3584 votes
-
L'Homme craie
9/10 1986, à Anderbury, en Angleterre. Le jeune Eddie Adams et ses amis sont dans l’âge de l’innocence, des amitiés et des blagues potaches. Suite à une rencontre improbable avec un professeur qui est également dessinateur, M. Halloran, Eddie et ses camarades élaborent un langage pour communiquer entre eux, indéchiffrable à tout individu extérieur à leur cercle, grâce à de petits bonshommes dessinés à la craie. Jusqu’à ce que l’on découvre le cadavre d’une fillette dont la tête a disparu. Trente ans plus tard, le passé rejaillit, avec de nouveaux morts.
Ce premier roman de C. J. Tudor, encensé par Lee Child et Maxime Chattam est un roman particulièrement fort. Naviguant de 1986 à 2016, le lecteur est immédiatement embarqué, notamment par ce prologue, très court et efficace, où l’on voit un individu emporter la tête de la (trop) jeune victime. L’histoire pose ensuite ses jalons, au gré d’une langue à la fois belle et simple, gorgée d’humanité, de tact et d’intelligence. On sent indéniablement l’inclination de l’écrivaine pour des auteurs majeurs, notamment Stephen King, avec les relations si naturelles et, dans le même temps, complexes, nouées entre Eddie et ses compagnons (d’autres références émergent également, comme cette haine de notre protagoniste pour les tricheries des scénaristes de Doctor Who, faisant écho à un passage de Misery du maître de l’horreur]. Dès lors, les événements vont s’enchaîner : une fête foraine et un spectaculaire accident dans une attraction, de jeunes brutes qui vont s’opposer violemment à Eddie et à sa bande, le parler codé grâce à ces personnages dessinés à la craie, une gamine qui tombe enceinte, ce M. Halloran au physique inquiétant qui semble dissimuler de lourds secrets… Et trois décennies plus tard, comme la fin d’une parenthèse que tout le monde croyait refermée à jamais, le cauchemar reprend. Nos gamins ont vieilli, mais certains secrets, des rancœurs ainsi que de nombreuses plaies vont réapparaître avec une violence accrue. C. J. Tudor sait panacher les genres littéraires, avec le thriller (certains passages sont vraiment anxiogènes), le roman noir, le suspense plus classique quant à l’identité du tueur et ses motivations, sans oublier quelques scènes d’un humour cocasse et salvateur, et de belles pages de pure littérature blanche. Les psychologies sont finement peintes, et tous les personnages bénéficient d’une réelle densité, de comportements propres et de trajectoires intimes qui sonnent avec beaucoup de crédibilité. A cet égard, Eddie constitue un pur bonheur. Il a passé une enfance qui se révéla difficile avec un père ayant lentement sombré en raison de la maladie d’Alzheimer, est un collectionneur impulsif, et vit désormais dans une étrange relation de colocation avec Chloe, bien plus jeune que lui. En revoyant venir à lui ses anciens compères, il va devoir affronter le passé et son cortège de spectres affamés et insatisfaits, avec la vérité à l’arrivée, certes, mais également de terribles révélations. Au-delà de l’aspect noir du récit, C. J. Tudor n’en oublie pas la délicatesse : l’intrigue, dense, efficace et diaboliquement crédible, recèle de petits bijoux de mots et de maux quant à la dérive des êtres confrontés à la maladie, le deuil, l’amour filial, et, d’une manière plus globale, cette puissante nostalgie pour cet âge d’or qu’est la jeunesse, avec ses moments de délectation, de doutes et des premières épreuves face à l’adversité humaine. Un magnifique panorama de ces moments contradictoires et marquants à jamais ces adultes en devenir, qui ne pourront que garder en mémoire le fait que ces beaux jours sont définitivement révolus. Et que dire de ces ultimes pages, assourdissantes, avec un retournement de situation inattendu, portant en lui le possible fruit de nouveaux drames ?
Une œuvre forte et mémorable, se hissant parmi les meilleurs du genre. On ne pourra donc que se ruer sur l’autre ouvrage de C. J. Tudor, La Disparition d’Annie Thorne.01/05/2019 à 07:36 11
-
Le premier rôle
8/10 Dans une grande ville anonyme de France, on retrouve un cadavre, mort de ses brûlures. Auparavant, le lieutenant Laurent Mils avait reçu une lettre anonyme émanant d’un dénommé « John » lui annonçant un crime terrible. Double choc : la victime était un policier, et une autre proie est découverte chez elle, le crâne défoncé. La piste du tueur en série est désormais avérée. Un psychopathe qui semble s’inspirer de méfaits extraits de films célèbres.
Ce premier ouvrage de Guillaume Demichel n’inspire que de l’attraction dès le début : style clair et intelligent, personnages bien définis, suspense maîtrisé, et décor planté subtilement. Lentement, émerge la silhouette angoissante d’un serial killer reproduisant des meurtres tirés du cinéma. On découvre des protagonistes intéressants, notamment le policier Laurent Mils et la psychocriminologue (ne l’appelez surtout pas « profileuse », elle a horreur de ça !) Marion Lombardi. Ce duo de limiers ainsi que les autres flics sont tous dépeints avec beaucoup de naturel et de crédibilité, Guillaume Demichel allant marcher sur d’autres sillons beaucoup trop empruntés que ceux mettant en scène des individus torturés, au lourd passé et en quête de rédemption. Dès lors, un habile jeu du chat et de la souris s’instaure entre la cellule d’enquête et ce machiavélique tueur qui semble avoir toujours plusieurs coups victorieux joués d’avance. Il laissera dans son sillage quelques lettres à déchiffrer, mais surtout des crimes imitant quelques-uns des plus illustres du septième art. Et ce n’est qu’au terme des quelque quatre cents pages de ce livre, sans le moindre temps mort, et se concluant sur un très inattendu et ingénieux rebondissement, que l’on connaîtra l’identité de cet immonde aliéné, à peu près aussi imbu de sa personne que diabolique, dans un clap de fin retentissant.
Voilà un premier ouvrage plus que maîtrisé : fin, original, plausible, portant sur le plateau des personnages que l’auteur n’aura pas cherché, de manière stérile ou artificielle, à handicaper des poncifs du genre ; nettement de quoi venir concurrencer un roman partant du même postulat, le Psycho de Richard Montanari. Une réussite totale, qui donnerait matière à un téléfilm de grande qualité.24/04/2019 à 18:05 5
-
Manhattan chaos
7/10 New York, 13 juillet 1977. Un black-out s’abat sur la ville, la plongeant dans les ténèbres. Parce qu’il a fiévreusement besoin d’un shoot, Miles Davis, reclus dans son appartement depuis très longtemps, doit maintenant en sortir pour aller chercher sa dope. A l’extérieur, il va vivre une nuit d’anthologie.
Avec sa bibliographie qui n’a cessé de croître depuis 2008, Michaël Mention continue de séduire. Ce qui frappe, au-delà de ses qualités d’écriture et son imagination, c’est, entre autres, la variété des sujets abordés : un sous-marin pendant la Seconde Guerre mondiale dans Unter Blechkoller, le mythique match de football entre la France et la RFA le 8 juillet 1982 dans Jeudi noir, un patelin paumé de l’Australie dans Bienvenue à Cotton's Warwick, etc. Ici, il s’attaque à quelque chose d’encore très différent : Miles Davis plongé dans la furie d’une gigantesque coupure d’électricité à New York. On y retrouve le style si particulier de l’écrivain, celui qui transparaissait déjà dans ses premiers ouvrages, comme La Voix secrète et Maison fondée en 1959 : écriture hachée, mots qui claquent, déconstruction de la syntaxe. Un véritable feu d’artifice dans la forme, qui n’en finit pas de surprendre et, dans le même temps, de captiver. Miles Davis est un personnage particulièrement intéressant : musicien de génie, d’une exigence monstrueuse avec lui-même, il a fini par ne plus toucher à sa trompette pour vivre comme un ermite, comme un indigent, dans son luxueux appartement new-yorkais. Vrillé par la drogue et les abus, il va néanmoins devoir sortir de chez lui pour aller s’acheter sa dose. Et c’est le début d’une nuit furieuse. A la rencontre de personnages interlopes, depuis les dealers jusqu’aux rescapés du black-out, en passant par des êtres réels, comme Juliette Gréco, des membres des Black Panthers ou du Ku Klux Klan, le tueur en série surnommé « Fils de Sam » (que l’auteur a déjà étudié dans son documentaire Fils de Sam), ou encore des soldats de la Guerre de Sécession… Car Michaël Mention secoue son protagoniste au point de le faire changer d’époque et de le confronter aux pires démons des Etats-Unis, comme le racisme et la misère. Des voyages spatio-temporels détonants, tonitruants, qui sidèrent, mais n’en sont pas moins parfaitement maîtrisés.
Au final, ce sont deux cents pages de pur délire, destroy à l’image de Miles Davis qui voulait détruire le jazz et l’enterrer pour mieux créer son propre sillon, sa musique intime, toucher la perfection du son et du rythme. Une nuit d’ivresse qui nous fait toucher du doigt les fantômes de Miles Davis (avec la présence énigmatique de ce John, dans une relation presque faustienne) comme ceux de la société américaine. Ce ne sera probablement pas l’ouvrage le plus consensuel de Michaël Mention en raison de son sujet et de ses choix narratifs, mais la magie opère, une fois encore, et on est emporté dans cette longue nuit d’ivresse et de ténèbres. De la littérature noire mâtinée de blanche, toutes deux ponctuées de notes bleues.24/04/2019 à 18:02 9
-
Quand sort la recluse
8/10 … ou comment le commissaire Adamsberg, par une indiscrétion en regardant l’écran de l’ordinateur de l’un de ses adjoints, en vient à enquêter sur la mort de vieillards dans le Sud de la France, décédés suite à la morsure d’araignées, les recluses. Pour ma part, cela faisait un bail que je n’avais pas lu d’ouvrages de Fred Vargas, et la diffusion de l’adaptation télévisée de cet opus m’a poussé à faire grimper ce roman tout en haut de ma PAL. J’y ai retrouvé l’univers « vargassien » tel que je l’avais encore en tête : des dialogues agréables et ciselés, des personnages denses, et toujours ce goût pour une écriture et un récit qui prend son temps, en père peinard, ce qui permet au lectorat de savourer la gouaille de l’écrivaine et son appétit pour les protagonistes « normaux », ce que j’entends non pas par « communs » ou « banals », mais « crédibles », à des années-lumière des héros de blockbusters littéraires et autres pétarades américaines. Pas mal d’humour et de décontraction dans les liens entre nos policiers, même si (et j’ai dû rater trop de wagonnets pour ne découvrir que maintenant la transformation du bon Danglard en calculateur, craignant une propre faille dans sa famille, au point d’obliger Adamsberg à jouer des poings avec lui). J’ai d’ailleurs beaucoup aimé la plaisanterie – un peu private joke, mais comment ne pas l’avoir vue ou comprise ? – quand Danglard est interrogé à propos de Magellan quand l’acteur qui l’incarne, Jacques Spiesser, joue dans une série du même nom. Il y a également une immense gravité dans l’intrigue, sombre et cruelle, et si la première moitié est bien menée, j’étais dubitatif quant à la suite, sachant que ce n’est pas en soi une histoire farouchement originale. Mais l’autre moitié du roman m’a redonné un coup de fouet, avec ce fragment du passé d’Adamsberg qu’il revoit, et donc cette piste sur laquelle il se lance, bien plus singulière à mes yeux, et où l’on va, à la manière de Mathias sur le terrain à fouiller, découvrir plusieurs strates d’horreur dans ce fait divers, hélas plausible et d’un puissant impact évocateur. De l’humanité aussi, notamment dans les derniers chapitres, dans le lien entre notre commissaire et le tueur, avec une immense symbolique quant à la prison. Même si, à tête reposée, je suis sceptique quant au stratagème employé par l’exterminateur – le « crachat tombé du ciel », beaucoup trop capillotracté - j’ai vraiment beaucoup aimé cet opus malgré quelques bavardages et autres circonvolutions inutiles selon moi, mais on est chez Fred Vargas, et chez personne d’autre, ceci expliquant cette patte narrative.
22/04/2019 à 18:39 7
-
Graine de Résistant
7/10 ... ou comment Rémy Langevin, un collégien de treize ans, en pleine Occupation, va lentement s’opposer aux nazis, plus particulièrement au Obersturmführer Otto Krenz, un lieutenant fraîchement promu dans la SS. Après avoir perdu son père en 1940, lui qui est plutôt timide et timoré (en plus de n’être qu’un enfant, ne l’oublions pas), il va affronter les dures conditions de la France occupée avant de subir un autre épisode douloureux qui va toucher l’un de ses amis, et ainsi graduellement se mettre en tête de participer pleinement et activement à la Résistance. Il n’est jamais inutile de revenir sur cette sinistre page de notre Histoire commune, ni d’oublier les martyrs et héros, et quand c’est écrit par Arthur Ténor, je me suis rué sur le bouquin. L’écriture est impeccable, irréprochable, rendant palpables les privations, les sentiments contradictoires, les enjeux politiques, les incertitudes liées au conflit, les tragédies et les bouffées d’espoir. Rémy, amoureux de Marie, essayant de passer le plus de temps possible à écouter sa TSF pour avoir des nouvelles du front, et touchant de candeur, de naturel et de tact, est très joliment croqué. Dans le même temps, Otto Krenz sait se montrer cassant, patibulaire, manipulateur (notamment lorsqu’il se met en tête de harceler notre si jeune protagoniste), quitte à faire pression sur ses amis, ses proches, et à tourner de façon de plus en plus suspecte autour de la mère de Rémy. Il y aura bien évidemment des drames, et c’est tout à l’honneur de l’auteur de ne pas avoir écrit de manière fallacieuse, voire incorrecte, eu égard aux victimes de la guerre, qu’ils soient civils ou armés, sur cette époque. Dans le même temps, l’écriture sait se mettre à la hauteur des jeunes auxquels il destine son roman, et je ne doute pas qu’ils sauront se laisser embarquer par ce récit qui mêle passions, douleurs et bravoure. Si la fin m’a un peu surpris (ou du moins redoutais-je quelque chose dans ce genre-là), à la réflexion, je la trouve pertinente, finalement bien choisie. Et remercions également Arthur Ténor pour les ultimes pages, documentaires, quant aux « martyrs du lycée Buffon », dans ce nécessaire hommage. Même si l’ensemble n’apporte rien de nouveau, ni dans le fond ni dans la forme, il permet un éclairage intéressant et essentiel quant au rôle de la jeunesse durant la Seconde Guerre mondiale et la Résistance.
22/04/2019 à 18:37 4
-
Le Labyrinthe de Dédale
6/10 … ou les épisodes combinés du labyrinthe de Dédale (bon, évidemment, le titre l’évoque), le Minotaure, Icare, et la mort de Minos. J’ai encore comme point de comparaison un livre similaire, celui de Guy Jimenes, « Icare aux ailes d’or », qui est une version très similaire du mythe, tous les deux étant destinés à la jeunesse. Indéniablement, Hélène Montardre a choisi deux éléments : concision et familiarité. Concision, car son texte, écrit trois ans avant celui de Guy Jimenes, est encore plus court (environ cinquante pages, et écrit en gros avec des illustrations), allant vraiment à l’essentiel. Familiarité, car le ton employé est très accessible : les personnages bégaient, hésitent, bafouillent, ont peur. Des sentiments, des attitudes, des comportements finalement très humains, ce qui place encore plus les protagonistes aux côtés du lectorat, comme des camarades, comme si le lecteur était l’un d’entre eux. En outre, la langue employée est très abordable, sans circonvolution ni grands effets narratifs ou littéraires. Du coup, je conseillerais plus volontiers cet ouvrage que celui de monsieur Jimenes à des gamins moins bons lecteurs, ou plus rétifs à cette activité, en raison de cette facilité d’accès. En revanche, si l’on souhaite plus de densité psychologique, de suspense ou de connexion avec le mythe originel, je préconiserais davantage « Icare aux ailes d’or ». D’ailleurs, à noter qu’Hélène Montardre prend parfois quelques raccourcis, comme le fait d’attribuer l’invention du fil salvateur à Dédale plutôt qu’à Ariane (étrange, même s’il finit par apparaître une certaine cohérence dans le texte, à sa façon, avec Dédale qui sait tout sur tout, et répond à de nombreuses reprises « Si » quand quelqu’un lui dit « Tu ne peux rien pour moi »). Et puis, puisque l’on en est aux reproches, le fait que la mort du Minotaure soit si rapidement évacuée (« Avec l’épée, Thésée tue le Minotaure et, grâce à la pelote de fil, il réussit à sortir du labyrinthe », sic) : à ce niveau, du point de vue narratif, c’est moins une ellipse qu’une réelle déception.
22/04/2019 à 18:36 4
-
Une Pluie sans fin
8/10 La Limite. Une frontière artificielle et très approximative, dessinée au Sud des Etats-Unis, au-delà de laquelle on ne trouve que pluies diluviennes, ouragans et dévastations. Un no man’s land où les lois humaines ont implosé, pour ne laisser que chaos et individus désemparés. Cohen, qui a perdu sa femme et son enfant, fait partie de ces esseulés. Il lui faudra déployer des trésors de courage et d’humanité pour essayer de gagner la Limite.
Ce roman de Michael Farris Smith frappe fort. Il ne faut que quelques mots de l’auteur pour planter le décor. Des paysages post-apocalyptiques, avec ces constants déluges d’eau. Une anomie complète, où l’on se bat pour de la nourriture, des piles, une voiture, et où la vie humaine ne constitue guère une valeur. De ce désastre surgissent des êtres plus voraces et meneurs que les autres, comme ce prêcheur, Aggie, qui a commencé par se faire un nom en essayant de faire croire qu’il pouvait guérir des morsures de serpents. Depuis, son commerce s’est bien développé, et il a créé une véritable secte sur laquelle il règne sans partage. Parmi ses ouailles, plus captives que volontaires, la jeune Mariposa, qui se souvient encore avec plaisir de sa jeunesse et de sa famille néo-orléanaise. Et c’est en partie pour la sauver, elle et les siens, que Cohen va tout faire pour les aider à quitter cet enfer humide. Difficile de ne pas penser à La Route de Cormac McCarthy ou à la série cinématographique des Mad Max en lisant le synopsis. Cependant, Michael Farris Smith injecte une âme réelle, entière et intime, à son histoire. Des personnages fracassés, tout en trajectoires fracturées, brisés par leur existence ou par ce cauchemar orageux cascadant des cieux malveillants. On est emporté par cette vision effrayante des éléments et des événements, chamboulant les repères moraux des hommes, tandis que l’on se plaît à vivre de beaux moments de magie et de grâce, comme les flash-backs de Cohen aux côtés de sa femme à Venise, ou ces instants, presque suspendus, où la terreur et l’angoisse s’interrompent en la présence d’un bébé.
Un roman très bon et très fort, où Michael Farris Smith impose sa vision sans concession d’un avenir, peut-être imminent et crédible, où ce sera à chacun de choisir sa voie, dans les pas du Diable ou dans ceux d’individus valeureux. Car même si Cohen n’a en effet strictement rien d’un surhomme, sa bonté, son obstination et son courage le mettront d’autant plus en valeur.09/04/2019 à 19:09 5
-
Chassé-croisé
5/10 … ou l’histoire d’amour entre deux collégiens, Myrtille, originaire de Corée du Sud et adoptée, et Mohamed, dont la famille est en France depuis dix ans, mais qu’un raccompagnement en Algérie pour Mohamed et les siens va venir interrompre. Dans ce très court roman (presque proche de la nouvelle tant il est lapidaire), on retrouve la plume de Guillaume Guéraud : enflammée, politique, engagée, et très juste. Les amours naissantes de Myrtille et de Mohamed, leur inclination grandissante, le ressentiment de leurs foyers respectifs quand tonne l’ordre de retour au pays, l’envie de rester dans la contrée qui les a accueillis, tout est bien écrit, sonne avec justesse et l’on se prend d’une réelle empathie pour ces jeunes soupirants que la loi française sépare.
Mais il y a quelque chose qui a cloché, et c’est au huitième chapitre que c’est parti en vrilles serrées pour moi : la verve et l’emportement de l’auteur sont tels qu’ils nuisent à ma vue d’ensemble du livre. Si tout y était impeccable – au-delà de toute éventuelle considération politique, les mots qu’il emploie deviennent subitement outranciers, subjectifs, déplacés, et vraiment inutiles. Parler de « trois excités en uniforme », que ces derniers « ont cherché des trucs à casser », qu’un des policiers crie « Ta gueule ! » à la mère en pleurs et qu’il poursuive avec un court laïus haineux et autant raciste, ça m’a vraiment fait quitter les rails de l’ouvrage. Entendons-nous bien : ce n’est même pas une question d’inclinaison politique, de dénégation de tristes attitudes et comportements qui, malheureusement, mille fois malheureusement, existent, ou de désaveu des penchants idéologiques de Guillaume Guéraud – en matière de lectures, je suis parfaitement apolitique. C’est juste qu’une telle envolée, inopportune, subite et certainement pas représentative de tout un corps d’état alors qu’il se laisse lire comme s’il s’agissait là d’une banalité voire d’une norme, m’a véritablement hérissé le poil. Autant j’appréciais les motivations, les opinions et la manière dont l’auteur les étayait tout au long de cet opus, autant sur la fin, à force de vouloir tant marquer le trait de son engagement, il remplace le délicat pinceau par la grosse truelle au détriment de toute la finesse de son tableau, et je trouve cela fort dommageable.09/04/2019 à 09:05 1
-
Dieux et guerriers
6/10 … ou comment Anthony Horowitz, écrivain majeur de la littérature jeunesse, porte à notre connaissance seize contes issus de tous les âges et de tous les continentes. Au programme : l’énigme du Sphinx, le pittoresque combat de Saint Georges et du dragon, un géant africains aux cheveux presque interminables, l’histoire de Perséphone et la naissance des saisons, Gauvain et le chevalier vert, Polyphème face à Ulysse et ses compagnons, le cruel roi Nidud face à un orfèvre qui prépare une terrible vengeance, un autre épisode du cycle arthurien mettant en scène une femme particulièrement repoussante, une légende amérindienne mettant en scène le dénommé Geriguiaguiatugo (un défi pour le scrabble…), l’un des travaux d’Hercule, Beowulf face au Grendel, l’affrontement de Romulus et de Remus, et enfin le sanguinaire Procuste. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en entreprenant la lecture de ce recueil : l’auteur allait-il mettre en lumière quelques histoires moins connues ? Procéder à une relecture de l’ensemble ? Uniquement compiler ces légendes ? En fait, je trouve que c’est là la principale faiblesse de ce spicilège : il n’a pas de véritable ton. Certaines sont amusantes (Saint Georges, ou encore Polyphème croqué comme un imbécile fini), d’autres m’ont parues sans réel intérêt, si ce n’est de porter un éclairage sur des contrées où les contes et mythes ont fleuri mais dont, nous Français, n’en connaissons que peu (le récit de Geriguiaguiatugo m’a laissé parfaitement froid, celle de Beowulf se lit et s’oublie aussitôt, et celle du géant africain est plaisante mais pas mémorable), et d’autres sont tellement connues que la lecture n’en présente que peu d’intérêt (Romulus, Hercule, Perséphone). Demeurent quelques histoires plus saisissantes, que j’ai vraiment appréciées (Procuste, dont je ne me lasse pas, ou Nidud). C’est un véritable bouquet, au sens formel du terme, avec des récits qui ne se ressemblent pas, ont le mérite de divertir, mais dont je n’ai toujours pas saisi la raison de leur présence ici. Anthony Horowitz les a-t-il appréciés ? Voulait-il nous faire parcourir le monde au gré de ces textes ? Parce que sinon, ils n’ont vraiment rien en commun, que ça soit l’histoire, les ressorts, les morales (beaucoup n’en ont d’ailleurs pas) ou la tonalité. Et le fait qui m’a le plus déçu, c’est que l’écrivain ne fait que les réécrire sans rien leur apporter, au point que ce livre aurait pu être écrit par n’importe qui, même si la langue y est belle et la lecture globale plutôt agréable. Sincèrement, j’aurais beaucoup apprécié une relecture, à la sauce Horowitz, quitte à s’écarter de ces histoires telles qu’on les avait en tête, que ça soit avec des anachronismes, l’humour que l’on connaît chez l’auteur, ou de l’action comme il sait en distiller avec sa série Alex Rider. Bref, une lecture plaisante pour les jeunes auxquels s’adresse ce bouquin, avec de la distraction et un peu de réflexion, mais certainement pas de quoi figurer parmi mes recueils préférés, que ça soit dans le fond ou dans la forme : j’ai plus lu un copier/coller divertissant mais sans âme qu’un ouvrage ayant une véritable personnalité.
09/04/2019 à 09:04 1
-
Icare aux ailes d'or
8/10 … ou la tragique destinée d’Icare, écrite ici par Guy Jimenes. De ce mythe, que j’ai toujours trouvé remarquable et d’une insondable profondeur, j’en avais fini par oublier de nombreux éléments, et ç’a été pour moi l’occasion de me les remettre en mémoire dans le meilleur des cas, ou de me les apprendre. Car le roman ne commence pas dans le fameux labyrinthe où Icare et son père, Dédale, enfermés par Minos. Il s’amorce avec l’arrivée du taureau blanc envoyé par Poséidon, donnant ensuite à voir la naissance d’Astérion, celui qui deviendra le Minotaure, les sacrifices humains, l’alliance d’Ariane et de Thésée, l’affrontement grandissant entre Icare et son paternel, l’enfermement dans le labyrinthe, et enfin, bien entendu, l’ascension et la chute d’Icare. Il y a encore d’autres moments très intéressants qui jalonnent ce récit, mais je retiens également le (long) épilogue, où l’on en revient à Dédale, un personnage décidément fascinant, avec son remarquable talent artistique, ses ultimes sculptures, la façon dont il a tendu un piège machiavélique à Minos (rien que ça, par l’intelligence de l’idée et le côté diabolique du traquenard, pourrait donner lieu à un livre à ce sujet), ainsi que sa fin, hautement symbolique. Guy Jimenes s’est parfaitement documenté et redonne vie avec beaucoup de tact et d’élégance à cette légende, employant un langage agréablement désuet et soutenu, avec la concision propre au cahier des charges de cette collection. Bref, un régal d’aventures, d’érudition et d’humanité, à conseiller pour tout le monde, à presque tous les âges.
09/04/2019 à 09:02 2
-
Dernière saison dans les Rocheuses
8/10 Au cours des années 1820, le jeune William Wyeth s’est mis en tête de vivre une vie enfin trépidante, aventureuse. Pour cela, il décide de devenir trappeur et de partir, comme tant d’autres, à la conquête de l’Ouest sauvage. Ce qu’il vivra au cours de ce périple le changera à jamais.
Shannon Burke, à qui l’on doit Manhattan Grand-Angle et 911, nous revient dans un registre très différent, quelque part entre le roman d’aventures et le western. L’Ouest des Etats-Unis, cette immense contrée hostile, offre le cadre idéal pour un voyage somptueux, et l’auteur nous rend avec maestria le caractère indompté de ces lieux. Sans pour autant devenir trop bavard dans ses descriptions, Shannon Burke dépeint avec talent les panoramas sublimes, les montagnes farouches, les forêts inhospitalières. Au-delà de ces tableaux idylliques, il rend également hommage à la faune, entre bisons, chevaux, ours et autres animaux auxquels Bill et les siens vont être confrontés. Lutter pour sa survie, donc, face aux éléments et les bêtes, mais également contre les êtres humains, depuis de cruels Indiens aux Britanniques en passant par certains trappeurs dont la cruauté s’est aiguisée au cours de cette vie primitive. William rencontrera des personnages croustillants : Alene, la si jeune et jolie veuve ; Henry Layton, le magnat de prime abord infatué et querelleur mais qui saura se montrer brave et héroïque ; Max Grignon, le sanguinaire homme de main dont William se fera un ennemi mortel. Même si quelques protagonistes véhiculent quelques clichés, et si certaines scènes sentent le déjà-vu ou le déjà lu, des passages resteront longtemps à l’esprit, comme cette confrontation incroyable avec un ours, ou le « jeu » de Layton pris entre un taureau et un plantigrade féroce. Shannon Burke a imprimé à son récit un véritable souffle épique, avec son lot de sentiments chevaleresques et vertueux, où la candeur originelle de William (qui disait de lui, au tout début, que « Ma famille pense que je suis un froussard incapable de prendre une décision. Je veux leur prouver ce que je vaux et revenir la tête haute ») va se télescoper à l’existence dure et intransigeante d’espaces inhospitaliers. Paradoxalement, le lecteur éprouvera d’autant plus d’empathie pour ces trésors naturels, qu’ils soient végétaux, minéraux ou animaux, que ces derniers démontrent leur beauté et leur rudesse. Et, au-delà de cette ode aux éléments, il y a un puissant élan humain, mettant en valeur des sentiments nobles alors que vont se multiplier les traîtrises, les luttes de pouvoir, la course à l’argent, et les instincts de mort.
Malgré quelques moments un peu attendus, voilà un très bel hommage à la Nature et à l’âme humaine.04/04/2019 à 14:29 9
-
Disparition programmée
7/10 Le père de Jack a transporté de la drogue dans son avion, au profit d’un terrible narcotrafiquant. Parce qu’il a conservé des éléments pouvant incriminer le malfaiteur et le faire plonger, il est mis à l’ombre et sa famille va devoir se soumettre à un programme de protection des témoins. Nouvelle identité, nouvelle ville, nouvelle apparence, pour rompre définitivement les ponts avec la vie précédente et éviter que les tueurs ne les retrouvent.
Roland Smith signe un roman qui permet de mieux comprendre les ressorts de cette fameuse protection des témoins, que l’on a déjà vue souvent au cinéma par exemple. Ici, il n’y a pas d’actions tonitruantes, de fusillades rocambolesques et autres scènes échevelées. L’auteur s’est focalisé sur la façon dont les individus doivent être défendus et plongés dans l’oubli. Beaucoup de réalisme et de crédibilité dans ces pages, avec également une belle mise en évidence des sentiments contradictoires qui agitent des êtres humains coupés de leurs racines et doivent orienter leur vie différemment. Ici, la famille Osborne va devoir quitter son Etat pour rejoindre le Nevada et se priver de ses amis et attaches. Parallèlement, la mère de famille va se remettre à espérer avec un projet professionnel autour d’une librairie, Jack – désormais prénommé Zack – s’amouracher de la belle Cataline, et sa sœur se battre pour intégrer une comédie musicale, etc. Autant de moments d’espérances et de regains d’espoir, que Roland Smith rend particulièrement crédibles, grâce à une écriture simple, honnête et gorgée d’humanité. On s’en doute, suspense oblige, les trafiquants de drogue vont retrouver la piste de notre famille de fugitifs, et l’on se régale de cet ouvrage de bout en bout, sans temps mort ni faiblesse. On pardonnera d’autant plus volontiers à l’auteur des ficelles beaucoup trop grosses, tel le rôle vraiment téléphoné de Sam, le concierge de l’école, ainsi que son ancienne identité excessivement capillotractée.
Un roman original et bien écrit, prenant de bout en bout, qui se poursuit avec Témoins en danger.04/04/2019 à 14:24 3
-
Shoot to kill
6/10 … ou comment le jeune James Bond, alors âgé de 15 ans, va être confronté à un complot impliquant gangsters américains et milieux interlopes du cinéma. J’étais assez intrigué par ce concept d’enfance de James Bond, amorcée par Charlie Higson et poursuivie par Steve Cole, dont il s’agit ici de sa première « intervention » dans cette saga. Indéniablement, il y a du rythme dans ce livre. Des courses-poursuites, de l’action, du suspense, et des événements qui s’enchaînent vraiment bien. Cela commence déjà par une confrontation entre James Bond et des rivaux dans son école, rivaux menés par une sale petite peste, avec d’entrée de jeu quelques cascades sympathiques. Par la suite, pas mal d’événements très visuels : des mises à mort filmées en direct, la découverte d’une sinistre bobine de film, un voyage dans un dirigeable, une journaliste aux dents longues, des membres de la pègre et des agents de sécurité zélés et malveillants, des chantages en pagaille et pas mal de blessés et de morts au passage (mais tout ça reste dans le cadre de la décence d’un roman destiné à la jeunesse). De l’humour dans quelques dialogues, assez décontractés, ainsi qu’un jeune nain dont le nom de famille est Grande. James Bond va donc devoir se frotter à une machination qui n’est pas spécialement singulière ni marquante, mais qui suffit amplement en tant que socle du roman. Après, si je ne peux pas vraiment bouder mon plaisir de cette lecture distractive et tout sauf inintéressante, je suis tout de même dubitatif quant à l’appellation « La jeunesse de James Bond ». Je n’ai jamais lu les ouvrages de Ian Fleming (oui, honte à moi…), mais d’après ce que j’en ai lu, notamment dans les avis de l’ami Athanagor, le personnage est très éloigné de l’image que l’on en a après avoir vu les films issus de cette saga. Donc, après avoir achevé la dernière page de ce « Shoot to Kill », j’ai un peu de mal à me dire que ce protagoniste qui s’est tant débattu sous mes yeux était l’adolescent qui allait devenir cette icône cinématographique. Qui est James Bond pour la majorité des gens, dont je fais partie, qui ont vu les films ? Un grand espion, séducteur, confronté à des machinations ainsi qu’à des ennemis retors et létaux, qui utilise des gadgets, non ? Ici, on en est très loin, même s’il s’agissait, encore une fois, d’un ado. Athanagor dit que James, dans le premier livre où il apparaissait, était « misogyne, fumeur, buveur, fébrile, douteux » : il n’en est rien ici. Et il ne ressemble pas non plus à la référence du septième art. Alors, au-delà de sa confrontation à de très sales types qui ont ourdi un plan pas trop mal vu, j’ai souvent eu l’impression de lire un ersatz de CHERUB et consorts, mais certainement pas un James Bond en culotte plus ou moins courte. Curieux arrière-goût que cela me laisse en bouche, du coup : c’est comme assister à la pousse d’un arbre privé de ses racines autoproclamées, façon hydroponie, ou comme une greffe inachevée et imparfaite, sans que les deux éléments organiques ne soient réellement accordés. Oh, et un détail en passant : Steve Cole dit bien que cela se déroule durant la jeunesse de James Bond, mais sans la moindre référence historique explicite. Les adultes comprendront rapidement, après un rapide calcul mental, que cela se passe vraisemblablement dans les années 1930 en raison de quelques éléments historiques (la montée du nazisme) et techniques (les voitures de l’époque, l’emploi du zeppelin pour traverser l’Atlantique, ou les formats des pellicules employées pour le cinéma), mais je suis persuadé que nombre de jeunes lecteurs ne tilteront pas tout de suite, voire pas du tout, au fait que toute l’action se déroule il y a près de quatre-vingts ans. Et ça n'aurait donc pas été un luxe que de le préciser !
01/04/2019 à 17:23 1
-
Le grand amour du bibliothécaire
6/10 … ou comment le gentil Fulbert, bibliothécaire dans le village de Tire-la-Chevillette, en vient à se transformer (et modifier ses pratiques professionnelles) quand il s’éprend de Rose-Marie, une jeune et jolie femme venue passer les vacances dans le bourg. Il faut dire que Fulbert, dans sa bibliothèque, n’a qu’un seul livre, sur le jardinage, et encore, relié par une grosse chaîne au mur afin qu’on ne puisse pas le lui emprunter. Fulbert trouve que « les livres ça fait désordre et ça prend la poussière », mais parce qu’il veut faire plaisir à Rose-Marie et l’attirer dans son antre, il va se mettre à acheter un autre ouvrage, puis un autre, etc. Autant le dire : c’est vraiment un opus pour les (très) jeunes lecteurs, en raison de son vocabulaire (simplissime), son sujet bien aimable, et sa concision (une quarantaine de pages, avec de grosses lettres et pas mal d’illustrations), et les adultes n’y trouveront probablement pas leur bonheur. En revanche, avec son humour (les doléances des cinq membres du conseil municipal face au maire sont cocasses), ses lapidaires péripéties (l’intervention de trois bandits qui en viennent à vouloir cambrioler la bibliothèque) et les amours complaisamment naïves entre Fulbert et Rose-Marie sauront séduire, d’autant que la morale de l’histoire, évident renversement de situation par rapport à celle du début, est vraiment réjouissante. Bref, c’est sympathique pour les débutants de la lecture, attachant et distractif, mais cela ne va guère au-delà pour les autres lectorats.
01/04/2019 à 17:20 1
-
La Fiancée du Nil
6/10 … ou le périple tumultueux du jeune Kamosé dans l’Egypte de Ramsès II. Il voit ses parents dépouillés de leur maison par un soldat, Sétek, revenu de guerre, et à qui le Pharaon a octroyé le droit de se saisir de ces terres. Furieux, Kamosé ira jusqu’à Thèbes pour consulter le cadastre, protégé dans un temple sacré, afin de démontrer l’injustice. Christian Jacq, expert de l’Egypte antique, maîtrise indéniablement son sujet et sait le rendre vivant. Le lecteur assistera donc à de bien jolies scènes, comme le cortège de Ramsès II à bord d’un bateau ou encore une fête agricole, « La Fiancée du Nil », qui donne donc son nom à l’ouvrage. Les mots sont simples mais évocateurs, et il ne faut pas oublier que ce livre de 1996 cible les jeunes lecteurs. Kamosé, en jeune homme enflammé, courageux et obstiné, devra redoubler d’efforts pour parvenir à son objectif. Il deviendra ainsi tailleur et menuisier, puis scribe, grâce à un octogénaire, l’Ancien, maître ès hiéroglyphes. C’est ainsi qu’il parviendra à se rapprocher de la vérité, quitte à aller demander audience auprès du Pharaon lui-même. Dans le même temps, Kamosé va s’amouracher de Nofret, jeune prêtresse de Hathor, une déesse, qui est également la fille du juge Rensi qui saura lui être utile dans ses démarches. C’est un joli portrait de l’Egypte de cette époque, concis, recentré sur l’intrigue, qui débouchera d’ailleurs sur un rebondissement intéressant et imprévu. Il y a aussi un peu du mysticisme et de la spiritualité dans ces mots, notamment lors de l’expérience que vit Kamosé grâce à l’Ancien, le dernier tour de magie de Nofret, ou cette bienveillance des dieux vis-à-vis de notre héros. Je regrette en revanche quelques raccourcis, scénaristiques principalement, probablement liés à la brièveté du roman, un angélisme béat face à la société égyptienne antique malgré quelques références à l’injustice sociale et à la toute-puissance de certaines professions et « castes », une inclination beaucoup trop fleur bleue entre Kamosé et Nofret qui tient de la bluette sans grande âme, et des dialogues parfois attendus et trop apprêtés. En bref, dans l’ensemble, un opus agréable à lire, parfois instructif, dont le maniérisme et une certaine forme d’académisme m’ont parfois dérangé, mais que les jeunes pardonneront probablement.
01/04/2019 à 17:19 3
-
Balade entre les tombes
8/10 Le détective privé Matt Scudder, ancien flic alcoolique responsable de la mort d’un enfant alors qu’il était en état d’ébriété avancé, reçoit un appel émanant de Kenan Khoury. Sa femme a été enlevée et les kidnappeurs, au lieu de la lui rendre vivante après paiement de la rançon, la lui ont rendue découpée en morceaux dans le coffre d’une voiture. Pour Matt, c’est le début d’une longue investigation qui va le mener à affronter deux êtres d’une rare perversité.
Ce roman de Lawrence Block, le dixième opus de la série consacrée à Matt Scudder, fait froid dans le dos. Il commence par l’enlèvement de Francine Khoury, les tractations avec les kidnappeurs et la découverte du corps monstrueusement martyrisé, et s’achève avec une nouvelle vague de violences barbares. Entre ces parenthèses de terreur, une enquête sinueuse, crédible, où notre limier va se faire aider par des personnages croustillants, notamment TJ, adolescent noir au vocabulaire acidulé, au courage remarquable et à l’humour grinçant. Une investigation scrupuleuse, loin de certains clichés qui fleurissent dans nombre de romans où les coïncidences, épisodes invraisemblables et autres rebondissements téléphonés pullulent. D’ailleurs, de téléphone, il en est amplement question, avec une longue entreprise menée par Matt et d’autres collaborateurs pour essayer de retracer quelle cabine téléphonique a été utilisée par les monstres. Un duo de psychopathes, multirécidivistes, d’une incroyable sauvagerie, dans les actes desquels se mêlent sexe, sadisme et mutilations pratiquées comme on découperait une tranche de viande. Une paire de prédateurs mémorable, d’autant plus inquiétante et inoubliable que sa dépravation sonne de façon très crédible. Si certains passages risquent de paraître un peu longs pour certains, indéniablement, Lawrence Block maîtrise son sujet au cours de ce roman noir brûlant qui se termine, comme on l’a évoqué précédemment, sur une scène du talion que l’on ne pourra pas oublier. Des paroles continueront d’ailleurs longtemps de résonner à nos oreilles, comme ces tirades, confession de l’un des tortionnaires, inouïes de férocité et d’inhumanité : « Les femmes. Elles ne sont pas réelles. Ce sont des jouets, c’est tout. Quand vous prenez un hamburger, êtes-vous en train de manger une vache ? Bien sûr que non. Vous mangez un hamburger. », ou « Quand elle marche dans la rue, c’est une femme. Mais à l’instant où elle monte dans la camionnette, c’est fini. Ce n’est plus que des pièces détachées. »
Un ouvrage d’une immense noirceur, parfois un peu trop bavard, mais dont on ressort essoufflé et perclus de douleurs morales, puisque l’on a vu passer, sous nos yeux médusés, un torrent de monstruosités et de bestialités.25/03/2019 à 18:33 3
-
A la recherche d'Affelok
7/10 A la ducasse de Saint-Omer, les membres du Clan du Hip-Hop vivent d’agréables moments dans les attractions. Mais Nicolas y perd son porte-monnaie : le début, pourtant anodin, d’une série d’événements qui va conduire notre équipe de gamins à prouver l’innocence d’Elvis, un SDF.
Après Le Mystère de l’abbaye et Micmac cabots, Christine Vauchel livre ici le troisième tome des enquêtes du Clan du Hip-Hop. Le ton y est très badin, typique de l’innocence de nos trois intrépides camarades, dont le ralliement s’exprime ainsi : « Yo tope là, l’amitié n’attend pas, les copains d’abord, les copains d’accord ! ». Si la disparition du porte-monnaie de Nicolas peut sembler, de prime abord assez anodine pour bâtir une intrigue policière, d’autres éléments vont venir s’y agglomérer et constituer un ensemble solide : l’étrange comportement de Pierre, l’oncle de Nicolas, un pauvre hère en la personne d’Elvis, un cambriolage trop facile dans un musée et la disparition d’une statuette qui donne son nom au livre. Christine Vauchel parvient sans le moindre mal à lier ces données disparates et emmène sans mal les lecteurs, nécessairement jeunes, vers l’épilogue de ce roman habile et décontracté. L’humour est bien présent, capable de réjouir le public auquel se destine l’ouvrage, et même si certains passages sont un peu attendus et l’intrigue policière parfois trop vite expédiée, c’est un petit délice.
Christine Vauchel poursuit donc sa série avec un plaisir qu’elle communique à ses lecteurs, et l’on ne pourra ainsi que chercher une autre sympathique heure de lecture avec le quatrième tome de la série, Phoque en série.25/03/2019 à 18:30 2
-
Si vulnérable
8/10 Une famille présentant tous les atours du bonheur et de la joie de vivre, mais tout d’un coup, le père sombre dans la folie et abat ses enfants et sa femme avant de se suicider. Parce que c’est sa spécialité et qu’il a du mal à croire à un tel scénario, Lauri Kivi, journaliste au Suomen Sanomat, va mener l’enquête et progressivement découvrir qu’un tueur en série pourrait bien être le responsable de cette tuerie… comme de tant d’autres auparavant.
Et dire que ce roman de Simo Hiltunen n’est que son premier. Dès l’entame de l’ouvrage, on comprend rapidement et sans mal que l’auteur domine son sujet avec un brio rare. L’écriture est remarquable, forte d’humanité, recherchée, aiguisée jusque dans ses dialogues, et c’est ainsi avec plaisir que l’on se laisse prendre par ces mots. L’intrigue est également habilement imaginée et charpentée, avec de multiples rebondissements jusque dans les ultimes pages, où Lauri sera tour à tour un enquêteur tenace puis une proie de la police avant d’affronter le monstre dans un huis clos anxiogène. Mais ce qui retient le plus l’attention dans ce livre, c’est l’accent que Simo Hiltunen a porté sur ses personnages. Des individus fracassés, maltraités, autrefois victimes et reproduisant le schéma de la violence sur les générations suivantes pour se commuer en bourreaux. A cet égard, notre reporter est révélateur de la vision assez sombre de l’écrivain. Il a été victime d’un père particulièrement barbare, lui-même souffre-douleur de son propre paternel, et battu comme plâtre avec des couvercles de cuisine au point de l’avoir rendu en partie sourd et de devoir porter une prothèse auditive. Il a eu une fille mais s’est montré si débordant de rage et de mauvais comportements qu’il a abandonné sa compagne et son enfant, sans jamais plus s’en occuper, laissant cette dernière, Aava, grandir loin de lui jusqu’à devenir une star de la pop finlandaise. Quant à son frère, Tuomas, il a quitté le foyer familial et a disparu dans la nature. Des portraits éclatés pour des existences fracturées, dupliquant la violence dont ces personnages ont été les cibles sur leurs proches ou rejetons, avant, parfois, ou trop peu souvent, un éclair de lucidité et l’abandon des armes. Si cet opus est un pur régal littéraire, on pourrait lui reprocher quelques menues langueurs voire lenteurs dans les épisodes retraçant le passé des protagonistes, ainsi qu’un final un peu trop hollywoodien dans la forme.
Une représentation singulièrement ténébreuse de notre société, où les êtres vulnérables risquent de devenir, à leur tour, des loups et des tortionnaires, même si Simo Hiltunen apporte une touche d’espoir dans les dernières pages de ce roman, glacé et glaçant, et remarquable de maîtrise.25/03/2019 à 18:27 4
-
Dans la peau de Sam
6/10 … ou comment Charlie, une adolescente très populaire dans son collège, et Sam, looser intégral toujours mal attifé, en viennent, à cause d’une machine exploitée dans un parc d’attraction, à échanger leurs corps. J’ai déjà lu un roman de Camille Brissot que j’avais bien aimé (« Le Manoir aux secrets »), et j’ai voulu tenter l’aventure d’un autre de ses ouvrages, dans un genre bien différent. Ici, les jeunes auxquels se destine celui-ci ne seront pas dépaysés : des personnages qui leur parleront, des situations sympathiques, et des moments plutôt bien sentis. Bien évidemment, nous avons droit à une juste morale et des observations pleines de probité sur les relations à autrui, l’empathie, le rejet des critiques sur le physique ou les vêtements, ainsi que sur les nécessaires relations cordiales dans une famille. A ce niveau, c’est indéniable, ça sonne bien, les effets ne sont pas correctement amenés, et l’on ne peut que recommander une telle lecture à des gamins, genre collégiens. Après, pour ma part, j’ai été un peu déçu par la forme : pas beaucoup de moments inattendus, d’autres très voire trop téléphonés, pas d’instants mémorables, et une « bien-pensance » (j’utilise ces guillemets à dessein, parce que le respect et l’humanité sont des valeurs impérieuses) qui est parfois étalée à la truelle plutôt que finement, ce qui a parfois desservi le récit et les conséquences/conclusions/vertus attendues. Bref, un fond que nul ne pourra véritablement contester tant il est important et porteur de cohésion dans la société et les établissements publics, mais une forme à propos de laquelle je suis bien plus dubitatif, sans surprise et sans réelle saveur.
24/03/2019 à 11:33 1
-
Comment j'ai rencontré mon monstre
6/10 … ou les déboires de Noah – dit « Ben » – Benstock, harcelé dans ses nuits par des visions de monstres qui l’assasillent tandis que le jour, il est devenu la proie d’Harlan, une petite frappe qui lui chipe régulièrement sa nourriture. Et quand Ben fait la connaissance de Monroe avec lequel il devient vite ami, on se doute, avec R. L. Stine, que ça va déraper dans le fantastique : bingo, puisque Ben commence à soupçonner Monroe d’être un monstre. Toujours cette rythmique typique de l’écrivain, avec des chapitres courts, des cliffhangers en fin de chapitres (aboutissant souvent à une farce ou une erreur d’appréciation du héros, ce qui est parfois fatiguant, parce qu’une ou deux fois, ça passe, mais trop réitéré, ça tourne à l’ennui en plus de devenir finalement contreproductif car le suspense n’opère plus), et des personnages archétypes auxquels le jeune lectorat saura immédiatement s’identifier. J’ai trouvé l’écriture de R. L. Stine plus « mûre » que d’habitude, plus dense (non pas qu’il en soit incapable, mais il m’a semblé que son style s’adresse ici à des lecteurs un poil plus âgés), avec son lot de gentils frissons qui sauront imprégner la mèche. Pour ce qui est de l’histoire, on est en terrain connu : des monstres, des retournements de situation, des fausses pistes, et la révélation finale, que j’ai vue venir (le coup de l’anagramme était trop visible et téléphoné à mes yeux). Bref, on est dans du Stine pur jus, classique mais efficace pour celles et ceux qui ont apprécié ses précédents ouvrages, et même si cet opus ne remporte pas la palme de l’originalité ou de l’efficacité, il n’en constitue pas moins un bon moment de lecture, relaxant et distrayant.
24/03/2019 à 11:32 1