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Ceux que nous avons abandonnés
9/10 Ciaran et son frère Thomas sont encore bien jeunes lorsqu’ils sont confiés aux Rolston, une famille d’accueil. Mais un jour, on retrouve le père mort, le crâne massacré par un presse-livres. Ciaran avoue être le coupable. Sept ans plus tard, Paula Cunningham, l’agent de probation de Ciaran, émet des doutes quant à ce qui s’est réellement passé, et contacte aussitôt Serena Flanagan, la policière qui avait enquêté à l’époque. Le passé n’a pas encore refermé ses plaies.
Stuart Neville, à qui l’on doit des ouvrages majeurs comme Les Fantômes de Belfast ou Ratlines, s’essaie ici au roman noir, et c’est une réussite. Le style de l’auteur est une merveille : sombre, ténébreux, il se hisse sans mal à la dureté des propos, la tortuosité de l’histoire, les cicatrices demeurées béantes. Le livre s’avère relativement court, les chapitres sont véloces, et il n’y a pas un mot de trop au gré de ce récit prenant et poignant. Stuart Neville livre des portraits saisissants, particulièrement humains et touchants, sans le moindre pathos de mauvais goût ni effets faciles. Ciaran et Thomas, les deux frères, nouent une relation très tendue, équivoque, constituée de non-dits, de raideurs, de soumissions et de dominations étranges (la nature des rétorsions perpétrées par Thomas est affolante et mémorable), et il faudra attendre les ultimes chapitres pour en saisir toute la nébulosité et la complexité. Serena Flanagan, rescapée d’un cancer, ayant tant de mal à conjuguer ses vies personnelle et professionnelle, se montre également très crédible et lumineuse d’humanité, notamment lorsqu’elle apprend le cancer d’une proche dont le mari est atteint de la maladie d’Alzheimer. Elle verra également ressurgir à la surface du présent l’ambigu lien qu’elle a noué, presque inconsciemment, avec Ciaran, fait de silences, de désir et de transferts contradictoires.
Un petit bijou de noirceur, tout en simplicité et en efficacité, bouleversant et nerveux, où la plume de Stuart Neville excelle sans jamais manifester le moindre signe d’effort. Tout y vient naturellement, avec une simplicité déconcertante, et parvient à se hisser au rang des meilleurs ouvrages du genre.17/06/2019 à 19:49 5
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Skeleton Road
8/10 Un corps est découvert tout en haut d’une tour d’Edimbourg. L’homme a été abattu d’une balle en pleine tête et se trouve là depuis fort longtemps. La policière Karen Pirie et son équipe enquêtent tandis que d’autres individus en viennent à s’intéresser à cette affaire, dont les membres du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et une enseignante en géographie. Une histoire qui pourrait remonter jusqu’aux anciens conflits armés dans les Balkans.
Ecrivaine connue et reconnue, Val McDermid signe ici un roman fort et noir, aussi tourmenté que ne le furent les guerres de Yougoslavie. Le livre commence d’ailleurs rapidement, avec la découverte du cadavre par des ouvriers, et s’achève avec une scène poignante, qui n’a besoin que de quelques mots pour secouer et émouvoir. On découvre donc l’enquêtrice Karen Pirie, solide et obstinée, confrontée aux divers drames de la société écossaise, et dont le métier de policière et les horreurs auxquelles elle est confrontée ne cessent de la tourmenter. On suit également l’investigation menée par les membres du TPIY qui, même s’ils croient encore à leur juste et légale croisade contre les criminels de guerre, sont jetés aux basques d’un tueur dont on compte déjà onze victimes chez d’anciens bourreaux serbes, et ce pas uniquement pour de nobles raisons : un de leurs supérieurs soupçonne la présence d’une taupe vengeresse dans ses services. Val McDermid, en routière aguerrie du roman policier, emmène le lecteur au bout des quelque cinq cents pages de cet ouvrage solide et étayé, où les forces de police résolvent des problèmes de manière posée, crédible et cartésienne, en épluchant les indices, visionnant les films enregistrés par des caméras de surveillance, et recoupant des renseignements prometteurs. Dans le même temps, l’ignominie des crimes commis révulse : sans jamais tomber dans le voyeurisme ou la surenchère sanglante, l’auteure sait poser, avec des termes justes et néanmoins effrayants, l’horreur des combats, principalement lorsque les victimes sont de simples civils, dont des femmes et des enfants. Et il faudra à Karen déployer des trésors de persévérance et d’humanité pour comprendre les racines du mal, suite à un massacre ayant eu lieu dans le petit village de Podruvec.
Même si l’identité du tueur ne surprendra guère, il n’en reste pas moins que ce roman se montre vraiment bon en raison de sa maîtrise, et presque nécessaire par le sujet qu’il aborde et décrit.17/06/2019 à 19:45 2
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Nuits de pleine lune
6/10 Une série de meurtres se met à ensanglanter Abbeville : les victimes sont tuées à l’arme blanche, principalement égorgées. Tandis que l’enquête piétine, se dessine lentement l’image d’un tueur en série qui semble inspiré par la lune.
Jacky Moreau signe ici un ouvrage à mi-chemin entre le roman à suspense et le thriller. Court, le style simple et efficace accentue la vitesse de défilement des pages. On fait ainsi la rencontre de Diane, thanatopractrice de son état, marquée par une tentative de viol par son beau-père alors qu’elle était jeune, et qui a depuis noué une curieuse relation avec la lune. Le livre est bien bâti, faisant alterner les divers points de vue, et l’on ne voit ainsi pas le temps passer. On se régale également des nombreuses références culturelles et musicales (chaque chapitre porte le titre d’un morceau, avec une compilation des chansons en fin d’ouvrage). De nombreux personnages apparaissent vers la moitié du récit, comme le journaliste, l’avocat ou l’animatrice de radio, réinjectant un peu de sang neuf dans les veines de la narration. Néanmoins, le bât blesse au niveau de la profondeur psychologique. Par exemple, les policiers sont certes amusants dans leurs répliques, avec un humour parfois potache qui vient, au choix, atténuer la noirceur du récit ou, au contraire, mettre d’autant plus en relief cette ténébrosité, mais ils ne sont guère mémorables. De même, si l’idée de mettre en scène une femme à la fois embaumeuse et criminelle (d’autant que les explications de Jacky Moreau quant à sa profession sont très intéressantes), l’origine de son trauma n’est guère originale, et l’on regrette que l’écrivain n’ait pas davantage accentué les traits qui se présentaient à lui, comme le côté fantastique (pourtant vanté sur le site de l’éditeur), ou la noirceur de l’âme de cette serial killer.
Au final, un livre qui n’engendre guère la mélancolie, car vif et pétillant, sans le moindre temps mort, mais auquel il semble manquer un soupçon de piment pour relever ce plat dont la concision finit par desservir la qualité gustative.17/06/2019 à 19:40 1
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Btooom ! tome 2
6/10 Ce deuxième manga de la série commence fort, avec un largage mystérieux qui conduit à la découverte d’un corps coupé au niveau de la ceinture puis une scène de nécrophilie. Toujours cet univers de survie sur une île déserte, des balles explosives aux capacités diverses, des adversaires retors (ce jeune pervers nécrophile est bien flippant, et le combat entre Ryota et lui tient plutôt ses promesses), et qui s’achève avec la découverte d’une jeune femme, visiblement hantée par le comportement malveillant des hommes. J’en reste sur la même impression qu’avec le tome 1 : rien d’extraordinaire, mais un pitch sympa, une lecture distrayante, et un moment plutôt agréable.
16/06/2019 à 18:04 2
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Deathtopia tome 8
8/10 La confrontation avec « UD » se révèle explosive et riche en rebondissements (même si l’un d’entre eux un peu facile et galvaudé tant au cinéma qu’en littérature, en était presque attendu). Beaucoup d’épisodes différents dans ce seul tome, quelques références au film « The Blob », beaucoup d’action également avec divers combats et enjeux contre le « Maître », à la limite de scènes apocalyptiques, pour un épilogue haut en couleur. Toutes les réponses sont ainsi apportées (ou presque…) à cette série qui, au final, aura mis dans un mixeur violences, fantastique, sexe, phénomènes paranormaux, cabale, secrets de familles et expérimentations.
16/06/2019 à 18:01
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Deathtopia tome 7
8/10 On découvre qu’un corps, suite à un incendie, aurait été trouvé dans un appartement, et il s’agit officiellement de celui de Fujimura… qui est encore bien en vie. L’intrigue se poursuit avec la quête de sa propre identité et de ses origines, avec « UD » qui réapparaît en force. Notre héros se rapproche de sa mère, et l’opus se conclut sur une scène en suspens. Vivement le tome 8 (le dernier) pour boucler cette série jubilatoire à mes yeux.
16/06/2019 à 18:00
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Deathtopia tome 6
8/10 Le suspense est à son comble avec la confrontation entre l’une des héroïnes, éprise de vengeance, et « Reverse », aux abords d’une piscine d’hôtel. Le jeune héros dévoile une aptitude incroyable et salvatrice, et qui permet à l’intrigue de la globalité de la série de s’épanouir. Un combat avec « Reverse » à la hauteur de mes espérances, et une suite tout aussi intéressante. Aucun coup de mou, je n’arrive pas à lâcher cette série.
16/06/2019 à 18:00
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Deathtopia tome 5
8/10 La suite logique du tome précédent, avec toujours la chasse à ce poseur de bombes. Le superintendant en chef Yokoyama entre en scène et la possibilité d’une taupe au sein de la division 6 émerge. Un tueur nommé « Reverse » sème des cadavres dans un état abominable dans son sillage. Un peu moins d’action que dans les opus précédents et quelques bribes de complots qui, pour le moment, ne m’ont pas particulièrement marqué, mais la tension ne retombe absolument pas, d’autant que, si le tome 6 est à la hauteur de mes espérances, la confrontation avec ce « Reverse » pourrait être mémorable.
16/06/2019 à 17:59
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Deathtopia tome 4
8/10 L’assistant d’UD apparaît tandis que la rave-party commence fort mal pour deux de nos héroïnes qui vont bientôt se retrouver prises au piège d’une véritable toile d’araignée (à tous les sens du terme…). Même si la confrontation avec le duo de tarés s’achève un peu vite dans le livre à mon goût, cela laisse de la place pour l’apparition de l’adversaire suivant, « Picasso », avec une terrible et très mortelle explosion, et permet de comprendre quel est le réel pouvoir de Koh. Le rythme ne faiblit pas, et je me suis laissé embarquer une nouvelle fois par l’univers si brûlant et prenant de cette série.
16/06/2019 à 17:58
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Deathtopia tome 3
8/10 Koh fait la rencontre du mystérieux UD, qui se révèle être un « tricheur ». Sonoyama vient d’être assassinée, et un homme, client d’une prostituée, vient d’être découpé en deux dans le sens de la hauteur. Un terrifiant couple de tueurs, une femme et son jumeau, est à l’œuvre. Une confrontation musclée avec « Vise », un tueur qui écrase ses victimes au point de leur enfoncer la tête entre les épaules, ainsi qu’avec d’autres tueurs sanguinaires et bien trouvés (un manieur de couteau et cet homme très flexible qui utilise des poings américains). Le même mélange de violence, de sexe (bien plus crû que précédemment, d’ailleurs) tandis que croît le mystère autour de notre héros et du trio d’enquêtrices.
16/06/2019 à 17:57
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Deathtopia tome 2
8/10 Koh commence à comprendre que les êtres malfaisants se matérialisent en partie sous ses yeux sous la forme de leur arme de prédilection, et que les « tricheurs » (les tueurs qu’il va aider à traquer) disposent d’une force surhumaine. On en apprend également un peu plus sur les trois filles (même si leur côté beautés artificielles et caricaturales de femmes de manga nuit à ce qu’on leur donne une réelle profondeur). Un kidnappeur en série surnommé « Face » et dont le visage est largement inspiré par la créature de Frankenstein, passionné par la jeunesse et les beaux visages, constitue l’adversaire de ce tome, tandis que se dessine un dénommé « UD » dont on se doute qu’il va prendre de l’importance dans la suite de la série. Comme précédemment, malgré le côté un chouia voyeuriste et gentiment fripon des dames toujours aguichantes qui me tape sur le système, je me suis laissé embarquer avec plaisir.
16/06/2019 à 17:56
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Deathtopia tome 1
7/10 … ou comment un jeune homme, Koh Fujimura, qui a perdu ses yeux suite à un accident alors qu’il pourchassait des voleurs de sacs à main, devient le jouet d’une étrange enquête puisqu’il est à même de voir des êtres différents, malgré sa vue devenue bien meilleure qu’avant le drame, aux visages brouillés, presque barbouillés. Une tueuse à gage, spécialiste de l’énucléation, va tenter d’étrangler Fujimura dans sa chambre d’hôpital, et va être sauvé par trois mystérieuses (et pulpeuses inconnues). Le tome s’achève au sein de la division 6. Un graphisme assez sympa (un peu trop de grosses poitrines à mon goût, les ultimes pages sous les douches en sont presque des caricatures, ça nuit à la noirceur et à la crédibilité de l’opus), du suspense et un peu d’humour, et une ambiance ainsi qu’une énigme qui m’ont séduit. Je vais continuer de ce pas le reste de ces mangas.
16/06/2019 à 17:56
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Persée et le regard de pierre
7/10 … ou les aventures de Persée. Dit comme cela, c’est un pitch bien court, car la légende n’aura retenu qu’un seul affrontement mémorable, celui qui l’a opposé à Méduse et son terrible regard pétrifiant. Mais, peut-être injustement, nous avons oublié d’autres péripéties de son existence, et cet ouvrage d’Hélène Montardre permet de le remettre en lumière. Une succession de passages aventureux, où l’intrépidité de notre héros rime également avec le soutien de personnages savoureux et célèbres : la fanfaronnade face à Polydectès et son périple vers les Gorgones, la rencontre avec les Grées puis les Nymphes, ce mystérieux accompagnateur qui n’est autre qu’Hermès, Athéna, Méduse et ses sœurs, Andromède enchaînée et le combat contre le monstre marin, puis le retour et la résolution de l’identité de son père. Pour résumer, un sacré alignement d’événements que la concision du roman rend encore plus dense. La plume de l’écrivaine, finalement minimaliste quoiqu’élégante, finit par se faire toute petite pour ne faire que servir et mettre en relief cette série de conflits et rencontres. Quand on y réfléchit bien, le déroulé (mais c’est l’histoire originelle qui veut ça) est très linéaire, avec un chapelet de moments qui s’enchaînent : une rencontre en entraînant une autre, la découverte des objets magiques, puis une autre rencontre, et la boucle se referme lors du final. Pour ma part, j’ai été à la fois très heureux de lire ce livre, attendant avec impatience la confrontation entre Persée et Méduse, mais cette dernière est assez vite expédiée et n’a pas tenu à mes yeux sa promesse de tension. En revanche, j’ai été très agréablement surpris par ces autres épisodes, certes linéaires et parfois attendus, mais joliment décrits, et qui n’en ont que davantage de saveur d’être ainsi méconnus, ou alors moins fameux que le combat contre Méduse.
16/06/2019 à 17:54
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Black blocs
6/10 Swann Ladoux a tout pour être heureuse : un métier de technicienne en labo de biophysique, et un compagnon, Samuel. Sauf que Swann retrouve Samuel abattu chez eux d’une balle. Pour la police, elle est la suspecte idéale. Mais il se peut que le défunt ait dissimulé une part de son existence, de ses activités, en étant un membre des Black Blocs.
Elsa Marpeau, qui nous a déjà depuis séduits avec Et ils oublieront la colère ou Les Corps brisés, signait cet ouvrage en 2012 : avec les actuelles protestations des gilets jaunes et les nombreuses échauffourées impliquant à cette occasion des membres des Black Blocs, il en prend une saveur toute particulière. D’entrée de jeu, le style séduit : des phrases sèches, hachées, où les flashbacks viennent entrer en collision avec un récit au présent, et l’ensemble devient rapidement captivant, voire hypnotique. On se prend ainsi de sympathie pour Swann, que rien ne semblait prédestiner à entrer en contact puis en collusion avec ces individus extrémistes, tant dans leurs pensées politiques que dans leurs agissements militants. De nombreux personnages viennent retenir l’attention, notamment le policier Anton Legal, à la mise impeccable et perclus d’un mal physique qui va lentement le rattraper. Le lecteur, au même rythme que les protagonistes, vont se mettre en quête d’un livre, le Livre du noir, dont le contenu est susceptible de porter atteinte à la sûreté de l’Etat. Elsa Marpeau entrecoupe son récit de « recettes » permettant de confectionner des armes, ou donnant des conseils quant à la lutte contre le grand capital. Et le livre s’achève sur un chapitre, doublement explosif. Des lecteurs pourront reprocher à l’écrivaine un certain angélisme, voire un angélisme certain, vis-à-vis de cette faction d’obédience anarchiste, même si l’épigraphe, placée au début du roman, donne une indication quant à son positionnement politique. Parallèlement, malgré quelques passages permettant de mieux comprendre ce mouvement politique, notamment grâce à des discussions avec les acolytes de Samuel, on reste souvent à la surface du cœur du sujet, ne faisant que l’effleurer, et l’on ne ressort pas de cet opus rassasié ni même véritablement contenté de connaissances quant aux Black Blocs.
Malgré quelques temps morts, dans l’ensemble, ce roman est réussi, notamment grâce à la plume si ensorcelante de l’auteur. Et si l’intrigue prend parfois quelques raccourcis ou téléphone des passages (la révélation de l’identité du tueur ne surprendra probablement pas), on passe un agréable moment à la lecture de ce livre au sujet original.03/06/2019 à 17:10 2
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Duo fatal
9/10 Geneviève est l’assistante du dentiste Francis Lesigne, à Lambersart. Parce qu’elle compte déménager à Grasse et suivre son nouvel amoureux, rencontré sur Internet, la cinquantenaire apprend au docteur qu’elle doit le quitter. Francis ne parvient pas à l’admettre, au point de droguer cette femme et l’enfermer dans l’abri antiatomique aménagé dans la maison. Le début d’une étrange relation…
Après Potions amères et Passé double, voici le troisième roman de Patrick S. Vast aux éditions du Chat Moiré qu’il a fondées. De ses autres romans, tous réussis, comme La Veuve de Béthune, Boulogne stress ou Angoisse à louer, on a conservé de bien bons souvenirs de l’écriture de l’auteur et de sa manière si particulière de bâtir des intrigues ; ce roman ne déroge pas à la règle. Une écriture sèche et simple, sans finasserie ni effet futile, l’histoire s’impose rapidement et sans la moindre anicroche. Tout y est efficace, crédible, presque palpable : tout s’y déroule comme dans un fait divers, plausible et tragiquement humain. Les personnages sont également à l’avenant. Francis, déboussolé par le départ de son assistante après trente ans de collaboration qui, sans toutefois parler d’amour au sens premier, a graduellement tissé entre eux une liaison très particulière. Geneviève, dépassée par les événements, séquestrée, mais qui va finir par nourrir des sentiments contradictoires pour cet homme qui, finalement, ne lui veut que du bien. Norbert, le compagnon de l’assistante, qui va connaître un large spectre de sentiments au gré du récit. Georges, l’ancien commissaire de police, alcoolique, dont l’épouse va très mal, et qui est obsédé par un tueur en série encore en fuite ayant assassiné cinq femmes. Géo, un saxophoniste aveugle, témoin à sa façon, et qui nourrit un profond attachement pour sa chatte (un clin d’œil au nom de la maison d’édition ?). Deux camarades de Francis, suffisamment pugnaces pour mettre de côté leur amitié pour le docteur et se poser de légitimes questions quant à la disparition de Geneviève. Et une fois le décor, la situation et les protagonistes posés, tout décolle très rapidement : des chapitres qui s’enchaînent à merveille, de nombreux rebondissements, des twists fameux, et un final en plusieurs étapes, comme une rafale d’arme automatique. Un régal de bout en bout. A la lecture du résumé, on aurait pu s’attendre à une énième histoire de captivité, avec son lot de sévices, d’horreurs et d’événements sombres. Mais Patrick S. Vast a bien trop de tact et d’expérience pour tomber dans les clichés : celui qui débute son ouvrage avec une dédicace à William Irish exploite des ressorts humains parfaitement adaptés, élémentaires et pourtant lumineux.
Une nouvelle réussite pour cet auteur qui ne cesse de nous réjouir, notamment avec ce grand roman où il n’est finalement question que d’amour et d’amitié, avec des lectures inattendues de ces deux sentiments. C’en est même à se demander s’il ne s’agit pas là du meilleur roman de Patrick S. Vast.03/06/2019 à 17:05 5
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Le Monde caché d'Axton House
7/10 A. a une vingtaine d’années et voilà qu’il vient d’hériter d’un lointain parent d’un domaine à Point Bless, en Virginie. Accompagné de sa jeune amie Niamh, il découvre sur place un univers étrange et inquiétant : les lieux semblent pénétrés de mystères, comme cette malédiction selon laquelle les hôtes des lieux se défenestrent à un moment précis, la disparition du majordome, les réunions d’une société secrète à chaque solstice d’hiver. Et ce n’est encore que le début des étrangetés…
Ce roman d’Edgar Cantero a voulu rendre hommage à des prédécesseurs prestigieux comme Shining de Stephen King ou L’Ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon. Indéniablement, il y a cette patte tout au long du récit, où les événements énigmatiques apparaissent, s’accumulent et s’enchevêtrent. Au programme : une vingtaine d’individus unis par une quête occulte, un héritage où se mêlent phénomènes paranormaux, religiosité et complotisme, et des êtres prêts à tout pour récupérer ce savoir. A., en jeune protagoniste, est intéressant : à la fois décontracté et pugnace, il forme un beau duo avec son amie Niamh, jeune et jolie muette. Dans le même temps, la forme du livre surprend : ce n’est presque qu’une accumulation de documents. Enregistrements audio ou vidéo, interrogatoires, lettres, journal de rêves, extraits d’autres ouvrages… un tourbillon qui répond à la richesse du récit. Edgar Cantero mélange les cartes à la manière d’un habile joueur de bonneteau, et les divers épisodes, fractionnés, finissent à l’arrivée par reconstituer une histoire solide. Cependant, l’ouvrage peut parfois donner le tournis en raison de l’occultisme qu’il dépeint, et, comme nous l’avons dit précédemment, de cette narration si particulière qui, à défaut de séduire tout le lectorat, a au moins l’avantage d’être très originale et de marquer les esprits.
Un opus survitaminé et jouissif, complètement désarticulé dans sa façon d’exposer les faits, et saturé d’ésotérismes, mais qui n’enchantera peut-être pas tout le monde en raison de sa manière si particulière d’exposer les faits.03/06/2019 à 17:00 1
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L'Assassin
9/10 … ou comment le docteur Hans Kupérus, résidant à Sneek, en Frise orientale, en vient à tuer son épouse et l’amant de cette dernière avant de tomber en disgrâce sous la chape de plomb d’une populace qui le voue aux gémonies en prétendant qu’il est le coupable, l’assassin. Une histoire au scénario, extrêmement mince, si ténu que son ossature pourrait tenir sur un modique Post-It. Mais comme toujours chez Georges Simenon, cette intrigue est un prétexte à critiquer de façon sauvage l’humanité, ses faiblesses, ses couardises et ses contradictions. L’on se retrouve ainsi avec ce médecin qu’une lettre anonyme va porter au coup de sang, notamment en raison d’une satiété de son existence trop morne, trop tiède, trop conformiste, et qui va devoir affronter les dos ronds, les regards fuyants et les pressions tacites de ses proches. Un roman singulièrement court (un peu plus de deux cents pages), mais où rien ne manque : la justesse de l’analyse sociale, la finesse de la condamnation sociétale, et la pertinente description des paradoxes de Kupérus. Ce dernier aura franchi le Rubicon, poussé par ce mystérieux courrier mystérieux, cherchera dans les bras de sa domestique, Neel, une aide voire un avatar de sa femme assassinée, osera affronter cette masse qui l’incrimine, à juste titre, notamment grâce à un rebondissement surprenant et remarquable (cf. l’entretien avec l’avocat). Et Georges Simenon parachève la qualité incroyable de cet opus par une ultime pirouette concernant l’identité du corbeau, avec cette histoire de demi-florin qui aura tout déclenché. Une écriture sèche, raclée jusqu’à l’os, et qui ne dispense en rien une étude de mœurs et une psychologique, toutes deux remarquables, jusqu’à cette fin très ouverte que l’on n’a pas fini d’interpréter, encore et encore, jusqu’à essayer d’en éprouver toute l’acidité.
02/06/2019 à 17:52 3
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Dédale temporel
8/10 Après « Dans les griffes de la mafia », je me suis de nouveau laissé prendre par ce livre-jeu. Le concept qui rend le lecteur réellement acteur de ses réflexions, démarches et interactions avec les lieux et les conséquences du récit sont encore plus notables, puisque l’on a ici toutes une série d’interférences avec les trois époques, au gré de voyages spatiotemporels. Un réel régal à mes yeux, bien plus complexe que le précédent opus selon moi, et des énigmes bien compliquées (satanés fusibles !), avec toujours ce panorama de combinaisons nombreuses. Pour ma part, je ne suis guère client de ces histoires de pérégrinations dans le passé ou le futur, raison pour laquelle je préfère la trame plus classique de « Dans les griffes de la mafia », également plus facilement classable dans la catégorie policière, mais force est de reconnaître que la série ne faiblit pas, sait se réinventer, ose proposer une intrigue plus difficile, mais dont le dénouement apporte la résolution quant à l’identité du savant fou. Oui, vraiment, une réussite !
02/06/2019 à 17:50 3
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Le Cri des corbeaux
8/10 Julie et Théo viennent de remporter un concours dont la récompense est un séjour dans une villa pour un week-end. Ils sont rapidement rejoints par un autre ménage constitué d’Agathe et Simon, également lauréat de ce gros lot. Si cette coexistence, inattendue, semble tendue, c’est rapidement les lieux, inquiétants, qui imposent la peur et la paranoïa. Surtout lorsque l’un des personnages est enlevé avant de se retrouver prisonnier d’un cube en plexiglas.
Ce premier roman de Matthieu Parcaroli séduit rapidement. Le rythme est vif, l’écriture sèche, presque rongée jusqu’à l’os, et certains lecteurs seront peut-être déçus par la frugalité de la langue employée. Mais l’auteur emporte sans mal l’adhésion grâce à la cadence qu’il imprime à son récit : fougueuse. Soixante-sept chapitres, très courts, au gré de ces deux cents trente pages, qui défilent à toute allure, nerveusement, imposant un tempo d’enfer, grâce à des termes, descriptions et analyses psychologiques certes primitives mais crédibles et à la hauteur de ces protagonistes, complètement dépassés par les événements. Des moments s’échappent à la surface de ces eaux troubles, comme des bulles d’un air vicié, révélant progressivement des pans des passés respectifs des protagonistes, avec leurs spectres, leurs plaies, leurs phobies et leurs expériences douloureuses. Une astucieuse alternance du présent et de temps non révolus, où le lecteur est baladé, littéralement, au gré de ce qui s’apparente à un whodunit enfiévré. Les fausses pistes se multiplient, claquent, se perdent, et d’autres surgissent jusqu’aux trois dernières phrases de ce soixante-sixième chapitre et l’épilogue qui rebat les cartes de manière inattendue. Un rebondissement impeccablement amené, plausible et efficace, même si d’aucuns, chicaniers, argueront du fait que ce twist a déjà été employé auparavant, en littérature comme au cinéma. Mais finalement, peu importe : après l’ivresse du doute et d’une lecture endiablée, l’écrivain nous fait brutalement redescendre sur Terre avec, sinon de l’originalité, beaucoup de réussite.
Voilà un roman bien né quoiqu’issu de la plume d’un artiste dont il ne s’agit là que de la première œuvre. Souhaitons donc à Matthieu Parcaroli autant de succès avec ses prochains livres dont on attend déjà avec hâte la publication.20/05/2019 à 17:43 5
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Version officielle
8/10 Jack Felter, professeur d’histoire en lycée, revient à Franklin Mills, Ohio, car son père, un vétéran du Vietnam, sombre de plus en plus dans la démence. Il y retrouve Sam, son amour de jeunesse, dont le mari, Tony, a disparu. Jack accepte de l’aider, mais la seule personne qui semble pouvoir l’épauler dans ses recherches est Cole Monroe, un ado schizophrène qui est persuadé d’un immense complot. Et si, pour retrouver Tony, Jack allait devoir affronter l’un des plus grands complots de l’Histoire ? En sortira-t-il indemne ?
Après L’Obsession, voici le deuxième ouvrage de James Renner, assurément un livre à ne pas mettre entre toutes les mains. Car il s’agit d’un immense délire littéraire, dont on a parfois bien du mal à cerner la part volontaire de fiction, voire de facticité, insufflée par l’auteur, et ce à quoi il peut éventuellement croire. Quatre cents pages qui galopent à toute allure, sans la moindre retenue, au gré d’une écriture particulièrement simple, presque élémentaire, avec un lot incroyable de rebondissements. Est-ce que vous croyez à la fluoration de l’eau pour abrutir les masses de consommateurs ? Aux chemtrails ? Aux dessins inscrits sur les affiches le long des routes pour indiquer des points névralgiques ? A l’hypothèse du temps fantôme, à cause de laquelle trois cents années auraient disparu ? A une conjuration mondialisée du Grand Oubli, rendant amnésiques les foules pour faire disparaître certains événements traumatisants ? Peut-être trouverez-vous cela même complètement aberrant, voire ridicule ? Et vous savez quoi ? James Renner a osé. Il a tissé une intrigue solide, nouée avec expertise, et semble prendre un plaisir consommé à tirer sur quelques-uns des brins de textile s’échappant de la pelote, nous entraînant avec lui sur les chemins audacieux du complotisme. Là où nombre d’auteurs, par fanatisme ou au contraire par retenue, se seraient lamentablement cassé la figure, James Renner, lui, y va franchement, mais toujours avec finesse, plus exactement en nous plongeant dans ce grand bain amniotique de la conspiration internationalisée, à faire passer les auteurs de la série X-Files pour d’aimables plaisantins à l’imagination étroite. Des personnages savoureux, tous dépeints de manière lapidaire, de Jack Felter à Cole Monroe en passant par le Capitaine (le père de Jack), Sam, ou encore ces étranges individus appelés Les Chiens. Une équipée sacrément échevelée, où le loufoque le dispute à la plus impitoyable des logiques, jusqu’à un épilogue dantesque, pour une réécriture particulièrement audacieuse d’un épisode traumatisant du cours de notre civilisation.
Sur le fil ténu et mouvant qui sépare le guignolesque de la gravité, dans un périlleux exercice de fildefériste, James Renner se maintient à l’équilibre tout au long de ce roman ambitieux et clivant, que l’on adorera détester ou que l’on encensera pour son originalité stupéfiante. Mais pour notre part, c’est assurément une réussite !20/05/2019 à 17:35 7