El Marco Modérateur

3233 votes

  • Brume

    Stephen King

    9/10 Une nouvelle (j’ai un peu du mal à l’appeler ainsi, car elle est tout de même bien longue pour correspondre à cette étiquette) que j’avais adorée dans le recueil. Ou comment une brume abritant des créatures surnaturelles et mortelles oblige de paisibles Américains à être reclus dans un supermarché. Dit comme ça, ça ressemble à un scénario de navet cinématographique. Sauf que c’est le King qui est aux manettes. L’intelligence et l’originalité de son postulat, la manière de tisser le suspense, l’humanité et les sentiments si crédibles qui meuvent les personnages, et ce qui fait que Stephen King n’écrit comme personne et que personne n’écrit comme lui : le fait que les protagonistes apparaissent rapidement, pour n’importe quel lecteur, comme un individu que l’on connaît, que l’on a croisé, qui nous rappelle quelqu’un. Il est selon moi le seul écrivain qui mêle avec autant d’habileté le surnaturel et les « vraies personnes ». Un grand moment de lecture, et qui, bien des années plus tard, est encore gravé en moi.

    09/11/2019 à 17:24 4

  • Cannibales

    Philip Le Roy

    9/10 Tout ce que j’adore dans la plume de Philip Le Roy : action, suspense et absence de temps morts. Énormément d’ingrédients en un seul si court récit (l’enlèvement, la traque, la peuplade cannibale, l’autre tribu, l’amour paternel, etc.), qui aurait pu conduire au brouet chez un autre auteur, mais avec un tel style, percutant et efficace, ça passe tout seul. Quant à la révélation finale, même si on pouvait s’attendre (craindre ?) quelque chose dans ce genre, c’est sacrément culotté.

    25/02/2015 à 23:28 4

  • Car

    Harry Crews

    9/10 La famille Mack s’est installée à Jacksonville, en Floride, et tient la casse automobile la plus importante de l’Etat. Easy, le père, gère la comptabilité. Junell, sa fille, intervient sur les routes lorsqu’il y a des accidents. Mister, le fils, s’occupe des machines à broyer les carcasses. Herman, jumeau de Mister, est un peu à part : rêveur, artiste à sa façon, il a conçu d’autres projets pour son existence. Le dernier en date ? Avaler, un morceau après l’autre, une Ford Maverick de 1971.

    Harry Crews était l’un des auteurs américains les plus déjantés qui soient, s’attachant en priorité aux êtres faibles et contrefaits, aux oubliés de l’Amérique éternelle, aux freaks et autres laissés-pour-compte. Ce roman de 1972 ne déroge pas à la règle, et constitue même l’un des plus emblématiques de sa bibliographie. C’est donc l’histoire d’Herman Mack, le méditatif un peu corpulent, qui décide de manger l’un des fétiches américains par excellence, à savoir une voiture. Il trouve en Mr Edge, propriétaire de l’un des plus beaux hôtels de la ville, un partenaire et un sponsor, puisque les ingestions de chaque élément du véhicule, d’une demi-once chacun, ainsi que chaque expulsion de son organisme seront suivies en direct par une foule de curieux, et retransmises dans le monde entier, jusqu’au Japon. Des sentiments contraires s’y télescopent : la malsaine avidité des spectateurs, le sinistre appât du gain (même lorsque le système digestif d’Herman est martyrisé et en saigne), l’ivresse de l’audimat, la crainte d’Easy pour la vie de son fils, etc. Un véritable barnum s’organise dans la salle de bal où se tient l’événement, tandis que les divers protagonistes sont confrontés aux pires contradictions, au mépris des notions les plus élémentaires d’humanité, de dignité, et de bienséance. On retrouve ce goût consommé chez Harry Crews pour les individus torturés – au sens propre comme au sens figuré –, malmenés, au passé douloureux. Herman, fantaisiste figurant d’un spectacle qui va finir par le dépasser, et dont un épisode tragique de son enfance lui aura permis de sceller, bien malgré lui, d’étranges noces avec l’univers des carrosseries. Sa sœur, qui se donne à Joe, autre spécialiste des voitures fracassées. Mister, prêt à tout pour que sa famille continue de toucher les subsides de ce show incongru, quitte à en mourir. Mr Edge, Monsieur Loyal d’un cirque qui n’a que de l’indifférence pour la condition humaine et son intégrité, pourvu que pleuvent les dollars. Un maillage de personnages heurtés, victimes d’une vision si particulière de l’American way of life. Jusqu’à la nausée. Jusqu’au vomissement.

    Assurément, l’un des œuvres les plus fortes d’Harry Crews. Un postulat de départ atypique, aussi détraqué que les plaies que l’auteur dépeint avec un cynisme jouissif et contagieux. Une pierre noire jetée dans le jardin de nos sociétés consuméristes et voyeuristes.

    21/12/2019 à 08:47 6

  • Carnaval

    Ray Celestin

    9/10 1919. Un énigmatique tueur en série effraie La Nouvelle-Orléans. Il massacre des personnes sans rapport apparent entre elles à l’aide d’une hache, et dépose dans les plaies des cartes de tarot. Tandis qu’un ouragan s’approche des portes de la Louisiane, plusieurs personnes vont, pour des raisons diverses, tenter de s’approcher de ce monstre, à leurs risques et périls.

    Ce premier ouvrage de Ray Celestin frappe fort. Très fort. L’auteur s’est abondamment documenté, tant sur les lieux que sur l’époque, et nous livre une passionnante balade. Ses mots, toujours justes et charmants, nous plongent dans l’ambiance si particulière de la cité, à la fois dans ce qu’elle comporte d’énigmatique voire de putrescent (pègre, prostitution, racismes, etc.) comme dans ses aspects attrayants (histoire riche, identité unique, jaillissement du jazz, premières amorces du blues). L’histoire s’inspire de faits réels, même si l’auteur joue ici sa propre partition, assez loin de la vérité historique, mais nul ne s’en plaindra. Le récit est envoûtant, et l’on ne voit guère défiler les pages. Il faut dire que l’auteur a convoqué des limiers pour le moins hétéroclites et sacrément intéressants. Luca D’Andrea, ancien policier tombé pour corruption et sortant à peine de prison. Ida, secrétaire à l’Agence Pinkerton, amatrice des romans de [Conan Doyle+Arthur], accompagnée Lewis qui vit de grands rêves en tant que musicien. Michael Talbot, au visage grêlé par la vérole, et vivant reclus, en raison des lois ségrégationnistes, avec ses deux enfants et sa femme dans la mesure où celle-ci est noire. John Riley, journaliste au New Orleans Times-Picayune, rongé par les excès, et notamment par la drogue. L’enchaînement des chapitres est parfaitement huilé et brillant, laissant chacun des protagonistes quêter les indices, plonger dans la fange de la ville, recouper les délations et mobiliser toutes ses forces, physiques comme psychologiques, pour approcher le tueur. Ce dernier marquera d’ailleurs les esprits : à la fois engendré d’un passé barbare et d’une manipulation, il est à mille lieues des stéréotypes littéraires du genre, démontrant également à ce niveau l’intelligence de Ray Celestin.

    Sublime carte postale envoyée depuis le passé et d’une ville fascinante dans ses excès comme dans ses scintillements, ce roman ensorcelle littéralement. On en vient presque à ressentir sous les doigts, à mesure que passent les pages, les pulsations de The Big Easy et les personnalités des individus conçus par l’écrivain. Un très grand moment de littérature noire.

    21/05/2017 à 17:40 12

  • Carotide Blues

    Ludovic Roubaudi

    9/10 Au cœur du vingt-et-unième siècle, la mégalopole de Ouang Shock s'est développée et est devenue une cité monstrueuse. Repaire de l'argent, du crime et de la débauche, véritable Babylone des temps futurs, cette ville est au carrefour de tous les vices et de toutes les tentations. Ashelle Vren, jeune journaliste sur Télé7, est appâtée par une macabre découverte : un grand nombre de fœtus a été découvert. Tandis qu'elle se lance sur cette enquête qui pourrait lui permettre d'accéder aux plus hautes strates de la presse télévisuelle, elle ignore encore à quel point elle vient de basculer dans un univers qui la dépasse et qui pourrait bien se servir d'elle pour assouvir des desseins insoupçonnés.

    Premier volet des chroniques de Ouang Schock, Carotide Blues, sous la plume de Ludovic Roubaudi, permettait d'inaugurer l'une des plus palpitantes et prometteuses série du genre. Prenant pied dans une cité construite de toutes pièces par l'auteur, le lecteur se surprend à être magnétisé par cette métropole bâtie sur le territoire chinois. Économie, industrie, politique, sphères financières, médecine, législation : c'est un portrait saisissant que Ludovic Roubaudi fait de Ouang Shock. Et le plus incroyable dans cette description méticuleuse, c'est son degré de réalisme : l'auteur a certainement passé beaucoup de temps à imaginer ce terreau, mélange de rêves et de cauchemars, pour y planter le décor de son œuvre. Par-delà le lieu, l'intrigue est aussi très riche, et amène le lecteur à côtoyer des trafics inavouables, des cénacles d'influence étouffants, des personnages d'un rare machiavélisme. On y découvre Ashelle Vren, à la fois fragile et combative, minée par le sort de son père qui a besoin au plus vite d'une double greffe, tandis qu'apparaît Wayne Cassidy, policier que l'on découvrira en personnage central de Diablo Corp.. Il faut attendre les dernières pages pour comprendre l'ampleur de la manipulation, à la fois brillante, diabolique et écœurante, ménageant un remarquable suspense entretenu également par des rebondissements intelligents, une écriture alerte et une ambiance ténébreuse.

    A n'en pas douter, Ludovic Roubaudi a réussi un coup de maître. Voyager dans Ouang Shock, c'est dériver lentement vers les rivages les plus sombres de l'âme humaine, où tout s'achète et tout se vend, de la dignité à la chair humaine en passant par les ultimes illusions d'une population affranchie de ses repères moraux. Étonnant, violent, glauque, les qualificatifs pour une telle œuvre ne manquent pas, mais il y en a surtout un qui s'impose : unique.

    27/09/2010 à 17:43

  • Cassidy's Girl

    David Goodis

    9/10 Cassidy était un pilote de ligne, mais un décollage raté entraîne la mort de dizaines de passagers. Il est devenu conducteur de bus et traîne son alcoolisme sur les pavés de Philadelphie. Il vit avec Mildred, une femme fatale à la plastique détonante qui est également une source de malheurs en raison de son caractère volcanique et despotique. Un soir d’ivresse, Cassidy rencontre Doris, aussi buveuse que lui, et il croit voir en elle une possibilité de se réhabiliter et de rompre avec la bouteille. Mais le sort en a décidé autrement.

    David Goodis est un auteur majeur, et la lecture de cet ouvrage datant de 1947 ne fait que confirmer ce sentiment. Les personnages décrits sont absolument remarquables de crédibilité et de noirceur, au point de les rendre presque autonomes au gré de l’histoire. Cassidy est un paumé, victime d’un drame monstrueux, qui ne cherche que la rédemption autant que celle de sa nouvelle compagne. Mildred, venimeuse beauté qui rend les hommes fous de son corps, est prodigieuse de méchanceté et de nuisance. Doris, frêle gamine débauchée et captive volontaire de l’éthylisme, attire immédiatement l’empathie du lecteur. Et c’est sans compter sur la galerie des autres individus qui surnagent à la surface du cours tumultueux de cette histoire. L’intrigue est également sidérante de ténèbres, avec ce retournement au septième chapitre, profondément tragique et corrosif, où la déchéance des êtres humains se conjugue à la froideur de certains de leurs actes quand ils se trouvent sous l’emprise d’une sombre passion. Le final est inattendu, réorientant l’histoire dans une direction surprenante, où un peu de blanc vient altérer la noirceur du roman.

    Il existe des livres que l’on se maudit de ne pas avoir lus plus tôt. Indéniablement, Cassidy’s Girl (un titre qui devient encore plus judicieux dans l’ultime chapitre) fait partie de ces pépites. Féroce tout en restant puissamment humain, cet opus constitue un moment rare et terriblement mémorable. Un diamant d’une brutalité phénoménale qui pare une bibliothèque d’amateurs de polars à l’ancienne de ses reflets dramatiques.

    12/10/2014 à 17:17

  • Ce crétin de Stendhal

    Jean-Bernard Pouy

    9/10 C’est pour moi toujours un régal de gamin piaffant d’impatience de découvrir un ouvrage de Jean-Bernard Pouy et d’en entreprendre la lecture. Je me suis régalé : personnages croustillants, ambiance sobre, dialogues au cordeau, et des situations qui hésitent, sciemment et avec bonheur, entre le drame et le burlesque. Et que dire de cette fin qui, en quelques phrases semblables à des détonations, parachèvent la nouvelle de manière à la fois inattendue et brutale. Pour moi, l’un des meilleurs ouvrages de la série des petits polars du Monde !

    11/05/2014 à 18:35 4

  • Ceux que nous avons abandonnés

    Stuart Neville

    9/10 Ciaran et son frère Thomas sont encore bien jeunes lorsqu’ils sont confiés aux Rolston, une famille d’accueil. Mais un jour, on retrouve le père mort, le crâne massacré par un presse-livres. Ciaran avoue être le coupable. Sept ans plus tard, Paula Cunningham, l’agent de probation de Ciaran, émet des doutes quant à ce qui s’est réellement passé, et contacte aussitôt Serena Flanagan, la policière qui avait enquêté à l’époque. Le passé n’a pas encore refermé ses plaies.

    Stuart Neville, à qui l’on doit des ouvrages majeurs comme Les Fantômes de Belfast ou Ratlines, s’essaie ici au roman noir, et c’est une réussite. Le style de l’auteur est une merveille : sombre, ténébreux, il se hisse sans mal à la dureté des propos, la tortuosité de l’histoire, les cicatrices demeurées béantes. Le livre s’avère relativement court, les chapitres sont véloces, et il n’y a pas un mot de trop au gré de ce récit prenant et poignant. Stuart Neville livre des portraits saisissants, particulièrement humains et touchants, sans le moindre pathos de mauvais goût ni effets faciles. Ciaran et Thomas, les deux frères, nouent une relation très tendue, équivoque, constituée de non-dits, de raideurs, de soumissions et de dominations étranges (la nature des rétorsions perpétrées par Thomas est affolante et mémorable), et il faudra attendre les ultimes chapitres pour en saisir toute la nébulosité et la complexité. Serena Flanagan, rescapée d’un cancer, ayant tant de mal à conjuguer ses vies personnelle et professionnelle, se montre également très crédible et lumineuse d’humanité, notamment lorsqu’elle apprend le cancer d’une proche dont le mari est atteint de la maladie d’Alzheimer. Elle verra également ressurgir à la surface du présent l’ambigu lien qu’elle a noué, presque inconsciemment, avec Ciaran, fait de silences, de désir et de transferts contradictoires.

    Un petit bijou de noirceur, tout en simplicité et en efficacité, bouleversant et nerveux, où la plume de Stuart Neville excelle sans jamais manifester le moindre signe d’effort. Tout y vient naturellement, avec une simplicité déconcertante, et parvient à se hisser au rang des meilleurs ouvrages du genre.

    17/06/2019 à 19:49 5

  • Champ de tir

    Linwood Barclay

    9/10 « Je suis le taré qui a tué Sean » : c’est le tatouage sauvage que l’on retrouve dans le dos de Brian Gaffney lorsqu’il se présente au bureau de l’inspecteur Duckworth. Amnésique, encore dans le cirage, le jeune homme ne comprend pas ce qu’on lui a fait subir, ni même qui est ce prénommé Sean. Dans le même temps, le détective privé Cal Weaver doit assurer la protection de Jeremy Pilford, surnommé « Big Baby », autrefois soupçonné d’avoir écrasé une jeune femme avec une Porsche. Dans les deux cas, de sombres forces liées à l’autodéfense et une justice plus expéditive semblent être à l’œuvre, notamment via le site Internet « Just Deserve » où des anonymes prônent ce qui s’apparente à de la vengeance contre des individus ayant échappé à un système judiciaire jugé trop laxiste.

    Après sa trilogie Promise Falls, Linwood Barclay continue d’explorer cette ville de l’Etat de Washington en mettant de nouveau en scène Barry Duckworth et Cal Weaver, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’avoir lu ces précédents opus. On y retrouve le style de l’auteur, riche, fort, avec des dialogues qui pétillent, des descriptions assez sèches, une psychologie singulière et une intrigue aux engrenages parfaitement huilés. Ici, deux histoires viennent coexister, au gré de chapitres qui alternent entre elles. Duckworth compose un policier assez usé, blasé, luttant contre l’embonpoint, encore auréolé de ce qu’il a récemment accompli pour la ville, qui n’a rien perdu de sa sagacité ni de sa pugnacité. Parallèlement, Weaver est un détective privé très observateur, encore rongé par le décès de son fils et de son épouse, et qui va, au contact du jeune Jeremy, découvrir que sa fibre paternelle, voire paternaliste, n’est pas morte en même temps que les membres de sa famille. Le scénario est remarquable de maîtrise, d’ingéniosité, avec d’excellents enchaînements et des retournements de situations inattendus et parfaitement pensés. On retiendra notamment quelques scènes, majeures et marquantes, comme la première apparition de Craig Pierce, émasculé et au visage ravagé par un chien à qui il avait été donné en pâture (une référence probablement directe à Mason Verger, le personnage que l’on découvre dans Hannibal de Thomas Harris), ou encore le final, fort, sombre et percutant.

    Un thriller prodigieux et mémorable, qui se paie également le luxe, en plus de proposer une intrigue crédible et puissante, de nous interroger sur le sens de la justice et la férocité au sein des familles.

    03/01/2022 à 07:05 3

  • Chaos de famille

    Franz Bartelt

    9/10 Prenez le misérable Plonque, homme las et grotesque. Adjoignez-lui Camina, son épouse, immonde mégère qui lui refuse tout devoir conjugal. Observez que Camina est une Rachot, dynastie de neurasthéniques tous plus dégénérés les uns que les autres. Additionnez la brave Quillard, voisine du couple, également surnommé « Lamoule », pour laquelle Plonque nourrit des désirs charnels forcenés. Pour corser un peu ce cocktail qui n’en avait guère besoin, associez un amant particulièrement vindicatif, un croquemort qui voue une passion dévorante pour les femmes à grosse bouche, quelques enterrements où tout dérape, et vous n’obtiendrez qu’une fraction de l’épais délire qui s’amorce.

    Car, oui, ce roman est délirant. Franz Bartelt n’a pas son pareil pour prendre des personnages complètement barrés, au comportement extravagant, et dont la moindre action ou attitude va engendrer une vague de délicieux désordres. On navigue souvent dans les univers joints de Frédéric Dard pour la gaudriole, de Michel Audiard pour les mots savoureux et colorés, ou encore des Monty Python. Inutile de dire que l’on rigole. Franchement. Que certaines scènes, comme ce penchant mortel du brave Pitaine pour Solange et sa majestueuse et énorme bouche débouchant sur le chaos, ou cet enterrement où les fossoyeurs déclenchent la colère de la famille de la défunte lorsqu’ils écoutent de la musique dans leur voiture, sont mémorables. Il y a des passages si croustillants que l’on ne se lasse pas de les relire. En cela, Franz Bartelt est un illusionniste ; car si l’intrigue en soi est faible, son sens incroyable de la narration rend son roman diablement percutant. L’écrivain, avec sa gouaille et son ironie, rendrait passionnante la lecture du mode d’emploi d’un aspirateur.

    Un pur ouvrage humoristique ? Non, assurément pas. Car, de ces pages si brillamment écrites, suinte dans le même temps une incroyable noirceur. L’existence insipide et ratée de Plonque a beau être narrée sur le ton délassant, elle n’en demeure pas moins misérable. Et pour se convaincre de cette noirceur persistante, les deux derniers chapitres viennent confirmer cet état de fait. Faire rire et distraire avec un tel sujet, voilà une réelle gageure. Au final, Franz Bartelt livre un opus comme il n’en existe que très peu, ou plus exactement, d’une couleur infiniment précieuse : celle du noir qui soulage.

    22/02/2016 à 20:20 2

  • Chemin de croix

    Jeff Lemire, Andrea Sorrentino

    9/10 Dès les premières planches, on bascule à nouveau dans cet univers si atypique (et même unique), tant du point de vue graphique que scénaristique. Nos protagonistes basculent dans des mondes parallèles, le désert pour père Fred avec une ville ambiance western qui s’appelle Gideon Falls. Voyages dans les époques, univers parallèles, paradoxes temporels : on comprend que l’un des personnages ait ressenti le besoin de dessiner une carte de ce chaos pour essayer de l’ordonner. Un épisode aussi fou que les précédents, et une telle démence, j’en redemande.

    28/04/2024 à 08:27 1

  • Cheval rouge

    Serge Brussolo

    9/10 Rex Heller a été un comédien adulé dans la série Cheval rouge. Il y interprétait un cow-boy revenu d’entre les morts, doté de pouvoirs surnaturels, et montant un destrier également doué de facultés incroyables. Mais le temps a tourné : désormais paraplégique, richissime, il a monté dans le Texas un parc d’attraction, « Rodeoman City », où les visiteurs peuvent s’immerger dans l’Ouest sauvage des westerns d’antan. Un lieu où les règles sont strictes, et où nul ne peut désormais vivre, comme n’importe quel Américain, dans le vingt-et-unième siècle. Un endroit où Heller règne en dictateur, quoi que ses nombreux employés bénéficient d’une large prise en charge financière et humaine. Mais Heller a déjà l’esprit ailleurs : il a très envie de faire de Mia, sa fille, l’héritière de son parc. Au risque de déclencher une tempête de colères et de plomb.

    Quelqu’un ignorerait-il encore qui est Serge Brussolo ? L’auteur si prolifique, ayant arpenté tant de territoires littéraires, et qui parvient, à soixante-six ans, à donner encore d’amples leçons aux jeunes écrivains et des surprises à son lectorat ? Non. Alors ne perdons pas de temps et venons-en à cet ouvrage. Un roman extraordinaire, comme tant d’autres de l’auteur, et qui, intéressant paradoxe, nous emmène sur les chemins habituellement pratiqués par son génial créateur tout en surprenant. On reconnaît immédiatement cette patte narrative, et ce goût prononcé pour les scènes si visuelles et marquantes. Le premier chapitre, où Heller procède à des explosions de taureaux lancés à vive allure sur son trône roulant, détruisant ces monstres de force au risque de perdre la vie, est un régal de démesure et d’inventivité. Et le reste de l’opus est du même acabit. Il bouillonne d’idées extravagantes, de saynètes démentes, et de personnages croustillants. Rex Heller, bien sûr, en ancien roi du petit écran, devenu handicapé. Mais aussi Mia – ressemblant beaucoup, physiquement et psychologiquement – aux autres héroïnes de Serge Brussolo, ayant vécu sans connaître son géniteur, et aux prises dans sa jeunesse avec une tante dévote jusqu’à la folie. La mère de Mia, Zelda Marlowe, vedette de cinéma dévorée par les excès. Jonah, le compagnon de Mia, également star éphémère. Et tous ces anciens acteurs qui peuplent Rodeoman City, victimes d’un succès trop fugace et les a laissés effondrés après que les projecteurs se sont éteints, tels de modernes Icare ayant trop approché la gloire, au point de s’en brûler les ailes. Au passage, une peinture au vitriol du milieu cinématographique, à la fois fine et lucide du milieu cinématographique. Et il y a ce lieu, le parc d’attraction, que l’on se plaît à parcourir, imaginé et décrit avec maestria par Serge Brussolo, et qui fourmille de références au monde du far west et de la culture américaine, comme autant de clins d’œil. Une jubilation totale. Dans un précédent roman, Tambours de guerre, l’écrivain s’essoufflait un peu sur la fin du récit, avec une histoire qui s’effilochait, même si ce livre n’en demeurait pas moins remarquable. Ici aussi, le dernier tiers part dans une direction imprévue… et nous ravit. Ah, ce Don Mercurio… Impossible d’en dire plus sans rien dévoiler, mais ce passeur, chirurgien esthétique, complète habilement l’histoire en la majorant d’un épisode inattendu.

    Parfois, on rêve d’amnésie. Oublier tout ce que Serge Brussolo a pu écrire, pour la pure jouissance de pouvoir tout relire avec des yeux renouvelés. Mais, à la réflexion, cette idée serait fort inutile : dans le cas de ce Cheval rouge comme de tant d’autres productions du grand homme, elle nous priverait d’une chevauchée toute personnelle avec les protagonistes, intrigues et décors qu’il aura plantés pour nous. Car, même une fois le roman achevé et les lumières éteintes, il reste encore en nous des images et des émotions presque indélébiles, délivrées par des maniaques, des psychopathes, des tueurs en série, des extraterrestres, mais également des cow-boys inoubliables.

    29/08/2017 à 19:44 4

  • Cinq bières, deux rhums

    Jean-Bernard Pouy

    9/10 Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe, n'est plus que l'ombre de lui-même. Privé de son panache habituel, il est un spectre que son vieux camarade Gérard envoie en Belgique pour lui faire acheter en son nom des bières nouvelles. Sur place, dans le monde des conducteurs de péniches et des éclusiers, le sort se rappelle à lui : un cadavre est découvert par un grutier lors d'un déchargement. Gabriel sent ses tentacules se hérisser et le revoilà parti sur le chemin du crime, alors qu'un autre macchabée est retrouvé entre les deux pans d'une écluse.

    Deux-cent-soixante-et-unième épisode du Poulpe au sein des Editions Baleine, c'est désormais au tour de Jean-Bernard Pouy d'écrire cet opus, l'auteur ayant créé ce personnage atypique en 1995 avec La petite écuyère a cafté. C'est toujours un régal de voir ce protagoniste conduire l'enquête, qui est ici très intéressante et maîtrisée. L'accent social et politique est toujours bien présent, et Jean-Bernard Pouy mène l'intrigue avec brio, même si la fin légèrement ouverte pourra laisser un goût d'inachevé. Mais ce qui retient le plus l'attention, c'est la qualité d'écriture : le livre est très court (environ cent-cinquante pages) mais il demeure dense et rondement mené, sans temps mort, avec un humour extraordinaire et des répliques qui font indéniablement mouche.

    Cinq bières, deux rhums est donc un des jalons de la série du Poulpe : enthousiasmant, alerte et drôle, il marque surtout le retour aux manettes de Jean-Bernard Pouy pour le plus grand plaisir du lecteur. A noter qu'un autre opus de la série vient de sortir : On ne badine pas avec les morts, de Laurence Biberfeld.

    21/11/2009 à 13:46 4

  • City of Windows

    Robert Pobi

    9/10 Un tir de sniper, absolument prodigieux, envoie ad patres un conducteur de voiture dans New York, emportant littéralement sa tête. La victime appartient au FBI, et ce dernier décide de faire appel à Lucas Page, astrophysicien de génie, professeur à l’université, mais également expert en balistique. D’autres personnes se font alors abattre, sans lien apparent, à chaque fois d’un tir absolument inouï, et le canardeur ne semble pas décidé à s’arrêter en si bon chemin. Le début d’une traque ponctuée de cadavres, qui fera remonter les enquêteurs jusqu’à une tragédie – volontairement – oubliée, celle de Bible Hill.
    Je ne découvre qu’assez tard ce roman, et je dois dire que je me suis ré-ga-lé. Un thriller parfaitement calibré, taillé comme une balle, et atteignant mon cœur d’amateur de romans hollywoodiens, quand ceux-ci revêtent l’âme de ce qui se fait de mieux en la matière. Des chapitres particulièrement courts (parfois une ou deux pages), une écriture remarquable, des dialogues qui font mouche et où transparaissent un humour à froid de haute volée. J’ai adoré ce personnage de Lucas Page, et le fait que Robert Pobi, par touches intéressantes, nous fasse découvrir son passé pour le moins cabossé (notamment son adoption par cette Madame Page, sa marraine de cœur), est bien vu. Voilà un personnage pour le moins original : le résumé le dit « atteint du syndrome d’Asperger », mais ça n’apparaît jamais (ou alors ai-je zappé cet élément) dans le texte. Une jambe, un bras et un œil prosthétiques, une intelligence remarquable de sagacité, une famille composée d’enfants adoptés, en couple avec sa chère Erin, pédopsychiatre, et avec un caractère où l’agacement, l’emportement et l’irritabilité le disputent à l’humour, de (rares) sourires à la clef. Son acolyte, Whitaker, dont on ne connaît le prénom qu’à la dernière page, est également juste : une Noire solide, qui équilibre à sa façon le caractère génial de Page, capable de donner la réponse à la question que son interlocuteur n’a pas encore prononcée mais juste pensée. L’intrigue est aussi très solide, sans un mot de trop ni le moindre temps mort, nous permettant de côtoyer les milieux atterrants et opaques des milices, survivalistes, adeptes de l’autodéfense, complotistes de tout poil, racistes invétérés et autres défenseurs jusqu’au-boutistes des armes à feu (les passages où l’on découvre des Américains au milieu de dizaines d’armes et de milliers de cartouches sont à la fois vertigineuses, consternantes et malheureusement crédibles). L’histoire tient également la route, avec la lente mise à nu de ce qui s’est passé à Bible Hill, probablement inspiré de faits divers, et offrant un socle de plausibilité hautement efficace). C’est bien simple, c’est typiquement le genre de thrillers que j’adore : de l’action, de l’humour, des personnages consistants, mais également une âme, un esprit, de la profondeur. Deux – minuscules – regrets : on n’apprend pas dans cet opus ce qui a massacré le corps de Page, mais peut-être le saura-t-on dans un autre volume (un autre déjà paru, également traduit en France, « Serial Bomber », et un autre à paraître aux Etats-Unis, « Do No Harm »). L’autre, c’est le côté presque « magique » grâce auquel Page arrive si facilement à deviner les endroits d’où sont partis les tirs : qu’il soit brillant, ait ses propres méthodes de décryptage toponymique, ses ressorts intimes, oui, c’est bien expliqué, mais que ça nous tombe, à nous lecteurs, tout cuit dans le bec sans une amorce d’explication vulgarisée ni même de renseignements balistiques, c’est un peu gros, et ça m’a privé d’une partie du plaisir, comme une déduction trop aérienne, éthérée, inaccessible, bref, insaisissable. Mais ça n’a en rien gâché le plaisir que j’ai eu à lire ce livre, vraiment brillant.

    23/05/2022 à 18:35 9

  • Coeur double

    François Boucq, Alexandro Jodorowsky

    9/10 Bouncer est resté solidement épris de l’institutrice et il débarque dans la maison enkystée dans le canyon au moment où se joue une chouette manipulation menée par la diabolique sœur de l’enseignante. Toujours un trait magnifique et violent, notamment lors de cette embuscade menée par ces satanés enfants tueurs. Des personnages explosifs et bien barrés, entre des frangines machiavéliques, Axe Head et la lame de hache plantée sur le crâne, le bonhomme au visage brûlé, pour un Bouncer sentimentalement perturbé. Une nouvelle fois, un régal !

    04/08/2023 à 17:12

  • Comme une image

    Magali Collet

    9/10 Eulalie – que l’on surnomme Lalie – est une gamine de neuf ans, bientôt dix. Belle, intelligente, elle est particulièrement douée du point de vue scolaire. Elle semble en plus avoir toutes les qualités humaines du monde. En apparence… Parce qu’en réalité, Lalie cache particulièrement bien son jeu. Il se pourrait même que sa psychopathie fasse des ravages…

    Avec ce court roman, Magali Collet frappe fort. Très fort. Dès les premiers instants, on est intrigué par cet enfant visiblement bien sous tous rapports mais qui dissimule une âme et un cerveau bien tordus. Elle harcèle ses petits camarades d’école et les rabaisse constamment en prenant toujours garde de ne jamais se faire coincer par la maîtresse. Elle multiplie les doubles discours et profite des absences des uns et des autres pour semer le doute voire le chaos dans l’esprit de ses proches. N’est-elle qu’une simple peste ? Non. Certains passages, que l’on ne fera qu’évoquer pour conserver leur puissance d’impact, surprendront et choqueront certains lecteurs par leur aspect abrupt, inattendu, monstrueux, sans pour autant que l’écrivaine ne tombe dans le voyeurisme sale ni l’excès. Il faut dire que cette môme a suffisamment de monde à ses côtés pour s’adonner à sa froide démence : des chatons, deux frères, une belle-mère, etc. Et ces protagonistes vont graduellement comprendre qu’on donnerait volontiers le bon Dieu sans confession à cette gamine, mais qu’en retour, c’est bien le Diable qu’elle invoque et convoque dans le quotidien des membres de sa famille. Magali Collet a bâti son récit avec intelligence, tact et machiavélisme, donnant à voir un personnage mémorable qui ne tombe jamais dans les clichés du genre. Et que dire du final… Une idée pourtant toute simple, presque élémentaire, comme un éclair de malveillance qui clôt définitivement ce récit sur cette note espiègle… et vipérine.

    L’auteure nous offre un ouvrage singulièrement sombre et rusé, nous prenant littéralement au collet de son scénario diabolique et de son indéniable talent de conteuse. Un régal de noirceur.

    15/02/2023 à 08:13 3

  • Comme une tombe

    Peter James

    9/10 Un excellent suspense, bien écrit et très original, avec son lot de rebondissements. Très difficile de lâcher ce livre avant sa fin !

    08/09/2007 à 12:04 1

  • Comptine mortelle

    Anthony Horowitz

    9/10 Alan Conway est un immense auteur britannique. Alors que son éditrice, Susan Ryeland, entame la lecture du manuscrit du neuvième tome de la série consacrée à Fidèle Staupert, quelque chose cloche. Et cela va bien au-delà du fait que le livre est inachevé.

    Voilà un roman qui détonne. Anthony Horowitz, à qui l’on doit de nombreux livres pour la jeunesse ainsi que des enquêtes inédites de Sherlock Holmes (La Maison de soie et Moriarty) et de James Bond (Déclic mortel), signe ici un véritable bijou, en plus d’être sacrément original. Les quelque deux-cent-vingt premières pages sont l’ouvrage Epitaphe pour une pie d’Alan Conway. On y découvre avec ravissement une intrigue forte et prenante, digne des meilleurs whodunits d’Agatha Christie (avec de multiples clins d’œil à certains de ses livres comme Le Crime du golf, Un Couteau sur la nuque ou Le Meurtre de Roger Ackroyd, avec une ambiance pesante, un langage agréablement suranné (cela se passe en 1955), et tous les ingrédients du genre. Fidèle Staupert compose un efficace et prenant détective, de la trempe d’Hercule Poirot, brillant dans ses déductions et présentant suffisamment de fêlures pour être mémorable (un survivant d’un camp de concentration, et guetté par un mal médical mortel). A partir de l’accident d’une vieille femme de ménage puis la décapitation d’un homme, de nombreux événements vont venir nourrir sa réflexion : une histoire de trésor, un enfant noyé, un chien égorgé, une boucle de ceinture ancienne, etc.
    Puis vient la seconde partie de Comptine mortelle, tournant cette fois-ci autour d’Alan Conway, écrivain célébré par ses pairs (dont Robert Harris, Ian Rankin ou Phyllis Dorothy James, excusez du peu !), et qui cache une personnalité bien plus torturée et complexe que celle de l’auteur commettant régulièrement des best-sellers. Suite à son suicide, Susan va vite comprendre que l’affaire est bien plus complexe que prévu. Toujours en quête des derniers chapitres d’Epitaphe pour une pie, l’éditrice va devenir à son tour une sorte de limier et faire jaillir la vérité.
    La grande force de cet opus, au-delà du pitch (deux romans dans un seul, finalement), tient à l’incroyable talent et à la « souplesse » d’Anthony Horowitz, qui s’est glissé dans la peau d’un auteur de romans à énigme à l’ancienne, et avec une efficacité prodigieuse. Et, au-delà de la simple juxtaposition de deux livres, il parvient à créer des liens entre les deux, des passerelles, presque des histoires-miroirs, avec de belles corrélations entre certains personnages ou épisodes de l’existence des protagonistes, qu’ils soient réels ou fictifs. Des intrigues complexes, remarquables, finalement assez classiques quand surviennent les résolutions, mais brillamment tissées et au maillage remarquable.

    Un ouvrage fort et déconcertant, au postulat atypique, parfaitement construit, et dans lequel Anthony Horowitz se permet même le luxe de références à de brillants prédécesseurs ainsi qu’un rôle dans son propre livre, lors de l’épilogue.

    06/07/2019 à 11:13 4

  • Connexions dangereuses

    Sarah Cohen-Scali

    9/10 Pour tromper l’ennui qui la guette, une élève de troisième, Virginie, propose à l’un de ses amis, Bastien, un jeu assez pervers : qu’il sorte avec Delphine, une nouvelle venue au collège, qui a des allures de nonne. Le début d’une correspondance par courriels, et l’issue de ce prétendu divertissement pourrait se montrer fatale.

    Connue de nombre de jeunes lecteurs, Sarah Cohen-Scali livre ici une relecture remarquable d’un classique de la littérature du dix-huitième siècle, à savoir Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos. Transposée dans un vingt-et-unième siècle dans lequel les mails ont remplacé les courriers papier, l’intrigue n’a absolument rien perdu de sa tragique modernité. Elle met donc en scène plusieurs adolescents, tous collégiens, dont les interactions vont avoir des conséquences désastreuses. Virginie, presque petite amie de Bastien, dont l’oisiveté la pousse à proposer ce défi immoral. Bastien, photographe amateur mais talentueux, d’abord enclin à accepter avant de se prendre au jeu de l’amour. Delphine, fraîchement arrivée d’Afrique du Sud, et dont l’aspect rigoriste dissimule un corps à se damner. Audrey, gamine au physique plus qu’ingrat, passionnée d’équitation, ravagée par des attouchements incestueux, et qui va lentement se transformer pour réapprendre à plaire. Il y a également Francis, un bas du front éperdument épris de Delphine, proche de l’extrême droite. Ce sont là les principaux protagonistes de cette sombre histoire, qui seront tous malmenés voire broyés par les enchaînements d’événements. Sarah Cohen-Scali se glisse à merveille dans les âmes et cerveaux de tous ces jeunes, depuis la manipulatrice jusqu’au comparse, de la pauvre môme au bord de la déchirure mentale à la triste chenille ayant oublié le magnifique papillon qui sommeillait en elle. Et ce qui est surprenant dans ce roman, c’est également sa forme : uniquement des mails, de la bonne vieille correspondance papier ou des extraits de journaux intimes. En cent quatre-vingts pages, l’écrivaine nous fait vivre toutes les émotions ressenties par ses personnages, que ces derniers se montrent cruels, complices de lâcheté, sur le chemin de la rédemption psychique ou désarçonnés par des amours imprévues.

    Une excellente transposition d’un ouvrage majeur, à l’intrigue toujours aussi efficace et crédible. Un tour de force de la part de Sarah Cohen-Scali.

    03/12/2018 à 16:50 4

  • Coup de blues

    T. Jefferson Parker

    9/10 Un kidnappeur surnommé "le Tireur de sacs" sévit en Californie du Sud. Sa spécialité : enlever des femmes puis les éviscérer. La jeune Merci Rayborn est mise sur l'affaire, avec l'appui d'un ex-policier rongé par un cancer du poumon. Ces deux enquêteurs vont alors apprendre à dépasser leurs problèmes personnels et leurs rancoeurs afin de capturer un tueur en série d'une rare cruauté.

    T. Jefferson Parker, à qui l'on doit déjà les brillants La mue du Serpent et Seul dans la nuit réussit un nouveau coup de maître. L'intrigue est particulièrement bien construite et très documentée, les rebondissements sont nombreux et bien amenés, et le tueur en série particulièrement retors et original. Ce qui marque le plus à la lecture de ce thriller, c'est l'incroyable épaisseur que l'auteur a insufflé à ces personnages, avec leur passé et leurs angoisses, leurs doutes et leurs espoirs : un pur régal.
    Pour conclure, à l'instar des autres romans de T. Jefferson Parker, Coup de Blues est un pur chef-d'oeuvre, d'une formidable densité et dont la fin réserve une scène d'émotion particulièrement marquante.

    27/12/2007 à 10:03 1