El Marco Modérateur

3260 votes

  • Escapade

    Walter Satterthwait

    9/10 Prenez des personnages particulièrement savoureux (une jeune fille nymphomane, des dames accortes, un vieil homme paralytique, son fils qui veut vendre le domaine familial pour en faire un lieu dédié au bien-être ouvrier, un fantôme...). Ajoutez-y la présence d'Arthur Conan Doyle, de Houdini, d'un homme de l'Agence Pinkerton, et d'un magicien qui a juré d'assassiner Houdini. Additionnez-y un meurtre en chambre close (certes vite évacué et facilement résolu). Saupoudrez le tout d'humour et de rebondissements croustillants, et vous obtenez cette perle méconnue et néanmoins particulièrement jouissive.

    23/01/2016 à 08:33

  • Et ils oublieront la colère

    Elsa Marpeau

    9/10 En 1944, Marianne Marceau court à travers la campagne de l’Yonne pour échapper à une meute furieuse. Son crime ? Avoir couché avec un soldat allemand. De nos jours, on retrouve le cadavre de Mehdi Azem, tué par balles, non loin de cette lointaine cavale. La victime, professeur d’histoire, était passionnée par la période de la Libération, et comptait écrire sur les dérives de l’épuration et la tonte des femmes suspectées de collaboration. Garance Calderon, capitaine de gendarmerie, mène l’enquête, sans se rendre compte que ces deux affaires sont intimement liées.

    Elsa Marpeau signe ici un roman d’une excellente tenue. L’intrigue, originale, met en relief un pan honteux de l’Histoire de France : les femmes tondues lors de la Libération, offertes à des foules hargneuses et vengeresses, parfois composées d’individus à l’héroïsme précipité et ayant tant de lâchetés à se faire pardonner. Un pari osé, risqué, qui pouvait déboucher sur des clichés en chapelets et des vérités premières sans intérêt. Le grand tour de force de l’écrivaine est justement de rejeter les poncifs, accordant aux uns et aux autres des fragments de justesse en cette époque particulièrement troublante et troublée. Dans le même temps, le récit policier est impressionnant d’intelligence et d’humanité. Tous les personnages sont vertigineux de crédibilité, avec leurs parts d’ombre et de lumière, leurs attitudes et leurs tempéraments. A cet égard, Garance Calderon est remarquable : une femme forte, mais dont l’investigation va la mener à affronter ses propres fantômes, comme cette mère prostituée qui s’est suicidée, et qui a été tondue par son grand-père quand, adolescente, elle a tenté une coloration approximative de sa chevelure afin de ne plus ressembler à sa génitrice. L’assassinat de Mehdi Azem va réveiller de vieilles rancœurs et ranimer des morts que tout le monde aurait bien voulu oublier. En outre, quelques rebondissements vers la fin achèvent d’en faire un modèle du genre.

    Elsa Marpeau, auteure chevronnée, livre un opus d’une incroyable densité humaine et historique, sans jamais tomber dans le guet-apens de la facilité ou de la partialité. Un roman qui séduit puis hypnotise, tant par l’excellence de sa plume que l’originalité de son propos, avant de désarçonner par une telle percussion de noirceur. Un grand moment de littérature, tout simplement.

    17/07/2018 à 08:32 5

  • Etats Primitifs

    Alec Covin

    9/10 Bien après les événements décrits dans Les loups de Fenryder, une menace plane cette fois-ci sur New York. Le puissant général Fenryder, à la tête d'une vaste secte, est sur le point de déclencher dans la ville une opération qui porte le nom de "Démons". Pour s'opposer à ce complot dont les héros ne connaissent pas encore la teneur, il faudra s'armer d'un courage surhumain, car le général et ses fidèles sbires sont prêts à tout pour achever leur attentat.

    Suite directe des Loups de Fenryder, ce nouvel opus est une nouvelle réussite du genre. Thriller fantastique machiavélique, il est mené de main de maître par Alec Covin dont le talent narratif et l'imagination ne sont pas sans rappeler ceux d'illustres prédécesseurs américains comme Stephen King et Dan Simmons. Portraits saisissants de tueurs, intrigue riche et accrocheuse, scènes de peur particulièrement bien maîtrisées, cet ouvrage est remarquable, achevant d'installer Alec Covin parmi les écrivains de thrillers à suivre de très près.

    A noter que si le troisième opus de la Trilogie des Loups n'est pas encore disponible, les amateurs de sensations fortes pourront néanmoins se tourner vers d'autres romans de l'auteur comme Deux et demi ou Férocité, ce dernier restant à paraître.

    15/05/2009 à 23:16

  • Fantômes : Histoires Troubles

    Joe Hill

    9/10 Dans le grand catalogue des dictons, nous n’avons que l’embarras du choix. Certains se montrent même contradictoires : ne dit-on pas tout autant « Tel père, tel fils » que « Le fruit est tombé bien loin de l’arbre » ? Aussi, lorsqu’il s’agit d’entamer la lecture d’un livre signé par Joe Hill, qui n’est autre que le rejeton du grandissime Stephen King, il y a de quoi se poser de légitimes questions. A-t-il un talent proche de celui de son géniteur ? Ou ne bénéficie-t-il que d’une estime critique en raison de sa prestigieuse ascendance ? En lisant les quinze nouvelles de ce recueil, indubitablement, on peut se demander si le génie n’est pas congénital. Comme dans de nombreux spicilèges, les genres sont nombreux et variés. On a le plaisir de découvrir de la littérature blanche, comme « Mieux qu’à la maison », d’où émergent avec beaucoup de tact et d’humanité de justes observations quant aux relations familiales. D’autres portent nettement le sceau du fantastique et de l’étrange, comme « La Belle au ciné hantant », ou comment le spectre d’une femme va durablement marquer un homme comme un lieu. Il y a également des frissons, comme dans « Dernier cri », classique mais efficace, ou encore « Le Téléphone noir ». De jolis moments de frousse, où le suspense côtoie l’irrationnel, avec une belle économie de mots mais jamais d’émotions. « Stridulations » et « La Cape » mêlent le fantastique à l’humour, pour un plaisir total. Et c’est dans ce qui aurait pu tourner au grand n’importe quoi que Joe Hill prouve qu’il n’est pas n’importe qui : comment une histoire d’amitié entre un gamin et un personnage gonflable (sic) parvient-elle à nous surprendre, mais aussi nous secouer et nous émouvoir ? Et que dire de la dernière nouvelle, « Escamotage », qui croise avec un tel brio suspense, fantastique et émoi, autour de ce frère si perturbé qui crée de bien énigmatiques labyrinthes avec des cartons enchevêtrés ?

    Un magnifique panachage d’histoires, où l’on croise Abraham Van Helsing, Robin Williams, ou encore George Romero. De l’ironie, de la malice, de la tendresse, de l’émotion, sans oublier les nécessaires frémissements. Autant de récits brillants pour autant de talents mêlés sur la palette de Joe Hill, dont on attend avec impatience d’autres œuvres !

    07/11/2017 à 19:52 5

  • Filles

    Frederick Busch

    9/10 Ancien policier militaire devenu vigile dans une université, Jack accepte, sur la proposition d’un cadre de la fac d’enquêter de manière officieuse sur la disparition d’une jeune fille, Janice Tanner. A priori, rien ne semble indiquer que Janice ait voulu fuir ni qu’elle ait été enlevée. Mais pour Jack, ça revêt vite un aspect personnel, intime. Son existence n’est qu’un vaste vide où il s’enfonce chaque jour davantage, sa toute jeune fille est décédée, son couple ne s’en remet pas, et son métier lui paraît d’une banalité croissante. Alors Jack se lance dans cette investigation sans retenue.

    Auteur de romans sombres, Frederick Busch signait en 1997 ce livre puissant et mélancolique. Immédiatement saisi par le style de l’écrivain, le lecteur est d’emblée magnétisé par cette langueur des mots, aussi propice à l’abattement que le sont les paysages nord-américains décrits. Tout y est froid, obscurité et affliction. Les personnages apparaissent lentement, au gré des situations au cours desquels ils dialoguent avec autrui, ou lors d’événements de prime abord badin où ressurgissent de pénibles souvenirs. Les sourires, les rires ou les éclats de lumière humaine sont absents de cette œuvre. À cet égard, Jack est un individu saisissant : à la fois accablé par le décès de sa fille Hannah, voyant son ménage lentement se briser, il trouvera un réconfort éphémère entre les bras d’une autre femme. Mais c’est dans cette enquête qu’il souhaite ressusciter. Découvrir les raisons qui ont poussé un être humain à faire du mal à une gamine à peine en âge de se mettre à porter des dessous affriolants. Et pour ce faire, ce limier presque amateur ira jusqu’au bout de la nuit de sa propre existence. Et le voyage sera d’autant plus cruel que la vérité éclatera, avec une banalité qui la rendra d’autant plus insupportable.

    Ouvrage d’une rare noirceur, ce Filles est un petit prodige littéraire. Frederick Busch a su rendre une dimension humaine à tous ses personnages, et même au plus vil d’entre eux. Sous ses atours de roman policier, c’est également un ardent hurlement à la lune, dans une nuit infinie, où chaque cœur se livre, chaque âme s’épanche, chaque parcelle de vie se disloque. Une véritable pépite de ténèbres.

    14/09/2013 à 08:34 1

  • Fragments de vérité

    Pierdomenico Baccalario

    9/10 Dans un futur proche, Maximum City est devenue une mégalopole. La société K-Lab, parfois également appelée « Le Laboratoire », y octroie aux plus offrants d’habiles moyens de détourner la vérité, quand ce n’est pas pour tout bonnement l’étouffer. Une organisation clandestine nommé Typos est la seule à se dresser contre ses supercheries, parfois en risquant la vie de ses membres. Et c’est à propos de l’Ambillie, pays d’Afrique, que pourrait se nouer le prochain affrontement entre K-Lab et Typos.

    Avec cet ouvrage trépidant, Pierdomenico Baccalario réalise un succès. Le postulat de départ – cette dystopie prenant place en une ville dirigée par une entreprise manipulant la vérité officielle – séduit vite, d’autant que l’on trouve comme justiciers de jeunes gens particulièrement motivés. Et quels jeunes gens ! Arlequin, dont la peau se tache quand il détecte des mensonges. Morph, capable de modeler son visage et de prendre l’apparence de n’importe qui. Dusker, le Noir si puissant que de lourds bracelets entravent volontairement ses poignets. Gipsy, insensible à la douleur et capable de pénétrer partout en raison de sa souplesse. D’ailleurs, l’une des grandes forces de l’auteur est de ne pas avoir sombré dans le ridicule avec une telle équipe de mutants, car, à la lecture d’un tel collectif, on n’était guère loin du nanar littéraire.
    Le style est particulièrement enlevé et accrocheur, avec un rythme effréné, des chapitres courts et de l’action prenante. Comme des enfants, on se régale de certaines scènes ainsi que des personnages, croustillants, qui ne sont pas sans rappeler ceux de certains comics comme ceux apparaissant dans Hellboy. Au-delà de l’aspect purement distractif du roman, se posent également de belles réflexions – jamais invasives ou pesantes – quant au libre arbitre, à la liberté d’expression, au droit à l’information et au refus bien légitime des dictatures.

    Il est à noter que la suite, Poison noir, signée Guido Sgardoli, est sortie en France en 2014, et qu’à la lecture d’un ouvrage aussi atypique et efficace que celui-ci, on ne peut qu’avoir envie de se ruer sur ce deuxième tome.

    12/02/2016 à 08:46 1

  • Freakshow !

    Xavier Mauméjean

    9/10 Une œuvre sacrément détonante, emplie de bruit et de fureur, où s’entremêlent scènes d’action épiques (notamment au début) et rencontres captivantes avec les sbires de Barnum. Une écriture dense et captivante, érudite, cadencée de références historiques et folkloriques, pour un roman qui a sur moi un double effet : lire d’autres ouvrages de la série ainsi que regarder de plus près la bibliographie de Xavier Mauméjean.

    29/07/2015 à 09:01 1

  • Frères de chair

    Michael Marshall Smith

    9/10 Dans un futur assez éloigné, Jack Randall, ancien policier dont la famille a été massacrée par le criminel Vinaldi, s’est recyclé dans la protection d’une ferme d’alters. On appelle ainsi des clones qui vivent isolés, parqués comme du bétail, en attendant que leur double, celui disposant d’une réelle existence, ait besoin de tout ou partie de leur corps de dépannage. Mais après s’être occupé de ces alters, Randall ne supporte plus que l’on se serve d’eux, et s’enfuit avec eux. C’est pour l’ex-flic le début d’une descente aux enfers, ponctuée notamment par un retour dans La Brèche, cet univers parallèle que gouverne la peur.

    Ce thriller fantastique de Michael Marshall Smith date de 1996, et pourtant, à sa (re)lecture, le temps passé depuis sa création n’a pas amoindri ses qualités ou son impact. Le genre de l’anticipation est parfois rendu impénétrable par un langage, une vision du monde ou des codes littéraires qui le rendent inintelligible pour nombre de lecteurs ; ici, indéniablement, ce n’est pas le cas. La plume de l’auteur est particulièrement alerte, conjuguant des moments très sombres à des répliques humoristiques particulièrement savoureuses et que l’on imaginerait sans peine dites par des acteurs de blockbusters hollywoodiens. Les scènes d’action sont également nombreuses, très bien écrites, et c’est avec un plaisir soutenu que l’on suit le périple de Jack Randall dans cet avenir empreint de nouvelles technologies.
    D’ailleurs, au-delà du décor et de l’ambiance futuristes, saisissants d’efficacité et, pourrait-on dire, de réalisme, c’est aussi la personnalité de cet ancien policier qui retient l’attention. Marqué à jamais par les combats dans La Brèche, drogué au point d’être devenu un véritable zombi, meurtri par le massacre des siens, c’est au contact des alters, ces petits êtres sans existence officielle et réduits au rang de pièces humaines de rechange qu’il va reconquérir sa part d’humanité. Michael Marshall Smith excelle dans l’art des portraits, par petites touches et flash-backs successifs, jusqu’à peindre des âmes denses et d’une rare profondeur. D’autres auteurs auraient pu se contenter d’esquisser des protagonistes effacés, édulcorés, insipides, au gré d’une intrigue qui n’aurait été que le prétexte à des scènes d’action échevelées. Michael Marshall Smith prend le contrepied de ces facilités, en imaginant un paysage futuriste détonnant, une histoire singulière, et des personnages complexes.

    Ce Frères de chair se situe à la confluence de l’univers inventif de Philip K. Dick, du cinéma spectaculaire couché sur papier et de l’intelligence quant à l’emploi des sciences. Pour se divertir, s’émouvoir ou réfléchir, il s’agit d’un opus de très grande qualité.

    04/07/2012 à 18:53

  • Gannibal tome 5

    Masaaki Ninomiya

    9/10 Un début à la fois poignant et inquiétant avec les deux gamins tandis que Daigo Agawa livre sa version des faits aux autres policiers et que l’attention converge vers le dénommé « Lui ». La piste d’une maladie, le kuru, apparaît clairement. Suspense tendu, récit très efficace, esthétique remarquable, intelligence du scénario, ambiance sacrément redoutable : excellent.

    02/04/2024 à 20:35 2

  • Gannibal tome 6

    Masaaki Ninomiya

    9/10 Daigo pénètre dans l’enclos où sont reclus les enfants mais ces derniers n’y sont plus. La traque se poursuit dans la forêt où il tombe (enfin, c’est plutôt l’inverse) sur « Lui ». Un sixième tome très dense, où l’excellent graphisme sert une intrigue aussi acérée qu’addictive. Pas mal de révélations sur le rôle d’un des protagonistes et un suspense haletant. Vraiment très très bon !

    02/05/2024 à 08:18 1

  • Gannibal tome 7

    Masaaki Ninomiya

    9/10 Agawa se réveille dans la grotte où on pratiquait le sacrifice des enfants, et la trace des dents de « Lui » sur l’avant-bras du policier pourrait constituer une preuve déterminante. Pendant ce temps, les forces de l’ordre approchent du village et ça pourrait castagner.
    Un suspense toujours aussi excellent, une esthétique ensorcelante (ah, cet œil qui voltige…), un sacré déluge de violence entre policiers et villageois, et une histoire qui conserve sa puissance de percussion alors qu’on en est tout de même au septième tome. Remarquable !

    02/05/2024 à 08:19 1

  • Gataca

    Franck Thilliez

    9/10 J’y ai retrouvé la même flamme et la même dynamique, presque échevelée, du « Syndrome [E] », et je me suis régalé. Les notions abordées (anthropologie, paléontologie, génétique, maïeutique, latéralité, tueurs en série, violence, tribu primitive, autisme, etc.) m’ont passionné, et j’ai appris pas mal d’éléments au fur et à mesure de cette enquête conjointe de Sharko et de Lucie. Un véritable cocktail, détonnant, tellement saturé d’événements et autres péripéties que ça fiche littéralement le vertige, voire l’overdose. Moi qui suis habituellement peu client des thrillers un peu « surchargés, là, je ne peux que m’incliner devant tant de maestria, et surtout, de maîtrise : quand on le relit, quand on reprend le déroulé à tête reposée, date après date, un enchaînement après un autre, la structure tient le test, ce qui est remarquable, car les éléments de construction sont sacrément nombreux. Pas le moindre temps mort, un vrai train de marchandises, et cette cadence m’a parfois surpris (par exemple, dès l’entame, j’ai trouvé que le sort réservé à l’une des filles de Lucie était un peu trop vite expédié, surtout du point de vue émotionnel et scénaristique, mais ça n’est bien évidemment que subjectif). Léger bémol de mon humble point de vue d’amateur lointain de thrillers : si je n’avais guère adhéré au côté « complotiste » du « Syndrome [E] », cette sorte de surcharge scénaristique, comme d’autres souffrent d’une surcharge pondérale, alourdit un peu l’ensemble, car les moments de respiration manquent un peu. Mais on ne peut qu’être exigeant et difficile après une lecture d’une telle qualité.

    28/09/2019 à 18:05 10

  • Hantés

    Anne Fakhouri

    9/10 C’est à coup sûr un thriller de très haute volée que nous offre Anne Fakhouri, passionné et passionnant, électrisé et électrisant, pour lequel le coup de foudre est quasiment assuré, et dont la seule critique repose donc sur son niveau littéraire, tant scénaristique que formel, qui est très exigeant.

    22/09/2013 à 18:25

  • Hell.com

    Patrick Senécal

    9/10 Daniel Saul a tout pour être heureux. Héritier d’une entreprise immobilière, riche à foison, il multiplie les coups d’éclat financiers, comme cette dernière vague d’achats, des églises désaffectées, qu’il est certain de revendre sous forme de luxueux appartements avec une belle plus-value. Avec sa collaboratrice, Marie Dubois, il enchaîne les expériences sexuelles dans les clubs échangistes. Il peut tout se permettre dans la mesure où son argent le lui permet. Il rencontre Martin Charron, un ancien ami. Ce dernier finit par lui proposer un nouveau type de distraction. Des divertissements plus intenses, forts et extatiques, à la mesure de ce qu’il est, en passant par un site Internet, Hell.com. D’abord dubitatif, Daniel s’y inscrit. Ce sera le début de sa chute.

    Patrick Senécal est un auteur connu et reconnu, dont chacun des ouvrages marque les esprits. Ce Hell.com confirme cette règle. Malgré une belle épaisseur (environ six-cents pages), on est immédiatement avalé par le récit, et ce jusqu’à la dernière page. Une incroyable spirale d’émotions. Du sang, du sexe, de la violence. De nombreux passages, étalés de manière particulièrement crue, choqueront voire dégoûteront certaines personnes. Et là où l’auteur fait très fort, c’est la manière dont il dévore son lecteur, littéralement. Par paliers successifs, tel un sable mouvant littéraire, il fait descendre Daniel Saul vers ce qu’il y a de plus immonde dans l’âme humaine. Au rythme d’une langue singulièrement simple mais efficace, il fait tomber Daniel de son dôme d’opulence vers le pire des gouffres. Il y apprendra le sens des mots trouble, douleur, peur et effroi. Tout au long de ce chemin de croix, il aura également l’occasion de se remettre en question : ses relations conflictuelles avec son fils Simon, ou ce spectre lancinant que constitue Mylène, une ancienne camarade de classe qui ne cesse de le hanter. On retrouve les ambiances anxiogènes du Fight Club de Chuck Palahniuk ou du film The Game, mais avec une âme particulière : Patrick Senécal ne cherche à aucun moment à imiter un roman ou un long-métrage. Il trace son propre sillon, avec une sauvagerie qui met d’autant plus en lumière les comportements anomiques et aberrants de tout être qui se croit tout permis dès lors qu’il est auréolé du pouvoir ou de cet argent qui corrompt. On retiendra de nombreux moments du livre, comme ces diverses festivités proposées aux membres d’Hell.com et où certains participants trouvent même des plaisirs coupables, les rapports entre Daniel et Simon qui ne cessent d’évoluer jusqu’à atteindre, à la toute fin de l’opus, une dimension messianique, ou la manière très subtile et humaine qu’a finalement Daniel de se confronter à Mylène.

    Un ouvrage saisissant de débauche et de barbarie, qui met d’autant plus en exergue les folies de notre monde et de tout individu à partir du moment où l’occasion lui en est offerte. Et l’on se souviendra longtemps de ce final où, en remarquable maître de la littérature d’ébène, Patrick Senécal est à même d’avoir le dernier maux.

    02/10/2017 à 19:50 10

  • Hideout

    Masasumi Kakizaki

    9/10 Un manga particulièrement cinglant et sanglant, où plusieurs histoires s’imbriquent les unes dans les autres. Au centre de ce maelstrom, cet écrivain à la dérive, tant du point de vue professionnel qu’émotionnel et familial. Une histoire bien trouvée, multipliant les flashbacks et les échos entre plusieurs périodes. Et le dessin singulier de Masasumi Kazizaki, sans couleur, mais où les nuances de noir constituent un véritable ravissement pour les yeux. Un récit noir et anxiogène, très marquant, qui mérite amplement d’être découvert.

    02/11/2016 à 08:50 1

  • Ice Limit

    Lincoln Child, Douglas Preston

    9/10 Une météorite vient d'être découverte au large du Cap Horn, sur l'île de Desolacion. En apprenant la nouvelle, le multi-milliardaire Palmer Lloyd n'a alors plus qu'un seul désir : monter une opération à très grande échelle pour la récupérer. Il constitue son équipe, composée de spécialistes dans divers domaines, ne reculant devant aucun sacrifice pour pouvoir se payer le luxe de rapporter à New York le précieux astéroïde. C'est sans compter sur de nombreux obstacles qui viendront barrer la route de cette entreprise complètement folle, dont l'un des plus dangereux sera la météorite elle-même qui semble couver un danger inconnu...

    Douglas Preston et Lincoln Child ont réussi avec cet ouvrage un remarquable roman d'aventures. Le livre - assez long - est particulièrement bien construit et mené, réussissant très vite à capter l'attention du lecteur. Les personnages sont nombreux et bien campés même si certains d'entre eux n'évitent pas quelques clichés quant à leur psychologie. Les rebondissements sont multiples et toujours bien amenés, servis par une documentation très étayée qui rend le récit d'autant plus prenant : il s'agit là d'un des gros points forts d'Ice Limit et qui, à coup sûr, le hisse à un niveau bien supérieur à ceux d'autres romans d'aventures.

    Au final, Ice Limit est un roman d'aventures de très grande classe, se soldant sur les deux dernières pages par une révélation incroyable auquelle le lecteur ne pouvait pas s'attendre.

    08/11/2007 à 14:05 1

  • Ichi The Killer tome 3

    Hideo Yamamoto

    9/10 Le troisième tome d’une série dont j’ai beaucoup aimé les précédents. Toujours ce mélange véloce, toxique et hautement infréquentable de sexe (viol et nécrophilie), de violence (encore plus poussée ici qu’auparavant) et de drogue. Ça commence sec avec une séance d’interrogatoire avec une torture à la clef, avec une épingle traversant la main d’une femme qui ne parle pas assez vite au goût du malfrat (mais il y a bien pire dans les précédents opus), et cette scène surréaliste du junkie chauve en manque qui se cache dans la télé. Encore une fois, Ichi apparaît assez tard, et je me demande si ça n’est pas mieux ainsi (après une légère déception à ce niveau-là dans le deuxième tome, je l’avoue, où une bonne partie de l’intrigue ne le mettait pas en scène) : cela permet à l’auteur de bien laisser les personnages malfrats se confronter et développer leurs psychés (férocement déviantes). Ichi va se doter de chaussures très particulières pour poursuivre son œuvre de mort, notamment pour protéger et venger son amie prostituée (la scène est mémorable, même si elle semble pompée à un épisode de « Ken le survivant »). De même, la scène finale avec elle est phénoménale. Vraiment très percutant et, à défaut de pouvoir séduire un grand nombre de lecteurs, ça m’a envoûté.

    15/12/2019 à 18:20 2

  • Ichi The Killer tome 4

    Hideo Yamamoto

    9/10 Ce tome reprend pile là où le précédent s’achève. Pour une fois, Ichi apparaît dès le début (mais disparaît provisoirement presque aussitôt) tandis que les tractations entre malfrats, avec les enjeux de pouvoir, le contrat engagé par l’homme gravement brûlé, connexions et « excommunions » battent son plein. Toujours ce déluge de scènes sexuelles, pratiques SM et violentes (ici, très marquante, ce caïd exécuté par cet inénarrable Kakihara d’une balle tirée… dans l’anus, puis jeté du haut du balcon). On en apprend un peu plus sur le passé et la psyché d’Ichi, notamment avec cet épisode ancien de cette fille violée sous ses yeux, ce qui n’était qu’évoqué jusqu’à présent, ou insuffisamment développé, au gré de son entrevue avec son mentor. Bref, toujours ce mélange incroyablement détonant, déployé avec une maîtrise rare.

    19/01/2020 à 08:51 1

  • Il était une fois la guerre

    Estelle Tharreau

    9/10 Le Shonga, un Etat de l’Afrique moulu par la guerre civile. Sébastien Braqui va y servir quatre fois dans le domaine de la logistique en conduisant des véhicules. Un militaire qui sera aux premiers rangs de la violence et de la folie, des maux qui vont le déliter graduellement jusqu’à lui faire perdre pied. Une déchéance qui va également toucher sa femme et sa fille et dont nul ne sortira indemne.

    Estelle Tharreau, l’auteure à qui l’on doit notamment De la terre à la bouche, Mon Ombre assassine et La Peine du bourreau nous offre ici un livre inclassable. Il a la densité d’un roman noir, le côté haletant du thriller, et aussi l’aspect émotionnel de la littérature blanche. On y suit le parcours de Sébastien Braqui, jeune militaire, dont le mental va lentement s’éroder sous les coups de boutoir du conflit auquel il va participer. Sur place, il va tout connaître : la brutalité de la belligérance, les enfants-soldats – dont ce Momar Dembé dont l’existence va le hanter –, la souffrance des populations touchées. Parallèlement, il va éprouver au plus profond de ses chairs et de son âme la couardise des élites politiques, leur invraisemblable inconstance, l’infidélité des masses qui vont soutenir leurs troupes puis les vouer aux gémonies au gré des événements, et la dislocation de sa famille. Sa femme, Claire, et sa gamine, Virginie, ne connaîtront que rarement ce spectre qu’est devenu leur époux et papa souvent absent, appelé sur le champ de bataille, meurtri par le syndrome de stress post-traumatique, sombrant dans l’alcool et la drogue, purgé par sa hiérarchie qui préfère progressivement des guerriers plus aseptisés. Le Mal qui est né sur ces terres de latérite s’y est développé avant de devenir une tumeur insatiable et invincible, aura même des répercussions létales et monstrueuses sur le territoire français, une atrocité que l’on découvre, éberlué, dans le dernier chapitre. Estelle Tharreau nous propose un roman singulier, mémorable et d’une rare intensité psychologique, bien loin des poncifs du genre, proposant un bel hommage aux vétérans – quels que soient les affrontements auxquels ils ont participé – tout en apportant un éclairage lucide et d’une sidérante justesse quant aux conséquences de la cruauté, créature tyrannique se nourrissant de ses propres ravages.

    On savait déjà qu’Estelle Tharreau était talentueuse, son dernier vient confirmer notre sentiment. Mieux : il la classe parmi les écrivains dont il faut nécessairement guetter la sortie des prochaines œuvres littéraires comme une vigie surveille l’arrivée des renforts.

    11/05/2023 à 07:04 5

  • Il n'y a pas de passé simple

    François-Henri Soulié

    9/10 Jeune journaliste stagiaire au Courrier du Sud-Ouest, Skander Corsaro compte réaliser un article sur l’abbaye de Morlan. Mais, une fois les quelques interlocuteurs interviewés sur place, l’oubli du capuchon de son appareil photo l’oblige à rebrousser chemin et, malencontreusement, saisir un dialogue entre l’architecte et le conservateur où il est question de l’abbé Soeuil. Qui est ce mystérieux abbé ainsi évoqué ? Pour Skander, c’est le début d’une enquête riche, qui va le mener à rouvrir des plaies ouvertes il y a bien longtemps.

    Il s’agit du premier ouvrage de François-Henri Soulié, et dont le second tome, Un Futur plus que parfait, est sorti en mars dernier. Ce qui séduit d’entrée de jeu, c’est le style de l’auteur. Il est fourmillement. De répliques drôles et toujours de bon aloi. De justes réflexions quant à l’être humain et la société. De mises en scène de situations parfois rocambolesques, où l’absurde le dispute au croustillant. De délicieux petits plaisirs littéraires, gorgés de malice et d’esprit, certes souvent fugaces, mais qui débouchent fréquemment sur de nouvelles saynètes savoureuses. On en vient volontiers à reprendre certains passages, moins pour ce qu’ils apportent à l’enquête en tant de telle, que pour l’allégresse qu’il procure au lecteur. Les divers personnages sont un régal. Skander, moitié français moitié – lui-même le confesse – on ne sait pas trop quoi, pris entre la culture européenne et les lustres orientaux. Léo Orson, le peintre paralysé qui ne peut se déplacer qu’à l’aide d’un fauteuil hightech, à l’altruisme immense. Max, le tenant du bistrot. Tonio, le fidèle ami de Skander, anarchiste, homosexuel, grand lanceur de pépites philosophiques, et toujours prêt à aider son ami d’enfance. Berland, le directeur du journal, d’une absolue humanité pour son stagiaire. Arthur Schoenberger, dit Chon-Chon, bouquiniste plein de ressources et survivant d’Auschwitz. Sans compter Sandra, la spectrale fille de Léo et pour laquelle Skander a immédiatement ressenti une inclination onirique, quitte à déboussoler ses rêves et lui faire subir des hallucinations. Le récit purement policier va également mener notre limier d’un mystère à un autre, entre des événements ayant eu lieu peu de temps avant la Révolution française, la Seconde Guerre mondiale, et des complots très contemporains, très politiques, et très sordides. C’est aussi cela l’un des grandes qualités littéraires et scénaristiques de déploie François-Henri Soulié : souffler le chaud et le froid, le réjoui et le dramatique, le sautillant et le monstrueux. Parce qu’une honorable vieille dame, recluse dans une maison de retraite aux forts accents catholiques, malgré ses pertes de repères historiques au point de confondre passé et présent, constituera l’un des détonateurs déposés sur une immense charge explosive qui vaporisera de nombreux personnages. Si la salve des premiers chapitres laisse penser que l’ensemble du récit sera allègre, voire gentiment futile, la suite des événements prouvera le contraire, exposant aux yeux terrifiés des protagonistes des pages monstrueuses de l’histoire française. Cette cohabitation du léger et du terrible aurait pu mener à une fusion, voire une confusion des genres, un brouet infâme, au risque de perdre le lecteur, ou lui faire penser que François-Henri Soulié n’a jamais su choisir son registre. Ici, il n’en est rien. Il vient au contraire souligner l’intelligence d’un auteur qui a su apporter, avec correction et justesse, ces deux éléments sans jamais les mélanger ou les noyer l’un dans l’autre pour les neutraliser.

    Un roman vif, érudit et passionnant, ayant amplement mérité le Prix du premier roman policier du festival de Beaune de 2016. Et cet enchevêtrement des diverses époques historiques évoquées, ici imbriquées dans cette chasse au trésor, démontre la pertinence du titre choisi : Il n’y a pas de passé simple.

    26/04/2017 à 17:29 4