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Que le spectacle commence
6/10 Amuseur public, Corney Sage est un homme exubérant, plein de malice et toujours prompt à croquer les plaisirs de la vie. Mais par hasard, il assiste au meurtre de la jeune et délicieuse actrice Bessie Spooner. Croyant trouver son salut dans la fuite, il ne se doute pas encore que l’assassin, passé maître dans l’art du déguisement, va de nouveau croiser sa route.
Premier roman d’Ann Featherstone à être traduit en français, ce roman se déroule dans l’Angleterre victorienne. L’auteur ayant un solide bagage historique, sa reconstitution des lieux et de l’époque est un véritable régal. Les us et coutumes, et plus particulièrement ceux du peuple et des membres de l’univers du spectacle, sont très bien rendus. Ce qui est vite frappant, c’est le langage employé par l’écrivain lorsqu’elle laisse Corney Sage s’exprimer : en argot, avec des expressions fleuries et autres tournures de phrases populaires, c’est tout le petit peuple de l’Angleterre qui s’exprime par sa voix. À la manière de Gilles Bornais, notamment dans Le Diable de Glasgow, un tout autre monde que celui habituellement décrit s’offre au lecteur : nous sommes ici bien loin des parlers châtiés, des étiquettes mondaines et autres ambiances veloutées que l’on trouve dans d’autres polars victoriens. Ce choix narratif peut rebuter, mais il constitue une originalité de ton et une sorte d’honnêteté intellectuelle louables. L’intrigue est intéressante, avec une situation de départ singulière, et l’identité du criminel réserve quelques belles surprises.
Cependant, par-delà ces qualités, cet ouvrage pâtit de longueurs. Les digressions sont nombreuses et les apartés réduisent considérablement le rythme du récit. Il y a parfois des pages entières que l’on pourrait lire en diagonale sans que cela ne nuise à l’intrigue, même si ces élucubrations peuvent séduire.
On achève ce livre avec un sentiment mitigé : l’histoire et les connaissances d’Ann Featherstone sont enthousiasmantes, mais l’ensemble est gâché par des lenteurs narratives ; plus de noirceur ou de nervosité aurait peut-être été bénéfique à ce polar historique qui demeure néanmoins attachant.18/02/2012 à 18:51
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Sacrifice
9/10 Tora découvre, par le plus malheureux des hasards, un cadavre de femme dans son champ, sur une île des Shetland. La victime, enterrée depuis des années dans la tourbe, a eu le cœur arraché, et porte sur le corps des inscriptions runiques. Qui était cette inconnue ? Pourquoi lui avoir réservé un sort aussi abominable ? Tora mène l’enquête et se rend compte que l’archipel connaît tous les trois ans des pics de mortalité incompréhensibles : serait-ce en lien avec cette vieille légende régionale évoquant la présence de trolls ?
Premier ouvrage de Sharon Bolton, ce Sacrifice est un thriller de très grande qualité. Dès le premier chapitre, l’auteur pose le lecteur face au suspense, et ne le lâche que dans les ultimes pages. La langue de l’écrivain est savoureuse : tant dans les descriptions des paysages sauvages des Shetland que lors des introspections de Tora et autres analyses psychologiques des protagonistes, Sharon Bolton sait rendre vivants des lieux et des personnalités. Les apartés ralentissent parfois le rythme de l’intrigue mais demeurent saisissants de vérité, avec de nombreux passages particulièrement bien sentis et poignants.
D’autre part, l’histoire est très intelligemment bâtie, augurant de multiples rebondissements, et naviguant entre croyances ancestrales, errements de la science et trafics innommables. Toujours avec retenue et mesure, l’auteur a su imaginer un scénario original et efficace, où d’abondants détails, d’abord anodins ou imperceptibles, viendront mettre Tora sur la voie de la vérité. Ce qui est d’ailleurs singulier, c’est la facilité, voire la grâce, avec laquelle Sharon Bolton parvient à planter le décor jusque dans les tripes du lecteur. Les lieux et ambiances sont certes très bien rendus, mais il paraissait difficile, et même grotesque, de vouloir ressusciter un mythe ancien. Pourtant, elle y parvient, même si, on pouvait s’en douter, ce dernier est réinterprété, ce qui ne le rend pas moins effrayant.
Avec intelligence et talent, Sharon Bolton croise folklore et science, le tout au gré d’une intrigue percutante et marquante.18/02/2012 à 12:52
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Cette nuit, Soledad
8/10 Soledad se fait de l’argent de poche en tenant compagnie à une vieille dame, Florence. Dans l’appartement de cette dernière, des tableaux de valeur sont accrochés aux murs. Il n’en faut pas plus pour attirer la convoitise de personnages mal intentionnés. Et bien décidés à passer à l’action. Quitte à prendre en otage la propriétaire des lieux ainsi que Soledad.
Hubert Ben Kemoun sait comment s’adresser à son public, et cet ouvrage en est une preuve supplémentaire. D’entrée de jeu, les personnages se posent : humains, crédibles, et doués de cette justesse qui fait qu’ils « parleront » sans le moindre doute aux jeunes lecteurs. Il s’agit d’adolescents aux préoccupations concrètes, sujets au doute, à la volonté de rachat, aux questionnements liés à leur âge. Ils sont d’ailleurs assez nombreux, mais les qualités narratives de l’auteur font qu’ils demeurent rapidement identifiables tout au long du récit. L’intrigue est également plausible et réussie. En soi, elle ne révolutionne pas le genre, mais la plume d’Hubert Ben Kemoun fait mouche : l’histoire prend aux tripes, littéralement, et le suspense est savamment dosé, allant crescendo. Certaines scènes, notamment lorsque Soledad et Florence sont aux prises avec leur séquestreur, sont même des modèles du genre : intenses, noires, et si bien écrites qu’il devient difficile de ne pas passer aux pages suivantes pour savoir ce qu’il va advenir des deux femmes.
Tout autant roman noir qu’à suspense, ce livre est une réussite totale et indéniable. Par-delà l’aspect policier, Hubert Ben Kemoun a su insuffler à son ouvrage une morale adroite et intelligemment amenée : l’espérance en la jeunesse. Malgré des choix hasardeux voire contestables de certains protagonistes, l’histoire prouve qu’il est toujours temps de se racheter, de trouver une forme de rédemption dès lors que l’on décide de s’approprier son propre destin. Ainsi énoncée, cette leçon peut sembler convenue ; sous le stylo d’Hubert Ben Kemoun, elle prend un sens immédiat, évident, et rapidement assimilable. Un bien bel enseignement que ne manqueront probablement pas de retenir les lecteurs de cet ouvrage, au-delà des qualités purement formelles du récit.18/02/2012 à 12:51
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L'Africaine du Havre
7/10 Une vieille femme, héritière d’une immense fortune, est découverte morte dans son appartement du Havre. La malheureuse se trouvait dans sa baignoire et était probablement décédée depuis des jours, voire des semaines. À ses côtés, sa dame de compagnie, une énigmatique Africaine qui semble se prénommer Janet, sans âge ni passé, dont les voisins ne savent strictement rien. Le fils de la morte, un promoteur immobilier, avait tout intérêt à ce que sa mère décède rapidement pour éponger ses dettes. Il faudra l’entraide d’un jeune policier et d’une journaliste aventureuse pour dénouer les fils d’une intrigue plus complexe que ne le laissent augurer les apparences.
Quatrième ouvrage de Léo Lapointe après Le Vagabond de la baie de Somme, La Tour de Lille et Mort sur la Lys, cette Africaine du Havre débute comme un drame social. Une Noire, méprisée par les commerçants et habitants du Havre, pour ainsi dire recluse dans l’appartement qu’occupe son employeuse, confite dans l’indigence et le silence. Le récit est court, environ cent soixante pages, et Léo Lapointe sait planter rapidement un décor et des personnages, même si la concision de l’ouvrage l’empêche d’approfondir les caractères des personnages. Une énigmatique servante, une dame âgée décédée mystérieusement, et un fils qui ne pouvait rêver mieux que le trépas de sa génitrice : les protagonistes, et donc les suspects potentiels, sont très peu nombreux. L’intrigue semble donc aisée à résoudre, au moins de prime abord. Cependant, Léo Lapointe a axé son histoire tout autant sur l’aspect policier que sur sa dimension sociale. Par transparence, c’est également le procès ordinaire du racisme qui s’y tient, du plus ordinaire – les ragots et commentaires à l’encontre de Janet sont à cet égard féroces – jusqu’au plus élaboré, à travers notamment l’analyse des réseaux d’immigration clandestine. La charge de l’auteur à l’encontre des politiques migratoires et du comportement des citoyens français est bien sentie, mais elle pâtit souvent d’un trait forcé, au point que Le Havre, ses boutiques et son commissariat ne semblent être peuplés que de xénophobes : un peu plus de mesure ou de finesse n’aurait pu que servir les propos de Léo Lapointe. Néanmoins, le message, certes outré, passe, notamment grâce à la plume si élégante et lapidaire de l’écrivain. Par ailleurs, le final réserve un rebondissement surprenant et intelligent, conséquence désespérante de la misère humaine.
Voilà un roman qui tient tout autant du pamphlet sociétal que du polar. Si les traits de sa plume sont parfois un peu trop appuyés, Léo Lapointe convainc néanmoins grâce à un rythme narratif soutenu et un scénario original.07/02/2012 à 20:17
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Neige et roc
Stéphane Douay, Stéphane Piatzszek
8/10 Œuvre croisée de Stéphane Douay et Stéphane Piatzsezk, cette bande dessinée conjugue les ingrédients de plusieurs genres. Il y a le suspense du thriller, les réflexions du roman noir, ainsi que les décors fabuleux d’un ouvrage d’aventures. Le graphisme de Stéphane Douay est un régal à chaque page : les traits sont exquis, personnages et lieux croqués avec talent, et l’on se plait à contempler à plusieurs reprises certaines planches tant elles sont magnifiques. Le scénario, signé Stéphane Piatzsezk, est certes classique, mais il permet de rencontrer une galerie de personnages saisissants, profonds et crédibles.
L’intrigue est intelligemment bâtie, les destinées des protagonistes sont lentement dépeintes avant la rencontre tant attendue qui, même si elle est éphémère, tient toutes ses promesses, sur les plans esthétique et humain. C’est une terrible histoire, sombre et envoûtante, dont la dimension humaine, avec de multiples métaphores à la clef, ne peut qu’enchanter.
Première bande dessinée de Stéphane Douay et Stéphane Piatzsezk à paraître chez Casterman, Neige et roc constitue un délicieux moment de lecture, prenant et mémorable.07/02/2012 à 20:16
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La valse des gueules cassées
8/10 Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France est un vaste chantier, et une nation traumatisée par les massacres. La police est également en reconstruction, et c’est dans ces circonstances troublées que François-Claudius Simon entre au service du Quai des Orfèvres. Migraineux à cause d’un éclat de métal resté dans le crâne, François-Claudius se voit confier sa première affaire : on retrouve dans Paris des cadavres aux faciès massacrés. Y a-t-il un lien avec les gueules cassées, ces malheureux soldats ayant survécu aux combats mais défigurés ?
Premier ouvrage de la série consacrée à François-Claudius Simon, cette Valse des gueules cassées est une véritable réussite. Guillaume Prévost dispose d’une plume particulièrement talentueuse qu’il met au service de l’ambiance, des personnages et de l’intrigue. Rapidement, le lecteur est happé par l’atmosphère singulière de l’après-guerre, faite de désillusions, de douleurs indicibles et dans le même temps, d’espoirs de résurrection. Le Paris de l’époque est très bien rendu, avec une économie de mots. Les personnages sont également très bien dépeints : denses, attachants, et crédibles. D’ailleurs, il s’agissait pour l’auteur de poser les jalons des ouvrages suivants, puisque l’on retrouvera notamment Elsa et, bien sûr, François-Claudius Simon, dans Le Bal de l’équarisseur. Le scénario est tout aussi réussi, avec des fausses pistes et des rebondissements judicieux.
Guillaume Prévost avait déjà ébloui avec ses précédents romans historiques qu’étaient L’Assassin et le prophète, Les Sept crimes de Rome et Le Mystère de la chambre obscure. Autres lieux, autres périodes, mais demeure un talent indéniable de conteur et de scénariste : Guillaume Prévost fait assurément partie de ces plumes dont on parle trop peu.02/02/2012 à 18:52 4
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Aztèques freaks
8/10 Gabriel Lecouvreur lit un fait divers atypique dans le journal : un lilliputien est découvert pendu à Nantes tandis qu’un avaleur de grenouilles a disparu ! Ni une ni deux, celui que l’on surnomme « le Poulpe » file sur place et découvre un univers à part, celui du cirque, peuplé de personnages incongrus : une femme à barbe, un homme-caoutchouc, une charmeuse de serpents, etc. Ne sachant plus où donner du tentacule, Gabriel va cependant devoir se concentrer sur sa tâche, quitte à risquer de devenir la prochaine victime.
Deux-cent-soixante-dix-septième enquête du Poulpe signée par Stéphane Pajot, cet opus adopte une intrigue très originale, remplie d’individus rendus « différents » par la nature. C’est toujours un régal de retrouver Gabriel, aussi prompt à s’envoyer des bières que d’aller chercher la vérité. Les jeux de mots pleuvent, les rencontres sont très savoureuses, et Stéphane Pajot a préservé des rebondissements intéressants, notamment sur la fin, grâce à un scénario à tiroirs. Lapidaire (environ deux-cent-dix pages), le roman est très agréable à lire, permet de passer un excellent moment, et distraie grâce aux confrontations avec ces freaks, ces phénomènes de foire exhibés comme des bêtes curieuses.
Finalement, le seul reproche que l’on pourrait trouver à cet ouvrage est qu’il est bien moins engagé que les précédents. Ici, point de complot politique, de sévères coups de griffe contre la société de consommation, bref, ce qui constituait presque un des axes majeurs de cette série initiée par Jean-Bernard Pouy. Cette absence risque de décevoir les aficionados du Poulpe, même si, paradoxalement, on trouve ici une intrigue plus inattendue que par le passé.
Moins empreint d’engagement politique, donc moins acide, ce roman demeure particulièrement plaisant et délicieux, prouvant, s’il en était encore besoin, que Gabriel Lecouvreur est décidément un héros à part, et capable de surprendre au gré des enquêtes que lui confient ses géniteurs littéraires successifs.31/01/2012 à 20:19 3
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L'Assassin est un fantôme
7/10 Alors qu’il s’apprête à passer ses vacances dans la Creuse, l’inspecteur Eusèbe Mignard est obligé de rejoindre la bourgade de Saint-Ancel où l’on vient de retrouver le corps d’un vagabond, massacré. Il emporte dans ses bagages son neveu, Nestor, un gamin espiègle. Sur place, la population est marquée par les rumeurs ; en 1347, alors que la peste ravageait les alentours, le sieur de Fonjac a été tué avec ses deux fils parce qu’il aurait commercé avec le Diable et ainsi protégé sa vie et celles de ses enfants. Pourquoi, de nos jours, retrouve-t-on près du cadavre ce symbole ancien d’une hache et d’un glaive enchâssés ? Un spectre surgi du Moyen Âge serait-il le meurtrier ?
En jouant sur les thèmes de la malédiction, des peurs ancestrales et du spectre incontrôlé, François Charles scelle un roman, pour jeunes lecteurs, efficace et prenant. Assez lapidaire, sans descriptions inutiles ni chapitres superflus, l’auteur plonge rapidement son lectorat dans une ambiance angoissante, où règnent terreurs irraisonnées et paranoïa croissante. Les divers personnages sont bien rendus, sans pour autant faire l’objet de profondes explorations humaines, et composent une galerie où se dissimulent autant de suspects potentiels. L’intrigue réinterprète un thème classique développé en littérature comme au cinéma – un esprit vengeur issu du passé venu terroriser les contemporains, avec cependant une maîtrise indéniable. Les lecteurs plus affirmés reconnaîtront sans mal les influences croisées d’Agatha Christie dans certaines scènes ainsi que dans sa résolution, ou encore de Paul Halter ou John Dickson Carr pour l’énigme d’un homicide en chambre close. L’ensemble est très agréable, riche en rebondissements, et rares seront ceux qui pourront deviner le dénouement du récit.
L’Assassin est un fantôme constitue donc un bon roman policier, entraînant et bien mené. François Charles sait assurément inventer des intrigues et les mener à leur conclusion avec talent. Même si le sujet central et son interprétation sont parfois attendus, ce livre est intéressant à plus d’un titre, dont l’un, et non le moindre, est de proposer quelques heures d’une lecture distrayante et enthousiasmante.31/01/2012 à 20:14
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Canicule
8/10 En fuite après un braquage qui a mal tourné, Jimmy Cobb échoue en pleine Beauce. Il enterre son magot et se cache à quelques pas d’une fermette isolée, en attendant que les temps s’apaisent. Mais voilà : le domaine est habité par une famille assez particulière. Alors que le soleil se fait de plus en plus massacrant, Jimmy Cobb ne pouvait rêver pire point de chute.
Adapté au cinéma par Yves Boisset avec Lee Marvin et Miou-Miou dans les rôles principaux, ce roman de Jean Vautrin s’apprécie encore, même trente ans après sa sortie. Rapidement, le lecteur est pris par la fluidité de la narration : des chapitres très courts, faisant alterner les points de vue des divers protagonistes, un rythme narratif soutenu, et des descriptions à peine brossées. La langue de l’auteur est saisissante : colorée, faisant souvent appel à l’argot, rappelant le phrasé de Frédéric Dard, avec également ce procédé consistant à exploiter et conjuguer des verbes qui sont issus de noms communs. L’intrigue, même si elle semble de prime abord assez classique, prend une tournure bien singulière quand apparaissent les membres de la famille de l’exploitation : perclus par la misère et le manque d’éducation, et souvent bien plus sauvages que le bandit américain qui s’est aventuré sur leurs terres. Une femme qui veut se débarrasser de son mari, une attardée qui ne pense qu’au sexe, un enfant rêvant d’être un gangster, un homme capable des pires violences… Par moments, le lecteur aura l’impression de lire le récit d’un zoologiste analysant et décrivant les comportements et tares d’animaux placés derrière des grillages. Sous la plume de Jean Vautrin, acerbe, sarcastique, se déploie un univers glaçant, et ce malgré la chaleur ambiante, peuplé d’êtres retors et désaxés, au sein desquels Jimmy Cobb, comme dans un clair-obscur, n’en apparaît que plus humain.
Ce livre au titre lapidaire demeure un roman noir de très grande qualité, où seul le style paraît à certains égards un peu vieilli. Le jeu de massacre qui s’y met en place en devient presque jubilatoire, et aucun des multiples personnages ne sortira indemne du chaos à venir. Une œuvre saisissante qui mérite amplement d’être (re)découverte à l’occasion de cette nouvelle publication chez Rivages.19/01/2012 à 18:08 1
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Le Bal des vipères
7/10 Par envie, Eduardo Sosa tue Jacinto, un mendiant vivant dans sa Chevrolet avec quatre serpents, avant d’endosser son identité. Eduardo décide de profiter de sa nouvelle existence, mais ces adorables vipères ont très envie d’user de leur venin…
Horacio Castellanos Moya signe avec ce Bal des vipères un ouvrage atypique. Et encore, le terme semble bien insipide à la lecture de l’opus. Cent cinquante pages, une plume lapidaire, des psychologies à peine brossées, et des parties qui s’articulent autour des points de vue des divers protagonistes. En ce qui concerne le fond, l’originalité est encore plus prononcée : des reptiles doués de la parole, sachant donner du plaisir physique aux hommes ! Avec ses nouvelles compagnes, Eduardo ne va pas tarder à semer le chaos dans la ville, avec des agressions et d’autres péripéties improbables, au point que la situation de « simple » balade va tourner au chaos total. Des explosions, des mafieux terrorisés, des dirigeants politiques persuadés qu’un complot se trame, des policiers déboussolés par le chemin tracé par le tueur et ses affreuses bestioles…
Il devient alors inutile d’en dire plus pour cerner ce roman d’Horacio Castellanos Moya : c’est loufoque, burlesque, déjanté. Le récit épouse rapidement des chemins inattendus, bien loin de la situation initiale, crédible, au point que le lecteur peinera dans un premier temps à se positionner. Ce Bal des vipères se situe quelque part entre la satire sociale, le roman policier et le saugrenu. Si ce mélange des genres peut rebuter, il n’en reste pas moins audacieux et réussi.
Entreprendre la lecture d’un tel OVNI littéraire, c’est la promesse de délicieux instants surréalistes. Même si le ton, notamment à la fin, regagne les rivages du roman noir, il faut apprendre à reconditionner son regard, sa perception, son propre goût. On laisse de côté son rationalisme et on prend un aller-simple vers une aventure inédite et réjouissante.16/01/2012 à 06:47
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Le gourou des Terres Froides
8/10 Dans sa jeunesse, Graziella a été la victime d’un gourou qui l’a, comme tant d’autres enfants appartenant à la secte, violée. Adulte, elle a ourdi des représailles contre le fils du monstre qui s’apprête à être jugé aux assises. Par ailleurs, un mystérieux « homme en gris » a lui aussi décidé que la justice des hommes serait insuffisante pour châtier le leader pédophile.
Nicole Provence signe un habile roman policier chez l’éditeur Ravet-Anceau. D’entrée de jeu, le décor est posé : les personnages sont adroitement décrits et auscultés, entre enfances ravagées et espérances d’un avenir apaisé. La plume de l’auteur est belle, souvent poétique lorsqu’elle dépeint les paysages du Nord Isère, et fait la part belle aux émotions humaines. Le suspense est bien maîtrisé, et les pièces du puzzle se mettent lentement en place. Par moments, on regrette quelques faiblesses, comme le fait que la secte ne soit que lapidairement exposée et dont on n’obtient finalement que des contours alors qu’une plongée dans ces ténèbres auraient pu être mémorables, et d’autant plus efficaces qu’elles conditionnaient le désir de vengeance de Graziella.
Cependant, dans les derniers chapitres, le livre prend une tournure remarquable, glaçante : il y a, dans l’histoire de Nicole Provence, des accents de tragédie grecque, plongeant les protagonistes en même temps que le lecteur dans un drame profond et sinistre particulièrement marquant. Viennent les ultimes pages, très touchantes, où la rédemption naîtra des flammes vengeresses.
Le Gourou des Terres Froides est donc un ouvrage saisissant, où les dernières pages compensent sans mal les quelques modiques lacunes de l’histoire. Indéniablement, Nicole Provence a signé en 2007 un très bon roman, sans scène pétaradante ni outrancière, où le noir est une couleur.12/01/2012 à 19:09
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La Disgrâce des noyés
8/10 Un homme, simple, mais à l’existence tumultueuse. Amours désenchantées, morts violentes, drogues… Au fil de ce livre, il se raconte, se livre.
De prime abord, ce roman d’Yvan Robin peut sembler ultra classique, voire anodin. Le scénario apparaît mince, et l’objet ne compte que cent-trente pages, qui plus est très aérées. Alors, cette Disgrâce des noyés est-elle un ouvrage insipide ? Oh que non. Pour son premier roman, Yvan Robin a choisi de privilégier la forme au fond. Un chapitre par page, avec un titre lui-même court. Et surtout, surtout, une prose remarquable. Les mots sont poétiques, les phrases finement ciselées. Les formules lyriques et colorées se succèdent, voire s’emboîtent à merveille, et l’on prend très souvent plaisir à relire bien des passages tant ils sont savoureux.
Parallèlement à cette qualité narrative, le propos est en soi parfois un peu maigre. La déchéance d’un être, ses actes sanglants, la drogue, et ses amours, jalonnant son parcours chaotique, comme autant de rédemptions. Inutile de le redire, on navigue davantage dans la ballade noire que dans le polar pur. Mais, au final, cette minceur scénaristique n’handicape pas le récit.
Cet opus d’Yvan Robin, c’est en quelque sorte une voix : tour à tour chaleureuse, envoûtante, vénéneuse, voire venimeuse. Avec son propre vocable, en lisant une simple ordonnance, elle pourrait nous ensorceler. Tirer des larmes à un escabeau. Remuer les tripes d’une salière. Et le plus incroyable, c’est qu’on est déjà impatient de lire les prochains écrits d’Yvan Robin.11/01/2012 à 19:29
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La Prophétie de cristal
3/10 Pour sceller leur récent mariage, Kit et Stella s’enfoncent dans une grotte et découvrent un crâne de cristal bleu. Ce dernier a été forgé au temps de la civilisation maya et recèlerait, avec les douze autres gemmes sculptés, un pouvoir qui dépasserait l’entendement. Mais un inconnu intervient et blesse grièvement Kit. Qui cela peut-il donc être ? Si l’on s’en réfère aux vieilles légendes, si les treize crânes ne sont pas réunis, le monde courrait à sa perte à la date du 21 décembre 2012. Le compte à rebours est déjà enclenché…
Avec cette Prophétie de cristal, Manda Scott signe un thriller dans l’ère du temps. Millénarisme, religion, ésotérisme, voilà quelques-uns des ingrédients qui ont fait l’immense succès de Dan Brown, Raymond Khoury ou encore Steve Berry pour ne citer qu’eux. Dès le premier chapitre, le lecteur bascule dans l’action. Il faut reconnaître à Manda Scott un certain talent pour donner vie à ses personnages, les rendre humains et crédibles. Par ailleurs, l’imbrication des chapitres au présent et ceux relatant l’épopée de Cedric Owen au XVIe siècle, avec force détails quant à l’époque et aux manigances politiques et religieuses du moment, est bien écrite, et même prenante.
Cependant, parallèlement à ces qualités, et probablement parce que l’écrivaine a fait le choix de la sobriété à l’excès plutôt que de l’action tonitruante, on se retrouve avec un récit particulièrement lénifiant, avec très peu de personnages en jeu, ce qui fait que l’identité du comploteur devient d’une évidence presque enfantine. Ces treize crânes pourraient faire sombrer l’humanité dans le chaos ? Étonnamment, les rares protagonistes présents dans ce roman semblent les seuls à croire à cette prédiction, et on a parfois un peu de peine pour eux, à les voir ainsi se débattre pour retrouver la trace des autres statues sans que cela n’inquiète ou ne motive personne d’autre. Cette impression assez déroutante est renforcée par cette absence de dangerosité de la part de celui qui essaie de retrouver les sculptures : quelques cailloux jetés sur les spéléologistes, un attentat aussi raté que risible, et une tentative de récupération finale qui frise le ridicule. À croire que même Manda Scott, en dépit de son long travail préalable de documentation et de préparation à son ouvrage, n’y croyait pas, ou n’y croyait plus. Il faut ajouter à cela de longues tirades sentimentales, parfaitement inutiles au déroulement de l’histoire, et une fin heureuse, prévisible au-delà du descriptible, pour parachever ce roman à l’eau de rose.
Une idée de départ originale, mais complètement gâchée par un traitement sentimentaliste déplacé, un manque d’action sidérant, et l’impression, une fois le livre achevé, d’une grande vacuité littéraire. De plus, le lecteur aura l’impression tenace que cet opus n’était qu’une bluette liée à la mode des romans ésotériques ; quand cet engouement scénaristique sera passé, à part quelques lecteurs nostalgiques de cette vogue, il est malheureusement fort à craindre que ce livre de Manda Scott ne laissera aucun autre souvenir qu’une vague réminiscence caricaturale et grotesque.11/01/2012 à 19:28
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Mauvais délires
9/10 La patiente d'un asile psychiatrique qui ne veut pas enlever le voile qui recouvre son visage. Un enquêteur aux méthodes bien spéciales. Un adolescent obsédé par une voisine pour des raisons bien sibyllines. Au total, huit fièvres.
Après Mauvais sangs, Sarah Cohen-Scali revient à un genre qui a fait sa réputation : la littérature de jeunesse en nouvelles. Dès le premier récit, le ton s'impose : c'est noir, oppressant, avec les dernières lignes qui claquent comme une détonation. Le style est impeccable, à la fois travaillé et largement accessible pour des adolescents, avec des personnages fouillés, riches en fêlures et en ombres, se débattant dans des univers glauques et fantastiques. Chaque histoire est réussie, sans le moindre temps mort, et l'on en vient à attendre l'épilogue, empli de sentiments mêlés : inquiétude, excitation, doute. Et le charme est au rendez-vous : retournements de situation, étincelle de folie, axe autour duquel la réalité pivote et oblige à une relecture des faits.
Pour les lecteurs en âge d'être en fin de collège ou au lycée comme pour les adultes, Mauvais délires constitue un excellent recueil. On frissonne, on s'émerveille, on s'émeut. Des histoires qui écornent et hantent. Une belle leçon d'écriture doublée d'un brillant moment de lecture.11/01/2012 à 18:47
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Black Rain S01//E1-2
8/10 Incontestablement, voici les deux premiers épisodes, réunis en un livre, d’une série qui remue les sangs. S’adressant aux plus de quinze ans, les lecteurs adultes pourront, sans mal, s’immerger dans ces ambiances ténébreuses où il est si facile de perdre pied. On attend donc avec impatience les prochains développements, pourvus qu’ils soient portés par la même fougue narrative, et féconds en réponses.
05/01/2012 à 19:03
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Big Bug
8/10 Voilà encore un ouvrage de Christian Grenier qui soulèvera l’enthousiasme des lecteurs, jeunes et moins jeunes, tout autant grâce à la plume expérimentée de Christian Grenier qu’à l’idée maîtresse de ce roman. Un tour de force inattendu et efficace.
27/12/2011 à 18:17
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Triple meurtre à Hazebrouck
8/10 Après L’Écorcheur des Flandres et Le Réseau Flandres, Philippe Declerck continue d’enchanter, avec ce double mérite qui caractérise souvent les grands écrivains : une patte reconnaissable et estimable, et des histoires qui, d’opus en opus, ne perdent pas de leur souffle.
27/12/2011 à 18:16
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Massacre à l'espadrille
7/10 Massacre à l’espadrille est donc un ouvrage hors-normes, succinct – environ cent trente pages – et qui parle plus à l’intellect qu’aux tripes. Pour entreprendre cette promenade, aux lisières du bien et du mal, il faut accepter de laisser de côté une certaine perception de l’humanité, et s’offrir tout entier à cette initiation insolite. À cet égard, on pourra réfléchir au titre de cet opus qui est en soi un message clair, mettant bien en relief son apparente absurdité.
20/12/2011 à 11:00
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Tonton Clarinette
9/10 Max Mingus purge une peine de prison pour un acte de justice pour le moins expéditif. Durant sa détention, un magnat le contacte pour retrouver son petit-fils, enlevé sur l’île d’Haïti. Après quelques atermoiements, Mingus accepte et se rend sur place. Il met alors ses pas dans les traces d’un monstre lié au culte vaudou et que l’on surnomme « Tonton Clarinette », version terrifiante du joueur de flûte de Hamelin.
Premier opus de la série consacrée au détective privé Max Mingus, Tonton Clarinette constitue un remarquable roman. D’entrée de jeu, Nick Stone dépeint des personnages denses, d’une rare luxuriance émotionnelle, bien lointains des clichés du genre, et l’on sent qu’une telle plume, sombre et talentueuse, mènera probablement vers des contrées angoissantes. Haïti. Pays-ghetto, subissant les violences, peuplée de gamins prêts à tous les méfaits pour manger autre chose que des galettes de boue, et encore sillonnée par d’anciens Tontons Macoute. Par ailleurs, la contrée est puissamment marquée par le vaudou, religion que nombre d’Occidentaux trouveraient subversive mais que Nick Stone restitue avec sang-froid et objectivité.
L’intrigue est également bien bâtie, offrant notamment vers la fin des rebondissements intéressants, et l’on achève ce livre le souffle court, les tripes en feu. Longtemps après avoir refermé ce roman, le lecteur gardera en tête des images brutales, interlopes, dérangeantes. Plus certainement, il souhaitera retrouver Max Mingus dans d’autres enquêtes, car Nick Stone a disséminé de nombreuses petites pierres, comme autant de promesses de rencontres futures avec le détective. Par exemple, on entraperçoit sans mal l’énergie maléfique de Solomon Boukman, que l’on retrouvera notamment dans Voodoo Land.13/12/2011 à 18:23 6
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Crim' au Cap
9/10 N’importe quel lecteur peut avouer avec sincérité que certaines séries littéraires finissent par tourner en rond, s’essouffler, s’épuiser. Ce quatrième roman des aventures de Garri Gasiglia est probablement le plus abouti : la richesse comique de l’auteur en vient presque à souligner, comme dans un clair-obscur, l’aspect dramatique du propos évoqué. Assurément, un coup de maître.
11/12/2011 à 18:31