El Marco Modérateur

3253 votes

  • 6000 tome 1

    Koike Nokuto

    8/10 Un manga saturé d’hallucinations et de beaux moments d’angoisse, passés à 6000 mètres sous la surface de l’eau dans une structure où a eu lieu un étrange accident trois ans plus tôt. Un graphisme très travaillé pour une intrigue soutenue qui s’achève ici avec l’ouverture du garde-manger et une étrange découverte. Je souhaite que les opus suivants soient à la hauteur scénaristique et esthétique de celui-ci.

    08/08/2017 à 08:55 1

  • Le Manchot à peau noire

    Philippe Declerck

    8/10 Le cadavre d’un Noir, massacré, vraisemblablement torturé, la main tranchée. Ce cas rappelle à Luc Mandoline un autre carnage : un autre Black supplicié et à qui on a tranché la langue. Aidé par quelques amis, celui que l’on connaît également sous le sobriquet de « L’Embaumeur » est bien décidé à tirer cela au clair.

    Philippe Declerck nous a séduits avec ses précédents ouvrages, notamment ceux consacrés à son personnage fétiche Olivier Béjot. Ici, il reprend le flambeau de la série consacrée à Luc Mandoline, et régale le lecteur. D’entrée de jeu, on est plongé dans cette histoire sombre et glauque, avec le convoyage d’une dépouille qui va vite se révéler suspecte. Par la suite, les rebondissements vont s’enchaîner en une véritable noria. Luc Mandoline goûtera à des amours soudaines et sanguines en la personne d’Amélia, et sera également poursuivi, battu, torturé, avant d’aller affronter ses propres démons lors de l’ultime épisode, dans un bordel ougandais. Philippe Declerck signe un roman particulièrement noir et nerveux convoquant sous sa plume des tyrans, des pays brutalisés, des enfants tourmentés, et des trafics nauséabonds. Un opus singulier et diablement efficace, qui démontre, s’il en était encore besoin, à la fois les qualités littéraires de son auteur ainsi que la fougue et la plasticité d’une série littéraire policière dont le grand intérêt ne se dément pas.

    31/07/2017 à 08:38 3

  • La Confrérie du corbeau

    Peter Tremayne

    9/10 Etonnante découverte que celle faite par Eadulf et Aidan. Dans un convoi de forains, un incendie attire leur attention : ils découvrent d’abord un corps puis un second. D’autres saisissements interviennent : les victimes ne sont pas ce qu’elles paraissent. Le premier jeune homme est en fait une jeune femme, enceinte, et l’autre un probable moine. De même, ils ne sont pas morts lors de l’incendie mais empoisonnés. Avec leur équipe de guerriers issus de la Nasc Niadh, la garde d’élite du roi, Fidelma, avocate des cours de justice, et son mari Eadulf tentent de remonter la piste laissée par les deux victimes.

    Ce vingt-sixième épisode de la série consacrée à Sœur Fidelma est un petit bijou. L’auteur, Peter Tremayne, nous replonge avec virtuosité dans l’Irlande du VIIe siècle, avec une immense culture, sans que cette dernière ne devienne trop envahissante. C’est un plaisir de tous les instants que de découvrir la culture des lieux et de l’époque, sa gastronomie, ses rites, son organisation sociétale, ainsi que ses lois. A cet égard, de nombreux poncifs explosent, tant on se rend compte que des notions que l’on croyait modernes, comme le divorce pouvant être favorable à l’épouse, existaient déjà. Dans le même temps, l’intrigue est particulièrement soignée et captivante. Le lecteur se laisse guider du début à la fin par l’écrivain. Tant Fidelma que Eadulf vont mener une enquête passionnante, qui va les faire s’approcher d’un complot pouvant bouleverser les Cinq Royaumes. A cet égard, Fidelma est décidément une très fine détective : sagace, obstinée tout en restant ouverte aux propositions de ses camarades, et – joli clin d’œil de la part de Peter Tremayne offert à Arthur Conan Doyle – qui fait sienne, à quelques mots près, la citation de Sherlock Holmes : « Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité ». On retiendra également de magnifiques moments de littérature, comme la joute verbale entre Eadulf et Frère Finnsnechta, l’ermite, à propos du sort judiciaire réservé à la belle Rechtabra, les déductions finales de Fidelma à propos de l’identité du chef de cette terrible confrérie, ou encore le sort peu enviable réservé à ce dernier dans les ultimes pages.

    Un roman d’une remarquable tenue, aussi instruit qu’instructif et distrayant, pouvant être lu même si l’on n’a jamais pris connaissance des précédents opus.

    31/07/2017 à 08:38 2

  • Ranko Tango

    Brigitte Aubert, Gisèle Cavali

    7/10 Une histoire assez classique dans le fond, mais qui distrait sacrément par sa forme. Un jeune gamin, placé à la DDASS, se persuadant que son géniteur l’attend à La Réunion où il vit du métier de pirate, décide de prendre la poudre d’escampette, et, dans sa cavale, affronte bien des péripéties, dont se retrouver avec un truand malintentionné auquel il subtilise une clef de consigne et un gros pétard. Des personnages croustillants, dont Jo, le grand-père de Victoria, son amoureuse, un papy amateur de Perfecto, possesseur d’une Cadillac ancienne et ancien virtuose de l’accordéon. Un ton amusé et amusant, avec des répliques bien sympathiques, un langage mêlant celui des jeunes des quartiers (quoique le langage soit assez daté, le livre datant de 1999), les propos du titi parisien et les formules proches de celles de Michel Audiard. Rien de nouveau sous le soleil de la littérature policière pour la jeunesse, certes, mais un agréable moment où l’on se laisse bronzer en toute quiétude par la pétillance des mots et la joie qui a visiblement animé les deux écrivaines, Brigitte Aubert et Gisèle Cavali.

    29/07/2017 à 08:28 1

  • L'Attaque du mutant

    R. L. Stine

    7/10 Une histoire qui commence bien et m’a agréablement surpris, dans la mesure où elle tranche singulièrement avec les autres écrits de R. L. Stine. Un habile panachage de suspense, de phénomènes inexpliqués, avec une intrusion dans les milieux de la BD et des superhéros, en plus de touches d’un humour sympathique (come Wilson et sa collection de tampons). Par la suite, l’ensemble tient un peu moins ses promesses à mes yeux, et la scène finale, quoiqu’originale, ne m’a pas vraiment surpris. Mais cela demeure un ouvrage plaisant et qui se détache bien dans la bibliographie de l’auteur.

    29/07/2017 à 08:26 1

  • Tu seras la risée du monde

    Jean-Paul Nozière

    8/10 Une autobiographie sacrément dure, et en même temps si humaine, où Jean-Paul Nozière nous conte son enfance et son adolescence, victimes de l’énurésie. Sur un tel sujet, on pouvait craindre le réalisme forcené, les blagues de mauvais goût, les traits forcés :il n’en est strictment rien. Beaucoup d’humanité, un amour évident pour les siens : ses parents, instituteurs, écœurés par la grossièreté, ou son frère, toujours prêt à le secourir. De beaux moments de littérature, comme sa relation à la religion, notamment pour un Dieu qui ne fait rien pour l’aider à lui couper le robinet, ou ses relations ambivalentes avec ses camarades. Et toujours ce problème de « pipi-au-lit », qui le fera un temps penser à se couper le pénis. Un problème moral, social et psychologique évoqué avec une immense tenue, ainsi que la distance et une porte ouverte sur un handicap d’une rare intimité, qui a le bon goût de ne pas s’achever sur des bons sentiments étalés à la truelle ou un happy end déplacé.

    29/07/2017 à 08:25 3

  • Real Account tome 2

    Okushô, Shizumu Watanabe

    8/10 Une série dont la qualité, au deuxième tome, ne faiblit pas. Son lot de pièges, de jeux pervers, avec la dénonciation frontale des réseaux sociaux et des comportements et réflexions qu’ils induisent chez leurs affidés. Un scénario tendu et une sacrée découverte quant au passé d’Ataru, et un intéressant rebondissement dans les dernières pages du manga. J’en redemande !

    29/07/2017 à 08:23

  • Il s'appelait... le Soldat inconnu

    Arthur Ténor

    6/10 Un joli roman, ou la biographie romancée d’un Français lambda appelé à devenir, bien évidemment sans le savoir ni le demander, le Soldat inconnu. De sa naissance à la manière dont il a été choisi – de manière non conforme à la réalité – pour devenir ce symbole, en passant par ses premières amours et les horreurs de la guerre, la plume d’Arthur Ténor rend honneur à la petite comme à la grande histoire. Peut-être rien de très original ou de mémorable, mais un livre qui se lit vite et bien.

    29/07/2017 à 08:22 2

  • La Double disparition

    Serena Blasco

    7/10 Une habile adaptation du premier tome de la série écrite par Nancy Springer. Une intrigue classique mais bien menée, où l’on prend plaisir à découvrir Enola, sœur de Sherlock et Mycroft Holmes. Mais là où cette BD prend toute sa mesure, c’est grâce à l’esthétique prodiguée par Serena Blasco : tout y est charmant, attachant, avec cette beauté toute en pastels qui tranche avec ce que l’on trouve habituellement dans le domaine. Un délicat ravissement, probablement pas mémorable, mais surprenant, visuellement magnifique, et qui fait passer un agréable moment.

    29/07/2017 à 08:20 1

  • Ajin tome 3

    Tsuina Miura, Gamon Sakurai

    7/10 Un ouvrage dense et mené à un rythme frénétique, qui se divise finalement en deux parties : l’évasion de Kei du centre et quelques cercles habilement dessinés autour de la manipulation et des expérimentations. Des scènes de combats habilement menées, un graphisme nerveux, et même si le scénario passe au second plan derrière l’action pure, un délassement prenant et efficace.

    29/07/2017 à 08:20 1

  • Piégés dans le train de l'enfer

    Hubert Ben Kemoun

    8/10 Quand Teddy prend place dans le TGV, avec un sac rouge pris à la consigne de la gare quelques instants plus tôt, il se doute de son contenu. De la drogue. Son rôle : passeur, ou « mule », selon le terme approprié. Il est rodé à l’exercice. Mais les événements vont vite lui démontrer qu’il n’existe pas de tranquillité pour les convoyeurs de mort, surtout quand le hasard s’en mêle…

    Hubert Ben Kemoun est un auteur reconnu de la littérature jeunesse, et ce dernier opus démontre, s’il en était encore besoin, l’étendue de son talent. Serré et tonique comme un café, il emporte le lecteur pour cet aller-simple vers le chaos. Les rebondissements, nombreux et vraiment inattendus, ne cessent de chambouler le récit, avec, notamment, la présence de multiples protagonistes à bord du train. Teddy, bien sûr, fournisseur de drogue pour le terrible Gabor, parrain redouté. Dimitri, voleur compulsif, dont la cleptomanie va le conduire à une énorme bêtise. Ousmane et Grégoire, hommes de main de Gabor, montés dans ce TGV et dont la violence va exploser. Mathilde et Solène, amoureuses du même homme, et que ce périple ferroviaire va voir s’affronter. Tous ces individus, très crédibles et denses, rendent ce roman choral particulièrement prenant, dans la mesure où les interactions entre eux vont bouleverser le cours « normal » du voyage.

    Un ouvrage singulier et efficace, prenant du début à la fin, et qui, comme l’affirme la première de couverture, ne laisse que « 3H pour s’en sortir ». Et autant d’heures d’une lecture énergique et intelligente, car ce joli moment de détente n’en oublie pas de s’intéresser avec tact et discernement au sort des personnages placés sur les rails de cette intrigue excellente.

    26/07/2017 à 08:44 3

  • L'oeil du témoin

    Carole Martinez

    9/10 Dans le village de Rochesson, il ne se passe habituellement pas grand-chose. Noé, déçu de ne pas avoir pu partir avec ses camarades en voyage scolaire, observe les alentours avec son télescope. Il voit alors Marguerite, la brave bibliothécaire, se faire étrangler. Il y a un autre témoin, une jolie jeune fille de son âge, qu’il surnomme dans un premier temps « Vague ». Qui a bien pu assassiner une quinquagénaire aussi inoffensive que la victime ? Aidé de sa nouvelle amie – pour laquelle il a le béguin, Noé enquête.

    Avec ce roman, Carole Martinez enchante. Certes, le postulat du malheureux témoin a déjà été moult fois employé. Mais il y a un véritable envoûtement qui se dégage des pages au fur et à mesure de l’histoire. La plume de l’écrivaine est admirable ; ce n’est pas parce qu’elle s’adresse à des jeunes lecteurs qu’elle est simpliste, au rabais. Tout y est poétique, joliment tourné. Les personnages, nombreux – les deux limiers comptabilisent soixante-deux suspects – et tous sont admirablement retranscrits. Depuis les parents de Noé – des aveugles à qui leur fils joue un tour pendable en mettant le capharnaüm dans l’appartement pour qu’ils pâtissent de leur décision de le garder avec eux – en passant par ces inénarrables personnes âgées vivant dans le village, chaque description et chaque situation mettant en scène ces individus deviennent, au choix, un petit délice d’humour ou d’humanité, quand ce n’est pas les deux à la fois. L’intrigue est également habilement tournée, et l’on s’achemine lentement vers une résolution très crédible, habile et efficace, mettant en relief l’accablement humain. Et la manière dont Noé et sa camarade découvriront le coupable du meurtre est adroite et marquante.

    Un exquis moment de littérature policière pour les jeunes, magnifiquement rédigé, et qui emporte de la première à la dernière page.

    26/07/2017 à 08:38 1

  • Dansons la camisole !

    Carter Brown

    8/10 Un roman typique de l’œuvre de Carter Brown, et plus encore de la série consacrée à Rick Holman. Un récit sympathique sans pour autant défier la machine à cambrer les bananes en terme d’inventivité, un détective privé entêté et doté d’un solide sens de l’humour, sans compter de bien jolies poupées ensorcelantes et peu prudes. Une histoire de chantage, avec d’inquiétantes photographies prises lors d’une soirée libertine où l’on voit la cliente de Rick plonger un couteau dans le ventre d’une malheureuse. Pas mal de heurts entre Rick et les divers suspects jusqu’à la résolution de l’intrigue. C’est comme un bon blues : on connaît les mesures par cœur, on en devine presque la mélodie, mais on se laisse toujours prendre par cette musique noire intemporelle. Du moins, est-ce mon cas. Et je serai encore au rendez-vous d’autres ouvrages de Carter Brown.

    16/07/2017 à 09:05 3

  • Mort blanche

    Caroline Terrée

    7/10 Une habile enquête, pas si policière que ça, puisqu’elle se rapporte aux conditions étranges d’un accident durant lequel une sauveteuse a percuté violemment une paroi rocheuse, lui sectionnant la moelle épinière. Rien de transcendant, mais de jolis moments de tension, notamment verbales, comme les échanges entre Kate et Wayne puis avec l’avocat de ce dernier. Mais c’est surtout au niveau de l’émotion que Caroline Terrée fait fort : des mots simples, touchants, vibrants, dès que l’infirme, Sarah McKinley, apparaît ou est décrite.

    16/07/2017 à 09:03 2

  • Le Satellite venu d'ailleurs

    Christian Grenier

    6/10 Une histoire sympathique, jamais crédible, mais qui fait passer un agréable moment. Au-delà du récit, prenant grâce à la plume alerte et efficace de Christian Grenier, les jeunes lecteurs retiendront également des éléments instructifs ayant trait notamment à l’espace, l’astronomie et la physique, avec un lexique final instructif. L’ensemble est divertissant et intéressant, sans être pour autant mémorable.

    16/07/2017 à 09:03 1

  • La Fille qui criait au monstre

    R. L. Stine

    7/10 Une histoire qui commence de manière sage, ou comment la jeune Lucy, à force de crier au monstre, comme le veut l’adage lié au loup, en vient à ne pas être crue quand elle affirme que le bibliothécaire, M. Mortimer, en est un. Un suspense savamment entretenu, sans fausse note ni temps mort, jusqu’à un final vraiment inattendu, qui relève, comme l’ultime bouchée épicée d’un plat en apparence assez sage, le mets tout entier. Un petit régal.

    16/07/2017 à 09:01 1

  • Another tome 1

    Hiro Kiyohara

    7/10 Un manga mystérieux, renvoyant Kôichi Sakakibara vers la disparition étrange d’une ancienne élève, vingt-six ans plus tôt. De l’énigmatique et beaucoup de questions posées, s’achevant sur un terrible accident dans un escalier et où un parapluie va jouer un rôle fatal.

    16/07/2017 à 09:01

  • Sa Majesté des poisons

    Anne-Laure Morata

    8/10 Tandis que gronde la terrifiante affaire des poisons, le commissaire des affaires spéciales Malo de Rohan Montauban doit enquêter sur un tueur en série qui s’en prend aux prostituées. Ce monstre a même l’audace de déposer le cadavre de l’une de ses victimes au beau milieu d’un établissement policier. Charlotte d’Arcourt, la cousine de Malo, en vient à être touchée par cette traque quand son amant, Alexandre de Latréaumont, un chevalier, se met à figurer sur la liste des suspects.

    Ce quatrième ouvrage de la série consacrée à Malo de Rohan Montauban est un petit régal. Servi par la plume alerte d’Anne-Laure Morata ainsi que sa belle connaissance de l’époque, on se plaît à se perdre dans les méandres d’une intrigue solidement construite. C’est également l’occasion de rencontrer des personnages historiques importants, comme Louis XIV, Madame de Montespan ou encore Madame de Maintenon. C’est également un univers bien sombre qui se déploie sous les yeux du lecteur : les luttes intestines, les querelles de cour, les rixes à fleuret plus ou moins moucheté, les cordiales détestations, les courtisans devenant, au gré des courants, de solides adversaires, ou encore les appétences affirmées pour figurer dans le cercle le plus proche du souverain. Une ambiance, une période, des lieux et des us brillamment restitués, notamment grâce à un langage délicieusement suranné et un savoir incontestable de la part d’Anne-Laure Morata. Le récit est brillant, s’attardant autant sur l’aspect policier de l’œuvre que le panorama historique, et qui s’achève par un ultime rebondissement.

    Un roman de très belle tenue, instructif et distrayant, rappelant les écrits de Jean-François Parot avec son célèbre Nicolas le Floch. Admettons qu’il y a bien pire modèle littéraire.

    05/07/2017 à 17:50 3

  • Bloody Cocktail

    James M. Cain

    8/10 Joan vient de perdre son époux. Saoul, il a quitté la maison et sa voiture s’est enroulée autour du pied d’un pont. Joan est désormais seule avec son fils, Tad. Contrainte, elle obtient un poste de serveuse dans un bar, où ses jambes magnifiques et sa forte poitrine lui assurent des pourboires aussi généreux que son anatomie. Sa route va croiser celle d’Earl K. White III, un vieux monsieur argenté et soumis à des problèmes cardiaques, ainsi que Tom, un jeune et bel homme qui n’est pas insensible à son charme. Mais jusqu’où pourra aller la jeune veuve pour assurer son avenir ?

    James M. Cain demeurera à jamais l’auteur du Facteur sonne toujours deux fois. L’auteur n’a jamais connu de son vivant la parution de ce Bloody Cocktail, puisque le manuscrit ne fut retrouvé que bien longtemps après son décès. On y retrouve les thèmes chers à l’écrivain : le couple, le désir, le triangle amoureux, et également la bonne dose de vitriol. Car ce côté torve, bien loin des écrits habituels de ses contemporains, a toujours choqué les autres écrivains. Raymond Chandler a écrit de lui qu’il était « un Proust en bleu de travail graisseux. Un sale gosse qui gribouille une palissade avec un morceau de craie, dans l’indifférence totale ». James M. Cain saisissait ce qu’il y a de plus sulfureux et d’inconvenant dans les rapports amoureux. Comment, en effet, imaginer que le public ne soit pas à l’époque choqué par cette femme qui use de ses appâts ? Par Earl K. White troisième du nom, raide dingue de cette serveuse, prêt à tout pour l’épouser même s’il craint la moindre relation charnelle avec elle, au point d’y perdre la vie ? De Tom, entiché à mourir de Joan ? Cependant, le trait est loin d’être grossier, et les personnages ont bien plus d’épaisseur que cela. Joan veut récupérer son fils laissé en garde chez sa belle-sœur, stérile, qui s’est progressivement imposée comme une seconde mère pour Tad. Le vieux monsieur montre des égards vis-à-vis de Joan et se comporte parfois de manière délicieusement chevaleresque, voire surannée, quand il parvient à museler ses pulsions sexuelles. Quant à Tom, bien moins important dans le roman que ne le suggère le résumé de la quatrième de couverture, son sort surprendra le lecteur.

    Ce livre est en fait un peu en décalage avec l’époque à laquelle il paraît. Il se montre excellent, brillamment écrit, avec une grande économie de mots, sans pour autant que ceux employés ne soient fades. Il relate de manière particulièrement crédible les errements de trois personnages, unis par la chair et les inclinaisons érotiques, dans un ballet ensorcelant. Un grand moment de littérature noire pour cette confession de Joan, au terme de laquelle le lecteur se fera sa propre idée de l’éventuelle culpabilité de la jeune veuve et de ses motivations. Un écrit acide, tout en délicatesse et en intelligence, là où d’autres auraient multiplié les effets faciles, les scènes racoleuses et les scènes téléphonées pour, au final, beaucoup de bruit pour rien.

    05/07/2017 à 17:43 3

  • Un Trou dans la toile

    Luc Chomarat

    9/10 De nos jours. Un être mystérieux affole la société et les internautes. Son surnom : l’Inconnu. Sa particularité est qu’il est totalement étranger à Internet, sans la moindre attache numérique. Il est devenu, peut-être sans le vouloir, la figure de proue d’un mouvement off et, paradoxalement, un support publicitaire facile pour les marques commerciales. Seul problème : personne ne sait qui il est. Thomas, créatif dans le domaine publicitaire, se voit confier une mission aussi étrange que nécessaire : découvrir qui est cet individu qui, au vingt-et-unième siècle, a le toupet de vivre en dehors du tout-connecté.

    Après L’Espion qui venait du livre, Luc Chomarat nous revient avec son univers littéraire si particulier. Le postulat de départ de ce roman est diablement croustillant et atypique, avec l’existence – supposée ? – de cet homme qui aurait réussi à s’affranchir des règles en vivant hors de toute considération communicationnelle, digitale et informatique. Un vieil original vivant reclus dans une grotte ? Un être lambda, vivant dans l’anonymat de la foule ? Ou un fake, juste créé pour désorienter la société de consommation et mieux tourner en dérision ses excès ? Du point de vue scénaristique, l’auteur a fait preuve d’une audace exceptionnelle, et l’on pouvait craindre que le récit ne s’essouffle ou n’honore pas les espérances suscitées. Que nenni. L’ensemble, assez court, se dévore de la première à la dernière page. Des réparties, cocasses, qui claquent. Des scènes remarquables de férocité et d’humour, comme le tournage de cette publicité au Brésil, la rencontre avec la vedette de porno, ou encore les moments passés aux côtés d’Emile, ce geek qui essaie par tous les moyens de s’encoder et de disparaître dans le web, ou d’Alex Valdor, cet artiste autoproclamé qui annonce à qui veut l’entendre qu’il est ce fameux Inconnu. Et une fin étonnante, délicieuse, inattendue et de bon aloi. Un épilogue sobre et que chacun pourra interpréter à sa façon, achevant un ouvrage inclassable et savoureux, parsemé de multiples références, et qui est également une charge habile et mémorable contre les artifices informatiques, les faux-semblants du numérique, et toutes celles et ceux qui pensent que la véritable existence se résume à un avatar estampillé de nombreux likes.

    05/07/2017 à 17:38 5