3526 votes
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Dans la peau de Sam
6/10 … ou comment Charlie, une adolescente très populaire dans son collège, et Sam, looser intégral toujours mal attifé, en viennent, à cause d’une machine exploitée dans un parc d’attraction, à échanger leurs corps. J’ai déjà lu un roman de Camille Brissot que j’avais bien aimé (« Le Manoir aux secrets »), et j’ai voulu tenter l’aventure d’un autre de ses ouvrages, dans un genre bien différent. Ici, les jeunes auxquels se destine celui-ci ne seront pas dépaysés : des personnages qui leur parleront, des situations sympathiques, et des moments plutôt bien sentis. Bien évidemment, nous avons droit à une juste morale et des observations pleines de probité sur les relations à autrui, l’empathie, le rejet des critiques sur le physique ou les vêtements, ainsi que sur les nécessaires relations cordiales dans une famille. A ce niveau, c’est indéniable, ça sonne bien, les effets ne sont pas correctement amenés, et l’on ne peut que recommander une telle lecture à des gamins, genre collégiens. Après, pour ma part, j’ai été un peu déçu par la forme : pas beaucoup de moments inattendus, d’autres très voire trop téléphonés, pas d’instants mémorables, et une « bien-pensance » (j’utilise ces guillemets à dessein, parce que le respect et l’humanité sont des valeurs impérieuses) qui est parfois étalée à la truelle plutôt que finement, ce qui a parfois desservi le récit et les conséquences/conclusions/vertus attendues. Bref, un fond que nul ne pourra véritablement contester tant il est important et porteur de cohésion dans la société et les établissements publics, mais une forme à propos de laquelle je suis bien plus dubitatif, sans surprise et sans réelle saveur.
24/03/2019 à 11:33 1
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Comment j'ai rencontré mon monstre
6/10 … ou les déboires de Noah – dit « Ben » – Benstock, harcelé dans ses nuits par des visions de monstres qui l’assasillent tandis que le jour, il est devenu la proie d’Harlan, une petite frappe qui lui chipe régulièrement sa nourriture. Et quand Ben fait la connaissance de Monroe avec lequel il devient vite ami, on se doute, avec R. L. Stine, que ça va déraper dans le fantastique : bingo, puisque Ben commence à soupçonner Monroe d’être un monstre. Toujours cette rythmique typique de l’écrivain, avec des chapitres courts, des cliffhangers en fin de chapitres (aboutissant souvent à une farce ou une erreur d’appréciation du héros, ce qui est parfois fatiguant, parce qu’une ou deux fois, ça passe, mais trop réitéré, ça tourne à l’ennui en plus de devenir finalement contreproductif car le suspense n’opère plus), et des personnages archétypes auxquels le jeune lectorat saura immédiatement s’identifier. J’ai trouvé l’écriture de R. L. Stine plus « mûre » que d’habitude, plus dense (non pas qu’il en soit incapable, mais il m’a semblé que son style s’adresse ici à des lecteurs un poil plus âgés), avec son lot de gentils frissons qui sauront imprégner la mèche. Pour ce qui est de l’histoire, on est en terrain connu : des monstres, des retournements de situation, des fausses pistes, et la révélation finale, que j’ai vue venir (le coup de l’anagramme était trop visible et téléphoné à mes yeux). Bref, on est dans du Stine pur jus, classique mais efficace pour celles et ceux qui ont apprécié ses précédents ouvrages, et même si cet opus ne remporte pas la palme de l’originalité ou de l’efficacité, il n’en constitue pas moins un bon moment de lecture, relaxant et distrayant.
24/03/2019 à 11:32 1
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Morts en coulisses
7/10 Caroline Enright, chroniqueuse à la télévision pour Key To America, doit se rendre dans le Massachussetts pour couvrir un festival de théâtre. Pour elle, ça sera peut-être l’occasion de renouer avec sa belle-fille, Meg, actrice, engagée pour les besoins de la pièce Devil in the Details. Mais plusieurs événements sur place saisissent d’effroi la population : deux étudiants qui décèdent dans un soi-disant accident de la route, une bibliothécaire assassinée avec un coupe-papier, et Belinda Winthrop, comédienne de renom, qui est enlevée. Caroline parviendra-t-elle à tirer au clair toute cette histoire ?
Mary Jane Clark, ex belle-fille de Mary Higgins Clark et ex belle-sœur de Carol Higgins Clark, ne saurait se résumer à ces liens de parenté par alliance. Elle jouit d’un succès indéniable et d’une bibliographie déjà conséquente. Avec cet opus, elle démontre d’ailleurs que son talent est réel, et non un simple effet de patronymie. Son écriture est sèche, très sage, au point que les psychologies des personnages sont très souvent survolées, se résumant à quelques éclats de personnalité peu fouillés. Néanmoins, ce qui retient davantage l’attention, c’est le dynamisme du roman : les quelque quatre-cents pages de l’édition poche sont découpées en cent-quarante chapitres, donc singulièrement courts et enlevés. Les rebondissements sont nombreux, les alternances de points de vue renforcent cette vélocité, et l’on ne voit guère le temps ou les pages défiler. Les pistes sont multiples, nourries par des protagonistes abondants et correspondant à autant de suspects potentiels : un régisseur consommateur de marijuana au comportement étrange, une scénariste dont le conjoint est mort deux ans plus tôt dans un accident de voiture, un peintre arnaqueur, un metteur en scène furibond que sa comédienne fétiche refuse de jouer dans l’éventuelle adaptation cinématographique de la pièce de théâtre, etc. Mary Jane Clark joue de cette pluralité des fausses pistes, étalant avec un art consommé des ressorts policiers comme on dévoilerait un jeu de cartes avant de livrer la résolution de l’intrigue, dans un dénouement certes peu sidérant ni mémorable, mais bien amené et très crédible.
Un roman à suspense bien calibré et sans la moindre aspérité, classique dans le fond mais efficace et rondement mené, permettant de passer un très agréable moment de lecture.17/03/2019 à 14:25 3
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Alan Lambin et l'esprit qui pleurait
7/10 Moi qui ne suis guère fan des histoires de fantômes, je me suis lancé dans la lecture de cette longue nouvelle (environ 100 pages) un peu à reculons, je l’avoue, mais j’avais apprécié ma précédente lecture de cet auteur, « Alan Lambin et le fantôme au crayon », et surtout, j’aime ouvrir le champ de mes lectures et les varier. Et j’ai vraiment été séduit par ce récit. C’est bien écrit, attachant, et j’ai retrouvé Alan Lambin et ses techniques (avec ses lectures des lieux dits « hantés » et ses appareils parfois très rudimentaires) avec plaisir. Ici, le décor est rapidement planté, avec cette gamine, Rose, venant harceler un autre enfant, Brice. Le reste de l’intrigue est habilement mené, sans pour autant réinventer ou bouleverser les codes du genre, et une fois la lecture entamée, je dois avouer que je me suis laissé prendre jusqu’au final. Même si je regrette quelques clichés, indéniablement, il y a de l’esprit dans cette histoire, et c’est tout à l’honneur de l’auteur et de l’éditeur que de nous l’offrir.
16/03/2019 à 17:52 3
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Mercredi mensonge
7/10 … ou comment une gentille petite famille en vient à mentir, par amour, à leur grand-père. Isabelle et ses parents, Vivien et Marine, tous deux enseignants, habitent à Deuil-la-Barre, dans le Val-d’Oise, et reçoivent chaque mercredi midi Papy Constant, pour un rapide déjeuner, un petit café et une écoute de musique classique. Mais quand Vivien apprend la possibilité d’un travail dans une université à Lyon, avec la perspective d’un meilleur travail, un salaire plus important, et un appartement plus grand (d’autant que Marine est enceinte), il ne résiste pas à la tentation. Pour ne pas choquer Constant dans son rituel et ne pas devoir l’obliger à quitter son domicile dans lequel il habite depuis si longtemps pour les suivre, la famille décide de louer leur appartement à un brave couple, les Gray, avec comme demande de pouvoir recevoir chaque mercredi midi Papy Constant comme s’ils habitaient encore là. Une bien gentille idée, articulée autour de l’amour filial, que celle-ci, signée par Christian Grenier. Une écriture simple et pertinente, de jolis mots employés, et des personnages suffisamment croustillants et denses pour retenir l’attention. Papy Constant, avec son physique endolori de nonagénaire, est bien sympathique lorsqu’il évoque ses folles années de souffleur de théâtre, sa passion pour cet art, et sa passion pour sa femme, décédée depuis. Isabelle est également agréable, s’adaptant lentement à ce plaisant mensonge tendu à son grand-père, d’autant que de nombreux événements vont venir mettre à mal sa ténacité et risquer de dévoiler la supercherie. L’auteur a imaginé une jolie histoire, aimable en diable, et dont les dernières pages viennent apporter un sens nouveau au titre « Mercredi mensonge », avec quelques passages fort émouvants. J’ai été en revanche moins séduit par l’inclination naissante entre Isabelle et Jonathan, un peu plus attendue et classique, tant dans le fond que dans la forme. Demeure néanmoins un bel ouvrage, souvent poignant, facile d’accès et aisément lisible, directement à la portée des jeunes lecteurs, comme un pot de confiture serait sur une étagère située à hauteur raisonnable.
16/03/2019 à 17:49 3
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Kamo : L'Agence Babel
8/10 … ou comment le jeune Kamo, ayant récolté un trois sur vingt en anglais, en vient à correspondre avec une Anglaise, Cathy, ce qui est le début d’une inclination et d’un étrange mystère. Je découvre – honte à moi – Daniel Pennac et sa série Kamo avec cet ouvrage, et j’ai beaucoup aimé. C’est vif, habilement écrit, pétillant et bourré d’humour (rien que la façon dont Kamo a choisi cette correspondante parmi les autres possibles, ou encore les clins d’œil à d’autres auteurs comme Patrick Raynal ou Jean-Bernard Pouy…), avec des répliques au cordeau et un suspense intéressant. La lente passion, croissante, de Kamo pour celle avec qui il échange de manière épistolaire est un régal de délicatesse, au même titre que la manière dont apparaît l’idée que Cathy n’est pas de ce siècle, l’énigme autour de ce demi-frère Hindley et des mauvais traitements infligés à « H », etc. Et le dénouement est également très réussi, à la fois crédible, à la hauteur du jeune lectorat auquel se destine ce livre (et cette série). Pour moi, une très agréable découverte, attachante de bout en bout, et je tâcherai sûrement de trouver d’autres ouvrages de cet auteur.
16/03/2019 à 17:48 3
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Sombres résurgences
9/10 Paul Grassi vient de craquer, littéralement. Ce policier, mari et père de deux grands garçons, quitte son foyer avec son arme de service et sa carte de réquisition sans raison apparente, direction Bousbecque. Il achète une maison inoccupée depuis fort longtemps afin de s’octroyer un peu de calme et réfléchir à sa propre existence. Mais une disparition inquiétante, datant de trente ans, continue de hanter la demeure : Marceline Sourdeval s’est évanouie dans la nature. Un terrible secret entoure encore ce mystère.
Jean-Bernard Leblanc livre ici un roman à mi-chemin entre le noir et le thriller. Un bébé de quatre cents pages, dense, sombre, et d’une incroyable attractivité. Dès les premières pages, le ton est donné : un tueur en série qui récupère le placenta de ses victimes, et le policier qui revoit en flashback un fœtus laissé dans la cuvette de toilettes. L’auteur, lui-même policier, s’est probablement nourri de son expérience pour ériger ce récit dur, saturé de ténèbres, même s’il reconnaît volontiers quelques inspirations plus littéraires comme celles de Fabio M. Mitchelli, Stéphane Bourgoin ou John E. Douglas et Mark Olshaker avec leur illustre Mindhunter. L’histoire impressionne d’entrée de jeu, le souffle rauque ne s’apaise à aucun moment, et l’on achève cet opus époumoné et les tripes suintantes. De nombreux personnages viennent se placer sur l’échiquier : un paysan qui aimerait bien racheter la bicoque maudite, le frère de la disparue – un vieux monsieur prêt à tous les sacrifices pour comprendre ce qui est arrivé à sa sœur, un détective privé tenace, un médecin qui a quitté la scène un peu trop rapidement… C’est également le portrait de Grassi, flic usé jusqu’à la rupture, intoxiqué par la cruauté de son métier, et ayant abandonné le domicile familial en laissant son épouse Eva et ses deux enfants, Cyril et Antoine, sans la moindre explication, lui qui était capable de féroces coups de sang et de mauvais traitements. Un personnage sombre, décrit avec beaucoup de brio et de finesse par Jean-Bernard Leblanc, sans jamais tomber dans les poncifs du genre. Et ce roman permet aussi de croiser la route d’un atroce serial killer en la personne de William Rousse, meurtri par un physique épouvantable, et que le destin a poussé sur les chemins de la dépravation et de la barbarie, parce qu’il cherchait à établir un moyen médical de déclencher chez ses semblables un désir charnel que son allure ne lui a jamais permis.
Un ouvrage singulier, à la trame pourtant classique de prime abord, mais qui sait porter des mots particulièrement justes sur des maux inavouables. Une écriture racée, ahurissante de noirceur, dont certains passages ne sont pas sans rappeler le célébrissime Dragon rouge de Thomas Harris, sans pour autant y perdre son âme ou sa saveur si personnelle. Et quand, en plus, un bijou de cette qualité émane, en toute discrétion, d’un éditeur modeste – sans que cette formulation ne soit péjorative, on ne peut que chercher à apporter un éclairage supplémentaire et amplement mérité à l’un comme à l’autre.11/03/2019 à 16:51 3
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Mauvaise main
9/10 Éric et Elise n’ont plus le choix. La jeune femme est bientôt au terme de sa grossesse, son compagnon n’a plus d’emploi. La misère, à l’état pur. Éric rejoint alors sa famille, dans les Vosges. Ils y tiennent une scierie. La dernière fois qu’il y est venu, Éric a perdu sa main sous la morsure de l’immense scie circulaire. Mais en tentant de retrouver un peu de calme, voire gagner un arpent d’un paradis éphémère, le jeune couple vient de poser les pieds en enfer.
Prix du Quai des Orfèvres en 2010 avec Au Pays des ombres, Gilbert Gallerne signait ce texte en 2014 sous le titre Liés par le sang. Un texte féroce, sauvage, saturé de cruautés, de spectres et d’ombres. La famille Broux que rejoignent Éric et Elise tient plus de la horde que du rassemblement d’êtres humains. Eléonore, la grand-mère, la matriarche, qui semble régner sur le domaine. Michel, le deuxième frère, et surtout Léo, l’aîné, une brute épaisse qui ne connaît que la violence et les intimidations. Les autres femmes, qu’elles soient adultes ou adolescentes, n’ont aucun mot à dire. Elles demeurent soumises, obéissantes aux desiderata du maître des lieux, même lorsqu’il s’agit de sexe. Au centre de ce maelstrom, notre jeune couple tente de survivre, de mettre un peu d’argent de côté avant de repartir plus sereinement dans la vie, et surtout de rester à l’écart des querelles, des gestes déplacés, des trafics ourdis par Léo. La langue est immédiate, presque brutale, à l’image des paysages dépeints en quelques mots, des attitudes et comportements croqués avec justesse. Les chapitres sont courts, parfois extrêmement véloces, ne dépassant guère les deux ou trois pages. Au-delà du présent déjà surchargé de dangers et de non-dits, Gilbert Gallerne fait ressurgir les fantômes du passé, avec la disparition du père de famille, l’épisode traumatisant de la scie happeuse de main, ou les circonstances de la naissance d’Éric. On achève ce livre tendu, essoufflé, désarçonné par les dernières volées de mitraille qui viennent clore ce récit sur un ultime point d’exclamation.
A mi-chemin entre les univers de Georges Simenon et de Pierre Pelot, voilà un ouvrage singulier, aussi concis que brûlant. Une merveille de roman noir, injustement méconnue, sombre à l’envi.11/03/2019 à 16:45 5
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Les derniers jours de Newgate
9/10 Pyke figure parmi les Bow Street Runners, les hommes chargés de faire respecter le calme et la loi dans le Londres de 1829, avant la création d’une police officielle. Parce qu’on vient de le mettre sur une enquête portant sur un éventuel détournement de fonds, Pyke découvre une véritable horreur : un couple ligoté et égorgé, tandis que le cadavre d’un bébé à qui on a écrasé la tête repose dans un seau d’urine. Quoique profondément choqué, il va mener son investigation, devant alors côtoyer de sinistres personnages tandis qu’un piège létal se referme sur lui.
Ce premier opus d’une série consacrée à Pyke, et signé Andrew Pepper, est un véritable enchantement. Les premières pages sont symptomatiques du reste du roman : l’écriture est magnifique, toujours tapissée de noirceur, incluant des passages particulièrement sinistres quant aux descriptions de Londres et de Belfast, donnant davantage à voir les quartiers insalubres, les actes bestiaux de prostitution et les maladies endémiques que les beaux arrondissements huppés. L’action est également bien présente, avec des combats au corps-à-corps bien écrits, et d’autres saynètes particulièrement savoureuses et épiques (le combat contre l’ours, la mort du père d’Emily, la découverte du carnage dans l’appartement, etc.). Andrew Pepper soigne également ses personnages, et si nous devions n’en retenir qu’un seul, ça serait bien évidemment Pyke : rarement un protagoniste n’aura été aussi nuancé. Il peut sembler héroïque et altruiste dans certains de ses actes, mais son charme ravageur est proportionnel à la bestialité qui sommeille en lui et ne demande qu’à se libérer. Il est ainsi capable de profonds et sincères sentiments amoureux, ce qui ne l’empêchera pas, quasiment dans le même temps, de massacrer à coups de poings quelqu’un qui se met simplement sur son passage ou d’étouffer dans ses bras un chien pour éviter que ce dernier ne signale leur présence à des ennemis. Un être fort, que l’on a déjà envie de retrouver dans d’autres ouvrages, même si ceux-ci ne sont pas (encore ?) traduits en France. Quant à l’intrigue, elle est aussi riche, dense et complexe, avec une habile interconnexion entre cabales politiques, rivalités religieuses, ignobles secrets de famille et manipulations singulières.
Un polar historique de très haute tenue, définitivement marquant, où la plume sombre d’Andrew Pepper permet de mettre en lumière un personnage central singulier, aussi enivrant que les obscurantismes et autres complots auxquels il va se retrouver mêlé.11/03/2019 à 16:40 2
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Jack et le mystère des rubis
8/10 Désormais conscient de ses pouvoirs magiques (dont la capacité d’étinceler), Jack Buckles n’est cependant pas à l’apogée de ses capacités. Alors que son père est dans le coma, voilà qu’on l’accuse du vol d’une pierre précieuse ! Avec Gwen Kincaid, il doit désormais prouver son innocence et affronter un ennemi terriblement dangereux.
Après Jack et le bureau secret, voici donc le deuxième tome consacré à la Section 13. Comme dans le précédent opus, James R. Hannibal ne manque vraiment pas d’imagination : il est rare de voir des ouvrages aussi toniques et ébouriffants. Les chapitres s’enchaînent à toute allure, sans le moindre temps mort, au gré d’événements riches en émotions. On retrouve l’univers de l’auteur, quelque part entre celui d’Arthur Conan Doyle et de J. K. Rowling, avec un soupçon de cinématographie digne des meilleurs épisodes d’Indiana Jones. Même si l’aspect policier semble diminuer au profit de la magie et du merveilleux, les amateurs de ces mondes littéraires devraient être satisfaits. Au programme : des pierres précieuses détentrices d’un fabuleux pouvoir, un adversaire retors et mortel en la personne de Tanner (presque plus inquiétant que l’Horloger de Jack et le bureau secret, beaucoup d’occultisme à destination des jeunes lecteurs auxquels ce livre s’adresse, des animaux effrayants (dont des araignées et des serpents), de multiples références à Gengis Khan, et de l’action à revendre. Indéniablement, James R. Hannibal a sorti le grand jeu – pour ne pas dire l’artillerie fantastique lourde – pour séduire, et l’on ne s’en plaindra pas.
Un très bon moment d’une lecture distractive et frénétique, qui s’achève sur quelques éléments en suspens, à propos desquels on obtiendra probablement des réponses dans le troisième tome, Jack et la conspiration du dragon, paru le 6 mars chez Flammarion jeunesse.11/03/2019 à 16:34 1
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Associés contre le crime
7/10 … ou comment Tommy et Tuppence Beresford, pour tromper l’ennui de madame et pour répondre à la demande de Mr Carter, en viennent à prendre la place de détectives dans une agence et ainsi résoudre des enquêtes. Au programme, neuf nouvelles (« Une Fée dans l’appartement », « Une Tasse de thé », « L’Affaire de la perle rose », « Le sinistre inconnu », « Impasse au roi », « L’Homme habillé de journaux », « L’Affaire de la femme disparue », « Colin-maillard », et « L’Homme dans la brume ») dont la première est avant tout introductive et ne présente aucune intrigue. Je dois reconnaître deux choses : j’ai lu pas mal d’ouvrages d’Agatha Christie quand j’étais minot, mais je n’ai pas assez de souvenirs d’eux pour rédiger des commentaires décents à leur égard. Second point : je suis assez indifférent à l’univers de l’écrivaine, même si je ne peux que reconnaître l’immense qualité de ses intrigues ainsi que leur popularité, mais voilà les whodunits à l’ancienne me laissent plutôt froid. Aussi ai-je retenté l’aventure avec ce recueil, et j’ai apprécié. Un style simple, avec beaucoup d’humour et d’ironie (surtout quand Agatha Christie pastiche son Hercule Poirot en évoquant à plusieurs reprises la référence aux « petites cellules grises »), et des répliques cocasses entre les deux membres de notre duo de limiers. Quelques-unes de ces histoires vont me marquer, comme « Colin-maillard » et un jeu fatal et très cinématographique imposé à Tommy, « Une Tasse de thé » et son cas de disparition où le lecteur est habilement berné, « L’Affaire de la dame disparue » avec une résolution inattendue de la disparition de Mrs Leigh Gordon, ou « L’Homme dans la brume » avec un cas simplifié de meurtre en chambre close. L’ensemble est efficace, bien tourné, très agréable à lire, et si tous les récits ne s’équivalent pas en termes de qualité (c’est très souvent le cas des spicilèges), dans sa globalité, j’ai passé un charmant moment de lecture, à la fois distractive et réflexive. Mais mon bémol principal, que l’on ne peut guère reprocher à Agatha Christie, ce sont ces nombreux clins d’œil et références à des enquêteurs de l’époque, dont la très grande majorité (sauf Sherlock Holmes et son fidèle Watson, bien évidemment) m’est inconnu. Du coup, j’ai perdu une partie de la saveur de ces reports, voire hommages. Mais je vais tâcher de retrouver ces noms de limiers et/ou leurs auteurs et essayer de me prendre certaines de leurs œuvres (je suis par exemple curieux de faire la connaissance de ce détective aveugle, Thornley Colton, si ses enquêtes sont disponibles en français).
10/03/2019 à 18:17 4
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Douée pour le silence
7/10 … ou la touchante autobiographie de l’écrivaine Sarah Cohen-Scali, à travers les diverses étapes de sa vie. En vrac, et presque dans l’ordre chronologique : sa naissance alors que ses parents attendaient – voire espéraient – un garçon, son eczéma, son physique curieux (avec son gros derrière et son allure longiligne), sa rencontre avec un exhibitionniste, l’antisémitisme, le concon familial qui l’emprisonne, paradoxalement, dans une prison dont elle ne parvient pas à s’extraire, ses rencontres déterminantes avec des professeurs et son inclination pour le théâtre, l’expérience assez brève de la scène, ses diverses amours, quelques penchants racistes de sa famille, ses brillantes études, et quelques autres fragments de mémoire. Le fil rouge : ce mutisme qui l’a paralysée tout au long de sa vie, en raison de son éducation, de sa nature, des circonstances, d’où ce « cadenas » autour de ses lèvres qu’elle va lentement briser, notamment grâce au théâtre et à son émancipation (belle métaphore que celle du « quatrième mur »). Des mots vraiment jolis, habilement choisis, qui sonnent de manière très juste, avec honnêteté, sans jamais tirer la couverture à soi, aux termes desquels nous obtenons une belle tranche de vie, ponctuée de nombreux épisodes croustillants, poignants, drôles ou susceptibles de déclencher l’empathie chez le lecteur. Rien de très novateur dans l’exercice dans la forme (même si, encore une fois, tout y est joliment écrit) ni dans le fond (c’est une existence intéressante, qui va « nous parler », mais sans pour autant nous décrocher la mâchoire), mais qui se laisse lire avec un plaisir intégral de la première à la dernière page.
10/03/2019 à 18:14 2
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Le Secret de Phèdre
8/10 … ou les sentiments tempétueux de Phèdre qui vont conduire à leur perte elle-même ainsi que son beau-fils, Hippolyte. Comme dans de nombreuses tragédies et autres fragments de la mythologie grecque, il y est question d’amour, de haine, de vengeance, de duperie, le tout au gré d’un fil rouge qui, inévitablement, va conduire quelques-uns des protagonistes à la mort ou à la déchéance. Ici, la plume de Valérie Sigward épouse bien la densité humaine de ce drame, à travers le regard encore enfantin et à la première personne de Démophon, l’un des deux fils que Phèdre a eus avec Thésée. Si, par moments, le style se fait un peu trop ampoulé à mon goût, il n’en demeure pas moins approprié, élégant, et embrassant avec intelligence ce genre littéraire. Il y a des passages particulièrement exquis, dans des catégories différentes, comme le court chapitre 13 avec l’intervention du monstre marin, et surtout, en peu de mots, la révélation du comportement de Phèdre dans le chapitre 15, avec ce rêve vécu en commun par Thésée et Démophon. Une intrigue forte, un peu plus éloignée du merveilleux que dans d’autres légendes antiques, prenant appui sur des attitudes, des passions et des comportements typiquement humains, où se mêlent puis se fracassent les inclinations du cœur, avec cette conspiration poignante et meurtrière ourdie par quelqu’un qui, finalement, n’aura été coupable que d’amours interdites et éconduites.
10/03/2019 à 18:13 2
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Terminus : Grand large
6/10 … ou comment deux jeunes amies et voisines, Flora et Aurélie, se mettent en chasse d’une inconnue dont il ne dispose que du portrait disposé dans un médaillon découvert dans la rue en même temps qu’elles tentent de faire le lien avec un inconnu qui semble attendre quelqu’un en bas de chez elles. Une belle écriture, subtile, à hauteur des enfants auxquels se prédestine cet ouvrage, ainsi que des passages en italique faisant intervenir d’autres personnages, le temps de quelques paragraphes, pour entretenir le mystère (même s’il ne s’agit ici nullement d’un roman policier) et dynamiser le récit. Pas mal de suspense quant à l’identité de cette mystérieuse femme, quelques rebondissements (comme lorsque Flora entraperçoit la fameuse inconnue dans une rame de métro avec un enfant allongé sur elle à la fin du sixième chapitre), et d’autres passages fort sympathiques (la conversation avec le chauffeur de bus). Et quand la fin est tombée, avec la résolution tant attendue, je dois avouer que j’ai été déçu, presque spolié d’une explication, puisque cela n’aboutit pas à grand-chose. J’aurais admis n’importe quelle solution, même faiblarde, du moment que cette réponse répondait à la question qui constitue le fil rouge de cet opus. Immense déconvenue. Mais il y a la suite : avec des mots intelligents, adroits, Hélène Montardre déstabilise, propose une relecture, moins du livre que du raisonnement qu’elle tient quant à l’énigme, et offre au passage une jolie pirouette concernant le rôle des écrivains en général et de l’imagination des enfants en particulier. Je ne suis pas persuadé que ce choix satisfera les gamins (lecture proclamée dès 10 ans), moi-même demeure assez mitigé, mais l’exercice présente au moins l’intérêt d’être intéressant, joliment bâti et achevé, et original.
10/03/2019 à 18:12 3
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Détective Conan Tome 13
7/10 Encore un manga réjouissant de la part de Gosho Aoyama. On connaît la résolution de l’intrigue inachevée à la fin du tome 12. C’est à la fois très rapide et efficace. La suivante nous met aux prises avec des triplés, dont chacun d’entre eux peut être coupable. J’ai trouvé le dénouement un peu capillotracté, mais l’histoire se lit vite et très facilement, sans pour autant bouleverser les codes du genre ni demeurer mémorable. La suivante est à mon sens la plus réussie : c’est une sorte d’épisode de l’inspecteur Columbo, puisque ce n’est pas l’identité du coupable ou son mobile qui compte (connue dès le début), mais la façon dont il a procédé pour dissimuler son précédent crime, au vu et au su de tout le monde puisqu’il était présent aux côtés des protagonistes lors de la chute du corps. Un moyen bien ingénieux, d’ailleurs, qui a probablement déjà été exploité dans des romans mettant en scène des meurtres en chambre close, mais on se laisse toujours prendre à ce genre de ficelles. Quant à la dernière histoire, elle intervient dans un studio de cinéma où se tournent les films un monstre, succédané de Godzilla. Là encore, c’est vif et intelligent, avec de nombreux rebondissements prenants. Au final, aucune de ces énigmes ne me marquera durablement, mais j’ai, une fois de plus, passé un bon moment de lecture, à la fois distrayante et obligeant un tant soit peu à se creuser la cervelle.
10/03/2019 à 18:12 2
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Images fantômes
8/10 Quadragénaire, Cass Neary n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ancienne artiste photographe, elle vivote jusqu’à ce que son agent, Phil Cohen, lui propose d’aller interviewer Aphrodite Kamestos sur son île du Maine. Quoique réticente au départ, Cass finit par accepter de se rendre sur ce bout de terre hostile où l’on ne cesse de compter des disparitions inquiétantes…
Elizabeth Hand livre ici un roman d’une rare puissance évocatrice. Son écriture répond avec maestria au décor où elle emmène Cass : sombre, glauque, troublée, troublante. On est rapidement pris dans les tourments immobiles de cette contrée esseulée, vaincue par le froid, où domine une nature vengeresse, et qui semble dissimuler d’étranges mystères. Les personnages campés sont particulièrement croustillants. Cass a vu sa mère mourir sous ses yeux dans un accident de voiture, été la proie d’hallucinations, vécu un certain succès avant de subir les affres des excès de la drogue et de l’alcool ainsi qu’un viol avant de retomber dans l’anonymat. Ses clichés, sulfureux, ont constitué sa gloire, et c’est donc la raison pour laquelle elle accepte de rencontrer et de s’entretenir avec Aphrodite Kamestos, une septuagénaire aux yeux de Méduse, qui a su révolutionner la photographie avec sa touche et son talent si diaboliques et atypiques. Sur place, Cass va découvrir un territoire presque maudit, saturé de silences et d’agressivités à son égard, où a autrefois vécu une communauté hippie. Elizabeth Hand maîtrise l’art du dialogue, de la description angoissante des cadres naturels comme des attitudes comminatoires. Une sorte de microsociété dans ce Maine farouche, dont elle découvrira lentement les arcanes, entre symboles ésotériques, menaces plus ou moins larvées, quête artistique extrême et terribles secrets familiaux. Les quelque quatre-cents pages de cet ouvrage vont apprendre au lecteur à appréhender notre héroïne d’une manière qui ne va cesser d’évoluer, dévoilant ses faiblesses et son obstination après avoir dépeint une femme percluse de lézardes, has-been à la boussole embrouillée, et que cette traque de la vérité va peut-être mener sur les voies de la rédemption. Du strict point de vue policier, la résolution de l’intrigue n’intervient qu’assez tard, au point que l’on peut parfois se demander si les nappes de brouillard que tisse – très habilement – l’écrivaine ne sont pas parfois inutiles, mais il serait impertinent de bouder un tel plaisir de lecture.
Une œuvre dense et ténébreuse, où les assertions à propos de l’art photographique et les atmosphères anxiogènes prennent parfois le pas sur l’énigme, mais qui n’en finit pas d’ensorceler jusqu’à ce que l’on connaisse l’identité et les motivations du tueur, déstabilisantes. Un grand moment de littérature noire.25/02/2019 à 20:18 5
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La Valse de Méphisto
8/10 Vienne, 1904. Un homme abattu par balle est découvert défiguré à l’acide dans une fabrique désaffectée de pianos. Face à lui, des sièges alignés comme pour figurer un procès. L’inspecteur de police de la Sûreté Oskar Rheinhardt et son fidèle acolyte le docteur Maxim Liebermann mènent l’enquête, sans savoir qu’ils vont être confrontés à une multitude de personnages interlopes… et de dangers létaux.
Ce septième opus de la série consacrée à Max Liebermann régale le lecteur tout autant que les précédents. On y retrouve la plume riche de Frank Tallis, qui se plaît à nous décrire la capitale autrichienne avec une joie communicative, nous régalant notamment, au propre comme au figuré, de douces explications quant à la gastronomie locale et autres pépites musicales. Les deux protagonistes sont toujours aussi attachants, vifs et brillants, unis par des liens d’amitié et de respect si forts que ces derniers ne peuvent qu’émouvoir ou impressionner. Ce roman permet d’ailleurs d’en apprendre un peu plus sur la vie amoureuse de Max, grâce à des saynètes amusantes et toujours crédibles mettant en scène sa famille et sa dulcinée. L’intrigue est toujours aussi savamment bâtie, jalonnant le périple de nos enquêteurs d’individus radicaux et prêts à tout : révolutionnaires, anarchistes, nihilistes, agents des services secrets, ainsi que le mystérieux Méphistophélès, terroriste de l’ombre, qui tire les ficelles avec une intelligence remarquable. Notre duo de limiers aura donc fort à faire pour comprendre ce meurtre puis les suivants, remontant lentement la piste d’un complot terroriste. Frank Tallis nous procure également des moments inattendus, comme ce dialogue entre Max et Freud lui-même se concluant par une plaisanterie jouissive, l’utilisation d’un cardiographe comme détecteur de mensonges, ou la rencontre savoureuse (et salvatrice) avec Ferdinand Porsche.
Même si quelques passages sont téléphonés et d’autres ont déjà pu être exploités ailleurs en littérature comme au cinéma, ce livre est vraiment très bon, distillant tout autant distraction qu’érudition. Une série de polars historiques qu’il serait vraiment dommage de rater.25/02/2019 à 20:13 5
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Scarface
9/10 Tony Guarino est un individu bien anodin qui vit dans le Chicago du début du vingtième siècle. Il est certes jeune et intelligent, mais il n’a pas encore tracé sa voie. Pour les beaux yeux d’une femme, Vyvyan Lovejoy, il tue Al Spingola, l’un des caïds de la ville. C’est le début d’une lente gloire qui le mènera au contrôle de la cité puis à sa déchéance.
Ce Scarface est l’unique ouvrage traduit en français d’Armitage Trail, publié en 1930. Un monument, adapté deux fois au cinéma, d’abord par Howard Hawks puis Brian De Palma. On retrouve toute la saveur propre aux romans noirs de cette époque, ici agrémentée d’une langue belle, assez recherchée, et un goût indéniable pour les répliques qui claquent. L’auteur a longuement étudié le milieu interlope de la pègre de la capitale de l’Illinois avant de livrer cet opus brûlant. Aux côtés de Tony, on apprend d’abondants détails sur la mafia, ses méthodes, ses trafics, sans jamais que cette érudition ne lasse ou ne noie le récit. Celui que l’on surnommera « Scarface » en raison d’une balafre à la joue gauche récoltée lors de la Seconde Guerre mondiale est un personnage saisissant de réalisme. Un peu paumé, il tue un mafieux, grimpe les échelons du banditisme, se fait oublier quelques années en allant combattre avec un talent et un culot rares dans le maniement des armes et le commandement de ses hommes avant de revenir. Bien plus porté sur l’intelligence criminelle et la stratégie de développement de son entreprise que sur des gris bras qu’il n’a pas, il se fera adouber par un chef mafieux avant de prendre sa place et de développer son business. Un portrait remarquable, tout en nuances, où on le voit se frotter avec hardiesse aux gangsters du North Side, éliminer la concurrence, faire le dos rond quand les circonstances l’exigent, et souvent tomber sous le charme de femmes, parfois fatales, dont l’une d’elles contribuera à sa perte. Armitage Trail retranscrit avec une maestria inouïe les ressorts de la pègre, ses liens ambigus avec la police, les divers rapports de force s’engageant avec les rivaux. Dans le même temps, le lecteur aura du mal à concevoir que cet ouvrage ait presque quatre-vingt-dix ans : l’histoire est souvent émaillée de scènes d’action fort bien décrites et rondement menées, avec son lot de courses-poursuites, fusillades et autres affrontements très cinématographiques.
Une œuvre maîtresse, ahurissante de maturité pour un écrivain d’à peine vingt-huit ans, et d’une prodigieuse modernité. Un des jalons du roman noir, que l’on ne peut que se plaire à découvrir si longtemps après sa parution originelle, et devant lequel on est empli de respect et d’estime, comme on saurait l’être pour un vieux monsieur qui a tant apporté à sa noble cause, ici littéraire. A noter sa remarquable adaptation en bande dessinée par Christian De Metter.25/02/2019 à 20:10 8
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La Maison mystère
8/10 Harry Houdini, le célèbre magicien, arrive à New York après une longue tournée européenne. Il achète avec le montant de ses cachets une demeure au 278 de la 113e rue, notamment pour faire plaisir à son épouse et assistante Bess. Mais l’emménagement est un cauchemar : la jeune femme croit entendre des pleurs d’enfants, et l’on découvre le cadavre d’un bébé en partie momifié dans le jardin.
Ce quatrième opus de la série consacrée à Houdini est au moins aussi réussi que les précédents. Vivianne Perret réussit l’exploit de faire en sorte que, non seulement cette saga ne s’essouffle pas, mais parvient également à exploiter une intrigue originale et marquante. On retrouve donc avec plaisir notre célèbre escapologiste, cette fois aux prises avec une énigme écœurante, celle d’un nourrisson tué alors qu’il était parfaitement viable, parfaitement conservé pour des raisons obscures, et dont nul ne semble savoir d’où il vient. Une situation d’autant plus intenable psychologiquement pour Harry et Bess que le jeune couple ne parvient toujours pas à enfanter. L’intrigue principale, dense et prenante, se double d’une autre quête, celle qui va mettre en lumière les sombres agissements de la Mano Nera, une organisation criminelle habituée aux enlèvements et demandes de rançons, et le retour d’un adversaire de notre héros croisé dans Le Kaiser et le roi des menottes. L’atmosphère est toujours aussi brillante, habilement rendue par Vivianne Perret qui a savamment préparé ses décors historiques et géographiques sans que jamais l’exercice ne tourne à l’épanchement stérile et bavard. Harry et Bess constitue un duo de limiers particulièrement attachant et obstiné, les faisant cette fois-ci affronter un mystère qui se dénouera dans les ultimes pages, un terrible drame d’autant plus effrayant qu’il est très crédible.
Une nouvelle réussite de la part de Vivianne Perret, avec ce roman efficace et adroit, riche de ses rebondissements et de sa construction, qui met en relief les excellentes connaissances de l’écrivaine sur son personnage fétiche, la ville de New York et tant d’autres domaines.25/02/2019 à 20:06 3
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Les Inconnus dans la maison
9/10 D’entrée de jeu, le décor est planté. Première page : l’ancien avocat Hector Loursat appelle le procureur de la république, de sa famille par alliance, pour l’informer qu’un inconnu a été tué dans sa maison et son corps découvert. Pour Loursat, tombé dans le vin et une forme de repli sur soi, c’est le début d’une forme de rédemption puisqu’il va œuvrer afin de comprendre le drame jusqu’à aller plaider pour le suspect qu’il pense être innocent et renouer des liens distendus avec sa fille Nicole. Grâce à Georges Simenon et sa plume acide, vertigineuse de simplicité et de mordant, c’est un portrait saisissant et croustillant de la bourgeoisie d’une ville de province (ici Moulins) qui est passée au vitriol. De jeunes gens qui s’ennuient, et puisque l’oisiveté est nécessairement mère de tous les vices, ils en viennent à tomber dans le piège des actes rebelles, des liaisons inappropriées, des relations avec des personnes interlopes, jusqu’à la tragédie. C’est également des accointances entre les membres de la famille de Loursat où domine le qu’en-dira-t-on, avec la crainte de l’humiliation et de l’opprobre jeté sur la frange autoproclamée haute et vertueuse. Des mots simples et diablement efficaces de la part du célébrissime auteur belge, qui n’empêchent nullement de belles envolées lyriques sur la solitude, l’abandon, le désespoir et le rachat des âmes. Un beau portrait également de Loursat, animal, velu et devenu un ours se nourrissant de vin, de littérature et de sa propre claustration psychologique depuis le départ de sa femme avec Bernard, qui va retrouver une forme de dignité en se privant d’alcool le temps du procès. Pour quiconque aura vu le film de Georges Lautner de 1992 avec Jean-Paul Belmondo, même s’il s’agit d’une adaptation relativement fidèle, on sera agréablement surpris d’y découvrir des différences, notamment dans les accointances entre les jeunes, entre Loursat et sa domestique (qualifiée de « naine » dans le livre), mais surtout dans le traitement psychologique : là où le cinéma privilégie la fin heureuse, Simenon préfère l’accablement, le refus de la candeur et une vision austère de son personnage principal avec notamment les deux dernières lignes. Est-il encore utile de répéter que Georges Simenon est un auteur plus que majeur et que cet opus le démontre avec un talent inouï ?
24/02/2019 à 17:52 7