El Marco Modérateur

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  • La Fille qui jouait avec le feu

    Sif Sigmarsdóttir

    8/10 Hannah vient de perdre sa mère, décédée d’un cancer du sein, et c’est à contrecœur qu’elle quitte Londres pour l’Islande afin de rejoindre son père. Ce dernier, journaliste, lui a trouvé un poste de stagiaire. Dans le même temps, Imogen Collins, dix-neuf ans, influenceuse très suivie sur les réseaux sociaux, travaille également pour une entreprise de marketing et vient de rejoindre Reykjavik. Mais elle n’a pas su se débarrasser d’un passé qui lui colle encore à la peau et à l’âme, avec la silhouette effrayante d’un individu qu’elle surnomme « Le Monstre ». Hannah et Imogen vont se rencontrer au hasard d’une interview, mais lorsque l’on découvre la dépouille du « Monstre », Hannah ne va pas pouvoir s’empêcher de penser qu’Imogen est innocente.

    Ce livre de Sif Sigmarsdóttir s’adresse en priorité à la jeunesse, mais à sa lecture, il est étonnant de voir à quel point l’intrigue, l’écriture et l’ambiance peuvent sans le moindre mal intéresser des personnes bien plus âgées. Ce roman, assez copieux du point de vue de la taille, est un véritable festin. Choral, alternant les points de vue d’Imogen et d’Hannah, il séduit aussitôt avec une construction qui évite la linéarité et où s’emboîtent des extraits de messages Instagram rédigés par notre influenceuse. L’histoire est captivante, faisant graduellement remonter cet événement traumatisant pour Imogen – une tentative de viol, au point de faire de la jeune femme une suspecte idéale. S’y mêleront d’autres pistes comme celle de l’espionnage ou la compétition logistique à propos de techniques de marketing. Dans le même temps, les éléments de l’arrière-plan sont très intéressants, depuis les relations entre Hannah et sa famille aux méthodes – éhontées – employées par la firme qui l’emploie pour trouver des chalands, en passant par les descriptions bien senties et atypiques de l’Islande et les sentiments de doute accompagnant Imogen dans sa quête de notoriété, avec les désillusions psychologiques et autres leurres qui l’accompagnent. L’histoire a en outre le grand mérite de s’achever de manière inattendue, avec la révélation de l’identité de l’assassin qui n’intervient que dans les dernières pages.

    Un opus particulièrement prenant et réussi, qui parviendra sans mal à rallier l’attention des jeunes et moins jeunes lecteurs. Au final, son seul véritable défaut pourrait être son titre français, trop éloigné de sa version originale, The Sharp Edge of a Snowflake, dont la signification, hautement symbolique, est explicitée dès le début. On peut penser que l’éditeur a voulu faire penser à La Fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette du regretté Stieg Larsson alors que cet ouvrage, d’une très grande qualité, n’avait pas besoin de ces ressorts purement mercantiles.

    15/07/2021 à 08:25 2

  • Le Visiteur du soir

    Maza, Richard D. Nolane

    7/10 Les Alliés (ici symbolisés par Churchill et de Gaulle en réunion) ont conscience du projet « Thor » mené par les nazis en Antarctique et ont développé un avion capable d’en découdre avec les appareils Wunderwaffen allemands. La référence au film « Les Visiteurs du soir » apparaît clairement. Quelques bavardages (un peu longuets) chez les élites avant de nouveaux combats aériens épiques. Cet épisode, réussi, se conclut par le départ du Visiteur vers Berlin en sous-marin avec un étrange matériau noir.

    13/07/2021 à 17:06 1

  • Le Calligraphe

    Hisaki Matsuura

    7/10 Ôtsuki, trente-quatre ans, est un ancien toxico qui vit aux crochets des femmes. Le hasard place un jour sur sa route un ancien camarade, Sugimoto, qui lui propose un travail pour le moins original : aller à la rencontre du vieux Masamichi Kôyama, calligraphe de son état, afin de terminer pour lui un film. Sauf que le long-métrage n’a rien de très orthodoxe : il mêle scènes érotiques avec la jeune Tomoé, encore mineure, et scènes surréalistes avec des insectes pris au gros plan. Ôtsuki ignore encore que les événements à venir vont être encore plus étranges…

    Il s’agit ici du premier ouvrage de Hisaki Matsuura à être traduit en France. L’auteur, également poète et critique de cinéma, emploie une langue belle, très belle même, où l’on sent sans le moindre mal l’influence japonaise, avec une prose touchante où certains passages sont à lire et à relire pour en apprécier tout le sel. Les divers protagonistes sont assez croustillants, de Tomoé, adolescente presque femme qui attire la concupiscence masculine, à Kôyama, bizarrement obnubilé par ce film si ésotérique, en passant par Takabatake, « semi-imbécile » brutal qui vivote dans l’ombre du patriarche et, bien évidemment, Ôtsuki, individu en pleine perdition qui a su se libérer de l’emprise du shabu, une variété de méthamphétamines. Hisaki Matsuura déploie une langue riche et admirable qui fait perdre pied au lecteur au gré de ce récit énigmatique, volontairement mystérieux et dont il faut attendre les derniers chapitres pour comprendre la réelle teneur de l’intrigue. Mais que le lectorat soit prévenu : l’univers de l’écrivain est obscur – au sens positif du terme – et très difficilement pénétrable, puisqu’il fait clairement référence à la culture nippone et à ses codes, ce qui risque de semer quelques esprits purement occidentaux le long de ce fil d’Ariane. Néanmoins, ce Calligraphe offre indubitablement une incursion atypique et, par certains points, vertigineuse dans une littérature policière parfois trop balisée et attendue.

    Plus qu’un livre, celui-ci s’apparente à une véritable aventure expérimentale et occulte, d’autant que l’épilogue, noir à souhait, se panache d’une énigme à la résolution qui confine au mystique.

    12/07/2021 à 08:29 2

  • Silencer tome 3

    Buronson, Yuka Nagate

    7/10 Troisième tome des enquêtes d’Iba et de Shizuka, qui commence avec un cauchemar de la part de la jeune femme puis la découverte de deux cadavres, assassinés, et dont une oreille a été coupée pour tous les deux. Une tueuse brune aux cheveux longs apparaît, presque symétrique à Shizuka, tandis qu’Iba est enlevé et soumis à un terrible chantage : vingt-quatre heures pour choisir entre la mort à cause d’une bombe placée dans un bracelet, ou l’assassinat de sa partenaire. Un mélange toujours aussi explosif de roman noir, de thriller et d’espionnage, avec un ample pan du passé de l’enquêtrice qui est révélé. Peut-être encore plus d’action que dans les précédents opus, mais quelques éléments déjà lus ou vus ailleurs également.

    11/07/2021 à 17:01

  • Aaricia

    Grzegorz Rosinski, Jean Van Hamme

    6/10 Comme l’indique le titre, des histoires afin de mieux connaître Aaricia, épouse de Thorgal et fille de Jolan. « La Montagne d’Odin », ou comment elle a connu Thorgal bien avant leur âge adulte, alors qu’elle errait à la recherche de sa mère, pourtant décédée, et aux griffes de créatures retorses. « Première neige », ou les amours naissantes entre eux deux, un peu plus tard, autour d’une quête au trésor, plus exactement une couronne. « Holmganga », ou Bjorn et Thorgal qui s’affrontent en duel, pourtant si jeunes. Enfin, « Les Larmes de Tjahzi », ou comment elle va faire la connaissance, via un bateau volant, d’un gamin aveugle aux pouvoirs phénoménaux. Rien de transcendant, et, à la manière de « L’Enfant des étoiles » qui revenait en quelques histoires sur l’enfance de Thorgal, voilà le pendant féminin qui permettra surtout aux fans d’en savoir plus sur Aaricia.

    10/07/2021 à 08:11 2

  • Entre terre et lumière

    Grzegorz Rosinski, Jean Van Hamme

    7/10 Si Jolan maîtrise la télékinésie, il ne parvient pas à exploiter à fond le talent qui lui a été confié. Désormais adopté par le peuple des Xinjins, le gamin manifeste même le désir de rester sur place. Mais l’enfant va apprendre que ses parents et Pied-d’Arbre ont été victimes d’un complot et il va se rebeller. Une jolie transition par rapport aux trois BD précédentes, un sacré dynamisme dans l’intrigue, un récit qui se nourrit, une fois de plus, d’éléments historiques (ici, l’emploi du peyotl comme hallucinogène) et la retorse Kriss de Valnor qui réapparaît. C’est toujours aussi distractif et prenant.

    09/07/2021 à 17:35 2

  • O.P.A.

    Philippe Francq, Jean Van Hamme

    7/10 Cette BD commence par un chantage dans la salle des coffres d’une banque, mais j’ai trouvé la suite un peu plus effilochée, moins dynamique que les deux précédents opus, avec pas mal de bavardages selon moi. Quelques ficelles des coups (tordus) boursiers sont bien expliqués, et ce mystérieux « Archer vert » multiplie ses victimes. Un opus agréable, au charme délicieusement désuet dans son esthétique, qui me donne envie de passer à la suite parce que je viens de reprendre goût à cette série et que je souhaite savoir comment elle va évoluer après ce tournant.

    08/07/2021 à 08:09 2

  • Le Parc de l'épouvante

    Agnès Laroche

    8/10 Vous êtes quatre : vous (Melvil), Ismaël (votre cousin), Issa (la jeune fille dont vous êtes amoureuse), et Octave, le fils du propriétaire de Panik-Park, un parc d’attractions dédié à la peur. Octave a décidé de vous y permettre d’y entrer en avant-première, au nez et à la barbe des gardiens et de la vidéosurveillance. Malheureusement, le ton vient à monter entre les aventuriers en herbe, et Octave décide de prendre la poudre d’escampette. Maintenant que vous êtes tous les trois livrés à vous-mêmes, qu’allez-vous faire ?

    Agnès Laroche, dont on a déjà pu apprécier les très bons Fantôme de Sarah Fisher, Sauve-toi Nora !, Tu vas payer ou encore Duo pour une enquête, a également inauguré en 2019 la collection Les mystères dont vous êtes les héros, et nous voici avec le cinquième opus entre les mains. Un ouvrage encore une fois très réussi, où le principe du livre-jeu est simple : à la fin de presque chacun des soixante-quatre chapitres, il vous sera proposé de faire un choix entre plusieurs possibilités. Des embranchements nombreux, vous amenant ensuite vers de nouvelles péripéties, d’autres dilemmes, voire des impasses et des échecs vous obligeant à reprendre depuis le début. Vous pourrez alors solliciter votre instinct, tenter la chance, et il est vrai que cette arborescence, menant vers vingt-et-une fins différentes, est un pur bonheur. D’ailleurs, vu la concision de ce livre, une fois fini, on n’a plus qu’une envie : le reprendre de zéro pour en éprouver toutes les possibilités, d’autant qu’elles sont toutes dissemblables, Agnès Laroche vous décernant un « Pas mal ! » tandis que d’autres vous offriront des lauriers plus enthousiasmants avec « Très bien joué ! ».

    Un roman particulièrement enthousiasmant et bien construit, aussitôt addictif et autant efficace que Mission exploration que nous aviez déjà eu le plaisir de tester il y a plusieurs mois de cela. Une série de livres-jeux qui s’adressent à tous et ressuscitant en chacun d’entre nous ce qu’il y a d’espièglerie, de compétition et de ludisme.

    07/07/2021 à 07:26 1

  • La Mort sous enveloppe

    Maurice Lambert

    6/10 L’inspecteur Machard, de la brigade mobile, enquête sur un fait divers sans grand intérêt : le vol de 200000 francs. Déjà que ça ne l’emballe pas plus que ça, mais en plus à Beauvais et sous la pluie ! Mais voilà, une fois sur place, notre policier découvre que Lucien Leroy, l’homme spolié, a été assassiné, empoisonné à la strychnine. Dès lors, son fils, René, sa furie de sœur Angélique ainsi que ses trois principaux amis deviennent les suspects privilégiés.
    Une nouvelle agréable, sans grande prétention, et qui fait passer un agréable moment. Machard est un enquêteur observateur, gentiment bougon, capable de légers coups de sang, prêt à faire des planques, et qui soliloque. Il va devoir affronter un cocon d’êtres peu aimables (ou qui pourraient l’être), où l’appât du gain compose un mobile classique mais efficace. L’idée de la lettre soi-disant vierge, en réalité écrite à l’encre sympathique, est bienvenue, mais le dénouement laisse assez perplexe : l’identité du tueur devient vite évidente, et le fait qu’il ait commis deux telles bourdes (en laissant des empreintes digitales sur la lettre et en la postant du lieu où il se trouvait), confine à la bêtise la plus crasse, à moins que l’auteur, Maurice Lambert, n’ait voulu souligner, sans le dire, le côté non machiavélique du criminel. Bref, rien d’extraordinaire ni de mémorable, mais ça n’en reste pas moins plutôt plaisant.

    06/07/2021 à 18:30

  • Dragon Head tome 8

    Minetaro Mochizuki

    6/10 Les catastrophes naturelles n’ont pas cessé, et nos expéditeurs s’en rendent notamment compte à l’intérieur de ce centre commercial déserté. Une colonne de feu et de lave semble jaillir de Tokyo et une énorme tornade est en approche. Le graphisme est toujours aussi réussi et angoissant, mettant bien en relief l’ambiance apocalyptique tandis que Teru parvient enfin à rejoindre Tokyo. Cependant, je préférais les premiers épisodes dans le tunnel.

    04/07/2021 à 17:57 1

  • Emerging tome 2

    Masaya Hokazono

    6/10 Le virus inconnu semble se propager de manière fulgurante et la population se met – légitimement – à paniquer. Cette saleté s’en prend également au collagène humain, en rendant la chair des patients molle et déchirable, et il se pourrait qu’elle se propage via les voies aériennes et non avec les explosions de sang. Une esthétique toujours aussi réussie pour un dynamisme qui ne se dément pas, mais je reste un peu sur ma faim concernant l’épilogue : mis à part l’image forte du corbeau – qui est juste une supposition parmi tant d’autres – et que l’on pourrait remplacer, de nos jours, par une chauve-souris ou un pangolin, l’auteur fusionne la fin heureuse un peu déplacée et le traitement trop miraculeusement découvert à une fin plus ouverte et en apparence sombre. Bref, il m’a semblé qu’il ne parvenait pas à choisir l’épilogue afin d’essayer de satisfaire tous ses lecteurs sans pour autant décider entièrement. Dommage.

    27/06/2021 à 09:16 1

  • Emerging tome 1

    Masaya Hokazono

    7/10 Un individu qui grossit subitement après ce qui ressemble à un simple rhume, un visage qui se congestionne, des yeux injectés de rouge, des crachats sanglants, des bulles sur tout le corps… et la mort. Même le médecin légiste ne comprend pas ce qui a atteint le malheureux. Le virus semble se propager via les effusions de sang, s’apparente à une fièvre hémorragique, et il ne ressemble à rien de déjà connu. Un canevas certes classique mais qui, alors que ce manga date de 2004, prend une consistance toute particulière en ces temps d’épidémie de coronavirus. Un dessin habile et efficace, pas le moindre temps mort, une ambiance lourde et anxiogène, des scènes assez marquantes (les geysers ensanglantés par la bouche et lorsque les veines éclatent).

    27/06/2021 à 09:16 1

  • La Foudre de Thor

    Maza, Richard D. Nolane

    8/10 Le puits de forage intrigue tellement les ingénieurs que quelques-uns y descendent à leur tour, se demandant comment il est possible de vitrifier de la glace en observant les parois de la cavité… avant que l’un des hommes soit littéralement happé par une forme tubulaire. L’hypothèse extraterrestre apparaît clairement tandis que Himmler prend la main sur Hitler (façon de parler, puisque l’on voit le Führer avec sa prothèse). Encore un opus très efficace qui se conclut par une démonstration du « Visiteur » tout juste sorti du gouffre du pouvoir de ce phénomène attribué à Thor.

    27/06/2021 à 09:14 1

  • La Cité du dieu perdu

    Grzegorz Rosinski, Jean Van Hamme

    7/10 Toujours dans la continuité des deux précédents opus, où les événements antérieurs sont brièvement résumés, et où Ogotaï s’illustre comme un dictateur brutal et cruel régnant sur les Xinjins. Pas mal d’action dans cet opus, dommage que la couverture dévoile si vite un événement qui n’apparaît qu’à la 33ème page. Une série de règlements de comptes finaux percutants et dévoilés à vive allure, qui panachent SF, fantasy et presque du western, pour un tome encore une fois réussi, réjouissant et fort distractif.

    27/06/2021 à 09:14 2

  • Les Yeux de Tanatloc

    Grzegorz Rosinski, Jean Van Hamme

    7/10 Suite immédiate du dixième et précédent opus, où l’on retrouve nos héros à la recherche de Jolan et de Pied-d’Arbre dans les marécages. Au-delà des pérégrinations de Thorgal et consorts dans cette épaisse forêt, c’est le jeune Jolan qui s’impose comme protagoniste principal de cet opus à mes yeux, avec son caractère déjà bien affûté et ses pouvoirs magiques naissants, proches de la télékinésie, au point qu’il va être intronisé par le peuple qui l’a enlevé sous le nom Hurukan, « celui qui voit ». Une bande dessinée réjouissante et efficace à l’image des tomes précédents, et je me rue d’ores et déjà sur le suivant.

    25/06/2021 à 18:29 2

  • La Meurtrière innocente

    Charles Richebourg

    6/10 « — V’là l’gentil monsieur ! ... » s’écrit Victor, dit Toto, le fils de la concierge. Il parle de Séraphin Pervenche, aussi anodin physiquement qu’unanimement apprécié. En réalité, l’homme est un escroc de la pire espèce, et avec un cynisme consommé. Et quand on le retrouve mort au petit matin, empoisonné au gaz, la thèse du suicide ne tient guère longtemps. L’inspecteur principal Odilon Quentin. Dégarni, gros, endimanché, le policier n’en est pas moins habile, mais tout dans cette affaire pose problème, et ça n’est qu’avec l’acharnement qu’il la résoudra.
    Une nouvelle intéressante et très agréable à lire, où la figure d’Odilon Quentin s’impose dans ce meurtre aux allures de fait divers. Ce qui est étonnant et marquant – plus que la question du mobile et de l’identité de l’assassin, tous deux assez facilement devinables, c’est donc la personnalité du limier qui l’emporte, ainsi que cette intrigue autour du gaz utilisé dans l’immeuble et de l’obstination des policiers, puisque ce n’est qu’au terme d’un interrogatoire où ils vont lessiver et briser le suspect que ce dernier va craquer. En soi, rien d’extraordinaire, mais un bon moment de lecture distractive, ce qui est déjà bien.

    24/06/2021 à 18:36 1

  • Sans lendemain

    Jake Hinkson

    9/10 Dans la seconde moitié des années 1940, la jeune Billie Dixon est chargée de vendre des films – fort mauvais de son propre aveu – à des cinémas qu’elle passe son temps à démarcher. A Stock’s Settlement, bourgade de l’Arkansas, elle fait la connaissance d’Obadiah Henshaw, pasteur de « l’Eglise du Tabernacle racheté », mais surtout de sa femme, Amberly. Entre elles deux, c’est le coup de foudre. Mais l’amour homosexuel n’est guère toléré à cette époque, encore moins lorsqu’il s’agit de l’épouse d’un homme de religion. Et les drames approchent déjà à grands pas.

    De Jake Hinkson, on connaît déjà son surpuissant Au Nom du Bien ainsi que L’Enfer de Church Street et L’Homme posthume. Ici, le roman est très court (à peine plus de deux-cent-dix pages), et la concision est encore relevée par l’écriture si typique de l’auteur : sèche, rognée jusqu’à l’os, et acide comme cela n’est guère permis. En très peu de mots, avec une immense économie de moyens, Jake Hinkson nous glisse, au gré d’un récit à la première personne, dans la peau de Billie Dixon. Elle s’y révèle exceptionnelle de crédibilité et d’humanité, en femme libérée bien avant l’heure, lesbienne ayant collectionné les aventures sans le moindre lendemain, et qui voit en Amberly plus qu’une énième passade, sa possible âme sœur. Les mœurs de cette période sont dépeintes avec une vérité criante, où la religion, le prêt-à-penser et le politiquement correct l’emportent sur tout le reste, les passions y compris. On y découvre des personnages d’une incroyable richesse, comme ce pasteur revenu aveugle de la guerre dans le Pacifique et disposé à toutes les contradictions – même les plus violentes – pour que soit conservée la rectitude morale, Eustace Harington, policier aussi physiquement monumental que mutique et benêt, ou sa sœur, Lucy, son « assistante administrative », en réalité tête pensante de la maréchaussée du comté. Jake Hinkson met en place les rouages classiques du roman noir qu’il serait déplacé de présenter ici, mais ils s’avèrent remarquables de vraisemblance, croquant un à un quelques protagonistes de cette histoire fort sombre, jusqu’au final, aussi sec que poignant.

    Un petit bijou de mécanique que ce Sans lendemain, où jamais Jake Hinkson ne s’épanche en mots inutiles ou surnuméraires. Un style racé, une intrigue forte et mémorable, pour un drame marquant, qui est également une peinture particulièrement féroce des conduites individuelles et collectives, quand la dévotion confine à la plus sinistre des hypocrisies et à la plus dévastatrice des boules de démolition.

    23/06/2021 à 07:04 7

  • Le Verdict

    Nick Stone

    9/10 Elle s’appelait Evelyn Bates. On a retrouvé son cadavre dans la chambre d’hôtel occupée par Vernon James, homme d’affaires riche à millions et récemment élu « personnalité éthique de l’année ». Tout l’accuse. Sa défense sera assurée par le cabinet KPR (entendez Kopf-Randall-Purdom). Dans l’équipe, Terry Flynt, greffier et ami d’enfance, vingt ans plus tôt, de Vernon, jusqu’à ce qu’une histoire de vol de journal intime brise définitivement leur attachement réciproque. Terry va alors être pris dans une série de sentiments contradictoires : doit-il aider Vernon, comme n’importe quel client ? Doit-il tout faire pour se venger de lui ? Et, finalement, ce magnat est-il coupable ou innocent ?

    De Nick Stone, on connaît sa trilogie consacrée à Max Mingus, une remarquable série, et c’est avec autant de surprise que d’appétit que l’on retrouve cet auteur dans un genre très différent, le thriller procédural, où le décor londonien se substitue à l’haïtien. Sept-cent-vingt pages en grand format, près de sept-cent-quatre-vingts en poche, doux euphémisme que de dire que l’ouvrage est consistant. Néanmoins, la plume de l’écrivain parvient sans le moindre mal à sabrer ces longueurs avec un style impeccable où viennent éclater à la surface de ce récit tendu quelques salutaires bulles d’humour. Nick Stone s’est particulièrement documenté sur les rouages de la justice anglaise, les techniques employées par les avocats, l’univers carcéral et la psychologie des jurés, sans jamais que ces fondements instructifs ne deviennent lourds ou inutiles. Avec ses mots, et grâce à la structure parfaite du roman, il réussit à tout rendre passionnant, même les plus infimes détails, comme l’usage et la détection du Rohypnol, ou encore cette histoire de montre Rolex soi-disant rarissime. Terry Flynt constitue un héros très agréable à suivre, jeune époux et père de deux enfants, ancien alcoolique dont les démons vont cependant vite le rattraper, simple greffier, et dont la trajectoire a été brisée net à l’université à cause de Vernon James. Ce dernier est également marquant en nabab, s’étant fait tout seul après l’assassinat particulièrement barbare de son père, et que le mariage avec la belle Melissa n’a pas éloigné des pratiques sexuelles brutales. Il y a d’autres protagonistes tout aussi mémorables, comme Andy Swayne, détective privé anciennement alcoolique, ayant purgé de la prison, parlant plusieurs langues et d’une redoutable sagacité, ou encore Christine Devereaux, avocate atteinte d’un cancer en phase terminale, et brillante dans son discernement et sa clairvoyance quant à la manière de mener les débats. L’intrigue est dense, forte, et, pour résumer, formidable d’un bout à l’autre, où jamais Nick Stone ne s’essouffle.

    Un thriller palpitant, rythmé et de très haute volée, qui, au-delà de sa force et de sa singularité sur un thème pourtant usé jusqu’à la corde, énonce à haute et intelligible voix le talent pluriel de son auteur.

    21/06/2021 à 07:09 7

  • Higanjima tome 5

    Koji Matsumoto

    6/10 Cet opus commence par une belle baston, et le combat continue, notamment autour de ce pont suspendu. Un épisode de la série presque entièrement dédié à l’action, mis à part un flashback qui nous en apprend un peu plus sur ce passé et sur ce qui est arrivé notamment à Kyôko, avec un final « interrompu » avec une scène décisive, mais est-elle réelle ou va-t-elle partir dans le tome suivant sur un rebondissement ? Comme pour les précédents épisodes, je regrette le manque d’originalité, mais le souffle et le dynamisme corrigent un peu ce tir.

    20/06/2021 à 18:59 1

  • Barré

    François Clapeau

    8/10 A Limoges, les policiers Aurélie Laurencin et Donat Vigier sont sur le point d’appréhender un braqueur de bijouteries quand l’improbable se produit : Donat a un malaise. Plus exactement, il se sent dépossédé de son propre corps, incapable du moindre mouvement. Lorsqu’il se réveille à l’hôpital, le verdict des médecins lui tombe dessus comme un couperet : syndrome de Guillain-Barré, une maladie extrêmement rare qui l'immobilise presque entièrement et qui va le clouer dans la paralysie pendant un temps indéterminé. Mais quand une infirmière est assassinée, il comprend qu’il est à la merci d’un tueur bien mystérieux.

    François Clapeau livre ici un roman à suspense court (environ deux-cent-dix pages) et très prenant. S’appuyant sur un pitch original, il plonge rapidement dans le vif du sujet avec un lieutenant de police atteint d’un mal subit et étrange, que l’on pourrait qualifier de saugrenu s’il n’était malheureusement pas si authentique, qui va devoir surveiller sa propre personne, punaisée à l’hôpital, tandis qu’un assassin est peut-être en train de roder autour de lui. Parce que, si Donat est statufié et ne peut plus s’exprimer que par de vagues mouvements de la tête et en écrivant avec un feutre et une ardoise, bourré de médicaments, soumis à diverses machines médicales, il n’en demeure pas moins un policier aux sens éveillés, en alerte, et toujours doué d’au moins une bonne partie de son intellect. Il va observer les médecins, les infirmières, les écouter, analyser leurs propos et attitudes, et faire quelques belles déductions. Un tatouage, un emploi du temps, des interconnexions humaines, et la vérité va lentement apparaître. Mais Donat a-t-il pour autant raison ? Lui qui voit des korrigans dans sa chambre peut-il encore être certain de ce qu’il perçoit et raisonne ? François Clapeau livre un récit sans le moindre temps mort, vif et délicieusement anxiogène, alors qu’Aurélie et d’autres coéquipiers sont toujours en train de traquer ce braqueur qui vient de se rendre coupable d’un meurtre lors d’un hold-up. Néanmoins, là où l’auteur tire son épingle du jeu, c’est dans le final. Un épilogue fort et ouvert, rebattant les cartes jusqu’alors étalées sur la table de cette histoire qui aurait peut-être mérité, çà et là, davantage de noirceur ou de tempérament. Mais cette chute, sacrément intéressante et qui va obliger le lecteur à se poser beaucoup de questions, quitte à lui-même fournir des réponses très personnelles et intimes, constitue cet exquis bouquet final que l’on n’attendait pas.

    Un ouvrage concis et très réussi, où les ultimes chapitres viennent apporter une explication quant au choix du titre en plus de constituer un habile jeu de mots avec le syndrome qui a fauché le héros.

    17/06/2021 à 07:11 6