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Un Crime sous les étoiles
8/10 Dans leur pensionnat de Deepdean, les jeunes filles observent un magnifique feu d’artifice lorsqu’un drame survient : Elizabeth est retrouvée morte. Assassinée. Les premières constatations laissent penser qu’elle a marché sur un râteau et que l’impact à la tête lui a été fatal. Mais les apparences sont souvent trompeuses. Daisy Wells et Hazel Wong se décident à mener l’enquête.
Voilà le quatrième opus de la série consacrée au club de détectives Wells et Wong, et c’est toujours un plaisir que de retrouver ces policières en herbe. La plume de Robin Stevens met habilement en valeur les psychologies de ses personnages, avec suffisamment de tact et de profondeur pour les rendre aussitôt crédibles. Ici, c’est le principe des « préfètes » et de la « préfète-en-chef » qui attire l’attention, à savoir des élèves désignés pour faire régner l’ordre dans le pensionnat et les dortoirs. Et comme tout pouvoir s’accompagne souvent de dérives, les cinq préfètes-en-chef, sous la direction d’Elizabeth Hurst, vont vite devenir cassantes et autoritaires, au point de déclencher l’hostilité de nombre de leurs camarades. Dès lors, toutes ces personnes qui haïssaient la victime constituent autant de coupables potentiels. Et si l’on ajoute à cela un odieux trafic de secrets, la situation en devenait nettement explosive. Robin Stevens joue avec adresse de ces informations qui devraient rester dissimulées (homosexualité, problèmes physiques, triches aux examens, cachotteries familiales, etc.), avec les rancœurs qui en découlent, mais aussi les envies larvées ou affichées d’exterminer leur détentrice. Nos deux héroïnes devront donc comprendre qui avait le plus à perdre pour tenter de discerner la criminelle. Ici, Hazel commence à s’affranchir de l’emprise de sa camarade Daisy, devient de plus en plus autonome, et amorce une correspondance avec Alexander, ce qui aiguise la jalousie de son amie.
Une nouvelle réussite de la part de l’écrivaine avec ce roman so british, destiné avant tout à la jeunesse mais que les adultes pourront lire avec une joie égale.02/10/2019 à 16:48 2
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Gataca
9/10 J’y ai retrouvé la même flamme et la même dynamique, presque échevelée, du « Syndrome [E] », et je me suis régalé. Les notions abordées (anthropologie, paléontologie, génétique, maïeutique, latéralité, tueurs en série, violence, tribu primitive, autisme, etc.) m’ont passionné, et j’ai appris pas mal d’éléments au fur et à mesure de cette enquête conjointe de Sharko et de Lucie. Un véritable cocktail, détonnant, tellement saturé d’événements et autres péripéties que ça fiche littéralement le vertige, voire l’overdose. Moi qui suis habituellement peu client des thrillers un peu « surchargés, là, je ne peux que m’incliner devant tant de maestria, et surtout, de maîtrise : quand on le relit, quand on reprend le déroulé à tête reposée, date après date, un enchaînement après un autre, la structure tient le test, ce qui est remarquable, car les éléments de construction sont sacrément nombreux. Pas le moindre temps mort, un vrai train de marchandises, et cette cadence m’a parfois surpris (par exemple, dès l’entame, j’ai trouvé que le sort réservé à l’une des filles de Lucie était un peu trop vite expédié, surtout du point de vue émotionnel et scénaristique, mais ça n’est bien évidemment que subjectif). Léger bémol de mon humble point de vue d’amateur lointain de thrillers : si je n’avais guère adhéré au côté « complotiste » du « Syndrome [E] », cette sorte de surcharge scénaristique, comme d’autres souffrent d’une surcharge pondérale, alourdit un peu l’ensemble, car les moments de respiration manquent un peu. Mais on ne peut qu’être exigeant et difficile après une lecture d’une telle qualité.
28/09/2019 à 18:05 10
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Monster tome 1
8/10 Le chirurgien Tenma travaille à Düsseldorf et est un brillant médecin. Il est heureux en amour (vivant avec la fille du directeur de l’hôpital), mais ressent le terrible dilemme de la priorité des vies à sauver, en opérant avec succès un chanteur d’opéra alors que se mourait un individu lambda. Nouveau choix cornélien : opérer un garçon, Johann, dont les parents ont été assassinés, ou le maire de la ville. Se pliant à une éthique ressuscitée chez lui, il sauve l’enfant. Sa jumelle, Eva, ne cesse de dire « Tuer » dans un état second, tandis que le docteur Tenma redécouvre les attraits authentiques de sa profession et, d’une certaine manière, de sa foi, tandis qu’il perd sa compagne ainsi que le poste élevé qu’il avait à l’hôpital. Trois médecins meurent, et une affaire surprenante apparaît neuf ans plus tard. Malgré une esthétique un peu datée (le manga date de 1995), le graphisme est très soigné (notamment les scènes d’opérations), évite toute surenchère de violence, et les questions posées autour de la médecine et de la morale sont pertinentes et intemporelles. Même si, après tourné les dernières pages, je ne vois pas du tout comment la série va évoluer, j’ai été à la fois charmé et appâté par l’intrigue, sobre et sombre.
28/09/2019 à 18:02 1
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Black Lagoon tome 1
6/10 Un manga qui commence, dès les premières planches, par un bon coup de poing donné par l’un des pirates à l’un des otages du bateau : ça commence vite et bien. L’existence d’une mystérieuse disquette, avec un contenu non moins mystérieux et embarrassant, apparaît. Pas mal d’action d’entrée de jeu et un graphisme plutôt sympa, avec une pirate dont le physique est sacrément pompé sur celui de Lara Croft (probablement un clin d’œil). Si l’ensemble se lit bien, facilement et rapidement, je n’ai pas plus accroché que ça à l’histoire, je ne sais pas trop pourquoi. Manque d’originalité dans les dessins, le traitement scénaristique, ou l’esprit de ce manga ? Sympa, mais ça n’est pas dit que je tente l’aventure d’autres opus.
28/09/2019 à 18:01 1
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Prophecy Tome 3
7/10 Troisième et dernier tome de cette courte série, qui commence autour d’une boisson énergisante, « Quantum », qui est assez controversée. Nos quatre justiciers, toujours cagoulés de journaux, et annonçant leur méfait rédempteur sur Internet, vont jouer leur partie vengeresse jusqu’au bout, avec un événement qu’ils avaient concocté en secret et qui a le mérite d’être surprenant et mémorable. Même si j’ai connu Tetsuya Tsutsui encore plus inspiré, tant au niveau du graphisme que du scénario, je me suis, une fois de plus, laissé prendre jusqu’à la page finale, où un simple parapluie peut avoir une utilité plus qu’inattendue.
28/09/2019 à 18:00 1
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NeuN tome 1
8/10 Un manga qui fait d’autant plus froid dans le dos qu’il reprend, dès l’entame, des personnages réels, comme Himmler, Joseph Goebbels, et bien évidemment Adolf Hitler. Une esthétique très particulière, mélangeant finesse des détails et parfois une sorte de flou dans les postures ou les corps en mouvements, que j’adore. Des passages très violents et marquants pour cet ouvrage où treize enfants, créés artificiellement, sont porteurs de l’ADN du Führer. J’ai cru reconnaître le trait si particulier du « neuvième enfant », tel que l’on représente le Gavroche de Victor Hugo, peut-être est-ce un clin d’œil. Cette histoire concernant « l’opération 12feld », « le domaine de Dieu » et autres éléments qui offrent autant de pistes alléchantes pour les prochains opus que je me ferai un plaisir de lire.
22/09/2019 à 20:06 3
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Au Nom du Bien
9/10 Comté de Van Buren. Le pasteur Richard Weatherford est un homme respecté de tous ses paroissiens et de sa famille. Aussi, quand Gary Doane le fait chanter en échange de l’amnésie du jeune homme pour un ancien plaisir de la chair avec le révérend, ce dernier imagine déjà sa réputation démolie s’il ne lui donne pas les trente mille dollars attendus. Mais il y a des engrenages, inattendus et mortels, auxquels nul homme ne peut échapper, même un homme de Dieu.
Après L’Enfer de Church Street, L’Homme posthume et Sans lendemain, voilà le quatrième ouvrage traduit en France de Jake Hinkson. Un roman qui surprend déjà par sa structure : chaque chapitre, narré à la première personne, permet d’avoir le point de vue de l’un des protagonistes. Et ils sont nombreux et croustillants. Le pasteur, bien évidemment, qui aura cédé au péché du sexe et s’en mord à présent les doigts, perclus de contradictions, et capable des pires atrocités pour l’abrogation de son errance charnelle. Son épouse, Penny, qui doute de la réalité de son union avec Richard, malgré les apparences qu’ils s’emploient à sauver. Gary, jeune homme sur le fil du rasoir. Sa copine, Sarabeth Simmons, qui a une étiquette sur laquelle est écrit « fille facile » dans le dos alors qu’elle est probablement plus vertueuse que nombre des ouailles du comté. Brian Harten, sans-le-sou, et qui aimerait bien pouvoir lancer un commerce de spiritueux dans le coin, même si les esprits et la loi n’y sont pas encore prêts (notez le titre original du livre : Dry County). Et il y a également Tommy Weller, ancienne gloire locale du baseball, propriétaire de plusieurs commerces, beau-père de Sarabeth et à la l’arrogance si ample qu’il a fait ériger une statue à son effigie. Des personnages crus, troubles, très crédibles, qui vont être entraînés dans un curieux et létal manège. Des interactions remarquables, pertinentes, sur fond de chantages, d’intimidations, d’appâts du gain, de rédemptions et d’amours incertaines, et tous ces pions vont être mus par une terrible mécanique scénaristique qui n’en laissera aucun indemne. Il y a du venin dans les mots de Jake Hinkson, de l’acide, et il se plaît à narrer les duplicités d’une population aux allures innocentes, bienveillantes et justes, alors qu’y sont enkystés tant d’idées pécheresses, élans coupables et autres rancœurs fétides. Et c’est justement là que la plume de l’auteur se commue en scalpel pour mettre à jour ces tumeurs perfides. C’est comme si l’auteur avait déposé un fallacieux vernis de probité au-dessus de sentiments décomposés avant de briser cet enduit à coups de marteau pour en laisser s’échapper les remugles nauséabonds, à moins que cette couche ne se soit fracturée d’elle-même en raison des forces maléfiques à l’œuvre, tapies en deçà de ces apparences trompeuses.
Un style sobre et direct, sans la moindre fioriture, au service d’une histoire si noire qu’il eût été vain de vouloir l’embellir. Une réussite littéraire de la part de Jake Hinkson, en plus d’apporter un éclairage mordant sur les faux-semblants de toute société.22/09/2019 à 08:43 8
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Les Corps brisés
9/10 Sarah Lemire est dans la pleine force de l’âge lorsque la voiture de rallye qu’elle pilote s’écrase sur le bas-côté. Elle y laisse la vie de son copilote et l’usage de ses jambes. Envoyée dans un centre de rééducation, elle tente, tant bien que mal, de se reconstruire, physiquement et mentalement. Mais la disparition inattendue de Clémence, sa voisine de chambre, la pousse progressivement dans les retranchements de la paranoïa : en ce lieu isolé, quelqu’un aurait-il kidnappé la malade ?
Elsa Marpeau, qui a déjà signé, entre autres, Les Yeux des morts, Et ils oublieront la colère et Son autre mort, livrait ce roman en 2017. Un livre dont elle indique, d’entrée de jeu, qu’il est inspiré de l’affaire des « torturées d’Appoigny ». Et c’est tout la noirceur et la cruauté d’un terrible fait divers, certes romancé, qui s’étale progressivement sous les yeux du lecteur. L’écriture est remarquable, riche de lyrisme et de beauté, au point que l’on en vient, fréquemment, à relire certains passages tant ils sont poétiques et succulents. Sarah, pour qui la vitesse et la fusion avec son destrier mécanique, constituaient les seuls points de gravité, doit réapprendre à vivre, différente, handicapée, sans même pouvoir espérer recouvrer la moindre motricité des membres inférieurs. Elle va donc se confronter aux longues séances de kinésithérapie, avec un psychologue, ou cet étrange médecin que tout le monde surnomme « docteur Lune ». Dans le même temps, elle va cohabiter avec d’autres pensionnaires : brisés dans leurs chairs en raison d’accidents, combattant la maladie, rééduquant leurs organismes affaiblis par de terribles calamités. Une forme de fraternité des corps et des âmes va naître de cette proximité, au point que Sarah va rapidement s’inquiéter suite à la disparition de son amie Clémence. Fugue ? Enlèvement ? Des soupçons de kidnappings apparaissent dans l’esprit de la jeune femme en raison de cet endroit esseulé et anxiogène, et la suite ne fera que, malheureusement, lui donner raison. Les derniers chapitres sont à cet égard particulièrement durs, tendus, à la limite du dicible : avec des termes toujours choisis avec tact et empreints de charme, Elsa Marpeau va dépeindre l’envers du décor. Sordide, inhumain, nauséabond, abjectement mercantile et insensible. Un monde destructeur, disloqué, anomique, luciférien. Une onde de choc de mots et de maux traversera probablement le lecteur, lui vrillant âme et tripes, et le suspendant au fil des pages jusqu’à ce que la dernière d’entre elles ne soit tournée.
Un roman d’une rare cruauté, sans jamais que cette férocité ne se fasse de manière gratuite ou voyeuriste. C’est tout autant un incroyable cri d’espoir et d’amour – puisqu’aucun de ces deux sentiments n’est totalement éclipsé du récit – qu’un hurlement primaire jaillissant de geôles anonymes et invisibles, comme savent, mille fois hélas, nous le rappeler les médias.22/09/2019 à 08:41 1
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La Légende de Jack
8/10 Trois ans après le dernier meurtre connu de Jack l’Eventreur, Montréal est parcourue d’un terrible frisson : Martha Gallagher, une prostituée, est retrouvée morte. Son corps n’est plus qu’un charnier de violences et de barbaries. Elle est d’ailleurs la première d’une longue liste de victimes, toutes étant de malheureuses professionnelles du sexe. L’insaisissable tueur en série aurait-il traversé l’Atlantique ?
Ce premier opus de la série consacrée à Joseph Laflamme séduit immédiatement. Grâce à une écriture simple, sans fioriture, et néanmoins fort efficace, Hervé Gagnon dépeint habilement le Montréal de la fin du dix-neuvième siècle, avec son lot de misères sociales et de quartiers malfamés, où les pauvres hères côtoient des êtres interlopes. Joseph Laflamme est un personnage intéressant : orphelin, la trentaine, usé par la précarité et les abus de gin, vivant avec sa sœur Emma, ce pigiste n’est jamais parvenu à se faire une place au journal Le Canadien. Mais cette affaire, particulièrement sanglante et glauque, pourrait bien lui permettre de devenir célèbre. Au passage, remercions l’auteur de nous avoir épargné les clichés malheureusement si récurrents en la matière : Joseph n’est pas nécessairement un intrépide combattant de la liberté de la presse, et s’il ressent à un moment que sa vie et celle de sa sœur sont en danger, il ne mettra guère de temps à accepter de quitter le devant de la scène médiatique. Les ouvrages mettant en scène Jack L’Eventreur sont déjà assez nombreux pour que l’on puisse décemment implorer les nouveaux venus d’être originaux, dans le fond ou dans la forme. Hervé Gagnon le fait ici avec beaucoup d’habileté : la voie dans laquelle il s ‘engage n’est pas totalement innovante, mais il introduit quelques éléments intéressants, offrant au passage une relecture efficace de l’histoire de cet ignoble tueur en série, tout en assumant sans le moindre complexe le caractère purement fictif de cette intrigue. En entremêlant enjeux politiques, pratiques franc-maçonnes, lutte des polices et perversions sexuelles, il parvient à tirer son épingle du jeu. Notons au passage un coup de cœur pour l’un des protagonistes de l’histoire, même s’il est secondaire : Margaret Smith, policière de Scotland Yard, borgne et à jamais stérile après avoir échappé à Jack L’Eventreur, son mari ayant été lâchement abattu par le monstre.
Lorsque l’on ressuscite des morts, il faut savoir éviter les banalités et le manque de tact. Hervé Gagnon a réussi cette gageure, accompagnant cette résurrection par l’avènement d’un Joseph Laflamme qu’il nous tarde déjà de retrouver dans d’autres opus.22/09/2019 à 08:35 5
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Panique au poulailler !
7/10 En vacances en Dordogne, les sœurs Joyeuse et Albane ont emmené leur fidèle compagnon, Hercule, un chat qui est également un détective hors pair. Voilà que l’on s’en prend aux œufs du poulailler de Thibaut, leur camarade, qui disparaissent chaque nuit. L’œuvre d’un animal ou d’un voleur humain ? Hercule enquête.
Ce roman issu de la série consacrée au chat policier Hercule est, une nouvelle fois, une délicieuse réussite. Christian Grenier, en plus d’avoir imaginé un limier récurrent original, continue de faire vivre intelligemment les investigations qui le mettent en scène. Ici, il s’agit de la disparition d’œufs dans un poulailler. Le postulat peut paraître mince, mais l’auteur l’exploite à fond, avec une maîtrise et un discernement qui ne pourront qu’emporter l’adhésion du lectorat auquel se destine l’ouvrage, « à partir de 8 ans » comme le signale l’éditeur. Des indices, des suspects, des rebondissements, et ce qu’il faut de suspense pour retenir d’un bout à l’autre l’attention : voilà un contrat amplement rempli. En outre, en plus des touches d’humour (principalement des jeux de mots), Christian Grenier imagine des personnages amusants et dont on pourra se souvenir, comme les trois frères de l’entreprise OAGO (comprenez « Œufs A GOgo » dont les prénoms commencent tous par un L, qui travaillent dans une ferme d’élevage intensif où sont exploitées plus de six mille poules, et qui semblent ne pouvoir achever une phrase qu’à trois, en se complétant.
Voilà encore un roman réussi qui, en plus d’offrir un agréable moment distractif, sait mettre en relief, sans jamais être moralisateur, la nécessité d’une alimentation raisonnée et d’un sain comportement envers les animaux.22/09/2019 à 08:31 2
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Le Syndrome E
8/10 Moi qui n’avais pas lu du Franck Thilliez depuis longtemps, voilà que je m’y suis replongé avec cet opus… avec délice. J’ai tout de suite été embarqué par cette histoire, folle, démente, énergique, où la plume de l’auteur fait merveille. Si les beaux mots et formules lyriques ne sont que rares, je trouve que l’écrivain use surtout d’une forme de simplicité très efficace, façon page-turner. Des chapitres courts, dynamiques, s’enchaînant à merveille, anéantissant tout souffle, tout temps mort. Beaucoup de notions sont abordées dans cet opus, avec minutie, discernement et clairvoyance : la folie, la vue, le cerveau, les expériences médicales, les hystéries collectives, les techniques de cinéma, les génocides, etc. Je n’ose imaginer le temps qu’a passé Franck Thilliez à se documenter, retenir cette myriade d’informations puis s’en servir pour bâtir puis mener son histoire. Dans le même temps, j’ai pris plaisir à retrouver Sharko et Lucie, pour une joie décuplée dans la mesure où tous deux mènent de conserve leur investigation, en France, mais aussi en Egypte et au Québec, pour retrouver et mettre à nu les racines de ces crimes monstrueux. Lui, toujours aussi borderline, hanté par le fantôme de sa fille, obnubilé par les trains miniatures et les baignoires ; elle, esseulée avec ses deux enfants. Leur rapprochement, d’abord purement professionnel, va donner ensuite lieu à une alliance sentimentale, et j’ai hâte de savoir comment va évoluer cette relation, d’autant que l’ouvrage s’achève sur un événement parfaitement inattendu, et qui va certainement avoir des incidences sur leurs rapports. Même si je ne suis pas fan des histoires de complotisme, je dois dire que j’ai été soufflé par le tempo presto, m’être pris pas mal de claques au passage avec des rebondissements et des notions qui, non seulement m’étaient inconnues, mais m’ont en plus bien fait froid dans le dos. Oui : ne serait cette histoire de complotisme qui n’est, très subjectivement, pas ma tassé de thé, c’est presque un sans-faute littéraire pour moi.
14/09/2019 à 08:26 10
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Dix
8/10 Quelques lignes (page 219) résument bien ce qui se passe dans cet ouvrage : « Dix coupables réunis sur une île, tués l’un après l’autre pour expier un crime pour lequel la justice ne les avait pas condamnés. Des meurtres reprenant consciencieusement le déroulement d’une comptine accrochée dans les chambres des invités tandis que dix petites statues de jade étaient brisées après chaque mort. » Une habile transposition du mythique « Dix petits nègres » d’Agatha Christie : 10 personnes (7 adolescents et trois adultes) emmenés sur une île bretonne pour une émission de téléréalité, avec des meurtres dont le modus operandi s’inspire de contes ou de la mythologie, pour une vendetta dont seules les dernières pages nous livrent l’instigateur et le mobile (même si ce dernier se laisse aisément deviner grâce aux divers indices assez explicites laissés au gré du récit, tels de petits cailloux) par Marine Carteron. Une écriture limpide, recherchée et travaillée, donc à destiner en priorité aux jeunes lecteurs aguerris (puisque c’est le but de la collection dans laquelle ce roman a paru) ainsi qu’à des lecteurs adultes. Des personnages répondant certes à des clichés (le beau gosse ancienne vedette du cinéma, sa mère castratrice et alcoolique, les jumeaux dont l’un est obèse et taré et la sœur cachant un lourd secret, la bimbo, la sportive adepte du plongeon acrobatique, le surdoué, etc.), même si l’écrivaine a l’intelligence de couper le pied à ces poncifs en expliquant que c’est à la demande de l’émission de téléréalité elle-même. Un délicieux jeu de massacre, avec une paranoïa, un suspense et une érudition indéniable, pour un ouvrage qui est vraiment une adaptation plutôt qu’un pompage éhonté du roman de la Reine du crime. Une histoire de vengeance très bien bâtie, presque jouissive et cathartique.
14/09/2019 à 08:23 7
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Perfect Crime tome 7
8/10 Tada et Momose intègrent une équipe chargée d’enquêter sur les crimes d’Usobuki, et ce duo en vient à s’intéresser à un mystérieux monsieur Date, qui est également un « insensible ». Trois épisodes autour de ce scénario : palpitants et jouant avec habileté sur les ressorts attendus, de quoi régaler les fans de la série. Une jeune femme victime des violences de son compagnon, et un gentil chevalier servant tombant dans le traquenard de sa propre inclination. Une rivalité entre les musiciennes d’un groupe. Enfin, une double histoire où Usobuki pourrait bien subir une terrible vengeance grâce à l’une de ses anciennes victimes, privée d’une partie de ses sens et donc insensible aux pouvoirs de suggestion mentale du tueur. Encore un beau florilège de manipulations, duperies et rebondissements pour cet opus d’une série dont le charme sur moi ne décroît pas.
14/09/2019 à 08:22
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Manhole tome 3
9/10 Conclusion de cette trilogie. Un peu plus de policier que d’horreur avec l’explication du mobile du tueur ainsi que la révélation de son identité. Toujours ces scènes mémorables (comme la manière dont la jeune policière, Inoue, essaie de faire ingérer les médicaments à son supérieur, M. Mizoguchi, ou l’examen au scanner et le rebondissement inattendu qui l’achève) et un suspense haletant, terminant avec maestria cette non moins magistrale série qui panache le gore et le thriller.
14/09/2019 à 08:21 1
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La Femme secrète
8/10 Louise Andersen mène une vie plutôt rangée avec son époux, Joachim, écrivain, à Christiansø, une petite île danoise. Mais un jour, un homme, Edmund, se présente auprès du couple et assure que Louise s’appelle en réalité Helene et qu’elle est son épouse, disparue depuis trois ans. Amnésie de la part de Louise ? Folie ? Mensonge d’Edmund ? Et si la vérité était encore plus complexe… et démente ?
Sous le pseudonyme d’Anna Ekberg, les auteurs Anders Rønnow Klarlund et Jacob Weinreich signaient ce thriller en 2016. Un postulat de prime abord classique, avec l’amnésie d’un personnage qui tente de recouvrer son propre passé et comprendre l’origine du trauma qui est la cause de cette perte de mémoire. Si les premiers chapitres sont assez lénitifs, le reste de l’ouvrage est beaucoup plus dynamique. Sans rien dévoiler de l’intrigue, il va bien être question de deux femmes différentes – Louise et Helene – dont aucune des deux n’a eu une existence paisible. Tandis que Joachim, toujours fou amoureux de sa jeune femme, va tenter de savoir ce qui est arrivé à celle que l’on appelait Louise, Helene découvre sa vie d’avant, à la tête d’une entreprise richissime, et comprendre que toute vérité n’est pas nécessairement bonne à dire… et qu’il faut surtout ne pas s’en souvenir. Anna Ekberg enchaîne les chapitres courts, chacun mettant en scène Joachim ou Helene, et ils vont tous deux remonter à la source d’horreurs anciennes qui auraient dû rester enfouies. Il y sera question de la Seconde Guerre mondiale, de vieilles histoires de famille, d’art extrême, etc. Si le style et la cadence de l’histoire séduisent indéniablement, nous emmenant même sur des terres assez glauques et violentes, on peut néanmoins regretter un léger manque de crédibilité, avec, au final, deux terribles affaires distinctes qui ont fini par coexister, mais dont la probabilité qu’elles puissent ainsi se côtoyer est infime.
Un thriller qui, après une allure un peu molle sur la première vingtaine de chapitres, s’envole ensuite vers deux affaires particulièrement prenantes et efficaces.05/09/2019 à 20:03 5
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Un seul être vous manque
7/10 Yves Baron n’est plus. Directeur d’une entreprise de construction à La Réunion, il vient d’être découvert mort par Augustine, la domestique, et son épouse Carole. Mais au gré des légitimes questions qui se posent après le décès d’un proche, des vérités dérangeantes vont apparaître.
Cet ouvrage de Sonia Cadet a été récompensé par le prix 2019 du premier roman policier du festival de Beaune. D’entrée de jeu, la beauté de l’écriture séduit, envoûte : chaque mot est pesé, travaillé, poétique, et les formulations sont plus qu’attirantes. Indéniablement, cette écrivaine dispose d’une plume ravissante, et l’on ne peut que souhaiter, à l’avenir, un tel niveau d’élaboration littéraire. On s’intéresse rapidement aux divers membres de la famille Baron, notamment Anaïs, la fille, Antoine, le gendre, Carole, la veuve, et quelques autres personnages qui gravitent autour de cette dynastie. En introduisant Pierre, professeur de gestion quinquagénaire et ami de Carole, Sonia Cadet permet une immersion captivante dans le monde de l’entreprise, avec ses rivalités internes, ses méthodes parfois interlopes, et les tractations financières qui peuvent rapidement tourner à l’illégalité. Fort concis (environ deux cents dix pages), ce roman se laisse lire d’un bout à l’autre, sans le moindre temps mort, avec un intérêt entretenu par cette langue si belle employée par l’auteure, qui permet notamment de sonder en profondeur des psychologies denses et crédibles. Néanmoins, si l’on ôte cette belle enveloppe de mots délicieux, l’intrigue n’est, en soi, guère ensorcelante : certains ressorts, quoiqu’intelligemment exploités, sont assez courants, de même que l’identité du meurtrier ainsi que ses motivations ne surprendront pas, se laissant même deviner bien avant leur révélation.
Un lapidaire opus centré sur le décès d’un chef de famille, donnant plus lieu à une étude de mœurs qu’à un réel suspense. Typiquement, le genre de livres dans l’air du temps, où les téléfilms et autres sagas familiales font florès. Il y manque cependant ce grain de folie, d’ivresse ou d’originalité pour emporter totalement l’adhésion du lectorat.05/09/2019 à 19:57 2
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Sauf
7/10 Lorsqu’il avait six ans, Mat a vécu la disparition de ses parents, brûlés lors de l’incendie de leur manoir en Bretagne. Il est depuis propriétaire d’un dépôt-vente. Un jour, une inconnue vient déposer un album photo où il apparaît. Mais un détail va venir enrayer la perception du passé, un anodin anachronisme qui va l’obliger à plonger dans des secrets de sa propre famille.
Hervé Commère, à qui l’on doit Les Ronds dans l’eau, Imagine le reste, Le deuxième homme ou encore Ce qu’il nous faut c’est un mort est revenu l’an passé avec cet ouvrage qui se dévore plus qu’il ne se lit. Un rythme trépidant, au fil de chapitres particulièrement courts, déroulant une intrigue complexe et sacrément échevelée. Narré à la première personne, l’histoire embarque dès les premières pages, et nous ne serions guère éloignés de la vérité en prétendant que chaque fin de chapitre se clôt sur un cliffhanger, obligeant le lecteur, avec avidité, à se ruer sur la suite pour satisfaire sa soif de suspense. D’entrée de jeu, les événements s’enchaînent : cambriolage, course-poursuite, un voleur qui est victime de deux balles (l’une tirée par un policier, la seconde d’origine inconnue), des révélations qui se succèdent à une cadence effrénée, etc. Un tempo particulièrement enlevé, tellement efficace qu’il en viendrait presque à donner des leçons à des références littéraires anglo-saxonnes et autres films. Cependant, ce qu’Hervé Commère obtient en puissance de percussion, il le perd un peu en crédibilité : les éclaircissements sont à ce point nombreux et féconds que l’on en vient parfois à douter de la vraisemblance globale du récit, tandis que certains personnages n’ont pas le temps d’être développés et en viennent à n’être que des spectres, éthérés et sans réelle densité. Mais l’exercice, pour les lecteurs amateurs de sensations fortes et d’intrigues vécues avec entrain, ne pourra que les charmer voire les hypnotiser.05/09/2019 à 19:52 8
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L'Ange déchu
8/10 David Stillman, trente-six ans, célibataire, expert commercial dans un building new-yorkais. Sa vie bascule en plusieurs étapes : quand il descend les marches de l’immeuble où il travaille, il fait la connaissance d’une ravissante inconnue qui disparaît aussitôt, avant de s’enfoncer vers des étages… qui n’existent pas. C’est également un dénommé Charles Calvin, travaillant pour la même compagnie où œuvre David, qui se suicide en se jetant du vingt-deuxième étage. Et si David était tout simplement en train de devenir fou, au sein d’une société pas très nette non plus ?
Cet ouvrage de Howard Fast retient l’attention dès les premières pages. Datant de 1965, on se rend vite compte que l’écriture a vieilli, mais cette délicieuse touche surannée en vient presque à accroître la magie de la plume. On assiste à la lente déchéance de M. Stillman, sur qui le sort semble s’acharner : une mystérieuse femme qui semble en savoir beaucoup sur lui, des hommes dangereux qui le pourchassent, un détective privé qu’il engage mais qui en vient à douter de lui, un psychiatre qui met en relief une amnésie de trois ans chez notre héros, un suicide qui n’en est peut-être pas un, et un mystérieux brevet qu’il faut à tout prix récupérer. Les jalons de la normalité vont lentement s’abattre les uns après les autres pour notre protagoniste, au point qu’il va émettre de sérieux doutes quant à sa propre santé mentale. Complot ? Cauchemar ? Gigantesque farce ? D’autant qu’Howard Fast s’attarde avec bonheur sur certains travers de l’humanité, comme son indifférence à géométrie variable en fonction des individus concernés, sa course au profit, son péril d’autodestruction avec des armes sans cesse plus rugissantes et aberrantes, etc. L’écrivain, victime du maccarthysme et lauréat du Prix Staline international pour la paix en 1953 (devenu Prix Lénine après la déstalinisation, mais il y a tout de même des titres qui piquent sacrément les yeux en raison de leur nature oxymorique) lâche donc, en plein de beaux aphorismes, des sagaies intelligentes quant aux relations humaines et au sort du monde. L’intrigue, attirante, aboutit à une conclusion cohérente dans le dernier des vingt chapitres, mais qui n’étonnera cependant guère les amateurs éclairés de littérature policière. En revanche, c’est le côté satirique du contexte et agréablement désuet du style qui emportent l’adhésion du lecteur.
Un ouvrage rare et précieux, intelligemment imaginé et construit, dont on aurait rêvé pouvoir en admirer une adaptation cinématographique, pour un exquis film noir à l’ancienne dont Hollywood avait le secret.05/09/2019 à 19:46 5
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Cochons de parents
7/10 … ou comment Charles Livingston, impresario dans le milieu du théâtre, et Floyd Breed, guide chasse et de pêche, en viennent à unir leurs forces tandis que se multiplient des meurtres perpétrés par de jeunes et mystérieux assassins, ces deux hommes pensant qu’il s’agit là de l’œuvre de… leurs enfants. Un synopsis alléchant – quoique trop tôt dévoilé, ce qui gâche un peu le suspense, et traité de manière sobre et alerte. La plume de Burt Hirschfeld est très plaisante à lire, glissant quelques passages humoristiques et légèrement crapuleuses, notamment lorsqu’il s’agit de Charles, toujours prompt à se laisser conquérir par de belles et jeunes naïades prêtes à tout pour s’assurer le maximum de chances d’une carrière artistique. Si l’idée de départ est vraiment bien trouvée, avec cette escouade, un peu dilettante certes, mais sacrément opiniâtre et mortelle, d’ados décidés à exterminer leurs propres géniteurs, il manque un je ne sais quoi à l’ouvrage pour emporter totalement mon adhésion. Peut-être est-ce le côté très concis du roman qui a muselé l’auteur et l’a empêché de développer la dimension psychologique des criminels, ce qui les a poussés à ainsi se lancer dans une croisade mortifère, ce qui a pu ainsi cristalliser tant de haine pour qu’ils se jettent à cœur perdu dans ces expéditions punitives.
01/09/2019 à 08:53 2
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Les Demoiselles de Concarneau
8/10 Cinquante francs. C’est à cause de ces cinquante francs que Jules Guérec a dépensés avec une femme aux amours tarifées et qui l’obsèdent qu’il ne fait pas attention au volant de son automobile, en rentrant chez lui à Concarneau, et qu’il heurte violemment le jeune Joseph Papin, qui en vient à décéder de ses blessures. Dès lors, Jules, jusqu’à présent muselé dans sa vie de tous les jours par ses deux sœurs (il en a une troisième, Marthe, mais cette dernière ne vit plus dans la maison familiale), en vient à vouloir se racheter auprès de la mère de sa victime et va tomber fou amoureux d’elle. On retrouve la verve propre à Georges Simenon, sèche et acide, où, sous des atours de prose simple, se dissimulent des sentiments acerbes, des envoûtements toxiques, des élans brutaux. Ici, c’est la ville e Concarneau qui sert de décor à ce drame familial, où la famille Guérec, riche et implantée, fait office de notables. Néanmoins, sous la férule de ses deux sœurs, castratrices et imposantes, Jules n’a jamais vraiment vécu, se voit imposer un décompte de l’argent qu’il emporte et dépense, ne s’est jamais marié malgré ses quarante ans. Jules en viendra à éprouver des sentiments très contradictoires suite à cet accident, involontaire et mortel : en proposant un emploi à l’oncle de sa victime, simple d’esprit, en ayant progressivement une inclination pour la mère de Joseph, mais ce penchant irraisonné va être contrecarré par l’une de ses sœurs, encore une fois. Un récit encore une fois très sombre, pensant, avec notamment des moments très courts et puissants, comme la réaction incroyable de Marie Papin à la proposition de Céline. Encore une fois, Georges Simenon s’illustre dans la peinture au vitriol de la société, de ses petites ignominies, et met en exergue des sentiments aussi ambivalents et hétérogènes que la culpabilité, la volonté de rédemption, l’amour dans des conditions si particulières, le poids de la famille, sans oublier une description sobre et très enrichissante du milieu de la pêche.
01/09/2019 à 08:49 2