El Marco Modérateur

3283 votes

  • Les Morsures du froid

    Thomas O'Malley, Douglas Graham Purdy

    9/10 L’hiver 1951 fait subir à Boston l’une de ses pires périodes de froid. C’est dans ces conditions que l’on retrouve le corps d’une femme nue, qui a été torturée. Il s’agit de la dernière victime du tueur en série que l’on a surnommé « Le Boucher ». Elle est également la sœur de l’épouse défunte de Dante Cooper. Ce dernier fait appel à son vieil ami, Cal O’Brien, et tous deux vont mener leur enquête.

    Ce premier roman de Thomas O’Malley et Douglas Graham Purdy frappe fort. Leur écriture est riche, travaillée, mettant en scène les lieux et les psychologies avec une maîtrise rare. Les personnages principaux sont particulièrement réussis. Dante Cooper, ancien pianiste, junkie invétéré, ayant couché aux côtés du cadavre de son épouse pendant plusieurs jours, et devenu une véritable épave humaine. Cal O’Brien, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, encore blessé à la jambe suite à un épisode sur lequel il préfère ne pas s’étendre, tentant avec sa femme Lynne de remonter à la surface. Des êtres denses, vivants et plausibles, aux comportements et aux introspections très réussis. Dans le même temps, la cité de Boston est décrite avec une telle maestria qu’elle devient un personnage à part entière. L’intrigue est très bien construite, mélangeant habilement tueur en série, malversations politiques, corruptions, magouilles immobilières, luttes de clans. Même si certaines ficelles ne surprendront guère les vieux habitués des polars, qu’ils soient littéraires ou cinématographiques, Thomas O’Malley et Douglas Graham Purdy rentrent avec grand talent dans la cour des écrivains majeurs, non loin de James Ellroy et Dennis Lehane. Un ouvrage où l’émotion pénètre les chairs, et ce jusque dans les ultimes chapitres. On pourra retrouver Cal et Dante dans Les Brûlures de la ville. Un rendez-vous à ne pas manquer !

    07/01/2019 à 18:22 4

  • Hemlock Grove

    Brian McGreevy

    8/10 Hemlock Grove, une ville de Pennsylvanie modelée par un passé sidérurgique. Le cadavre d’une jeune femme vient d’être retrouvé, tellement amoché que l’on en vient à penser à l’œuvre d’une bête sauvage. Dans le même temps, deux adolescents vont se rencontrer. Peter Rumancek, un Gitan nouvellement arrivé dans les parages avec sa famille, et Roman Godfrey, dont la famille a contrôlé la métallurgie locale. Un duo improbable de jeunes hommes, qui va lentement remonter la piste du vargulf, ce loup mythique qui tue sans pour autant avoir faim.

    Voilà un roman qui revisite habilement le thème du loup-garou. Une simple relecture ? Non, assurément pas : il lui donne même un sacré coup de fouet. On se laisse immédiatement emporter par l’écriture de Brian McGreevy, jeune auteur très talentueux. Ses mots sont durs, raboteux et poétiques, acerbes, souvent teintés d’un humour noir, de passages assez crus quant au sexe, et de réflexions philosophiques voire métaphysiques. Les personnages qu’il met en scène détonnent dans la littérature consacrée à la lycanthropie. Roman, héritier d’un empire industriel, dont les autres membres de la famille dissimulent également de nombreuses zones d’ombre, se scarifie, est doué d’un pouvoir de persuasion radical et irrationnel sur ses congénères, et aime céder à la tentation de la chair. Peter peut se transformer en loup, en descendant d’une longue et étrange lignée d’individus influencés par les croyances bohémienne et également hindoue. Entre eux deux va naître une phénoménale histoire d’amitié, mais également une découverte réciproque de leurs univers respectifs tandis que seront mis à jour de sidérants secrets de famille. Il y a également d’autres protagonistes dans cette intrigue, plus en arrière-plan, comme Shelley, la sœur de Roman, immense jeune fille grande comme un titan et au visage déformé, et bien d’autres encore, qui auront tous leur rôle à jouer dans ce livre. Cependant, on se gardera bien d’aller au-delà pour ne rien déflorer. Car, s’il y a bien un aspect qu’il faut retenir de cet ouvrage de Brian McGreevy, c’est son côté explosif. Non seulement il emprunte les codes classiques du loup-garou, mais il se permet également de les faire sauter au gré de saynètes hallucinantes, de digressions pertinentes, et de moments particulièrement farouches.

    Bien évidemment, il faudra apprécier ce type d’histoire pour totalement être conquis. Néanmoins, l’écrivain y incorpore une telle fougue et un côté policier mâtiné de fantastique qu’il est bien difficile de résister à cet envoûtement, ou plus exactement, à sa morsure.

    07/01/2019 à 18:17 8

  • Enterrées vivantes

    Arno Strobel

    7/10 Eva devient folle. Elle se voit à de multiples reprises enfermée dans un cercueil. Mais au réveil, elle devine sans mal des ecchymoses sur son corps, comme si elle avait véritablement tenté de s’échapper de cette prison miniature. Et lorsqu’un tueur commence à sévir, narguant la police, et que sa première victime n’est autre que la demi-sœur d’Eva, le piège semble se refermer sur la jeune femme.

    Arno Strobel signe ici un roman qui happe immédiatement le lecteur. Tout est – habilement – fait pour désarçonner le lecteur. Une femme qui chavire dans l’aliénation, de nombreux personnages qui semblent cacher des secrets (le compagnon de la victime, le psychiatre qui traite Eva, l’homme qui gère la compagnie dont a hérité Eva, etc.), et de multiples fausses pistes jusqu’au dénouement. L’auteur emploie une langue singulièrement simple qui sert le récit et en rend la lecture véloce, mais sa chétivité finit parfois par rendre le texte bien maigre. On aurait probablement préféré davantage de densité, de dimension et de style, et ce choix de l’efficacité finit par conférer au roman des allures de squelette uniquement articulé autour de l’intrigue, sans l’épaisseur de bons mots, de belles formules ou de considérations psychologiques. Parallèlement, l’histoire est très bien troussée, débouchant sur une solution brillante, certes peu novatrice, mais qui correspond parfaitement aux attentes du lectorat : il y sera question de famille, de passé refoulé et d’une manipulation à la fois crédible et effrayante.

    Un roman à suspense très percutant, dont on appréciera avec gourmandise la construction et le dénouement, mais moins le dénuement de la langue utilisée.

    07/01/2019 à 18:11 4

  • Blacklight

    Denis Albot

    7/10 Stéphane, policier, a décidé de sauter le pas : il va se faire tatouer. Une peinture gigantesque où toute sa vie sera résumée. En discutant avec Eric, son tatoueur, il apprend que trois autres professionnels pratiquant cette activité artistique sont décédés. Il n’en faut pas moins à Stéphane pour enquêter.

    Denis Albot signe ici un polar réjouissant. Stéphane n’est pas le prototype du flic que l’on rencontre fréquemment. Son existence est une suite de fractures et autres traumas : sa mère est morte lors de l’attentat de la rue des Rosiers, son père a été emporté par un cancer, et il en a sacrément bavé lors de son service militaire ; des épisodes narrés avec justesse et simplicité au cours du récit, et qui permettent d’en savoir plus sur ce protagoniste. Un personnage d’ailleurs étonnant, dont on ne connaît la mission originelle qu’à la fin du livre, lorsqu’est narrée sa rencontre avec le chef du cabinet du ministre de l’Intérieur. Un être capable d’une grande douceur dès lors qu’il s’amourache, comme de grandes colères, à même de mobiliser d’obscures forces du renseignement pour obtenir, par exemple, le service d’un satellite. L’intrigue est intéressante, nous faisant plonger dans le monde des tatoueurs, et préserve des rebondissements prenants, pour une traque qui s’achèvera aux Etats-Unis.

    Un bon petit polar, sans esbrouffe ni effets faciles, et qui remplit amplement la mission qu’il s’était fixée : offrir à son lectorat un agréable moment de détente.

    07/01/2019 à 18:09 3

  • La Folle de Maigret

    Georges Simenon

    7/10 Léontine Antoine de Caramé, brave dame âgée aux yeux magnétiques, vient prudemment à Maigret pour lui confier que des bibelots sont déplacés dans son appartement en son absence. Le commissaire traîne un peu à intervenir, la croyant folle ou à moitié folle, et Léontine est retrouvée chez elle, étouffée. Il s’intéresse alors à la nièce de la défunte. Encore une fois, c’est un Simenon prenant. Un texte sec, raclé jusqu’à l’os, en cent quatre-vingts pages environ, et où les dialogues sont particulièrement nombreux. Des études psychologiques fines et acides, notamment concernant Angèle Louette, la nièce de Léontine, à la fois hommasse et brute, mais dont le final révèle des attraits moraux inattendus. Maigret s’y montre touchant quand il s’en veut de la mort de la vieille dame qu’il n’a pas pu ou essayé d’empêcher, devant enquêter à Paris ainsi qu’à Toulon auprès d’un ancien baron, et très tendre avec son épouse. L’épilogue et le dénouement sont absolument imprévisibles, car ils font intervenir un élément rare et surprenant, ce qui a le mérite de désarçonner le lecteur tout en le flouant peut-être en partie, dans la mesure où cet élément arrive un peu trop à mes yeux comme un « Deux Ex Machina », même s’il se révèle intéressant et roué. Probablement pas le meilleur Maigret à mes yeux, mais il se montre efficace et étonnant.

    06/01/2019 à 18:25 2

  • Btooom ! tome 1

    Junya Inoue

    6/10 Le jeune Ryota Sakamoto est un pur geek, actuellement dixième meilleur joueur mondial au jeu vidéo « Btooom ! » où le but est de combattre des adversaires en ligne à l’aide de petites bombes. Sauf qu’il se retrouve, du jour au lendemain, sur une île inconnue avec une cartouchière contenant des cubes explosifs. Evidemment, il va devoir survivre. Et si les graphismes sont sympathiques et l’histoire agréable à lire, il n’y a là rien de révolutionnaire. On y retrouve quelques-uns des poncifs du genre (la belle naïade, le jeune geek déboussolé mais qui va progressivement prendre le dessus, un pépère rondouillard dépassé par la situation – du moins en apparence, etc.), et l’inévitable dilemme moral, à savoir participer aux combats pour espérer s’en sortir ou refuser de combattre pour garder son humanité, quitte à mourir. Bref, rien de bien extraordinaire ni dans le fond ni dans la forme, mais un style fluide pour un manga vite lu et distrayant.

    06/01/2019 à 18:23 2

  • Les Contes de Beedle le Barde

    J. K. Rowling

    6/10 J’ai bien aimé ces cinq contes. Même si je suis peu réceptif à la saga Harry Potter, cette immersion, courte et amusante, dans l’univers de J. K. Rowling m’a fait passer un court et agréable moment. Franchement rien de très novateur dans le fond ou dans la forme, rien de mémorable, mais quelques histoires joliment tournées, notamment « Le Conte des trois frères ». En revanche, et peut-être est-ce parce que je ne suis pas un Poudlardophile, j’ai été totalement étanche aux commentaires, explications et autres références présents après chaque histoire.

    06/01/2019 à 18:22 1

  • Peace Maker tome 3

    Ryoji Minagawa

    7/10 Nos amis, qui accompagnent Hope Emerson à la recherche de son frère arrivent cette fois-ci à Iconoclast, une ville réputée pour sa violence. Mais en réalité, c’est plutôt son côté babylonien qui frappe : des tueurs comme des duellistes, des brigands et des héros s’y côtoient, y jouant librement des armes comme ils l’entendent, sans véritables règles. Une femme règne sur la ville : Conny Levin, une incroyable criminelle particulièrement véloce et capable de dégainer son fusil comme elle le ferait d’un revolver. Encore une fois, les graphismes font mouche, l’action ne manque pas, et la confrontation avec Conny Levin est intéressante. Mais j’ai regretté que l’on se soit éloigné, dans cet opus, du côté purement « duels » qui était si présent dans les précédents. Là, beaucoup de fusillades (presque trop), au point de perdre en lisibilité pour n’offrir que cette interminable succession de bastons.

    06/01/2019 à 18:21

  • Des Savons pour la vie

    Harry Crews

    6/10 Hickum Looney mène une vie étrange. Représentant en savons, cela fait un quart de siècle qu’il travaille pour la boîte « Des savons pour la vie ». Il a beau, chaque année, tenter de remporter le titre de meilleur vendeur, toujours détenu par « Le Chef » avec neuf carnets à souche, c’est à chaque fois un échec. Mais le hasard veut qu’il fasse la rencontre d’Ida Mae, une personne abracadabrantesque qui va permettre à Hickum de vendre ses marchandises à d’autres personnes, jusqu’à écouler douze carnets de savons. Mais, contrairement à ce qu’il avait prévu, ces placements exceptionnels vont le mener tout droit à sa propre perte.

    On ne présente plus Harry Crews. Auteur excentrique d’ouvrages cocasses, celui-ci ne déroge pas à la règle. Les personnages que l’on y découvre sont à cet égard patents, déjantés, martyrisés par leur physique contrefait ou leur passé traumatisant. « Le Chef » de l’entreprise, nabot vibrionnant handicapé par un bec-de-lièvre, auteur du « Manuel de vente » contenant des trésors de méthodes pour persuader les acheteurs, qui se révèle être à la fois un histrion remarquable en plus d’un véritable Sun-Tzu du commerce. Hickum Looney, loser sympathique et maladroit comme ça n’est guère permis avec les femmes, dont la performance marchande va être à l’origine de sa déchéance. Gaye Nell, magnifique femme à la poitrine non moins magnifique, affublée d’un pitbull, Bubba, affamé en permanence. Ce serait d’ailleurs gâcher le plaisir du lecteur que de dévoiler les diverses péripéties de ces protagonistes, les interactions entre eux, et la cascade d’événements grotesques et insensés qui va leur tomber sur le coin de la figure. L’écrivain maîtrise l’art de la narration et de l’humour, tant dans les situations que les dialogues. L’aspect policier n’est cependant guère marqué, contrairement à des pépites comme La Foire aux serpents ou Le Chanteur de gospel. Mais par la suite, le récit s’effiloche. L’auteur aura tissé sa trame de façon très drue et acide dans la première moitié du livre, les chapitres ultérieurs sont assez décevants. Harry Crews continue de mener ses protagonistes comme de délicieuses marionnettes dans un spectacle extravagant, mais le souffle s’atténue, les rebondissements s’épuisent, et certains passages ne sont guère passionnants. Reste la surprise finale, aimable twist inattendu, où les apparences se seront montrées fort trompeuses, à l’image de ce feu de cheminée si symbolique qui « était en fait un faux, seulement de la lumière colorée ».

    Un joli feu d’artifice burlesque, satire de la société de consommation comme de l’univers mercantile, mais qui se consume trop rapidement et auquel il manque un bouquet final digne de ce nom.

    18/12/2018 à 19:59 5

  • Colorado Kid

    Stephen King

    7/10 Moose-Lookit, une petite île au large du Maine. Il y a vingt-cinq ans, un inconnu a été retrouvé mort sur la plage. Peu d’indices, au point que ce cas est demeuré lettre morte. Mais aujourd’hui, les deux journalistes qui avaient enquêté en parlent à une jeune collègue, Stephanie McCann. Une plongée dans le passé autant que dans une véritable mer de mystères.

    Stephen King, l’un des plus grands romanciers de tous les temps, signait en 2005 ce roman atypique, qui rompt particulièrement avec le reste de sa bibliographie. Un ouvrage purement policier, qui emprunte beaucoup à Graham Greene, Dashiell Hammett et Dan James Marlowe auquel le livre est d’ailleurs dédié. Une ambiance de pur polar, très procédural, où les indices sont exploités à fond, les pistes creusées, les hypothèses bâties sur des éléments concrets. Un décryptage de longue haleine, plausible et réaliste, grâce aux témoignages conjoints des deux reporters, fort âgés au moment de cette confession, à savoir Dave Bowie et Vince Teague. Des personnes bien abimées par le temps, mais qui n’ont rien perdu de leur verve, de leur espièglerie, et dont la mémoire demeure intacte quant aux tenants et aboutissants de leur ancienne investigation. Les moindres détails sont alors réétudiés et explicités auprès de leur si jeune confrère, Stephanie : l’identité de la victime, son emploi du temps, les vêtements de la victime, et les raisons pour lesquelles il a filé à toute allure du Colorado au Maine. Sans compter ces éléments anodins mais qui pourraient fort bien permettre de tout comprendre, comme ce morceau de steak resté dans sa gorge, sa position étrange contre la poubelle de la plage, ce paquet de cigarette ou cette pièce de monnaie russe. Indéniablement, Stephen King a quitté sa zone de confort pour fouler les terres du roman policier, et l’on ne peut que louer cet exercice. Et c’est surtout la fin qui risque de désarçonner le lectorat. Comme il l’explique dans sa postface, cet aspect ouvert, irrésolu, sans aucune conclusion affirmée, va décevoir, voire léser bien des attentes Mais il explique, avec l’habilité qu’on lui connaît, que c’est moins la résolution qui l’intéressait que la restitution pointilleuse de ces multiples énigmes qui constituait tout l’enjeu de cet ouvrage. D’ailleurs, on s’attend à cet épilogue nébuleux, puisque le duo de journalistes explique à Stephanie qu’une bonne histoire journalistique a nécessairement un début, un milieu et une fin, et que c’est justement l’absence de cette fin établie qui a empêché la parution d’un article digne de ce nom. Chaque lecteur aura donc le loisir de construire sa propre résolution, lors de ce dénouement qui n’en est assurément pas un, mais plutôt une sorte de transmission littéraire de témoin, où c’est alors à chacun de devenir acteur de cette histoire.

    18/12/2018 à 19:52 6

  • Dans les griffes de la Mafia

    Nicolas Trenti

    9/10 Autant j’avais été très déçu par un précédent Escape Game (« Le Piège de Moriarty »), autant celui-ci m’a vraiment emballé, et cela n’a bien évidemment strictement rien à voir avec l’identité de son auteur. J’ai, en effet, trouvé ici une véritable interactivité avec le livre, très chouettement imaginé, bâti et illustré, avec un nombre suffisant d’énigmes et de pistes à exploiter pour s’occuper une heure, voire plus. Car maintenant que j’ai bouclé le périple, je vais me relancer dedans pour en saisir les chemins alternatifs et autres éléments qui m’ont échappé. Sincèrement, beaucoup de devinettes, de possibilités, et même des choix absurdes dans lesquels je me suis lancé, juste pour les tester et voir s’ils avaient été envisagés par son auteur (les choix « VOPI » et « TOCE », par exemple, et plus exactement les résultats obtenus, m’ont bien fait rire). Et c’est ça qui est vraiment génial avec ce livre-jeu : son champ des possibles. Même avec, finalement, assez peu de pages et d’éléments en main, il y a largement de quoi s’occuper grâce aux divers outils, actions et interactions envisageable, mêmes les plus folles et les plus idiotes. J’ai vraiment passé un excellent moment, tout autant de lecture que de réflexion, et je vais tâcher de soumettre ce livre à mes élèves collégiens pour voir leur façon de se dépatouiller avec les problèmes, comment ils vont appréhender les règles (les combinaisons notamment), et voir s’ils parviennent à s’immerger dans cet univers ludique et de raisonnements. A titre personnel, je n’ai pas obtenu les cinq étoiles (saletés de clefs que j’ai mal utilisées au départ, et saletés de panneau électrique qui m’a résisté). Il me reste également à voir la version numérique de ce livre-jeu. Vraiment, une réussite totale pour un concept très bien pensé, huilé et prenant !

    16/12/2018 à 18:29 7

  • Le Haut Mal

    Georges Simenon

    8/10 … ou comment la mort presque anodine d’un homme, tombé d’un grenier alors qu’il était dans une crise d’épilepsie (surnommée « le haut mal ») plonge dans une série de rebondissements dramatiques des familles et toute une communauté. Comme toujours chez Georges Simenon, une écriture où la concision le dispute à une insondable acidité, avec ces nombreux seaux de vitriol balancés à la face d’une société figée et bienpensante. Tout le monde en prend pour son grade : la famille du défunt, avec un père détruit par le deuil, soucieux de récupérer l’exploitation agricole à tout prix, prompt à étaler son argent tout autant que de se saouler. Mais c’est surtout la famille Pontreau, la belle-famille (d’ailleurs tout sauf « belle »), qui est maltraitée par les descriptions acerbes de l’auteur. La mère est un véritable suzerain régnant sur sa progéniture avec une main de fer, dans un système matriarcal sans la moindre faille, tandis que ses filles sont reléguées au rang de pâles sujettes. De cet accident, des drames surviendront, comme la mort d’un enfant écrasé, une jeune femme qui finira par briser le carcan familial et voler de ses propres ailes malgré les pressions, et toute une communauté sclérosée être secouée par les rumeurs, la vindicte publique et autres bêlements de la foule. On retiendra de nombreux passages pittoresques, comme le marché que fait la mère Pontreau, ou encore la scène du cortège funèbre et des funérailles. Et l’aspect policier réapparaît au beau milieu du livre (page 101 dans l’édition que j’ai eue entre les mains), avec un rebondissement intéressant entraînant toute une série de chantages, tensions et autres germes de catastrophes à venir. Le roman se clôt sur une scène très sobre, plusieurs années après le cœur de l’intrigue, et envoie, en quelques paragraphes, en quelques phrases, une vision désespérée du monde tel que le voit Georges Simenon, où se disloque la structure familiale. A mi-chemin entre le roman policier noir et la littérature blanche quoique sacrément noire tout court, une nouvelle pépite, moins connue que les autres peut-être, à extraire de la bibliographie abondante de cet immense écrivain.

    16/12/2018 à 18:26 4

  • La Secte et l'assassin

    Guy Hugnet

    9/10 L’affaire Xavier Dupont de Ligonnès a passionné les médias. Un homme visiblement au-dessus de tout soupçon, qui tue son épouse et ses enfants, dissimule les cadavres, multiplie les pistes de diversion avant sa fuite et disparaît définitivement. Et c’est justement l’absence de cadavre de ce bourreau qui, si l’on peut dire, entretient la flamme de ce cas criminel. Le journaliste Guy Hugnet a mené pendant six ans l’enquête à ce sujet, et c’est ce livre documentaire qui est le fruit de ses recherches. On pouvait craindre un ouvrage écrit avec une agrafeuse comme il est coutume de dire, c’est-à-dire accumulant les diverses chroniques et articles publiés à ce sujet, et réunis dans un recueil sans âme. En fait, rien de tout cela. L’auteur a patiemment étudié la psychologie des divers protagonistes, remonté le cours du temps, interviewé des proches comme des spécialistes (psychologues, policiers, ainsi que des spéléologues), et consulté de nombreux messages laissés sur des forums de discussion sur Internet par Dupont de Ligonnès. Au-delà de la reconstitution, Guy Hugnet laisse également ses avis, sentiments et intuitions, toujours délivrés avec retenue et professionnalisme, sans jamais tomber dans le défaut majeur de l’élucubration infondée, le sensationnalisme sordide ou le goût du voyeurisme. Il rétablit ainsi avec beaucoup de précision le parcours d’un homme qui a basculé dans la folie criminelle. Dandy éperdu d’Amérique, bel homme, amateur de sensations. Une jeunesse prise dans le carcan d’une éducation religieuse très stricte en raison de l’appartenance de sa mère à une maison religieuse proche de la secte (« L’Eglise de Philadelphie »). Un entrepreneur à l’intelligence rare et féconde dont les concepts marchands ont tous abouti à des échecs patents. Un « élu » foudroyé lorsqu’il s’est rendu compte que les préceptes dévots inculqués depuis toujours étaient fallacieux. Un être miné de contradictions et de paradoxes, dissimulant sous les apparences de la normalité voire de la sociabilité un homme froid, calculateur, imbu de sa personne, et dont le dernier éclat aura probablement été de s’éclipser, dans une grotte varoise d’après l’auteur, après avoir multiplié les contre-feux (départ précipité en Australie, travail secret avec la DEA).

    Un portrait saisissant d’une énigme humaine, aussi terrible que nébuleuse, dont la disparition mystérieuse et la non-découverte de son cadavre ou de sa piste ménagent encore un réel appétit de la part de la foule et des médias. Un colossal travail de reconstitution de la part de Guy Hugnet avec ce supplément d’âme que constituent ses propres conjectures, toujours nourries de ses études de terrain. En un mot : passionnant.

    03/12/2018 à 17:03 3

  • La Lézarde du hibou

    Denis Julin

    8/10 Un homme parcourt la Haute-Vienne et ses alentours, en quête de vengeance. Méthodiquement, il va tuer plusieurs personnes qui, par le passé, ont fait du mal à lui ou à sa famille, et signe ses crimes en laissant une pièce près de la victime. Celui qui estime être un « hibou », c’est-à-dire un individu simple et honnête, va enfin prendre sa revanche sur les malfaisants.

    Ce premier ouvrage de Denis Julin séduit dès son amorce. On comprend d’ailleurs assez vite que l’écrivain n’est pas à la recherche du tape-à-l’œil, de la surenchère sanglante ou de la traque du tueur en série machiavélique. Nous sommes ici dans une littérature policière on ne peut guère plus humaine et crédible, puisqu’elle nous narre la croisade armée d’un anonyme qui a décidé de se réveiller et de châtier celles et ceux qui ont offensé ses proches. Le chauffard responsable de la mort de sa fille, celui qui lui a fait porter le chapeau dans une histoire de vol, mais également un commerçant très cynique, un ancien voisin particulièrement indélicat… Tous les nuisibles qui ont un jour eu le malheur de s’en prendre au protagoniste de ce roman vont le payer. Il est d’ailleurs évident que l’on n’a pas affaire à un énième Charles Bronson ou rédempteur de cet acabit, capable d’encaisser les coups comme les balles. Notre héros n’a pas véritablement de nom ni de prénom, a un physique quelconque, en vient même à douter de sa vendetta meurtrière lorsqu’il découvre en l’un de ses anciens bourreaux… un homme devenu prêtre. Aucun jugement moral de la part de Denis Julin, juste la description de cette razzia. Avec des mots fins et habiles, l’auteur nous invite également à de jolies digressions géographiques et touristiques en fonction des lieux visités, rendues fort agréables par une langue poétique. Dans le même temps, alors que l’on suit le parcours de notre justicier raconté au présent, nous avons également droit à la traque du policier, Romain Antoine Lazarus Brunie, obstiné et malin, accompagné d’une délicieuse Lætitia, et qui saura se faire aider tout au long de son investigation, notamment par une ancienne institutrice qui aura des démonstrations de profiler.

    Un roman qui séduit par sa maîtrise autant que l’intelligence et la modestie de ses propos. Avec un final émouvant proche d'un film très connu, on ne peut qu’être charmé par une lecture aussi humble, délicate et humaine.

    03/12/2018 à 16:55 3

  • Juju a disparu

    Agnès Laroche

    7/10 Sam se rêve détective privé, et ce n’est pas son jeune âge et son handicap – il est dans un fauteuil depuis un accident de voiture – qui peuvent refroidir ses ardeurs. Il fait la rencontre d’Agathe et Nina, ses nouvelles voisines, et c’est à ce moment-là qu’il apprend que la sympathique Juju, une retraitée qui aime nourrir les animaux au parc Trompette, a disparu. Ni une ni deux, et encore moins trois, le trio de limiers se met à enquêter.

    Ce premier tome des apprentis détectives séduit immédiatement. Ton alerte, écriture simple et efficace, personnages attachants, Agnès Laroche prend la main de ses (jeunes) lecteurs pour ne plus jamais la lâcher. Qu’est-il donc advenu de la gentille Juju ? A-t-elle été enlevée ? Pourquoi retrouve-t-on certains de ses effets dans le jardin ? Pourquoi la traînée de graines de tournesol s’arrête-t-elle subitement sur le trottoir ? Ce sera un foulard constellé de licornes appartenant à la disparue qui mettra les enquêteurs sur la piste. L’écrivaine parvient à rendre l’intrigue intéressante et efficace sans pour autant user des sempiternelles ficelles de la littérature policière, avec donc de l’originalité, et également sans faire couler la moindre goutte de sang. De l’humour, de l’espièglerie, et un suspense pour autant solide, pour ce roman pertinent et atypique, qui constitue un petit régal.

    03/12/2018 à 16:52 2

  • Connexions dangereuses

    Sarah Cohen-Scali

    9/10 Pour tromper l’ennui qui la guette, une élève de troisième, Virginie, propose à l’un de ses amis, Bastien, un jeu assez pervers : qu’il sorte avec Delphine, une nouvelle venue au collège, qui a des allures de nonne. Le début d’une correspondance par courriels, et l’issue de ce prétendu divertissement pourrait se montrer fatale.

    Connue de nombre de jeunes lecteurs, Sarah Cohen-Scali livre ici une relecture remarquable d’un classique de la littérature du dix-huitième siècle, à savoir Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos. Transposée dans un vingt-et-unième siècle dans lequel les mails ont remplacé les courriers papier, l’intrigue n’a absolument rien perdu de sa tragique modernité. Elle met donc en scène plusieurs adolescents, tous collégiens, dont les interactions vont avoir des conséquences désastreuses. Virginie, presque petite amie de Bastien, dont l’oisiveté la pousse à proposer ce défi immoral. Bastien, photographe amateur mais talentueux, d’abord enclin à accepter avant de se prendre au jeu de l’amour. Delphine, fraîchement arrivée d’Afrique du Sud, et dont l’aspect rigoriste dissimule un corps à se damner. Audrey, gamine au physique plus qu’ingrat, passionnée d’équitation, ravagée par des attouchements incestueux, et qui va lentement se transformer pour réapprendre à plaire. Il y a également Francis, un bas du front éperdument épris de Delphine, proche de l’extrême droite. Ce sont là les principaux protagonistes de cette sombre histoire, qui seront tous malmenés voire broyés par les enchaînements d’événements. Sarah Cohen-Scali se glisse à merveille dans les âmes et cerveaux de tous ces jeunes, depuis la manipulatrice jusqu’au comparse, de la pauvre môme au bord de la déchirure mentale à la triste chenille ayant oublié le magnifique papillon qui sommeillait en elle. Et ce qui est surprenant dans ce roman, c’est également sa forme : uniquement des mails, de la bonne vieille correspondance papier ou des extraits de journaux intimes. En cent quatre-vingts pages, l’écrivaine nous fait vivre toutes les émotions ressenties par ses personnages, que ces derniers se montrent cruels, complices de lâcheté, sur le chemin de la rédemption psychique ou désarçonnés par des amours imprévues.

    Une excellente transposition d’un ouvrage majeur, à l’intrigue toujours aussi efficace et crédible. Un tour de force de la part de Sarah Cohen-Scali.

    03/12/2018 à 16:50 4

  • Les Fiançailles de M. Hire

    Georges Simenon

    8/10 … ou la déchéance de M. Hire, s’étant consumé d’un amour à la fois subit et inachevé pour Alice. Comme toujours chez l’immense Georges Simenon, une incroyable économie de mots et de descriptions, ce qui n’empêche en rien ce roman d’être un festin de maux. De ce M. Hire, on ne sait finalement que peu de choses, et c’est justement cette vacuité, presque cet anonymat, qui rend ce personnage d’autant plus fort. Un physique replet, une moustache lambda, et voilà, le portrait est dressé. Il faudra d’ailleurs un interrogatoire avec un policier pour en savoir plus sur son passé de petit escroc, vendeur de littérature litigieuse, ayant purgé une peine de prison, vivant encore d’expédients douteux. Un as en bowling, et même ses collègues de jeu ne savent rien de lui, en venant même à penser qu’il est policier. Ce sera donc la vue d’Alice au cours d’un moment de voyeurisme qui le poussera faussement à croire en une inclination partagée entre ces deux êtres alors que l’on enquête encore sur la mort d’une certaine « Lulu » dont le cadavre a été découvert dans le voisinage. Un drame sombre, dont on se doute du terme, mais qui ravit néanmoins de bout en bout. D’ailleurs, l’aspect policier n’est guère l’axe central usé par l’auteur, puisqu’il dévoile au chapitre cinq, c’est-à-dire à la moitié du roman, un élément fondamental qui aurait pu constituer un ressort narratif essentiel si l’auteur avait cherché un habile rebondissement à glisser vers la fin de son opus. Le seul élément m’a finalement manqué, c’est finalement la brièveté de l’histoire qui m’a empêché de réellement ressentir la méfiance voire l’aversion des voisins de M. Hire à son égard, incinérant ainsi une part non négligeable du drame à venir et une peinture plus complète de la haine ordinaire, nécessairement sotte et bêlante.

    02/12/2018 à 17:40 5

  • Les Incurables

    Jon Bassoff

    9/10 Walter Freeman vit de sombres jours : on lui refuse de pratiquer la psychiatrie comme il l’entend, sa femme lui tourne le dos et son fils, décédé, lui manque énormément. Cet homme, qui s’estime visionnaire, utilise la lobotomie transorbitale : pour soigner les fous et leurs maux, enfonce la pointe d’un pic à glace sous l’œil en s’aidant d’un marteau. Freeman emmène avec lui Edgar Ruiz, le dernier patient qu’il a soigné, et commence à écumer les routes américaines. Jusqu’à arriver à Burnwood, Oklahoma. Pour le plus grand malheur de tous.

    Après Corrosion, c’est ici le deuxième roman de Jon Bassoff à être traduit en France, et ce n’est rien de dire que c’est un régal. Si Walter Freeman a réellement existé, cet ouvrage ne constitue nullement sa biographie. En fait, l’auteur va exploiter ce personnage et en faire sa marionnette littéraire. Particulièrement opiniâtre, homme de science persuadé de détenir au bout de son pic la panacée pour guérir bien des confusions mentales, le bon docteur anime des sentiments contraires chez le lecteur, entre volonté d’empathie pour cet homme brisé et écœurement par rapport à la technique médicale employée. Lui et son collaborateur vont alors arriver à Burnwood et découvrir quelques individus inquiétants et croustillants. Scent, jeune prostituée qui tient à tout prix à quitter sa position, souvent horizontale. Sa mère, vêtue d’une robe de mariée en attendant le retour de son époux, ce dernier ayant participé à un braquage et connaissant l’emplacement du butin. Grady, Vlad et Kaz, trois terribles frères prompts à jouer de la lame et décidés à se venger. Durango, un garçon que son père, Douglas Stanton, considère comme le Messie… Une magnifique brochette de créatures singulières, et qui vont se montrer mortelles. Jon Bassoff a composé une intrigue riche, gravitant autour de personnages atypiques et fracturés, et ce n’est pas un secret de révéler que ces êtres vont se croiser, se télescoper et se désintégrer au gré du récit. De véritables instants de grâce baroque côtoient des moments de violence et de cruauté, et jamais le soufflet ne retombe, la tension allant même crescendo dans les ultimes chapitres où s’enchâssent rédemption, religion, quête mystique, ferveur collective, et expérience barbare de la lobotomie.

    Sur la quatrième de couverture, Ken Bruen qualifie ce livre de Vol au-dessus d’un nid de coucou réécrit par Elmore Leonard, et l’on ne peut qu’approuver une telle appréciation. Un incontestable festin de maux et de mots, pour une balade déjantée et bouleversante dans un patelin de l’Oklahoma que l’on n’est pas près d’oublier.

    19/11/2018 à 18:06 11

  • Les Lois du ciel

    Grégoire Courtois

    9/10 Douze enfants d’une classe de CP partent en excursion dans une forêt de l’Yonne avec trois adultes accompagnateurs, leur instituteur et deux mères d’élèves. Une sortie tout ce qu’il y a de plus banal en apparence, pour retrouver les joies de la vie en communauté et le plaisir de la découverte sylvestre. Pourtant, une succession de drames inimaginables vont faire basculer la nuit en tragédie.

    Grégoire Courtois, dont on avait déjà adoré Suréquipée, signe ici un livre noir. Très noir. Peut-être l’un des plus noirs qu’il ait été donné de lire. Une plongée sans la moindre concession dans la violence, l’horreur et la sauvagerie, toutes les trois on ne peut guère plus humaines. En moins de deux cents pages, l’écrivain livre un véritable brûlot, incendiaire et incendié, un magma de brutalités et de férocités. Lors de cette sortie, tout s’annonce pourtant bien, ou au moins sans le moindre nuage d’alerte venant planer au-dessus des quinze têtes. Pourtant, dès la sixième page, l’image d’un escargot volontairement écrasé par un gamin turbulent indique la tournure à venir. Rapidement, les troubles se multiplient : une accompagnatrice atteinte de diarrhée qui doit partir, une autre qui ne retrouve pas le campement, une erreur d’inattention d’un conducteur à cause d’un geste inopportun, et un enseignant qui se lance dans la narration d’un conte à propos d’une souris, de goëlands et d’une parabole intitulée « Les Loi du ciel », et le sang jaillit. Il y sera alors question de folie, de survie, de bois enténébrés dans lesquels les gamins, livrés à la démence meurtrière de l’un d’entre eux, vont faire le terrible apprentissage de la terreur et de la souffrance. Non loin de Sa Majesté des mouches ou du film Délivrance, se tient ce roman monstrueux de Grégoire Courtois. Un opus d’autant plus sidérant qu’il n’y a ici aucun effet facile, pas de grosse ficelle ou de twist scénaristique, auxquels un auteur en mal d’inspiration aurait pu faire appel. C’est la lente désagrégation d’un groupe de mômes, éclaté par l’aliénation cruelle de l’un des leurs, et qui vont subir d’atroces répercussions, depuis des pièges vénéneux jusqu’au malheureux accident routier en passant par l’intervention d’un sanglier affamé. Indéniablement, cette histoire ne saurait plaire à tout le monde, car l’accent est posé avec force sur la bestialité humaine, la perte des valeurs les plus élémentaires et l’anomie totale, avec un trait si violent qu’il en viendrait presque à perforer le papier. Quiconque lira les pages gores concernant le sort de Fred, l’instituteur, ou le repas final du sanglier, ne pourra qu’acquiescer.

    Un ouvrage barbare, qui porte le lecteur à ressentir un flot d’émotions âcres et contraires, de la fascination au dégoût, de l’empathie à la violence. Une pépite de primitivité qui secouera indéniablement, notamment en raison de l’âge des pauvres protagonistes de cette courte et sombre mésaventure.

    19/11/2018 à 18:03 10

  • Vintage

    Grégoire Hervier

    9/10 Thomas Dupré n’a rien d’un aventurier. Vingt-cinq ans, il a actuellement un emploi dans un magasin de guitares à Paris, et il écrit des piges obscures pour des revues musicales. Quand le propriétaire du commerce lui demande de se rendre en Ecosse pour apporter à un fortuné châtelain une guitare, ce n’est que le début d’une sacrée série de péripéties, à la recherche d’un instrument mythique : la Gibson Moderne.

    Grégoire Hervier signe ici un ouvrage on ne peut guère plus rock ‘n’ roll. Tonitruant, mené tambour battant, c’est une excellente partition qu’il compose et suit, avec une réelle fougue. Indéniablement fan de rock et de blues, l’auteur ponctue cette quête de riches informations sur nombre de guitaristes éminents et adulés : Jeff Beck, Jimmy Page, Eric Clapton, Muddy Waters, Billy Gibbons, et Robert Johnson pour ne citer qu’eux. Thomas Dupré, intrépide et attachant personnage, va alors se mettre à la recherche d’un instrument qui n’a peut-être jamais existé, et dont la simple évocation suffit à retourner les sangs des aficionados de musique. Une six-cordes exclusive, millésimée, à la sonorité exceptionnelle, et pour laquelle on est tenté, au choix, de débourser des sommes astronomiques pour l’acquérir, ou tuer. La France, l’Ecosse, Sydney, Memphis, Clarksdale, Chicago, New York, la Louisiane : un incroyable périple, fécond en rencontres où alternent accords majeurs (personnages hauts en couleur et croustillants) et mineurs (découvertes souvent sombres à propos d’un joueur appelé "Li Grand Zombi"). Le ton de Grégoire Hervier est primesautier, efficace, usant de toute son énergie pour des dialogues au cordeau, une remontée vers le passé fertile en renseignements, et la traque d’une guitare si mythique qu’elle se substitue sans mal aux trésors des romans d’aventure et autres repaires de tueurs en série. Bien évidemment, ce livre s’adresse en priorité aux fans de musique – et plus précisément de blues et de rock ‘n’ roll, mais son enthousiasme est si communicatif que l’on prend un indéniable plaisir à suivre la chasse de Thomas pour cet objet de convoitise, qui se situe quelque part entre le domaine de l’art et celui de la religiosité.

    Un immense moment de ferveur littéraire et musicale, sacrément original, culotté et jubilatoire, loin d’être anecdotique et superficiel, et dont le titre alternatif aurait pu être From The Cradle To The Grave, à tous les sens du terme.

    19/11/2018 à 17:57 4