El Marco Modérateur

3584 votes

  • Tu me dois un meurtre

    Eileen Cook

    8/10 Kim, adolescente, participe à un voyage culturel avec quelques-uns de ses camarades, direction l’Angleterre. Dans l’avion qui la mène à l’aéroport d’Heathrow, elle se lie avec une fille de son âge, Nicki. Kim n’a alors à la bouche qu’une seule obsession : Connor, son ex, qui est en train de s’amuser avec sa nouvelle copine, Miriam. De fil en aiguille, sur le ton de la plaisanterie, Nicki propose à Kim de se débarrasser de Connor, en échange de quoi Kim tuera la mère de Nicki. Une boutade ? Vraiment ? Quand Connor meurt dans le métro, bousculé du quai et happé par la rame, le doute est permis…

    Si ce pitch vous rappelle furieusement quelque chose, c’est normal : Patricia Highsmith avait déjà imaginé ce troc de meurtres dans son roman L’Inconnu du Nord-Express, adapté au cinéma par Alfred Hitchcock. Mais Eileen Cook ne se contente pas d’une simple relecture, scolaire, et propose une œuvre à part entière, rajeunie et réinventée. Immédiatement, on est séduit par le style de l’écrivaine, très à l’aise dans les descriptions, les portraits moraux et les dialogues. Kim, en ado un peu perdue, fragilisée par la rupture récente avec Connor – qui s’avèrera être un véritable goujat – et ayant eu le tort de prendre la proposition de cette Nicki pour une plaisanterie, séduit. Les autres personnages sont également très naturels et bien sentis, notamment Alex, gentil geek à l’humour irrésistible, solide et au cœur tendre, dont Kim ne va pas tarder à s’éprendre. La structure du roman est une réussite totale, les engrenages apparaissant progressivement et s’emboîtant à merveille, plongeant notre héroïne dans l’incertitude, la paranoïa, une certaine folie, et même à deux doigts de la violence. Succombera-t-elle à cette tentatrice ténébreuse qu’est Nicki ? Saura-t-elle éviter les pièges – nombreux et machiavéliques – qu’elle va lui tendre ? D’ailleurs, jusqu’où va être capable d’aller cette inconnue si malintentionnée ? Le final, en plusieurs temps, éblouit, d’autant que certains éléments, absolument inattendus, ne manqueront pas de séduire. D’ailleurs, il est à noter que, même si Eileen Cook s’adresse en priorité à de jeunes lecteurs, le ton est suffisamment mature, l’intrigue dense et tendue, et l’écriture aiguisée pour passionner des adultes.

    Un livre fort et efficace, toujours crédible, ne cédant jamais aux sirènes des effets faciles, et qui se suit de bout en bout le souffle court. Une structure littéraire implacable pour une réussite totale.

    04/06/2021 à 07:18 1

  • Le Banquier aveugle

    Mark Gatiss, Jay, Steven Moffat

    8/10 J’avais lu et apprécié le premier tome de cette série il y a environ quatre années, et je retrouve avec plaisir cette esthétique si particulière qui unie l’univers du manga et celui de la série télévisée. De l’humour (d’entrée de jeu, le décalage entre Watson en train de se débattre à la caisse automatique d’une supérette et Holmes bataillant physiquement avec un adversaire en toge), une chouette intrigue (au départ, une effraction dans une banque, avec un symbole laissé sur le mur et une peinture rayée au niveau des yeux du personnage, puis un meurtre maquillé en suicide et un journaliste abattu, puis des graffitis, des cryptogrammes, un gang chinois, etc.), de l’énergie, et toujours ce plaisir, délectable, de renouer tout autant avec le personnage de Sherlock Holmes qu’avec son avatar télévisuel, Benedict Cumberbatch. Un bonbon.

    03/06/2021 à 19:42 1

  • Amerika Bomber

    Maza, Richard D. Nolane

    8/10 L’histoire reprend au-dessus de l’Antarctique, le 8 février 1947. Les combats se poursuivent de plus belle entre Allemands et Alliés. Le « truc sous la glace » comme le dit l’un des ingénieurs se manifeste enfin avec un puissant geyser d’une énergie visiblement magnétique qui va faire de sacrés dégâts. A la marge, quelques éléments un peu gros (comme l’attaque de l’orque comme du calamar géant dans le tome précédent), mais l’ensemble demeure très efficace, avec une première plongée dans le forage et la remontée d’un cameraman.

    02/06/2021 à 18:49 1

  • Jour de colère

    Caryl Férey

    7/10 Après une belle dispute, la mère d’Adrien – le narrateur – et Chloé, sa sœur de trois ans et demi, partent chez une amie, Dominique, sans que le mari et père ne soit du voyage. Parce qu’il s’ennuie ferme et que son papa lui manque, Adrien décide de faire une fugue pour retrouver son paternel, et il va croiser la route de Joël, ancien boxeur au physique disgracieux.
    Une nouvelle particulièrement courte, écrite pour les très jeunes ou mauvais lecteurs, où l’émotion vient poindre avec une grande économie de moyens et de ressorts. Un récit simple mais jamais simpliste, qui évite la happy end douceâtre et parlera probablement au lectorat auquel il s’adresse. J’ai découvert cette collection par hasard et je vais continuer son exploration, dans la mesure où quelques auteurs de polars y ont semé des ouvrages.

    01/06/2021 à 20:14 1

  • Derniers sacrements

    M. J. Arlidge

    9/10 Kassandra Alicja Marta Wojcek, dite Kassie, n’a que quinze ans mais elle vit déjà une terrible épreuve : elle est capable, après avoir regardé quelqu’un, de savoir quand et comment cette personne va mourir. Un fardeau épouvantable, et qui vient récemment de se matérialiser à nouveau : elle a percuté Jacob Jones, adjoint au procureur, dans une rue et elle sait déjà qu’il va périr d’une façon atroce. Il va en effet être la victime d’un ignoble tueur en série qui va se mettre à tourner autour de l’adolescente. Le psychologue Adam Brandt pourra-t-il l’aider à survivre à ce prédateur ? Mais en a-t-elle seulement envie ?

    De M. J. Ardlige, on connaît déjà l’excellente série consacrée à Helen Grace, et c’est avec appétit que l’on se rue sur cet opus, un one shot de quelque cinq-cents-soixante pages. Lorsque l’on analyse le pitch, on semble avoir déjà vu ou lu nombre des éléments présentés. Un tueur en série qui se rapproche de l’héroïne, un don presque surnaturel qui se commue en malédiction, etc. Cependant, c’est oublier que l’auteur est passé maître dans les thrillers. D’entrée de jeu, on retrouve le tempo échevelé qui constitue l’une des signatures de M. J. Ardlige, avec des chapitres extrêmement courts et enlevés (cent-cinquante-et-un). Le suspense est habilement entretenu au gré de ce récit fort et efficace, très cinématographique sans pour autant tomber dans les travers du genre, sans la moindre fusillade abracadabrante ni effet téléphoné. Kassie, consommatrice de drogue depuis l’âge de ses onze ans, vivant avec sa mère très pieuse et attachée à sa grand-mère atteinte de sénilité, est aussitôt sympathique avec ce talent si particulier, proche de la médiumnité, incapable de vivre avec cette aptitude qui la ronge puisqu’elle ne peut rien faire pour venir en aide aux victimes, leur sort étant déjà scellé. Dans le même temps, Adam compose un psychologue très attachant, vivant en couple avec Faith, une peintre enceinte. Sans rien divulguer, M. J. Ardlige se distingue de bien d’autres avec sa propension à proposer un récit fougueux, sans le moindre temps mort, alternant les points de vue entre les divers protagonistes. Loin de n’être qu’un remarquable rythmicien, il propose également de belles envolées humaines, poignantes et marquantes, qui toucheront notamment Adam, avec des passages d’une rare densité émouvante. Et il y a ce final, remarquable, inattendu, mémorable, achevant de faire de cet opus un immense moment de lecture, allant bien au-delà du simple livre distractif.

    Un écrivain déjà reconnu pour sa maîtrise du suspense, et qui a l’audace de quitter sa zone de confort pour nous offrir un roman tout aussi brillant que les précédents : non seulement le geste est à applaudir, mais le résultat est un pur coup de maître.

    01/06/2021 à 07:05 7

  • Les Archers

    Grzegorz Rosinski, Jean Van Hamme

    6/10 Dans la nuit, deux silhouettes viennent de pénétrer dans la tour sacrée de Kerridwen, emportant avec elles la « pierre de sang ». La barque de Tjall-le-fougueux heurte celle de Thorgal, et, rescapés, ils s’orientent vers un concours de tir à l’arc. Une série d’épreuves pour divers archers, dont Thorgal bien évidemment, pour un opus plaisant mais sans plus, qui a tout de même le mérite d’introduire de nouveaux personnages qui, si j’en juge par le résumé de l’épisode suivant, vont continuer d’apparaître, ce qui apporte un peu de sang neuf à la série tout en offrant, dans le cas de cette BD, un agréable entracte.

    30/05/2021 à 15:15 2

  • Le Pays Qâ

    Grzegorz Rosinski, Jean Van Hamme

    7/10 Alors qu’ils étaient en train de chasser, Pied-d’Arbre et Jolan sont enlevés, et c’est alors que Kriss de Valnor fait sa réapparition. Elle propose à Thorgal et à Aaricia un pacte : l’aider à mener une mission en échange de la libération des deux kidnappés. Une histoire originale et prenante, avec une dizaine de pages en flashback avec cette histoire d’homme-Dieu (Ogotaï) sorti des eaux et qui a poussé un peuple entier (très typé maya) à l’esclavage pour de sombres desseins, et quelques scènes marquantes (comme ce bateau volant), pour une BD inachevée se poursuivant avec « Les Yeux de Tanatocl » : je serai bien évidemment au rendez-vous de ce futur et onzième opus de la série.

    30/05/2021 à 15:13 1

  • Crying Freeman tome 3

    Ryoichi Ikegami , Kazuo Koike

    7/10 Je retrouve l’univers délicieux de cette série, si plaisamment surannée, avec ce tueur à gages aussi intrépide qu’ingénieux, expert ès poisons volatils. C’est rafraîchissant et très agréable à suivre, même s’il y a quelques éléments sacrément gros (un sous-marin privé qui vient les chercher, le CF qui saute à l’eau pour se fritter avec un requin, sans compter cette curieuse habitude pour tout le monde de se balader à poil, même quand il s’agit de prendre une maison d’assaut…). Buyasan, en femme immense, obsèse, et petite-fille des malfaisants, retient l’attention, et son combat face au CF pour l’héritage des « 108 dragons » tient toutes ses promesses.

    30/05/2021 à 10:02 1

  • Détective Conan Tome 84

    Gosho Aoyama

    7/10 Suite et fin de la précédente histoire dans le parc marin : notre jeune limier va remarquer quelque d’anormal – et très bien pensé – au niveau des vidéos enregistrées sur les téléphones portables. Une résolution sacrément maligne. Puis un concours de cerfs-volants au cours duquel un homme tombe par accident dans le fleuve, mais est-ce réellement un accident ? Un cadre original pour une péripétie simple mais plaisante et efficace. Ensuite, une histoire dans un hôpital où une femme meurt empoisonnée après avoir ingurgité de l’acide prussique placé dans son thé où la couleur de la boisson va jouer un rôle prépondérant… et fort singulier. Enfin, une chute dans un escalier pour une enseignante autour de laquelle planent des histoires de harcèlement, de notes sur des copies et du FBI : un peu foutraque, on en trouvera la résolution dans l’ouvrage suivant. Bref, sans être renversant, ce 84ème opus se montre varié et prenant.

    29/05/2021 à 18:22 1

  • 30 rouge pair, passe

    Charles Richebourg

    4/10 Prosper Meunier prend le métro du côté de Pigalle, et ce pickpocket prend le portefeuille d’une belle et digne dame où il trouve ensuite 89800 francs. Curieux hasard : c’est justement la somme qu’il avait dans son propre portefeuille. Conclusion évidente : la femme est une voleuse patentée et rouée qui lui avait chipé son larfeuille. Attiré par le « professionnalisme » de cette inconnue, il la retrouve près d’un champ de courses, et Prosper propose à Madeleine, dite « Mado les mains d’or », d’unir leurs compétences.
    Une nouvelle qui commence plutôt bien, avec un ton enjoué, un argot divertissant, des dialogues à la Audiard, mais le reste du récit est bien moins folichon : quelques larcins dans des trains, des bavardages également, et une connaissance commune va conduire notre binôme de voleurs vers d’improbables péripéties. Une succession sans grande saveur de saynètes, un scénario tellement distendu que j’ai failli à de nombreuses reprises lâcher l’affaire, et une conclusion à peine gentillette après un coup juteux – et pas crédible pour deux sous – au casino de Monaco. A mes yeux, rien de bien fameux malgré la forme originale et cocasse, comme si l’auteur, Charles Richebourg, écrivait au fur et à mesure que les idées devaient lui apparaître… sans pour autant émerger. Bref, une déception, presque un gâchis.

    29/05/2021 à 10:13 1

  • La Disparition de Josef Mengele

    Olivier Guez

    9/10 … ou, comme son titre ne l’indique pas nécessairement, Olivier Guez retrace la trajectoire chaotique de Josef Mengele en Amérique du Sud, le sinistre « ange de la mort » qui a sévi lors d’expérimentations ignobles, après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Découpé en trois parties (« Le Pacha », « Le Rat » et l’épilogue intitulé « Le Fantôme »), cet ouvrage à mi-chemin entre le roman et le documentaire est solidement campé sur une bibliographie sérieuse et à la véracité historique indéniable. Après des errements, Mengele – devenu Helmut Gregor – va finir par retrouver d’autres anciens nazis qui ont trouvé de l’autre côté de l’Atlantique un éden où nombre d’entre eux vont même prospérer. Ce qui est tout aussi passionnant que la réelle cavale du boucher, c’est, à mon sens, le contexte historique et la façon dont certains régimes politiques (notamment Juan Perón et Eva, ici décrits comme de piètres stratèges politiques, puissamment décadents et à l’échec final indéniable) ont cru pouvoir exploiter ces rebus de l’humanité en afin d’en tirer un profit personnel, technologique voire géostratégique. Avec des mots remarquables, oscillants entre ceux de la pure littérature et ceux de l’historien maître de son sujet, l’auteur dévoile diverses ficelles grâce auxquelles Mengele et d’autres séides du IIIe Reich ont d’abord cru pouvoir échapper à la légitime justice internationale, les accointances sordides, les cohabitations contraintes, et quelques hasards parfois heureux pour ces fuyards. Plusieurs fois, je me suis surpris à lire certains passages, fermer les yeux et les imaginer lus comme dans les documentaires du type « Apocalypse », et cette alchimie s’opérait, ce qui signifie donc que le mix fiction/réalité est très bien fait. Je me suis également surpris à éprouver une forme – très lointaine d’empathie pour cet homme, ignoble en raison de ses agissements passés, d’abord nabab et jouisseur, avant de devenir une loque humaine percluse de maladies et de vicissitudes physiques liées à son angoisse de se faire attraper, jusqu’à la baignade finale, létale. 83 chapitres remarquables, qui s’avalent à toute allure. Captivant et très didactique, je ne peux que chaudement recommander cet opus.

    27/05/2021 à 19:37 4

  • La cause était belle

    Lee Child

    8/10 … ou comment Jack Reacher, débarqué un peu par hasard dans un patelin du Nebraska, en vient à se confronter à la terrible et perverse famille des Duncan (qui contrôle la ville d’une main de fer) et à enquêter sur la disparition de la petite Margaret, évanouie dans la nature avec sa bicyclette un quart de siècle plus tôt. De Lee Child, j’avais déjà lu « Les Caves de la Maison blanche » et « La Faute à pas de chance », et je me suis vraiment régalé avec cet opus, plus qu’avec les deux précédemment cités. J’ai retrouvé un Reacher en pleine forme, diablement efficace tant du point de vue physique (un beau bestiau d’un mètre quatre-vingt-dix pour plus de cents kilos, expert en combat rapproché) qu’analytique (un sacré flair, un sens de la déduction remarquable, et une expérience des coups tordus qui lui inspire de beaux raisonnements). La clique des Duncan se montre ici particulièrement retorse, ayant sous la main ses « Cornhuskers », des sbires corporellement impressionnants mais parfois d’une bêtise insondable (« la nature humaine », ironise souvent Lee Child), tandis que trois autres groupuscules tirent les ficelles d’un trafic dont on n’apprend la teneur que dans les derniers chapitres. Pas de gros temps mort dans cette histoire menée tambour battant, avec pas mal de bastons, scènes d’action très cinématographiques et réparties du tac au tac parfois très drôles. Il y a également quelques moments plus poignants, plus émouvants, comme ces rares paroles de Reacher sortant de la grange pour en expliquer le contenu à son interlocutrice. J’ai un peu moins apprécié quelques longueurs pas nécessaires (intéressantes mais un peu longuettes, comme l’explication médicale de l’arrêt cardiaque) et le fait que les frictions puis affrontements entre les Italiens, Iraniens et autres soient finalement inutiles et rapidement expédiés. Au final, un pur blockbuster littéraire qui n’en oublie pas pour autant son âme, efficace en diable et percutant, idéal pour se distraire tout en portant en lui les germes d’une indéniable noirceur (je ne suis pas près d’oublier les saloperies des Duncan).

    26/05/2021 à 17:35 3

  • Cinq hommes tatoués

    Marcel Priollet

    7/10 Un homme, Ralph Sydney, vient rendre visite à Stary Hamilton afin qu’il soit protégé avec sa femme avec laquelle il n’est marié que depuis deux jours durant son périple sur la Côte d’Azur en échange de cinq mille francs. Parce qu’il manque cruellement d’agents pour l’aider dans cette tâche, Hamilton embauche sur-le-champ Sébastien Renard, un jeune homme un peu fanfaron mais qui semble prédisposé pour ce métier. Mais Sydney va échapper à la filature de Sébastien Renard à la faveur d’une bagarre avant que son corps ne soit retrouvé par des pêcheurs, un coup de couteau au cœur ayant provoqué la mort. Qui l’a assassiné et pourquoi ?
    Un texte fort court – même pour une nouvelle, assez sympathique et qui se laisse lire, où j’ai apprécié la gouaille de titi parisien et l’humour de Sébastien Renard, et l’intrigue tient également la route, sans rien réinventer mais avec honnêteté, où l’on remontera vers le passé de la victime via une histoire de tatouages, jusqu’à la Légion étrangère. Je vais continuer mon exploration des textes de la maison d’édition Oxymoron après cette agréable découverte.

    25/05/2021 à 18:59

  • Et tout sera silence

    Michel Moatti

    8/10 Le corps d’Anna Kaczor vient d’être retrouvé, un tournevis planté dans la tempe. Cela ressemble à un banal fait divers, jusqu’à ce que l’on se rende compte que la victime était impliquée dans des parties fines avec un membre de la Chambre des lords. Lynn Dunsday, web-reporter pour le Bumper n’est plus la journaliste fougueuse et zélée qu’elle a été, et sa relation avec le policier Andy Folsom ne lui permet pas non plus d’atteindre ses niveaux professionnels d’antan. Mais quand la piste d’un ignoble trafic de femmes d’Europe de l’Est remonte à la surface, voilà qui pourrait bien apporter à la jeune femme autant de motivation que de sueurs froides.

    De Michel Moatti, on avait déjà beaucoup apprécié Retour à Whitechapel, Blackout Baby ou Les Retournants, et voilà le deuxième opus de la série consacrée à Lynn Dunsday, après Tu n’auras pas peur. Le style prend aussitôt l’attention du lecteur, et le style, sobre, vif et très réussi, l’entraîne rapidement d’un chapitre à l’autre. On (re)découvre notre journaliste de choc, toujours aussi forte et affûtée, même si elle a un peu perdu de son entrain, mais cette sinistre affaire d’esclavage sexuel va la remettre sur les rails de la combativité. Alors qu’elle apprend qu’elle est enceinte, Lynn va également entrevoir dans cette affaire de femmes maltraitées et vouées à la prostitution forcée un moyen d’apaiser sa conscience professionnelle tout en se faisant la voix de celles qui ne peuvent pas parler. Et les pages sombres, violentes et sordides, apparaissent. Des remorques saturées de malheureuses à qui l’on a fait miroiter un eldorado occidental avant de déceler la réelle teneur du commerce : enlèvements, viols, violences, assassinats. Du fret humain. Des fournitures sexuelles. Des ventres sur pied. Des pages monstrueuses, insoutenables, mais qui ne tombent jamais dans le voyeurisme gratuit ou l’outrance stérile. Michel Moatti rappelle, dans ses notes finales, les sources qu’il a utilisées, et il suffit d’éplucher un peu ce que l’on trouve sur Internet pour se rendre compte que ce roman tient moins de la fiction que d’une immonde réalité. L’intrigue est très réussie, dense et prenante, et le récit s’achève sur une note d’espoir, l’indispensable respiration après de telles pages de noirceur.

    Un livre sans la moindre concession, âpre mais nécessaire, dont on ne peut que chaudement recommander la lecture, même s’il n’est pas à mettre entre toutes les mains. Le titre, « Et tout sera silence », ne peut décemment pas s’appliquer aux événements mis ici en exergue et que l’on doit, bien au contraire, dénoncer avec de puissants hurlements, qu’ils soient littéraires ou autres.

    25/05/2021 à 06:59 2

  • La Nuit des disparitions

    R. L. Stine

    2/10 Drew, douze ans, a encore en travers de la gorge une fête costumée qui s’est mal passée lors d’une précédente fête d’Halloween il y a deux ans de ça, au cours de laquelle on lui a joué, à elle ainsi qu’à d’autres jeunes un bien vilain tour, humiliant. Alors, avec trois amis, elle a décidé de se venger de Lee et de Tabby. Sauf que la mère de Drew s’y oppose : c’est toujours à Halloween que des enfants disparaissent. Elle finit par revenir sur sa décision, mais peut-être a-t-elle tort.
    J’ai rarement été autant déçu par un « Chair de poule » et d’accord avec l’avis de Mamboo. Jamais cette histoire ne décolle. Les préparatifs d’une longueur pesante, le flashback sans grand intérêt quand Drew et ses copains ont été salement moqués, les péripéties assez tartes où le côté surnaturel n’apparaît que tardivement (il faut attendre le chapitre 14, soit la page 67 pour lire « Jour J »). Là, on se dit que ça va attaquer d’autant plus fort que l’on a attendu très longtemps le changement de vitesse… mais même pas. Un chapelet de péripéties plutôt pénibles à lire tant elles sont téléphonées, et même les twists m’ont fait éprouver de la peine pour R. L. Stine : guère d’inventivité, pas de panache, platitude totale. L’explication finale sent la énième resucée de ce que l’on a déjà lu ou vu des centaines de fois ailleurs, au point que même l’auteur ne semble pas y croire. Comble de l’abattement : il n’y a aucun renversement de situation lors de l’épilogue comme on en a l’habitude, comme si R. L. Stine avait définitivement abandonné l’idée de surprendre ou de faire frissonner ses lecteurs. Bref, selon moi, ce véhicule littéraire a non seulement quitté la route, mais il s’est également envoyé dans le décor plein pot, et son conducteur semble même l’avoir volontairement poussé à l’accident tout en écrasant l’accélérateur.

    24/05/2021 à 18:15 1

  • Les Chasseurs

    Charlie Adlard, Robert Kirkman

    8/10 Un tome qui commence fort, avec des débats autour du fait s’il faut, ou non, tuer un enfant qui peut se montrer dangereux puis la rencontre avec un prêtre. La découverte avec des chasseurs aimablement cannibales, avec une apogée dans la violence crade dans de lourdes représailles finales, même si elles sont plus suggérées et évoquées que réellement visibles pour le lecteur, ainsi qu’un twist fort à propos de l’identité du meurtrier de Ben. Un opus d’autant plus fort, efficace et marquant que la férocité s’exerce entre les êtres humains.

    24/05/2021 à 08:33 2

  • L'Inhumation prématurée

    Edgar Allan Poe

    8/10 … ou comment le narrateur (est-ce directement Edgar Allan Poe ?) devise sur le fait d’être enterré vivant : les raisons de tels accidents, les sensations éprouvées par les victimes, les crises de catalepsie, etc. Effrayé à l’idée d’être, à son tour, enfermé dans un cercueil suite à l’une des crises de catalepsie dont il est malheureusement coutumier mais conscient, il va prendre diverses mesures pour être certain de ne jamais être enterré de son vivant, mais cela sera-t-il suffisant ? Une histoire magnifiquement écrite, jouant sur cette phobie qui doit être commune à nombre d’êtres humains même s’ils ne se sont jamais posé ouvertement la question, avec un final à tiroirs, jouant sur un flash-back intéressant et totalement inattendu. Une nouvelle très forte selon moi, très originale, préfigurant bien des décennies, voire un siècle et demi plus tôt, quelques films et romans ou scènes cinématographiques et littéraires.

    23/05/2021 à 17:50 3

  • 6000 tome 4

    Koike Nokuto

    6/10 Kengo et les autres membres sont toujours dans le complexe sous-marin « Cofdeece », et les créatures qui se pointent dans cet escalier déformé n’ont rien de rassurant, d’autant qu’une autre monstruosité et la perspective d’une asphyxie générale due au manque d’oxygène apparaissent. Mais des pistes pour parvenir à sortir de là apparaissent. Toujours de l’action et cette très bonne ambiance anxiogène, mais ce dernier tome m’a déçu pour deux raisons : trop peu d’éléments nouveaux y naissent (peut-être aurait-il fallu garder pour cet ultime opus les révélations quant aux sacrifices humains), et le final (c’est-à-dire les toutes dernières pages) est sans la moindre saveur.

    22/05/2021 à 08:24 1

  • Dragon Head tome 6

    Minetaro Mochizuki

    7/10 Cet opus reprend au moment précis où l’ancien s’achevait, dans la forêt avec des hommes armés. Ce jeune homme au crâne rasé, Kikuchi et les médicaments qu’on lui administre aiguisent l’attention. La découverte de la ferme saturée de cadavres dans cette ville détruite, ces inconnus prêts à faire un sacrifice avec Ako relancent mon intérêt pour la série après un petit coup de mou dans le précédent tome, même si je demeure nostalgique des épisodes dans le souterrain.

    21/05/2021 à 22:23 1

  • Toxoplasma

    Sabrina Calvo

    8/10 Dans un avenir très proche, l’île de Montréal a fait sécession et est désormais assiégée par l’armée fédérale. A l’intérieur s’est développée la Commune, sans connexion Internet, et défiante vis-à-vis du monde qui l’entoure, des milices et des troupes du Roy. Nikki Chanson, travaillant dans un vidéoclub spécialisé dans les films d’horreur, en vient à apprendre l’assassinat d’un raton laveur, découvert mutilé sur une balançoire. Parce qu’elle est fascinée par Sherlock Holmes et cherche à combler une existence assez vide, elle décide d’enquêter pour son propre compte. Avec ses amies Mommy, Kim et Mei, il se pourrait bien qu’elle mette rapidement le doigt sur quelque chose de beaucoup plus important, une affaire qui dépasse sa simple condition humaine.

    Sabrina Calvo nous fait rapidement basculer dans un univers décalé, presque déjanté, proche du cyberpunk, tout en conservant de solides attaches dans le réel tel que nous le connaissons. Nikki attire rapidement l’attention et happe le lecteur avec son caractère : loueuse de cassettes VHS, intarissable source d’informations sur les nanars cinématographiques, espiègle détective improvisée, elle se débat dans cette enclave que constitue l’île de Montréal aux côtés d’autres protagonistes essentiellement féminins. Dans le même temps, elle fait des rêves récurrents où elle se voit dans une forêt en lambeaux, et ses hallucinations répétées vont vite se révéler plus graves que de simples cauchemars. Dans ce récit, on admirera la plume de Sabrina Calvo, parfois déstructurée, parfois poétique, mais qui jamais ne lasse ni ne rebute. Les personnages hauts en couleurs ne manquent pas, et l’écrivaine intègre diverses pistes et autres bizarreries dans son histoire. Des exemples ? Un psychopathe dont la tête est une ruche, des virées en réalité virtuelle, des graffitis découverts à côté des rongeurs sacrifiés, de la ventriloquie avec une chaussette devenue pour l’occasion une marionnette, d’anciennes expériences psychiatriques sur des patientes, des Amérindiens, etc. Une lourde ambiance paranoïaque – presque schizophrénique – que ne renierait pas l’immense Philip K. Dick hante les trois-cent-soixante pages de cet ouvrage excentrique, aussi atypique que marquant, ponctué de reproductions des tags, et parcouru d’un souffle littéraire d’une grande impétuosité. Tout au plus pourra-t-on lui reprocher, à la marge, un léger manque d’explicitations finales, mais cette forme d’épilogue ouvert obligera le lectorat à se forger sa propre opinion quant à l’arcane des « trois sœurs » et le devenir de nos héroïnes.

    Un opus à tous les sens du terme merveilleux, qui a reçu le Grand prix de l'Imaginaire 2018 dans la catégorie Roman Francophone ainsi que le Prix Rosny Aîné la même année dans la catégorie Romans.

    19/05/2021 à 07:28 2