El Marco Modérateur

3237 votes

  • Chaos de famille

    Franz Bartelt

    9/10 Prenez le misérable Plonque, homme las et grotesque. Adjoignez-lui Camina, son épouse, immonde mégère qui lui refuse tout devoir conjugal. Observez que Camina est une Rachot, dynastie de neurasthéniques tous plus dégénérés les uns que les autres. Additionnez la brave Quillard, voisine du couple, également surnommé « Lamoule », pour laquelle Plonque nourrit des désirs charnels forcenés. Pour corser un peu ce cocktail qui n’en avait guère besoin, associez un amant particulièrement vindicatif, un croquemort qui voue une passion dévorante pour les femmes à grosse bouche, quelques enterrements où tout dérape, et vous n’obtiendrez qu’une fraction de l’épais délire qui s’amorce.

    Car, oui, ce roman est délirant. Franz Bartelt n’a pas son pareil pour prendre des personnages complètement barrés, au comportement extravagant, et dont la moindre action ou attitude va engendrer une vague de délicieux désordres. On navigue souvent dans les univers joints de Frédéric Dard pour la gaudriole, de Michel Audiard pour les mots savoureux et colorés, ou encore des Monty Python. Inutile de dire que l’on rigole. Franchement. Que certaines scènes, comme ce penchant mortel du brave Pitaine pour Solange et sa majestueuse et énorme bouche débouchant sur le chaos, ou cet enterrement où les fossoyeurs déclenchent la colère de la famille de la défunte lorsqu’ils écoutent de la musique dans leur voiture, sont mémorables. Il y a des passages si croustillants que l’on ne se lasse pas de les relire. En cela, Franz Bartelt est un illusionniste ; car si l’intrigue en soi est faible, son sens incroyable de la narration rend son roman diablement percutant. L’écrivain, avec sa gouaille et son ironie, rendrait passionnante la lecture du mode d’emploi d’un aspirateur.

    Un pur ouvrage humoristique ? Non, assurément pas. Car, de ces pages si brillamment écrites, suinte dans le même temps une incroyable noirceur. L’existence insipide et ratée de Plonque a beau être narrée sur le ton délassant, elle n’en demeure pas moins misérable. Et pour se convaincre de cette noirceur persistante, les deux derniers chapitres viennent confirmer cet état de fait. Faire rire et distraire avec un tel sujet, voilà une réelle gageure. Au final, Franz Bartelt livre un opus comme il n’en existe que très peu, ou plus exactement, d’une couleur infiniment précieuse : celle du noir qui soulage.

    22/02/2016 à 20:20 2

  • Le sniper

    Stephen Hunter

    9/10 Il ne faut pas plus de quelques jours pour que plusieurs anciens militants pacifistes soient abattus. Rapidement, un suspect est identifié : Carl Hitchcock, un héros de guerre et ancien sniper particulièrement réputé. Mais la piste est trop belle pour être crédible. Nick Memphis, agent du FBI chargé de l’enquête, demande à son ami Bob Lee Swagger de l’aider à mener l’enquête. Tous deux viennent de s’engager sur une piste mortelle.

    Ce roman, issu de la série consacrée à Bob Lee Swagger, est saisissant d’efficacité. Stephen Hunter, à défaut de pouvoir présenter une bibliographie très étoffée, est devenu un auteur singulier et souverain dans le domaine du thriller. Il met de nouveau en scène Bob, ancien tueur d’élite, et déploie toute l’envergure de son talent narratif pour nous conter cette histoire brillantissime. Les personnages sont bien loin des sentiers battus ; par exemple, Bob Lee Swagger n’est pas un ex-soldat froid et calculateur, ou traumatisé par les fantômes de la guerre. C’est un expert, solide et vieillissant, capable d’une solide dose d’humour dans les situations complexes, aussi taciturne que fidèle à l’amitié et aux couleurs du drapeau. Une fois de plus, sa maîtrise de la balistique et son expérience des armes à feu le sauveront de nombreux pièges. On retiendra de multiples scènes de cet opus sombre et prenant, comme le raisonnement cartésien grâce auquel Bob va comprendre qu’un simple tireur n’a pas pu tuer si parfaitement les quatre victimes, les séries d’accrochage stratégiques – où le piège tendu à son adversaire se résume à un simple tertre protégeant du vent, ou encore le duel final qui prend pied en plein Cowboy action shooting.

    Après le survolté Romeo Dog et le très original 47ème samouraï, Stephen Hunter poursuit son œuvre si brillante, avec un héros à mille lieues des clichés du genre. Hommage à ces tireurs de l’ombre comme à leur sens parfois critiqué de l’honneur, ce livre est aussi létal que les balles 168 grains projetés sur les quatre victimes originelles. Pour l’anecdote, il fallait d’ailleurs un sacré flegme pour oser faire de façon si limpide de Jane Fonda une Joan Flanders confondante de vérité et un Ted Tuner particulièrement retors.

    22/02/2016 à 20:17

  • A bout de course !

    Donald Westlake

    7/10 Parker est sur un nouveau coup. Après avoir dû abandonner un casse à cause d’un partenaire portant un micro, voilà que Beckham lui en propose un autre : quatre fourgons vont convoyer une colossale somme d’argent à l’occasion de la fusion de deux banques. Mais un plan aussi alléchant ne peut que présenter des failles, dont certaines ont la taille d’un canyon…

    N’importe quel amateur de littérature policière connaît Donald Westlake. Dans le pire des cas, il n’en a qu’entendu parler. Dans la meilleure des perspectives, il s’est déjà régalé d’au moins un de ses romans. Ici, on retrouve la patte si caractéristique de l’écrivain : une écriture remarquable d’efficacité, avec une forte économie de moyens et de vocabulaire. L’essentiel est retranscrit en mots simples, accessibles, sans la moindre fioriture, et les chapitres défilent à une vitesse effarante. Ce qui est aussi typique de l’auteur, c’est cette manière si personnelle de créer, en quelques coups d’une plume effilée, des protagonistes croustillants et de les nouer ensuite par des relations interpersonnelles qui vont les faire se télescoper au gré du récit. Parker, en cambrioleur froid et professionnel. Beckham, ancien amant de la femme du directeur de la banque et en cheville avec un étrange médecin pour se forger un alibi en béton lors du hold-up. Reversa, une détective bien plus perspicace qu’on ne le pense. Roy Keenan et sa collaboratrice Sandra Loscalzo, deux chasseurs de primes prêts à tout pour retrouver le mouchard qui avait fait capoter le premier casse de Parker. McWhitney, ayant sur le dos ce duo de chasseurs de primes et prêt à tout pour s’en défaire. Elaine Langen, l’épouse du banquier, qui révèle des ressources inattendues pour protéger son ancien compagnon. Avec une rare maîtrise, Donald Westlake va faire se côtoyer tous ces individus et en désintégrer certains, pour notre plus grand bonheur.

    Si l’intrigue, très classique, n’est assurément pas la qualité maîtresse de ce roman, c’est néanmoins un régal que de se plonger dans une œuvre de Donald Westlake. Son imposante bibliographie s’apparente à un grenier où s’accumulent des coffres que l’on ouvre et dont on (re)découvre toujours avec ravissement les contenus.

    22/02/2016 à 20:12 4

  • Détective Conan Tome 3

    Gosho Aoyama

    7/10 Deux enquêtes au programme de ce manga : une histoire d’héritage dans le huis clos d’un navire avec un joli jeu de massacre à la clef, puis un chirurgien recevant des cadeaux bien particuliers de la part d’un bienfaiteur anonyme. De l’humour, du suspense, quelques ficelles plutôt ingénieuses, et, sous le vernis de la dérision, pas mal d’idées particulièrement sombres.

    22/02/2016 à 20:09

  • Ace Attorney Investigations tome 2

    Kenji Kuroda, Kazuo Maekawa

    6/10 Une histoire de braquage qui tourne mal avec une prise d’otage puis un cambriolage dans un musée isolé. Deux récits simples et au dénouement parfois attendu, avec des ficelles un peu épaisses. Cela se laisse lire sans marquer les esprits ni révolutionner le genre.

    22/02/2016 à 20:08

  • Le dernier des templiers

    Arthur Ténor

    5/10 Un roman assez pâlichon à mes yeux. Scènes téléphonées, dialogues convenus, personnages stéréotypés, et une chasse au trésor qui manque singulièrement de panache. Les jeunes lecteurs auxquels s’adresse ce livre seront certainement moins exigeants que je ne l’ai été, mais je dois avoir été déçu par cet ouvrage d’Arthur Ténor dont j’apprécie habituellement les productions.

    22/02/2016 à 20:07

  • Les Complices

    Georges Simenon

    8/10 Une très habile et noire plongée dans l'âme d'un Joseph Lambert détruit par l'accident qu'il a provoqué. Comme d'habitude chez Georges Simenon, une grande économie de moyens pour une profusion de sentiments mêlés et de psychologies écorchées.

    12/02/2016 à 08:55

  • Fragments de vérité

    Pierdomenico Baccalario

    9/10 Dans un futur proche, Maximum City est devenue une mégalopole. La société K-Lab, parfois également appelée « Le Laboratoire », y octroie aux plus offrants d’habiles moyens de détourner la vérité, quand ce n’est pas pour tout bonnement l’étouffer. Une organisation clandestine nommé Typos est la seule à se dresser contre ses supercheries, parfois en risquant la vie de ses membres. Et c’est à propos de l’Ambillie, pays d’Afrique, que pourrait se nouer le prochain affrontement entre K-Lab et Typos.

    Avec cet ouvrage trépidant, Pierdomenico Baccalario réalise un succès. Le postulat de départ – cette dystopie prenant place en une ville dirigée par une entreprise manipulant la vérité officielle – séduit vite, d’autant que l’on trouve comme justiciers de jeunes gens particulièrement motivés. Et quels jeunes gens ! Arlequin, dont la peau se tache quand il détecte des mensonges. Morph, capable de modeler son visage et de prendre l’apparence de n’importe qui. Dusker, le Noir si puissant que de lourds bracelets entravent volontairement ses poignets. Gipsy, insensible à la douleur et capable de pénétrer partout en raison de sa souplesse. D’ailleurs, l’une des grandes forces de l’auteur est de ne pas avoir sombré dans le ridicule avec une telle équipe de mutants, car, à la lecture d’un tel collectif, on n’était guère loin du nanar littéraire.
    Le style est particulièrement enlevé et accrocheur, avec un rythme effréné, des chapitres courts et de l’action prenante. Comme des enfants, on se régale de certaines scènes ainsi que des personnages, croustillants, qui ne sont pas sans rappeler ceux de certains comics comme ceux apparaissant dans Hellboy. Au-delà de l’aspect purement distractif du roman, se posent également de belles réflexions – jamais invasives ou pesantes – quant au libre arbitre, à la liberté d’expression, au droit à l’information et au refus bien légitime des dictatures.

    Il est à noter que la suite, Poison noir, signée Guido Sgardoli, est sortie en France en 2014, et qu’à la lecture d’un ouvrage aussi atypique et efficace que celui-ci, on ne peut qu’avoir envie de se ruer sur ce deuxième tome.

    12/02/2016 à 08:46 1

  • Cargo

    Charles Haquet

    8/10 En secret, Yannis prépare avec quelques amis hackers un virus d’une puissance et d’une intelligence exceptionnelle. Mais l’un des pirates informatiques est agressé et laissé pour mort. Comprenant qu’il est le prochain sur la liste, Yannis et sa compagne Fumi embarquent sur un cargo depuis Le Havre grâce à l’entremise de son oncle. Mais les tueurs ne comptent pas abandonner leur proie aussi facilement. Pendant ce temps, sur une plateforme pétrolière, une secte semble prête à délivrer un message fulgurant au monde entier.

    Charles Haquet signe avec Cargo un roman d’une remarquable efficacité. Le lecteur est happé dès les premières pages, particulièrement angoissantes puisque l’on y suit le comportement assassin d’un étrange gourou. Au fil des chapitres, l’auteur nous propose de vivre aux côtés de personnages complexes et marquants. Yannis, hacktiviste, idéaliste et amoureux éperdu de sa copine d’origine japonaise. Luis et Talya, un couple singulier de tueurs à gages. Mahana, le gourou du groupuscule, à la fois charismatique et effrayant. L’action ne manque pas, et l’on ne perd pas une miette du voyage proposé par l’auteur, avec notamment des scènes particulièrement prenantes dans le porte-containers lorsque survient la tempête. L’ouvrage se clôt avec un double rebondissement inattendu, où Fumi prend une part très importante, achevant le récit, s’il en était encore besoin, sur une brillante idée scénaristique.

    Oscillant entre roman d’aventures, noir et à suspense, ce Cargo constitue un délicieux entremets littéraire.

    12/02/2016 à 08:45

  • Un Crime presque parfait

    Elizabeth Barféty, Pierre Uong

    5/10 Une bande dessinée agréable à lire, mais je n’ai pas été transporté. Les dessins restent à mon goût assez quelconques, et surtout, je trouve les ficelles de l’intrigue un peu faiblardes, avec une résolution – qui devait constituer le feu d’artifice final – sans grand panache.

    12/02/2016 à 08:43

  • Un week-end sans fin

    Claire Gratias

    6/10 Une jolie relecture du film « Un Jour sans fin », faite de manière ouverte et assumée. Une plume sympathique, de bons sentiments sucrés juste ce qu’il faut, pour une histoire à la morale agréable.

    12/02/2016 à 08:42

  • L'Affaire du rideau bleu

    Jean-Blaise Djian, David Etien, Olivier Legrand

    7/10 Une BD enjouée et très agréable à lire, avec des dessins savoureux, des personnages malicieux et un rythme solide. Je reste plus perplexe quant à l’intrigue, un peu légère, mais je ne boude nullement mon plaisir de lecture.

    12/02/2016 à 08:41 2

  • Papa, Maman, mon clone et moi

    Christophe Lambert

    7/10 Un roman particulièrement court (trente-cinq pages bien aérées) pour une intrigue intelligemment bâtie. Une réflexion intéressante pour les jeunes quant à l’existence humaine, le libre arbitre, et les enjeux du clonage.

    12/02/2016 à 08:40

  • Escapade

    Walter Satterthwait

    9/10 Prenez des personnages particulièrement savoureux (une jeune fille nymphomane, des dames accortes, un vieil homme paralytique, son fils qui veut vendre le domaine familial pour en faire un lieu dédié au bien-être ouvrier, un fantôme...). Ajoutez-y la présence d'Arthur Conan Doyle, de Houdini, d'un homme de l'Agence Pinkerton, et d'un magicien qui a juré d'assassiner Houdini. Additionnez-y un meurtre en chambre close (certes vite évacué et facilement résolu). Saupoudrez le tout d'humour et de rebondissements croustillants, et vous obtenez cette perle méconnue et néanmoins particulièrement jouissive.

    23/01/2016 à 08:33

  • La Main droite de Lucifer tome 1

    Naoki Serizawa

    8/10 Un manga très fort, aux graphismes travaillés et à l’histoire prenante. Je serai assurément des prochains épisodes.

    23/01/2016 à 08:27 1

  • Connexions

    Johan Heliot

    7/10 Véra et Théo ainsi que leur père Tom arrivent par avion à Paris afin de retrouver leur mère. Ils ont longtemps pensé qu’elle était morte mais ils se sont rendus compte qu’elle était une hackeuse de génie et sur la piste d’une étrange corporation. Dès leur arrivée, les jumeaux sont séparés et leur père kidnappé. Bientôt, une curieuse relation unit les deux jumeaux : ils semblent être capables de télépathie…

    Après Prédictions, Johann Heliot revient avec ce deuxième opus de la série Enigma. Même s’il est bien évidemment préférable de prendre la saga dans l’ordre, il est possible d’entamer celui-ci sans avoir pris connaissance du précédent livre. Au gré des pages, on découvre tous ces ingrédients qui, bien liés, augurent du plaisir du lecteur : de l’action, du suspense, de l’humour savamment distillé dans les dialogues entre les deux jumeaux, et des rebondissements intéressants. Sans bouleverser ou renouveler le genre – mais était-ce seulement l’objectif de l’écrivain ? –, on prend un grand plaisir à suivre les péripéties de ces jeunes aventuriers en herbe, dans un genre littéraire qui oscille sans cesse entre roman fantastique, policier et d’espionnage. Et si certaines ficelles tiennent parfois de la corde de chanvre, nul doute que le jeune lectorat auquel se destine cet ouvrage ne s’arrêtera pas à ces considérations : Johann Heliot mène son histoire avec une grande limpidité et un plaisir communicatif, d’autant qu’elle s’achève sur une scène qui donne envie de connaître la suite, à savoir Machinations.

    Un écrit de belle tenue, enthousiasmant, que ne gâchent nullement certains poncifs et autres facilités.

    23/01/2016 à 08:25

  • Ne crains pas la Faucheuse

    Alexis Aubenque

    8/10 Gregory Davis vient d'obtenir un poste dans le commissariat de Pacific View, ville balnéaire proche de San Francisco. Son arrivée coïncide avec la découverte du cadavre d’un jeune homme, atrocement mutilé. Dans son enquête, il est secondé par la belle Veronica Bloom. Assez vite, c’est un juge qui devient suspect en raison de la liaison que sa femme entretenait avec le défunt. Journaliste au San Francisco Chronicle, Faye Sheridan tente également de résoudre cet homicide tandis qu’une piste inattendue l’amène à se poser des questions quant à Davis et la mystérieuse disparition de son épouse.

    Alexis Aubenque a déjà séduit un large lectorat avec sa dizaine d’ouvrages policiers. Ce Ne Crains pas la faucheuse charme rapidement par la plume de son auteur, fluide et allant à l’essentiel, ainsi que par la dynamique du texte. Les chapitres, courts et nombreux, s’enchaînent à toute vitesse, et tissent des liens à la fois multiples et complexes entre les divers personnages. Au-delà de l’intrigue principale viennent se greffer des histoires solides et intéressantes qui ajoutent un sel imprévu au roman. Une journaliste énigmatiquement volatilisée, un biker qui serait un tueur à gages, un héritage étrange pour Davis, des sœurs un peu trop belles et entreprenantes pour être honnêtes, un club de détectives anonymes qui se dissimulent sous des pseudonymes sur Internet, etc. Tout au plus, peut-on regretter une certaine vision « carte postale » des protagonistes, tous plus beaux et musclés les uns que les autres, aux noms qui empruntent trop facilement à l’imaginaire cinématographique.

    Alexis Aubenque emmène donc avec un talent consommé son lecteur de la première à la dernière page, d’autant que l’épilogue, fusil à deux coups, détonne par la surprise qu’il provoque autant qu’il donne envie de connaître la suite de cet ouvrage. Un bien bel exemple de livre qui montre que les Français peuvent tailler des croupières aux Américains sur leurs propres terres littéraires.

    23/01/2016 à 08:19

  • Méchant Garçon

    Jack Vance

    6/10 Ronald Wilby aurait pu être un adolescent comme les autres. Mais il a de curieuses relations avec ses contemporains, et est couvé à l’extrême par sa mère. Quand il essaie de flirter avec la jolie Carol, cela tourne au viol, après quoi Ronald l’étouffe pour l’empêcher de tout raconter à ses parents. La mère du tueur l’installe alors dans une cachette de la maison, en attendant que les choses se calment. Mais Ronald finit par s’habituer à cette condition. Aussi, quand sa chère maman décède et que de nouveaux propriétaires emménagent dans le domicile, il y a fort à parier que l’intrus, malgré ses efforts pour rester invisible, va se rappeler au bon souvenir des occupants.

    Datant de 1973, ce roman de Jack Vance étonne dans un premier temps. L’idée de la réclusion au sein de la maison, théoriquement provisoire, est saisissante. L’auteur, avec des mots particulièrement simples et une plume qui allie efficacité et concision, met en place un décor troublant et anxiogène. Ronald, dans son rôle de psychopathe en devenir, est à ce titre singulier. Il lutte contre lui-même pour demeurer très discret, fait de réguliers exercices de gymnastique pour ne pas trop grossir, guette les instants propices pour se ravitailler dans une cuisine qui fut autrefois la sienne, et se plonge dans un univers de fantasy au gré des récits et dessins qui meublent son oisiveté. Ce ver dans le fruit va finir par bondir hors de sa cachette, mû par des pulsions perverses, notamment à l’occasion de la venue d’un couple et de ses trois charmantes filles. Néanmoins, si l’essentiel de la tension est préservé, Jack Vance rate certains coches, comme on manquerait des rendez-vous. L’adolescent meurtrier n’engendre que rarement la peur, ses rares sorties hors de son repaire ne sont pas suffisamment angoissantes, et certains passages, que l’on pouvait espérer tels des points d’orgue de ce roman, laissent un goût d’inachevé. Par exemple, le final est assez plat, alors que le lecteur pouvait légitimement tabler sur un paroxysme de suspense. De même, les saynètes, multiples, décrivant avec force détails ce que mangent les occupants – et même si cela devient l’obsession compréhensible de Ronald – finissent par lasser.

    Un postulat très intéressant et prometteur, mais qui manque souvent de relief, de nervosité ou de noirceur. Cependant, cet ouvrage, honorable quadragénaire, constitue une curiosité dans le domaine de la littérature policière, d’autant que Jack Vance a surtout écrit de la fantasy.

    23/01/2016 à 08:18 1

  • Je suis un sournois

    Peter Duncan

    8/10 Buck Peters a tout pour plaire. Shérif dans une petite bourgade du Tennessee appelée Greenhill, il cumule les qualités : jeune, grand et musclé, il est en plus un fiston exemplaire ainsi que le marguillier de sa paroisse. Oh, certes, cela ne l’empêche nullement de coucher avec la belle Lacey, mais il faut tout de même avoir un minimum de vice, pas vrai ? Et quand on parle du vice, ne voilà-t-il pas que la belle Rita est retrouvée tuée par balle dans le chalet légué par son millionnaire de mari. Quelle poisse ! Une déveine d’autant plus épaisse qu’il ne faudrait pas que son journal intime, celui où elle décrit ses galipettes sentimentales avec la population mâle de Greenhill, tombe entre de mauvaises mains. Mais si ce sont les braves forces policières et catholiques qui s’en emparent, aucune raison de s’en faire, hein ? Non. Ou si peu…

    Peter Duncan est une énigme. Il se murmure que ce pseudonyme serait celui employé par l’écrivain américain B. M. Atkinson Jr, mais rien n’est démontré. Ce qui est en revanche moins une énigme, c’est le parallèle évident à faire entre ce roman et le 1275 âmes de Jim Thompson. Quoique distants de cinq années, on y retrouve de nombreuses similitudes : un patelin américain, des habitants bien sous tous rapports – du moins en apparence, et un flic qui va mettre la pagaille dans ce gentil décor de pastels. Chez Peter Duncan, le ton y est toutefois beaucoup plus comique et moins féroce, avec de nombreuses réparties et formules que l’on relit plusieurs fois tant elles sont hilarantes. Les protagonistes, sous le vernis de la bien-pensance et de la religiosité, sont d’incorrigibles pécheurs. Un maire plein aux as qui paie de jeunes femmes pour assouvir ses fantasmes, en l’occurrence les héler avec un appeau à canards et les obliger à se trémousser en faisant les cris du palmipède. Un médecin qui en veut à Rita car elle l’a habilement dépossédé de cinq mille dollars et l’a obligé à rentrer chez lui seulement habillé d’un drap. Lacey et Pert, deux sœurs au tempérament de feu et aux courbes dantesques, à carboniser un bataillon de congélateurs. Un shérif-adjoint dénué de scrupules, qui va user de la possession du fameux carnet intime pour faire chanter la bonne société, quitte à outrepasser ses prérogatives. Et un inénarrable Buck, à la fois si pieux, puisqu’il en vient à prier Dieu en urgence lorsqu’il hésite sur la conduite à tenir et voit son Seigneur subitement lui répondre, et si fautif, quitte à coucher avec la sœur de sa maîtresse histoire de lui faire garder le silence, qu’il en devient jouissif.

    Moins noir et féroce que 1275 âmes, ce Je suis un sournois n’en demeure pas moins sévèrement acide et drolatique. Une radiographie particulièrement cruelle et jubilatoire d’une communauté lambda, si réjouissante que la résolution de l’énigme, à savoir qui a tué Rita, passe volontiers au second plan.

    04/01/2016 à 18:27 4

  • Piégés

    Anne Fakhouri

    8/10 Darius et Samuel continuent de former un duo étonnant. Ils sont capables de rentrer en contact avec les « Ex », ces « ex-vivants » qui ont encore un compte à régler avec les vivants. Leur amie commune Joanna leur envoie un message crypté depuis un internat isolé de la Suisse tel un appel à l’aide. Sur place, ils vont se rendre compte que leur don si particulier va à la fois leur être utile et se montrer très convoité.

    Anne Fakhouri revient avec les personnages et l’intrigue qui avaient tant charmé lors du premier opus, Hantés. Le style est toujours aussi convaincant, nerveux et explosif, faisant la part belle au mystère et à l’occulte. On s’éloigne encore un peu du registre policier pour aborder les rivages de l’ésotérisme, rappelant en cela certains films comme Sixième sens. Les talents paranormaux des deux adolescents vont être mis à rude épreuve, sachant que les collaborations ou confrontations avec les fantômes leur occasionnent à chaque fois de douloureuses violences. Il sera ici question d’une pension où règne un règlement martial et de la spoliation des biens des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. L’intrigue demeure riche et prenante, sans temps mort, et les scènes faisant appel au spiritisme regorgent, notamment vers la fin de l’ouvrage où l’on assiste à un véritable feu d’artifice surnaturel.

    Voilà donc un roman saisissant et alerte, habile prolongement du précédent livre, où les ressorts parapsychiques abondent jusqu’à l’étourdissement.

    04/01/2016 à 18:23