Qui a tué Glenn ?

(Glennkill)

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  • 9/10 George Glenn n’est plus. Cet aimable berger est retrouvé mort dans son champ, une bêche plantée dans le corps. Ce sont ses moutons qui trouvent le corps, mais ce ne sont pas n’importe quels moutons. Il en va d’eux comme des êtres humains : dans ce troupeau, il y en a qui sont intelligents, d’autres sages, etc. Et c’est ce cheptel, mené par la sagace Miss Maple, qui va mener l’enquête.

    De Leonie Swann, on connaît déjà le très bon Gray, ou l’investigation d’Augustus Huff, secondé d’un inénarrable perroquet, et c’est une histoire toute aussi improbable que l’écrivaine allemande signait en 2005. Nos si sympathiques ovidés vont plus ou moins faire bloc afin de comprendre qui et pourquoi leur pâtre a été assassiné. On y retrouve donc Miss Maple – joyeuse référence à la Miss Marple d’Agatha Christie, mais également Sir Ritchfield, le chef âgé du troupeau à l’ouïe si paresseuse, Cordelia qui raffole des mots alambiqués, Mopple la baleine dont la mémoire est infaillible, ou encore Willow, la brebis taiseuse, ce qui ravit ses autres congénères. Une bande hétéroclite, mais dont les diverses facettes vont pouvoir s’unir afin de faire toute la lumière sur le récent drame. Est-ce pour autant un roman parodique, voire bouffon ? Oh non. Indéniablement, il y a beaucoup d’humour dans les mots de Leonie Swann, comme cette scène où l’un des animaux est forcé par ses pairs à manger à toute allure des géraniums afin de dégager le paysage et pouvoir observer une scène, puis est aussitôt pris par la diarrhée, ou cet autre quadrupède dévorant par erreur du cannabis, sans compter encore nombre d’autres passages décontractés et distrayants. Mais dans le même temps, on se rend vite compte que ce livre va bien au-delà de la pochade. Les bêtes en viennent à avoir des pensées d’une singulière justesse quant aux contradictions des humains, découvrent leur voracité dès lors qu’un gain est possible, doutent de leurs qualités, pointent du doigt leur égoïsme intrinsèque, et en viennent même à douter du fait qu’ils puissent avoir une âme. Miss Maple et ses semblables, d’observations en déductions, de filatures en conjectures, en viendront à comprendre le mobile du crime ainsi que son auteur au terme d’une démonstration théâtrale au cours de laquelle les animaux se montreront bien plus lucides et fins que les bipèdes. Et c’est aussi au cours de ces moments, de pure grâce, que l’on remercie Leonie Swann de ne pas être tombée dans le piège de la farce totale ; il y a de puissantes émotions qui battent, affleurent et finissent par poindre, mettant à nu des sentiments forts et poignants, là où le résumé ne laissait augurer qu’un aimable pastiche.

    Indéniablement, un roman fort et singulier, ne ressemblant vraiment à aucun autre, où le cocasse le dispute au noir, et le primesautier au subtil. Une relecture habile du traditionnel whodunit anglais, inclassable et très réussi. Plus jamais vous ne verrez les moutons – et de façon générale les animaux – de la même manière.

    07/02/2022 à 08:30 El Marco (3223 votes, 7.2/10 de moyenne) 4