El Marco Modérateur

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  • Retour à Cambrai

    Marc Fourez

    8/10 Ancien juge d'instruction, Robert Delarue mène une vie paisible à Cambrai. Au cours d'une promenade avec son chien, il surprend un rendez-vous galant dont l'aspect secret l'amène à penser à une histoire d'amour adultérine. Mais quand il apprend, plus tard, que l'homme présent à cette entrevue a été retrouvé assassiné dans le coffre de sa voiture, le badin tourne à l'inquiétant. Il ne lui en faut pas plus pour commencer à instruire, même à titre privé.

    Premier roman de Marc Fourez, Retour à Cambrai constitue un très agréable récit. Les lieux et décors sont bien décrits, les personnages fouillés, les dialogues sonnent justes. On se prend vite de sympathie pour Robert Delarue, retraité au flair et à la logique remarquables, toujours élégant dans ses comportements, et espiègle dans ses relations avec son épouse. L'intrigue est de prime abord classique, mais la manière non linéaire dont elle est évoquée au lecteur ainsi que les nombreux rebondissements qui l'émaillent la rendent particulièrement prenante. Marc Fourez a un indéniable talent de conteur, et insuffle dans la narration comme dans ses protagonistes une forte bouffée d'un flegme presque britannique, à l'ancienne, que ne renierait pas une pointure du genre comme Agatha Christie. Au fil des pages, on croise des édiles au comportement hypocrite et condamnable, de bien belles femmes pour lesquelles Robert Delarue nourrit des réflexions amusantes, et l'intrigue se tisse de secrets de famille très crédibles. A la manière des récits de J. Wouters ou de Pierre Willi, l'histoire prend forme de manière parfaitement plausible, sans effusion de sang ni scène d'action échevelée, et se dénoue avec la révélation de l'identité du coupable, assez inattendue.

    Première œuvre, Retour à Cambrai n'est pourtant pas celle d'un débutant. Histoire vraisemblable, personnages attachants, plume délicate : ce livre de Marc Fourez mérite toutes les attentions. Il n'y a plus qu'à espérer de la part de l'écrivain d'autres romans de cet acabit.

    20/04/2011 à 18:08

  • Belles et putes

    Claude Ardid

    7/10 Un juge est assassiné à Toulon à coups de crucifix, un autre est grièvement blessé suite au plastiquage de sa voiture... Tout porte à croire qu'une mouvance sataniste est à l'origine de ces actes terroristes. Gabriel Lecouvreur, également connu sous le sobriquet du Poulpe, se rend sur place et découvre que ces sectaires sont également en pleine collusion avec l'extrême-droite locale. Ça va saigner !

    Cent-soixante-et-onzième opus du Poulpe, Belles et putes ne déroge pas à la règle érigée par l'initiateur de la série, Jean-Bernard Pouy : le ton est alerte et Gabriel toujours prompt à bastonner les fascisants. Les lieux et milieux décrits sont connus de l'auteur, Claude Ardid, qui a signé des œuvres sur l'assassinat de Yann Piat ainsi que sur l'extrême-droite. On ne peut pas dire que le lecteur va manquer d'action : explosions, fusillades, courses-poursuites, etc. Ça dézingue, cartonne et castagne fréquemment. Par ailleurs, le Poulpe affronte des ennemis particulièrement retors, en l'occurrence des séides de Satan, aux idéologies, rites et agissements détonnants : c'est à se demander s'il sait encore où donner du tentacule. Certes, on pourra objecter que le trait est parfois épais au niveau des personnages décrits, des cordes à nœuds font souvent office de ficelles scénaristiques, et certaines situations frisent le burlesque, mais ouvrir un roman mettant en scène Gabriel Lecouvreur, c'est aussi faire un choix, accepter un postulat. On en redemande quand il bousille du malfaisant, et l'appétit presque gamin avec lequel on dévore ses enquêtes est comparable à celui d'un cinéphile regardant une série B caricaturale à certains égards, mais terriblement efficace et détendante.

    Belles et putes constitue donc un ouvrage réjouissant si l'on consent à pardonner la patte parfois un peu lourde de Claude Ardid. Au fil des cent-quarante pages du livre, on passe un bien agréable moment de distraction pure et décomplexée. N'est-ce déjà pas en soi un gage de qualité ?

    14/04/2011 à 17:14 1

  • Il n'aurait pas tué Patience

    John Dickson Carr

    8/10 Edward Benton est retrouvé mort asphyxié dans une pièce hermétiquement fermée de l'intérieur, porte et fenêtres soigneusement closes par du papier collant. Il porte une trace de coup à la tempe et, à ses côtés, se trouve le cadavre de son serpent préféré, Patience. Si l'on vient d'abord à croire à un suicide, une question demeure sans réponse : pourquoi aurait-il emporté dans le trépas son reptile favori ? Et s'il s'agit d'un assassinat, comment le meurtrier aurait-il pu s'extraire d'une chambre parfaitement obstruée ? Il faudra à Henry Merrivale tout son flair pour résoudre ce problème.

    Grand spécialiste du meurtre réalisé en chambre close, John Dickson Carr signait en 1944 ce roman. A l'instar d'autres de ses œuvres plus célèbres, comme Trois cercueils se refermeront, La chambre ardente ou La flèche peinte, ce récit s'appuie sur une affaire qui apparaît insoluble : comment un tueur aurait-il pu perpétrer son méfait sans être dans la pièce au moment de l'assassinat ? Le langage est délicieusement suranné, et le récit est ponctué de nombreuses fausses pistes, d'autres n'étant qu'ébauchées avant d'être pleinement exploitées par la suite. Les personnages sont tous très bien campés, avec une ambiance générale qui allie le charme des œuvres d'Agatha Christie au style théâtral. Les protagonistes s'observent, se jaugent, se suspectent, les vieilles rancœurs familiales se percutent, le décor de Londres bombardé par les Allemands affûtant davantage la lourde ambiance. Comme il est indiqué dans la préface, John Dickson Carr souhaitait une résolution qui pourrait se faire en quelques lignes seulement, loin des longs énoncés. Et le miracle se produit à nouveau. Même les lecteurs aguerris ou habitués à ce type de démonstrations ne pourront qu'être ébahis devant l'esprit aiguisé de l'auteur pour rendre possible l'impossible.

    Sans constituer l'une des œuvres les plus connues de John Dickson Carr, Il n'aurait pas tué Patience n'en constitue pas moins un roman à énigme très efficace, sobre et réussi. La perspicacité d'Henry Merrivale est admirable, au même titre que son caractère emporté et espiègle. Un personnage que l'on a hâte de retrouver.

    14/04/2011 à 17:10

  • Suite Rouge

    François Boulay

    8/10 Quand il était adolescent, Salmon et ses camarades étaient envoûtés par Glinka, un pervers charismatique. Ce dernier multipliait les atrocités, les massacres, comme autant de rituels carnassiers. Puis le groupe a cherché à se séparer de l'emprise de Glinka. De manière radicale. En tuant ce leader démoniaque. Salmon s'en est chargé en dissimulant ce meurtre en accident. Près de vingt ans plus tard, Salmon cherche à refaire sa vie dans une maison isolée dans le massif des Maures auprès de ses deux filles et de Maria, sa compagne. Mais des signes inquiétants apparaissent : des animaux sacrifiés, un mort dont on ne retrouve pas le cadavre... Et si Glinka était encore en vie ?

    Après des thrillers comme Traces ou Les morceaux, François Boulay poursuit chez l'éditeur Télémaque avec ce roman très noir. L'histoire part sur une trame somme toute classique : un ancien séide qui pense être poursuivi par son gourou. Mais il serait bien naïf de résumer ce livre à cette simple amorce narrative, car cela reviendrait à ignorer l'écriture de l'auteur. François Boulay est un conteur au talent remarquable, dont le style s'illustre en chaque situation : portraits psychologiques, ambiances lourdes de ténèbres, paranoïa, décors peuplés de spectres... En environ deux-cents-soixante pages, l'écrivain tisse une immense toile d'araignée, épaisse et plausible, angoissante, jusqu'à ce que le monstre sorte enfin de son antre pour montrer ses chélicères. François Boulay injecte une incroyable noirceur dans sa plume avant l'ultime décharge de venin. Tous les personnages sont inquiétants, hantés par des démons qui ne demandent qu'à jaillir pour assaillir les vivants. On frémit avec les protagonistes, on doute de leur innocence, et dans ce dédale habité de bêtes tapies dans l'ombre, la vérité finit par éclater. Si la révélation de l'identité du comploteur peut ne pas être une surprise de taille pour certains lecteurs chevronnés, elle traduit néanmoins la clef de voûte d'un récit méphitique et prenant, en plus de créer un lien inattendu avec l'une de ses précédentes œuvres.

    Suite rouge est donc un thriller solidement bâti, sombre et inquiétant. Une nouvelle réussite de la part de François Boulay qui est décidément un auteur à suivre de près.

    07/04/2011 à 16:15

  • Le puits de la perversion

    Michel Vigneron

    9/10 Le capitaine Orca tente de mener sa tâche de policier dans le Nord, mais les crimes auxquels il est confronté chaque jour le plongent dans un désarroi sans nom. Femmes tabassées par leurs maris, enfants martyrisés, vieillards ligotés et maltraités pour leur faire avouer où se trouve leur pécule... Il y a de quoi craquer. D'ailleurs, il lui arrive de braver les interdits et devenir le rédempteur sans nom de ces victimes anonymes. Quand une interpellation tourne mal et lui fait côtoyer le trépas, il ressort de cette expérience de mort imminente avec une mission : extraire des griffes de deux détraqués sexuels un jeune manouche. Mais en plongeant dans la tanière de la barbarie, il est plus que probable qu'il n'en sortira pas indemne.

    Après Maryline de Boulogne et Boulogne K, Michel Vigneron poursuit la descente aux enfers de ses protagonistes aux Éditions Ravet-Anceau. On retrouve son écriture noire et efficace, avec des personnages particulièrement réalistes. L'auteur, policier, connaît parfaitement les milieux et les méthodes qu'il décrit, et l'on sent la véracité de ses écrits. Patrice Orca est particulièrement attachant, policier mesurant au jour le jour la profondeur abyssale de la détresse et de la sauvagerie humaines. Le lecteur ne pourra que sentir ses tripes remuées par le journal intime de la jeune victime des incestes répétés de son père, les exactions du terrible tandem de psychopathes, et les douleurs tant physiques que psychologiques des proies. Même si la qualité de l'écriture de Michel Vigneron est à chaque page édifiante, il y a des passages qui sont encore plus frappants, très visuels, comme la lente dérive vers l'au-delà d'Orca, ou le final, à la fois poignant et épuisant. En ces moments où la patte de l'écrivain sert avec brio des situations effroyables, on pense à d'illustres auteurs comme Franck Thilliez, Antoine Chainas ou Aurélien Molas. Tout y est sombre, désespéré, désespérant, et l'on referme ce roman essoufflé par des ténèbres atrocement communicatives.

    Si l'épisode de l'expérience de mort imminente arrive certes un peu tard dans le récit, on ne peut que louer en des termes très élogieux la maîtrise de Michel Vigneron. Le puits de la perversion est un roman qui fracasse, laissant le lecteur dans le même état que nombre des personnages décrits dans cet opus sauvage : déboussolé, perclus d'hémorragies, avec le goût cuivré si typique du sang dans la bouche. A n'en pas douter, Le puits de la perversion mérite de figurer dans la bibliothèque de celles et ceux qui n'ont pas peur d'être malmenés.

    04/04/2011 à 21:30

  • La corde d'argent

    Paul Halter

    7/10 Dans l'Angleterre des années 1950, Alice Davenport et son frère David sont confrontés à des phénomènes étranges. David est la proie d'hallucinations nocturnes où il se voit en meurtrier. Quand leur oncle meurt en Normandie dans des conditions similaires à celles décrites par David avec une précision saisissante, il devient évidemment le suspect idéal. Mais c'est sans compter sur une pléiade de personnages troubles : un magnétiseur aux fins discutables, un magicien spécialiste de la bilocation, un démarcheur de livres qui apparaît subitement. Et que dire de ce drame noué en Inde bien plus tôt, où des individus périrent dans des endroits clos, et jamais résolu ?

    Paul Halter s'est hissé comme le maître actuel des romans traitant de meurtre en chambre close, avec notamment John Dickson Carr comme illustre pionnier. Cet épisode est le dix-neuvième ouvrage de la série mettant en scène le Docteur Twist. La langue de l'auteur est très agréable, emprunte de ce caractère légèrement suranné lié à l'époque où se déroule l'histoire. L'ambiance est feutrée, sans action ni jaillissement de sang, avec d'agréables traits d'humour, et l'aspect lapidaire des descriptions rend les pages rapides à tourner. Il faut attendre les ultimes paragraphes pour découvrir l'identité du principal coupable, achevant un roman où les fausses pistes et autres rebondissements auront foisonné. Paul Halter exploite un subterfuge assez malin pour expliquer l'inexplicable, même s'il a déjà été utilisé par d'autres auteurs. Le seul véritable bémol de ce livre demeure la résolution de l'intrigue indienne : elle utilise une ficelle ultra-connue et employée par un autre éminent écrivain mais qu'il est ici impossible de citer sans rien dévoiler. Certes, Paul Halter connaît ses classiques (il va même jusqu'à donner comme titre à l'un de ses chapitres La mort dans les nuages, comme le roman d'Agatha Christie) et maîtrise les codes du genre, avec une sorte de passerelle avec les lieux où se déroulait l'action du Tigre borgne, mais certains lecteurs pourront se sentir frustrés par cette intrigue à la fois secondaire et trop rapidement conclue.

    La corde d'argent est donc un roman à énigme réussi, achevant de démontrer le talent de Paul Halter. Néanmoins, l'histoire aurait gagné à ne pas être entravée par une seconde histoire aussi anecdotique que ne l'est sa résolution.

    04/04/2011 à 21:28

  • Certains l'aiment clos

    Laurent Martin

    8/10 Parce qu'il est en pleine déprime et miné par des problèmes personnels, Gabriel Lecouvreur échoue dans un monastère breton. Sur place, il croit entrevoir la lumière divine, le chant du Créateur, et commence une conversion aussi rapide que sincère. Mais des meurtres particulièrement sanglants brisent la retraite du Poulpe : des moines sont assassinés, une croix métallique dans le ventre. Gabriel va donc devoir abandonner son statut de retraitant pour mener l'enquête, quitte à ce que ses tentacules aillent plonger dans des bénitiers aux eaux peu reluisantes.

    Deux-cent-cinquante-septième ouvrage de la série consacrée au Poulpe, Certains l'aiment clos est écrit par Laurent Martin, un auteur à la bibliographie déjà fournie. D'entrée de jeu, le lecteur se rend compte que le ton de cet opus sera bien différent de celui des autres. Gabriel Lecouvreur découvre la foi ! Messie, messie ! Et il va même jusqu'à y trouver du plaisir ! Au-delà de ce postulat qui défrisera bien des aficionados du céphalopode, il y a une nette inflexion de la part de Laurent Martin à vouloir faire sortir le personnage de Gabriel Lecouvreur des sentiers battus. Il va se lier d'amitié avec les moines, participer aux offices, et chaque chapitre s'ouvre sur un psaume. L'écriture est très agréable, les personnages nombreux et joliment croqués, et le livre se dévore avec entrain. Il ne faut pas être très lettré pour se rendre compte que l'auteur s'est inspiré du Nom de la Rose d'Umberto Eco pour imaginer son intrigue, cette ascendance étant clairement assumée par Laurent Martin qui cite à plusieurs reprises le roman. L'intrigue se dénouera de manière relativement inattendue, loin des clichés auxquels on pouvait s'attendre.
    Et puisqu'il faut bien clore une histoire, Laurent Martin a choisi une voie bien surprenante, presque iconoclaste eu égard à la personnalité du Poulpe. Certains amateurs de Gabriel regretteront probablement ce choix, mais on ne peut pas manquer de louer les efforts de l'auteur pour édifier un ouvrage atypique.

    Certains l'aiment clos est donc une œuvre bien surprenante : elle conjugue les qualités d'un huis clos réussi à une tonalité inédite dans la série. Est-ce un blasphème ou un renouvellement du personnage ? La question divisera à coup sûr mais n'empêchera certainement pas de reconnaître les indéniables qualités de ce roman.

    28/03/2011 à 17:08 1

  • La Mort des neiges

    Brigitte Aubert

    8/10 Rendue muette, aveugle et tétraplégique à la suite d'un attentat, Élise Andrioli décide d'aller se reposer à la montagne, dans les Alpes-Maritimes. Elle est installée dans un centre où sont présents d'autres handicapés, mentaux ou moteurs. Et c'est alors qu'un nouveau tueur en série commence à sévir, la première victime étant une femme crucifiée dans une maison abandonnée. Rapidement, l'assassin s'adresse à Élise et lui confie même un morceau de steak... qui s'avère être un morceau de la chair prélevée à la victime torturée. C'est le début d'une longue série de meurtres abominables.

    Après La mort des bois, Brigitte Aubert poursuit avec son héroïne si atypique. Le récit est alerte, ponctué de descriptions savoureuses, émaillé d'un humour tordant, et le lecteur se prend d'une empathie certaine pour la protagoniste. L'histoire est bien bâtie et réserve de nombreux rebondissements jusqu'au coup de théâtre final, assez surprenant. Par ailleurs, loin de vouloir absolument rejouer le premier opus en le faisant se dérouler, cette fois-ci, dans un environnement alpestre, Brigitte Aubert a imaginé un scénario assez adroit et délirant. L'ensemble est très bien écrit et, malgré une fin qui aurait pu facilement être réduite de quelques dizaines de pages pour préserver l'impact et la verve de l'histoire, prenant.

    Pour conclure, La mort des neiges est un thriller savoureux, atypique et bien mené, offrant de délicieux instants de distraction.

    28/03/2011 à 16:59 1

  • Le Samouraï qui Pleure

    Laurent Scalese

    8/10 Un restaurateur japonais ainsi que sa famille retrouvés massacrés à Paris : meurtres ou suicide collectif ? Un suspect dont l'arrestation débouche sur la mort de trois policiers. Quelque chose de louche et inquiétant se trame dans l'ombre, c'est du moins l'intime conviction du lieutenant Élie Sagane. Alors que son équipe se met en chasse, elle ignore qu'elle vient en fait de se dresser sur la route de la très puissante mafia japonaise et que cette dernière est prête à tout pour parvenir à ses fins, quitte à sacrifier les policiers qui lui barreront la route.

    Laurent Scalese fait partie de ces auteurs français que l'on ne présente plus. Écrivain reconnu par la critique, le public et ses pairs, il entamait en 2000 sa carrière avec cet ouvrage. Pour les connaisseurs, sa patte apparaît rapidement : personnages campés avec réalisme, intrigue tendue, style visuel. Le fait que Laurent Scalese en vienne à travailler à de nombreuses reprises pour la télévision n'est pas surprenant : le livre, à l'instar de ses autres romans comme L'ombre de Janus ou Le baiser de Jason, tire partie d'une écriture lapidaire qui laisse la part libre à l'action et aux évolutions de ses personnages. A n'en pas douter, l'auteur s'est beaucoup documenté avant de se lancer dans l'édification de ce récit, notamment sur le milieu policier, la culture japonaise ainsi que les terribles yakuzas, sans jamais tomber dans les poncifs souvent inhérents au genre. L'ensemble, nerveux et racé sans pour autant tomber dans la surenchère pyrotechnique, retient sans peine l'attention du lecteur sur les quatre-cents pages, sous-tendu par une intrigue qui panache les éléments attendus du genre tout en demeurant original.

    Avec ce thriller, Laurent Scalese s'imposait d'emblée parmi les auteurs français du genre à suivre de près. La suite de son œuvre est tout aussi intéressante, jusqu'à son dernier roman, La cicatrice du diable, dont la sortie en poche se fera en juillet prochain.

    22/03/2011 à 18:22

  • L'Ange de leather Lane

    Lee Jackson

    9/10 En ce milieu du XIXe siècle, le temps se gâte dans le quartier de Leather Lane : un boucher est accusé de faire le commerce de viande chevaline. Une bande de jeunes malfrats propage cette rumeur semble-t-il infondée, et c'est Sarah Tanner qui accepte de venir en aide à ce commerçant pour préserver le calme de ce quartier londonien dans lequel elle travaille. Dans le même temps, un ancien amant de Sarah se rappelle à son bon souvenir et l'enjoint de l'aider : ses parents sont en effet tombés sous la coupe de mesméristes, cette supposée science mêlant hypnose et autres pratiques contestables. Deux enquêtes parallèles ? Pas si sûr. Car au fur et à mesure de ses avancées, la jeune femme découvre que les deux affaires sont liées.

    Lee Jackson est un auteur spécialisé dans le polar historique se déroulant à l'époque victorienne, et animant un site de haute tenue consacré à l'histoire sociale et culturelle de l'Angleterre. Son œuvre se divise principalement en deux séries : celle consacrée à Decimus Webb et l'autre à Sarah Tanner. Après Une femme sans peur, on retrouve ici la délicieuse Sarah aux prises avec une bande de scélérats prompts à jouer du couteau et des charlatans profitant de la naïveté humaine. Les lieux et l'ambiance du Londres de la moitié du dix-neuvième siècle sont parfaitement rendus, avec panache et précision, sans que cette érudition descriptive n'empiète sur le déroulement de l'intrigue. Aux côtés de Sarah, on se promène dans la capitale anglaise comme on découvrirait un lieu et une époque inconnus au bras d'une guide qui sait allier culture et retenue. L'intrigue est très riche, offrant de nombreux rebondissements, sans le moindre temps mort, et les diverses pièces du puzzle s'assemblent pour former un ensemble intelligible et crédible. Par ailleurs, le lecteur aura le plaisir de voir les personnages évoluer, notamment Sarah, avec les ultimes pages orientant sans nul doute la suite de la série.

    L'ange de Leather Lane constitue donc un ouvrage de grande qualité, à la fois cultivé et réjouissant, où la forme et le fond se conjuguent à merveille pour composer un ouvrage policier et historique particulièrement prenant. Il est à noter qu'un autre livre de Lee Jackson sort dans quelques jours : Il était une fois un crime.

    20/03/2011 à 18:20

  • Oniria

    Patrick Senécal

    9/10 Dave, Jef, Éric et Loner parviennent à s'échapper de prison. Pour fuir la police, ils vont se cacher dans la maison de la psychiatre de l'un d'entre eux. La bâtisse s'appelle Oniria. Étrange... Mais encore plus étrange est le mari de la psychiatre, roulant en fauteuil et menant des expériences obscures, ou cette servante aux allures de fantasme érotique. Et que dire des patients qui sommeillent en ces murs et dont les songes semblent générer des créatures démoniaques. Les quatre fuyards n'auraient jamais dû pénétrer dans Oniria.

    On ne présente plus Patrick Senécal. 5150, rue des ormes, Le passager ou Les sept jours du talion constituent autant de perles noires et marquantes. En 2004, l'auteur signait ce livre qui rappelle tant d'éléments typiques de son œuvre : le sang, le sexe, l'angoisse. On a déjà évoqué l'influence de Stephen King, Dean Koontz ou Graham Masterton, mais Patrick Senécal a su se dégager de ces ascendances littéraires pour imposer un style très personnel. L'écriture est laconique, très simple, et plonge rapidement le lecteur dans un cauchemar parfaitement intelligible, par paliers successifs.
    Les personnages sont tous bien campés, et l'histoire est encore une fois très forte. Aux côtés des quatre prisonniers, le lecteur va basculer lentement mais sûrement dans des abîmes de folie et de cruauté. S'il est très difficile de parler de ce livre sans dévoiler certains éléments, il convient juste de savoir que le rythme du récit s'accélère sans cesse, passant du roman à suspense au thriller fantastique débridé. Les scènes sont très visuelles, souvent basées sur des idées simples et transfigurées par une imagination incroyable. Certains lecteurs seront peut-être choqués par les penchants de Patrick Senécal à peindre des moments où sexe et violence sont poussés à leur paroxysme, faisant de ce roman un livre à ne pas mettre entre toutes les mains. Néanmoins, là où un autre auteur sans talent aurait fait chavirer son récit dans le burlesque et le ridicule, Patrick Senécal maintient le cap et assume pleinement son extravagance littéraire. L'épilogue mérite également d'être loué : il offre un ultime rebondissement de très grande qualité, parachevant une histoire sans équivalent.

    Oniria est donc une véritable aventure, qui se savoure et se mérite. On en prend plein les yeux d'un bout à l'autre, à condition d'accepter le postulat suivant : Patrick Senécal est un génie, avec ses délires et ses inclinations singulières.

    13/03/2011 à 20:12 1

  • Le Petit Bleu de la côte Ouest

    Jacques Tardi

    9/10 Georges Gerfaut est cadre commercial. Marié, deux enfants. Il fume, boit, aime le jazz, conduit une Mercedes. Un anonyme, sans histoires. Jusqu'au jour où il croise la route d'un homme qui vient d'avoir un accident de voiture et l'accompagne à l'hôpital. Un geste louable, gratuit, mais qui va lui coûter cher. Car l'individu supposé accidenté vient en fait d'échapper à une tentative de meurtre, et les tueurs ne veulent surtout pas d'un éventuel témoin à qui leur proie aurait pu se confier. Pour Georges Gerfaut, ça va être le début du cauchemar.

    Écrit en 1976 et porté à l'écran, c'est au tour de la bande dessinée d'offrir une troisième jeunesse au roman du même nom de Jean-Patrick Manchette. Prêtant son crayon pour l'occasion, Jacques Tardi illustre un roman qui était à la fois sobre et riche. Toutes en noir et blanc, les planches défilent sur environ soixante-dix pages, à un rythme sec et effréné. L'histoire est intéressante, mettant en scène un pauvre bougre, presque saisissant de banalité, qui commet un jour l'impair bien involontaire de se trouver au mauvais endroit et au mauvais moment, et à qui le sort va réserver des suites sanglantes. Si le postulat de départ semble classique, le traitement qui en est fait l'est beaucoup moins. Le lecteur se prend vite d'amitié pour Georges Gerfaut dont les ressources, la patience et la sagacité forcent le respect. Il n'est ni un héros ni un antihéros, juste un homme qui tente de se sortir du pétrin dans lequel il s'est fortuitement fourré. Le récit est très bon, l'univers de Jean-Patrick Manchette restitué avec sobriété et efficacité, et l'histoire, ménageant flash-backs et ellipses, tient en haleine.

    Tout comme le roman dont il est tiré, cette bande dessinée est une sorte de conte moderne, variation intéressante du pot de terre contre le pot de fer. Jacques Tardi exploite à merveille le livre qu'il adapte, où le bicolore des croquis fait écho au noir des mots et des combats de Jean-Patrick Manchette. L'hommage d'un grand dessinateur à un grand écrivain.

    11/03/2011 à 19:51 4

  • Qu'Ils s'en aillent tous

    Laurence Biberfeld

    8/10 La révolte agite la ville du Grestain suite au projet de privatisation du port. Dans le même temps, on apprend que le capitaine Joseph Langrenne est décédé lors d'un vol en parapente. Accident ? Suicide ? Assassinat ? Deux détectives privés, Maria La Suerte et Gandalf de Saint Aygulf, sont chargés de percer ce mystère.

    Laurence Biberfeld signe ici un roman fortement engagé du point de vue social. En effet, l'histoire prend ses racines dans un port sur le point d'être privatisé, avec tout ce que cela peut engendrer : craintes pour les ouvriers de voir leurs conditions de travail bafouées, esclandres des élites tutélaires, emploi de la force pour déloger les grévistes, et surtout la situation profondément déplorable des matelots obligés de voguer sur des mers incertaines à bord d'épaves. A cet égard, les préoccupations sociales de Laurence Biberfeld sont ouvertement ancrées à gauche, avec une très nette propension à l'empathie pour tous les forçats des flots, ainsi qu'une colère contre un certain capitalisme.
    Au-delà de cet aspect du livre, le roman présente une intrigue solide dont les pièces du puzzle apparaissent au gré de chapitres qui alternent habilement entre les points de vue des divers protagonistes. La langue est belle et riche, offrant de nombreuses formules que le lecteur se plaira à lire à haute voix pour en apprécier toute la saveur. Détail atypique : certaines parties se proposent sous la forme de courtes scènes de théâtre, avec dialogues entre les personnages et didascalies. C'est d'ailleurs au cours des réparties que l'on apprécie la personnalité des deux détectives. Maria De Suerte est une libertaire zélée, prompte à pourfendre la marchandisation des êtres humains – rappelant en cela le personnage du Poulpe que Laurence Biberfeld a d'ailleurs dirigé avec On ne badine pas avec les morts –, et Gandalf de Saint Aygulf, personnage au verbe châtié et aux manières élégantes. La coexistence de ces deux individus aux caractères si différents est source d'échanges souvent pertinents et amusants, en plus de créer un duo que l'on se plairait à retrouver dans d'autres enquêtes. Maria pense que le capitaine est décédé en raison des remous provoqués par la situation du port, Gandalf à cause d'une histoire de cœur. Lequel des deux a raison ? Il faudra attendre les derniers chapitres pour le savoir.

    Malgré un trait parfois un peu épais lié aux convictions politiques de l'auteur, le roman est vraiment très bon en plus d'être original, à la fois par sa forme, le contexte de l'histoire et le binôme des enquêteurs.

    11/03/2011 à 19:50

  • Le Livre des trépassés

    Lincoln Child, Douglas Preston

    9/10 Un opus d'une de mes séries littéraires préférées, et celui-ci est encore une fois à la hauteur. Suspense, scénario intelligent, personnages fouillés, et le plaisir de retrouver Pendergast face à Diogène. Des scènes mémorables, et un épisode particulièrement important dans la série : l'explication – fameuse – de la haine que voue Diogène à son frère. Un régal !

    03/03/2011 à 18:30 1

  • L'ingratitude des fils

    Pierre D'Ovidio

    8/10 Pendant l'hiver 1945, des gamins découvrent un cadavre niché dans des ruines. Détail troublant : il est en partie brûlé, sa main est peinte en noir, et on découvre dans sa bouche un papier sur lequel est écrit : « A PARM ». C'est le jeune inspecteur Maurice Clavault qui doit mener l'enquête. Dans une France trouble et troublée, son investigation ne manquera pas de rouvrir des blessures encore récentes.

    Ce roman écrit par Pierre D' Ovidio et amorçant la série consacrée à Maurice Clavault est un pur régal. L'ambiance de l'époque est parfaitement restituée, entre douleurs du passé et espérances timorées pour l'avenir, et l'on devine sans mal le formidable travail de documentation qui a été le préalable à l'édification de ce récit. Les personnages sont tous très humains, bien campés, et crédibles. Les aller-retours entre le germe des drames à venir, s'enracinant dans la Lituanie de 1926, et le présent sont réussis et enrichissent l'histoire d'une dimension humaine inoubliable. Le roman ne livre la clef de l'énigme que dans les dernières pages, à la fois poignantes et révélatrices d'une société qui essaie de tourner la page. Certes, l'intrigue passe au second plan, laissant Pierre D' Ovidio peindre le portrait de nations et de peuples en désarroi, mais elle n'en demeure pas moins émérite.

    L'ingratitude des fils est donc un roman qui tient à la fois du policier et de l'historique. On ne peut que louer l'intelligence et la pertinence de Pierre D' Ovidio de proposer un roman aussi original et instructif. Une littérature pour mémoire.

    01/03/2011 à 19:32 2

  • Le Tigre borgne

    Paul Halter

    8/10 Patrick Mallory, jeune espion, est dépêché en Inde, dans la province de Kandore, par William Fraser. Son objectif est, de prime abord, plutôt banal : il doit surveiller le maharadjah Jaswan Singh qui semble prêt à ourdir un complot. Cependant, cette région est tourmentée par deux personnages assez singuliers : un tigre borgne qui sème la désolation parmi la population, et un fakir, hostile à l'autorité du maharadjah, qui pratique des tours de magie à l'aide d'une corde devenant, comme par enchantement, aussi solide que du métal. Patrick Mallory ne sait pas qu'il va aller de surprises en surprises, toutes plus dangereuses et mortelles les unes que les autres.

    Auteur français passé maître dans l'élaboration et la résolution des meurtres en chambre close, Paul Halter montre à nouveau l'étendue de son talent dans ce roman. En implantant son récit dans l'Inde de la fin du dix-neuvième siècle, l'écrivain offre un dépaysement total au lecteur grâce aux ambiances chaudes et colorées de ce bout du monde. La multiplicité des personnages, propre au whodunit, permet de peindre habilement une galerie de suspects potentiels, tous très bien campés. Les intrigues sont nombreuses, du fauve carnassier jusqu'au fakir magicien en passant par un meurtre dans une pièce verrouillée. Comme à chaque fois dans ce type d'ouvrage, le lecteur s'échine à découvrir comment le criminel a pu s'y prendre, usant ses neurones pour comprendre le fin mot de l'histoire. Paul Halter, en talentueux disciple de John Dickson Carr, parvient à nouveau à surprendre en proposant une résolution très cartésienne des énigmes grâce à un sens aigu de la déduction digne de Arthur Conan Doyle.

    Alliant la fougue du livre d'aventure à l'ingéniosité du roman à énigmes, Paul Halter livre un nouvel opus riche en rebondissements, à la fois novateur et s'ancrant dans la tradition du genre. Si certains passages, notamment relatifs à l'histoire d'amour de Patrick Mallory, peuvent paraître assez candides, la noirceur des derniers chapitres ainsi que le final, sombre et détonant, contredisent cette première impression. A n'en pas douter, Paul Halter s'est imposé, par son habileté et son imagination, comme l'un des meilleurs – sinon le meilleur – romanciers contant les assassinats en milieu fermé.

    01/03/2011 à 19:29

  • Le Grand Braquage

    Dashiell Hammett

    8/10 A Philadelphie, environ cent-cinquante malfrats se donnent rendez-vous, et deux banques sont cambriolées dans la foulée, avec un assaut en règle de la part de ces gangsters. Les coups de feu inondent la ville, des bandits ainsi que des policiers et des passants sont au tapis. Le détective de la célèbre Continental Detective Agency avait pourtant été prévenu par un indicateur, mais l'ampleur du hold-up dépasse de loin ses pires pronostics. Il devra alors faire appel à ses collègues pour retrouver le butin ainsi que le cerveau de l'affaire, alors que les truands n'ont pas fini de régler leurs comptes...

    Auteur pionnier du roman noir, Dashiell Hammett était une plume de premier ordre, à la fois inventive et hallucinante de férocité. Écrites en 1924, Le grand braquage suivi du Prix du sang constituent deux nouvelles très efficaces, typiques du style de l'écrivain. Les personnages sont bien troussés, les dialogues souvent très drôles, et les situations visuelles. Ici, pas de larmes, de protagonistes timorés : ça castagne à mains nues ou à l'aide de poings américains, ça défouraille à l'arme automatique, et les femmes sont tout sauf fragiles. Les décors sont plantés en quelques mots habilement choisis et l'essentiel de l'histoire se résume à des coups bas, des trahisons, et des fusillades échevelées. Quiconque aura lu La clé de verre retrouvera avec un plaisir inégalé la verve de Dashiell Hammett, son appétit pour les durs à cuire, et la pléthore de personnages sombres et virils qui n'ont jamais peur de prendre des balles, et encore moins d'en faire pleuvoir.

    Le grand braquage est donc un ouvrage emblématique de l'œuvre de Dashiell Hammett, à des années-lumière des héros tendres, vivant une quelconque empathie pour leurs congénères. C'est de l'action, du brutal, de la testostérone en barils. Et le lecteur ne pourra que trouver un plaisir jouissif à suivre cette nouvelle enquête du détective anonyme si cher à son génial géniteur.

    23/02/2011 à 10:30

  • Les Morsures de l'ombre

    Karine Giebel

    8/10 Une histoire très efficace et captivante, au style épuré et direct. Karine Giebel m'a plongé rapidement et profondément dans les tourments de la captivité du policier, ainsi que dans une intrigue dont j'ai eu beaucoup de mal à me détacher.

    15/02/2011 à 20:30 2

  • La Fracture de Coxyde

    Maxime Gillio

    8/10 Rien ne va plus en Belgique. En plus des dissensions politiques et linguistiques qui déchirent le pays, on vient de découvrir un membre des « Reculistes », un groupuscule d'artistes férus du peintre Jacques Delvaux, épluché dans une usine qui fabrique des frites. En France, Jacques Bower, surnommé « le Goret » en raison de sa propension à aller fouiner un peu partout, découvre l'information et décide de partir en Belgique pour enquêter. Ce qu'il y découvrira ne l'enchantera pas, lui qui ne peut pas voir l'extrême droite en peinture, mais ça va rapidement devenir une affaire personnelle. Jacques Bower, ou lard et la manière de fouiller les sols, même les plus impurs.

    Il ne faut pas être un grand connaisseur en littérature policière pour se rendre compte que Jacques Bower est un avatar de Gabriel Lecouvreur, alias « le Poulpe », le personnage créé par Jean-Bernard Pouy et devenu le personnage central d'une longue série. Maxime Gillio assume parfaitement cette source d'inspiration, et invente un protagoniste ainsi que quelques acolytes crédibles et sympathiques que l'on se plait déjà à imaginer dans de prochaines enquêtes. Comme d'habitude chez Maxime Gillio, l'intrigue est excellente, les propos sonnent juste, et l'on parcourt avidement ce roman de moins de deux-cents pages. L'histoire a été intelligemment bâtie, permettant au lecteur de côtoyer les milieux artistiques et les émanations fascisantes d'une Belgique en plein désarroi. En fait, La fracture de Coxyde se situe à la croisée des chemins tracés par l'auteur, mêlant le côté policier de L'abattoir dans la dune ou Le cimetière des morts qui chantent et l'humour débridé présent dans Les disparus de l'A16. Jacques Bower est un personnage savoureux, au verbe haut et leste, et étant donné le talent incontestable de son géniteur littéraire, on ne peut que croiser les doigts pour le retrouver dans d'autres investigations. Certes, il ne bénéficie pas encore du capital sympathie de son illustre modèle, mais ce fait est compréhensible dans la mesure où c'est la première fois qu'il apparaît.

    Le pari était osé : le Poulpe est unique. Le Goret en est une transfiguration habile, succulente et au potentiel littéraire indéniable. Maxime Gillio le fera-t-il à nouveau fureter du groin dans un futur proche ? Confiera-t-il ce rôle à d'autres auteurs de la maison d'édition Ravet-Anceau, comme Jean-Bernard Pouy l'a fait avec Gabriel Lecouvreur ? Il est encore trop tôt pour y apporter une réponse, mais il est presque acquis que le lecteur, après avoir achevé cette Fracture de Coxyde, se posera ces questions rendues légitimes par la qualité de ce livre.

    13/02/2011 à 08:33

  • La Confrérie des mutilés

    Brian Evenson

    9/10 Kline, un détective privé ayant perdu la main après avoir croisé la route d'un dangereux psychopathe, est approché pour une mission bien particulière : infiltrer une société secrète constituée de mutilés volontaires. Cette horde possède des règles très étranges, où la classification des séides se fait en fonction du nombre d'ablations. Assez rapidement, Kline se rend compte que son contrat ne va pas être simple à honorer. Sera-t-il capable de braver l'indicible, tant physique que psychologique, pour parvenir à ses fins ? Sans le savoir, au rythme des bouts de corps que l'on découpe comme de la simple viande, il bascule dans un univers dont il ne reviendra pas indemne.

    La confrérie des mutilés est un roman à la puissance narrative peu commune. D'entrée de jeu, en à peine quelques pages, le lecteur sombre dans un microcosme humain inouï, composé d'individus qui se plaisent à s'amputer pour gagner en autorité sur leurs semblables, ce qui génère des scènes détonantes où l'on oscille entre horreur et absurde. Brian Evenson est parvenu à créer un monde littéraire inédit, à la fois tragiquement plausible et déshumanisé, où la valeur d'un homme se réduit aux portions de son propre corps dont il a bien voulu se délester à l'arme blanche. Le ton employé, à la fois épuré et riche en références artistiques et religieuses, est singulier, et ne manquera pas de dérouter certains lecteurs. Des scènes d'automutilation, même si elles sont souvent lapidaires, risqueront de gêner la sensibilité des âmes sensibles.
    Néanmoins, si l'on parvient à s'extraire de cette retenue, il faut reconnaître à l'auteur des talents peu communs. L'intrigue est particulièrement originale, et son déroulement réserve de nombreux rebondissements et autres surprises machiavéliques. Le poids des mots choisis, la concision du récit et la palette de protagonistes, retors et inquiétants, suffisent à bâtir un roman d'une rare force de percussion. Il y a des flots d'hémoglobine, de morts violentes, parfois en surabondance, jusqu'au vertige littéraire, mais sous le verbe brutal de Brian Evenson se tapissent des réflexions très profondes sur le corps humain, le rapport à autrui, la rédemption, ainsi que des notions particulièrement éloquentes quant à la religion. Tel un démiurge, Brian Evenson a édifié une société ahurissante, instaurée selon des codes nouveaux, et faite d'êtres qui ne manqueront pas de marquer l'esprit du lecteur.

    A coup sûr, La confrérie des mutilés constitue un roman sensationnel, sans le moindre équivalent. Peut-être sera-t-il aux yeux de certains trop violent, voyeur ou outrancier, mais il ne peut susciter l'indifférence, ce qui est probablement la marque de ces livres dont on parle longtemps après. En somme, c'est au lecteur... de trancher.

    08/02/2011 à 17:52 2