concernant le mystérieux « Coupeur de têtes ». La langue de l'auteur est admirable, subtil mélange de poésie et d'un naturalisme assourdissant. Les lieux et ambiances sont parfaitement retranscrits, avec cette capitale aux parfums méphitiques, traversée de conflits politiques et fourmillant de mille maux, à tel point que sa population ressemble parfois à une faune. Le roman est bien court – à peine plus de deux cents pages – et se lit à la fois facilement et rapidement. Malgré le caractère subversif de Lacenaire, le lecteur finit presque par ressentir pour lui de la sympathie – ou tout du moins à ne pas l'exécrer comme le laissaient pourtant augurer ses forfaits de sang. Parallèlement, l'enquête policière est brillamment menée, et permet d'explorer une étonnante galerie de personnages, depuis les écorcheurs qui sillonnent la ville jusqu'aux policiers en passant par les autres protagonistes, la plupart issus des couches populaires. Les meurtres se multiplient, les fausses pistes également, et il faut attendre l'avant-dernier chapitre pour comprendre les motivations profondes de ces ruisseaux de sang. Indéniablement, Michaël Mention dispose d'un talent rare de conteur ; en plus d'avoir bâti une intrigue adroite, il sait fixer un physique, un lieu, une atmosphère, avec une économie de mots judicieusement choisis.

    Ce polar historique au climat ténébreux est un véritable régal. À la fois sulfureux et distrayant, bien documenté et fictif, diabolique et réjouissant, il scelle de manière indiscutable l'entrée dans l'univers de la littérature policière d’un auteur de talent qui est reçu... avec mention.

    31/08/2011 à 13:13 7

  • Les ignobles du bordelais

    François Darnaudet

    8/10 Parce qu'un journaliste vient de se faire tuer avec une batte de base-ball et qu'un vieux copain l'appelle à l'aide, Gabriel Lecouvreur – alias le Poulpe – file vers Bordeaux. Sur sa route vers la justice, il va croiser des journalistes mal intentionnés, des royalistes de tous bords, des agents des Renseignements Généraux en butte avec le céphalopode, et bien d'autres périls.

    C'est déjà la deux-cent-soixante-douzième enquête de Gabriel. Le temps passe mais le personnage demeure: le Poulpe est toujours aussi sympathique et continue de régaler le lecteur avec ses investigations menées dans les milieux interlopes d'une humanité tombée bien bas. François Darnaudet-Malvy situe l'intrigue dans une région qu'il connaît bien et maîtrise les rouages d'un suspense très habilement distillé. Les adversaires de Gabriel sont nombreux et retors, et l'histoire se montre plus complexe que prévue. On découvre des politiciens aux desseins écœurants et prêts aux pires coups bas pour parvenir à leur fin : le complot ourdi n'est pas sans évoquer de sinistres réminiscences historiques comme les affaires Dreyfus, Salengro ou Mandel. Si l'action se suit avec plaisir et réserve des rebondissements – dont quelques-uns n'intervenant que dans les ultimes pages –, il faut également noter que la cabale est assez percutante, car bien conçue et dramatiquement crédible. François Darnaudet-Malvy s'est nettement documenté et prouve la plausibilité d’une sombre histoire imaginée par d’infâmes conjurateurs.

    Les ignobles du Bordelais est donc une très bonne cuvée du Poulpe, vraisemblable et prenante, laissant transparaître une nation qui n'en a pas fini avec ses vieux démons antisémites.

    27/08/2011 à 18:47 1

  • Le carré des papillons

    Guy Goutierre

    8/10 Dans les années 1950, un terrible drame secoue le village de Saint-Saulve, situé dans le département du Nord : une fillette est tuée et son corps jeté dans un puits. À l'époque, Jacques Larive, alors enfant, suit la détresse des villageois et leur colère qui les poussera d'ailleurs à lyncher un simple suspect. Il faudra une lettre, une simple lettre, reçue par Larive devenu commissaire de police des décennies plus tard, pour comprendre toute l'histoire.

    Après Une bombe sur la Grand-Place, Guy Goutierre signe son second roman policier chez l'éditeur Ravet-Anceau. Ce qui frappe d'entrée de jeu dans ce récit poignant, c'est sa structure : la première moitié décrit au travers des yeux de Jacques Larive la disparition puis la découverte du corps de la victime, la seconde est une missive apportant l'ultime éclairage quant aux tenants et aboutissants de l'affaire. Ce choix narratif est très ingénieux, en plus d'être singulier, et offre de bien belles pages de pure émotion, puisque Jacques Larive offre un témoignage particulièrement poignant. Guy Goutierre a une plume élégante et touchante, permettant de décrire avec une rare humanité une large palette de sentiments. De cette narration à la première personne, on bascule ensuite dans un exposé des faits formulé par un autre personnage. C'est de cet entrelacs de points de vue que jaillira la vérité, à la fois douloureuse et inattendue. À cet égard, peut-être pourra-t-on regretter qu'il était impossible de deviner le cœur de l'histoire et qu'elle soit révélée de cette manière, mais le talent de Guy Goutierre et la construction atypique de l'intrigue compensent sans mal cette faiblesse, bien subjective.

    Au final, on passe un très agréable moment grâce à ce roman, riche en rebondissements, et surtout déchirant. Une réussite littéraire qui doit tout autant à son aspect policier qu'à la crédibilité de ses protagonistes.

    13/08/2011 à 20:13

  • La Stratégie des ombres

    Jean-Paul Le Denmat

    6/10 Un homme qui tire sur la foule puis se suicide. Un visage ensanglanté découvert dans la forêt. Un mystérieux centre d'expérimentations, peuplé de personnages portant des noms sibyllins. Max Carel, un médecin plutôt couard. Ludovic Le Maoût, un policier amputé d'un pied suite à un accident dont il ne se souvient pas plus que de son enfance. Les routes de Carel et Le Maoût vont se croiser pour plonger vers un secret que certains veulent à tout prix protéger, quitte à sacrifier bien des vies.

    Le lecteur plonge rapidement dans l'ambiance trépidante de ce roman, avec un prologue violent et visuel. Puis les chapitres – nombreux et très courts – s'enchaînent à toute allure. Indéniablement, Jean-Paul Le Denmat dispose d'une plume racée et efficace, qui sait parfaitement retranscrire les scènes d'action. Le roman, malgré sa taille assez conséquente, se lit plutôt rapidement, notamment grâce à cette écriture bouillonnante, et l'on bascule d'un mystère à un autre avec des questions en tête, toujours plus nombreuses à mesure que l'on progresse dans le récit. Qui sont ces tueurs surentraînés ? Quel secret dissimulent-ils ? Que cache ce terrible foyer ?
    Si le style de Jean-Paul Le Denmat emprunte sans conteste à ceux d'illustres pairs comme Jean-Christophe Grangé ou Olivier Descosse, il ne parvient toutefois pas à atteindre le niveau de ces prédécesseurs, notamment en raison d'un double écueil : complexité excessive et vacuité partielle de l'intrigue. Les protagonistes apparaissent souvent très – voire trop – nombreux, parfois sans nécessité, et le lecteur pourra se perdre dans cette galerie de personnages dont certains vont jusqu'à endosser quatre identités différentes que l'on découvre au fur et à mesure. Parallèlement, alors que la structure du récit et sa forme sont particulièrement détonantes – rythmique des chapitres, scènes d'actions très bien chorégraphiées et style impeccable, on ne pourra que regretter que l'intrigue en elle-même soit finalement assez classique. Elle donne lieu à un complot peu innovant, que n'importe quel lecteur aura déjà pu voir ailleurs, avec des rebondissements qui se laissent parfois aisément deviner alors qu'ils auraient dû être de véritables catalyseurs. Du déjà lu, en somme.

    Si le titre du roman est ambitieux et l'élocution de Jean-Paul Le Denmat très réussie, l'intrigue ne convainc pas. Une étincelle d'originalité aurait pu enflammer ce matériau prometteur, mais la détonation n'a jamais lieu. Reste que le livre se laisse lire avec intérêt et permet d'espérer d'autres ouvrages plus réussis, si l'écrivain parvient à se démarquer de ses références littéraires et proposer un scénario plus original.

    07/08/2011 à 17:57

  • Les Doigts rouges

    Marc Villard

    7/10 Un bon petit polar, brodant une intrigue intéressante sur des thèmes habituels de la littérature jeunesse : famille, amitié, enfance, ainsi que fausses apparences. Ça se lit en cinq minutes seulement et ne s'adresse qu'aux plus jeunes lecteurs – la plupart des adultes peuvent donc passer leur chemin – mais ça permet de passer un bon moment en plus de proposer un suspense intéressant à des enfants.

    30/07/2011 à 18:56 2

  • Aladdin et le crime de la bibliothèque

    Corinne Bouchard, Pierre Mezinski

    5/10 Une histoire assez simple et des personnages sympathiques, mais je regrette un ensemble un peu convenu et une intrigue au final banale. Une petite déception en ce qui me concerne.

    30/07/2011 à 18:55