BillieWild

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  • Un doux parfum de mort

    Guillermo Arriaga

    7/10 Un doux parfum de mort flotte sur les coins les plus reculés du Mexique, pays de couleurs et de fièvre.
    Loma Grande, village oublié, va être sorti de sa torpeur par des cris d'alerte. le corps d'une jeune femme, Adela, est retrouvé nu gisant dans une mare de sang. Ramón, seize ans à peine, en voulant préserver la troublante et dérangeante nudité de la défunte va devenir l'objet d'une folle rumeur. Les villageois constatent son émoi et l'attribue à des sentiments profonds qu'il nourrissait pour cette jeune fille. Les autorités locales, peu enclines à se mouiller dans la résolution d'affaires sordides, vont laisser le jeune homme s'occuper de cette tâche funeste. A Loma Grande, on lave le sang par le sang. D' adolescent tout juste sorti de l'enfance, Ramón devra se convertir en chasseur. Et le voilà partagé entre le désir ressenti pour Adela et son envie de clamer haut et fort la vérité... Mais il existe des brûlures bien plus ardentes que celles du soleil... Amour et Désir vont serpenter dans ce village blessé et répandre leurs venins au sein d'une galerie de personnages enfiévrés. de la femme adultère au mari violent et alcoolique, du flic véreux aux parents anéantis de Adela...Tous réclament vengeance.
    Guillermo Arriaga nous livre ici un roman aride et fort. Plus peintre qu'écrivain, il esquisse des portraits de personnages réalistes et sans concession. On perçoit dans son écriture, le Mexique inconnu du grand public, bien loin du folklore attrape touriste. Cet auteur a écrit les scénarios de 21 grammes, de Babel et du magistral et dérangeant Amours Chiennes (Amores Perros) de Alejandro Gómez Iñáritu . Un Doux parfum de mort est un calque de ces scénarios. Tout y est : l'ambiance pesante, les personnages forts et blessés, les histoires imbriquées et le récit sinueux. le Mexique de Arriaga sent bel et bien la sueur, le stupre, la bière chaude et la mort... C'est un pays de misère, où les hommes sont aussi meurtris et desséchés que la terre, où les femmes perdent leur fraîcheur avant d'avoir eu le temps de vieillir et où les enfants ont peu de chance de devenir adultes.

    20/01/2016 à 07:59 3

  • Yeruldelgger

    Ian Manook

    7/10 Rien ne parvenait à abreuver le coeur asséché de Yeruldelgger. Jadis époux aimant, père attentif à ses filles et flic respecté de tous, il était aujourd'hui en proie à une colère sourde et aride comme les paysages de sa Mongolie natale. Il avait joué gros sur une enquête et avait perdu. Depuis il paye très cher une dette rendue inestimable car le sang ne se monnaie pas. On a beau ainsi pleurer celui des disparus, les larmes ne seront jamais assez nombreuses pour les ramener à nous. Ni les steppes de sa terre balayées par les vents, ni la chaleur du thé salé de son enfance ne lui portent un peu de réconfort. Yeruldelgger est aussi dénué de vie que les cadavres des enquêtes qu'il est amené à résoudre, étouffé par le poids de ses souvenirs.
    Le cadavre d'une fillette d'origine étrangère est découvert en pleine Mongolie sauvage par des nomades. le commissaire attaché aux traditions de son peuple promet de faire le jour sur sa mort et de l'enterrer selon les coutumes des anciens. Et pendant que les steppes pleurent l'enfant blonde, à Oulan Bator les cadavres s'accumulent. Trois chinois émasculés sont découverts dans une briqueterie et deux prostituées reconnues pour travailler avec les asiatiques ont été battues et torturées. Les cinq corps portent un signe gravé à même la peau. La montée inquiétante d'une ferveur nationaliste laisse penser qu'il s'agit de meurtres racistes. Mais dans une Mongolie tiraillée entre modernité et respect des valeurs ancestrales, la résolution de ces enquêtes va s'avérer beaucoup plus complexes que Yeruldelgger ne l'avait envisagé. Plonger dans les vies de ces défunts le mènera sur les routes jonchées de cauchemars de son passé. Si le sang a un prix, celui de la vérité est tout aussi élevé.
    Des bas-fonds suffocants de Oulan Bator, aux steppes légendaires. Des forêts ou l'animal est roi aux lieux de débauche inventés par l'homme. Des monastères où l'humilité, la force et la sagesse sont des remparts contre le monde aux yourtes chaleureuses du peuple nomade, Ian Manook promène le lecteur sur une terre fascinante et dominée par les anachronismes. Mêlant habilement assassinats sordides, histoires de famille, culture mongol et contexte socio-économique inégalitaire, il réussit à donner vie à un roman foisonnant.

    19/01/2016 à 15:26 3

  • Chamamé

    Leonardo Oyola

    6/10 Tous deux ont franchi depuis bien longtemps la barrière de la morale.
    Ensemble, ils ont connu la taule, les émeutes entre détenus et les effusions de sang qui ne choquent même plus ni les prisonniers ni les gardiens.
    Garants de la violence, ils savent égorger, éventrer ou loger une balle sans que leurs mains ne tremblent. Ils ont appris que le bien, la loyauté et l'honnêteté ne feront jamais partie de leur vocabulaire. Parce qu'il en est ainsi et parce qu'il faut arracher ce que la vie n'a pas consenti à donner. Leurs noms Manuel Ovejero dit "Perro", as du volant et malfrat accompli et son acolyte Noé, de quatre ans son aîné, un illuminé se revendiquant pasteur maniant avec la même dextérité le prêchi-prêcha et les lames.
    Chacun est une pointure mais alliés, ils deviennent redoutables. Chacun se sert des compétences de l'autre jusqu'à ce qu'il soit de trop. Cela n'aura été qu'une question de temps avant que le souffle de la trahison vienne les caresser . Perro a été devancé. Noé taille la route avec le pactole d'un coup juteux n'ayant aucuns regrets à priver Perro de sa part. L'issue de cette poursuite sentira à coup sûr la gomme brûlée par l'asphalte et l'odeur métallique du sang. Et si la parole de ces deux bandits n'est pas fiable, leur avidité s'exprimera pour eux.
    Leonardo Oyola signe un roman loufoque dans lequel les scènes de violence s'enchaînent à une cadence folle. Cette oeuvre menée tambour battant pèche un peu par le manque de profondeur et de charisme de ces personnages principaux. Malgré de nombreuses introspections, Perro ne parvient à susciter que peu d'émotions chez le lecteur à l'image de Noé, pourtant salopard de première complètement azimuté. A cette absence d'accointance avec les personnages s'ajoute une profusion de références musicales et cinématographiques – pas toujours habiles– qui alourdissent fortement la lecture et la gratifient d'un côté « too much ».
    Chamamé laisse donc une impression de lecture mitigée. Si l'originalité de ce roman est indéniable, certains aspects au niveau de la narration ne paraissent pas totalement maîtrisés et laissent un sentiment d'inachevé. Certaines scènes particulièrement visuelles valent toutefois que l'on y pose un œil à condition de ne pas craindre les rixes et les giclées d'hémoglobine.

    19/01/2016 à 13:56 2

  • Deep Winter

    Samuel Gailey

    6/10 Vivre avec ses différences, Danny Bedford avait appris à s'en accommoder. Depuis près de quarante années son physique devenu imposant avec l'âge arpentait les rues du village de Wyalusing, en Pennsylvanie. le plus difficile pour lui était de faire accepter son handicap. Privé de la plupart de ses facultés mentales et de la bienveillance de ses parents suite à un regrettable accident durant sa jeunesse, Danny avait grandi en conservant l'innocence de l'enfance. Considéré par la plupart de ses concitoyens comme un attardé, souffre-douleur et maltraité durant sa scolarité, Danny a enduré les brimades, enfermé dans sa carapace d'obèse ; une bien vaine protection contre l'agressivité et la haine. Rien n'a changé depuis les bancs de l'école. Mike Sokowski, devenu l'adjoint du shérif, et Carl Robinson, son acolyte s'en prennent toujours ouvertement à Danny. Et les excès d'alcool et de drogue auxquels s'adonnent l'abject Sokowski ne font qu'envenimer la situation.
    Seules quelques âmes charitables dont le couple Bennett dans la laverie desquels Danny travaille et Mindy, une serveuse manifestent de la compassion envers lui. le soir de son quarantième anniversaire, le corps ensanglanté et brutalisé de la quadragénaire est retrouvé, dans son mobil-home, sauvagement emportée dans la mort. Nombreux sont ceux qui voient en Danny le coupable idéal. Danny devient la brute épaisse, le vicelard qui rôdait d'un peu trop près de la défunte et qui a peut-être essuyé un refus, l'homme à abattre. Sokowski qui entretenait une relation amoureuse compliquée avec Mindy, met tout en oeuvre pour faire inculper Danny de meurtre. Et ils seront nombreux à vouloir le tailler en pièces... La chasse est ouverte… Mais celui qui est traqué comme un animal n'est sûrement pas le plus bestial…
    Engourdi par le froid, Wyalusing est tiré de sa torpeur hivernale par le sang versé mais il en faudra beaucoup plus pour étancher la colère de ses habitants.
    Scénariste natif de Wyalusing, Samuel W. Gailey, a construit son roman avec une habileté indéniable. Découpé en chapitres dédiés aux principaux personnages, Deep Winter adopte dès les premières pages un rythme soutenu et séquencé dotant l'histoire de beaucoup de relief. L'intrigue portée par des anti-héros de l'Amérique profonde soumis à leur mal être et leurs abus gagne en crédibilité et en puissance au fur et à mesure que l'auteur en cisèle les profils psychologiques. Par ailleurs, le détail accordé aux décors et à l'ambiance font de ce roman un page-turner efficace aux faux airs de scénario cinématographique.

    19/01/2016 à 13:40 2