El Marco Modérateur

3227 votes

  • La Route sanglante du jardinier Blott

    Tom Sharpe

    9/10 En apparence, ce n’est pas de la littérature policière. Néanmoins, son sujet, sa structure et son traitement me poussent à intégrer cet ouvrage à la base. Un humour sacrément corrosif, très british dans l’ambiance, avec de savoureux instants et une pléiade de personnages caustiques. Au programme : un jardinier au passé réinventé, une châtelaine grassouillette désespérée par l’inactivité sexuelle de son homme, un haut fonctionnaire dépassé par la tâche qui lui revient dans la construction d’une autoroute, et tant d’autres. Des moments mémorables, comme ces animaux sauvages lâchés sur le domaine, quelques séances sadomasos, Blott qui repousse avec succès les assauts d’hommes armés, des séries de jambes en l’air qui tournent au fiasco… Une bien belle tranche de pure poilade arrimée à une intrigue solide et complètement allumée. Je serai probablement au rendez-vous d’autres romans de Tom Sharpe.

    05/12/2015 à 11:32 1

  • Tu n'as jamais été vraiment là

    Jonathan Ames

    9/10 Joe est une armoire à glace. On pourrait même dire avec plusieurs glaces tant il a su galvaniser sa carrure par des exercices physiques quotidiens. Ancien Marine, ex-agent du FBI, il travaille désormais pour McCleary, autrefois policier, pour des coups de force. Récemment, c’est le sénateur Votto qui vient de lui demander de retrouver sa jeune fille, retenue prisonnière par des hommes qui abusent d’elle. Sur le papier, rien d’impossible pour Joe. Mais dans les faits, il arrive que l’imprévisible se produise…

    Quatre-vingt-trois pages, pas une de plus. Une nouvelle ? Pas vraiment. Plutôt un très court ouvrage. Trop court ? Non. Parce qu’en si peu de mots, Jonathan Ames rend son récit encore plus électrique. Un roman de prime abord assez simpliste : le malabar au passé trouble, la mission périlleuse qui exige en priorité ses muscles, la trahison et le carnage final. Mais l’auteur se joue avec maestria de ces codes. Joe est un personnage bien plus complexe. Il a vécu dans le cauchemar d’un père violent et alcoolique. Il vit désormais avec sa mère qu’il vénère et dont il sait qu’elle ne va pas tarder à sombrer dans une sénilité grandissante. Il a quitté les rangs du FBI après avoir ouvert les portes d’un camion où sont mortes étouffées une trentaine de travailleuses chinoises. Cette expérience traumatisante a même remodelé son rapport aux femmes. Il est désormais un remarquable outil de violence, particulièrement malin et sagace, aussi solitaire que capable de ressentir de puissantes amitiés. Ce livre est également un extraordinaire moment d’action, acéré comme il n’est guère permis, où résonne le fracas des armes contondantes (avec une prédilection pour le marteau) et des corps que l’on abat. Se côtoient dans cet opus des politiciens véreux, des mafieux et des policiers corrompus – qui poussent le vice jusqu’à commettre leurs méfaits habillés de leurs uniformes. Ultime coup de massue : les deux dernières pages, où Joe reconstitue l’historique de cette affaire, avec une haute teneur en abjection.

    Un thriller d’une rare densité, noir comme les ténèbres qui hantent autant l’esprit de Joe que celui du commanditaire de l’affaire. Un verre minuscule contenant un alcool d’une exceptionnelle virulence et dont on sent la morsure à chaque étape de son passage, du palais aux tripes.

    05/12/2015 à 11:28 2

  • La Mort de Clara

    Thierry Bourcy

    6/10 Thierry Mellec mène une vie somme toute banale. Scénariste, il vivote en attendant un contrat singulier, comme d’autres espèrent la vague mythique. Divorcé, il ne voit plus sa fille que par intermittence. Quant à son caractère, il est on ne peut guère plus pusillanime. Pourtant, c’est lui qui croise le chemin de l’homme qui vient d’assassiner Clara, sa voisine. Hors de question pour un homme tel que lui de jouer le héros : il va plutôt jouer la fuite, quitte à aller se cacher dans la jupe d’Hélène Billard, la belle inspectrice.

    De Thierry Bourcy, on connaît principalement sa série consacrée à Célestin Louise, aussi est-ce avec beaucoup de curiosité que l’on approche cet ouvrage. Le ton y est résolument espiègle et farceur. Thierry Mellec est un personnage hautement sympathique, complètement débordé par l’ampleur de ce qui lui arrive, et qui n’a, en aucune manière, envie de jouer le surhomme. Durant tout le livre, il va fuir ce mystérieux meurtrier tout en cherchant, à sa façon, de comprendre ses motivations. Il est très amusant de le voir constituer un piège sonore avec quelques chaises empilées au cas où on viendrait l’agresser chez lui, lancer sur un adversaire une lampe avant que celle-ci ne retombe lamentablement au sol car retenue par le fil électrique. A mille lieues de ce que l’on peut lire, Thierry Bourcy compose un protagoniste auprès duquel on se sent bien et qui fait sourire. Parallèlement, l’intrigue n’est vraiment pas étonnante ni très solide. Les digressions affluent et les dernières pages, révélant la teneur réelle du crime, ne resteront probablement pas dans les annales.

    Thierry Bourcy ne révolutionnera pas le genre ni ne remuera les tripes des lecteurs avec ce roman. Il a voulu signer une œuvre différente, qui peut même – suprême paradoxe – surprendre par son absence d’envie de surprendre. Et c’est au milieu de cette histoire plane et plaisante que se dresse cet attachant Mellec, parfois si empoté que l’on a envie de le baffer, et qui renvoie le liseur à sa condition d’être fragile et faillible avec d’autant plus de force.

    05/12/2015 à 11:26 2

  • Horreur au magasin Lépouvanteur

    R. L. Stine

    6/10 J'ai retrouvé le style et l'univers typique de l'auteur dans cet opus. Une histoire bien agréable à lire, avec une entame quant à la genèse du personnage malfaisant réussie. Une histoire de chasse à l'homme prenante, des personnages réunis intelligemment dans ce dernier ouvrage de la série "Horrorland".

    05/12/2015 à 11:25

  • Magic Kaito Tome 1

    Gosho Aoyama

    7/10 Un manga très sympa, avec un personnage de magicien que je retrouverai volontiers. Un humour typique manga et des tours de magie agréables. Petit bémol : les deux derniers épisodes (avec le sous-marin puis la sorcière) me semblent un chouia plus faibles.

    05/12/2015 à 11:22

  • Hitler's Day

    Elmore Leonard

    7/10 Aucun doute possible. Ils sont nés le même jour, à la même heure, au même endroit et ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Walter en est donc persuadé : il est le frère jumeau d’Heinrich Himmler. Pendant ce temps, le marshal Carl Webster est à la recherche de Jurgen et Otto, deux officiers nazis échappés qui pourraient se trouver dans la ferme de Walter. Carl a trouvé un moyen de s’approcher de ce dernier sans trop attirer l’attention : être dans les petits papiers de Honey, l’ex-femme du nazillon. Mais on ne s’approche pas aussi facilement d’un tel cercle d’individus.

    Elmore Leonard, c’est un style inimitable et une série de traditions narratives : des digressions à tire-larigot, des dialogues alléchants et jouissifs, une ribambelle de personnages baroques. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet ouvrage est en ce sens typique. Le postulat de départ, déjà amusant, régale tout au long du livre, et permet de croiser une sacrée brochette de phénomènes. Un boucher persuadé d’être le jumeau d’un des plus grands dignitaires du Troisième Reich, à la fois borné et insensible, et prêt à tout pour offrir un cadeau explosif à Adolf Hitler. Deux fugitifs, un SS et un de l’Afrikakorps, dont l’un va convoler avec une juive et travailler dans l’édition et le second hésite à se lancer dans le rodéo. La femme du marshal, devenue instructrice dans le maniement des mitrailleuses de bombardier. Honey, une belle plante, très convoitée, et qui a le béguin pour notre représentant de l’ordre. Bo, un compagnon bien encombrant qui s’habille systématiquement en jupe depuis qu’il a été surpris avec sa maîtresse par le mari de cette dernière. Avouons que cette constellation d’individus n’est pas fade… A côté de cela, l’intrigue est parfois un peu usée, comme une corde sur laquelle on aurait trop tiré, avec notamment des temps morts et autres bavardages. L’ensemble se tient bien, se lit avec plaisir, l’humour d’Elmore Leonard est un régal, mais on aurait probablement préféré plus de tenue, ou une intrigue resserrée.

    Elmore Leonard était, est et restera un écrivain majeur de la littérature policière. Même s’il laisse parfois son exubérance et sa prolixité prendre le pas sur l’histoire, il n’a pas fini d’inspirer des générations d’auteurs et d’envoûter ses lecteurs.

    04/11/2015 à 18:32 2

  • Sans foie ni loi

    Fabienne Tsaï

    7/10 Une histoire intéressante et bien menée, sans le moindre temps mort ni réel rebondissement. Une honnête dénonciation des trafics d’organes qui se mêle à une condamnation de la peine de mort en Chine.

    04/11/2015 à 18:31 1

  • La grande séparation

    Philippe Waret

    7/10 Il s’agit du cinquième ouvrage de la collection 14/18 chez Pôle Nord Editions. Comme dans les autres, on retrouve une salvatrice volonté de la part des auteurs nordistes de raconter, chacun à leur manière, un pan du conflit. Ici, Philippe Waret emprunte la voie du roman policier, de manière classique, pour envisager la vie de Roubaix, depuis les prémices de la guerre à sa fin, en passant bien évidemment par l’occupation allemande. Indéniablement, l’écrivain maîtrise son sujet : que ce soit du point de vue historique, géographique ou culturel, il sait rendre vivante cette portion du début du vingtième siècle, et la bibliographie copieuse en fin d’ouvrage n’est assurément pas là pour décorer. Grâce au journal intime qui leur est confié, nos deux journalistes vont voir s’étaler la vie dans la ville depuis août 1914 jusqu’à la fin des combats. Ils verront alors se dessiner de saisissants portraits humains, nombreux, où se télescopent la défense de la patrie, les premiers morts, l’illusion perdue d’une victoire expéditive, puis l’appropriation du territoire par les troupes ennemies. Face à cette invasion, certains choisiront la résistance, d’autres la soumission zélée, et c’est justement dans ce carambolage des consciences et des inconsciences que se manifestera la vérité quant à la présence de ces deux inconnus dans une cave de l’usine. Si Philippe Waret s’illustre en excellent conteur, on regrette finalement la forme de l’ouvrage, à savoir son choix narratif : la quasi-totalité du livre consiste donc en une exposition chronologie des faits, sans la moindre surprise. Tout y est certes vivant et crédible, mais ce déroulé, à la tournure un peu décevante, refusant toute ellipse, flash-back et autres péripéties purement temporelle, frustre donc un peu le lecteur d’une véritable enquête ou d’une narration moins prévisible. Cela donne parfois l’impression que Philippe Waret n’a pas véritablement su choisir entre littérature policière et littérature blanche, délaissant ainsi son opus à la croisée de deux chemins bien distincts au risque de décevoir les deux types de randonneurs.

    De grande tenue, la structure trop linéaire de ce roman dessert un récit pourtant humainement brillant, historiquement prenant et d’une impérieuse nécessité mémorielle. Néanmoins, entre littérature blanche et noire, Philippe Waret a trouvé le moyen de rendre son œuvre grisante.

    04/11/2015 à 18:28

  • Les Rivages incertains

    Serge Brussolo

    8/10 Après Le Chemin de cendre, Serge Brussolo poursuit l’histoire consacrée à Amy Sweetheart dans une veine que les fans de l’auteur apprécieront certainement. Les idées, trouvailles et autres délires scénaristiques abondent. Depuis la croisière où des passagers semblent communiquer avec le sous-marin allemand pour que ce dernier puisse récupérer son précieux chargement secret aux étranges communautés établies sur l’atoll, en passant par l’épisode inquiétant passé dans le submersible, l’écrivain ne manque sérieusement pas d’imagination. Par moments, les écrits de Serge Brussolo ressemblent à des fourmilières dans lesquelles on aurait tapé un grand coup, produisant un foisonnement de personnages, scènes et inventions. Les chapitres décrivant la vie dans le bateau oscillent entre le roman d’espionnage et le whodunit, ceux dans le sous-marin tiennent du pur thriller, et ceux dédiés à la description des survivants tanguent entre relecture de Sa Majesté des mouches et récit survivaliste.

    Certains lecteurs préfèreront probablement telle ou telle partie en fonction de leurs préférences littéraires quand d’autres seront troublés d’une si grande débauche d’histoires en un seul livre. Mais il est une double qualité que l’on ne peut enlever à Serge Brussolo : cette prolixité créative doublée d’une plume si typique reconnaissable entre mille. Assurément les marques d’un immense romancier.

    04/11/2015 à 18:23 5

  • Le 47e samouraï

    Stephen Hunter

    9/10 Issu de la série consacrée à Bob Lee Swagger, cet opus est absolument passionnant. Dès le premier chapitre narrant le combat du père de Bob Lee sur le sol nippon jusqu’aux ultimes lignes, Stephen Hunter ne laisse pas un seul instant de répit au lecteur. Les scènes d’action sont époustouflantes, avec des combats de kendo particulièrement spectaculaires. L’enquête est aussi très prenante et va mener jusqu’à des ramifications inquiétantes, entre pression des yakuzas et trafic pornographique. Stephen Hunter rend un vibrant hommage aux samouraïs, à la riche culture nippone, sans jamais tomber dans le travers de l’ébahissement naïf ou du cliché. L’auteur nous permet d’ailleurs d’en savoir un peu plus sur Earl Swagger à qui il a également consacré une série, avec un quarante-deuxième chapitre à la fois touchant et surprenant.

    On referme ce livre abasourdi par, à la fois, tant de violence et de poésie. Si certains traits peuvent sembler à juste titre exagérés, comme cette facilité avec laquelle Bob Lee apprend l’art du sabre, on ne peut qu’être étourdi par ce savant cocktail de brutalité et d’hommage à l’éducation japonaise. Certains passages laisseront assurément un souvenir impérissable, comme l’assaut du fortin de Kondo – habile renouvellement de l’histoire des 47 samouraïs, ou l’affrontement final entre Kondo et Swagger au cours duquel le précepte égrené tout au long du récit, à savoir L’acier coupe la chair, l’acier coupe l’os, l’acier ne coupe pas l’acier, va prendre une signification bien particulière. Un ouvrage aussi tranchant que les lames que Stephen Hunter décrit avec tant de brio. Un must pour tout amateur de thrillers.

    04/11/2015 à 18:21 3

  • Je suis unique

    Anne Clerson

    6/10 Pour son troisième ouvrage à paraître chez Ravet-Anceau, Anne Clerson convainc. Grâce à un roman et des chapitres courts, la nervosité que nécessite un ouvrage de ce type est clairement rehaussée. L’aspect procédurier de la poursuite est bien retranscrit, crédible, et se laisse suivre avec grand plaisir. D’autre part, la plume de l’auteur est expressive, et l’on est entraîné dans cette chasse au psychopathe. D’ailleurs, ce dernier constitue certainement le point le plus fort du roman : à la fois détruit par la nature et singulièrement monstrueux dans ses actes, son modus operandi ainsi que les raisons de ses multiples passages à l’acte marqueront probablement longtemps l’esprit du lecteur. Malgré toutes ces évidentes qualités, on ne peut que regretter quelques écueils, comme ces nombreux bavardages allègres au sein de l’équipe de policiers, là où plus de rythme et de noirceur auraient été préférables, ou ce tic commun à tous les protagonistes de rire de leurs propres plaisanteries. Le point le plus irritant demeure le personnage d’Angélique, au physique certes magnétique mais dont l’arrogance, la propension à fulminer contre ses subalternes ainsi qu’un net manque de lucidité vers la fin du livre l’empêchent d’être sympathique ou de donner envie de la revoir.

    Malgré quelques scories, ce roman séduit principalement grâce au tueur qu’il met en scène.

    04/11/2015 à 18:19

  • Plus fort que la police

    Rémi Stefani

    7/10 Rémi Stefani a déjà écrit deux romans chez Rageot, 29 février et Cinq cent mille euros d’argent de poche, tous les deux de très bonne qualité. Ce livre est également prenant. L’écriture est excellente, et l’auteur sait rendre vivant son personnage, avec des réflexions et attitudes crédibles et sensées. Mais là où l’écrivain surprend, c’est au niveau de l’histoire en elle-même. Il n’est, pour une fois, nullement question de meurtre à empêcher ou à dénouer, de voleur à démasquer ou autre intrigue déjà lue des milliers de fois. Ici, le lecteur assiste à la fuite et la planque du jeune garçon. Il va se jouer des policiers, se dissimuler dans sa propre maison à la barbe des agents devant la surveiller, faire tourner en bourrique l’officier qui essaie de le retrouver, et, lentement, en simulant le comportement d’un malheureux gamin emporté par le désespoir et l’anomie, faire croire au commissaire que seule la libération de sa mère pourra éventuellement le ramener à la raison. C’est un pari particulièrement osé de la part de Rémi Stefani : proposer une telle histoire, finalement sans confrontation avec des individus dangereux ni faisant crépiter les neurones et synapses du lecteur en quête de la résolution d’un mystère criminel. D’une certaine manière, cet ouvrage, assez fin et léger, s’ancre davantage dans une thématique sociale, avec la tentative d’un gamin de porter secours aux siens comme il le peut, avec les maigres moyens qui sont les siens, quand ses parents sont conduits, probablement à tort, à commettre un acte délictuel pour permettre à leur famille de se loger ou de se nourrir.

    Rémi Stefani signe ici un roman atypique dans sa construction, ce qui ne l’empêche nullement d’être efficace et parfaitement plausible. Une histoire simple et juste, avec un suspense opérant, et qui amène à se poser de légitimes questions quant à la culpabilité, la réhabilitation et l’amour filial.

    04/11/2015 à 18:17

  • Nazis dans le métro

    Didier Daeninckx

    7/10 Un livre typique de Didier Daeninckx, où l'érudition côtoie les quelques bons mots et la noirceur. Un régal intégral qui s'intéresse particulièrement aux milieux politiques, leurs dérives et leurs unions parfois contre nature. Un petit bémol, très personnel : je trouve que le titre et son jeu de mots, amusants, ne sont pas du tout en prise avec le contenu du roman, voire complètement étrangers à son traitement.

    05/10/2015 à 18:03 2

  • La Route de Santa Anna

    Serge Brussolo

    8/10 Serge Brussolo est un auteur qui sidère. Sa bibliographie est particulièrement étoffée, et il ne cesse de naviguer vers les nombreuses rives de la littérature (policier, science-fiction, aventures, etc.). Avec cet ouvrage, il trouve le moyen de continuer à étonner. On retrouve son style si particulier, empruntant beaucoup aux auteurs et à l’univers américains, avec notamment de multiples références de vocabulaire et autres citations. Ses personnages sont toujours aussi bien croqués. Markh, cascadeur sur le retour et dont un ancien amour, mort lors d’une chute automobile, continue de lui murmurer des conseils. Cette famille vivant dans un mobil-home, avec un grand-père ancien militaire, une mère qui a autrefois travaillé dans le rodéo, une fille éprise de liberté et un fils déficient mental après un accident. Un chef de cartel, lui-même sous la coupe d’une vieille dame aux allures si anglaises. Tout ce (pas si) beau monde, on s’en doute un peu, va se télescoper et ouvrir un jubilatoire jeu de massacre. Le roman est très agréable à lire, et l’on s’en régale de bout en bout.
    Ce qui est typique de Serge Brussolo, c’est cette propension à surenchérir. Quand Markh est protégé par une ancienne universitaire, de longues pages se déploient pour nous expliquer son parcours, la paranoïa qui s’est emparée d’elle, et les Indiens qui vécurent dans la grotte. De même, le véhicule employé pour franchir la frontière revêt des caractéristiques parfois si développées et excentriques que l’on en perd en crédibilité. Certains lecteurs reprocheront à l’écrivain ces exagérations quand d’autres y verront plus le signe d’un débordement d’idées.

    Serge Brussolo est une sorte de gourmet qui, ayant si envie de régaler ses invités, multiplie les ingrédients dans sa recette pour ne pas décevoir, et ce roman est à cet égard significatif de cette envie fort louable. On sort ainsi de sa table littéraire rassasié et satisfait du repas, sans avoir guère envie dans la foulée de se ruer sur une autre nourriture.

    05/10/2015 à 17:58 2

  • Menaces sur la ville

    Jean-Luc Luciani

    8/10 Ce dernier livre issu de la Brigade sud séduit aisément. On y retrouve les habituels personnages créés et développés par Jean-Luc Luciani pour un opus assez sombre. Avec une belle économie de moyens et une écriture sobre, l’écrivain place le lecteur d’entrée de jeu dans l’histoire. Avec quelques références à d’antérieurs ouvrages de la série, comme Prise d’otage ou Manga connexion, l’auteur sait attiser l’appétit de ses lecteurs, d’autant qu’il apporte une réponse quant au sort de Mélaine, précédemment disparue en mer. L’intrigue est savamment pensée et orchestrée, offrant de jolis moments de suspense ainsi qu’une intelligente réflexion quant à l’usage des sciences et des expérimentations sur l’être humain.

    Ce roman s’illustre par sa concision, son efficacité et une grande maturité dans ses propos, en plus de réunir les protagonistes attachants qui ont fait le succès de la série. C’en est même à se demander si Jean-Luc Luciani n’en a pas signé ici le meilleur ouvrage.

    05/10/2015 à 17:54

  • La Guerre de 14 n'aura pas lieu

    Alain Grousset

    8/10 Alain Grousset, en habile écrivain, sait rapidement planter un décor. Premier chapitre : l’échec de l’assassinat qui aurait débouché sur la Première Guerre mondiale. Deuxième chapitre : une simple opération de maintenance près d’un fort engendre un massacre et démontre le pouvoir de destruction des deux armées rivales. A partir de cette uchronie, l’auteur signe un ouvrage prenant. Ce qui est saisissant, ce sont ses descriptions du monde civil et du militaire ; si le premier est demeuré en grande partie dans l’indigence (par exemple, le TGV signifie Train à Grande Vapeur) et n’a pu bénéficier des progrès qui ont éclos ailleurs sur la planète, les soldats disposent quant à eux d’abondantes ressources et d’appareils sophistiqués. Le livre, assez court, se lit facilement. On prend du plaisir à observer la belle Constance être enrôlée dans les services secrets, mener à bien sa mission, et même proposer au Président consulaire une idée qui va bouleverser la donne entre les deux nations. Cependant, quelques écueils émaillent le récit : l’embrigadement de Constance est si rapide qu’il manque de crédibilité, et l’ensemble de l’opération à laquelle elle participe est trop rapidement expédié pour être parfaitement plausible.

    Les fans de Robert Muchamore trouveront dans cet ouvrage un excellent succédané envers lequel ils seront certainement moins exigeants que des lecteurs adultes eu égard aux quelques incohérences et facilités du récit. Toutefois, l’originalité de l’histoire et de l’arrière-plan historique séduit, au même titre qu’elle saura semer dans la tête des jeunes de nécessaires questionnements quant au libre arbitre, l’esprit de résistance et le pacifisme.

    05/10/2015 à 17:50 1

  • Duo pour une enquête

    Agnès Laroche

    7/10 Agnès Laroche s’est fait un nom en matière de littérature jeunesse. Murder Party, Le Fantôme de Sarah Fisher, Sauve-toi Nora ! et Tu vas payer ont marqué les esprits par des intrigues originales et une plume excellente. Ici, l’écrivaine signe un roman fort sympathique. On découvre donc un jeune enquêteur improvisé qui, pour les beaux yeux de celle qu’il courtise, se lance dans une investigation dangereuse. Les personnages sont attachants, avec une mention particulière pour Violette, juvénile violoniste que le bégaiement a rendu très discrète. L’intrigue n’est en soi pas inoubliable mais permet de passer un agréable moment, amenant le lecteur vers une histoire de musiciens voleurs.

    Si l’on peut nettement préférer ses romans précédents, ce Duo pour une enquête n’en reste pas moins assez réussi. Agnès Laroche reste l’une des valeurs sûres de la littérature policière pour la jeunesse. À noter la sortie très récente de son dernier ouvrage, La Nuit des magiciens.

    08/09/2015 à 20:11

  • La mort n'est pas un jeu d'enfant

    Alan Bradley

    9/10 Quel régal que ce livre ! Ce deuxième ouvrage de la série consacrée à Flavia de Luce se déguste de la première à la dernière page, sans qu’il soit absolument nécessaire d’avoir goûté au premier ouvrage, à savoir Les Etranges talents de Flavia de Luce. Alan Bradley nous convie à un délicieux festin littéraire, enjoué et particulièrement récréatif. Alliant ce que le roman à suspense et le whodunit ont de meilleur, il nous entraîne aux côtés de Flavia dans une enquête aussi alléchante que réussie. La jeune fille est en soi un programme : passionnée de chimie, elle maîtrise cette science à la perfection, au point d’imaginer des poisons très élaborés ou de secourir une personne empoisonnée au cyanure en confectionnant une abominable mixture composée d’excréments de pigeon (qui contiennent du nitrate de sodium). A cet égard, Flavia n’est pas le seul personnage croustillant. L’une de ses sœurs qui la déteste cordialement tente de lui faire croire qu’elle a été adoptée dès sa naissance. Son père, philatéliste, est débordé par les querelles familiales. Dogger, majordome et ancien soldat, se déplace avec un parapluie au cas où une bombe échouerait sur sa tête délicate, ce qui ne l’empêche pas d’être à la fois très observateur et perspicace. L’arrivée puis le meurtre du marionnettiste va secouer la petite communauté et réveiller de douloureux souvenirs, dont le suicide d’un enfant, retrouvé pendu des années auparavant. Et cette intrigue, riche en rebondissements, est un régal à suivre, d’autant que sa résolution est à la fois brillante et tout à fait crédible. Là où Alan Bradley est également lumineux, c’est dans l’injection régulière d’un humour salvateur, dans les répliques, les situations ou les peintures psychologiques. Cet esprit vient agréablement contrebalancer une histoire assez sombre, au point que l’on passe aisément du rire au sérieux en un claquement de doigts sans jamais que cela ne soit artificiel ou forcé.

    Grâce à l’ingéniosité de son intrigue et l’intelligence de sa plume, Alan Bradley s’octroie une place de choix parmi les meilleurs auteurs du genre. Un auteur à découvrir de toute urgence, à propos duquel il est d’ailleurs amusant d’apprendre qu’il a écrit son premier roman à l’âge de soixante-dix ans. Comme quoi, les âmes chenues en ont encore beaucoup à enseigner aux plus jeunes.

    08/09/2015 à 20:09

  • 25 crimes presque parfaits

    Guillaume Lebeau

    3/10 Une bien belle déception. Autant « 25 mystères en chambre close » était, à mes yeux, satisfaisant, autant ce tome me semble sans grand intérêt. Des histoires confuses, aberrantes, ou beaucoup trop simplistes, sans jamais vraiment solliciter les neurones. Deux solutions à ces énigmes : si on trouve, c’est (très) facilement ; si on ne trouve pas, c’est que cela fait appel à des éléments tellement éloignés d’une résolution scientifique ou cartésienne que le lecteur se sent floué. Quelques histoires surnagent à peu près, mais ça reste sacrément maigre pour dire que ce volume est convaincant. Je retenterai néanmoins l’aventure dans cette collection.

    08/09/2015 à 20:08 1

  • Les Yeux plus grands que le ventre

    Jô Soares

    8/10 Rio de Janeiro, 1938. Un tueur en série s’en prend aux femmes très rondes qu’il assassine en les gavant de sucreries. Les corps des malheureuses sont ensuite laissés à la vue du public, les yeux arrachés. La police va alors tout mettre en œuvre pour arrêter ce dangereux psychopathe.

    Énoncé ainsi, cet ouvrage ressemble à ce que l’on a pu lire ailleurs. Un serial killer aux méthodes ignobles, une équipe d’enquêteurs, et un soupçon d’exotisme avec ce dépaysement historique et géographique. Mais c’est bien mal connaître Jô Soares. L’auteur prend le contrepied systématique de tous les codes du thriller. Le tueur ? En fait, un pauvre bougre, certes machiavélique, avec une enfance perturbée et un physique très particulier, mais à des milliers de lieues des clichés habituels. Les limiers ? Une journaliste pilote de course, un Calixto gentiment gaffeur et bas du front et un commissaire un peu dépassé par la situation. Le meilleur d’entre eux est certainement Tobias Noronha, ancien policier lisboète devenu pâtissier, féru de proverbes de son pays, capable de déductions à la Sherlock Holmes, toujours très appliqué lorsqu’il s’agit d’user du Rasoir d’Ockham, et ayant été viré de la police portugaise pour avoir monté de toutes pièces le suicide présumé d’Aleister Crowley. L’humour est omniprésent, dans les dialogues comme dans les situations. On se souviendra ainsi longtemps du final entre Tobias et le dément, la mort du nain amoureux d’une des victimes qui se suicide en se jetant dans le pavillon d’un tuba, et autres joyeusetés qui parsèment le récit, malgré quelques temps morts ou passages peu utiles.

    Là où certains auteurs, sur un thème similaire, comme Sophie Audouin-Mamikonian avec sa Danse des obèses, ont péché par excès d’orgueil, Jô Soares fait le contraire : il propose une intrigue solide mais présentée avec beaucoup d’autodérision voire de parodie. C’est un véritable festin de bout en bout, jubilatoire et déconcertant, qui change vraiment de la prose policière habituelle. Plutôt que la recommandation de manger cinq fruits et légumes par jour, préconisons davantage d’ouvrages de ce genre, sains pour le corps et l’esprit, et assurément plus gourmands.

    08/09/2015 à 20:04 6